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Les illusions retrouvées

L’édition 2025-2026 de Némo, la Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France, a pour thème Les illusions retrouvées. Aun programme, des expositions, installations, spectacles, concerts et rencontres dans vingt-quatre lieux franciliens pour « imaginer des alternatives, construire des liens entre arts et sciences, réenchanter le rapport entre vivant et technologie, sensibiliser sur les transformations de la société ou expérimenter des scénarios spéculatifs« …

L’exposition principale, Les illusions retrouvées : nouvelles utopies à l’ère numérique, se tient au CentQuatre, le vaisseau-mère de la biennale. Les œuvres présentées notamment par Anne Bourassé & Mounir Ayache, Christian Delécluse, Inook, NeoConsortium, Phygital Studio, Kaspar Ravel, Éric Vernhes et Cecilie Waagner Falkenstrøm repoussent les limites de la perception et de la réalité, révélant des mondes alternatifs où l’humain cohabite avec la nature et les machines. Pour la trentaine d’artistes réunis sur cette exposition, « les utopies ne sont plus des promesses futuristes, mais des espaces hybrides, oscillant entre nostalgie et spéculation. Ce sont des illusions que l’on croyait perdues, et que le numérique révèle dans un autre monde, le nôtre ! »

Hugo Arcier & Annabelle Playe, Ars Natura. Photo: D.R.

De nombreuses expositions, collectives ou individuelles, viennent s’agréger à la programmation de cette biennale. À la Capsule, au Bourget, Hugo Deverchère présente une série de photos qui fait suite à une résidence dans le désert d’Atacama au Chili (The Afterimage). Au travers de ses photographies, il « interroge la fragilité de la mémoire numérique face au temps géologique et imagine de nouveaux supports d’archivage mêlant matière minérale et particules cosmiques, au-delà de l’échelle humaine« . Au Collège de France à Paris, après avoir été en résidence auprès du Laboratoire Kastler-Brossel, l’artiste Caroline Delétoille expose ses réflexions sur l’infiniment petit et son imaginaire (L’Atelier Quantique).

Au Centre Culturel Canadien, une exposition collective rassemble vingt-cinq œuvres et « processus exploratoires » d’artistes et de designers (dont Samuel Bianchini, Marie-Pier Boucher, Yiwen Chen, Maria Chekhanovich, Raphaëlle Kerbrat, Lauren Knight, Anne-Marie Laflamme, Asa Perlman, Ana Piñeyro, Olivain Porry, Suarjan Prasai, Félix Vaneste, Lee Wilkins, Aline Zara…). Leurs créations intègrent « des procédés matériels et symboliques, vivants et semi-vivants, qui se métamorphosent dans la durée« . Baptisée Oscillation, cette exposition « se déploie telle une constellation organisée autour d’une œuvre centrale, Fossilation, une large membrane en bioplastique qui illumine la matérialité des technologies numériques souvent imaginées dans leur immatérialité« .

Éric Arnal-Burtschy, Je suis une montagne. Photo: D.R.

Au Cube de Garges, une autre exposition collective interroge la face cachée des technologies : Dopamine réunit Camron Askin, Alkan Avcıoğlu, Emilie Brout & Maxime Marion, Christophe Bruno, Disnovation.org, Ben Elliott, Ben Grosser, Hérétique, Anne Horel, Dasha Ilina, Baron Lanteigne, Ethel Lilenfeld, Jonas Lund, Shoei Matsuda, Lorna Mills, Jérémie Kursner, Miri Segal, Alexei Shulgin… « Entre promesses utopiques et réalités d’addiction, manipulation algorithmique et silos informationnels« , les artistes explorent les moindres recoins des plateformes numériques et tentent de « reconstruire un imaginaire du commun et un autre futur numérique, plus éthique, inclusif et humain« … L’ouverture de l’exposition se fera avec les performances AV de Noémi Büchi (Does It Still Matter?) et le collectif SPIME.IM (Grey Line).

La programmation de Némo compte aussi de nombreuses installations, dont Flock Of de bit.studio avec ses poissons animés qui flotteront comme des ballons lors de la soirée d’ouverture au Cent-Quatre. Durant tout le temps de la biennale, à La Seine Musicale sur l’Île Seguin à Boulogne-Billancourt, Phygital Studio présente Plant Being, une installation audiovisuelle entièrement générée par une plante grâce à son activité électrique naturelle qui est captée en temps réel et transformée en sons et en images. La chorégraphe Sarah Silverblatt-Buser propose Collective Body au Centre des Arts d’Enghien. Un dispositif interactif et immersif qui analyse en temps réel les gestes des personnes qui participent à cette expérience grâce à un casque VR. Leur avatar, qui s’incarne avec des grains de lumière, danse et évolue aux sons des textures électroniques et des harmonies organiques d’Harvey Causon.

D’autres performances mettent également en jeu le corps, la lumière, la matière, le son, la vidéo et les datas : Strates du collectif  Phauna, L’Harmonie de notre absence de Paul Vivien et le projet Ubiquity porté par Arep. Compagnie x In Vivo 5.12 au Château Ephémère à Carrières-sous-Poissy. MODEMA Cycles de François Delamarre à La Seine Musicale. Pour le volet musiques électroniques, le ton est donné dès la soirée d’ouverture au CentQuatre avec les lives et performances audiovisuelles de Max Cooper, Pierre-Luc Lecours & Ida Toninato (Homeostasis), Franck Vigroux & Kurt d’Haeseleer (Thirst). À La Clef, le 6 décembre, TremensS dévoilera le troisième volet de son projet la Génétique de l’Erreur autour de design génératif, de l’architecture paramétrique et du biodesign. La soirée se poursuivra avec les lives AV de 665.99 et Anmon et la drum-n-bass de Metrist.

À la Maison des Arts de Créteil, entre réalité étendue, danse et intelligence artificielle, Aoi Nakamura & Esteban Lecoq (AΦE) proposent une déambulation interactive hybride autour d’un cube LED monumental sur lequel défilent les cycles de vie de Lilith, une âme virtuelle piégée dans les limbes (Lilith.Aeon). Le 8 janvier à la Philharmonie, Le Grand Soir Numérique rassemblera Hugo Arcier & Annabelle Playe (Ars Natura), Riccardo Giovinetto, Yang Song, Clara Olivares et Augustin Braud… Visible dans un premier temps à la Maison de la Musique à Nanterre puis aux Gémeaux, Scène nationale à Sceaux, l’installation Unseen de Guillaume Marmin & Jean-Baptiste Cognet s’inspire de phénomènes hallucinatoires et combine lumière, son et illusion. Aux Gémeaux également et ensuite pour la clôture de la Biennale au CentQuatre, Éric Arnal-Burtschy invite le public à s’installer sur des transats suspendus pour vivre une expérience immersive et sensorielle et ressentir le monde différemment (Je suis une montagne). Cette clôture sera marquée aussi par la présentation de L’Astrologue ou les Faux Présages, pièce en un acte imaginée à partir des données historiques et des procédés d’écriture de Molière par le collectif Obvious et le Théâtre Molière Sorbonne.

Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France
> du 11 octobre au 11 janvier, Paris / Île-de-France
> https://www.biennalenemo.fr/

L’art à l’ère digitale

Multitude et singularité : ces deux notions ne s’opposent pas, mais se complètent pour dessiner notre futur immédiat. La multitude c’est bien sûr celle des réseaux et des données, celle aussi de la manière de représenter et d’appréhender le monde au fil des innovations numériques (virtualité, etc.). La Singularité (avec une majuscule) c’est l’étape suivante, celle où la technologie s’émancipe et surpasse son créateur. Vernor Vinge, mathématicien et auteur de science-fiction, en a rappelé la possibilité au début des années 90s. Un point de bascule qui commence actuellement à s’imposer à l’humanité comme questionnement majeur avec les balbutiements de l’Intelligence Artificielle.

Stine Deja & Marie Munk, Synthetic Seduction: Foreigner. Photo: D.R.

Multitude et singularité : pour l’art à l’ère digital c’est une double source d’inspiration. L’exposition collective éponyme nous en offre un aperçu au travers d’une toute petite dizaine d’œuvres visibles à Paris, à la Maison du Danemark, jusqu’au 25 février. L’emblème de cet événement est l’étrange visage d’une créature synthétique s’observant dans un miroir. Cette installation fait partie de la série Synthetic Seduction de Stine Deja et Marie Munk. Une œuvre collaborative qui « déborde » dans le réel et le virtuel, comme sculpture et installation vidéo. L’humanoïde que l’on voit découvrir son visage et surtout les formes arrondies qui s’empilent sur écran trouvent un prolongement sous forme de grosses excroissances de couleur chair (précision : une chair bien rose d’Occidental marbrée de veines bleues…). Disposées sur le sol de l’espace d’exposition, ces sculptures organiques ne sont pas sans évoquer les poufs des années 70s ; une photo montre d’ailleurs les deux artistes vautrés (lovés ?) dans cette création au penchant « régressif ».

Cecilie Waagner Falkenstrøm, An algorithmic gaze II. Photo : D.R.

La chair est également au centre de l’installation générative de Cecilie Waagner Falkenstrøm. An algorithmic gaze II montre une succession d’images fondues et enchaînées d’hommes ou de femmes qui se déploient selon une chorégraphie au ralentie. Mais ici la « couleur chair » offre une palette plus large, comme affranchie des stéréotypes si souvent reconduits par les algorithmes. La superposition de ces corps hybrides, déformés comme s’ils étaient en cire ou échappés d’un tableau de Dali, témoigne des efforts de la machine pour surmonter ce biais algorithmique en rassemblant des milliers de photographies de nus qui soient à la mesure de nos diversités en termes de genre, d’âge et d’ethnicité.

Mogens Jacobsen, No us (1 off). Photo : D.R.

La multiplicité et la mixité sont aussi à l’image des visiteurs grâce à No us (1 off) de Mogens Jacobsen. Située à l’entrée de l’exposition, cette installation générative invite le spectateur à se regarder dans un miroir semi-transparent qui « cache » une caméra couplée à un système de détection faciale. Ce qui ressemble à une platine disque, « reconfigurée » comme interface de projection, permet d’afficher le visage du visiteur puis de le fusionner avec d’autres visages sur un écran avec une résolution correspondant à celle des débuts de la télévision cathodique. Image de soi encore avec 360° Illusion IV de Jeppe Hein. Ce dispositif plus mécanique que numérique, low-tech donc, repose sur un jeu de miroirs rotatifs. Ce qui surprend c’est le mouvement de l’image qui tourne, comme scotchée sur les miroirs, alors que l’on s’attend à ce que notre reflet reste immobile malgré la rotation du dispositif…

Jens Settergen, GhostBlind Loading. Photo : D.R.

L’installation sonore de Jens Settergen, GhostBlind Loading, comporte également des miroirs ainsi que des pierres et des feuilles (mais pas de ciseaux). Ce décor est la mise en scène d’un dispositif nous permettant d’écouter l’invisible, c’est-à-dire les sons et activités électromagnétiques des appareils électroménagers « intelligents » et autres objets connectés qui ont envahi notre quotidien. C’est un autre élément qui est au centre de l’installation vidéo de Jakob Kudsk Steensen : l’eau. Indispensable à la vie, composante majoritaire de notre masse corporelle, mais aussi à l’origine pour certaines personnes de peur irrationnelle : Aquaphobia est une suite de paysages virtuels fantasmagoriques, de couleur verte bleutée, comme échappés de jeux vidéos ou d’un film d’anticipation

Laurent Diouf

> Multitude & Singularité avec Stine Déjà & Marie Munk, Jeppe Hein, Mogens Jacobsen, Jakob Kudsk Steensen, Jens Settergren, Cecilie Waagner Falkenstrøm…
> cette exposition s’inscrit dans le cadre de Nemo – Biennale internationale des arts numériques
> commissaire d’exposition : Dominique Moulon
> du 8 décembre au 25 février, Le Bicolore / Maison du Danemark, Paris
> https://lebicolore.dk/

Nos personnalités multiples à l’ère numérique

Pièce maîtresse de la biennale Némo, l’exposition Je est un autre est visible au CentQuatre à Paris jusqu’au 7 janvier 2024. Comme indiqué dans le sous-titre, cet événement est axé autour de nos clones numériques. Copies, doubles, mutants, avatars, identités factices, technologies de l’égo, quêtes de visibilité, (dis)simulations, emprises, deepfakes, chimères, métamorphoses et univers parallèles : nous vivons désormais dans un monde hyper-technologique mais illusoire avec des personnalités multiples. Démonstrations au travers de vidéos immersives, d’installations interactives et autres œuvres hybrides.

Maxime Houot (Collectif Coin), Ataraxie

Je est un autre ? Évidemment avec ce titre rimbaldien on se perd en conjectures… Quid de l’enfer du coup, serait-on tenté de rétorquer en piètre sartrien… On verra, en attendant ce sont les Portes du Paradis que nous ouvre Marco Brambilla (Heaven’s Gate). Une installation vidéo dantesque. Au sens strict, d’ailleurs, puisqu’elle est inspirée par le Purgatoire de Dante. À l’écran géant, qui fait près de huit mètres de haut, se succèdent en boucle sept tableaux retraçant l’histoire du monde et de l’humanité, du Big Bang à nos jours… Une histoire américaine, cela dit car on y reconnaît des symboles de la conquête de l’Ouest et de Wall Street. Entre autres. Pionnier de l’image numérique ayant œuvré par le passé au cinéma (rayon blockbuster), Marco Brambilla a réalisé des collages pour chacune des époques, empruntant une multitude, justement, de personnages et de monstres à de vieux films hollywoodiens. Le résultat est somptueux et envoûtant.

Autre réalisateur ciné et touche-à-tout de l’image numérique, Ismaël Joffroy Chandoutis qui propose Madotsuki_the_Dreamer. Une installation vidéo « mise en scène » dans une chambre de geek ou apparenté. Créée pour la biennale, cette installation tire son nom de l’héroïne d’un jeu vidéo japonais du début des années 2000, obscur et troublant par rapport aux normes des autres jeux de cette période. Comme sur ce modèle, il est aussi question de rêves sans sortir d’une pièce. Ici ce sont les nombreuses personnalités endossées par un individu et incarnées par écran interposé. Au total, il décline 74 identités factices qui vont de la féministe radicale au néo-nazi en passant, bien sûr, par le jihadiste… Le monde des réseaux finalement…

Lifer Heritage, le projet de Montaine Jean, Clare Poolman, Jeanne Rocher et Etta Marthe Wunsch, nous immerge aussi dans un décor de jeu vidéo. Pourtant, ce n’en n’est pas un. Il s’agit de Second Life ; monde virtuel qui fut paradoxalement « réel » un temps avant de s’évaporer une fois l’engouement pour ses îles retombé au tournant des années 2010. Depuis, il reste quelques avatars errant comme des zombies dans des décors datés et froids, dont le rendu n’a pas évolué depuis. Déserté, ce monde virtuel auquel nous avons tous cru à un moment donné est devenu fantomatique. En nous montrant ces avatars « en quête d’auteur », ce collectif s’est livré à un vrai travail d’archéologie numérique. Est-ce que le nouveau métavers connaîtra le même sort ? On est en droit de se poser la question alors que Meta et les casques VR qui n’existaient pas à l’époque de Second Life n’ont pas (encore) rencontré l’adhésion du plus grand nombre.

Bill Vorn, I.C.U. (Intensive Care Unit)

Il est question aussi de virtuel, plus exactement de mausolées virtuels, avec Frederik Heyman (Virtual Embalming). Composé d’étranges petits tableaux en 3D presque kitsch, ses pièces s’imposent comme des reliques d’un nouveau genre. Frederik Heyman a ainsi virtuellement « embaumé » pour l’éternité, ou presque, trois de ses icônes : Isabelle Huppert, Kim Peers et Michèle Lamy. Après tout, pourquoi pas… On revient sur la vidéo assez horrifique et mortifère, il faut bien le dire, avec Ian Spriggs (Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad). Ses portraits vidéographiques se transforment en écorchés, passant d’un visage lisse, léché, à un monstre anatomique que l’on dirait échappé d’un manuel de médecine avec une netteté saisissante… Et puisque l’on parle médecine, on observera aussi avec délectation les robots de Bill Vorn au bord de l’agonie, en unité de soins intensive (Intensive Care Unit), en repensant au fameux « cri des machines blessées »…

Dans un autre genre, mêlant représentation animale et mécanique, les « moutons électriques » de Jean-Luc Cornec (TribuT) avec leurs têtes et pattes composées de vieux téléphones filaires nous renvoie inévitablement à nos comportements à l’heure des smartphones. De manière un peu plus docte, Donatien Aubert entreprend justement de raconter l’histoire des télécommunications, du morse jusqu’aux intelligences artificielles avec des ordinateurs, des blocs holographiques et un film (Veille Infinie). Enfin, on s’approchera prudemment du container dans lequel défilent, avec les mêmes postures que des mannequins, des personnages boursoufflés et affichant des couleurs pastels (Maison Autonome). Créées par le Collectif Universal Everything, ces entités 3D constituent aussi le visuel de cette édition 2023 de Némo.

collectif Universal Everything, Maison Autonome. Photo: D.R.

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Je est un autre ?
Nos personnalités multiples à l’ère numérique
> exposition au CentQuatre à Paris
> jusqu’au 7 janvier 2024
> https://www.biennalenemo.fr/

Biennale internationale des arts numériques

Némo est de retour en cet automne 2023. Comme les éditions précédentes, la Biennale Internationale des Arts Numériques essaime à Paris et dans toute l’Île-de-France jusqu’au début de l’année prochaine. Plus d’une vingtaine de lieux sont investis pour cette manifestation.

collectif Universal Everything, Maison Autonome. Photo: D.R.

L’inauguration de cette biennale tentaculaire s’est faite au CentQuatre à Paris avec l’exposition Je est un autre ? dont le titre reprend les mots de Rimbaud. Derrière cette assertion, c’est toute une thématique autour des représentations et personnalités multiples que chacun abrite désormais grâce (ou à cause) du numérique.
Copies, doubles, mutants, avatars, identités factices, technologies de l’égo, quêtes de visibilité, (dis)simulations, emprises, deepfakes, chimères, métamorphoses et univers parallèles font désormais partie de notre quotidien.
C’est tous ces « effets miroirs » qui sont mis en scène dans cette exposition au travers de vidéos immersives, d’installations interactives et autres œuvres hybrides conçues par Jean-Luc Cornec (TribuT), Marco Brambilla (Heaven’s Gate), Bill Vorn (Intensive Care Unit), Frederik Heyman (Virtual Embalming), Ian Spriggs (Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad), Donatien Aubert (Veille Infinie), Encor Studio (Alcove LTD)…

Pendant trois mois, d’autres expositions, spectacles, installations, rencontres et performances viendront creuser ce sujet et rythmeront le déroulé de la biennale le temps d’une journée, d’une semaine ou de plusieurs mois. Ainsi jusqu’au 5 janvier à La Capsule, le Centre culturel André Malraux du Bourget, Chen Chu-Yin et Daphné Le Sergent extrapolent autour des DAO (Decentralized Autonomus Organizations) ; en français les Organisations Autonomes Décentralisées. Soit des « communautés internet » formées autour d’un intérêt commun que les deux artistes abordent par le biais de la mémoire artificielle et de l’intelligence collective.

Au Cube de Garges, une exposition collective enterre avec un peu d’avance le monde digital, celui du geste sur nos écrans tactiles, pour nous faire entrevoir le monde de demain, celui des interfaces actionnées par la pensée. Intitulée Cerveau-Machine, cette exposition prévue jusqu’au 16 décembre réunie notamment Memo Akten, Maurice Benayoun, Justine Emard, Neil Harbisson & Pol Lombarte, Mentalista, Adrian Meyer, Julien Prévieux, Marion Roche… Un cycle de projections, deux œuvres de réalité virtuelle réalisées par Mélanie Courtinat et Lena Herzog, un live de Sugar Sugar et une performance audiovisuelle de TS/CN (Panorama) sont également prévus en écho à cette expo.

TS/CN, Panorama. Photo: D.R.

Échantillons de soi est une autre exposition collective autour des « personnalités multiples » qui nous hantent dans le réel comme dans le virtuel et de la pratique d’échantillonnage (son, image). Ou approchant. Les œuvres d’Ines Alpha, Renaud Auguste-Dormeuil, Emilie Brout & Maxime Marion, Grégory Chatonsky, Dasha Ilina, Bettie Nin et Fabien Zocco présentées à La Traverse, Centre d’art contemporain d’Alfortville, brouillent également, pour certaines du moins, la frontière entre sphère privée et monde de l’art.

Au Centre Culturel canadien à Paris, du 7 décembre 2023 au 19 avril 2024, il sera question d’Infinies Variations par le biais des créations de Nicolas Baier, Salomé Chatriot, Chun Hua, Catherine Dong, Georges Legrady, Caroline Monnet, Oli Sorenson, Nicolas Sassoon, Christa Sommerer & Laurent Mignonneau et Timothy Thomasson. C’est le troisième volet d’une trilogie conçue par les commissaires d’exposition Dominique Moulon, Alain Thibault et Catherine Bédard qui explorent, cette fois, la notion de série telle qu’elle se présente dans l’histoire de l’art depuis le XIXe.

Au Bicolore, l’espace culturel et la plateforme digitale de la Maison du Danemark à Paris, sur une thématique voisine (Multitude & Singularité) appliquée aux êtres comme aux technologies, on découvrira des œuvres de Stine Deja & Marie Munk, Jeppe Hein, Mogens Jacobsen, Jakob Kudsk Steensen, Jens Settergren et Cecilie Waagner Falkenstrøm qui reflètent la complexité du monde dans sa version numérique. Aux Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, du 8 au 17 décembre, la compagnie Adrien M & Claire B présentera Dernière minute. Une installation doublée d’une expérience immersive qui inclue les spectateurs. Le concept : une minute est étirée sur une demi-heure. La source d’inspiration : le décès d’un père et la naissance d’un fils. Le sujet : l’intervalle, cette fameuse minute, qui précède la vie ou la mort…

Stine Deja & Marie Munk, Synthetic Seduction: Foreigner. Photo: D.R.

Début décembre également, lors de l’Open Factory #7 au CentQuatre, on pourra aussi solliciter Tally, l’apprentie artiste quantique mise au point par Matthieu Poli avec Alexis Toumi et Sven Björn Fi. Cette intelligence artificielle (impossible d’y échapper dans une telle manifestation) utilise les possibilités uniques de l’ordinateur quantique pour composer des œuvres abstraites qu’elle dessine ensuite à l’aide de bras robots. Elle apprend continuellement en intégrant les réactions du public, définissant ainsi une sensibilité artistique propre. Contrairement aux intelligences artificielles génératives classiques qui se contentent de reproduire l’existant, Tally cherche à comprendre en profondeur la structure des œuvres d’art. À voir…

Durant ce trimestre riche en propositions artistiques, on retiendra aussi Lumen Texte, la performance « pour un vidéo projecteur et un plateau vide » du Collectif Impatience au MAIF Social Club à Paris. Chutes, l' »opéra électronique » source d’expérience synesthésique de Franck Vigroux / Cie Autres Cordes à la MAC de Créteil. La nouvelle version d’A-Ronne, le « théâtre d’oreille » conçu par Luciano Berio & Sébastien Roux, proposée par Joris Lacoste au même endroit. Cette pièce sonore explorera les ambiguïtés entre voix et électronique, voix amplifiées ou réverbérées dans l’espace, voix jouées dans le casque ou entendues « à travers » le casque.

On testera Earthscape ou la déambulation philosophique initiée par la Cie Zone Critique, sur un modèle rappelant les dérives situationnistes (en plus sérieux…), qui investira la Scène de Recherche de l’École Nationale Supérieure Paris-Saclay à Gif-sur-Yvette. Sur l’esplanade de La Défense, on retrouvera une autre installation d’Encor Studio, Hemispheric Frontier — un cercle clignotant de néons assez hypnotiques se reflétant sur une surface aqueuse — et la Lune Dichroïque de Jérémie Bellot. Une sorte de grosse boule à facette translucide et colorée. Nourri par la géométrie polyédrique et les arts mathématiques, nous dit-on, ce plasticien et architecte de formation, interroge le rôle de la lumière dans l’espace vécu et dans l’espace perçu à travers des dispositifs audiovisuels immersifs.

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Némo
Biennale internationale des arts numériques
> jusqu’au 7 janvier 2024
> https://www.biennalenemo.fr/

Révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies

Ça y est, Némo, la biennale internationale des arts numériques, est lancée depuis quelques semaines. Les événements, rencontres, performances et expositions vont s’enchaîner jusqu’au début janvier 2022 dans toute l’Île-de-France. Le top départ de cette manifestation a eu lieu au 104, à Paris, le 9 octobre dernier, avec l’ouverture de l’exposition-phare de la biennale : Au-delà du réel. Sous-titrée, Révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies, cette exposition a vu son inauguration suivie de performances pour marquer l’événement.

Donatien Aubert, Les Jardins cynernétiques. Photo : D.R.

L’art n’a cessé de questionner le réel. Et au-delà, donc… L’ère du numérique renforce ce questionnement. C’est ce que réaffirment les œuvres présentées dans les « ateliers » bordant la Halle Aubervilliers du CentQuatre. Entre cabinet de curiosités et dispositifs high-tech, réparties autour de sept thématiques, ces créations mêlent principes scientifiques, regards sociologiques et audaces esthétiques. Combien d’anges peuvent danser sur une tête d’épingle ? ; Bureau d’expertise des phénomènes invisibles, La Terre en colère ; Natures dénaturées ; Vous n’êtes pas invisibles ; Forensic Architecture ; Traqueurs/traqués… Autant de portes d’entrée, au propre comme au figuré, vers des visions décentrées de notre réalité, vers l’envers du décor de notre monde hyper-technologique, vers la part d’ombre et d’invisibilité de notre société.

Au centre de la halle trône un étrange container qui fait penser à un « couloir du temps ». Œuvre nomade s’il en est — durant la biennale, elle sera déplacée et présentée aussi à l’ENS Saclay et sur l’Esplanade de la Défense —, Passengers de Guillaume Marmin déstabilise les spectateurs qui franchissent cette passerelle avec des jeux de lumières et de miroirs kaléidoscopiques. Non loin est planté Surveillance Speaker de Dries Depoorter. Une installation qui réagit à la voix et à l’image sur le principe des dispositifs de surveillance. Richard Vijgen a pour sa part choisi de rendre visible le spectre des ondes hertziennes avec une installation vidéo (Hertzian Landscapes) et celles émises par toutes les antennes relais, les routeurs WiFi, les satellites, etc. via une appli (Architecture of Radio).

Si vous voyez un câble traîner dans un coin sur lequel est imprimé une suite sans fin de mots, c’est l’œuvre de Jeroen Van Loon, Permanent Data. Une sorte de ready-made doublé d’un mashup scriptural : les bribes de textes correspondent à la transcription de la Bible « mixée » avec des commentaires de vidéos récupérés sur YouTube. Enfin, heure d’hiver aidant, si vous allez voir cette exposition à la nuit tombée, vous pourrez profiter de l’installation lumineuse évolutive de Justine Emard, Supraorganism. Un dispositif qui fonctionne à la manière d’un variateur, basé sur un programme de machine learning qui analyse des données captées sur un essaim d’abeilles en temps réel et génère des prédictions de comportements de la colonie. Ces prédictions pilotent l’illumination de la Halle Aubervilliers du CentQuatre.

Heather Dewey-Hagborg, Probably Chelsea. Photo : © Quentin Chevrier / Nemo.

Sur la trentaine d’œuvres exposées dans les sept ateliers de cette exposition maîtresse de la biennale Nemo, on signalera quelques propositions marquantes, comme les masques suspendus de Heather Dewey-Hagborg. Presque horrifique dans leur présentation qui rappelle les trophées de certaines atrocités guerrières, ces portraits-robots réalistes ont été établis avec des fragments d’ADN de Chelsea Manning (à l’origine des documents transmis à WikiLeaks lorsqu’ielle était encore analyste militaire sous le nom de Bradley Edward Manning). Autre choc visuel, The Substitute : le rhinocéros blanc, pixellisé et « reconstitué » sous nos yeux par Alexandra Daisy Ginsberg. À noter que le dernier représentant mâle de cette espèce est mort en mars 2018. Et si ce genre d’artefacts préfiguraient les zoos de demain…?

Impossible non plus de passer sous silence, les « radioscopies géologiques » de SemiconductorEarthworks, Where shapes come from et 20 Hz. Œuvres déjà éprouvées, mais toujours pertinentes pour les transformations de la matière qu’elles révèlent et matérialisent. De même pour les Jardins cybernétiques de Donatien Aubert qui transfigurent des plantes en les enchâssant dans un dispositif interactif nimbé d’une lumière rouge-violet. L’intention étant de donner à voir comment nos représentations mentales du vivant ont été transformées par la dissémination des technologies numériques dans l’environnement et comment celles-ci en retour, contribuent à le remodeler. Cet environnement qui se dégrade est recréé aussi par Paul Duncombe dans des aquariums où barbotent des végétaux soumis à différents taux de pollution ; radioactive comprise (Éden).

Avec NeoConsortium, on change de démarche et de style. En singeant la communication institutionnelle et d’entreprise, ce mystérieux collectif (?), « leader sur le marché des formes plastiques à grande ubiquité », doté d’un « haut-commissariat à l’enthousiasme politique », d’une « direction des archives dynamiques » et d’une « direction de l’emphase bidirectionnelle », n’est pas sans rappeler les interventions des Yes Men ou d’etoy.Corporation. Au CentQuatre, on découvre leur Moduloform Panoptique. Un module de forme géométrique recouvert de miroirs qui cachent des caméras observant les observateurs… Le « bureau de l’anticipation des désastres » attenant à cette installation nous permet de découvrir quelques autres pièces dédiées, notamment, « aux compagnies pétrolières et à leurs actionnaires » (In Memoriam Petroleum)…

NeoConsortium, Moduloform Panoptique. Photo : © Quentin Chevrier / Nemo

La mégapole de Stanza, construite avec des rebuts informatiques (cartes-mères, cartes graphiques, LEDs, etc.), nous fait penser aux maquettes de cités tentaculaires assemblées avec des piles par Kristof Kintera lors de la précédente biennale. À l’opposé, I Heard There Was A Secret Chord ou les vocalises interactives et collectives proposées par Daily tous les jours nous ont laissé de marbre. Peut-être le choix de casser sa voix sur « Allahlujah », pardon, « Hallelujah » de Leonard Cohen, y est pour beaucoup (ni dieu, ni maître « chanteur »…). Quant au choix des vidéos d’investigations de Forensic Architecture, on regrette que pas une seule ne concerne la France. Tiens donc… Pourtant, ce groupe de recherche multidisciplinaire basé à l’Université de Londres et piloté par l’architecte Eyal Weizman, qui utilise des techniques et des technologies architecturales pour enquêter sur les cas de violence d’État et de violations des droits de l’homme dans le monde, s’est notamment penché sur les morts emblématiques de Zineb Redouane et d’Adama Traoré

Stenza, The Nemesis Machine. Photo : © LD

Si Atotal, la nouvelle création du spectacle musical de Franck Vigroux et Antoine Schmitt est (très) attendue fin novembre, le jour de l’ouverture de cette exposition, quelques sets et performances sont venus titiller nos tympans. À commencer par le ballet de projecteurs synchronisés sur la musique électronique, mentale et expérimentale, de Maxime Houot (Collectif Coin). Dans un registre sonore assez voisin, mais avec un environnement visuel radicalement différent, Alexis Langevin-Tétrault & Guillaume Côté, avec Dave Gagnon pour la vidéo, ont « sévit » avec Falaises. Un live sévère, mais juste… Ryoichi Kurokawa a suivi avec Subassemblies aux visuels très indus ou post-atomiques (friches industrielles, bâtiment en ruines, etc.), baignant dans une ambiance grise, verte et bleutée. C’est Max Cooper qui a conclu la soirée d’ouverture avec Yearning for the infinite (du nom de son album paru sur son label Mesh en 2019). Un set qui a débuté sur des consonances plutôt ambient puis « broken electronica », comme on disait naguère, avant de dériver vers un son plus dancefloor ; dont avait presque perdu l’habitude depuis le début de la pandémie.

Laurent Diouf

Au-delà du réel : révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies. Exposition jusqu’au 2 janvier 2022 au CentQuatre, Paris.

> https://www.104.fr/
> https://www.biennalenemo.fr/

biennale internationale des arts numériques

La version 2021 de Némo, biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France est annoncée pour cet automne, jusqu’au tout début de l’année prochaine. Comme les éditions précédentes, cette manifestation affiche une programmation pléthorique (ce n’est pas péjoratif) qui se distribue sur plusieurs lieux — à commencer par le CentQuatre, pivot de cet événement, ainsi que l’ENS Paris-Saclay, l’esplanade de la Défense, le Centre Wallonie-Bruxelles… — et événements associés. C’est Passengers, l’œuvre nomade de Guillaume Marmin qui servira de trait d’union entre les trois principaux pôles de cette édition.

Guillaume Marmin, Passengers. Photo: D.R.

Le sous-titre de l’exposition principale, Au-delà du réel ?, donne le ton : entre science-fiction et exploration de l’invisible, expériences sensorielles et performances sonores, la programmation réunira des artistes qui font œuvre de phénomènes astrophysiques, magnétiques, chimiques, nucléaires, mais aussi sociétaux, économiques, sociologiques et produisent de nouvelles cartographies du « réel » par la matérialisation de l’imperceptible.

Impossible de lister toutes les installations et performances qui sont proposées. On se contentera de signaler La Ligne rouge de Filipe Vilas-Boas & Guillaume Hutzler. Un projet d’augmentation technologique d’une barrière de sécurité qui fonctionne un peu comme un escape game. Atotal, nouvelle création du spectacle musical de Franck Vigroux et Antoine Schmitt dans le cadre d’un week-end Blade Runner. Franck Vigroux sera aussi présent à la Philharmonie de Paris pour Le Grand Soir Numérique aux côtés de Kurt d’Haeseleer, et à la MAC de Créteil pour la conclusion de son tryptique Forêt.

Schnitt, ScanAudience. Photo: D.R.

On notera aussi la conférence performée de Yvain Julliard (Cerebrum, le faiseur de réalité). La performance « magique » du metteur en scène et vidéaste Clément Debailleul (Cie 14:20), (Æon). Dead Center avec l’intervention de Jack Gleeson autour du transhumanisme (To Be a machine). L’incontournable Ryoichi Kurokawa (subassemblies) et, dans un autre registre, le live-set « total » de Max Cooper (Yearning for the infinite) ainsi que la B.O. électronique de la capture et réutilisation des données audio et biométriques du public par le collectif Schnitt (ScanAudience).

> du 9 octobre 2021 au 9 janvier 2022
> https://www.biennalenemo.fr/

Archéologies d’un monde numérique

L’inauguration ce vendredi 13 décembre du deuxième volet de l’exposition Jusqu’ici tout va bien ? nous donne l’occasion de revenir sur cet événement central de la biennale Nemo. Sous-titrée Archéologies d’un monde numérique, cette manifestation est une porte vers le futur qui nous attend si nous ne changeons pas de paradigme civilisationnel. En résumé : après le grand effondrement, les machines continuent de tourner et l’homme n’est plus qu’une hypothèse pas même nécessaire… Aperçu de ce futur dystopique au travers de quelques œuvres présentées au CentQuatre jusqu’au 9 février.

Takayuki Todo, SEER. Photo : D.R.

La figurine qui orne l’affiche de cette exposition est assez surprenante. En fait, c’est une tête posée sur un plateau. Un visage plastique qui nous observe, réagit à nos mouvements et nous fait des clins d’œil. Conçu par Takayuki Todo, SEER (Simulative Emotional Expression Robot) est à ce jour l’androïde qui présente le plus d’expressions faciales (étonnement, sourire, etc.). Une animation troublante, comme un avant goût de cette fameuse vallée de l’étrange (uncanny valley) qui nous saisira lorsque les robots humanoïdes seront presque à l’identique de nous. En attendant, dans l’industrie, la majorité des robots ne sont que des bras articulés. Nombre de créations ont déjà été réalisées en détournant cette machine-outil. Ainsi, à la suite du collectif Robotlab (Bios) par exemple, Filipe Vilas-Boas condamne cette machinerie à écrire sans fin « I must not hurt humans » (The Punishment). Une damnation éternelle qui fait écho aux lois de la robotique édictées par Asimov dès les années 40. Autre déclinaison de ce détournement : Optimisation Of Parenthood d’Addie Wagenknecht. Ici, le contraste est saisiant entre la mécanique répétitive du bras qui berce un vieux landau…

Avec la robotique, l’autre grand thème qui traverse cette exposition est l’urbanisme. Mais dans ce cadre, ce sont surtout des villes fantômes à l’image de l’installation vidéo de Hugo Arcier, Ghost City, qui reprend le moteur du jeu GTA en le dépouillant de tout décor et de toutes couleurs. Il n’en subsiste que la trame décharnée, dénuée de toute présence humaine, qui tourne dans le vide. C’est aussi un paysage urbain désolé, dévasté, en noir et blanc, que l’on survole avec Alain Josseau (Automatique War). Cette installation se compose de maquettes balayées par de petites caméras qui retransmettent leurs images sur plusieurs écrans. Le rendu est saisissant, on observe avec les yeux d’un drone les effets de bombardements sur différents théâtres d’opérations… Thomas Garnier met également en scène une maquette animée (Cénotaphe). Cette sorte de Sim City en noir et blanc et en 3D est une métaphore des « éléphants blancs » et autres projets immobiliers qui restent à l’état de ruines faute d’avoir été achevés. On pense aussi à une maquette ou des réalisations en Lego en contemplant les assemblages de Kristof Kintera. Conçu avec une multitude de composants électroniques, Post-naturalia évoque une jungle à la fois organique et numérique. En vis-à-vis, Out of PowerTower se dresse comme une tour de Babel, une Métropolis entièrement fabriquée avec des piles usagées !

Projet EVA, L’objet de l’internet. Photo : © LD

Ces paysages crépusculaires s’accordent bien avec la bande-son émise par l’installation de Michele Spanghero, Ad Lib : actionné par un respirateur artificiel, un orgue émet un son lancinant, hypnotique, qui tourne en boucle comme un mantra, évoquant les complaintes de la Buddha Machine du duo FM3… On reste dans l’étrange avec L’objet de l’internet du Projet EVA. Pour le moins low-tech, ce dispositif mobilise un jeu de miroirs et des spots. Une voix robotique égrène quelques infos en anglais. Le spectateur est alors invité a se glisser à l’intérieur de l’objet qui ressemble presque à un instrument de torture. La tête du cobaye volontaire étant immergée au milieu des prismes et des lumières qui changent de couleurs au fil de la rotation du dispositif. En action, on dirait une antique machine à voyager dans le temps… L’idée étant, littéralement, de faire tourner la tête du « client », sur le modèle de la Dreammachine de Brion Gysin. Mais l’expérience ultime de cette exposition est due à Alexandre Schubert. Son installation audio-visuelle Solid State repose sur deux ingrédients : de la fumée et une lumière stroboscopique intense. Une recette éprouvée notamment par Ulf Langheinrich (Lost) et Kurt Hentschläger (Feed). Certains d’entre nous se souviennent aussi de la fin d’un concert de Coil en 2001 particulièrement intense… Mais Solid State est encore plus virulent. Malgré une certaine pratique de ce genre d’expérience, nous sommes restés au seuil de la première pièce sans pouvoir déambuler plus loin, sans atteindre les limites de ce chaos visuel…

Laurent Diouf

Jusqu’ici tout va bien ?, Archéologies d’un monde numérique
> exposition jusqu’au 9 février, du mercredi au dimanche, CentQuatre, Paris
> http://www.104.fr/fiche-evenement/jusqu-ici-tout-va-bien.html

Margriet van Breevoort, Homunculus Ioxodontus & Refugus. Photo: © LD

Biennale des arts numériques

La cuvée 2019-2020 de Nemo se démultipliera sur 4 mois (du 3 octobre au 9 février), dans 40 lieux à Paris et dans toute l’Île-de-France. Comme les précédentes éditions, la Biennale des arts numériques englobe d’autres manifestations, dont CURIOSITas, le festival Arts & Science de l’Université Paris-Saclay (du 7 au 17 novembre), et le festival Bruits Blancs (du 21 novembre au 7 décembre). Au total, ce sont près de 80 événements — concerts, expositions, performances, conférences… — qui seront proposés par Gilles Alvarez et l’équipe du CentQuatre.

Il faut bien tout cela pour tenter de répondre à la question existentielle qui porte cette édition : le genre humain est-il appelé à disparaître ? Le champ est vaste… Les éléments de réponse aussi puisque les œuvres, spectacles et rencontres évoqueront l’intelligence artificielle, l’apprentissage exponentiel des machines, les réalités augmentées et virtuelles appliquées à la vie quotidienne, la « main invisible » des datas, l’homme « augmenté » et toutes ses qualités et fonctions qui dans le même élan seront diminuées, de la Singularité qui nous est promise, du post-humanisme, du transhumanisme et du post-anthropocène

Impossible de détailler le programme tant il est riche, mais on signalera notamment, parmi les artistes qui essayent d’écrire l’histoire du futur au présent, Jean-Benoît Dunckel, Jacques Perconte, Guillaume Marmin, Joël Maillard, Julien Desprez & Kasper T. Toeplitz, Marco Donnarumma & Margherita Pevere, knowbotiq, Dominique Koch, Lawrence, Alex Augier & Alba Corral, Simon Steen-Andersen, Moritz Simon Geist, Marco Btambilla, Beb-Deum, Christophe Bruno, Marie-Julie Bourgeois & Barthélemy Antoine-Lœff, Thibault Brunet, Xavier Antin, David Wahl, Laurent Bazin, Franck Vigroux & Kurt d’Haeseleer, Antoine Schmitt, Hortense Gauthier, Cellule d’Intervention Métamkine (Christophe Auger, Xavier Quérel et Jérôme Noetinger), Molécule, Rocio Berenguer…

> du 03 octobre au 09 février, Paris et Île-de-France

> https://www.biennalenemo.fr/

Biennale Internationale des Arts Numériques

En cette rentrée, Nemo revient pour sa saison 2017-2018. Portée par Arcadi Île-de-France, cette Biennale Internationale des Arts Numériques est cette fois placée sous le signe du Hasard, de l’Accident et de la Sérendipité. Faisant suite à Prosopopée en 2015, cette thématique augure un regard, des émotions et des découvertes artistiques en résonnances avec notre monde fracturé et digitalisé; en attendant de poursuivre cette exploration, dans deux ans, sur un thème aux accents transhumanistes déjà annoncé : Feu le genre humain ?

Pour l’heure, la soirée d’ouverture aura lieu le 4 octobre au Trianon à Paris. À l’affiche : Ben Frost + MFO, Parquet, Walter Dean, Julien Desprez, Pascal Lièvre… Musiques électroniques et performances audiovisuelles donc, de même pour la soirée de clôture qui verra, le 24 mars 2018, Alva Noto — alias Carsten Nicolai, incontournable chef de file d’une certaine electronica radicale qu’il promeut sur son label Raster-Noton — et Anne-James Chaton (poète 2.0) réuni pour une création intitulée Alphabet, entre glitch music et intervention verbale; ainsi que les duos PurForm (Enigm(a)) et TRDLX (Orphism) à la Grande halle de La Villette.

Entre ces deux dates, durant 6 mois (!) sur Paris et sa périphérie, Nemo proposera de nombreux autres concerts et performances AV; en particulier ceux de Radian, David Rothenberg + Scanner, Forest Swords, Vatican Shadow, Aufgang, Max Cooper, Alex Augier (_nybble_), NSDOS (Chat’ing), Simon Fisher Turner (The Picture From Darkness, en hommage au cinéaste Derek Jarman), SNAP (Julien Desprez avec scénographie, mapping vidéo et lumières de Grégory Edelein & Jean-Pascal Retel), Martin Messier (Field), Uriel Barthélémi (Les Yeux du grand manteau de nuit), Antoine Schmitt (La Chance), CM von Hausswolff (Squared), Julien Ottavi, eRikM, Ensemble IRE aka Kasper Toeplitz + Franck Vigroux (Bestia), Dopplereffekt & AntiVJ (Entropy)…

Mais Nemo c’est aussi et surtout un Parcours Numérique dans différents lieux accueillant des propositions et installations qui représentent un panel impressionnant des différentes créations de la culture digitale actuelle — Werktank (Reality Check), Barthélémy Antoine-Loeff (Inlandsis), Jacques Perconte (La Source / Fonte), Manfred Mohr & Eric Vernhes (Beyond the lines), Pierre Jodlowski (Soleil Blanc), Albertine Meunier (Le Livre infini), Sybil Montet de Doria & Simon Kounovsky (Arcane Drift – CORE.PAN), David Guez & Bastien Didier (Lévitation), Thomas Bigot & Frédéric Villeneuve-Séguier (Audioneural network), Flavien Théry (Ici commencent les cieux), Ryoichi Kurokawa (Unfold), HeHe (Absynth), Caty Olive & Laurent Friquet (Light Show)…

Outre le fait de présenter des pièces et évènements singuliers, la Biennale agrège également sous sa bannière d’autres festivals — Rou(-x)teur à Mains d’Œuvres (lieu emblématique pour l’imagination artistique et citoyenne, actuellement menacé d’expulsion), A Night Of Real Recognition consacré au label Optical Sound, Bruits Blancs du Lieu Autre à Arcueil, La Science de l’Art du Collectif pour la culture en Essonne sur La Culture du risque,  —, et gravite aussi autour d’autres manifestations comme la Nuit Blanche ou Variation (MCD inside…) : le marché de l’art numérique doublé de l’expo L’Origine du monde (numérique).

L’exposition-titre, Les Faits du hasard, prendra place le 7 décembre au Cent Quatre autour des performances de Cod.Act (πTon), PLUG, Pascal Lièvre (Aérobics philosophiques), GK Collective (FRAVI/Agence de rencontres sans risque), Elizabeth Saint Jalmes & Cyril Leclerc (Pixel lent, ballet pour 176 escargots et 2 humains…), So Kanno & yang02 (Semi-senseless Drawing Machine)… Autre proposition importante de cette édition 2017-2018 de Nemo, des visites de l’Atelier de Nicolas Schöffer, pionnier de l’art cinétique et cybernétique. Sis dans la fameuse villa des Arts, l’endroit a échappé de peu à un désastre immobilier et offre un aperçu saisissant de l’univers et des œuvres interactives et multimédia avant l’heure de cet artiste qui reste méconnu du grand public.

En complément de cette grande fresque des arts numériques, quelques pistes de réflexion seront esquissées au travers de rencontres et débats, notamment sur la notion de Culture expérientielle, sur les apports du numérique à la création musicale, sur L’art au-delà du digital (conférence aimée par Dominique Moulon) ou bien encore L’Humain au défi du numérique… Cette liste est bien sûr non-exhaustive, ne reste plus qu’a faire des choix au sein de ce programme pléthorique.

Nemo, Biennale Internationale des Arts Numériques
> octobre 2017 / mars 2018, Paris – Île-de-France
> www.biennalenemo.fr

quand les objets prennent vie
décembre 2015/ janvier 2016

> Hors-Série réalisé pour l’exposition internationale d’art contemporain numérique au Cent-Quatre Paris, avec Arcadi Île-de-France, dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numérique

> Édito :

Prosopopées : Figure de style et substantif féminin / Figure rhétorique qui consiste à faire s’exprimer un protagoniste absent, ou dénué de parole (un mort, un animal, une chose personnifiée, une abstraction).

Forte de son intitulé – qui ne vaut que pour l’impensé qu’elle révèle en creux ou qu’elle assume en plein – l’exposition Prosopopées anime et fait parler « les protagonistes absents » : la technologie reconnaît sa filiation avec la « magie » ; les « choses » se rebellent et s’animent ; et nous voilà nous, anciennement « maîtres et possesseurs de la nature », portés par ce joyeux chamboulement, invités à admettre poétiquement notre angle mort : un animisme new-age et un besoin irréductible d’enchanter l’inanimé.

Science-fiction et poésie, robotique et poïétique, objets ré-enchantés et machines dérangeantes…
Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie, Arthur Clarke (1)
Effectivement : le téléphone – encore inconscient par la force des choses de son devenir Smartphone – n’a jamais fait que prolonger et réaliser le fantasme occultiste de la télépathie.

Et que dire maintenant des drones et de l’étrangeté de leurs « images de nulle part » ?
Les spiritistes n’auraient pas été pris au dépourvu, nous si.
« Méfions-nous dans notre suffisance numérique de ne pas être pré-surréalistes » nous chuchote Prosopopées…

Prosopopées nous présente des objets qui ont une drôle de « présence ». Tantôt moqueuse, tantôt inquiétante — mais étrangement refuznik à l’ordre de la matérialité inanimée.
Par un étrange « retour numérique du refoulé », les objets connectés se déconnectent, la lumière devient synesthésique, les séismes perturbent les datas, les machines agissent les humains et les robots nous regardent de haut….
Une rébellion poétique, symbolique et salutaire contre le sujet cartésien, déjà mort mais jamais achevé, qui a cru trop vite réduire les choses au silence…

Guillaume Renoud-Grappin — Directeur Les Ekluz / MCD

(1) Troisième loi d’Arthur C. Clarke in Manuella de Barros, Magie et technologie (Éditions Supernova, 2015).

> Sommaire :
Art numérique / Objets déconnectés / Robots hostiles / Art cinétique / Art & Science…

> Les contributeurs de ce numéro :
Adrien Cornelissen, Dominique Moulon, Laurent Catala, Laurent Diouf, Maxence Grugier…

> Remerciements :
L’équipe de MCD remercie le CentQuatre-Paris et Arcadi Île-de-France de leur confiance.

> Téléchargez gratuitement ce hors-série, cliquez ici

Archive d’étiquettes pour : Nemo

avec Hugo Arcier & Annabelle Playe (Ars Natura), Riccardo Giovinetto, Yang Song, Clara Olivares, Augustin Braud

> lives AV et concerts dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France

> https://philharmoniedeparis.fr/

avec Samuel Bianchini, Marie-Pier Boucher, Yiwen Chen, Maria Chekhanovich, Raphaelle Kerbrat, Lauren Knight, Anne-Marie Laflamme, Asa Perlman, Ana Piñeyro, Olivain Porry, Suarjan Prasai, Félix Vaneste, Lee Wilkins, Aline Zara…

> exposition dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France

> https://canada-culture.org/

expérience immersive en VR de Sarah Silverblatt-Buser dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France
> https://cda95.fr/

> exposition photo de Hugo Deverchère dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France

avec Donatien Aubert, Anne Bourassé & Mounir Ayache, Tatsuru Arai, Christian Delécluse, Caroline Delétoille, Aurore Young & Céline Boisserie-Lacroix, Bruce Eesly, Thomas Garnier, Riccardo Giovinetto, Libby Heaney, Inook, Ismaël Joffroy Chandoutis, Markos Kay, Marc Lee, Rachel Maclean, Valentine Maurice, NeoConsortium, Obvious, Phygital Studio, Matthieu Poli, Kaspar Ravel, David Rokeby, Andy Thomas, Peter Van Haaften, Michael Montanaro & Garnet Willis, Éric Vernhes, Cecilie Waagner Falkenstrøm, Beatie Wolfe

> exposition dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France

> https://www.biennalenemo.fr/

> installation audiovisuelle de Phygital Studio dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France

> Gratuit, en accès libre
> https://www.laseinemusicale.com/

avec Camron Askin, Alkan Avcıoğlu, Emilie Brout & Maxime Marion, Christophe Bruno, Disnovation.org, Ben Elliott, Ben Grosser, Hérétique, Anne Horel, Dasha Ilina, Baron Lanteigne, Ethel Lilenfeld, Jonas Lund, Shoei Matsuda, Lorna Mills, Jérémie Kursner, Miri Segal, Alexei Shulgin…

> exposition dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France
> https://www.lecubegarges.fr/