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L’exposition (In)surrection est au cœur de la 22e édition du festival Scopitone organisé par Stereolux à Nantes.

Ce rendez-vous des arts numériques et des musiques électroniques, qui se déroulera du 18 au 22 septembre 2024, sera ponctué de conférences, d’installations in situ (Flux, l’architecture cinétique et lumineuse du Collectif Scale), de spectacles (La Fin du Présent de la compagnie InVivo en première mondiale) et rythmé par deux nuits électro (feat. Christian Löffler, King Kami, Venetta, Dylan Dylan, Saliah, Canblaster, Paul Cut…).

Mise en place par Mathieu Vabre et Anne-Laure Belloc, l’exposition (In)surrection reflète et dénonce notre « monde en tension ». Son titre joue sur le terme « surrection », une notion géologique décrivant un processus tectonique dans lequel des blocs de la croûte terrestre se soulèvent, et qui symbolise donc ici le soulèvement du Vivant contre l’Anthropocène. Cette exposition est articulée en trois chapitres qui explorent les facettes poétiques, écologiques et politiques de ce soulèvement.

Mihai Grecu, Série Desert Spirits. Photo: D.R.

Le premier volet s’intitule Quand les corps se soulèvent : Certains phénomènes, qu’ils suivent une logique immuable ou qu’ils défient les lois de la physique, élèvent les objets et les êtres vivants. Cette lévitation incarne l’évasion en même temps qu’un ordre naturel (Lingjie Wang et Jingfang Hao, Falling and Revolving). Qu’elle soit le fruit d’une technologie avancée (Mihai Grecu, Série Desert Spirits) ou d’une odyssée dans l’immensité de l’Univers (Marie Lienhard, Logics Of Gold / Aki Ito, Félicie d’Estienne d’Orves, Jean-Philippe Lambert – Astérismes / Guillaume Marmin, Oh Lord), elle éveille notre curiosité et permet de prendre du recul sur notre existence.

June Balthazard & Pierre Pauze, Mass. Photo: D.R.

La deuxième partie, Quand la Nature se soulève, évoque les conséquences écologiques provoquées par l’Humanité, et nous remémorent notre fragilité face aux forces de la Nature. Si les promesses techno-solutionnistes et les fables d’un monde fantasmé n’y font rien (Marie-Julie Bourgeois, Homogenitus / Maxime Berthou, Paparuda), les artistes se sont emparé·es des technologies pour éveiller les consciences de façon poétique. Tantôt en soulignant le caractère immémorial du Vivant (Clément Edouard et Pierre Warnecke, Flux), tantôt en évoquant les conséquences de l’intervention humaine sur le cycle de la Nature (Vivien Roubaud, Salsifis Douteux). Et de ce chaos, surgit parfois une beauté sauvage, une force brute, quasi mystique qui rappelle la vitalité et la résilience du Vivant (June Balthazard et Pierre Pauze, Mass).

Jean-Benoit Lallemant & Richard Louvet, DDoS, Distributed Denial of Service attack, Place de la Bastille. Photo: D.R.

Plus politique, la troisième section de cette exposition, Quand les peuples se soulèvent montre comment, face au soulèvement, les pouvoirs en place déploient un arsenal technologique pour maintenir leur emprise. Désormais, les outils numériques sont au cœur des systèmes de surveillance et du contrôle des masses (Clemens Von Wedemeyer, Crowd Control). Mais les artistes se sont réapproprié·es ces armes : le hacking sert autant à dénoncer les violences policières (Thierry Fournier, La Main invisible) qu’à détourner des barricades en place (Jean-Benoit Lallemant & Richard Louvet, DDoS, Distributed Denial of Service attack, Place de la Bastille) et font également retentir la voix des peuples opprimés — celles des victimes de systèmes corrompus (Paolo Almario, Marmelade) ou celles d’opposante·s disparu·es (Stéphanie Roland, Missing People – Inventio fortunate).

Laurent Diouf

> exposition (In)surrection, entrée gratuite
> du 18 au 22 septembre, Nantes
> Halles 1 & 2, Galerie Open School Beaux-Arts Nantes Saint-Nazaire, Allée Frida Kahlo Galerie Mélanie Rio Fluency, Galerie de l’Ordre des architectes
> https://www.stereolux.org/

Durant un mois, à partir du mercredi 9 novembre, le Labo Arts & Techs de Stereolux organise un Cycle thématique autour des Enjeux environnementaux des arts numériques. Au programme, une série de tables rondes sur le low-tech, l’éco-conception des arts numériques et la responsabilité du numérique et de la création artistique.

Le monde du numérique a semblé pendant longtemps épargné par les questions environnementales, apparaissant même pendant un temps comme étant une panacée en ce domaine face aux industries et entreprises de l’Ancien Monde… Mais la prise de conscience actuelle de l’urgence et de la globalité du problème du changement climatique oblige le secteur du numérique à faire en quelque sorte aussi son « auto-critique » et à réfléchir sur de nouvelles manières de créer, de montrer, de s’engager. Qui plus est, ce défi est devenu au fil des dernières années une véritable source d’inspiration pour les acteurs et créateurs du numérique.

Face à ce défi, les pistes et les questions multiples. Elles seront l’objet des discussions de ces tables rondes proposées tout au long de ce cycle. Les interrogations sur la réduction des impacts du numérique, par exemple, sont devenues fondamentales. Cela passe par un changement de paradigme dans notre manière de penser, de concevoir et d’utiliser le numérique, pour tendre vers une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte des effets qu’il génère. S’il devient ainsi nécessaire d’inventer de nouvelles manières de faire, la mise en place de nouveaux imaginaires et sensibiliser les acteur(ice)s du secteur et utilisateur(ice)s est également un enjeu important.

La réduction de l’impact environnemental du secteur des arts numériques, que ce soit au niveau des œuvres, mais aussi au niveau des structures de diffusion et de production, sera au centre de ces débats. Le fait que la notion d’éco-conception, traditionnellement appliquée dans un contexte industriel, s’invite dans ce débat est révélateur d’une vision nouvelle, d’une autre « manière de faire ». Désormais, pour les démarches artistiques aussi il faut identifier les impacts environnementaux générés par les différentes étapes de création, de production, de diffusion et de conservation d’une œuvre, puis mettre en place des actions permettant de les diminuer, sans perdre de vue l’intention artistique initiale. Et dans le domaine des arts numériques, cette démarche croise à la fois des problématiques communes à d’autres domaines artistiques (choix de conception et de matériaux par exemple), mais aussi des enjeux plus particuliers, notamment au niveau des technologies numériques utilisées ou de modes de production, de diffusion et de conservation souvent spécifiques.

Dans ce contexte, la démarche low-tech est sans doute pionnière. Portée par de nombreux artistes s’inscrivant dans une approche critique des technologies numériques, souhaitant réduire l’impact environnemental et social de leurs projets, ou explorant les enjeux artistiques et esthétiques d’objets électroniques de première génération, moins complexes, et mêlant récupération, bricolage et recyclage. Cette démarche low-tech s’inscrit dans le contexte d’une prise de conscience sur l’impact environnemental et social des technologies numériques et semble pouvoir être une réponse possible aux problématiques qu’elles soulèvent. On notera toutefois que dans les pays de l’Hémisphère Sud, le low-tech est une réalité tangible depuis des décennies, non par choix ou prise de conscience tardive, mais simplement par nécessité…

Enfin, un workshop sur 3 jours, du mercredi 16 au vendredi 18 novembre, animé par les artistes Selma Lepart et Nathalie Guimbretière, sera consacré au low-tech et à la soft robotic. Ouvert à tous et singulièrement aux makers, designers, technicien(ne)s et artistes, cet atelier a pour objectif d’ouvrir de nouveaux champs exploratoires. Dans ce cadre, les participant(e)s seront amené(e)s à découvrir la robotique créative, à expérimenter et à créer des objets et des dispositifs à partir d’éléments souples et déformables (comme des éléments pneumatiques, de pliage mobile, etc.), mais aussi à partir de matériaux responsifs (par exemple les métaux à mémoire de forme).

Cycle thématique : enjeux environnementaux des arts numériques
Du 9 novembre au 8 décembre, Stereolux, Nantes
> https://www.stereolux.org/

cultures électroniques & arts numériques

Porté par Stereolux, plateforme dédiée à la diffusion, au soutien à la création et à l’accompagnement des musiques actuelles et des arts numériques, le festival nantais Scopitone affichait cette année sa 15ème édition ! Une édition structurée autour d’ateliers, de tables rondes, de nuits électro (Helena Hauff, Agoria, Lindstrøm, The Field, etc.) et d’un parcours d’exposition singulier.

Une exposition jalonnée de créations exclusives et/ou de premières présentations françaises pour de nombreuses pièces disséminées dans plusieurs lieux. À commencer par La Fabrique de Stereolux, Trempolino et Les Nefs à côté des fameuses Machines sur l’Île de Nantes, zone toujours en plein (ré)aménagement, ainsi que le Readi (Lab et École de Design), la Cale 2 Créateurs, le Ferrailleur et Le Jardin des Berges. Le festival a également investi d’autres endroits emblématiques de Nantes, comme le Château des Ducs de Bretagne, le Manoir de Procé, Le Lieu Unique et la Tour de Bretagne, par exemple.

De l’ensemble de l’exposition se dégage une cohérence, marquée la philosophie « art / science » de cette édition avec des œuvres qui jouent sur la lumière, les données et la perception visuelle. Une unité renforcée également par le son : la plupart des installations et performances proposées déploient une « bande-son » percluse de craquements électrostatiques et de bourdonnements d’infra-basses… Mais la thématique première est bien celle du traitement et de la mise en forme de l’information, de La matérialité des données. Comment les traduire et les rendent visibles ? Comment les gérer et se les réapproprier ? Tel était le champ de questionnement d’une conférence passionnante, qui s’est d’ailleurs prolongée au-delà de l’horaire prévu le jeudi, en prolongement de workshops.

Dans cet esprit, parmi les œuvres exposées, Kinetica conçue par Martial Geoffre-Rouland incarnait parfaitement cette matérialisation en temps réel du monde de flux et d’interconnexions dans lequel nous vivons désormais. Réalisée avec le soutien nécessaire d’Orange puisque cette installation cinétique repose sur la visualisation des données (localisation, déambulation et d’activités dans la ville) transmises par les smartphones et restituer ici sous forme d’un panneau composé de dizaine de disques (6×12) pivotants selon les impulsions reçues. Une barre LED au milieu de chaque disque, à la couleur spécifique selon l’activité, permettant de se situer sur cet échiquier numérique après avoir téléchargé l’application adéquate.

Le mouvement des Clones de Félix Luque Sánchez est, par contre, initié par un algorithme programmé de manière aléatoire et chaotique. Une routine qui anime deux pendules montés chacun sur ce qui s’apparente au bras d’une table traçante. En équilibre instable, on assiste aux efforts (pas toujours désespérés) des balanciers pour se maintenir à niveau; ce qui les faits aussi ressembler à des athlètes s’échinant sur barres parallèles… Allié à Iñigo Bilbao, Félix Luque Sánchez propose aussi une autre installation « plurimédia » : Memory Lane. On y observe sur écran, comme au travers d’un miroir grossissant et déformant, les fragments d’une roche dont le relief à la fois étrange et aride évoque une planète lointaine…

C’est par contre à un astre plus familier, en l’occurrence la lune et ses croissants, que nous fait penser Diapositive 1.2 réalisé par Children of the Light (i.e. le duo Christopher Gabriel & Arnout Hulskamp). Cette autre installation cinétique se présente comme un immense pendule cerclé de LEDs qui pivote lentement et s’électrise parfois brutalement d’une lumière à la blancheur froide, déchirant le noir sidéral dans lequel il est suspendu. Daito Manabe et Motoi Ishibashi utilisent eux aussi des LEDs pour transfigurer le spectre lumineux, faire apparaître des fréquences (et donc des couleurs) habituellement invisibles. Pour les visualiser, il faut là aussi charger une petite appli qui génère un filtre révélant d’autres dimensions, formes et couleurs qui se cachent dans les ombres — la pièce s’intitule rate-shadow — d’une succession d’objets et d’artefacts disposés sur des présentoirs.

Mais la pièce maîtresse de ce parcours d’exposition est installée dans une des salles du Château des ducs de Bretagne. Elle résulte d’une collaboration entre Ryoichi Kurokawa et l’astrophysicien Vincent Minier. Intitulée Unfold, il s’agit d’une « mise en scène » des données recueillies par le télescope spatial Herschel sur la formation des étoiles. De cet amas stellaire brut, Ryoichi Kurokawa a fait une représentation géométrique et sonore projetée sur 3 panneaux englobants notre champ de vision. Le résultat n’est pas sans rappeler Ryoji Ikeda par ses lignes de fuite et son electronic-noise, ses soubresauts épileptiques et son foisonnement de particules… L’idéal étant de s’allonger sous l’épicentre de la projection, une petite estrade étant prévue à cet effet, pour pleinement s’immerger dans cette fresque cosmique.

Il est toujours question de lumière et d’espace, mais cette fois de manière beaucoup plus délimitée, contrainte, avec constrained curface. Une autre installation de Ryoichi Kurokawa composée de deux écrans inclinés, disposés en décalé. Tout ce passe à leur point d’intersection, comme un effet miroir. Les couleurs obéissent à un nuancier synchronisé, là aussi, avec de l’electronic-noise. Changement d’ambiance et de propos avec Rekion Voice de Katsuki Nogami. En entrant dans cette troisième salle du château, nous avons l’impression de pénétrer dans une basse-cour. Sauf que ce ne sont pas des volatiles qui émettent des piaillements, mais des petits « robots » bricolés et fixés sur des supports. Les sons qu’ils émettent sont en fait le bruit amplifié des petits moteurs qui les animent en fonction du mouvement du public. Il y en a une dizaine environ, dont un à l’entrée, en sentinelle, qui donne l’impression de prévenir ses congénères de notre visite…

Cela dit, il n’y a pas que des artistes confirmés au programme de cette expo. Scopitone a réservé une visibilité à deux créations lauréates d’un appel à projets Arts & Technologies lancé par Elektroni[k] (then goto festival Maintenant…). On découvre ainsi Uluce du collectif Recif : une structure de toile tendue de 13 faces. Mi-sculpture interactive, mi-instrument, le public est invité à toucher les surfaces qui réagissent et activent un jeu de lumière et de sons. Les autres lauréats sont Paul Bouisset et Eugénie Lacombre qui présente _Logik, une interface qui permet d’agencer et moduler des formes en rotation sur écran.

Les lives A/V lors de la soirée d’ouverture s’inscrivent également dans ce « grand jeu » de lumières, sons et données. Si l’arrière-plan de Ljøs du collectif fuse* n’est pas sans évoquer les cieux étoilés, la performance de la cordiste Elena Annovi en interaction avec cette trame audio-visuelle donne une tout autre dimension à ce type de performance, ou plutôt redonne son sens premier au mot « performance ». Plus humain évidemment, ce genre de live-act pourrait aussi s’apparenter à ce que l’on nomme le nouveau cirque, en plus high-tech…

Par contraste, Matthew Biederman & Pierce Warnecke apparaissent beaucoup plus conventionnels, réduisant leur set à une sur-multiplication de combinaisons de formes géométriques basiques sur un jeu de couleur là aussi réduit (bleu et rouge pour l’essentiel). Délaissant ce genre d’arithmétique sonore et visuelle pour des formes plus organiques et des sonorités vaporeuses presque ambient, Paul Jebanasam & Tarik Barri nous ont vraiment séduits avec leur Continuum. En clôture, c’est un autre type de performance avec sons circulaires et lumières synchronisées qui est attendue, celle de Gwyneth Wentink, Wounter Snoei et Arnout Hulskamp (de Children of the Light) : In Code. Soit une variation électroacoustique (harpe) et électronique autour de IN C de Terry Riley. À l’heure où ce premier bilan de l’édition 2016 de Scopitone est mis en ligne, il vous reste le temps d’y assister !

Laurent Diouf

Infos: www.stereolux.org/scopitone-2016
Photos: D.R.