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Biennale des imaginaires numériques

Expositions, installations, performances, ateliers et tables rondes… Chroniques, la Biennale des imaginaires numériques a pris son envol début novembre dans le Grand Sud, entre Marseille, Aix-en-Provence, Avignon, Istres et Châteauneuf-le-Rouge, et poursuit sa course jusqu’au 19 janvier 2025.

Line Katcho & France Jobin, De-Construct. Photo: D.R.

Cet événement a débuté à Marseille par de nombreuses performances audiovisuelles — dont celles de Line Katcho & France Jobin (De-Construct), Martin Messier (1 Drop 100 Years) — ainsi que des installations sonores et cinétiques (Primum Mobile de Simon Laroche), une expérience participative décalée et immersive d’Adelin Schweitzer (Le test Sutherland) et une autre expérience qui visait à soumettre, de manière passive et en aveugle, une personne à des ondes sonores générant en retour des mouvements et sensations divers (Transvision de Gaëtan Parseihian & Lucien Gaudion)…

Comme lors de la précédente édition, des installations sonores, lumineuses, interactives ou participatives ont marqué également le lancement de la biennale à Aix-en-Provence, dans l’espace public : Lux domus de Josep Poblet, Écrin de 1024 Architecture, Faces d’Iregular… Certaines de ces œuvres in situ seront visibles plusieurs semaines, comme Épique : l’intriguant triptyque vidéo de Maximilian Oprishka

Maximilian Oprishka, Épique… Photo: D.R.

Au long cours, durant toute la biennale, des expositions collectives sont proposées à la Friche Belle de Mai à Marseille. Regroupant une douzaine de vidéos, d’installations et de dispositifs interactifs, PIB – Plaisir Intérieur Brut explore la marchandisation du désir à l’ère numérique. Les œuvres d’Anne Fehres & Luke Conroy, Ugo Arsac, Donatien Aubert, Teun Vonk, Dries Depoorter, Severi Aaltonen, Telemagic, Nina Gazaniol Vérité, Filip Custic, Marit Westerhuis, Chloé Rutzerveld & Rik Van Veldhuizen & Adriaan Van Veldhuizen et Jeanne Susplugas mettent ainsi en lumière les paradoxes de notre époque…

Donatien Daubert, L’Héritage de Bentham. Photo: D.R.

Un parcours intitulé Derniers Délices, en référence au Jardin des délices de Jérôme Bosch, propose des installations immersives conçues par Smack (Speculum) et Claudie Gagnon (Ainsi passe la gloire du monde). L’exposition collective Nouveaux environnements : approcher l’intouchable regroupe des œuvres de modélisation 3D et réalité virtuelle conçues par des artistes québécois (Baron Lanteigne, Caroline Gagné, François Quévillon, Laurent Lévesque & Olivier Henley, Olivia McGilchrist et Sabrina Ratté). À leurs paysages énigmatiques se rajoute Ito Meikyū de Boris Labbé. Une création qui revisite, à la manière d’une fresque en VR, une partie de l’histoire de l’art et de la littérature japonaise.

Dans les derniers jours et en clôture, c’est-à-dire mi-janvier, le public pourra expérimenter de nouvelles formes de récit grâce à La Tisseuse d’histoires du collectif Hypnoscope. Une œuvre hybride et participative qui fusionne spectacle vivant, musique live, réalité virtuelle et création cinématographique. Autre œuvre hybride : Mire de Jasmine Morand (Cie Prototype Status). C’est à la fois une installation kaléidoscopique et une performance chorégraphique qui transfigurent les corps nus des danseurs évoluant dans cette drôle de « machine de vision ».

Adrien M & Claire B, En Amour. Photo: D.R.

Les spectateurs pourront aussi interagir au sein de l’installation immersive d’Adrien M & Claire B (En Amour). Un live A/V de Sébastien Robert & Mark IJzerman sur la thématique des fonds marins, des cétacés qui y vivent et de l’exploitation des ressources minières qui menace cet éco-système (Another Deep) doit également ponctuer cette biennale. La fin, la vraie, celle de la vie comme de la fête, sera « palpable » pendant 15 minutes : l’installation / performance de Studio Martyr propose de s’immerger dans une fête en 3D peuplée de spectres et de vivre, en accéléré et en VR, toutes les étapes du deuil (Disco Funeral VR)…

> Chroniques, biennale des imaginaires numériques
> du 07 novembre au 19 janvier, Marseille, Aix-en-Provence, Avignon, Istres, Châteauneuf-le-Rouge
> https://chroniques-biennale.org/

metteur en son

Martin Messier, jeune artiste montréalais, est devenu l’une des références lorsqu’il s’agit de mettre en scène des œuvres sonores. Ses performances décalées sont présentées dans les plus grands festivals internationaux : Mutek au Canada, Sonar à Barcelone, Transmediale à Berlin ou Nemo à Paris. Elles mettent en avant les corps en mouvement et la musicalité d’objets, tantôt inventés, tantôt détournés.

Martin Messier, Projectors.

Martin Messier, Projectors. Photo: © Maxime Bouchard.

Créée en 2011, Sewing Machines Orchestra rassemble une dizaine de machines à coudre des années 40 composant une véritable symphonie bruitiste. Ces objets — crayons, projecteurs 8 mm ou réveille-matins — se transforment parfois en structure plus abstraite. Machine_Variation, gigantesque mécanisme fait de bois et de métal, explore de nouvelles sonorités à la croisée de l’acoustique et de l’électronique. L’artiste ne cesse de repousser les frontières, mélangeant danse et art numérique à ses compositions. Entre deux dates d’une tournée bien chargée, Martin Messier est revenu sur son parcours. Entretien avec cet artiste qui murmure à l’oreille des objets.

Comment vous êtes-vous dirigé vers les arts numériques ?
Étudiant en électroacoustique au début des années 2000, je ne maîtrisais que le son. Puis je me suis intéressé à la vidéo. Cela m’a forgé une culture numérique, notamment sur la relation son-image. En 2007, je suis devenu membre de Perte de Signal. Dans ce centre d’artistes montréalais, j’ai côtoyé une nouvelle génération qui concevait des installations et qui évoluait dans le domaine des arts médiatiques. Aujourd’hui, je me rends compte que je suis catalogué comme artiste numérique. Tous mes projets sont des performances, mais je ne les aborde pas comme des projets numériques. Avant tout, il faut qu’une expérience vivante se passe, peu importe le médium. La part du corps sur scène est donc prépondérante.

C’est ce qui définit votre empreinte artistique ?
J’accorde toujours une grande importance à la présence humaine même si elle ne définit pas entièrement mon travail. Je préfère parler de « physicalité » sur scène. Je m’intéresse alors à la façon de produire une œuvre. Le résultat final n’est pas chose sacrée. Dans l’ensemble, mes projets ont en commun la synchronisation du son et de la gestuelle. Mon travail se passe uniquement sur scène avec une série d’objets. Je ne produis jamais de CD ou de publications sonores. C’est la performance qui est unique et qui me distingue sans doute des autres artistes.

Vous parlez de « physicalité », pourtant la mécanique est toujours présente…
Ce sont deux notions complémentaires à mes yeux. Les objets que j’utilise, quels qu’ils soient, réveille-matins, électroménagers ou machines à coudre, sont manipulés par des humains. Pour les animer, il doit y avoir un contact physique, un toucher. La rencontre entre la mécanique et l’homme est primordiale.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines. Photo: © Isabelle Gardner, 2010.

D’où vous vient cette passion pour le détournement d’objet ?
L’usage d’objets quotidiens est né d’une volonté de réinventer mon environnement. Je recherche une deuxième fonctionnalité, un second degré aux objets. Ensuite j’effectue un travail d’orchestration et de composition. Nous oublions que la machine à coudre produit du son alors qu’il existe un potentiel musical énorme, plus important d’ailleurs que ce que j’avais initialement imaginé pour Sewing Machines Orchestra. Jusqu’alors l’usage des objets du quotidien était omniprésent. Ils tendent désormais à disparaître de mes créations. Ce n’est donc pas l’essence de mon œuvre. Je suis capable de travailler sur une forme de matériau physique, palpable, mais pas nécessairement dérivée de notre environnement.

Vous entamez donc un nouveau cycle de création ?
Je ne conceptualise jamais mes projets. Ils apparaissent au gré de mes fantasmes. J’ai un rêve, je tente de le réaliser. Le public m’identifie pour mes détournements d’objets, mais passer d’un objet à l’autre indéfiniment n’est pas une démarche séduisante. Depuis peu, je change de direction afin d’amener la musicalité plus loin dans l’expérimentation. Ce qui m’intéresse dorénavant c’est la performance, non l’objet. Ainsi Machine_Variation était déjà un détournement plus abstrait et moins identifiable. La dimension scénographique se place au centre de toute réflexion. Cela permet une visualisation de la forme, du son et du déroulement de la performance. Projectors, illustre mon nouvel attachement à la scénographie.

Quelles sont vos créations les plus marquantes ?
Ma première performance, The Pencil Project [N.D.L.R détournement de crayons], a changé du tout au tout ma façon d’appréhender la création. Pour la première fois, je prenais un objet en le décortiquant et en allant au maximum de ses possibilités. Elle m’a permis de réfléchir à la cohérence d’un projet. Ce qui est acceptable de voir et ce qui ne l’est pas, de faire ou ne pas faire… C’est également à partir de ce moment que j’ai commencé mes premières  collaborations.
Plus tard Sewing Machines Orchestra a connu un vrai succès à travers le monde. Il y a eu un avant et un après cette performance. Je ne m’attendais pas à ce succès même si Singer, la marque des machines à coudre que j’utilise, était mondialement réputée. Finalement j’étais naïf en pensant que je n’allais faire qu’une date.
La Chambre des machines, une machine faite d’engrenages et de manivelles, est une autre création majeure. Pour la collaboration avec Nicolas Bernier [N.D.L.R artiste canadien, auteur de frequencies(a) Prix Ars Electronica 2013]. Ensemble nous avons réalisé la conception sonore et visuelle. Si Nicolas a une démarche conceptuelle, je suis beaucoup plus spontané. Je revendique des concepts simples : faire une performance où la gestuelle est amplifiée.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines. Photo: © Isabelle Gardner, 2010.

C’est ce qui explique un retour à des projets solos ? 
Je crois que les premières collaborations sont toujours faciles. Avec le temps je suis moins enclin à faire des compromis. Je parlais de rêve tout à l’heure… parfois je rêve en solitaire. C’est le cas avec Projectors ou Field qui était présentée pour la première fois à Mutek 2015. Et puis c’est aussi une question de timing… Dans les prochains mois, je termine mes collaborations avec les chorégraphes Anne Thériault et Caroline Laurin-Beaucage. En vérité, je n’aime pas travailler seul. Je préfère me nourrir d’ échanges. Intellectuellement, je trouve cela plus stimulant.

Quels artistes vous ont marqué dernièrement ?
À Berlin j’ai eu la chance de voir une pièce du chorégraphe allemand David Wampach. Les costumes et les décors sont vraiment osés. Son univers m’a totalement surpris. Quand je suis sorti du spectacle, je me suis dit qu’il avait réussi à sortir le spectateur de sa zone de confort. Pour ma part ce fut le cas ! Côté art numérique, sans hésiter, je cite le Mexicain Mario de Vega. Je suis traumatisé par son travail. La meilleure performance jamais vue. Une présence exceptionnelle sur scène alors qu’il n’y a qu’un homme derrière quelques machines. Que quelque chose d’aussi simple soit aussi beau, je trouve cela très inspirant.

propos recueillis par Adrien Cornelissen
remerciements à l’équipe de Stereolux pour l’organisation de cette rencontre
publié dans MCD #79, « Nouveaux récits du climat », sept.-nov. 2015

> http://www.mmessier.com/

art, innovation et cultures numériques

Retour sur la troisième édition du Mirage Festival qui s’est déroulée du 25 février au 1er mars dernier à Lyon. Avec une fréquentation en hausse (7000 visiteurs contre 4500 pour la précédente), la manifestation a prouvé que l’union de propositions innovantes autour d’une volonté fédératrice des acteurs des arts numériques — mais aussi d’une ouverture au grand public — était le bon choix. Une édition réussie donc, subrepticement tournée cette année vers cette « archéologie des médias » dont nous vous parlions dans le numéro 75 de MCD, et qui mixait durant cinq jours technologies high-tech et inspirations low-tech dans un même élan créatif.

Ann-Katrin Krenz & Michael Burk, Kepler’s Dream. Photo: © Maxence Grugier.

Où en sont les arts numériques aujourd’hui ? Vaste question, à laquelle répondait en partie la troisième édition du festival Mirage de Lyon. Les arts numériques en question, prit dans la globalité de leur histoire désormais pérenne prétendent incarner un champ de transgression, d’unification, d’échange et d’hybridation aux propositions quasi infinies, rendues possibles par l’élan technique (voir « techniciste ») de nos sociétés, transformant l’artiste en ingénieur, le créateur en technicien (et inversement !). Bref, ils représentent un bouleversement de tous les codes communément acceptés comme étant ceux du monde de l’art. Ou bien, tout simplement, n’est-ce pas l’aboutissement de l’acte artistique d’aujourd’hui ? En phase avec les évolutions techniques et cognitives de notre temps. Des questions qui étaient justement au cœur de cette édition du festival Mirage, avec ses constants croisements de techniques et d’époques, ses pôles de réflexions aussi (*), dans une ville marquée d’histoire et concentrant de nombreuses volontés, de non moins nombreux acteurs et de multiples lieux aptes à accueillir le fruit de ces recherches.

Mirage en mode nomade
Initié depuis trois ans maintenant par l’Association Dolus et Dolus (Simon Parlange, Jean-Emmanuel Rosnet), le festival Mirage vivait cette année son baptême du feu. Une troisième édition charnière donc, qui installe l’évènement dans la cartographie des propositions culturelles lyonnaises et marque le passage d’un festival « d’initiés » à celui de rendez-vous incontournable des amateurs d’art, d’innovation et de cultures numériques, puisque tel est son intitulé. Un festival qui s’inscrit également dans une mosaïque de lieux, plus par nécessité que par réel choix, mais qui se fait aussi l’écho de la diversité des lieux impliqués dans ses démarches novatrices. Ainsi, nous pouvions découvrir et participer aux œuvres présentées cette année un peu partout sur les pentes de la Croix-Rousse dans le premier arrondissement, dans différentes galeries ou lieux d’exposition.

Le tissu lyonnais en la matière étant exceptionnellement étendu, des performances, Think-Tank et Tech-Tank, mais aussi concerts et installations étaient présentées aux Subsistances (Lyon 1), à Pôle Pixel et au Club du Transbordeur (Villeurbanne), ainsi qu’au Sucre (Lyon 2). Des lieux que les Lyonnais connaissent déjà comme étant les places fortes de la diffusion culturelle. Un symbole pour commencer : le vernissage de la manifestation investissait le Réfectoire Baroque du Musée des Beaux-Arts de Lyon, dont les hauts-reliefs stuqués de Guillaume Simon (1671-1708) se virent ranimés par Folds et Stain, les installations vidéo-morphiques et troublantes de l’artiste Berlinois Robert Seidel !

Arnaud Potier, Golem. Photo: © Arnaud Potier.

To the future…
Il est toujours difficile de témoigner de l’effervescence d’un festival et de donner une vue d’ensemble d’un évènement par essence hétérogène. S’il fallait un thème unificateur, nous pourrions parler de l’omniprésence du croisement des démarches et des époques faisant se percuter ancien et moderne. Qu’il s’agisse de Kepler’s Dream, l’installation des Allemands Ann-Katrin Krenz et Michael Burk à la galerie Sunset (QG du festival) : un savant mélange de haute-technologie (le cœur de cette pièce étant réalisé en impression 3D) et d’esthétique steampunk, ou bien du Timée de Guillaume Marmin et Philippe Gordiani présentée à la Galerie Terremer, et de Golem (Arnaud Pottier – BK / Digital art company) à l’Espace Altnet, tous se réfèrent au passé, à l’histoire (du monde, des idées, de l’art). Quand Kepler’s Dream s’inspire des théories de l’astrophysicien du même nom, Timée, œuvre immersive faites d’images et sons, puise son essence dans l’harmonie de Platon, tandis que Golem, sculpture augmentée, évoque le concept de « l’inquiétante étrangeté ».

… and back
De leur côté, Marcelo Valentes et Julien Grosjean proposaient deux œuvres complémentaires utilisant d’anciennes technologies audios (platines vinyles pour l’un, magnétophone pour l’autre). Stroboscopia était le prétexte d’une histoire du Brésil revisitée à base de disques « customisés », de collages et brisures sur des platines équipées de microscopiques caméras numériques. Tandis La Chambre Rouge, installation participative visuellement attractive, mêlait machines archaïques (micro, Revox) pour un commentaire sur l’évanescence du son et l’histoire des archives sonores. Histoire toujours, grande et petite, celle du cinéma et celle de l’univers, avec Big Bang Remanence de Joris Guibert et Projectors de Martin Messier, deux artistes/bricoleurs passés maîtres de la manipulation analogico-numérique. Le Français a raconté la naissance du monde, trafiquant en direct l’énergie pure du bruit blanc généré par d’antiques téléviseurs, tandis que le Canadien se livra à une performance physique et technique époustouflante, mêlant installation, vidéo et musique électroacoustique à partir de vieux projecteurs Super 8 augmentés.

Julien Grosjean, La Chambre rouge. Photo: © Maxence Grugier.

Du côté de l’innovation…
L’innovation et la réflexion prospective (ou introspective) avaient, bien évidemment, également sa place dans le cadre de cette manifestation lyonnaise. Avec l’installation participative Screencatcher de Justine Emard, plasticienne férue de nouvelles technologies, nous avons pu tester les possibilités de la réalité augmentée, technique appelée à être largement utilisée dans le champ de la création numérique du futur. Idem pour LPT1 de Hugo Passaquin qui offrait au public la possibilité de participer activement à l’élaboration d’une œuvre numérique en temps réel grâce à ses smartphones. Au Lavoir Public, les curieux ont pu également découvrir Hyperlight de Thomas Pachoud. Une œuvre immersive et performative en constante évolution qui unit danse (interprétée par Thalia Ziliotis), musique (David Guerra) et technologies lasers.

De la musique, il y eut aussi durant tout le festival. Tout d’abord avec les performances Live AV du Franco-Américain Pierce Warnecke, et celle du Français Franck Vigroux à la Salle Garcin. Deux moments forts, mettant à mal le corps et l’esprit, sous l’effet d’une peur panique de la désorientation visuelle et sonore tout d’abord (Warnecke), puis sous le choc de la noise industrielle corrosive et puissante (Vigroux). Ensuite, ce furent les prestations du duo Sidekick (transfuge du trio lyonnais Palma Sound System) au Lavoir, et celles des labels 50 Weapons et Creme Organisation au Sucre. Pour conclure, le Mirage se déplaçait au Transbordeur en invitant Fulgent, producteur lyonnais dont la techno à la fois mélodique et abrasive a ravi les fans, et Kangding Ray, artiste français signé sur le label Raster Noton (Alva Noto, Frank Bretschneider) désormais installé à Berlin. Parfait mélange d’énergie et de (retro)futurisme noir à la Blade Runner, leur musique était le point d’orgue (électronique) d’une semaine riche en propositions.

Maxence Grugier
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

Site: www.miragefestival.com

(*) À noter l’élaboration cette année du Mirage Open Creative Forum, co-organisée avec AADN, journée de réflexion et temps d’échange créatifs autour de l’avenir des arts numériques.

post-audio

Retour sur la 16ème édition du festival Elektra marqué, cette année, par le lancement de la première Biennale Internationnale d’Art Sonore. Placée sous le signe du « post-audio », la programmation interroge l’influence du sonore sur notre psyché, explore les différents phénomènes d’écoute, propose de nouvelles modalités d’interrelation entre le son et l’image au travers de rencontres, expositions et performances.

Cod.Act, Nyloïd. Photo: © Gridspace.

Le festival Elektra, qui se déroule à Montréal à la mi-mai, s’est ouvert cette année avec une table ronde en compagnie de [The User] et des auteurs de la monographie qui leur est consacrée. Les installations sonores de Thomas McIntosh et Emmanuel Madan illustrent le questionnement multiple du « post-audio ». Un questionnement reconduit ensuite avec Resonant Architecture du collectif Art Of Failure, représenté par Nicolas Maigret. Une projection vidéo où se succèdent friches industrielles, jungles urbaines et paysages dévastés qui servent, au sens strict, de caisse de résonnance à des objets architecturaux atypiques.

Une « mise en vibration » qui atteint son paroxysme avec une installation monumentale qui se dresse au milieu de nulle part, tel un gigantesque totem chargé de piéger des sons. À la suite de cette présentation, place à l’inauguration de la Biennale Internationnale d’Art Sonore au Musée d’Art Contemporain de Montréal, avec la nouvelle installation performative de Cod.Act. Baptisée Nyloïd, impressionnante par sa taille, il s’agit d’une sorte de tripode constitué de tubulures souples en nylon. Soumis à des contraintes mécaniques, l’alien s’agite, se tord en émettant des borborygmes, comme pris de convulsions devant un public craintif.

Dans une ambiance plus feutrée et studieuse, le Marché International d’Art Numérique initié par Elektra rassemble des professionnels (artistes, festivals, revues, médialabs, commissaires…). L’occasion pendant 2 après-midis passés au Centre Phi de croiser des expériences. De mesurer également l’importance du contexte socio-culturel et économique dans lequel peuvent s’ancrer des initiatives; notamment pour les pays du Sud. Ainsi, par exemple, le SESC (Service Social du Commerce), une institution privée brésilienne qui œuvre dans le domaine des services, de l’éducation et de la santé, mais qui a également un Département consacré aux Arts visuels et numériques, et peut réunir un public bigarré dans un quartier qui se met à vibrer sur du mapping et de la drum-n-bass !

Alex Augier, oqpo_oooo. Photo: © Gridspace.

La rencontre avec les chercheurs, artistes et étudiants affiliés à l’Hexagram-UQAM (le centre de recherche en arts médiatiques de l’Université du Québec à Montréal) était également propice à l’échange d’impressions avec la découverte de works in progress dans le domaine des dispositifs scéniques, des vêtements connectés… Outre quelques présentations et expositions satellites, Elektra proposait aussi, de manière plus inattendue, un aperçu des ateliers créatifs-pédagogiques à destination des enfants avec la contribution d’Herman Kolgen dans une performance audio-visuelle aux allures de fête de fin d’école !

Plus adulte, si ce n’est cérébral, l’exercice d’écoute proposé par Nicolas Bernier avec un dispositif très simple (oscillateur, diapason, haut-parleur), qui repose sur le télescopage d’oscillations générées par deux sources, électronique et analogique (Frequencies (friction). Autre installation audiovisuelle et multicanal jalonnant un des lieux investis par Elektra, Topologies de Quayola qui opère une réinterprétation géométrique des peintures classiques de Velasquez et Tiepolo, les transformant ainsi en une sorte d’origami en mouvement qui semble conçu avec du papier froissé. Il y a aussi Temporeal, l’étrange installation cinétique de Maxime Damecour, qui nous force à observer de près un filament presque fluorescent qui réagit aux basses fréquences.

Concernant les lives, tout a démarré avec 2 sets immersifs sous le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). C’est un peu comme la Géode : les images recouvrent complètement notre champ de vision. Allonger, le voyage astral commence avec des rectangles colorés que Paul Prudence enchaîne à des effets tunnel sur une bande-son à la fois planante et coupante (Lumophore II). À sa suite, le collectif turc Ouchhh exploite le même principe, mais avec des textures en noir et blanc plus travaillées, plus complexes, évoluant au gré de patterns électroniques sculptées au scalpel (Homeomorphism, suivi de Solenoid). Un moment fort du festival.

Alva Noto & Byetone + Atsuhiro Ito, Diamond Version. Photo: © Gridspace.

Les autres lives se sont déroulés à l’Usine-C. Sur l’ensemble de la programmation, nous retiendrons l’étonnant jonglage avec des projecteurs de Martin Messier (Projectors), la leçon de DJing avec des toupies lumineuses de Myriam Bleau (Soft Revolvers) produisant des sonorités ondulantes qu’il vaut mieux écouter sans avoir mangé gras avant… On retrouve Paul Prudence, en 2D cette fois (Cyclone II). Dans un registre plus « techno-tronique », Alex Augier s’est imposé avec ses compositions très « mathématiques » prolongées par des lignes de fuites projetées sur une structure cubique (oqpo_oooo). Hors de ce dispositif, on observe une proximité d’intention de sonorités avec le set « algorithmique » de Julien Bayle (ALPHA). Par contre, Franck Bretschneider, accompagné de Perce Warnecke pour les visuels, nous a laissés pantois : trop décousu, trop brut, trop improvisé, trop « free » par rapport à son album éponyme paru sur Raster Noton (Sinn+Form); en dehors d’un moment calme au milieu de ce fatras sonore, sous forme d’une boucle mélodique.

Nous avons préféré, de loin, ses acolytes Olaf Bender (Byetone) et Carsten Nicolai (Alva Noto) qui clôturaient les sessions le samedi soir. Ils ont livré un set cinglant, doté d’une force brute et d’un volume conséquent. Le tandem était épaulé par Atsuhiro Ito qui jouait de l’optron. Un instrument qu’il a inventé, qui ressemble à un néon perclus de capteurs avec lequel il se livre à des solos plein de luminescences et de stridences. Un peu plus tard dans la nuit, les derniers festivaliers encore valides après ces 4 jours intenses ont rejoint Alain Thibault, directeur d’Elektra, et son équipe pour un dernier set dans un bar-club (le Datcha, rue Laurier Ouest pour les connaisseurs). Rendez-vous est pris pour l’année prochaine…;)

Laurent Diouf
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

> http://elektrafestival.ca