Archive d’étiquettes pour : Justine Emard

Détection, analyse, surveillance, reproduction, algorithme, génération… À la lecture de ces mots qui défilent sur la vidéo de présentation de l’exposition Le Monde selon l’IA, qui se tient au Jeu de Paume à Paris, on se surprend à se demander quel aurait pu être le regard sur l’intelligence artificielle de certains de nos maîtres à penser du siècle dernier comme Michel Foucault par exemple.

Taller Estampa, What do you see, YOLO9000? Photo: © Taller Estampa,.

Au travers d’œuvres « anciennes » par rapport au sujet, c’est-à-dire pour certaines datant d’une dizaine d’années, et d’autres inédites, cette exposition fait le point sur les deux principaux protocoles de l’IA. D’une part l’IA analytique, qui analyse et organise des masses de données complexes, d’autre part, l’IA générative capable de produire de nouvelles images, sons et textes. Mais sur l’ensemble, c’est surtout l’image, parfois horrifique, qui est centrale.

L’émergence de l’informatique puis l’omniprésence d’Internet ont déjà changé radicalement les pratiques artistiques, permettant aussi d’explorer de nouvelles formes créatives. L’IA marque encore une autre étape dans ce bouleversement des processus créatifs entraînant aussi la redéfinition des frontières de l’art. Plus largement, c’est tout notre rapport au monde qui se transforme avec l’IA ; une évidence qui transparaît aussi au travers des œuvres exposées.

Taller Estampa, What do you see, YOLO9000? Photo: © Taller Estampa,.

Avec Metamorphism, une concrétion où se fondent divers composants électroniques (cartes-mères, disques durs, barrettes de mémoire, etc.), Julian Charrière réinscrit les technologies du numérique dans leur matérialité en jouant ainsi sur leur dimension « géologique ». Autre préambule sous forme de rappel historique : Anatomy of an AI system et Calculating Empires de Kate Crawford & Vladan Joler. Deux diagrammes impressionnants dans lequel notre regard se perd, et qui retracent sur 500 ans la généalogie des multiples avancées scientifiques, inventions techniques et révolutions socio-culturelles qui préludent aux technologies actuelles.

En retrait, comme pour chaque partie de l’espace d’exposition, on peut découvrir un « complément d’objets » : appareils anciens, dessins, reproductions, livres (tiens, un Virilio sous vitrine…), maquette, etc. Des « capsules temporelles » qui accentuent encore le chemin parcouru par progrès technique et de la supplantation de ces anciens artefacts par le numérique…

Kate Crawford & Vladan Joler, Calculating Empires. Photo : D.R.

Avec Trevor Paglen, nous plongeons au cœur du problème que peut poser l’IA analytique notamment avec les procédures de reconnaissance faciale. Son installation vidéo, Behold These Glorious Times!, nous montre la vision des machines. En forme de mosaïque, on voit se succéder à un rythme effréné une avalanche d’images (objets, silhouettes, visages, animaux, etc.) qui servent pour l’apprentissage des IA…

Une autre installation vidéo interactive de Trevor Paglen, Faces Of ImageNet, capture le visage du spectateur qui se retrouve dans une immense base de données. Son « identité » est ensuite classifiée, catégorisée après être passée au crible d’algorithmes qui révèlent de nombreux préjugés (racisme, etc.). Ces biais sont aussi dénoncés d’une autre manière par Nora Al- Badri (Babylonian Vision) et Nouf Aljowaysir (Salaf). Une préoccupation également partagée par Adam Harvey avec son projet de recherche (Exposing.ai) autour des images « biométriques ».

Trevor Paglen, Faces Of ImageNet. Photo : D.R.

Hito Steyerl propose également une installation vidéo, spécialement conçue pour l’exposition, qui rappelle que l’homme n’a pas (encore) complètement disparu dans cet apprentissage des machines. Cette œuvre est intitulée Mechanical Kurds en référence au fameux « Turc mécanique », cet automate joueur d’échec du XVIIIe siècle qui cachait en réalité un vrai joueur humain. La vidéo montre « les travailleurs du clic », en l’occurrence des réfugiés au Kurdistan, qui indexent à la chaîne des images d’objets et de situations, contribuant à l’entraînement de véhicules sans pilotes ou de drones…

Même sujet et objectif pour les membres du studio Meta Office (Lea Scherer, Lauritz Bohne et Edward Zammit) qui dénoncent cet esclavage numérique dans la série Meta Office: Behind the Screens of Amazon Mechanical Turks (le pire étant sans doute que la plateforme de crowdsourcing du célèbre site de vente en ligne s’appelle bien comme ça…). Agnieszka Kurant s’intéresse aussi à ces « fantômes », ces ghost-workers basés dans ce que l’on appelle désormais le Sud Global, en les rendant visibles au travers d’un portrait composite (Aggregated Ghost).

Meta Office, Behind the Screens of Amazon Mechanical Turks. Capture d’écran. Photo: D.R.

Theopisti Stylianou-Lambert et Alexia Achilleos se penchent également sur d’autres travailleurs invisibles : ceux qui ont contribué aux grandes campagnes de fouilles menées par les archéologues occidentaux au XIXe siècle. Le duo d’artistes leur donnent symboliquement un visage à partir d’images générées par des GANs sur la base d’archives photographiques d’expéditions conduites à Chypre (The Archive of Unnamed Workers). Dans une autre optique, Egor Kraft présente une série d’objets archéologiques « fictifs », c’est-à-dire des sculptures et frises antiques (re)constituées en 3D à partir de fragments grâce à une IA générative (Content Aware Studies). Ce procédé, depuis longtemps utilisé par les scientifiques, déborde ici son champ d’application premier.

Toujours grâce à l’IA générative et un réseau neuronal, Justine Emard propose des sculptures et des nouvelles images inspirées des dessins immémoriaux de la grotte Chauvet (Hyperphantasia, des origines de l’image). Grégory Chatonsky explore toujours les émotions, les perceptions et les souvenirs au travers d’une installation intriguante et funèbre, véritable cénotaphe qui mélange textes, images et sons transformés en statistiques dans les espaces latents des IA (La Quatrième Mémoire). De son côté, Samuel Bianchini « ré-anime » les pixels d’un cimetière militaire. Il s’agit de la troisième version de Prendre vie(s). Une animation née d’une simulation mathématique appelée « jeu de la vie » qui engendre des « automates cellulaires » qui développant des capacités sensorimotrices non programmées.

Grégory Chatonsky, La Quatrième Mémoire. Photo: D.R.

Julien Prévieux continue de jouer sur et avec les mots. L’IA ou, plus exactement, les failles et les dysfonctionnements cachés des grands modèles de langage (LLM) comme ChatGPT ou LLaMA, lui permettent de composer des textes et diagrammes vectorisés, des poèmes visuels que l’on découvre dans l’escalier reliant les 2 niveaux de l’exposition ; ainsi que des œuvres sonores, des poèmes lus ou chantés à partir de boucles et d’extraits de contenus collectés pour entraîner les chatbots (Poem Poem Poem Poem Poem). Comme le précise Julien Prévieux : dans cette nouvelle forme de poésie concrète, les directions vers le haut s’additionnent pour nous mener vers le bas, et le mot « erreur » contient définitivement un « o » et deux « r »

Julien Prévieux, Poem Poem Poem Poem Poem. Photo : D.R.

Il est aussi question de poésie générative avec David Jhave Johnston. Initié en 2016, son projet ReRites fait figure de pionnier en la matière. À l’aide de réseaux neuronaux personnalisés et réentraînés périodiquement sur 600 000 vers, un programme crée des poèmes que David Jhave Johnston améliore et réinvente lors de rituels matinaux de coécriture. Cette démarche, mêlant IA et créativité humaine, a donné lieu à une publication en douze volumes et à une installation vidéo. Les textes sont aussi disponibles gratuitement en format .txt; .epub et .mobi sous license Creative Commons.

Sasha Stiles préfère parler de « poétique technologique » pour qualifier son poème coécrit avec Technelegy, un modèle de langage conçu à partir de la version davinci de GPT-3, et calligraphié par le robot Artmatr (Ars Autopoetica). Le collectif Estampa joue aussi sur les mots en utilisant des LED pour afficher des textes générés par des modèles d’IA générative et mettre en lumière leur logique récursive ainsi que leur tendance à la répétition délirante (Repetition Penalty).

Laurent Diouf

Samuel Bianchini, Prendre vie(s), 3e version. Photo : D.R.

> Le Monde Selon l’IA
> exposition avec Nora Al-Badri, Nouf Aljowaysir, Jean-Pierre Balpe, Patsy Baudoin et Nick Montfort, Samuel Bianchini, Erik Bullot, Victor Burgin, Julian Charrière, Grégory Chatonsky, Kate Crawford et Vladan Joler, Linda Dounia Rebeiz, Justine Emard, Estampa, Harun Farocki, Joan Fontcuberta, Dora Garcia, Jeff Guess, Adam Harvey, Holly Herndon et Mat Dryhurst, Hervé Huitric et Monique Nahas, David Jhave Johnston, Andrea Khôra, Egor Kraft, Agnieszka Kurant, George Legrady, Christian Marclay, John Menick, Meta Office, Trevor Paglen, Jacques Perconte, Julien Prévieux, Inès Sieulle, Hito Steyerl, Sasha Stiles, Theopisti Stylianou-Lambert et Alexia Achilleos, Aurece Vettier, Clemens von Wedemeyer, Gwenola Wagon…

> du 11 avril au 21 septembre, Jeu de Paume, Paris
> https://jeudepaume.org/

En collaboration et co-production avec l’Observatoire de l’Espace du CNES, jusqu’au début janvier 2025, le Centre des Arts d’Enghien propose une exposition qui regroupe des vidéos, photographies, installations et dessins numériques mis en relation avec des objets témoins de l’histoire de l’aventure spatiale (instruments techniques, archives graphiques, documents audiovisuels).

Antoine Belot, Un ballon qui dérive se fiche de savoir l’heure qu’il est. Photo: D.R.

Si les scientifiques cherchent à décrypter l’Espace, les artistes cherchent à montrer comment l’Espace renouvelle notre imaginaire. Le parcours de cette exposition est divisé en trois parties. Dans la première, les œuvres sont créées à partir d’images d’archives qui sont détournées et transformées. Antoine Belot s’est saisi de films retraçant les premiers lancements de ballons stratosphériques et la naissance du projet Éole (Un ballon qui dérive se fiche de savoir l’heure qu’il est).

Au travers de son installation CSG, Bertrand Dezoteux utilise des archives visuelles de la construction du Centre spatial guyanais pour créer des environnements 3D (photo et vidéo) créant ainsi une ville nouvelle, fictive, dans laquelle le visiteur est invité à déambuler.

À la frontière de la vidéo contemporaine, du cinéma expérimental et de la recherche plastique, Post-Machine d’Olivier Perriquet donne une autonomie troublante aux plans d’objets de l’aventure spatiale (fusées, satellites, véhicules, sondes spatiales, etc.) qui semblent ainsi répondre à une forme de déterminisme…

Justine Emard, In Præsentia. Photo: D.R.

Sensible à l’esthétique des dessins techniques, des équipements, mais aussi des discours qui forment le décorum des débuts de l’aventure spatiale française, Erwan Venn propose une exploitation ornementale et domestique des archives du projet Diamant, le premier lanceur de satellites français, qui se déploie comme les motifs d’un papier peint (À la conquête de l’Espace !).

La deuxième partie de l’exposition est axée autour des véhicules, des animaux et de l’intelligence artificielle employés dans l’exploration spatiale. Grâce au deep learning, toujours à partir d’images d’archives, Véronique Béland a ainsi entraîné une intelligence artificielle pour qu’elle construise une nouvelle génération d’engins spatiaux sans intervention humaine (En sortie, le scientifique de l’espace : point sur la conception).

Plasticienne et vidéaste, Justine Emard montre un singe qui observe des images d’expériences scientifiques : premiers vols en impesanteur réalisés par d’autres singes, météorite flottant à bord de la Station spatiale internationale et vues de la Lune captées par des sondes d’exploration. Dans cette mise en abîme, les gestes et réactions de l’animal devant les images projetées guident le récit du film (In Præsentia).

Eduardo Kac, Télescope intérieur. Phto: D.R.

La série de dessins de Romain Sein, Éphéméride, reprend les angles de vue classiques de la communication scientifique pour construire un récit où ce n’est pas l’observation humaine qui est au centre, mais bien l’action des objets spatiaux (le télescope Hubble qui observe la comète Neowise, une sonde qui rencontre un astéroïde, les traces du rover Curiosity visibles sur Mars).

La troisième et dernière partie de l’exposition réunit des œuvres pensées et créées en rapport avec les spécificités de l’espace, en particulier l’absence de pesanteur. Artiste multimédia et performeur, Renaud Auguste-Dormeuil a réalisé une installation vidéo immersive qui adopte cinq points de vue différents et convoque les sensations de désorientation éprouvées lors des phases successives d’impesanteur et d’hypergravité. Les images ont été tournées à bord de l’Airbus Zero-G qui réalise des vols paraboliques reproduisant un état de micropesanteur.

Baptisée Télescope intérieur, la sculpture de papier d’Eduardo Kac paraît, au premier abord, éloignée de ce contexte. Pourtant elle a flotté à l’intérieur de la Station spatiale internationale lors de la mission spatiale Proxima de l’Agence spatiale européenne en 2016. Elle a été aussi l’objet d’une performance réalisée, in situ, par Thomas Pesquet. Sa forme laisse apparaître le mot « MOI » et évoque aussi une silhouette humaine au cordon ombilical coupé, symbole de l’émancipation de nos limites gravitationnelles…

> exposition Encoder l’Espace
> du 19 septembre au 05 janvier, Centre des Arts, Enghein
> https://www.cda95.fr/

exposition-performance

Conçue comme une série de plongées immersives et spectaculaires dans le monde onirique des machines, l’exposition-performance Artificial Dreams dresse un panorama de la création artistique assistée par l’IA et les algorithmes, à ce moment décisif qui représente à la fois l’émergence symbolique de l’IA, mais aussi son expansion accélérée. Cette plongée grand format dans le monde poétique des algorithmes génératifs et de la création numérique assistée par l’IA est organisée sous le commissariat de Charles Carcopino.

Parmi les 12 artistes qui propose des œuvres dans le cadre de cet événement, figure notamment Markos Kay dont pratique de l’art et du design s’étend des médias sur écran à l’impression… Son travail peut être décrit comme une exploration continue de l’abstraction numérique à travers l’expérimentation de méthodes génératives. Ses expériences explorent souvent la complexité des mondes invisibles et mystérieux de la biologie moléculaire et de la physique des particules. Un thème majeur de son travail est le paradigme informatique des sciences naturelles, tel qu’il apparaît dans la relation entre l’observation scientifique, la simulation et la visualisation. En 2014, Kay a lancé un laboratoire d’art expérimental dans le but d’explorer les intersections du numérique et de la physique en combinant des simulations informatiques et des techniques procédurales avec la peinture, les textiles, la céramique et la sculpture.

Utilisant une combinaison de technologie numérique et d’aquarelles, le travail d’Andy Thomas est une représentation symbolique de la collision de la nature avec la technologie, fusionnant des images de flore et de faune dans des formes abstraites évoluées. Des compositions complexes de plantes et d’animaux témoignent clairement de l’impact de la technologie sur la planète Terre et de la manière dont les progrès de la société affectent les systèmes naturels de vie. Ces dernières années, Thomas a commencé à expérimenter des logiciels audio-numériques, ouvrant ainsi une nouvelle branche de sa pratique. Cette nouvelle série d’installations vidéo animées représente visuellement les voix de la nature et crée un environnement étrange de son et de lumière.

Les œuvres de Ryoichi Kurokawa prennent de multiples formes telles que des installations, des enregistrements et des pièces de concert. Il compose à partir d’enregistrements de terrain et de structures générées numériquement, puis en reconstruit architecturalement le phénomène audiovisuel. En 2010, il a reçu le Golden Nica du Prix Ars Electronica dans la catégorie Musiques Numériques & Art Sonore.

Enseignant à l’Université Keio SFC, Daito Manabe a fondé à Tokyo Rhizomatiks en 2006, une organisation spécialisée en art digital. Ses œuvres se basent sur une observation des matériaux et des phénomènes quotidiens pour découvrir et élucider les potentialités essentielles inhérentes au corps humain, aux données, à la programmation, aux ordinateurs et à d’autres phénomènes, sondant ainsi les interrelations et les frontières délimitant l’analogique et le numérique, le réel et le virtuel.

Le tandem artistique MSHR (Brenna Murphy & Birch Cooper), est à l’origine de performances et d’installations audiovisuelles qui impliquent des systèmes électroniques génératifs et interactifs intégrés dans des réseaux sculpturaux immersifs et l’utilisation de circuits analogiques et des logiciels open source pour sculpter des hyper-objets en résonance mutuelle.

Collectif d’artistes multidisciplinaires, Visual System explore les relations entre espace et temps, nature et science, rêveries et réalité en combinant architecture et lumière. Dans ses dispositifs, Justine Emard associe photographie, vidéo et réalité virtuelle, et expériences de deep-learning. Son travail est au croisement entre les neurosciences, les objets, la vie organique et l’intelligence artificielle.

Artiste canadienne basée à Montréal, Sabrina Ratté crée des écosystèmes qui évoluent au sein d’installations interactives, de séries de vidéos, d’impressions numériques, de sculptures ou de réalité virtuelle. Influencées par la science-fiction, la philosophie et divers textes théoriques, ses œuvres explorent la convergence technologie et de la biologie, l’interaction entre la matérialité et la virtualité, ainsi que l’évolution spéculative de notre environnement.

Artificial Dreams, exposition-performance
> du 16 mai au 08 juin, Grand Palais Immersif, Paris
> les jeudis, vendredis et samedis de 19h30 à 23h00
> https://grandpalais-immersif.fr/

Biennale internationale des arts numériques

Némo est de retour en cet automne 2023. Comme les éditions précédentes, la Biennale Internationale des Arts Numériques essaime à Paris et dans toute l’Île-de-France jusqu’au début de l’année prochaine. Plus d’une vingtaine de lieux sont investis pour cette manifestation.

collectif Universal Everything, Maison Autonome. Photo: D.R.

L’inauguration de cette biennale tentaculaire s’est faite au CentQuatre à Paris avec l’exposition Je est un autre ? dont le titre reprend les mots de Rimbaud. Derrière cette assertion, c’est toute une thématique autour des représentations et personnalités multiples que chacun abrite désormais grâce (ou à cause) du numérique.
Copies, doubles, mutants, avatars, identités factices, technologies de l’égo, quêtes de visibilité, (dis)simulations, emprises, deepfakes, chimères, métamorphoses et univers parallèles font désormais partie de notre quotidien.
C’est tous ces « effets miroirs » qui sont mis en scène dans cette exposition au travers de vidéos immersives, d’installations interactives et autres œuvres hybrides conçues par Jean-Luc Cornec (TribuT), Marco Brambilla (Heaven’s Gate), Bill Vorn (Intensive Care Unit), Frederik Heyman (Virtual Embalming), Ian Spriggs (Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad), Donatien Aubert (Veille Infinie), Encor Studio (Alcove LTD)…

Pendant trois mois, d’autres expositions, spectacles, installations, rencontres et performances viendront creuser ce sujet et rythmeront le déroulé de la biennale le temps d’une journée, d’une semaine ou de plusieurs mois. Ainsi jusqu’au 5 janvier à La Capsule, le Centre culturel André Malraux du Bourget, Chen Chu-Yin et Daphné Le Sergent extrapolent autour des DAO (Decentralized Autonomus Organizations) ; en français les Organisations Autonomes Décentralisées. Soit des « communautés internet » formées autour d’un intérêt commun que les deux artistes abordent par le biais de la mémoire artificielle et de l’intelligence collective.

Au Cube de Garges, une exposition collective enterre avec un peu d’avance le monde digital, celui du geste sur nos écrans tactiles, pour nous faire entrevoir le monde de demain, celui des interfaces actionnées par la pensée. Intitulée Cerveau-Machine, cette exposition prévue jusqu’au 16 décembre réunie notamment Memo Akten, Maurice Benayoun, Justine Emard, Neil Harbisson & Pol Lombarte, Mentalista, Adrian Meyer, Julien Prévieux, Marion Roche… Un cycle de projections, deux œuvres de réalité virtuelle réalisées par Mélanie Courtinat et Lena Herzog, un live de Sugar Sugar et une performance audiovisuelle de TS/CN (Panorama) sont également prévus en écho à cette expo.

TS/CN, Panorama. Photo: D.R.

Échantillons de soi est une autre exposition collective autour des « personnalités multiples » qui nous hantent dans le réel comme dans le virtuel et de la pratique d’échantillonnage (son, image). Ou approchant. Les œuvres d’Ines Alpha, Renaud Auguste-Dormeuil, Emilie Brout & Maxime Marion, Grégory Chatonsky, Dasha Ilina, Bettie Nin et Fabien Zocco présentées à La Traverse, Centre d’art contemporain d’Alfortville, brouillent également, pour certaines du moins, la frontière entre sphère privée et monde de l’art.

Au Centre Culturel canadien à Paris, du 7 décembre 2023 au 19 avril 2024, il sera question d’Infinies Variations par le biais des créations de Nicolas Baier, Salomé Chatriot, Chun Hua, Catherine Dong, Georges Legrady, Caroline Monnet, Oli Sorenson, Nicolas Sassoon, Christa Sommerer & Laurent Mignonneau et Timothy Thomasson. C’est le troisième volet d’une trilogie conçue par les commissaires d’exposition Dominique Moulon, Alain Thibault et Catherine Bédard qui explorent, cette fois, la notion de série telle qu’elle se présente dans l’histoire de l’art depuis le XIXe.

Au Bicolore, l’espace culturel et la plateforme digitale de la Maison du Danemark à Paris, sur une thématique voisine (Multitude & Singularité) appliquée aux êtres comme aux technologies, on découvrira des œuvres de Stine Deja & Marie Munk, Jeppe Hein, Mogens Jacobsen, Jakob Kudsk Steensen, Jens Settergren et Cecilie Waagner Falkenstrøm qui reflètent la complexité du monde dans sa version numérique. Aux Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, du 8 au 17 décembre, la compagnie Adrien M & Claire B présentera Dernière minute. Une installation doublée d’une expérience immersive qui inclue les spectateurs. Le concept : une minute est étirée sur une demi-heure. La source d’inspiration : le décès d’un père et la naissance d’un fils. Le sujet : l’intervalle, cette fameuse minute, qui précède la vie ou la mort…

Stine Deja & Marie Munk, Synthetic Seduction: Foreigner. Photo: D.R.

Début décembre également, lors de l’Open Factory #7 au CentQuatre, on pourra aussi solliciter Tally, l’apprentie artiste quantique mise au point par Matthieu Poli avec Alexis Toumi et Sven Björn Fi. Cette intelligence artificielle (impossible d’y échapper dans une telle manifestation) utilise les possibilités uniques de l’ordinateur quantique pour composer des œuvres abstraites qu’elle dessine ensuite à l’aide de bras robots. Elle apprend continuellement en intégrant les réactions du public, définissant ainsi une sensibilité artistique propre. Contrairement aux intelligences artificielles génératives classiques qui se contentent de reproduire l’existant, Tally cherche à comprendre en profondeur la structure des œuvres d’art. À voir…

Durant ce trimestre riche en propositions artistiques, on retiendra aussi Lumen Texte, la performance « pour un vidéo projecteur et un plateau vide » du Collectif Impatience au MAIF Social Club à Paris. Chutes, l' »opéra électronique » source d’expérience synesthésique de Franck Vigroux / Cie Autres Cordes à la MAC de Créteil. La nouvelle version d’A-Ronne, le « théâtre d’oreille » conçu par Luciano Berio & Sébastien Roux, proposée par Joris Lacoste au même endroit. Cette pièce sonore explorera les ambiguïtés entre voix et électronique, voix amplifiées ou réverbérées dans l’espace, voix jouées dans le casque ou entendues « à travers » le casque.

On testera Earthscape ou la déambulation philosophique initiée par la Cie Zone Critique, sur un modèle rappelant les dérives situationnistes (en plus sérieux…), qui investira la Scène de Recherche de l’École Nationale Supérieure Paris-Saclay à Gif-sur-Yvette. Sur l’esplanade de La Défense, on retrouvera une autre installation d’Encor Studio, Hemispheric Frontier — un cercle clignotant de néons assez hypnotiques se reflétant sur une surface aqueuse — et la Lune Dichroïque de Jérémie Bellot. Une sorte de grosse boule à facette translucide et colorée. Nourri par la géométrie polyédrique et les arts mathématiques, nous dit-on, ce plasticien et architecte de formation, interroge le rôle de la lumière dans l’espace vécu et dans l’espace perçu à travers des dispositifs audiovisuels immersifs.

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Némo
Biennale internationale des arts numériques
> jusqu’au 7 janvier 2024
> https://www.biennalenemo.fr/

de la Biennale des Imaginaires Numériques

Émanation des associations Seconde Nature et Zinc, la Biennale des Imaginaires Numériques se déroule jusqu’au 22 janvier sur Aix-en-Provence, Marseille et Avignon. Cette troisième édition, lancée le 10 novembre dernier, est axée autour de la thématique de la nuit. Une thématique déclinée au travers de nombreuses installations, expositions, performances, concerts… Un moment d’échange est également réservé aux acteurs culturels lors de Rencontres Professionnelles du 18 au 22 janvier.

Ce rendez-vous, gratuit sur inscription, propose des tables rondes pour débattre des questions qui traversent actuellement l’art numérique, en particulier à propos des NFT. Une remise du prix de la Fondation Vasarely x Chroniques. Un focus sur le MIAN (Marché International de l’Art Numérique) avec la présence d’artistes, producteurs et programmateurs des pays invités lors des 3 éditions de la Biennale (Québec, Taiwan, Belgique).

Ces rencontres professionnelles seront aussi l’occasion de découvrir le programme européen Digital Inter/Section (DI/S) qui propose des modèles de développement pour des institutions culturelles du secteur des arts et cultures numériques. Ce projet vise à diversifier les sources de revenus et les modèles commerciaux de ces organisations tout en promouvant un développement économique durable, éthique et inclusif..

Rencontres Professionnelles de la Biennale des Imaginaires Numériques
> tables rondes, expositions et performances avec Ombeline Rosset, Pierre Pauze, Lucie-Eléonore Riveron, Justine Emard, Pierce Warnecke, Ana Bedenko, Mario Kudnosky, Klio Krajewska, Nicolas Wierinck, Wen-Chi Su
> du 18 au 22 janvier, Aix-en-Provence, Marseille, Avignon
> https://chroniques.org/

Design Des Signes : de l’œuvre à l’usage

Expositions, performances, VR, conférences, lives, projections : la 22ème édition du Festival accès)s( est axé autour du design et à sa capacité à faire signe dans l’Art.

L’invité d’honneur n’est autre que Samuel Bianchini présent avec 8 pièces, anciennes et récentes. Il interroge les rapports entre nos dispositifs technologiques, nos modes de représentation, nos nouvelles formes d’expériences esthétiques et nos organisations sociopolitiques en collaboration avec de nombreux scientifiques et laboratoires internationaux de recherche en sciences de la nature et en ingénierie.

Il y a aussi les fantômes d’artistes pionniers aujourd’hui disparus : Robert Breer (Floats, des sculptures flottantes créées au milieu des années 60 et exposées à l’exposition universelle d’Osaka en 1970) et Nicolas Schöffer (Lumino, une sculpture lumineuse élaborée en 1968 et qui a été commercialisée internationalement).

Parmi les œuvres étonnantes, signalons Haruspices, l’installation pneumatique et évolutive de Jonathan Pêpe. Composé d’une cage thoracique rigide à laquelle s’adjoint quatre organes en silicone, l’engin pulse un rythme d’humeurs déterminées par des flux en temps réel d’informations provenant des réseaux sociaux puis interprétés en quatre « émotions » par l’intelligence artificielle IBM Watson.

Mentionnons aussi Bug Antenna de Raphaëlle Kerbrat qui rend perceptible les ondes électromagnétiques, invisibles à l’œil nu, et inaudibles pour l’être humain, mais omniprésentes dans nos quotidiens. La sculpture-objet en réalité augmentée de Grégory Chatonsky et du designer Goliath Dyèvre, Internes (l’augmentation des choses), est pensée comme le premier mètre carré d’un devenir de l’ensemble la surface terrestre, celle d’un monde gris et post-apocalyptique que la VR colore et rend vivant.

Présentée pour la première fois en France, Value Of Values, de Maurice Benayoun, Tobias Klein, Nicolas Mendoza et Jean Baptistes Barrère, est une chaîne de création qui, de la Brain Factory à la Blockchain, en passant par la poésie transactionnelle, la co-création et les Twodiees, propose à son visiteur de donner lui-même forme à sa pensée à partir de 42 valeurs humaines. (…) En coiffant un casque EEG, chaque visiteur contribue à l’évolution d’une forme produite par ses ondes cérébrales et devient ainsi un Brain Worker au sein d’une Factory — une usine de formes artistiques virtuelles.

On s’attardera également sur trois œuvres VR. Celle de Faye Formisano, They dream in my bones – Insemnopedy II. Une installation- fiction racontant l’histoire de Roderick Norman, chercheur en onirogénétique ; science permettant d’extraire les rêves d’un squelette inconnu… L’installation monumentale de John Sanborn, The Friend VR, qui nous immerge dans une église reconstituée où des personnages célèbrent leur liberté et la création d’une nouvelle utopie. Le projet immersif de Vincent Ciciliato & Christophe Havel, II Canto dei suicidi, inspiré du Canto XIII de la Divine Comédie de Dante.

Une exposition virtuelle et protéiforme, conçue par le collectif PrePostPrint, laboratoire et groupe de recherche autour des systèmes de publication libres alternatifs, sera « accessible » sur > https://xx2.acces-s.org/ Sans oublier une nuit electro avec Nkisi, Sarahsson, Danse Musique Rhône Alpes, V9 pour finir en beauté.

> du 8 octobre au 25 décembre, Pau
> https://www.acces-s.org/

Le jour d’après

Prométhée, le jour d’après est une exposition présentée au Centre des Arts d’Enghien en collaboration avec le Centre Wallonie Bruxelles. Les pièces proposées sont rassemblées selon trois questionnements. En premier, celui autour du fameux mythe prométhéen. Ce volet de l’exposition est constitué d’œuvres manifestant autant des traits de démarcation et de métamorphoses de l’humain que de son environnement en quête d’une voie libératrice. Ce premier chapitre tente ainsi d’identifier les prémices de ces transformations à venir, la potentialité des êtres et des territoires en sélectionnant des œuvres aux essences non immuables, aux données hétérogènes.

Le deuxième est axé autour de l’hybris, notion grecque qui se traduit le plus souvent par « démesure ». Elle désigne un comportement ou un sentiment violent inspiré par des passions, particulièrement l’orgueil et l’arrogance. Associée à des valeurs morales et religieuses, l’hybris est condamnée car elle est un dépassement de la condition humaine qui est usurpation du divin. Les pièces sélectionnées pour ce second chapitre attestent de l’augmentation des potentialités humaines par la technologie, du mythe de la singularité et des visées post-humanistes permettant ici de métamorphoser la forme préétablie en liberté d’inventer le réel et l’imaginaire.

Le troisième est presque nietzschéen puisque le voleur de feu, nous dit-on, a opéré un renversement de toutes les valeurs. Avec Prométhée, une révolution s’opère : le socle qui fondait les valeurs de l’univers s’est déplacé (…). Avec lui, l’esprit n’est pas que subtilité mais devient don d’invention, préscience, art d’administrer faisant tout ce qui est humain, advenir faveur, partage et générosité. (…) Tous les gestes spéculatifs qui en résultent, permettent aux œuvres de ce troisième chapitre, de développer une pensée sous le signe d’une fertilisation et d’un engagement par et pour des possibles qu’il s’agit de générer et de rendre perceptibles dans le présent.

Illustration au travers de vidéos, photos, sculptures, installations avec Caroline Le Méhauté, Justine Emard, Alice Pallot (Oosphère, qui imagine univers futuriste dans lequel une communauté scientifique s’interroge sur ses origines), Frederik de Wilde (Hunter & Dogs, inspiré de l’ADN et des modifications possible du génome), Jean-Pierre Giloux (Stations # part 4 extrait d’Invisible Cites, une tétralogie qui s’inspire des Métabolistes, mouvement utopiste architectural japonais d’après-guerre), Sarah Caillard, Sabrina Ratté (avec des cyborg/déesses qui incarnent le concept de « monade », dans laquelle chaque individu constitue une sorte de « miroir fragmenté », dans une réalité plus large), Mathieu Zurstrassen (Margaret, un prototype élaboré d’ESP (Emotional Support Plant) régit par un réseau Neuronal (AI) initialement créé pour combler la solitude d’un chercheur), Arnaud Eeckhout & Mauro Vitturrini, Filipe Vilas-Boas (L’Astrophone, une projection interactive, méditative et musicale qui traite de l’exploration spatiale et de la quête de sens), Charlotte Charbonnel, Raymond Delepierre (Swalling hEARt, une large sphère audiosensitive invite le public au toucher afin de percevoir par son corps les vibrations du son qui en émane), Adrien Lucca, Thy Truong Minh

> du 21 septembre au 18 décembre, CDA, Enghien-les-Bains
> https://www.cda95.fr/

L’ère des médias semblables à la vie

Exposition organisée par le prestigieux ZKM (le Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe), en collaboration le CDA d’Enghien, BioMedia propose des pièces et dispositifs « bio-mimétiques ». À la différence du bio-art qui œuvre au plus près de l’organique, le bio-mimétique cherche à se rapprocher de la vie par la mécanique, l’électronique et la cybernétique. Sur ce postulat, deux tendances sont proposées au travers de cet événement. L’une sous l’angle des technologies appliquées au domaine de l’environnement sous la forme d’écosystèmes hybrides et l’autre, sous celui des technologies relatives cette fois à l’humain, permettant d’envisager une « évolution artificielle ».

Jake Elwes, CUSP, 2019. Photo: D.R.

Le premier volet présente, notamment, le Supraorganism (2021) de Justine Emard. Une installation évolutive basée sur les mouvements d’un essaim d’abeilles qui fait réagir des sculptures robotiques en verre suspendues comme des mobiles. Jake Elwes joue également avec des données animales, celles d’oiseaux des marais soumises à l’intelligence artificielle, pour tenter un dialogue entre créatures artificielles et naturelles (Cusp, 2021). Anna Dumitriu et Alex May attirent notre attention sur le changement climatique en (re)créant des micro-organismes unicellulaires — ancien et ultime témoignage de vie avant la grande catastrophe — qui baignent dans des récipients en verre nimbés de couleurs hypnotiques (ArchæaBot, 2018-2019). L’installation de Jakob Kusdsk Steensen, Re-Animated (2018-2019) est également nimbée de reflets verts, bleus et violets. Ces paysages virtuels nous immergent dans un écosystème complet, à la fois réaliste et étrange; un peu comme celui de la planète Pandora…

Anna Dumitriu & Alex May, ArchæaBot: a post climate change, post singularity life-form, 2018-2019. Photo: D.R.

Le deuxième « chapitre » met en scène des machines, des robots et des androïdes à l’hyperréalisme troublant. Celui d’Anna Dumitriu et Alex May ressemble encore à une poupée mécanique améliorée, capable de se déplacer et de réagir aux sollicitations du public grâce à des capteurs combinés à des algorithmes (Cyberspecies Proximity Digital Twin, 2020). Les androïdes siliconés de Maija Tammi (One Of Them Is A Human #1, 2017) et de Stephanie Dinkins (Conversation With BINA48, 2014) sont beaucoup plus intrigants. Leur apparence, leur ressemblance poussée étant la source du malaise que l’on ressent en leur présence. Ces deux propositions illustrent la fameuse notion de « vallée dérangeante » avancée par le roboticien japonais Masahiro Mori dès les années 70s.

Jakob Kusdsk Steensen, Re-Animated, 2018-2019. Photo: D.R.

BioMedia — l’ère des médias semblables à la vie, exposition organisée par le ZKM en collaboration le CDA d’Enghien avec Anna Dumitriu, Jake Elwes, Justine Emard, Stephanie Dinkins, Jakob Kudsk Steensen, Alex May, Christian Mio Loclair, Matthew Lutz, Alessia Nigretti, Sascha Pohflepp, Maija Tammi, Jeroen van der Most, Peter van der Putten, Fabien Zocco

> du 13 mai au 8 juillet, Centre Des Arts, Enghien
> https://www.cda95.fr/

Anna Dumitriu & Alex May, Cyberspecies Proximity Digital Twin, 2020. Photo: D.R.

5e Biennale Internationale d’Art Numérique

Reportée comme de nombreuses manifestations pour cause de crise sanitaire, la Biennale Internationale d’Art Numérique (BIAN) organisée par Elektra se déroule finalement cet hiver à l’Arsenal, centre d’art contemporain à Montréal.

Après une précédente édition dédiée à l’art fait par les machines pour les machines (Automata), cette cinquième version intitulée Metamorphosis est consacrée au changement et aux transformations individuelles et sociétales.

Cette thématique fait référence au Livre des transformations, le Classique des Changements (I Ching) ; en « pariant » sur le fait que le changement constant que nous observons aujourd’hui nous permet d’élargir notre compréhension de la relation entre humanité, nature et technologie.

Initiée par DooEun Choi et Alain Thibault (Elektra), les commissaires de cette exposition, l’illustration de ce pari pascalien s’incarne au travers des oeuvres de Refik Anadol, Michel de Broin, Cadie Desbiens-Desmeules, Justine Emard, Exonemo, Daniel Iregui, Herman Kolgen, Ryoichi Kurokawa, Ahreum Lee, Lu Yang, Louis-Philippe Rondeau, Oli Sorenson, David Spriggs, Samuel St-Aubin, Bill Vorn

> du 19 novembre 2021 au 16 janvier 2022, Arsenal, Montréal (Québec / Canada)
> https://www.elektramontreal.ca/biennale2021

Révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies

Ça y est, Némo, la biennale internationale des arts numériques, est lancée depuis quelques semaines. Les événements, rencontres, performances et expositions vont s’enchaîner jusqu’au début janvier 2022 dans toute l’Île-de-France. Le top départ de cette manifestation a eu lieu au 104, à Paris, le 9 octobre dernier, avec l’ouverture de l’exposition-phare de la biennale : Au-delà du réel. Sous-titrée, Révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies, cette exposition a vu son inauguration suivie de performances pour marquer l’événement.

Donatien Aubert, Les Jardins cynernétiques. Photo : D.R.

L’art n’a cessé de questionner le réel. Et au-delà, donc… L’ère du numérique renforce ce questionnement. C’est ce que réaffirment les œuvres présentées dans les « ateliers » bordant la Halle Aubervilliers du CentQuatre. Entre cabinet de curiosités et dispositifs high-tech, réparties autour de sept thématiques, ces créations mêlent principes scientifiques, regards sociologiques et audaces esthétiques. Combien d’anges peuvent danser sur une tête d’épingle ? ; Bureau d’expertise des phénomènes invisibles, La Terre en colère ; Natures dénaturées ; Vous n’êtes pas invisibles ; Forensic Architecture ; Traqueurs/traqués… Autant de portes d’entrée, au propre comme au figuré, vers des visions décentrées de notre réalité, vers l’envers du décor de notre monde hyper-technologique, vers la part d’ombre et d’invisibilité de notre société.

Au centre de la halle trône un étrange container qui fait penser à un « couloir du temps ». Œuvre nomade s’il en est — durant la biennale, elle sera déplacée et présentée aussi à l’ENS Saclay et sur l’Esplanade de la Défense —, Passengers de Guillaume Marmin déstabilise les spectateurs qui franchissent cette passerelle avec des jeux de lumières et de miroirs kaléidoscopiques. Non loin est planté Surveillance Speaker de Dries Depoorter. Une installation qui réagit à la voix et à l’image sur le principe des dispositifs de surveillance. Richard Vijgen a pour sa part choisi de rendre visible le spectre des ondes hertziennes avec une installation vidéo (Hertzian Landscapes) et celles émises par toutes les antennes relais, les routeurs WiFi, les satellites, etc. via une appli (Architecture of Radio).

Si vous voyez un câble traîner dans un coin sur lequel est imprimé une suite sans fin de mots, c’est l’œuvre de Jeroen Van Loon, Permanent Data. Une sorte de ready-made doublé d’un mashup scriptural : les bribes de textes correspondent à la transcription de la Bible « mixée » avec des commentaires de vidéos récupérés sur YouTube. Enfin, heure d’hiver aidant, si vous allez voir cette exposition à la nuit tombée, vous pourrez profiter de l’installation lumineuse évolutive de Justine Emard, Supraorganism. Un dispositif qui fonctionne à la manière d’un variateur, basé sur un programme de machine learning qui analyse des données captées sur un essaim d’abeilles en temps réel et génère des prédictions de comportements de la colonie. Ces prédictions pilotent l’illumination de la Halle Aubervilliers du CentQuatre.

Heather Dewey-Hagborg, Probably Chelsea. Photo : © Quentin Chevrier / Nemo.

Sur la trentaine d’œuvres exposées dans les sept ateliers de cette exposition maîtresse de la biennale Nemo, on signalera quelques propositions marquantes, comme les masques suspendus de Heather Dewey-Hagborg. Presque horrifique dans leur présentation qui rappelle les trophées de certaines atrocités guerrières, ces portraits-robots réalistes ont été établis avec des fragments d’ADN de Chelsea Manning (à l’origine des documents transmis à WikiLeaks lorsqu’ielle était encore analyste militaire sous le nom de Bradley Edward Manning). Autre choc visuel, The Substitute : le rhinocéros blanc, pixellisé et « reconstitué » sous nos yeux par Alexandra Daisy Ginsberg. À noter que le dernier représentant mâle de cette espèce est mort en mars 2018. Et si ce genre d’artefacts préfiguraient les zoos de demain…?

Impossible non plus de passer sous silence, les « radioscopies géologiques » de SemiconductorEarthworks, Where shapes come from et 20 Hz. Œuvres déjà éprouvées, mais toujours pertinentes pour les transformations de la matière qu’elles révèlent et matérialisent. De même pour les Jardins cybernétiques de Donatien Aubert qui transfigurent des plantes en les enchâssant dans un dispositif interactif nimbé d’une lumière rouge-violet. L’intention étant de donner à voir comment nos représentations mentales du vivant ont été transformées par la dissémination des technologies numériques dans l’environnement et comment celles-ci en retour, contribuent à le remodeler. Cet environnement qui se dégrade est recréé aussi par Paul Duncombe dans des aquariums où barbotent des végétaux soumis à différents taux de pollution ; radioactive comprise (Éden).

Avec NeoConsortium, on change de démarche et de style. En singeant la communication institutionnelle et d’entreprise, ce mystérieux collectif (?), « leader sur le marché des formes plastiques à grande ubiquité », doté d’un « haut-commissariat à l’enthousiasme politique », d’une « direction des archives dynamiques » et d’une « direction de l’emphase bidirectionnelle », n’est pas sans rappeler les interventions des Yes Men ou d’etoy.Corporation. Au CentQuatre, on découvre leur Moduloform Panoptique. Un module de forme géométrique recouvert de miroirs qui cachent des caméras observant les observateurs… Le « bureau de l’anticipation des désastres » attenant à cette installation nous permet de découvrir quelques autres pièces dédiées, notamment, « aux compagnies pétrolières et à leurs actionnaires » (In Memoriam Petroleum)…

NeoConsortium, Moduloform Panoptique. Photo : © Quentin Chevrier / Nemo

La mégapole de Stanza, construite avec des rebuts informatiques (cartes-mères, cartes graphiques, LEDs, etc.), nous fait penser aux maquettes de cités tentaculaires assemblées avec des piles par Kristof Kintera lors de la précédente biennale. À l’opposé, I Heard There Was A Secret Chord ou les vocalises interactives et collectives proposées par Daily tous les jours nous ont laissé de marbre. Peut-être le choix de casser sa voix sur « Allahlujah », pardon, « Hallelujah » de Leonard Cohen, y est pour beaucoup (ni dieu, ni maître « chanteur »…). Quant au choix des vidéos d’investigations de Forensic Architecture, on regrette que pas une seule ne concerne la France. Tiens donc… Pourtant, ce groupe de recherche multidisciplinaire basé à l’Université de Londres et piloté par l’architecte Eyal Weizman, qui utilise des techniques et des technologies architecturales pour enquêter sur les cas de violence d’État et de violations des droits de l’homme dans le monde, s’est notamment penché sur les morts emblématiques de Zineb Redouane et d’Adama Traoré

Stenza, The Nemesis Machine. Photo : © LD

Si Atotal, la nouvelle création du spectacle musical de Franck Vigroux et Antoine Schmitt est (très) attendue fin novembre, le jour de l’ouverture de cette exposition, quelques sets et performances sont venus titiller nos tympans. À commencer par le ballet de projecteurs synchronisés sur la musique électronique, mentale et expérimentale, de Maxime Houot (Collectif Coin). Dans un registre sonore assez voisin, mais avec un environnement visuel radicalement différent, Alexis Langevin-Tétrault & Guillaume Côté, avec Dave Gagnon pour la vidéo, ont « sévit » avec Falaises. Un live sévère, mais juste… Ryoichi Kurokawa a suivi avec Subassemblies aux visuels très indus ou post-atomiques (friches industrielles, bâtiment en ruines, etc.), baignant dans une ambiance grise, verte et bleutée. C’est Max Cooper qui a conclu la soirée d’ouverture avec Yearning for the infinite (du nom de son album paru sur son label Mesh en 2019). Un set qui a débuté sur des consonances plutôt ambient puis « broken electronica », comme on disait naguère, avant de dériver vers un son plus dancefloor ; dont avait presque perdu l’habitude depuis le début de la pandémie.

Laurent Diouf

Au-delà du réel : révéler l’invisible par les arts numériques, les sciences et les technologies. Exposition jusqu’au 2 janvier 2022 au CentQuatre, Paris.

> https://www.104.fr/
> https://www.biennalenemo.fr/