Archive d’étiquettes pour : Ryoichi Kurokawa

exposition-performance

Conçue comme une série de plongées immersives et spectaculaires dans le monde onirique des machines, l’exposition-performance Artificial Dreams dresse un panorama de la création artistique assistée par l’IA et les algorithmes, à ce moment décisif qui représente à la fois l’émergence symbolique de l’IA, mais aussi son expansion accélérée. Cette plongée grand format dans le monde poétique des algorithmes génératifs et de la création numérique assistée par l’IA est organisée sous le commissariat de Charles Carcopino.

Parmi les 12 artistes qui propose des œuvres dans le cadre de cet événement, figure notamment Markos Kay dont pratique de l’art et du design s’étend des médias sur écran à l’impression… Son travail peut être décrit comme une exploration continue de l’abstraction numérique à travers l’expérimentation de méthodes génératives. Ses expériences explorent souvent la complexité des mondes invisibles et mystérieux de la biologie moléculaire et de la physique des particules. Un thème majeur de son travail est le paradigme informatique des sciences naturelles, tel qu’il apparaît dans la relation entre l’observation scientifique, la simulation et la visualisation. En 2014, Kay a lancé un laboratoire d’art expérimental dans le but d’explorer les intersections du numérique et de la physique en combinant des simulations informatiques et des techniques procédurales avec la peinture, les textiles, la céramique et la sculpture.

Utilisant une combinaison de technologie numérique et d’aquarelles, le travail d’Andy Thomas est une représentation symbolique de la collision de la nature avec la technologie, fusionnant des images de flore et de faune dans des formes abstraites évoluées. Des compositions complexes de plantes et d’animaux témoignent clairement de l’impact de la technologie sur la planète Terre et de la manière dont les progrès de la société affectent les systèmes naturels de vie. Ces dernières années, Thomas a commencé à expérimenter des logiciels audio-numériques, ouvrant ainsi une nouvelle branche de sa pratique. Cette nouvelle série d’installations vidéo animées représente visuellement les voix de la nature et crée un environnement étrange de son et de lumière.

Les œuvres de Ryoichi Kurokawa prennent de multiples formes telles que des installations, des enregistrements et des pièces de concert. Il compose à partir d’enregistrements de terrain et de structures générées numériquement, puis en reconstruit architecturalement le phénomène audiovisuel. En 2010, il a reçu le Golden Nica du Prix Ars Electronica dans la catégorie Musiques Numériques & Art Sonore.

Enseignant à l’Université Keio SFC, Daito Manabe a fondé à Tokyo Rhizomatiks en 2006, une organisation spécialisée en art digital. Ses œuvres se basent sur une observation des matériaux et des phénomènes quotidiens pour découvrir et élucider les potentialités essentielles inhérentes au corps humain, aux données, à la programmation, aux ordinateurs et à d’autres phénomènes, sondant ainsi les interrelations et les frontières délimitant l’analogique et le numérique, le réel et le virtuel.

Le tandem artistique MSHR (Brenna Murphy & Birch Cooper), est à l’origine de performances et d’installations audiovisuelles qui impliquent des systèmes électroniques génératifs et interactifs intégrés dans des réseaux sculpturaux immersifs et l’utilisation de circuits analogiques et des logiciels open source pour sculpter des hyper-objets en résonance mutuelle.

Collectif d’artistes multidisciplinaires, Visual System explore les relations entre espace et temps, nature et science, rêveries et réalité en combinant architecture et lumière. Dans ses dispositifs, Justine Emard associe photographie, vidéo et réalité virtuelle, et expériences de deep-learning. Son travail est au croisement entre les neurosciences, les objets, la vie organique et l’intelligence artificielle.

Artiste canadienne basée à Montréal, Sabrina Ratté crée des écosystèmes qui évoluent au sein d’installations interactives, de séries de vidéos, d’impressions numériques, de sculptures ou de réalité virtuelle. Influencées par la science-fiction, la philosophie et divers textes théoriques, ses œuvres explorent la convergence technologie et de la biologie, l’interaction entre la matérialité et la virtualité, ainsi que l’évolution spéculative de notre environnement.

Artificial Dreams, exposition-performance
> du 16 mai au 08 juin, Grand Palais Immersif, Paris
> les jeudis, vendredis et samedis de 19h30 à 23h00
> https://grandpalais-immersif.fr/

une exposition conçue avec Fact, à découvrir dans les sous-sols de 180 Studios, qui propose des œuvres immersives, génératives, algorithmiques, 3D, holographiques et interactives de  Ryoichi Kurokawa (Subassemblies), UVA (Topologies, Vanishing Point), Caterina Barbieri & Ruben Spini (Vigil), Lawrence Lek + Kode9, Actual Objects, Gener8ion (Romain Gavras & Surkin), Gaika (Convo 2.2 Complex Confessional), Tundra (Row), NONOTAK (Daydream V.6), Ben Kelly & Scanner (aka Robin Rimbaud) (Columns), object blue & Natalia Podgorska, Weirdcore + Aphex Twin (Subconscious), Hamill Industries & Floating Points (Vortex), Ib Kamara, Ibby Njoya

> du 28 avril au 28 août, 180 The Strand, Londres (Angleterre)
> https://www.180thestrand.com/future-shock
> https://www.factmag.com

5e Biennale Internationale d’Art Numérique

Reportée comme de nombreuses manifestations pour cause de crise sanitaire, la Biennale Internationale d’Art Numérique (BIAN) organisée par Elektra se déroule finalement cet hiver à l’Arsenal, centre d’art contemporain à Montréal.

Après une précédente édition dédiée à l’art fait par les machines pour les machines (Automata), cette cinquième version intitulée Metamorphosis est consacrée au changement et aux transformations individuelles et sociétales.

Cette thématique fait référence au Livre des transformations, le Classique des Changements (I Ching) ; en « pariant » sur le fait que le changement constant que nous observons aujourd’hui nous permet d’élargir notre compréhension de la relation entre humanité, nature et technologie.

Initiée par DooEun Choi et Alain Thibault (Elektra), les commissaires de cette exposition, l’illustration de ce pari pascalien s’incarne au travers des oeuvres de Refik Anadol, Michel de Broin, Cadie Desbiens-Desmeules, Justine Emard, Exonemo, Daniel Iregui, Herman Kolgen, Ryoichi Kurokawa, Ahreum Lee, Lu Yang, Louis-Philippe Rondeau, Oli Sorenson, David Spriggs, Samuel St-Aubin, Bill Vorn

> du 19 novembre 2021 au 16 janvier 2022, Arsenal, Montréal (Québec / Canada)
> https://www.elektramontreal.ca/biennale2021

Révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies

Ça y est, Némo, la biennale internationale des arts numériques, est lancée depuis quelques semaines. Les événements, rencontres, performances et expositions vont s’enchaîner jusqu’au début janvier 2022 dans toute l’Île-de-France. Le top départ de cette manifestation a eu lieu au 104, à Paris, le 9 octobre dernier, avec l’ouverture de l’exposition-phare de la biennale : Au-delà du réel. Sous-titrée, Révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies, cette exposition a vu son inauguration suivie de performances pour marquer l’événement.

Donatien Aubert, Les Jardins cynernétiques. Photo : D.R.

L’art n’a cessé de questionner le réel. Et au-delà, donc… L’ère du numérique renforce ce questionnement. C’est ce que réaffirment les œuvres présentées dans les « ateliers » bordant la Halle Aubervilliers du CentQuatre. Entre cabinet de curiosités et dispositifs high-tech, réparties autour de sept thématiques, ces créations mêlent principes scientifiques, regards sociologiques et audaces esthétiques. Combien d’anges peuvent danser sur une tête d’épingle ? ; Bureau d’expertise des phénomènes invisibles, La Terre en colère ; Natures dénaturées ; Vous n’êtes pas invisibles ; Forensic Architecture ; Traqueurs/traqués… Autant de portes d’entrée, au propre comme au figuré, vers des visions décentrées de notre réalité, vers l’envers du décor de notre monde hyper-technologique, vers la part d’ombre et d’invisibilité de notre société.

Au centre de la halle trône un étrange container qui fait penser à un « couloir du temps ». Œuvre nomade s’il en est — durant la biennale, elle sera déplacée et présentée aussi à l’ENS Saclay et sur l’Esplanade de la Défense —, Passengers de Guillaume Marmin déstabilise les spectateurs qui franchissent cette passerelle avec des jeux de lumières et de miroirs kaléidoscopiques. Non loin est planté Surveillance Speaker de Dries Depoorter. Une installation qui réagit à la voix et à l’image sur le principe des dispositifs de surveillance. Richard Vijgen a pour sa part choisi de rendre visible le spectre des ondes hertziennes avec une installation vidéo (Hertzian Landscapes) et celles émises par toutes les antennes relais, les routeurs WiFi, les satellites, etc. via une appli (Architecture of Radio).

Si vous voyez un câble traîner dans un coin sur lequel est imprimé une suite sans fin de mots, c’est l’œuvre de Jeroen Van Loon, Permanent Data. Une sorte de ready-made doublé d’un mashup scriptural : les bribes de textes correspondent à la transcription de la Bible « mixée » avec des commentaires de vidéos récupérés sur YouTube. Enfin, heure d’hiver aidant, si vous allez voir cette exposition à la nuit tombée, vous pourrez profiter de l’installation lumineuse évolutive de Justine Emard, Supraorganism. Un dispositif qui fonctionne à la manière d’un variateur, basé sur un programme de machine learning qui analyse des données captées sur un essaim d’abeilles en temps réel et génère des prédictions de comportements de la colonie. Ces prédictions pilotent l’illumination de la Halle Aubervilliers du CentQuatre.

Heather Dewey-Hagborg, Probably Chelsea. Photo : © Quentin Chevrier / Nemo.

Sur la trentaine d’œuvres exposées dans les sept ateliers de cette exposition maîtresse de la biennale Nemo, on signalera quelques propositions marquantes, comme les masques suspendus de Heather Dewey-Hagborg. Presque horrifique dans leur présentation qui rappelle les trophées de certaines atrocités guerrières, ces portraits-robots réalistes ont été établis avec des fragments d’ADN de Chelsea Manning (à l’origine des documents transmis à WikiLeaks lorsqu’ielle était encore analyste militaire sous le nom de Bradley Edward Manning). Autre choc visuel, The Substitute : le rhinocéros blanc, pixellisé et « reconstitué » sous nos yeux par Alexandra Daisy Ginsberg. À noter que le dernier représentant mâle de cette espèce est mort en mars 2018. Et si ce genre d’artefacts préfiguraient les zoos de demain…?

Impossible non plus de passer sous silence, les « radioscopies géologiques » de SemiconductorEarthworks, Where shapes come from et 20 Hz. Œuvres déjà éprouvées, mais toujours pertinentes pour les transformations de la matière qu’elles révèlent et matérialisent. De même pour les Jardins cybernétiques de Donatien Aubert qui transfigurent des plantes en les enchâssant dans un dispositif interactif nimbé d’une lumière rouge-violet. L’intention étant de donner à voir comment nos représentations mentales du vivant ont été transformées par la dissémination des technologies numériques dans l’environnement et comment celles-ci en retour, contribuent à le remodeler. Cet environnement qui se dégrade est recréé aussi par Paul Duncombe dans des aquariums où barbotent des végétaux soumis à différents taux de pollution ; radioactive comprise (Éden).

Avec NeoConsortium, on change de démarche et de style. En singeant la communication institutionnelle et d’entreprise, ce mystérieux collectif (?), « leader sur le marché des formes plastiques à grande ubiquité », doté d’un « haut-commissariat à l’enthousiasme politique », d’une « direction des archives dynamiques » et d’une « direction de l’emphase bidirectionnelle », n’est pas sans rappeler les interventions des Yes Men ou d’etoy.Corporation. Au CentQuatre, on découvre leur Moduloform Panoptique. Un module de forme géométrique recouvert de miroirs qui cachent des caméras observant les observateurs… Le « bureau de l’anticipation des désastres » attenant à cette installation nous permet de découvrir quelques autres pièces dédiées, notamment, « aux compagnies pétrolières et à leurs actionnaires » (In Memoriam Petroleum)…

NeoConsortium, Moduloform Panoptique. Photo : © Quentin Chevrier / Nemo

La mégapole de Stanza, construite avec des rebuts informatiques (cartes-mères, cartes graphiques, LEDs, etc.), nous fait penser aux maquettes de cités tentaculaires assemblées avec des piles par Kristof Kintera lors de la précédente biennale. À l’opposé, I Heard There Was A Secret Chord ou les vocalises interactives et collectives proposées par Daily tous les jours nous ont laissé de marbre. Peut-être le choix de casser sa voix sur « Allahlujah », pardon, « Hallelujah » de Leonard Cohen, y est pour beaucoup (ni dieu, ni maître « chanteur »…). Quant au choix des vidéos d’investigations de Forensic Architecture, on regrette que pas une seule ne concerne la France. Tiens donc… Pourtant, ce groupe de recherche multidisciplinaire basé à l’Université de Londres et piloté par l’architecte Eyal Weizman, qui utilise des techniques et des technologies architecturales pour enquêter sur les cas de violence d’État et de violations des droits de l’homme dans le monde, s’est notamment penché sur les morts emblématiques de Zineb Redouane et d’Adama Traoré

Stenza, The Nemesis Machine. Photo : © LD

Si Atotal, la nouvelle création du spectacle musical de Franck Vigroux et Antoine Schmitt est (très) attendue fin novembre, le jour de l’ouverture de cette exposition, quelques sets et performances sont venus titiller nos tympans. À commencer par le ballet de projecteurs synchronisés sur la musique électronique, mentale et expérimentale, de Maxime Houot (Collectif Coin). Dans un registre sonore assez voisin, mais avec un environnement visuel radicalement différent, Alexis Langevin-Tétrault & Guillaume Côté, avec Dave Gagnon pour la vidéo, ont « sévit » avec Falaises. Un live sévère, mais juste… Ryoichi Kurokawa a suivi avec Subassemblies aux visuels très indus ou post-atomiques (friches industrielles, bâtiment en ruines, etc.), baignant dans une ambiance grise, verte et bleutée. C’est Max Cooper qui a conclu la soirée d’ouverture avec Yearning for the infinite (du nom de son album paru sur son label Mesh en 2019). Un set qui a débuté sur des consonances plutôt ambient puis « broken electronica », comme on disait naguère, avant de dériver vers un son plus dancefloor ; dont avait presque perdu l’habitude depuis le début de la pandémie.

Laurent Diouf

Au-delà du réel : révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies. Exposition jusqu’au 2 janvier 2022 au CentQuatre, Paris.

> https://www.104.fr/
> https://www.biennalenemo.fr/

LE RÊVE DES FORMES
art, science, etc.

En 2007 Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains basé à Tourcoing, fêtait sa première décennie en proposant, notamment, une exposition au Grand Palais à Paris. Pour célébrer son vingtième anniversaire, cette structure créée et dirigée par Alain Fleischer se téléporte une nouvelle fois hors de ses murs, au Palais de Tokyo à Paris, pour présenter un vaste aperçu de créations artistiques en résonnance avec des questionnements scientifiques. Baptisée Le Rêve des formes, cette exposition est le temps fort de cette célébration qui compte par ailleurs d’autres événements et se prolongera jusqu’à la rentrée.

Katja Novitskova, Approximation V. Photo: D.R.

Mettant l’accent les différentes facettes de la conjonction art/science, Le Rêve des formes offre un très bon aperçu de créations faisant appel à l’univers de la 3D, la physique des particules, les mutations génétiques ou la robotique. Comme le souligne Alain Fleischer dans le texte introductif de cette exposition dont il est le commissaire avec Claire Moulène, ce qui est mis en valeur c’est une plasticité qui est aussi celle de la matière biologique, des vagues à la surface de l’océan, des laves volcaniques ou des galaxies dans le cosmos. On pourrait rajouter les circonvolutions de la botanique, du règne animal et du corps humain, tant cette manifestation focalise sur formes du vivant. De cette diversité formelle naît aussi la possibilité d’un regard trouble qui questionne l’évidence, d’une vision décentrée qui réinjecte de l’opacité…

Ce qui retient l’attention d’Alain Fleischer c’est justement les formes qu’on finit par ne plus voir et « le comment du pourquoi » de cette cécité. Comment une forme devient-elle énigmatique ? Où est la frontière entre forme, difforme et informe ? Les pièces proposées dans le cadre de cette exposition offrent plus une réponse en « forme » de rêves artistiques que des certitudes scientifiques, mais l’intention première est, tout simplement, de confronter des œuvres d’art contemporain à des objets formels, issus des domaines de la recherche scientifique, et qui peuvent être offerts à la contemplation à l’imagination, à la curiosité, au sens ludique du public traditionnel de l’art.

Concrètement, cette confrontation commence avec un ensemble d’éclairage suspendu comme on peut en voir dans une usine ou un hangar abandonné. Sauf qu’au lieu de la poussière et des insectes morts accumulés au fil du temps, ce sont des (fausses) grenouilles dont on aperçoit l’ombre par transparence. Fragment d’une installation de Dora Butor intitulée Adaptation of an Instrument, ce dispositif est censé réagir au passage des visiteurs grâce à un système régit par des réseaux neuronaux. En contrepoint, les agrandissements photographiques du génome d’Annick Lesne et Julien Mozziconacci (chercheurs en génie génétique, CNRS & UPMC) nous plongent dans les arcanes secrets du vivant. Même impression de transfiguration devant les macros de Gwendal Sartre où les détails d’une chevelure prennent l’allure de paysages dantesques (J’ai gravé dans ses cheveux).

Dora Butor, Adaptation of an Instrument. Photo: D.R.

Le végétal est aussi très présent parmi les pièces exposées. Marie-Jeanne Musiol photographie en quelque sorte l’aura des plantes et propose une série de clichés électromagnétiques (Nébuleuses végétales). Alain Fleischer, Anicka Yi et Spiros Hadjudjanos nous montrent des fleurs et cactus déformés, en mutation, dont la croissance désordonnée peut revêtir un aspect fantasmagorique, et même s’animer et se transformer en fauteuils, château, etc. Bertrand Dezoteux avec Super-règne, son film d’animation 3D dont les personnages sont inspirés à la fois de la lecture de L’Univers bactériel de la biologiste Lynn Margulis et des sculptures de Bruno Gironcoli, raconte les péripéties d’un livreur dans un monde science-fictionnesque peuplé de petits êtres démultipliés et de créatures bio-mécaniques improbables.

Le vent, l’eau, le sable — ou, pour résumer, la mécanique des fluides — sont source d’inspiration pour de nombreux artistes. À commencer par Hicham Berrada, Sylvain Courrech du Pont et Simon de Dreuille avec Infragilis qui met en œuvre une maquette dans laquelle sont dispersées de fines particules qui s’assemblent, composent et recomposent un désert en miniature dont on peut observer les variations en grand format sur une vidéoprojection. En modélisant le ressac de la mer sur des rochers, au travers de son installation algorithmique En recherchant la vague, Gaëtan Robillard illustre cette « géométrie des formes inhabituelles » (tribute to Maryam Mirzakhani…) renforcée par les propos de Bernard Stiegler diffusés en bande-son. Ryoichi Kurokawa fait également « danser » des particules en suspension, de manière saccadée et scandée par de l’electronica noisy pour son installation holographique, Mol. D’un abord moins évident — avec, au sens strict, un titre en trompe l’œil : La Clepsydre — l’installation vidéo cubique de Sylvie Chartrand finit par dévoiler de façon parcellaire les contours d’une silhouette humaine.

Au final, l’ensemble de ces créations présente des formes fluctuantes et surtout trompeuses comme les couleurs du caméléon de Katja Novitskova (Approximation V), emblème de cette exposition qui se poursuivra début septembre par une réflexion approfondie au Collège de France. Un colloque qui fera intervenir de nombreux philosophes (dont Georges Didi-Huberman), ainsi que des artistes et chercheurs. Les actes de ce colloque seront par ailleurs publiés dans la collection Le Genre Humain des Éditions du Seuil. Outre une rétrospective de films et vidéos qui témoigne des « utopies créatrices » soutenues par Le Fresnoy, d’autres temps forts viendront compléter cet anniversaire. Notamment à Rome à l’invitation de l’Académie de France, ainsi qu’à Buenos Aires et au Daegu Museum en Corée au l’exposition sera reprise avec le soutien l’Institut Français. Enfin, dans son fief à Tourcoing, l’équipe du Fresnoy pilotera la 19e édition du festival Panorama qui nous permettra une fois encore de découvrir des artistes émergents. Bon anniversaire, donc.

Laurent Diouf

Exposition Le Rêve Des Formes, art, science, etc. jusqu’au 10 septembre, au Palais de Tokyo, Paris. > http://www.palaisdetokyo.com/fr/evenement/le-reve-des-formes

Colloque Le Rêve Des Formes, les 5, 6 et 7 septembre, au Collège de France, Paris.

Festival Panorama 19, Rendez-vous annuel de la création, du 23 septembre au 31 décembre 2017, Tourcoing.

Le FresnoyStudio national des arts contemporains > www.lefresnoy.net

revesformes

cultures électroniques & arts numériques

Porté par Stereolux, plateforme dédiée à la diffusion, au soutien à la création et à l’accompagnement des musiques actuelles et des arts numériques, le festival nantais Scopitone affichait cette année sa 15ème édition ! Une édition structurée autour d’ateliers, de tables rondes, de nuits électro (Helena Hauff, Agoria, Lindstrøm, The Field, etc.) et d’un parcours d’exposition singulier.

Une exposition jalonnée de créations exclusives et/ou de premières présentations françaises pour de nombreuses pièces disséminées dans plusieurs lieux. À commencer par La Fabrique de Stereolux, Trempolino et Les Nefs à côté des fameuses Machines sur l’Île de Nantes, zone toujours en plein (ré)aménagement, ainsi que le Readi (Lab et École de Design), la Cale 2 Créateurs, le Ferrailleur et Le Jardin des Berges. Le festival a également investi d’autres endroits emblématiques de Nantes, comme le Château des Ducs de Bretagne, le Manoir de Procé, Le Lieu Unique et la Tour de Bretagne, par exemple.

De l’ensemble de l’exposition se dégage une cohérence, marquée la philosophie « art / science » de cette édition avec des œuvres qui jouent sur la lumière, les données et la perception visuelle. Une unité renforcée également par le son : la plupart des installations et performances proposées déploient une « bande-son » percluse de craquements électrostatiques et de bourdonnements d’infra-basses… Mais la thématique première est bien celle du traitement et de la mise en forme de l’information, de La matérialité des données. Comment les traduire et les rendent visibles ? Comment les gérer et se les réapproprier ? Tel était le champ de questionnement d’une conférence passionnante, qui s’est d’ailleurs prolongée au-delà de l’horaire prévu le jeudi, en prolongement de workshops.

Dans cet esprit, parmi les œuvres exposées, Kinetica conçue par Martial Geoffre-Rouland incarnait parfaitement cette matérialisation en temps réel du monde de flux et d’interconnexions dans lequel nous vivons désormais. Réalisée avec le soutien nécessaire d’Orange puisque cette installation cinétique repose sur la visualisation des données (localisation, déambulation et d’activités dans la ville) transmises par les smartphones et restituer ici sous forme d’un panneau composé de dizaine de disques (6×12) pivotants selon les impulsions reçues. Une barre LED au milieu de chaque disque, à la couleur spécifique selon l’activité, permettant de se situer sur cet échiquier numérique après avoir téléchargé l’application adéquate.

Le mouvement des Clones de Félix Luque Sánchez est, par contre, initié par un algorithme programmé de manière aléatoire et chaotique. Une routine qui anime deux pendules montés chacun sur ce qui s’apparente au bras d’une table traçante. En équilibre instable, on assiste aux efforts (pas toujours désespérés) des balanciers pour se maintenir à niveau; ce qui les faits aussi ressembler à des athlètes s’échinant sur barres parallèles… Allié à Iñigo Bilbao, Félix Luque Sánchez propose aussi une autre installation « plurimédia » : Memory Lane. On y observe sur écran, comme au travers d’un miroir grossissant et déformant, les fragments d’une roche dont le relief à la fois étrange et aride évoque une planète lointaine…

C’est par contre à un astre plus familier, en l’occurrence la lune et ses croissants, que nous fait penser Diapositive 1.2 réalisé par Children of the Light (i.e. le duo Christopher Gabriel & Arnout Hulskamp). Cette autre installation cinétique se présente comme un immense pendule cerclé de LEDs qui pivote lentement et s’électrise parfois brutalement d’une lumière à la blancheur froide, déchirant le noir sidéral dans lequel il est suspendu. Daito Manabe et Motoi Ishibashi utilisent eux aussi des LEDs pour transfigurer le spectre lumineux, faire apparaître des fréquences (et donc des couleurs) habituellement invisibles. Pour les visualiser, il faut là aussi charger une petite appli qui génère un filtre révélant d’autres dimensions, formes et couleurs qui se cachent dans les ombres — la pièce s’intitule rate-shadow — d’une succession d’objets et d’artefacts disposés sur des présentoirs.

Mais la pièce maîtresse de ce parcours d’exposition est installée dans une des salles du Château des ducs de Bretagne. Elle résulte d’une collaboration entre Ryoichi Kurokawa et l’astrophysicien Vincent Minier. Intitulée Unfold, il s’agit d’une « mise en scène » des données recueillies par le télescope spatial Herschel sur la formation des étoiles. De cet amas stellaire brut, Ryoichi Kurokawa a fait une représentation géométrique et sonore projetée sur 3 panneaux englobants notre champ de vision. Le résultat n’est pas sans rappeler Ryoji Ikeda par ses lignes de fuite et son electronic-noise, ses soubresauts épileptiques et son foisonnement de particules… L’idéal étant de s’allonger sous l’épicentre de la projection, une petite estrade étant prévue à cet effet, pour pleinement s’immerger dans cette fresque cosmique.

Il est toujours question de lumière et d’espace, mais cette fois de manière beaucoup plus délimitée, contrainte, avec constrained curface. Une autre installation de Ryoichi Kurokawa composée de deux écrans inclinés, disposés en décalé. Tout ce passe à leur point d’intersection, comme un effet miroir. Les couleurs obéissent à un nuancier synchronisé, là aussi, avec de l’electronic-noise. Changement d’ambiance et de propos avec Rekion Voice de Katsuki Nogami. En entrant dans cette troisième salle du château, nous avons l’impression de pénétrer dans une basse-cour. Sauf que ce ne sont pas des volatiles qui émettent des piaillements, mais des petits « robots » bricolés et fixés sur des supports. Les sons qu’ils émettent sont en fait le bruit amplifié des petits moteurs qui les animent en fonction du mouvement du public. Il y en a une dizaine environ, dont un à l’entrée, en sentinelle, qui donne l’impression de prévenir ses congénères de notre visite…

Cela dit, il n’y a pas que des artistes confirmés au programme de cette expo. Scopitone a réservé une visibilité à deux créations lauréates d’un appel à projets Arts & Technologies lancé par Elektroni[k] (then goto festival Maintenant…). On découvre ainsi Uluce du collectif Recif : une structure de toile tendue de 13 faces. Mi-sculpture interactive, mi-instrument, le public est invité à toucher les surfaces qui réagissent et activent un jeu de lumière et de sons. Les autres lauréats sont Paul Bouisset et Eugénie Lacombre qui présente _Logik, une interface qui permet d’agencer et moduler des formes en rotation sur écran.

Les lives A/V lors de la soirée d’ouverture s’inscrivent également dans ce « grand jeu » de lumières, sons et données. Si l’arrière-plan de Ljøs du collectif fuse* n’est pas sans évoquer les cieux étoilés, la performance de la cordiste Elena Annovi en interaction avec cette trame audio-visuelle donne une tout autre dimension à ce type de performance, ou plutôt redonne son sens premier au mot « performance ». Plus humain évidemment, ce genre de live-act pourrait aussi s’apparenter à ce que l’on nomme le nouveau cirque, en plus high-tech…

Par contraste, Matthew Biederman & Pierce Warnecke apparaissent beaucoup plus conventionnels, réduisant leur set à une sur-multiplication de combinaisons de formes géométriques basiques sur un jeu de couleur là aussi réduit (bleu et rouge pour l’essentiel). Délaissant ce genre d’arithmétique sonore et visuelle pour des formes plus organiques et des sonorités vaporeuses presque ambient, Paul Jebanasam & Tarik Barri nous ont vraiment séduits avec leur Continuum. En clôture, c’est un autre type de performance avec sons circulaires et lumières synchronisées qui est attendue, celle de Gwyneth Wentink, Wounter Snoei et Arnout Hulskamp (de Children of the Light) : In Code. Soit une variation électroacoustique (harpe) et électronique autour de IN C de Terry Riley. À l’heure où ce premier bilan de l’édition 2016 de Scopitone est mis en ligne, il vous reste le temps d’y assister !

Laurent Diouf

Infos: www.stereolux.org/scopitone-2016
Photos: D.R.