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La valeur des transactions virtuelles est passée de 819 milliards de dollars en 2001 à un quadrillion de dollars aujourd’hui. Cette croissance exponentielle est à mettre en regard du succès du bitcoin. Un bon exemple du potentiel de la coopération sociale. Laquelle pourrait générer l’argent des Commons [communs] et s’intégrer au pouvoir de la finance par sa capacité à mobiliser, distribuer et multiplier la richesse pour nourrir la qualité de la vie et la puissance de l’intelligence sociale.

Icarus, une mine de bitcoin.

Icarus, une mine de bitcoin. www.openmobilefree.net. Photo: © Xiangfu Liu

Depuis que l’argent a perdu son référent en or, sa réserve de valeur, et trouvé un nouvel amarrage dans le silicium, le deuxième élément le plus abondant sur terre, il s’est multiplié de façon exponentielle. Bien entendu, ce glissement de l’or vers le silicium ne s’applique pas à deux substances équivalentes. Autrefois, l’or était stocké dans des coffres forts garantissant la valeur de la monnaie. Le silicium, quant à lui, est traité pour fabriquer le substrat qui permet la construction de machines logiques de plus en plus rapides, omniprésentes et reliées. Si l’or s’efforçait de stabiliser la valeur de la monnaie (avec des conséquences désastreuses lorsqu’il est devenu trop abondant, perdant ainsi de sa valeur), le silicium peut se démultiplier à l’infini.

La croissance exponentielle de la monétisation
Dans son exposé sur le fonctionnement de la finance contemporaine présenté à la conférence Money Lab à Amsterdam en 2014, Saskia Sassen décrit la finance comme une capacité et comme la machine à vapeur de notre époque, son énergie. Elle explique que la valeur des transactions virtuelles utilisant le silicium entre 2001 et 2014 est passée de 819 milliards de dollars en 2001 à 62,2 billions de dollars en 2008 et maintenant à un quadrillion de dollars. Cette trans-activité accélérée et multidirectionnelle rendue possible par les technologies numériques explique la croissance exponentielle de la monétisation.

Un bien matériel tel qu’une « petite maison » est transformé en titre adossé à des actifs et incorporé à des instruments financiers dont la complexité ne peut être gérée que par des calculs de mathématiciens. En tant que capacité, la finance crée un mode virtuel d’argent, qui ne reflète pas simplement la valeur de l’actif sous-jacent, mais les calculs, les opinions et les jugements des institutions et des réseaux d’humains et de machines. Comme dans les crises de dette souveraine, les risques de ces opérations retombent sur ceux qui possèdent l’actif matériel (les propriétaires, les citoyens ordinaires), tandis que le nombre de saisies et d’expulsions, mais aussi de réduction et de privatisation des services publics et sociaux ne cesse d’augmenter.

L’accumulation de valeur et de puissance générée par la finance reste donc une puissance dirigée contre la société — telle une armée qui utiliserait la dette comme tête de pont pour conquérir un territoire. L’histoire brève et brutale de l’augmentation exponentielle de l’argent du silicium dans les premières décennies du XXIème siècle, conclut Sassen, voit les pouvoirs prédateurs de la finance affairés à s’emparer à nouveau concrètement de terres (à la fois dans un contexte urbain et rural, dans les centres-villes à travers le monde et les terres d’Afrique), ce qui est en passe de changer l’ADN même de la société.

Activité pure
Pour les marxistes post-opéraïstes et autres critiques contemporains de l’économie, l’émergence de la finance illustre aussi la réponse du capitalisme à l’arrivée d’une nouvelle composition hétérogène de main-d’œuvre vivante dans la production. Le capitalisme n’accumule pas de plus-value uniquement en sous-payant sa main-d’œuvre, mais il extrait de la valeur de la société dans son ensemble — des activités sociales ordinaires comme parler, commenter, aimer, écouter, lire, exprimer une opinion, cuisiner, faire de la musique ou de l’art, s’habiller à la mode, prendre des photos, enregistrer des vidéos, marcher, faire la fête, etc.

Avalon, une ferme ASIC pour extraire des bitcoins.

Avalon, une ferme ASIC pour extraire des bitcoins. www.canaan-creative.com Photo: © Xiexuan

Au lieu de réduire l’argent virtuel à une simulation qui se réfèrerait uniquement aux processus de mimétisme du marché boursier, les auteurs post-opéraïstes pensent qu’il exprime le moyen de saisir une nouvelle qualité de ce qui ne peut même plus se définir comme du travail, mais une sorte d’activité pure : qu’elle soit décrite comme puissance de communication et linguistique de travail (par Paolo Virno, Antonio Negri et Christian Marazzi) ou puissance pré-cognitive et pré-linguistique de la force virtuelle et subjective de la mémoire (par Maurizio Lazzarato et Brian Massumi), il s’agit d’une énergie qui ne s’épuise pas dans ses produits matériels, mais qui génère avant tout de nouveaux modes d’existence et de représentation du soi.

La valeur de la petite maison transformée en titre adossé à des actifs ne devrait donc pas être indexée en priorité à la substance matérielle de la maison, mais au travail sensible, intellectuel et affectif que les architectes, des bâtisseurs et des propriétaires ont mis en œuvre pour la construire; à la beauté de l’architecture urbaine qui l’entoure, constituée de parcs, d’hôpitaux, de musées, d’écoles et d’université; à la densité et à l’animation de sa vie sociale, de ses cafés, ses restaurants et ses marchés ; ainsi qu’aux qualités esthétiques de ses formes culturelles que sont sa musique, sa nourriture, son art, sa mode. L’activité qui a créé de la valeur pour la petite maison fonctionne avec les limites ou l’insuffisance naturelles/écologiques des ressources matérielles tout en étant alimentée par le désir croissant de vie sociale. Ceci répond à la pénurie et aux limites de la nature par de nouvelles façons d’accomplir les choses, de profiter et de prendre soin du monde et des autres en adoptant de nouvelles façons d’agir délibérément collectives.

Comme l’a souligné Maurizio Lazzarato, la coopération sociale ne concerne en rien la répartition des ressources rares, mais la réinvention et le ré-enchantement continus du monde. Elle ne s’opère pas à travers l’harmonisation d’une main invisible, mais par un jeu de sympathies et d’antipathies, de goûts et de dégoûts, des saisies mutuelles ou asymétriques modulant le flot incessant des courants ou des affects pré-individuels, des croyances et des désirs qui sous-tendent la vie sociale.

La chute généralisée du coût marginal
Contrairement à ce que Jeremy Rifkin soutient, le capital, par ailleurs, n’est pas un système complexe voué à accepter sans broncher sa propre disparition en vertu de la chute généralisée du coût marginal. En tant que rapport social basé sur la domination, sa réponse à la baisse du taux de profit est de réinjecter de la rareté et du contrôle là où il y a abondance et liberté potentielles. Par le biais de la guerre, des bulles financières et des coupes dans les services vitaux, il détruit la richesse qu’il a générée afin de pouvoir recommencer ailleurs son cycle d’accumulation. La plupart d’entre nous doit travailler et accepter le prix que le marché accorde individuellement à nos capacités et nos compétences (notre capital humain) : étant donné que nos capacités communicatives, sociales et de coopération sont aussi banales que le silicium, on ne leur accorde, dans leur ensemble, que très peu de valeur.

Avalon, une ferme ASIC pour extraire des bitcoins.

Avalon, une ferme ASIC pour extraire des bitcoins. www.canaan-creative.com Photo: © Xiexuan

Le peu d’argent qui sert d’ordinaire à rétribuer le travail est pris en compte et attribué par anticipation : il servira à payer le loyer, l’hypothèque, les factures, la nourriture, les frais de cartes bancaires, les prêts, les impôts, les intérêts, les assurances et tout ce que le marché mondial estime que vous êtes capables de consommer. L’argent des salaires est la mesure de votre impuissance à vous connecter au « moteur du pouvoir », c’est-à-dire à façonner l’avenir de la société en tant que telle — pour modifier son ADN, comme l’explique Sassen.

L’hégémonie de l’argent en silicium
Le mouvement de la monnaie virtuelle a eu le mérite de montrer que dans les conditions actuelles d’hégémonie de la monnaie du silicium, l’argent peut être fabriqué de toutes pièces. La conception d’une monnaie qui ne se comporte pas comme une armée d’invasion vis-à-vis de la dynamique sociale passe probablement par des devises comme le bitcoin, mais on ne peut s’arrêter là. Le protocole du bitcoin comporte des éléments précieux que l’argent des commons (Andrea Fumagalli) pourrait adopter à des fins utiles (comme le registre comptable de toutes les transactions, le blockchain), mais les mécanismes de création monétaire adoptés par les protocoles du bitcoin ne semblent pas être adaptés à la tâche.

L’invention et le succès du bitcoin sont des exemples du potentiel de la coopération sociale, mais son système de fonctionnement n’aide pas à le promouvoir. Le bitcoin est toujours généré par le travail, c’est-à-dire un travail de minage de bitcoins, même si ce travail est essentiellement effectué par la puissance de calcul de machines logiques à base de silicium. La valeur d’un bitcoin est toujours déterminée par l’utilité, c’est-à-dire sa capacité à être dépensé pour acheter quelque chose et satisfaire ainsi un besoin individuel. Les deux mécanismes de création d’argent produisent une monnaie notoirement instable et sujette à l’accumulation tandis que le travail de minage de bitcoins devient plus difficile (produisant ainsi de la rareté) et que, dans le même temps, son utilité-valeur dépend des prix du marché et de l’utilité accordée au bitcoin en tant que valeur de réserve ou moyen d’échange.

L’argent des Commons devrait être directement généré par la coopération sociale et s’intégrer au pouvoir de la finance par sa capacité à mobiliser, distribuer et multiplier la richesse pour nourrir les biens communs sociaux — c’est-à-dire la qualité de la vie sociale et la puissance de l’intelligence sociale. Il devrait avoir sa propre logique de financement et d’investissement mobilisés, ici, pour créer de nouvelles institutions de commonfare (Carlo Vercellone) — c’est à dire des réseaux d’institutions constitutifs de nouveaux systèmes de protection sociale, de démocratie participative et soucieuse de garantir l’éducation, la recherche, la santé, le logement ainsi qu’un revenu de base. L’argent des Commons devrait donc être à la fois un objectif et un principe fondamental servant une économie où quelque chose d’aussi banal et ordinaire que l’existence sociale serait la source de tout ce qui rend la vie digne d’être vécue.

Tiziana Terranova
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Tiziana Terranova est professeur et chercheuse en cultures numériques et de réseau à Naples, en Italie. Elle est l’auteur de Network Culture (Pluto Press, 2004) et fait partie du réseau de l’université libre Euronomade.

(for the street)

L’artiste Axel Stockburger a installé en plein centre-ville de Vienne, en Autriche, une sculpture monumentale crachant des pièces d’un euro sur un mode aléatoire, de fin juin à mi-octobre 2014. Quantitative easing (for the street) souligne par l’absurde le changement d’échelle de la crise globalisée, symbole d’une crise de l’abondance plutôt que de la rareté.

Si John Maynard Keynes et Friedrich August Hayek (fréquemment associés aux antipodes de l’économie moderne) étaient d’accord sur une chose, c’est que le manque de confiance a un effet déstabilisateur. En conséquence, si cet indice de confiance, comme dans la crise financière de ces dernières années, est placé sous les projecteurs (précisément parce qu’une telle perte s’est produite), le pouvoir des relations sociales dépasse les paramètres économiques : le manque de confiance assèche le climat des relations du commerce capitaliste.

L’intervention de l’artiste Axel Stockburger dans l’espace public attire notre attention sur cette situation, en faisant allusion au changement de climat de l’économie mondiale où la crise actuelle n’est pas, comme on pourrait le croire, caractérisée par la rareté, mais plutôt par l’abondance.

Collecte et redistribution par et pour tous
L’artiste agrémente le boulevard Graben, à Vienne, d’un objet sculptural dont la valeur réelle intrinsèque est révélée aux passants par sa qualité performative : du 27 mai à la mi-octobre 2014, un totem apparemment plaqué or a expulsé de l’argent de façon aléatoire sous forme de pièces d’un euro dans l’un des endroits les plus affluents de Vienne. Le flux horizontal de personnes s’accompagnait d’un flux généré au hasard pour la durée de l’intervention, qui représentait aussi une invitation à participer. Quantitative Easing (for the street) n’exclut personne. Au contraire, l’œuvre permet aux participants de collecter les pièces et de les redistribuer sans discrimination à des flâneurs, des touristes, des acheteurs, des gens d’affaires, des mendiants, des passants au hasard ou des résidents.

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street)

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street), 2014. Temporary Installation, Plated Metal, Random Euro Coin Dispenser, Graben, Vienna. Photo ©: Iris Ranzinger.

Cette pièce aborde l’impermanence, la volatilité et l’inégalité intrinsèques à un système de valeurs défini par l’économie, sur l’artère principale de Vienne traditionnellement dédiée à la promenade et au shoping (1). Quantitative Easing (for the street) s’inscrit dans une longue tradition d’engagement des artistes en réaction à des phénomènes sociaux associés à la domination économique et sa manifestation physique, l’argent.

Fiction, art et économie
Comme dans ses travaux précédents, où l’artiste autrichien explorait les médias contemporains tels le film, les jeux vidéo ou l’informatique et leurs conventions gestuelles, matérielles et linguistiques, Stockburger s’intéresse aux fictions sociales, qui dans ce cas sont générées à la fois par l’économie et par l’art. Les deux doivent leur existence à des conventions et sont sujets à changement. Ces phénomènes régissent notre vision du monde, précisément parce qu’il s’agit de constructions de l’esprit.

Dans ce sens, le projet de grande envergure construit par Stockburger sur le boulevard Graben fait à la fois référence à l’importance culturelle et à la valeur économique de l’or. Cette valeur résulte, entre autres, de la capacité de l’or à « rester en vie » après la mort, à la fois comme moyen de maintien de la valeur et comme matière première des arts. L’or conserve les réussites de toute une vie qu’il rend disponible aux générations suivantes. L’or a été et reste également, au-delà de sa signification cultuelle, la matière première de la manifestation physique de l’économie et de l’art, de sorte que ces deux fonctions sont souvent indissociables.

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street)

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street), 2014. Temporary Installation, Plated Metal, Random Euro Coin Dispenser, Graben, Vienna. Photo ©: Iris Ranzinger.

Toutefois, ce qui tombe vraiment de ce réservoir fictif des systèmes historiques de valeur créé par Stockburger (à savoir de l’argent sous forme de pièces en euro) est, à l’heure actuelle, soumis à une volatilité sans bornes, au regard des changements de valeur mesurés en millisecondes plutôt qu’en générations, voire en siècles. La réalité de l’argent est donc à double tranchant : d’une part, c’est « la nourriture » des relations sociales d’échange, d’autre part, il représente les prix virtuels, c’est-à-dire fictifs, fixés sur les marchés financiers, à un niveau inimaginable et à des vitesses incroyables.

Les fictions, économiques ou artistiques, sont fragiles et spéculatives. Alors que l’art utilise l’existence dans le présent pour refléter l’apparence de la réalité, les marchés financiers produisent des apparences sensées être appréhendées comme des réalités futures pour empêcher l’effondrement du château de cartes érigé par la spéculation et l’investissement. Ce que nous appelons la « crise économique » se produit dans une réalité où ce « monde » contingent périt dans l’abîme des mesures d’austérité.

Le projet de Stockburger entre en scène suite aux événements qui définissent notre monde globalisé actuel. Il se place là où une nouvelle fiction (celle d’un soi-disant « assouplissement quantitatif ») reconstruit ce monde, à présent conçu en termes purement économiques. En ce sens, Quantitative Easing (for the street) est une interaction artistique dotée d’un système politique et financier destiné à sauver un « monde » déjà effondré.

Quelle sera la conséquence sur la réalité sociale qui en découle ? Dans quelle mesure les fictions de l’argent et de l’art parviendront-elles à créer des mondes ? En quoi ou en qui pouvons-nous avoir confiance ? Voici les questions que Stockburger se pose et pose aussi à tous ceux qui se bousculent le long du boulevard Graben.

Gerald Nestler
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Gerald Nestler s’appuie sur la performance, la vidéo, l’installation, la parole et le texte pour questionner les méthodologies, les récits et fictions relatifs à la finance et leur rôle dans la biopolitique actuelle. www.geraldnestler.net

(1) Un projet réalisé à l’invitation des commissaires Muntean/Rosenblum pour KÖR (Kunst im Öffentlichen Raum) à Vienne

Info: www.stockburger.at/qe

L’argent déforme la perception du monde

Olga Kisseleva est née en ex-Union soviétique, a grandi dans l’effervescence de la pérestroïka et vit à Paris à l’ère de la mondialisation. Elle a souvent épinglé dans ses installations vidéos ou interactives le monde soumis à la valeur argent. Elle revient sur trois de ses projets, parmi les plus représentatifs de son engagement dans une certaine économie de l’art, ou plutôt, un certain art de l’économie.

Olga Kisseleva, Conquistadors, 2007. Documenta 12, Magazines, Kassel, Allemagne, 2007. Photo: © Olga Kisseleva

J’ai grandi dans un monde où l’argent n’avait pas d’importance. Dans l’idéologie communiste, tout le monde gagnait la même chose, le salaire le plus important, celui d’un ministre, était de 300 roubles, un ingénieur en gagnait 150, un jeune diplômé 70, soit le quart du salaire de ministre. Et, quelle que soit la somme d’argent qu’on possédait, on ne pouvait pas acheter grand-chose : le logement, l’éducation, la santé étaient pris en charge par l’État, et le choix proposé était tellement minime à l’intérieur de l’économie soviétique qu’on n’avait simplement pas d’envie.

L’argent n’était pas intéressant. Il est apparu au moment de la pérestroïka avec les différences de modes de vie de comportements, quand certains, aux qualités morales autres, se sont révélés plus riches que les autres. Beaucoup de Soviétiques ont eu beaucoup de mal avec cette notion. En réaction, j’ai fait le Miroir des trolls, un miroir au centre duquel apparaît un signe d’argent. J’ai commencé par le dollar, puis le yen, je suis en train de faire le yuan. C’est un miroir de foire déformé, puisque l’argent déforme la perception du monde.

Je viens de Saint-Petersbourg et dans la Reine des neiges d’Andersen, le premier conte que ma grand-mère m’a lu, un troll montrait un miroir aux gens pour qu’ils voient le monde comme eux — laid. Un jour, le miroir très lourd a éclaté en mille morceaux. Ils sont entrés dans le cœur des gens, et les ont rendus méchants. Le Miroir des trolls, j’ai compris alors pourquoi il rendait les gens insensibles : ils devenaient accros à l’argent. C’est une interprétation collective de la conscience collective post-soviétique, après cette période où personne ne courait après l’argent, où l’on était libre de l’argent.

Olga Kisseleva, Le Miroir des trolls, 2008. L’Argent, Le Plateau, FRAC Ile de France, Paris, curatrices Caroline Bourgeois et Elisabeth Lebovici, 2008. Photo: © Olga Kisseleva

J’ai commencé ce projet global avec la Russie, parce que c’est en Russie qu’on a découvert l’effet des multinationales au moment de la pérestroïka. En 1983, tout appartient encore à l’État russe. Petit à petit, le territoire commence à être occupé par les différentes multinationales qui s’installent et s’approprient l’espace. Aujourd’hui, enfin en 2007, quand nous avons finalisé le projet avec les chercheurs du Centre de l’économie de la Sorbonne, il y a des milliers et des milliers de logos, l’espace est tout rempli. Conquistadors dans sa version russe n’est pas un programme en temps réel, contrairement à Arctic Conquistadors, qui est connecté à la base de données de l’ONG Barents Observer et donc mise à jour en permanence.

J’ai auparavant travaillé sur la France, dans le cadre de l’exposition Douce France à l’abbaye de Maubuisson en 2007, dans une version non dynamique. On constate que la France appartient toujours aux mêmes, le CAC40 et ses 100 premières entreprises. La taille des logos correspond au poids de l’entreprise (leur présence dans l’économie française se mesure à la fois par les cotations à la bourse et par la part de produit intérieur brut que l’entreprise apporte à l’économie), mais leur emplacement n’est pas forcément représentatif de la géographie puisque 80% des sièges sociaux sont en région parisienne ! En Russie en revanche, une même entreprise peut avoir plusieurs logos, un siège social et de multiples succursales.

Olga Kisseleva, (In)visible, 2000-2014. CAPC Museum, Bordeaux, France, 2006. Photo: © Olga Kisseleva

Ils ont la même énergie, les mêmes postures, portent des drapeaux et des slogans illisibles. Cette série de 70 photos prises sur quatre continents et dans une vingtaine de pays donne l’impression qu’il s’agit d’une même manifestation. Ce projet a deux formes, une photographique (2000-2014), l’autre vidéo (2005-2008). Dans les deux cas, rien ne permet de géolocaliser l’événement. L’image est passée en noir et blanc, on ne voit pas la couleur des drapeaux, tous les slogans sont pixellisés comme dans le langage officiel de la censure. On a donc l’impression qu’ils militent tous pour la même chose, contre Poutine, contre l’occupation palestinienne, contre le mondial au Brésil…

(In)visible montre des manifestants qui s’opposent au partage du monde entre multinationales, qui a remplacé le partage du monde entre les empires capitaliste et communiste. Aujourd’hui, ce qui gouverne le monde, ce sont les grandes multinationales capitalistes, avec leurs logos sensiblement les mêmes, en force aussi bien en France qu’en Russie ou en Arctique. Derrière les événements politiques, les guerres, les perturbations sociales du moment se trouvent toujours des réseaux économiques. Avec des multinationales qui provoquent ces événements pour pousser peuples et gouvernements en suivant leur intérêt. À propos des événements en Ukraine, on voit les quelques logos qui rivalisent au-dessus de la situation…

 

propos recueillis par Annick Rivoire
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

 

> http://kisseleva.org

Freecoin, blockchain social pour se réapproprier le pouvoir de l’argent

L’argent est un logiciel destiné à programmer le comportement social. De fait, si l’on observe le système monétaire classique, quel genre de comportement induit-il chez les utilisateurs des monnaies officielles du profit personnel ? En substance : de la schizophrénie.

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Parallèlement à la nécessité paradoxale d’une croissance perpétuelle de l’économie mondiale dans un contexte de ressources limitées et dont le seul objectif est de payer les intérêts d’une monnaie électronique non-existante, nous avons intégré, au détriment de la coopération, une concurrence à court terme et la fausse bataille politique bipolaire entre gauche et droite, démocrate et conservateurs, avec la conviction erronée que la Russie ou la Chine diffèrent de l’Union européenne ou des États-Unis. C’est faux, car ces deux systèmes appliquent la même programmatique sociale et intègrent tous deux une institution privée particulière : la banque centrale. Cette situation est loin d’être nouvelle, elle date de l’avènement des temps modernes (la banque centrale la plus ancienne — la Riksbank en Suède — a commencé à fonctionner en 1668) sous une forme dont tous les humains concernés par la finance ont fait l’expérience, consciente ou non, mais toujours de manière coercitive !

Une alternative consisterait à accepter l’extinction de l’économie, c’est-à-dire notre propre extinction, puisque la totalité de la dette mondiale ne peut être remboursée avec une dette encore plus importante. En effet, les institutions financières impliquées ne font que gagner du temps au lieu de construire l’avenir, tandis que se révèlent le lent effondrement des politiques monétaires exotiques comme le ZIRP (politique de taux d’intérêt zéro) et le NIRP (politique de taux d’intérêt négatif) ou les informations selon lesquelles l’Italie prévoit d’inclure la prostitution et les drogues illicites dans le calcul de son PIB pour se maintenir à flot dans cette version réelle du monde de Lemmings, ce jeu de plateforme emblématique du rétrogaming (1). Pendant ce temps, la grande majorité de la population reste là, à regarder — la télé — et semble hypnotisée, sous l’emprise d’un syndrome de Stockholm collectif.

La solution ? Soit prendre part à la prochaine grande guerre et reconstruire à partir de zéro, soit cesser de gaspiller son énergie à critiquer les problèmes du système monétaire actuel et se focaliser plutôt sur la création de nouveaux protocoles destinés au transfert de valeur qui permettraient au corps social d’aller de l’avant le jour où le système actuel rendra l’âme (cf le bitcoin). En effet, par une approche empathique du développement des TIC, nous pouvons produire de l’argent grâce à l’élaboration d’une diversité d’expériences favorisant la prise de pouvoir dans les transactions financières. Avec ces nouveaux protocoles, nous pourrions satisfaire les besoins élémentaires d’une vie décente. Toutefois, nous ne pourrons y parvenir que si nous surmontons les dynamiques inconsciente et subconsciente qui caractérisent notre engagement dans les interactions économiques avec l’argent.

La racine, le tronc et le feuillage de notre système monétaire
Le système monétaire classique — celui dans lequel circulent les monnaies nationales, comme l’euro — est un réseau de navigation complexe qui se soucie exclusivement d’un type d’argent : la dette bancaire porteuse d’intérêt positif. Bien que les monnaies nationales revêtent des noms différents, les systèmes dans lesquels elles se déversent se déploient selon une arborescence fractale similaire. En effet, ce que l’on pourrait définir comme « l’arbre monétaire » est représenté par le système monétaire traditionnel, moderne et centralisé. Au niveau international, ce sont des institutions comme la Banque des Règlements Internationaux, le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale qui opèrent et représentent le sommet de la hiérarchie du système bancaire mondial. Pour ces institutions qui fixent l’ordre du jour à l’échelle mondiale, la racine du pouvoir monétaire est tout à fait ancrée. Au deuxième niveau hiérarchique, le tronc est représenté par les banques centrales nationales. Enfin, au niveau du détail, on compte des banques commerciales avec des branches qui détiennent les comptes personnels, comme autant de feuilles d’un feuillage.

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Vers le « rhizome monétaire »
Comme toute monoculture présente dans la nature, ici aussi, nous pouvons apprécier une configuration de l’écosystème qui favorise un rendement élevé, mais un niveau de résilience faible. En effet, les crises souveraines bancaires et monétaires récurrentes révèlent très clairement cette situation. Les défaillances systémiques cycliques qui mettent en jeu des exemples de prospérité de plus en plus élevés immanquablement suivis de faillites désastreuses exigent que l’on repense la relation entre efficacité et résilience commune à tout le réseau de circulation complexe capable de faciliter une transformation monétaire de l’organisation.

Par opposition à la métaphore fractale de l’arbre dans la nature, le changement structurel est « anti-fragile » et rhizomatique, c’est-à-dire qu’il tire sa force du chaos apparent que l’a-centralité, la diversité des monnaies et l’horizontalité dans l’élaboration des politiques et de la distribution pourrait initialement évoquer : d’un système monétaire centralisé fragile concernant un seul type de monnaie au « rhizome monétaire » des éco-systèmes multi-devises décentralisés qui se greffent (comme autant de modules complémentaires) sur le système conventionnel dans une écologie des monnaies. Au cours de l’effondrement actuel, ces dernières ont déjà octroyé à l’économie un nouveau mode de fonctionnement.

En fait, les (crypto) devises numériques peuvent être conçues, produites et prospérer de manière à permettre aux internautes de s’engager dans la vie économique en utilisant des moyens de paiement débarrassés des écueils inhérents à la monnaie nationale. Les acteurs du système conventionnel sont en train de créer des prototypes de blockchains privés, répliquant ainsi le protocole du bitcoin dans des systèmes arborescents : JP Morgan Chase (dans le secteur bancaire) (2) et Western Union (dans le secteur des virements) (3) ont tous deux récemment déposé des brevets crypto-monétaires.

Cependant, des expériences sont effectuées avec des alternatives qui favorisent de nouvelles structures de gouvernance pour la manifestation dans le monde réel du changement de paradigme rhizomatique de l’économie par le développement de systèmes de paiement numériques distribués, eux aussi souverains. On les trouve par exemple en Équateur (4) et dans le Nebraska grâce à MazaCoin, une monnaie cryptographique réservée aux citoyens de la Grande Nation Sioux de Lakota (5). De l’autre côté de l’Atlantique, financé par la Commission européenne, on trouve aussi l’exemple de Decentralized Citizens Engagement Technologies (Technologies décentralisées d’engagement des citoyens), une plateforme de sensibilisation collective appelée D-CENT (6), dont le lancement est prévu en 2016.

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Outils de conception collaborative avec les « netizens »
D-CENT est une plateforme de réseau social interopérable pensée pour répondre aux besoins des communautés en matière de partage de données afin de relever les grands défis de la société, notamment à travers la conception de blockchains sociaux qui favorisent le modèle anthropo-génétique du développement humain : l’économie productive de biens et de services, la santé, l’éducation et la culture reposent ici sur la technologie du blockchain, à savoir le protocole freecoin (7).

Partant de l’hypothèse que la fonction principale de l’argent devrait permettre à chaque être humain de consommer tous les jours de la nourriture pour le corps et pour l’esprit, l’objectif est de concevoir, en collaboration avec les internautes, des outils numériques utiles et pertinents, en particulier dans les périodes critiques de transition et d’austérité. Par conséquent, les utilisateurs de D-CENT, qui font partie de communautés pilotes en Espagne, Islande et Finlande, signalent aux chercheurs et aux développeurs les caractéristiques et les résultats attendus de leurs propres outils de délibération monétaire collective (FLOSS, décentralisés, autogérés). Mais comment s’assurer de ne pas retomber dans les programmes sociaux monétaires conventionnels ?!

L’argent comme dernier tabou
Après la mort et le sexe, l’argent est le dernier Tabou ! que l’humanité dans son ensemble doit rendre explicite pour échapper à des crises comme celle que nous traversons aujourd’hui, une fois pour toutes : Memento ! — L’or est la matière fécale de l’enfer. Selon la psychiatre Paula B. Fuqua, au regard des analyses psychanalytiques du développement de l’enfance, les enfants manifestent un plaisir naturel à la fois dans la défécation et dans la rétention de leurs selles ; ainsi les matières fécales retenues sont leurs premières économies et leurs premiers jouets. Plus tard, ils commencent à collectionner des pierres avec volupté et sont heureux d’en faire le troc avec d’autres enfants. Les pierres deviennent des billes de verre, des boutons, et enfin des pièces. Lorsque le développement cognitif améliore la capacité d’abstraction de l’enfant, les pièces sont remplacées par des actions, des obligations et des chiffres (8)… et au XXIème siècle par des crypto-pièces.

Par conséquent, puisque l’argent est inconsciemment associé à la défécation, il est Tabou ! Impossible d’en discuter ouvertement et cela profite aux 1% de détenteurs, gestionnaires et bénéficiaires du système conventionnel. Il nous faut davantage parler d’argent ! C’est une chose souhaitable et qui a commencé à se produire dans le monde numérique où VISA, Mastercard et PayPal ont gelé les comptes de Wikileaks en 2010 et où les mineurs ont augmenté leurs efforts pour améliorer le réseau bitcoin de manière à donner plus de poids à l’opération Payback (« remboursez »).

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Dans la plateforme D-CENT, l’application technique qui permet de surmonter le Tabou ! social de l’argent est le freecoin, un protocole en open source reposant sur du code et permettant des transferts de valeur quasi-instantanés au sein d’une base de données publique programmable, également appelé blockchain, qui fait office de grand livre comptable. Dans le cas du freecoin, le mécanisme de la preuve de travail revêt un nouveau sens, car sa nature devient sociale et analogique : à présent, ce sont les utilisateurs qui fournissent les informations permettant de créer une réserve d’argent en open source, laquelle est ensuite gérée par les administrateurs qui font office de vérificateurs et de mineurs du système, devenant les gardiens de facto du contrôle social, de l’octroi et du transfert de crédits.

Afin de gérer les échanges économiques, le montant du crédit précédemment généré découle de règles élaborées et adoptées par les utilisateurs du système eux-mêmes. Par conséquent, c’est en ajoutant la possibilité de délibérer collectivement par rapport au processus d’élaboration des politiques monétaires du système qu’il devient techniquement viable, pour aller dans le sens de systèmes d’argent beaucoup plus auto-gérables que le système actuel, c’est-à-dire un système de paiement en open source qui fonctionne structurellement pour les usagers, au lieu du contraire.

Grâce au passage à un système régulier d’échange de valeur économique conditionné et consensuel et parallèlement à une inter-connectivité croissante de la population familiarisée avec les médias sociaux, les outils de D-CENT peuvent aider à augmenter les pratiques collectives de gestion autonome au sein de communautés sectorielles et géographiques pour renforcer leur « effet multiplicateur local ». Tout cela, indépendamment du système bancaire classique et à un coût négligeable pour les autorités publiques locales, qui peuvent d’ailleurs, elles aussi, commencer à profiter de ces fonds alternatifs — voir le cas de la livre Bristol au Royaume-Uni (9). Le logiciel d’arrière-plan (backend) est un blockchain social qu’une communauté peut intégralement adapter à ses propres besoins. Ainsi, au lieu d’enfermer le freecoin dans la catégorie des crypto-monnaies, il est essentiel de le concevoir comme un protocole. Un design fluide de l’interface utilisateur se chargera de la dynamique frontale liée à la convivialité.

En conclusion (ouverte), on peut observer que c’est à travers ce processus de politique monétaire collective que les utilisateurs peuvent commencer à se réapproprier la capacité à émettre de la monnaie et donc le pouvoir d’agir sur le destin de leurs vies économiques : il s’agit d’opérer une déprogrammation grâce à l’alphabétisation monétaire, c’est-à-dire la dédollarisation des esprits.

Marco Radium Sachy
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

(1) http://on.wsj.com/1pwbLdv et http://bit.ly/1weAauP
(2) http://econ.st/18FrLTF
(3) http://bit.ly/1tjf4Xh
(4) www.bloomberg.com/news/2014-08-11/ecuador-turning-to-virtual-currency-after-oil-loans-correct-.html
(5) www.mazacoin.org
(6) www.dcentproject.eu
(7) http://freecoin.ch
(8) Paula B. Fuqua, citée dans The Last Taboo : money as symbol and reality in psychotherapy and psychoanalysis, de David W. Krueger, 1986, ed. Brunner/Manzel, New York.
(9) http://bit.ly/1tu7vfO

much soul, very emotion…

L’auteur du « Guide hérétique de la finance globale » (The Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money) utilise le Dogecoin, que certains ont fait passer pour un vaste canular. Au contraire, cet ancien trader explique pourquoi celle-ci constitue en fait l’une des meilleures « alt-coins », ces crypto-monnaies alternatives.

J’utilise le Dogecoin parce que le chien m’attire sur le plan affectif. Contrairement aux fossiles tels que la reine à l’air figé sur les billets de livre sterling, ce Shiba Inu est à la fois transcendant et abordable, autosuffisant, mais câlin. Il me regarde dans les yeux avec son regard en biais, comme s’il venait de remarquer ma présence et se demandait si je préfère jouer ou être laissé tranquille. Ce n’est pas un chien agressif ni, d’ailleurs, un chien surexcité qui tenterait à tout prix de me lécher. Son âme est autonome et atypique et il serait quasiment impossible d’imaginer que ce chien puisse être un connard.

Certains membres de la communauté des crypto-monnaies ont dénigré le Dogecoin, le traitant de canular, voire d’arnaque. Peut-être les deux à la fois, mais est-ce vraiment si important ? Toutes les devises, si on y regarde de plus près, sont des arnaques. Ce qu’il faut se demander, c’est laquelle d’entre elles nous sommes prêts à accepter. Pour ma part, je préfère prêter serment d’allégeance à un chien mystique qu’adorer l’image d’un monarque arrogant. En effet, le Dogecoin est pour moi la meilleure de toutes les alt-coins, ces crypto-monnaies alternatives qui ont vu le jour dans le sillage de l’invention du code source du bitcoin. Voilà pourquoi.

L’argent n’est pas « rationnel »

Réfléchissez à la question suivante : pourquoi les humains ont-ils inventé la poterie ? Pour beaucoup, parce qu’elle devait être utile pour stocker de la nourriture et de l’eau. Une réponse qui correspond parfaitement à notre vision dominante et rationaliste du monde. L’hypothèse selon laquelle la poterie a été « inventée » délibérément reste cependant problématique, d’autant qu’il semblerait qu’elle ait été utilisée, à l’origine, pour fabriquer des figurines religieuses abstraites.

Un problème similaire apparaît chez de nombreux économistes qui tentent de colporter des théories anhistoriques sur la raison pour laquelle les gens ont inventé l’argent. Leur histoire met souvent en scène des personnes concevant l’argent de manière « rationnelle » comme une alternative au « troc ». Or, il n’est pas très rationnel d’échanger spontanément des biens réels contre des morceaux de papier ou des bouts de métal brillant.

Bien entendu, une fois la convention sociale de l’échange monétaire mise en place, celle-ci s’avère utile, mais le processus imaginaire dans lequel les boulangers et les bouchers « inventent » l’argent pour faire face aux difficultés de l’échange de la viande contre des pains au levain est une tentative de refonte de l’histoire à l’envers, soumise à la vision du dogme actuel.

L’argent n’est pas un objet que l’on puisse inventer. C’est une convention sociale qui doit se structurer sur le plan culturel. L’utilisation de coupons monétaires apparaît uniquement rationnelle lorsqu’elle s’inscrit dans une convention (ou une illusion) collective qui attribue de la valeur à ces mêmes jetons, convention qui doit être constamment maintenue.

Pouvoir d’État, confiance locale, travail et mysticisme méta-national

Dans le cas de notre monnaie fiduciaire habituelle, la convention collective est renforcée par la force psychologique (et réelle) des autorités officielles. La majorité de notre monnaie fiduciaire est créée par les banques commerciales, mais sa « réalité » provient en grande partie de l’approbation par l’état de son statut légal.

En l’absence d’un État qui défende une monnaie, d’autres facteurs sont nécessaires pour induire l’acceptation collective. Par exemple, une toute petite communauté pourrait créer et maintenir une monnaie locale uniquement soutenue par le réseau de confiance communautaire préexistant, tissé d’amitiés réciproques, de liens d’honneur et de la crainte d’être exclu du groupe social.

En dehors d’une petite communauté, il est particulièrement difficile d’instaurer la confiance dans une monnaie non-nationale. Le bitcoin est un cas d’étude tout à fait fascinant de ce processus. À ses débuts, le bitcoin n’avait presque aucune valeur. Il possédait pourtant un élément crucial. À son centre se trouvait un personnage mystérieux, presque immatériel, nommé Satoshi Nakomoto qui, focalisant l’attention, permettait le ralliement d’une communauté autour de lui.

La mystique de Satoshi était vitale, dotant ce qui sans lui n’aurait été qu’un élément intelligent, mais froid, de cryptographie d’une âme en laquelle les gens ont pu croire. Satoshi était l’esprit sacré dans la machine et le minage ressemblait à une quête rituelle poursuivant la construction du blockchain (le registre des transactions en bitcoins) entamée par cet esprit. C’est par ce processus que la valeur imaginaire du bitcoin a pris vie et a commencé à se concrétiser.

En revanche, imaginez si une personne connue, comme Stephen Hawking, inventait le bitcoin. Ce dernier serait dépourvu de tout mystère. Au lieu d’un mouvement alternatif, il ressemblerait à un projet scientifique ou commercial. Les traits de caractère propres à Stephen remplaceraient le symbole énigmatique anciennement incarné par le personnage de Satoshi. Que resterait-il alors ? Un fragment intelligent de cryptographie et un acte peu banal consistant à utiliser de l’énergie pour faire fonctionner des ordinateurs.

Ceci dit, il y a quelque chose d’intéressant dans l’inutilité fondamentale de la triture des algorithmes par le biais d’un ordinateur psychologiquement puissant. Si vous vous plaisez à voir une chose essentiellement éphémère comme un produit utile, le fait d’accroître le travail dans le processus de création peut être avantageux, étant donné que le travail induit la rareté (seules les choses rares demandent du travail) et que la rareté signifie une valeur d’échange potentielle (on ne peut rien échanger contre une chose abondante).

La puissance (« le travail ») de calcul intégré au réseau du bitcoin ne crée pas de valeur en soi, mais elle représente un garant psychologique supplémentaire pour la valeur imaginée des jetons de bitcoin. S’ils n’avaient pas de valeur, nous ne produirions pas autant de travail, n’est-ce pas? Si nous effectuons ce travail, c’est qu’ils doivent avoir de la valeur, non ?

Le mythe émergent de la rationalité du bitcoin

Fait intéressant, le processus rituel de minage est devenu de plus en plus concurrentiel et la commercialisation du bitcoin a explosé, de nouvelles théories sont apparues pour expliquer la valeur des jetons de bitcoin d’un point de vue « rationnel ». Parmi ces théories, on trouve l’idée mise en avant par la Fondation bitcoin elle-même selon laquelle les bitcoins ont une valeur parce qu’ils sont utiles.

Tout cela s’inscrit dans une tendance générale de l’élite du bitcoin qui consiste à réécrire l’histoire et proclamer, avec le recul, que la valeur du bitcoin a toujours été évidente et que les adeptes du début se sont lancés dans l’aventure, car leurs espoirs de reconnaissance croissante de la valeur du bitcoin comme moyen sécurisé d’échange par la société étaient fondés.

Dans cette affirmation, les jetons de bitcoin tirent leur valeur de leur appartenance à un système potentiellement utile, la valeur de chaque bitcoin reflétant l’évaluation globale du marché qui vante l’utilité d’un moyen d’échange sécurisé. C’est un peu comme soutenir que les conteneurs placés sur des wagons de train tirent l’intégralité de leur valeur de l’utilité du réseau ferroviaire.

La théorie implicite est la suivante : hé, ces choses sont utiles, car elles véhiculent des valeurs d’échange, alors battons-nous pour elles et, ce faisant, nous créerons leur valeur de marché, qui pourra alors être utilisée à des fins d’échange. Circulaire, non ? Il se peut qu’il y ait là une lueur de vérité, mais c’est surtout une tentative de décrire le processus essentiellement affectif et social de la création de monnaie par le biais du langage d’une rationalité froide et individualiste.

Les monnaies du bûcheron en fer blanc n’ont pas de cœur

Cette façon de penser a par la suite influencé la façon dont beaucoup de crypto-pièces alternatives ont tenté de s’imposer sur le marché par leurs propres moyens. Plutôt que d’assumer leur propre absurdité, de nombreuses alt-monnaies ont vanté leur efficacité, leur sécurité ou leur usage adaptés à des cas spécifiques comme si l’utilité et la compétitivité du concept motivaient l’adoption d’une monnaie par un individu.

La crypto-conférence est ainsi devenue le royaume des « gens sérieux » discutant « d’affaires sérieuses ». Ici, pas de mysticisme, ni d’émotion mièvre. Ils s’adressent à la fonctionnalité rationnelle au lieu de donner vraiment envie aux gens de les utiliser. Ils sont techno-fétichistes. Un gars fait une présentation PowerPoint où il détaille froidement le cas commercial pour lequel sa crypto-monnaie est idéale, car elle utilise un système de hachage turbo dernier cri, mais putain, dis-moi pourquoi je devrais y CROIRE !

Il est vrai que, dans une certaine mesure, cette stratégie a fonctionné pour des alt-monnaies comme le lightcoin, le quarkcoin et le peercoin, qui ont acquis une certaine popularité à partir de leur concept, mais réfléchissez un instant à la question suivante : pourquoi utilisez-vous la livre sterling ou le yen ? La réponse n’est jamais, parce j’apprécie leur design, et ce n’est pas non plus, parce que je comprends, d’un point de vue rationnel, l’utilité que représente pour moi ce moyen d’échange, ni parce que je suis intimidé par l’État et qu’il me force à utiliser ces devises.

La plupart du temps, nous répondons simplement parce c’est ce que tout le monde semble utiliser et qu’on m’a appris à l’utiliser. Nous sommes nés avec les monnaies tout comme nous sommes nés avec les langues et avons appris à les utiliser dans un contexte social. Si vous voulez convaincre quelqu’un d’accepter des documents électroniques éphémères comme monnaie, vous aurez besoin d’une histoire à laquelle les gens pourront se raccrocher. Vous aurez besoin de cœur.

Le Dogecoin est un culte, et c’est très bien ainsi

Ce qui nous ramène au Dogecoin. Je peux croire au Dogecoin parce qu’il me donne matière à croire. Il fait directement appel à l’irrationnel, au dépassement du monde conventionnel du calcul de l’utilité individuelle pour se soumettre à une absurdité hilarante. Il s’agit, avant tout, d’un culte et c’est infiniment plus attirant que tout démarchage qui tenterait de nous faire adopter un concept solide.

Le regard calme et ludique du Doge est, en soi, le fondement mystique de la monnaie. Peu importe qui l’a inventé, parce que Dogecoin n’est pas perçu comme le projet narcissique d’un individu, c’est son symbole même qui en est le leader. Le Doge est un personnage sans ego, qui séduit tout le monde à travers les cultures, les identités sexuelles et même les espèces. Nous pouvons tous retirer quelque chose du regard du Shibu.

Cela se reflète dans la communauté qui s’est développée autour du Dogecoin, des personnes qui se présentent comme des « shibes » et s’offrent mutuellement des cadeaux en Doge. Alors que le forum dédié au bitcoin sur Reddit est devenu un véritable ring où se pratique le trolling agressif, dans les forums Dogecoin on se sent compris et accepté, en phase avec son univers surréaliste constitué de slogans ésotériques et d’actes de bonne volonté.

En conclusion, j’ajouterais un mot sur sa conception. Si l’on devait parler d’une seule chose intelligente dans la conception du Dogecoin, c’est la façon dont ses principaux membres ont mis l’accent sur la création d’une culture ascendante, au lieu de fétichiser la création de la monnaie en tant que solution technique destinée être commercialisée à partir du sommet.

La communauté Dogecoin a augmenté rapidement en réponse à des actes communautaires qui établissent une raison de croire en la monnaie, comme le parrainage de personnages atypiques comme l’équipe de bobsleigh de la Jamaïque et de cascades loufoques comme le soutien à une voiture de course Nascar. Ce sont des choses dont vous pouvez rire, assis dans un pub, en dehors des salles de conférence. Et c’est ce qui fait toute la différence.

Brett Scott
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Brett Scott est journaliste, militant et auteur du Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money (Pluto Press, 2013). http://suitpossum.blogspot.co.uk / @Suitpossum

la ville adoptive de Thomas Paine

Thomas Paine me brûle les doigts. À la place du visage de la Reine qui trône sur les billets de banque britanniques, j’ai en poche des livres Lewes à l’effigie de l’inspirateur des révolutions française et américaine. Son visage est omniprésent à Lewes, petite ville britannique où Thomas Paine vécut au XVIIIème siècle, au début de sa carrière politique radicale.

Livre lewes (recto). Conception graphique : Hudoq Digital Media, en partenariat avec Giant Arc Design. © Lewes Pound

Lewes a toujours été lieu de révolution. Les premières limites aux pouvoirs d’un roi anglais ont été imposées en 1264, suite à la bataille de Lewes, lorsque les barons ont forcé Henry III à accepter un parlement de nobles. C’est également ici qu’en 1557, la reine Marie 1ère d’Angleterre (Bloody Mary, Marie la Sanglante) martyrisa dix-sept protestants devenus ainsi, jusqu’à nos jours, un puissant symbole de contre-pouvoir. Chaque année, le 5 novembre, autour du feu de joie de Lewes, filles et garçons rendent hommage aux martyrs de 1557 (et fêtent l’échec du complot catholique de 1605 destiné à faire exploser le Parlement anglais) en brûlant des effigies du pape et du gouvernement de l’époque. Les célébrations du feu de joie de Lewes sont tellement ardentes qu’on peut les voir sur les images satellites de la Nasa !

Thomas Paine rédigea son premier ouvrage politique à Lewes (un traité sur la condition de ses collègues du service des accises). Il écrivit ensuite le Sens Commun, un pamphlet qui mit le feu aux poudres de la révolution américaine, suivi de son fameux Droits de l’Homme qui, en 1792, lui valut un siège au Parlement révolutionnaire français. À l’époque de Paine, il existait déjà une livre lewes. En effet, notre ville avait possédé sa propre monnaie entre 1789 et 1895, période où elle repoussait l’invasion du monde extérieur. Depuis 2008, l’actuelle livre lewes s’inscrit dans une révolution moderne qui tente de relocaliser l’économie et reprendre le contrôle de nos vies dominées par le capitalisme mondial.

Monnaie locale pour entreprises locales
Je me sers de la livre lewes pour la plupart de mes achats quotidiens (dans deux marchés d’alimentation, dans les trois magasins alternatifs de la ville, chez le fromager et les deux boulangers, dans une bonne moitié des cafés et des pubs, chez mon coiffeur et au magasin d’aliments pour animaux, à l’hôtel où séjournent mes parents, dans les deux boutiques où j’achète mes vêtements, chez le disquaire, dans mon restaurant préféré).
Curieusement, il est impossible de l’utiliser pour acheter des journaux, mais, si vous êtes motivé, elle fonctionne pour à peu près tout le reste. J’achète mes livres lewes avec des livres sterling, prélevées directement sur mon compte bancaire, suite à quoi je vais les retirer, une fois par mois, dans un magasin d’alimentation près de chez moi. Si j’ai besoin d’autres livres lewes, cinq magasins (environ) les distribuent à Lewes; ils font office de « distributeurs d’argent ». Il y a environ 15.000 livres Lewes dans la nature (plutôt qu’en circulation).

Livre lewes (verso). Conception graphique : Hudoq Digital Media, en partenariat avec Giant Arc Design. © Lewes Pound

Une monnaie locale a deux visées : rendre hommage à la communauté locale et améliorer les économies locales. Les supermarchés offrent moins d’emplois et à plus bas salaire que ceux des boutiques en ville, capitalisent 95% de l’argent que l’on y dépense. Cet argent va dans leurs caisses et sort instantanément de notre ville. La livre lewes, de son côté, ne peut être dépensée ailleurs qu’ici. Ainsi, elle doit circuler dans le périmètre local, ce qui facilite et améliore les échanges entre les entreprises du secteur.

Élément du folklore
La livre lewes fait désormais partie du folklore de Lewes (à l’instar de Thomas Paine et des célébrations annuelles autour des feux de joie). À mon avis cette focalisation sur l’aspect folklorique masque les arguments économiques selon lesquels les monnaies locales peuvent augmenter l’activité économique locale. Les entreprises qui refusent les livres lewes (et il y en a encore beaucoup), ne comprennent pas l’argument économique ou bien se plaignent de ne rien pouvoir acheter à Lewes avec cette monnaie. C’est un véritable problème (dans notre système économique globalisé, la plupart des magasins ne sont pas approvisionnés par des entreprises locales).
Je me dois également de préciser que j’appartiens à un très petit groupe qui utilise religieusement la livre lewes (la plupart des gens sont heureux de savoir qu’elle existe, mais préfèrent se cantonner aux livres sterling qui pourront être dépensées à Londres ou à Brighton). Dans certains magasins, je suis le seul client à utiliser cette devise ! Cependant, nous en sommes encore au stade de l’expérimentation. La priorité est de montrer comment une devise locale peut fonctionner. Dans l’éventualité où le système financier s’écroulerait sous le poids de ses propres contradictions, notre ville sera prête. Comme je l’ai expliqué plus haut, à Lewes nous sommes une véritable bande de révolutionnaires !

Alexis Rowell
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

Circulez, y’a tout à voir et rien à vendre

Avec ses pièces ironiques, l’artiste française Albertine Meunier nous oblige à décaler le regard, en introduisant un grain de sable dans les rouages numériques les plus huilés, Google en tête. Elle a ainsi transformé les ready-mades de Duchamp en œuvres de la période Net-Art sur le moteur de recherche hégémonique (Les Dessous de L.H.O., 2013-2014). Une actualisation très dadaïste qu’elle détaille ici.

Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

Depuis le 27 juillet 2013, Albertine Meunier détourne Google avec un « Ready Made Hack », Les Dessous de L.H.O. : l’internaute qui lance une recherche sur une œuvre de Marcel Duchamp découvre que cette pièce est affiliée à la période « net-art ». Duchamp a beau être le père de l’art contemporain, il n’a pas vécu l’arrivée d’Internet ! Grâce à ce détournement sémantique du Knowledge Graph de Google, sont ainsi estampillés « net-art » la Fontaine (l’urinoir renversé), la Roue de bicyclette, Nu descendant l’escalier ou encore le Porte-bouteille… sans que le géant américain y trouve à redire.

Comment expliquer que Google n’ait rien fait pour empêcher le Ready Made Hack de Duchamp depuis plus d’un an maintenant ?
J’apparais très ouvertement dans la liste historique des changements, ils ne peuvent pas ne pas savoir ! D’autant qu’il y a eu médiatisation : j’avais communiqué sur Les Dessous de L.H.O. pendant la FIAC, la foire d’art contemporain de Paris à l’automne 2013, et j’ai fait un appel au financement participatif avant l’été pour réaliser un livre documentant cette intervention, lequel livre vient de sortir et s’expose un peu partout. Peut-être que Google le laisse comme une transformation duchampienne ? (rires) Un grand nombre de personnes m’ont dit : pourquoi tu fais ça sur Duchamp, qui n’intéresse personne, si tu le faisais sur un politique, tout le monde en parlerait. Ça souligne parfaitement ce que je voulais pointer, que Google s’intéresse plus à la culture LOL qu’à l’art, en tout cas à ce symbole de l’art du XXème siècle qu’est Duchamp.

Confronter l’art duchampien à Google, c’est montrer que le géant surpuissant ne l’est pas tant que ça ?
Google revendique de porter toute la connaissance humaine, mais il n’est pas vigilant ! Il ouvre un institut culturel en France pour sa bonne conscience, mais il ne connaît pas les fondamentaux en art ! Mon petit hack montre son ignorance patente, tout en soulignant les visées prétentieuses de Google. Mais quand on est prétentieux, il faut être à la hauteur de la situation ! Et je voulais aussi montrer que les choses dans l’univers numérique ne sont pas forcément telles qu’elles sont, a priori acceptables, impossibles à critiquer. On peut penser le Knowledge Graph de façon critique et renverser la figure d’autorité du moteur de recherche.

Encore plus si la figure d’autorité « dévalue » l’importance de Duchamp. Peut-on y voir aussi une critique du marché de l’art ?
En 2009, je m’étais intéressée au marché de l’art, avec Mona LHO, un ready-made Internet connecté par excellence. J’avais trouvé un beau cendrier porte-cigarettes, avec la figure de la Joconde dessus, je l’ai connecté à l’indice Artprice, en l’occurrence l’index AMCI (Art Market Confidence Index), qui ne donne pas la cote de tel ou tel artiste, mais l’indice de confiance du marché de l’art (de – 40 à + 40). Je récupère cette valeur et je l’affiche au socle de Mona LHO, pour montrer qu’on peut prendre n’importe quel objet et le connecter dans l’absolu (comme Duchamp), en faire un ready-made connecté. C’est aussi un clin d’œil sur cette valeur qui fait office de bonne santé du marché, placée dans le cendrier.

Est-ce une critique de la place de la spéculation dans l’art ?
Je l’ai toujours vu positif, cet index, jamais négatif. N’est-ce pas étrange que cet indice n’aille jamais en dessous de zéro ?

Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

Le message caché, ce serait soyez détachés de ces contingences mercantiles ?
C’est bien d’acheter des œuvres, mais acheter de l’art sur le marché, ça n’a plus de sens ! J’en achète en tant que collectionneuse parce que j’aime l’art, mais le marché spéculatif tue l’art : la cote n’a plus de sens, c’est même contre-productif pour les gens qui veulent collectionner dans la mesure où ça vous met à distance de l’art. Un grand nombre de pièces deviennent inaccessibles, notamment parmi les artistes contemporains. Personnellement, je n’achète pas pour placer mon argent…

C’est une critique de l’argent ?
Oui de l’argent dans son aspect spéculatif ! Parce que cet objet que j’ai trouvé dans une brocante à Montrouge, c’est Mona Lisa, c’est un objet tout prêt, je n’ai rien fait sur l’objet lui-même. Alors, est-ce que c’est de l’art ? C’est pour moi bien plus une poupée gigogne, un objet à rebonds. C’est un des objets que je n’ai pas envie de vendre !

Pourquoi ?
Pour moi, il n’a pas de valeur, ou plutôt il a trop de valeur ! La valeur que j’y mets est tellement forte que je le garderai bien jusqu’au bout de ma vie. Comme je n’ai pas besoin de l’argent de la vente de mes pièces pour vivre [Albertine est ingénieure en R&D chez un grand opérateur, NDLR], je ne suis pas obligée de les vendre. Du coup, j’ai imaginé un autre système, en les confiant à des personnes, comme un viager. Je les laisse en viager, à charge pour la personne de s’engager à les soigner.

Tu t’exclues du marché ?
D’une certaine forme spéculative, oui. La vraie liberté de l’artiste, c’est de ne pas subir la dépendance marchande pour ne pas avoir à produire les seules choses qui se vendent. Le modèle actuel des galeries est obsolète. Avant, une galerie prenait un artiste sous son aile, prenait en charge sa production, ce qui permettait à l’artiste d’avoir une sorte de revenu universel. Ce n’est pas évident aujourd’hui de garder une marge de liberté, car il faut quand même que les pièces soient quelque part, pas dans des cartons !

Et le choix des personnes à qui tu vas confier tes pièces en viager, c’est selon ton bon plaisir ?
Oui, c’est le luxe non ? (rires) Le but c’est que ça circule. Vendu ou pas, peu importe !

propos recueillis par Annick Rivoire
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

une chronologie personnelle

Pour expliquer l’évolution des rapports entre l’Internet et l’argent, le théoricien des médias néerlandais part de sa propre trajectoire intellectuelle. Le partage des ressources étant devenu une nécessité, explique Geert Lovink, les devises utilisées à ces fins sont à présent surveillées de près par un nombre croissant de spécialistes, d’artistes et d’activistes. Ainsi, nous nous devons d’examiner l’esthétique de l’argent post-crédit.

« Le personnel est politique ». Cet adage du mouvement féministe des années 1970 s’applique rarement à notre situation financière. L’argent est un destin privé. Que vous en ayez ou non, vous êtes perdants. Faire de l’argent (Ole Bjerg, 2014) est une compétence que seuls les jeunes loups de Wall Street possèdent en spéculant avec les économies des autres — le reste d’entre nous peine à amasser quelques pièces (1). Avec la récente stagnation des revenus de la classe moyenne, les finances quotidiennes se politisent de plus en plus. La dette est devenue une affaire publique. Depuis 2008, nous ne pouvons plus aisément déclarer : Wir haben es nicht gewusst.

Pouvons-nous enfin parler d’une conscience émergente de la « classe virtuelle » (2) ? Le partage des ressources étant devenu une nécessité, les devises utilisées à ces fins sont à présent surveillées de près par un nombre croissant de spécialistes, d’artistes et d’activistes. Comment gagner sa vie ? Qu’en est-il de l’esthétique de l’argent post-crédit. Auparavant, cependant, je souhaiterais examiner la manière dont la culture d’Internet et la financiarisation se sont unies au cours des dernières décennies et pourquoi, jusqu’ici, la Silicon Valley nous a empêchés d’utiliser des outils de redistribution des ressources.

La crise des années 1980
Au cœur du malaise économique sans fin des années 1980, je suis passé par une sorte de crise existentielle. Comme d’autres personnes de ma génération, je vivais d’allocations sociales, établissait domicile dans des squats et faisait de l’auto-stop entre Amsterdam et Berlin-Ouest, tout en étant confronté au retour de bâton néo-libéral de Reagan et Thatcher. Assistant au triste déclin des mouvements autonomes et ayant dit adieu au monde universitaire après un premier cycle, il y avait peu d’opportunités professionnelles pour nous autres post-hippies et pré-yuppies. Je me voyais trop comme un intellectuel indépendant pour m’identifier à un journaliste et en 1987, j’ai décidé d’adopter l’étiquette de « théoricien des médias », quelles qu’en soient les conséquences. J’avais récemment rejoint le mouvement des radios libres d’Amsterdam et m’intéressais à la théorie des médias suite à un diplôme en « psychologie des masses » à l’Université d’Amsterdam. Mais comment un « théoricien des médias » pouvait-il gagner sa vie?

Cinq bonnes années plus tard, ma situation professionnelle ne s’était toujours pas améliorée, mais je décidais, quoi qu’il en soit, de laisser tomber les allocations sociales pour vendre des papiers spécialisés en art des médias, donner des conférences, participer à la scène culturelle d’Amsterdam (dominée par les baby-boomers) et travailler à temps partiel à la VPRO, la compagnie de diffusion audiovisuelle néerlandaise, ce qui me rapportait à peine 700$ par mois et un chèque de la sécurité sociale. Le monde venait de plonger dans une nouvelle récession. Quoi qu’il en soit, les « nouveaux médias » ont commencé à prospérer sous des étiquettes spéculatives comme « le multimédia », « la réalité virtuelle » et le « cyberespace ».

Peu de temps après, début 1993, je me suis connecté à Internet. Avec l’aide d’amis pirates, j’ai mis en ligne mes archives de textes numériques, qui étaient déjà considérables puisque j’avais commencé à utiliser un ordinateur en 1987. C’est dans ce contexte que j’ai mené ma première discussion sur l’absence d’une « économie de l’Internet ». On m’a dit que le contenu allait être « libre ». Les utilisateurs devaient pourtant payer un fournisseur d’accès à Internet et continuer à acheter et mettre à jour leur matériel comme les ordinateurs, les écrans, les imprimantes et les modems. Pour ce qui est des logiciels, la situation est plus complexe. Dès le début, le shareware et le logiciel libre s’opposaient aux logiciels détenus par les corporations. Quant aux jeux, ils opéraient dans une autre zone floue.

Les années 1990 : le « texte » première victime
Mes amis geeks m’ont dit : si tu ne t’intéresses ni aux médias traditionnels, ni au milieu universitaire, essaie de trouver une subvention artistique, mais ne compte pas sur Internet pour t’assurer un revenu. Trouve un emploi ennuyeux pour la journée et exprime-toi comme tu le souhaites la nuit. Mets le feu au cyberespace. C’est la vocation de l’écriture et de toutes les formes d’art. Deviens un entrepreneur et démarre ta propre entreprise, apprends un peu de code et rejoins nos rangs. En 1993, on pouvait gagner beaucoup d’argent en faisant des sites Internet, mais là encore, il n’y avait pas de contenu et ça avait tout l’air d’une opportunité éphémère montée en épingle. L’écriture, qu’il s’agisse de journalisme, de fiction, de poésie ou de critique, allait devoir être financée par des fonds culturels ou des éditeurs traditionnels et se dé-professionnaliser ou se « démocratiser », pour employer des termes plus respectueux. Internet était sur le point de bouleverser tous les secteurs d’activité et le « texte » a été sa première victime — comme un Napster avant la lettre (3).

Le début des années 1990 est une période cruciale dans la saga du « dotcom ». Son esprit libertaire a été très bien décrit par Richard Barbrook et Andy Cameron dans leur article de référence The Californian Ideology (l’idéologie californienne), paru en 1995 (4), mais ce texte fait l’impasse sur quelques aspects essentiels comme l’économie du « free » et le rôle du capital-risque et de l’introduction en bourse dans un business plan. Les start-ups Internet ont toutes suivi la même stratégie : attirer en premier lieu une masse critique d’utilisateurs sur un court laps de temps. La part de marché importait davantage qu’un flux de revenus durables. Dans ce modèle cynique, il été entendu que la plupart des start-ups échoueraient et que leurs pertes seraient compensées par une ou deux réussites exemplaires d’entreprises revendues tôt ou placées sur le marché boursier.

Il m’a fallu des années pour déchiffrer Wired (vendu et « mis à l’écart » en 1998), Red Herring et Fast Company, pour arriver à comprendre vraiment ce que signifiaient les principes économiques de l’engouement de la bulle Internet. Les livres et la littérature critique sur le sujet étaient quasi-inexistants et avant même que nous ayons eu le temps de nous retourner, le marché s’était effondré. À l’époque, une multitude d’activistes opérait dans les mouvements opposés à la mondialisation et centrés sur le FMI et l’Amérique latine ; des combats d’une autre époque. Cyberselfish de Pauline Borsook, parue en 2000 (5), est une étude de référence (et qui vaut encore la peine d’être lue) sur la façon dont Internet a ruiné San Francisco.

On a ensuite pu lire des histoires drôles quotidiennes d’ascension et de chute de dotcoms sur le site Fucked Company. Dans ce brouillard, notre seule référence universitaire était Saskia Sassen. Elle avait établi un lien entre la finance mondiale et les réseaux informatiques. Son image macro complexe ainsi que La société en réseau, une analyse sociologique de Manuel Castells, procuraient des vues d’ensemble cohérentes. Cependant, personne n’abordait directement la fièvre de la culture dotcom suite à l’introduction en bourse de Netscape, en 1995. De 1997 à 2000, des milliards de dollars issus des fonds de pension, des fonds communs de placement, etc. se sont déversés dans les entreprises d’Internet.

Une partie seulement de ces investissements, comme pets.com et boo.com, a fini façon système de Ponzi, comme entreprises fictives de commerce électronique. La majeure partie des investissements institutionnels a disparu dans l’infrastructure de la fibre optique. Aucun n’a généré de revenus ; tout reposait sur les futurs programmes d’hyper croissance, alimentés par des capitaux extérieurs. Des dizaines de milliers de designers, de musiciens, d’ingénieurs et de chercheurs en sciences sociales se sont rapidement formés pour devenir des codeurs HTML, des agents de relations publiques et de communication ou des consultants informatiques, tout cela pour se retrouver à nouveau au chômage quelques années plus tard, quand la bulle a éclaté.

Un moyen de compenser les vagues impitoyables de la privatisation et de folie boursière était de désigner l’Internet comme une infrastructure publique. L’Internet, avec son passé militaire et universitaire, devrait garantir « l’accès pour tous ». Nous voulons de la bande passante était le slogan de notre semaine de campagne à la Documenta X, celle de Catherine David, dans le cadre du projet Hybrid Workspace (espace de travail hybride). Le même groupe, coordonné par Waag Society Amsterdam (où je travaillais alors comme stagiaire à temps partiel) avait mené une campagne similaire, Free for What? (libre pour quoi ?), devant le musée Kiasma à Helsinki, fin 1999.

Les retards de perception m’inquiétaient tout autant dans les « folles » années 1990 qu’elles m’inquiètent aujourd’hui. Qui profite du fait que nous ne comprenions pas le modèle économique de Facebook ? Quels sont les facteurs qui nous font passer d’héroïques sujets à consommateurs grincheux se contentant de cliquer ? Malgré nos efforts individuels et collectifs dans les réseaux et les groupes de recherche, pourquoi parvenons-nous seulement à comprendre la dynamique du capitalisme contemporain a posteriori ? Est-ce la vraie raison qui fait que nous manquons d’avant-gardes ?

À présent, nous ne pouvons que lutter contre les causes de la dernière récession. Des années plus tard, rien n’a changé et nous devons faire face aux retombées de la crise de 2007-2008 ; la compréhension des dérives fondamentales et du trading haute fréquence commence à se généraliser (grâce à Scott Patterson et au professeur Michael Lewis), tandis que le chômage provoqué par la crise de l’euro reste à des niveaux incroyablement élevés, que la stagnation devient permanente et que les coupes budgétaires qui ravagent les soins de santé, la culture et l’économie dans son ensemble sont maintenues, en attendant le prochain krach.

2000 : éclatement de la bulle
Depuis le lancement d’initiatives telles que la liste de diffusion nettime (en 1995), des efforts collectifs ont été menés pour développer une « économie politique d’Internet », puisant dans les perspectives culturelles, politiques et économiques au sein et en dehors du milieu universitaire. En février 2000, juste après la victoire sur le bogue du millénaire et l’annonce de la fusion entre AOL et Time Warner, la bulle a éclaté. L’événement de tulipomania.com (Amsterdam/Francfort, juin 2000), qui s’est tenu juste après l’effondrement du Nasdaq (mi-avril 2000) était une tentative sérieuse d’analyser la « nouvelle économie » et de rassembler les voix critiques des deux côtés de l’Atlantique. L’histoire des premières fièvres du marché boursier au début du XVIIème siècle, la bulle des mers du Sud et la crise de 1929 sont bien connues. Cela vient pourtant de se reproduire et de causer une vaste destruction sous nos yeux et dans notre propre secteur.

2000-2010 : ceci n’est pas une économie
Des projets comme tulipomania.com nous ont appris à observer l’image d’ensemble de la finance mondiale : Wall Street, les fonds (spéculatifs) souverains et le trading à grande vitesse. Pourquoi était-il impossible d’imaginer des sources de revenus durables pour des travailleurs non-techniciens si directement impliqués ? Pourquoi les nouveaux médias ont-ils exclu les artistes et les producteurs de contenu pour ne rétribuer qu’une poignée d’entrepreneurs et de techniciens ? À l’exception, peut-être, de quelques années fastes, rien n’a vraiment changé depuis plus d’une décennie. Ceci n’est pas une économie. En fait, peu de temps après l’explosion des « dotbombs », des armées de webdesigners et de chefs de projet Internet ont perdu leur emploi et sont retournées dans leurs villes d’origine pour exercer leurs anciens métiers. En fait, la pauvreté du « précariat » n’allait que s’aggraver.

En attendant, je devais me réorienter vers le monde universitaire, après avoir œuvré comme théoricien indépendant deux décennies durant, et passer un doctorat à Melbourne sur la base de mon travail sur la culture critique d’Internet. Ce dont les critiques des nouveaux médias, comme moi, avaient fait l’expérience dans les années 1990 se propagea bientôt aux professions voisines comme le théâtre, l’édition et la critique de film, le journalisme d’investigation, la photo et la radio indépendante, tous rejoignant la « classe créative » paupérisée : cool, mais pauvre. Avec le retrait des subventions de l’État, les emplois rémunérés restants se sont réorientés vers la publicité et les relations publiques.

De retour à Amsterdam, après avoir trouvé un emploi dans la recherche, j’ai pu lancer l’Institute of network cultures (l’Institut des cultures de réseau), en 2004 — un choix de carrière que beaucoup de mes collègues artistes et critiques ont été contraints de faire. Le premier événement d’envergure organisé en janvier 2005 par mon unité de recherche — qui venait de voir le jour à l’école Hogeschool van Amsterdam (HvA) — s’appelait « Decade of Webdesign » (une décennie de webdesign). Cet événement explorait les aspects économiques mouvants de cette jeune profession. Vint ensuite « MyCreativity » (ma créativité, en novembre 2006), un débat sur la misère des politiques des « industries créatives » venues du Royaume-Uni et d’Australie qui était en train d’atteindre l’Europe.

Avec l’essor des blogs et de la « culture des templates » (les thèmes graphiques) au lendemain de l’éclatement de la bulle Internet, il n’était plus nécessaire de construire un site web de A à Z. Les prix du design de sites web se sont effondrés. Les geeks qui ont inventé les logiciels de blog ont, encore une fois, omis d’intégrer un plan monétaire à leurs systèmes et bientôt les praticiens amateurs de la « culture participative » sont devenus la proie de la même vieille logique de la « culture libre », cette fois-ci menée par des visionnaires comme Henry Jenkins, qui était opposé à la professionnalisation de l’écriture sur Internet et qui a salué le caractère démocratique du « Web 2.0 » alors que celui-ci a si aisément été exploité par des intermédiaires émergents comme Google, Amazon, Apple et e-Bay.

Une poignée de blogueurs ont finalement réussi à vivre de la syndication de contenus associée à des bannières de publicité et des micro-revenus issus du nombre de clics vers Amazon, Google AdSense et AdWords. Au final, un nombre encore plus restreint de blogueurs a été embauché par les anciennes industries des médias, dont le Huffington Post, qui reste l’un des cas les plus intéressants : ses contributeurs blogueurs ont traîné sa fondatrice en justice, car elle avait encaissé des centaines de millions de dollars grâce à la vente de son métablog à AOL, refusant de partager les bénéfices avec les coproducteurs de contenus qui avaient contribué à forger sa réputation.

La période qui suivit, dans laquelle le « Web 2.0 » s’est consolidé en « réseaux sociaux », s’est caractérisé par la victoire de la logique du « meilleur l’emporte » des start-ups financées par le capital-risque. L’économie d’Internet ne s’est pas révélée un « marché libre », mais un lieu de reproduction des monopoles, les cartels libertaires régulant le consensus de la Silicon Valley. L’immobilier et les services financiers qui ont mené au krach de 2007-2008 n’ont pas affecté l’économie Internet. La croissance rapide a continué sur sa lancée, cette fois alimentée par de nouveaux utilisateurs en Asie, en Afrique et la montée des téléphones et tablettes tactiles.

L’économie d’Internet, qui reposait initialement sur l’informatique et les industries des médias, a commencé à s’immiscer dans d’autres secteurs économiques, du commerce de détail et des services aux soins de santé jusqu’à la logistique et l’agriculture. Le processus de socialisation, parfaitement défini en allemand par le terme Vergesellschaftlichung, a transformé Internet en une machine de traitement général, basée sur des protocoles largement inconnus (gardés par des organismes industriels dominés par les États-Unis) qui reproduisent l’idéologie du libre. Aucun individu, aucune profession, pas même la plus traditionnelle, ne peuvent échapper à son influence, essentiellement du fait de la miniaturisation et de la quasi-invisibilité des technologies de l’information (un autre obstacle à l’amélioration de la visibilité et des débats autour des aspects monétaires des flux de données).

En réponse à ce développement « totalisant » (de type orwellien ou hégélien), nous avons assisté à l’essor de la « critique d’Internet » dominée par des auteurs américains (l’accomplissement d’un vieux projet de nettime datant de 1995) et à une prise de conscience croissante des aspects liés à Internet dans les débats généraux (de la baisse de la faculté d’attention à ce qu’on a appelé le printemps arabe, en passant par l’utopie technologique de Morozov). Cette critique englobe les stratégies « parasites » de protection de la vie privée sur Facebook, Twitter ou Google. En réaction à cela, le public est devenu de plus en plus conscient que si vous ne payez pas, vous êtes le produit. Cependant, cette connaissance cynique, répandue parmi la masse des internautes, n’a pas conduit à des pratiques alternatives. Du moins, jusqu’à ce que le bitcoin et d’autres cyber-monnaies entrent en jeu…

Au début des années 1990, j’avais imaginé des lecteurs connectés à Internet qui auraient pu lire en ligne ou télécharger mes essais pour une somme modique, à l’aide d’un système intégré de micro-paiement en P2P adapté à la nature distribuée du réseau informatique. Si les données pouvaient circuler de manière décentralisée, alors pourquoi ne pas attribuer de micro-paiements numériques à celles-ci ? Une variante de la méthode de paiement direct aurait pu être un modèle d’abonnement ou une carte de micro-paiement.

Un groupe de pirates informatiques et de crypto-experts basés à Amsterdam ont travaillé sur cette même idée. J’ai également assisté à des conférences de l’Américain David Chaum, fondateur de Digi-Cash, qui était à l’époque basé à UvA Computer Science (CWI) à l’est d’Amsterdam, l’un des tout premiers centres névralgiques d’Internet en Europe. En 1993, j’ai réalisé une émission de radio d’une heure avec Chaum, dans laquelle il expliquait sa lutte contre les sociétés de cartes de crédit et les banques aux États-Unis, les brevets y afférant et l’importance de garantir l’anonymat et de crypter les données pour les futurs systèmes de paiement en ligne.

2013 : le MoneyLab et l’ère de l’expérimentation monétaire
C’est précisément toutes ces idées qui ont commencé à réapparaître quand le bitcoin a émergé au lendemain de la crise financière mondiale, début 2009, bien qu’il ne s’agisse pas ici de parler du bitcoin. En 2013, l’Institute of Network Cultures a initié un réseau de recherche appelé MoneyLab (5). L’idée était d’instaurer des dialogues pluridisciplinaires entre activistes, artistes, chercheurs, geeks et designers, de créer des modèles P2P de revenus Internet pour les arts qui déjouent l’exploitation et œuvrent à une (re)distribution plus égalitaire de la richesse créée en ligne. Un système qui permet à ceux qui accomplissent le vrai travail de générer un revenu décent et que ce dernier ne soit plus concentré dans les poches des fondateurs et des participants du début.

Une chose est claire : le moment est venu d’arrêter de se plaindre de sa précarité. Nous sommes maintenant à l’ère de l’expérimentation monétaire. Le principe fondateur du MoneyLab, ce numéro de MCD et maintes autres initiatives se penchent sur la multiplicité des modèles complémentaires de revenus qui ne sont pas tenus de fonctionner comme des alternatives soudaines aux systèmes de paiement hégémoniques.

Si nous commençons par des systèmes d’échanges locaux, nous pourrons ensuite passer aux possibilités et aux écueils du financement participatif (avant que l’œuvre ne soit produite) puis au bitcoin et autres crypto-devises (des systèmes de paiement de l’œuvre produite) jusqu’aux paiements en direct en monnaies spécialement conçues pour les jeux en ligne. S’il vous plaît, participez aux débats concernant leurs architectures et ne laissez pas les geeks tous seuls ! Lançons des collectifs, des coopératives et autres formes d’organisation autonomes pour lutter contre le modèle néo-libéral de l' »entrepreneur ».

L’éventail de solutions alternatives ne peut se déployer que dans un contexte plus large luttant pour une redistribution globale des ressources. « Résister à la vie virtuelle » ne suffit pas. L’objectif devrait être de dissocier la Silicon Valley de la logique capitaliste. Une première étape pourrait être l’interdiction du capital risque et son obsession fatale d' »hyper croissance ». Jusqu’à présent, les Google de ce monde n’ont fait qu’enrichir les riches. La prochaine étape, après les manifestations encourageantes à San Francisco contre les bus urbains privés de Google, est Occupy Mountain View. Rendez le cyberespace aux 99%.

Geert Lovink
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

(1) Making Money, The Philosophy of Crisis Capitalism, Ole Bjerg, Verso, London, 2014.
(2) Cf. le texte de référence d’Arthur Kroker et Michael Weinstein, Data Trash, Theory of the Virtual Class (New York, St. Martins Press, 1994) qui a souffert, comme beaucoup d’études de la période, d’une surestimation spéculative d’une « politique du corps » liée à la « réalité virtuelle » et de la négligence relative des capacités réseaux de l’Internet et des téléphones portables parce que l’Internet n’entrait pas dans les catégories de la théorie française de l’époque.
(3) NdT : en français dans le texte.
(4) Cyberselfish: A Critical Romp through the the World of High-tech, Paulina Borsook, Little, Brown & Company, 2000.
(5) Cf www.imaginaryfutures.net/2007/04/17/the-californian-ideology-2/
(6) Le lecteur MoneyLab dont la sortie est prévue en mars 2015 peut être téléchargé ici : www.networkcultures.org/moneylab.

À mon arrivée aux États-Unis, j’ai vécu sans compte bancaire afin d’éviter les procédures bureaucratiques et les frais de transaction élevés imposés par les banques. C’est ainsi que j’ai adopté le bitcoin — une devise cryptée et décentralisée qui a fini par prendre une place capitale dans ma vie.

C’était la veille du Nouvel an 2014 et je me suis lancée un nouveau défi : je voulais essayer de survivre uniquement grâce au bitcoin en boycottant le dollar et toute autre monnaie fiduciaire durant l’intégralité de l’année qui s’annonçait. Je devais trouver un moyen d’obtenir tout ce que l’économie du bitcoin n’était pas (encore) en mesure de me procurer, soit en empruntant une voie alternative (qui évitait complètement l’argent), soit en tentant de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires et imaginables pour obtenir ce que je voulais — préparant ainsi le terrain pour que d’autres passionnés de bitcoin puissent survivre dans un monde où le dollar est roi. Voici ce que j’ai retenu de cette expérience.

# 1 Je n’ai pas besoin de téléphone portable
Il n’existait alors aux États-Unis aucun opérateur de téléphonie mobile qui accepte les bitcoins. J’ai donc dû abandonner mon abonnement T-Mobile et compter uniquement sur les communications wi-fi par le biais du numéro Google Voice que je venais de configurer. Ce problème s’est avéré mineur dans une ville comme Boston où la couverture wifi est quasi-totale.

#2 Le bitcoin vous maintient en forme
Les transports en commun représentent un autre problème. Étant donné que ni le bus, ni le réseau de métro ne m’auraient permis de régler mes tickets en bitcoin, la seule façon pour moi de contourner cet obstacle était soit de marcher, soit de tricher — plus facile à dire qu’à faire au vu du nombre contrôleurs qui patrouillent le système de transports. Heureusement, mon colocataire avait quelques vélos à disposition qu’il m’a laissé emprunter gratuitement. Bien qu’à contrecœur au début (la température de Boston peut baisser jusqu’à –30 degrés en hiver), je m’y suis vite habituée et me suis finalement transformée en véritable passionnée de vélo.

# 3 Je déteste faire les courses
Il serait difficile de me décrire comme une fan du shoping : je déteste tout simplement cette activité, qu’il s’agisse d’acheter des provisions, des vêtements ou toute autre marchandise. En ce sens, vivre en bitcoin m’a effectivement facilité la vie en me faisant comprendre qu’aux États-Unis, au moins, il est possible d’acheter à peu près n’importe quoi en ligne. En termes de besoins de survie élémentaires, mon sauveur était Foodler, un service de livraison de repas qui accepte le bitcoin. Pour d’autres nécessités, je pouvais compter sur Overstock pour les vêtements ou les accessoires et sur TigerDirect pour l’électronique. Il m’était ainsi difficile de trouver quelque chose (que je veuille vraiment) qui soit impossible à acheter grâce au bitcoin.

# 4 Le loyer est moins cher en bitcoin
Le loyer est dû la dernière semaine de chaque mois. Bien sûr, je devais payer mon loyer sans recourir au dollar, ou toute autre monnaie fiduciaire. Ce défi s’est avéré assez facile, car mon propriétaire était lui-même un passionné de bitcoin, qui préférait être payé en bitcoin plutôt qu’en dollars. En fin de compte, nous avons tous deux bénéficié de cette offre : grâce à la haute déflation que traversait le bitcoin, je devais en fait payer moins pour que mon propriétaire gagne plus.

# 5 La vie sociale est surestimée
Il est vite devenu évident que le fait de vivre exclusivement en bitcoin allait considérablement dégrader ma vie sociale. L’essentiel de ce que je pouvais manger ou boire était limité à ce que l’on trouvait chez Foodler. Si je n’étais pas parvenue à convaincre mes amis de manger dans les rares restaurants qui acceptaient le bitcoin (on n’en comptait malheureusement que deux à l’époque), j’aurais toujours mangé seule.

# 6 J’ai besoin d’amis
J’aime à penser que je suis une personne totalement indépendante, mais le bitcoin m’a fait prendre conscience de l’importance des amis. Comme je souffrais de l’impossibilité de dépenser de l’argent, au-delà de ce que je pouvais acheter sur le net par le biais de Foodler et quelques autres sites de vente en ligne de matériel électronique, j’ai élaboré une nouvelle règle — qui aurait pu ressembler, au premier abord, à de la tricherie, mais qui s’est avérée un outil extrêmement utile pour élargir la portée de l’écosystème bitcoin.

Alors que je n’avais pas le droit de me reposer sur des « portefeuilles humains » (c’est-à-dire de demander aux gens de payer pour moi puis les rembourser en bitcoins), j’ai décidé que je pouvais tout de même me servir une seule fois des gens qui n’avaient pas (encore) de portefeuille bitcoin. Cela me permettrait de maintenir un niveau de vie décent, tout en contribuant à l’augmentation du nombre de personnes possédant des bitcoins et qui chercheraient à leur tour des façons de les dépenser. Finalement, je suis devenue une sorte de missionnaire du bitcoin, faisant l’apologie du bitcoin auprès de mes amis pour obtenir ce que je voulais. Une tâche aisée étant donné que mon cercle social aux États-Unis était essentiellement constitué d’un petit groupe de chercheurs de la faculté de droit de Harvard spécialistes d’Internet et d’un groupe de techniciens du MIT.

# 7 L’Europe ne comprend rien au bitcoin
Avec CheapAir, une agence de voyages en ligne qui accepte le bitcoin, je pouvais facilement effectuer des vols aller-retour entre l’Europe et les États-Unis pour assister à des conférences, ateliers et autres évènements de ce genre. Pourtant, vivre du bitcoin en Europe s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu. Il m’était, en effet, impossible d’y survivre sans enfreindre mon serment. Même avec le système du portefeuille humain, je parvenais rarement à convaincre mes amis de participer. La plupart d’entre eux n’avaient jamais entendu parler du bitcoin et ceux qui en avaient entendu parler le voyaient principalement comme une tentative menée par quelques technocrates pour instaurer une société capitaliste crypto-libertaire à travers un système monétaire de Ponzi. J’étais en difficulté.

# 8 Le milieu universitaire peut aider
Le milieu universitaire est notoire pour ses bas salaires. Pourtant, ce que les universités ne donnent pas sous forme de revenu direct est fourni — indirectement — sous forme de voyages, d’hébergement et autres dépenses quotidiennes dont on pourrait avoir besoin dans le cadre d’un événement universitaire. Heureusement, la plupart (voire la totalité) de mes voyages en Europe s’inscrivaient dans le cadre d’une conférence ou d’un atelier où ma présence était requise et où j’étais toujours nourrie — aux sens littéral et figuré — par de la bonne nourriture et une stimulation intellectuelle. Paris, Milan, Barcelone, Amsterdam, San Francisco, Dakar, Rio de Janeiro, Buenos Aires, etc. — plus je prenais l’avion, moins je sentais la nécessité de dépendre d’un type de monnaie fiduciaire ni même, à vrai dire, d’une devise cryptée.

# 9 L’argent est inutile
Tandis que les limites d’une vie reposant sur le bitcoin devenaient de plus en plus évidentes, je me suis rendue compte que l’argent n’est en réalité pas très utile. Je pouvais, en effet, obtenir gratuitement la plupart de ce que j’avais l’habitude de payer (en faisant juste preuve d’un peu de créativité). C’est ainsi que j’ai commencé à développer une nouvelle compétence : trouver de la nourriture gratuite dans divers événements de Harvard, obtenir des boissons gratuites dans les nombreuses soirées du MIT; me faire héberger gratuitement par des amis et par le biais du couchsurfing, me déplacer gratuitement grâce au vélo et à l’auto-stop; participer à des projections gratuites de films dans un parc, des lectures secrètes de poésie dans des maisons abandonnées; des conférences et des colloques gratuits, jusqu’aux séances d’essai pour la gym, le yoga ou la piscine — j’en étais venue à accomplir plus de choses sans argent que je ne l’avais fait auparavant. Mais alors que je m’amusais vraiment, j’ai été hantée par l’idée qu’en vivant du bitcoin, j’étais en train de me transformer progressivement en véritable magouilleuse.

# 10 Plus vous donnez, plus vous recevrez
Si la société me donnait, il me fallait donner en retour à la société. J’ai donc décidé que tout ce que je recevais gratuitement, je devais finir par le passer à quelqu’un d’autre — en espérant qu’il le transmette aussi finalement à un tiers. Plus vous donnez, plus vous recevrez, m’a dit une fois un ami. C’est peut-être la leçon majeure que j’ai retenue de cette expérience. L’argent n’a de fonction que dans une société où les gens ne partagent pas, ni se soucient les uns des autres. En essayant de vivre du bitcoin, j’ai arrêté de me soucier de l’argent, et — par conséquent — j’ai commencé à m’occuper davantage des gens et de ce qui les intéressait. Malgré l’échec technique du défi (car il est pratiquement impossible de vivre exclusivement du bitcoin), l’expérience a été une franche réussite dans la mesure où j’ai découvert les mérites d’une vie sans argent.

Primavera De Filippi
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

L’équation De La Monnaie Du Monde

Cette œuvre représente la Monnaie du monde à travers la formulation créative d’une équation et d’un algorithme d’échange de devises. La création visionnaire d’échanges boursiers algorithmiques associe l’art à la substance qui dirige la société contemporaine. Par cette action, elle vise à introduire de nouvelles pratiques artistiques.

Paolo Cirio, World Currency Equation. Équation. © Paolo Cirio.

Cette œuvre vise à encourager une transformation sociale par la visualisation d’un outil économique positif et innovant. Elle aborde l’instabilité inhérente aux différentes devises, tout comme le besoin d’une nouvelle réserve de change mondiale indépendante, susceptible de conférer pouvoir et unité à la population mondiale. En tant qu’instrument financier pérenne, l’Équation de la monnaie du monde (World Currency Equation) fera office de tampon entre les populations et la volatilité croissante des monnaies individuelles due aux manipulations spéculatives et aux fluctuations économiques, préservant par la même occasion l’accès de différents domaines géopolitiques et sociaux au marché.

L’équation algébrique proposée offre à cette nouvelle monnaie, le (W), de la valorisation et de la liquidité reposant sur la moyenne d’un index de devises individuelles. La formule sécurise et associe des devises nationales dominantes aux devises complémentaires numériques et locales, maintenant ainsi l’autonomie et la diversification dans des cadres conventionnels. L’œuvre est illustrée par la représentation artistique d’une équation mathématique et du diagramme d’un algorithme. Ces deux éléments indiquent la manière dont la valeur de la monnaie est calculée et comment sa liquidité est créée et maintenue.

Comment ça marche
La Monnaie du monde est une réserve de change globale garantie par les devises dominantes. Elle repose sur un index d’estimation de valeur, au sein duquel chaque devise dans un panier boursier influence l’index proportionnellement à son taux de change et à sa marge pour chaque combinaison de paires de devises échangées. La moyenne générale des taux de change détermine le (W). Dans ce système, la stabilité de la valeur du (W) est maintenue par l’échange quotidien de chaque monnaie du panier boursier dans un réseau interconnecté de dépôts.

Paolo Cirio, World Currency Equation. Installation. © Paolo Cirio.

Dans chaque nœud du réseau, le montant de chaque devise stockée correspond uniquement à la moyenne de l’ensemble du réseau. Les gains et les pertes sont eux aussi nivelés pour chaque dépôt. Cette distribution nivelée de multiples réserves de change assure la stabilité de la liquidité et de la valeur du (W). L’équation et l’algorithme utilisent les conventions du marché Forex et contiennent exclusivement de monnaies que l’on peut échanger de manière électronique.

L’équation et l’algorithme
L’équation illustre la manière dont le (W) est calculé à travers un agrégat de valeurs de taux de change d’un panier boursier de devises dominantes compris entre les gains et les pertes que leurs fluctuations génèrent sur la durée. La moyenne mathématique des valeurs de devise dans le panier (A) assure la stabilité du (W). Les gains compensent les pertes dans la moyenne générale (G). Le diagramme illustre la manière dont un algorithme peut agréger automatiquement le (W) en associant les devises à partir des multiples dépôts de réserves et se basant sur le calcul récursif de l’équation (W).

Paolo Cirio
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

L’intégralité de ce texte d’introduction et d’explication a été préalablement publiée le 5 mars 2014 à New York et Zagreb.

Glossaire
W: Valeur de la Monnaie du monde. Symbole (W).
º : Tout symbole de devise dans le panier.
A: Moyenne des taux de change entre chaque paire de devises dans le panier.
G: Moyenne des marges entre chaque paire de devises dans le panier sur la durée.
N: Nombre de devises dans le panier.
Cx: Taux de change actuel de la devise de l’index.
V: Valeur actuelle de la devise de l’index.
T: Sur une période de temps passé et futur.

Infos:
Monnaie du monde (en anglais): wikipedia.org/wiki/World_currency
Réserve de change (en anglais): wikipedia.org/wiki/Reserve_currency
Forex (en anglais): wikipedia.org/wiki/Foreign_exchange_market
Change algorithmique (en anglais) : wikipedia.org/wiki/Algorithmic_trading
La chute du dollar : (en anglais) latimes.com/business/la-fi-shutdown-china-20131015,0,260996.story
La chute du pesos (en anglais) : theguardian.com/2014/argentinian-peso-freefall-economic-crisis-deepens