Archive d’étiquettes pour : jeu vidéo

Porté par l’Institut français, Novembre Numérique se déploie sur les cinq continents (Algérie, Allemagne, Bahreïn, Belgique, Bulgarie, Canada (+ Québec), Colombie, Corée du Sud, Équateur, États-Unis, Ghana, Hongrie, Inde, Irlande, Jordanie, Kenya, Lettonie, Madagascar, Mexique, Pakistan, Pologne, Portugal, République démocratique du Congo, Rwanda, Suède, Turquie, Royaume-Uni…).

Cette neuvième édition mettra en lumière la diversité des cultures numériques à travers des projets variés (expériences immersives, jeu vidéo, arts numériques, création web, performances audiovisuelles, spectacle vivant augmenté, etc.). En présentiel comme en ligne, cet événement propose ainsi de découvrir, interroger et partager les cultures numériques contemporaines.

Rassemblant des artistes, des créateurs, des structures et des professionnels du secteur, Novembre Numérique constitue un espace d’expérimentation et de réflexion, propice à l’exploration de nouveaux usages et à l’émergence de formes culturelles inédites.

> du 01 au 30 novembre, sur les cinq continents
> https://www.institutfrancais.com/

Il reste encore un mois, jusqu’au 26 juillet, pour découvrir l’exposition Sous le même ciel ? au Cube de Garges. Après Derrière les étoiles, ce second opus invite à questionner la notion de cosmos en tant qu’organisation, via une exploration du jeu vidéo indépendant et artistique.

Visuellement, l’ensemble présente un côté vintage, très pixelisé, et rétrofuturiste… Mais c’est moins l’image, fut-elle animée et téléguidée en un sens, que la capacité du jeu à « faire monde » qui est développée dans cette exposition. Médium artistique et outil de transcription d’imaginaires d’une grande précision, le jeu permet de formuler des hypothèses radicales pour la société et le renouvellement de ses mythes.

Le jeu vidéo permet de construire des mondes fictifs, de poser des bases de systèmes alternatifs, qui remettent en cause ou plutôt inversent certains principes de causalité ouvrant ainsi le champs à ce qui nous semblent encore impossible… Et si la nature n’était plus une ressource à exploiter, mais un partenaire dans une symbiose équilibrée ? Et si les structures sociales favorisaient l’interdépendance plutôt que la domination ?

Avec plus ou moins de force, de pertinence et d’imagination, le jeu vidéo s’affirme comme une brèche dans le réel, ouvrant la porte sur des mondes régis selon d’autres règles physiques, d’autres écosystèmes biologiques, d’autres configurations géographiques, d’autres récits historiques, d’autres constructions culturelles, d’autres interactions sociales, d’autres structures politiques…

Le jeu vidéo est donc un terrain de jeu pour élaborer des contre-fictions. Entre activisme pédagogique, hacktivisme politique et « décolonisation » de l’esprit, selon Isabelle Arvers, artiste et conseillère scientifique de cette exposition, les joueurs peuvent y trouver par exemple des encouragements pour changer de comportement vis-à-vis de l’environnement, en jouant à des jeux qui adoptent des perspectives animistes et autochtones, des jeux qui abordent des récits liés aux défis climatiques actuels. Des jeux développés de manière responsable, avec moins de technologie et plus de diversité dans l’esthétique et les mécanismes de jeu : moins de compétition, plus de collaboration.

Démonstration avec la réinterprétation, le détournement, la création de tableaux ou la mise en exergue de certains éléments, traits et biais de jeux vidéos par Véronique Béland & Julie Hétu, Thibault Brunet, Robbie Cooper, Jérémie Cortial aka Chienpô & Roman Milletitch, Jérôme Cortie, Laurent Dufour, Anne Horel, Keiken (Tanya Cruz, Hana Omori, Isabel Ramos), Laurent Lévesque & Olivier Henley, Le Clair Obscur (Frédéric Deslias, Li-Cam, Patrice Mugnier, Angie Pict), Lucien Murat, David OReilly, Tabita Rezaire, Reem Saleh & Éléonore Sens…

Laurent Diouf

> exposition Sous le même ciel ?
> du 13 février au 26 juillet, Le Cube, Garges
> https://www.lecubegarges.fr/

De l’art numérique aux jeux vidéo

Ce titre au parfum d’afrofuturisme n’est pas pour nous déplaire. Cette exposition est en quelque sorte la « restitution » d’un périple mené par Isabelle Arvers, artiste et commissaire d’expo, au travers de plusieurs « pays du Sud », à la découverte des modalités d’inscription culturelles et sociales des jeux vidéo sous d’autres lattitudes.

Si l’art numérique comme les jeux vidéos sont encore dominés par l’Europe, les États-Unis et, bien sûr, le Japon, le reste de la planète n’est désormais pas inerte, culturellement, par rapport à ce vaste domaine qui fait désormais « jeu » égal avec le cinéma. L’univers des jeux vidéos s’est enrichit au contact d’autres types de représentations, paysages, récits et cosmogonies. Tout comme notre imaginaire (i.e. celui des occidentaux) s’enrichit et surtout se « décolonise » par la co-construction de récits nés de la rencontre entre tradition orale, savoirs endogènes et univers virtuels des jeux vidéo.

Henri Tauliaut. Water Divinity. Photo : D.R.

Avec l’avènement de référents culturels dont les racines peuvent puiser — de nouveau et à nouveau — dans l’animisme, par exemple, et des univers oniriques et ludiques qui se déloient dans le virtuel, dans le métavers, nous sommes invités à changer de paradigme. La science et la pensée humaine ne sont plus les seules sources de connaissances; il est désormais possible de penser à des connaissances « au-delà de l’humain ». Cela implique que la nature, les animaux pensent et que les non-humains peuvent enseigner des techniques et connaissances, en changeant de perspective, comme le propose l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiro de Castro.

Démonstration avec l’installation interactive de Laura Palavecino (High In the Sky And Beneath the Stars), les photos et dessins d’Eulalia De Valdenebro Cajiao, les jeux vidéo de Daniela Fernandez (Laidaxai), Henri Tauliaut (Water Divinity) et Matajuegos (Atuel), l’installation-performance de la chorégraphe, artiste et chercheuse, Aniara Rodado (Coca para comer), l’installation vidéo de Tania Fraga (Epicurus Garden), le film d’Isabelle Arvers + Gaël Manangou créé à partir d’un univers virtuel (Liquid Forest), Les Spectographies (film et installation VR) de Carole Chausset Myriam Mihindou &Annie-Flore Batchiellilys, Daniely Francisque et Florence boyer / cie Artmayage, l’interactive installation du collectif Technorisha (eFa)…

Laurent Diouf

exposition Aux Futurs Ancestraux : de l’art numérique aux jeux vidéo
> du 14 octobre au 20 janvier, Espace Multimédia Gantner, Bourogne
> https://www.espacemultimediagantner.cg90.net

La 38e édition de Vidéoformes, le festival international d’arts hybrides et numériques de Clermont-Ferrand, aura lieu du 16 mars au 02 avril et affiche un programme très riche.

Dédié à des créations hybrides, c’est-à-dire mêlant art et science, cet événement invite à parcourir les multiples détournements de jeux vidéo, à aborder les questions environnementales, la perception et la représentation du corps, du paysage, la couleur et des esthétiques culturelles différentes au travers d’expositions, performances, projections et rencontres.

Le festival proposera notamment une sélection de films et d’expériences en réalité virtuelle. Dont I-Real, un projet de réalité mixte qui mélange jeu de plateau et VR conçu par Marc Veyrat en collaboration avec des laboratoires universitaires. Et Inside A Circle Of Dreams, une vidéo 360° des Residents qui utilise des images stéréoscopiques tournées lors du festival Litquake en 2018 à San Francisco.

Des prix seront décernés par des jurys (professionnel, étudiant, SCAM) pour distinguer des vidéos internationales et expérimentales. Des journées de rencontres professionnelles — Actes numériques #4 — confronteront les points de vues des artistes, commissaires, producteurs, diffuseurs, formateurs, enseignants, étudiants…

Soit trois tables rondes qui ponctuent des présentations d’œuvres et d’artistes autour de thématiques choisies : Entre peau et pixels, le corps s’hybride (avec l’artiste Úrsula San Cristóbal et Davide Mastrangelo, directeur artistique du festival IBRIDA), Méta-vidéo, métaverse : l’arrière-boutique du monde… (avec le collectif d’artistes Total Refusal et Hokyung Moon, commissaire d’exposition du Seoul International NewMedia Festival), L’œuvre en soi-même : l’art au cœur d’un monde sans lumière ? (avec l’artiste Agnès Guillaume et Abir Boukhari, directrice artistique du projet AllArtNow).

En parallèle aura lieu Vaudou guéris (sage), une rencontre sous l’égide de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) réunissant Clémentine Raineau, anthropologue, et Henri Tauliaut, artiste techno-performer et enseignant-chercheur.

Des performances AV viendront rythmer le week-end d’ouverture, le 17 et 18 mars, avec DATUM CUT (alias Maxime Corbeil-Perron) qui viendra présenter en première mondiale inex.materia. Une célébration onirique de l’impermanence et de l’obsolescence nourrie par les coupes anarchitecturales, l’archéologie des médias, le cinéma expérimental et l’art vidéo.

Avec Untitled, Rafaël livrera une performance live-cinéma, qui manipule du son et de l’image en direct, basée sur le récent triptyque audiovisuel éponyme. Dans un autre registre, le live-mix vidéo de DZRDR devrait être plus percutant…

Une exposition, éclatée dans près d’une dizaine de lieux (9 pour être précis), nous permettra d’apprécier les installations audio-visuelles d’Anne-Sarah Le Meur (DixVerts), Ursula San Cristobal (Tejer un cuerpo), Total Refusal (Hardly Working), Shunsuke François Nanjo (The Infinite Landscape), Henri Tauliaut (Water Divinity Game), Gary Hill (Afterwards), Mariana Carranza (Ephemeral Angels), Agnès Guillaume (You said Love is Eternity)…

Une exposition collection, Vidéo Art Academy, proposera une sélection de vidéos issues des travaux d’établissements d’enseignement supérieur qui relèvent du champ de l’art vidéo et des arts numériques. Des ateliers d’initiation à la réalité augmentée seront ouverts au public.

Les visiteurs seront également mis à contribution pour l’installation interactive de Mariana Carranza, Forest Stillness. Ce dispositif offre la possibilité de faire pousser des arbres de manière contemplative, d’observer leur croissance avec une économie de gestes… Cette contribution sera validée par des NFT.

Vidéoformes 2023
> du 16 mars au 02 avril, Clermont-Ferrand
> https://festival2023.videoformes.com/

exposition digitale au Togo

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, correspondance en deux parties depuis Lomé.

Marché de Gbossimé. Photo: D.R.

En 20 ans de pratique de commissariat art et jeu vidéo, j’ai beaucoup travaillé en Europe, au Canada, aux États-Unis ou en Australie et la plupart du temps, j’ai présenté des œuvres ou des jeux provenant de pays occidentaux. C’est de ce constat qu’est né mon Tour du Monde Art et Jeu Vidéo, initié en juin 2019. De la nécessité de décentrer mon point de vue en tant que commissaire d’exposition et de dépasser les barrières de langage qui empêchent bien souvent la rencontre et la découverte avec des œuvres non traduites en anglais ou en français.

C’est pourquoi j’ai décidé de partir à la rencontre et d’interviewer des artistes et des game makers, mais aussi des activistes en me focalisant sur les pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle au monde et façonne notre manière de percevoir le réel. L’émancipation des femmes, des personnes transgenres et des populations issues de pays anciennement coloniaux est encore jeune et se révèle fragile. C’est pourquoi j’ai décidé de promouvoir et d’encourager les pratiques luttant contre les stéréotypes de genre, de sexualité, d’origine ethnique ou de représentation centrées sur l’Occident.

« Protégeons nous! », un machinima de Roger Agbadji. Photo: © Roger Agbadji

J’étais au Ghana en train de poursuivre mon tour du monde art et jeu vidéo lorsque la pandémie a poussé la plupart des états à fermer leurs frontières. J’avais le choix entre être rapatriée en France, ou rester en Afrique. J’ai alors fait le pari de rester et de passer au Togo, juste avant que le Ghana ne ferme ses frontières terrestres. Depuis le mois de mars, je réside à Lomé. Le Togo, quoi qu’assez peu touché par le Coronavirus a très rapidement imposé un couvre-feu de 20h à 6h du matin, fermé ses routes principales et ses frontières. Les écoles ont été fermées et le port du masque rendu obligatoire.

D’abord un peu dans l’expectative par rapport à mon tour du monde qui de fait, se trouvait à l’arrêt et perdait de son sens en temps de pandémie, je me suis tout doucement remise à réaliser des interviews d’acteurs et d’actrices du numérique ou du jeu vidéo, mais cette fois-ci en ligne. Cette nouvelle impulsion a été initiée par l’Institut français du Togo qui m’a commandé plusieurs portraits vidéo de game designers en Afrique. C’est ainsi que j’ai interviewé en ligne Sename Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue de formation, car j’avais entendu parler de l’exposition « Lomé + » dont il est le commissaire et d’un jeu en réalité augmentée conçu à cette occasion.

« LOMÉ + », une exposition digitale pour découvrir Lomé au passé, présent et au futur

« Lomé + » est une exposition qui devrait ouvrir prochainement ses portes au Palais de Lomé, la date de réouverture dépendant de l’évolution de la pandémie. C’est un projet digital pour présenter la ville de Lomé depuis ses origines, mais aussi pour donner une vison de ce que Lomé pourrait être demain. Dans « Lomé + », la section jeune public se présente sous la forme d’une installation immersive à l’intérieur d’une alcôve : la Grotte de Paul Ahyi. « Le plus grand artiste que ce pays ait jamais produit, auteur du monument sur la place de l’indépendance à Lomé, du drapeau togolais et d’œuvres qui ornent les hôtels les plus prestigieux de la ville. Il est donc possible de concevoir un parcours dans la ville pour suivre le travail de l’artiste et on en a fait un jeu pour les enfants. »

L’histoire du jeu tourne autour d’un amoureux de l’œuvre de Paul Ahyi, qui aime tellement son travail qu’il fait le tour de la ville pour voler un fragment de chacune de ses œuvres afin de reconstituer une mini exposition à l’intérieur d’une grotte. Au mur de la grotte sont accrochés les fragments de chacune des œuvres. Lorsque l’on rentre dans la grotte munie d’une tablette, on doit retrouver les fragments et les assembler avec les bonnes œuvres. Et quand on y parvient, l’œuvre elle-même apparaît en réalité augmentée sur l’écran. La grotte de Paul Ahyi a été réalisée avec Pierrick Chahbi qui a fondé Wakatoon, une start-up française qui transforme un coloriage en dessin animé et le Woelab.

« Le Baiser » de Paul Ahyi à l’Hôtel de la Paix à Lomé. Photo: D.R.

Dans le parcours de « Lomé + » on passe par le passé, le présent et le futur de la ville de Lomé au travers de QRode. Il n’y a aucun texte dans l’exposition, il est obligatoire d’avoir un téléphone. Lorsque l’on rentre dans l’exposition, la première œuvre est une installation de fibres végétales au sol, en alotime, l’arbre avec lequel on fait les cure-dents, et dont le nom a donné celui de la ville de Lomé. « On rentre dans l’expo et immédiatement on a l’impression de marcher dans une forêt. » Une commande faite à l’artiste Kokou Nouwavi, artiste plasticien et responsable de la Case des Daltons. Un lieu atypique à Lomé, où sont organisés des concerts, des expositions, des rencontres. Un lieu conçu comme un village, un village dans la ville. Parce que comme le dit souvent Sename, le village, ça marche, il y a une cohésion et une entraide qui n’existent pas dans la ville.

La case des Daltons. Photo: D.R.

Le présent est illustré par la fresque documentaire en 6 chapitres commandée à l’artiste réalisateur et rappeur Elom 20ce, Aux Impossibles Imminents. Chaque vidéo suit une des figures de la ville et nous raconte son histoire. « C’est un prétexte pour montrer la ville, l’expliquer et en faire connaître des aspects méconnus. La vidéo consacrée à l’artiste musicienne Kezita se passe beaucoup sur la plage et c’est une manière pour nous de parler de l’érosion côtière, des enfants de la rue, des femmes qui dorment sur la plage la nuit parce qu’elles viennent travailler depuis les villages et ne rentrent chez elles que le weekend.»

L’exposition se termine avec les photos de Silvia Rosi, photographe togolaise, basée à Londres, autour du « Sihin », le mot Ewe pour l’anneau de tissu que les femmes porteuses mettent sur leur tête afin de la protéger et de stabiliser la charge. « Ma grand-mère était vendeuse au marché d’Assigame à Lomé. Après avoir perdu la vue à la fin de la quarantaine, elle a été forcée de quitter le métier. J’adore regarder son Sihin », confie la photographe.

Lomé une cité féminine

Cela permet de parler des femmes, qui sont une des caractéristiques de la ville, car Lomé est une des seules villes en Afrique où il y a plus de femmes que d’hommes. La ville de Lomé a même été fondée par des femmes : les nanas Benz, ces femmes d’affaires togolaises qui ont fait fortune avec la distribution du Wax dans toute l’Afrique. Ces femmes ont joué un grand rôle à plusieurs moments de l’histoire de Lomé. « Une ville construite par les femmes, politiquement, économiquement… » rappelle Sename.

Séname présente aussi dans l’exposition une installation où il met en scène ce qu’il imagine pour le futur de la ville. « C’est une mise en espace de ce qu’on fait à Lomé avec les Woelabs. Notre tentative de bricoler la smart cité en créant des lieux d’innovation qui transforment la ville . » C’est sa première exposition en tant que commissaire qui lui a été commandée en raison de son engagement dans les Woelabs. Pour cette exposition, le Woelab a développé l’application de navigation dans l’exposition, ainsi que le jeu en Réalité Augmentée. Il s’avère, en effet, qu’en interviewant Sename, c’est tout l’éco-système numérique du Togo que je découvre.

Un écosystème fondé au départ sur une vision forte. Celle d’un territoire connecté, prenant le contre-pied de la smart cité traditionnelle qui se développe souvent dans une logique utilitariste, et en dépit des populations. Ici il s’agit au contraire de créer des espaces d’innovations à l’échelle des quartiers dans un esprit de « démocratie technologique ». Pour mieux appréhender le projet des Woelabs et entrer en contact avec l’éco-système numérique Togolais, en temps de coronavirus, je me suis rendue dans un des espaces, le Woelab 0, situé entre un marché et le ghetto, proche d’une déchetterie à ciel ouvert et en bordure de rails de chemin de fer. C’est mon immersion à l’intérieur des fablabs à Lomé que je vous ferai découvrir dans une seconde partie de cette chronique.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

L’imagerie des diverses sciences-fictions, l’oscilloscope, les perspectives infinies de la numérisation (1) et les premiers computers sont aux sources du jeu vidéo. Après la bande dessinée, le cinéma, le hard rock et le rap, les jeux vidéo ont été accusés de tous les maux : surtout d’être violents et d’appauvrir l’imaginaire des joueurs. Nolife.

Skyforge.

Skyforge. https://sf.my.com/fr Captures: D.R.

Sur le rapport des jeux vidéo et de l’imaginaire, essayons d’y voir clair : cette pièce maîtresse de l’économie culturelle mondiale — un marché de 33 milliards d’euros en 2008, 53.3 milliards en 2012 (Michaud, 2012) et 79 milliards pour 2016 selon l’AFJV — est-elle ou non ce nouveau continent de l’imaginaire dont parlaient déjà Alain et Frédéric Le Diberder, en 1998, dans L’univers des jeux vidéo ? Autrement dit, qu’est-ce que l’Imaginaire — ou, peut-être, lorsque l’on parle videogames, parle-t-on d’un nouveau continent pour l’imaginaire ? Et aussi, que font les imageries mondiales aux imaginaires collectifs et quels sont leurs rapports ?

Qu’est-ce que l’Imaginaire ?
I majuscule, i minuscule ?… Pour répondre exhaustivement, on devrait gloser des travaux de Durkheim, Sartre, Bachelard, Durand, Castoriadis, Bonnefoy ; mais, avec Marx, on établira une bonne fois que l’imaginaire est, pour une part, « la solution fantasmée des contradictions réelles », c’est-à-dire la critique de son « fondement profane », la négation du réel, « une évasion » pour Lévinas (1932), et, pour une autre part, son prolongement comme motif : à la fois centre de la société, besoin insatiable, sens, et potentialité humaine de l’accomplissement du Monde.

D’ailleurs, pour Jacques Lacan aussi : L’imaginaire, c’est ce qui arrête le déchiffrage : c’est le sens ! […] L’imaginaire, c’est toujours une intuition de ce qui est à symboliser […] quelque chose à mâcher, à penser, comme on dit. Et pour tout dire, une vague jouissance (Séminaire XXI). Dépassement, excès, figuration de l’absolu : tous les artisans de l’imaginaire besognent armés de ce principe ; et à un siècle d’écart, les fins catastrophiques du roman Time Machine de HG Wells et de A.I. de Spielberg (2001), la puissance de l’épice dans le cycle de Dune d’Herbert ou les monstruosités de Lovecraft en sont des modèles du genre. Leurs versions vidéoludiques n’en divergent pas.

Qu’est-ce que les imageries ?
Par imageries, on entend le flux d’images techniques et modernes, et non les tableaux, la picturalité, appartenant à une autre économie politique de la Culture ; ainsi les imageries sont tous les dispositifs techniques et marchands de fixation/capture du Monde, stocks en circulation consignant nos faits et gestes, et notre créativité. Nous parlons de dispositifs techniques et marchands, car les imageries renvoient à la spécificité des modes de production capitaliste et aux révolutions des industries culturelles et créatives.

Avançons opportunément qu’en tant que dispositif technique et logos, les images sont des robots à plats ou mous et que chaque robot réel est « une image debout, incarnée », et que toutes les demandes adressées aux images sont de facto adressées aux robots, et inversement. Hier, les iconodoules adoraient les images et les iconoclastes les brisaient ; demain, Franck Herbert (Dune, 1965-1985) et son fils (2002) prédisent un Jihad Butlérien ou une révolte complète contre les machines, ce qu’ont su reprendre les scénaristes, réalisateurs et producteurs de The Matrix (1999) et, surtout, d’Animatrix (2003), et combien de jeux vidéo (Skyforge ou tous les jeux autour de Terminator, etc.).

Que font les imageries aux imaginaires sociaux ?
Se demander ce que fait la série mondiale ininterrompue des images aux imaginaires collectifs et personnels, cela revient à se demander quels sont les « rapports d’influence », voire les « rapports de domination », qui existent entre les uns et les autres. Cette interrogation ouvre sur deux autres : d’abord, comment les imaginaires se renouvellent-ils concrètement ?, et, ensuite, existent-ils des processus historiques et psychosociaux différents des autres jeux qui façonnent l’univers des jeux vidéo ?

Pour les jeux en général, on se souvient qu’ils ont pour fonction d’entrer en relation contradictoire et/ou de complémentarité avec le monde réel (Freud, Winnicott, Huizinga, Caillois, Elias) ; leur finalité est alors dynamo-créatrice et une amplification poétique et moral du Monde ou topoï d’idéologie et des résonances métaphysiques communes. Mais, pour les videogames, la « culture-industrie vidéoludique » (Genvo, 2006) permet-elle à ces usagers d’en tirer une véritable fortune imaginaire ou simplement quelques petites coupures ?

Bref, ça fait quoi un jeu vidéo à l’imaginaire ? Est-ce que, chez les joueurs, ça produit un « effet d’imaginaire » ? Beaucoup de questions. Pour y répondre, il faut résoudre un « problème épistémologique » : peut-on exporter les théories concernant les images en général vers les jeux vidéo (Tisseron, 1995 ; Stora, 2007 ; Rufat, 2011) et les « phénomènes nouveaux » de la réalité virtuelle ?

Skyforge. https://sf.my.com/fr Captures: D.R.

Phénoménographie et horizon des jeux
Autrement dit, peut-on produire ce que l’on appelle une « mythanalyse » (Durand, 1996) des univers du jeu vidéo, c’est-à-dire les circonscrire tout à fait, les classer, alors qu’il y a une variation des thématiques des jeux en fonction du support (Fortin, ali., 2005) ? Peut-on oser penser l’hétérogénéité de ces univers d’action, de sport, de combats divers (…) de stratégie, de gestion (Fortin, ali., 2005) ?

Puisque nous savons qu’il y a une sportization générale de l’Occident (Elias, 1994) — évolution et conversion des affrontements en loisirs civilisés —, risquons-nous à la proposition suivante : le jeu vidéo est aux produits de masse de la société de consommation ce que la technique est à la science, c’est-à-dire un enchantement désenchantant ou, dans un vocabulaire plus heideggérien, un saisissement dessaisissant. La réalité du jeu vidéo, virtuelle, retourne aux trois dimensions de l’adjonction : c’est le retour aux graphismes et à la picturalité ; c’est un art « plus hégélien » qui cherche autre chose que l’instantanéité du seul réel photographié, de la réalité photographique ou cinématique.

Essayons d’énoncer son horizon philosophique. Les imageries de la photographie et du cinéma — l’imagerie virtuelle des jeux vidéo et du cinéma numérique a un autre régime, quelque chose d’hégélien qui va au-delà du photographique — ne font pas une copie du réel et de cette société ; c’est l’énonciation et l’énoncé même du monde-réel qui s’expose à travers elles. En revanche, dans l’image plastique de la réalité, du monde-réalité, une peinture ou un dessin, le monde-réel reste distinct de lui-même, il subsiste une distance, un intervalle — je parlerai de « plus-value » : dépassement de l’énonciation ; nous sommes dans des mondes qui ne sont pas dans le monde que nous voyons —, ce qui semble avoir disparu dans la photographie et le cinéma centenaire (certes, le genre, le ralenti, le noir et blanc contemporain, et le montage, assurent cette fonction de déréalisation, de « refus du réel »). Surtout, dans l’image plastique, le monde était nié, non pas dans son apparence, mais dans son essence même, nié en tant que nature ; car l’homme y ajoutait l’homme.

L’imagerie en général (moment de « la technique moderne » : arraisonnement et à la fois saisissement et dessaisissement du Monde) renverse donc la relation de l’homme avec le Monde, que résumait la vision classique, et crée la possibilité d’une nouvelle domination tyrannique du Monde sur l’homme, d’où la notion de Spectacle des situationnistes. L’imagerie renverse la relation de l’homme avec le Monde, parce qu’elle nous l’expose en direct ou en présence. Les imageries, forme du Logos (comme les robots), stockent le savoir, l’enferment dans la technologie et le présent ; il n’y a plus de pertes, plus d’écarts entre le Monde et l’homme. Le Spectacle serait donc la négation de l’écart entre le Monde et l’homme, un monde en direct, en « direct-live », disait-on à la télévision française…, ce que l’on nomme aussi « présentification » du Monde. Toutefois, toutes les imageries de toutes les formes de SF (exploratrices, fabulatrices, anticipatrices) renversent ce renversement : elles renouent avec la négation culturelle du Monde et l’affirmation de la conscience humaine ; elles renouent avec l’adjonction (elles vont ailleurs pour parler d’ici — ce sont des modèles de la réalité (symboles) et non le (monde-)réel).

Les jeux vidéo de quoi ?
Savoir jouer aux videogames est « essentiellement polémique » ou le règne de l’épée et des « purifications », des morts successives jusqu’à la victoire. Il s’agit du régime diurne des symbolisations : coercition sociale, règles ludiques, jeux agonistiques et même aléatoires, forment la pédagogie du régime diurne (Durand, 1964). La géographie des jeux vidéo, leur quelque part, se trouve dans les forêts, les vallées, les montagnes et les cieux de Dionysos, là où règne potlatch et sacrifice, les Guerres du sens humain. Tout joueur, tout apollinien, entre alors en contact avec son camarade tyrannique et exubérant, son avatâr vidéoludique, pour se distraire, décompenser et se récompenser d’un monde plus difficile qu’un jeu (2).

Skyforge. https://sf.my.com/fr Captures: D.R.

Le jeu vidéo, ce n’est pas Prométhée (travail, progrès) ou Apollon (mise en ordre) versus Dionysos (jouissance), mais c’est l’accomplissement synthétique, au double sens du terme, de ces trois mythes : la feria, la peste et l’orgie. Mais, déjà, la littérature et l’industrie du cinéma étaient essentiellement post-catastrophiques et festives (en revanche, la Science est pré-catastrophiste : ainsi s’affirme-t-elle et se fait-elle chérir). L’univers du jeu vidéo est alors, globalement, celui des plaisirs de la ville et de la catastrophe, d’un débordement algébrique… On y décrit et on y conte la guerre ou la trajectoire technologique des civilisations, l’extraterritorialité, la vitesse, l’acier et le cubique, les outils et, donc, une culture tranquille de l’action. Ces catégories ou masques de la peur et la jouissance sont culturellement recevables en tant que déréalisation du Monde dans un usage conjuratoire (catharsis).

Reviviscence ?
Quoi de plus naturel que le jeu vidéo ouvre à la pratique d’autres jeux, dans le réel, puisque le joueur cherche des moyens, des prétextes-à-société, afin de se répandre, afin de jouir et d’exister. De s’affirmer. Car pour chaque joueur, l’essentiel est la satisfaction personnelle et l’envie de challenge permanent, une quête de logique et d’accomplissement, l’affirmation d’un savoir technique face à un jeu difficile. Les formes récurrentes de l’imaginaire mondial peuvent alors s’y localiser, afin que l’enfant, jubilant de sa coordination et de sa motilité, apprenne à rejouer tant les actes virtuels que ceux qui sont réels.

Et si on demande quelles fonctions ont ici ces « entités transmédiatiques » (Wolf, 2005), on retombe sur l’euphémisation de la mort, l’acte de passage, la réaffirmation de l’appartenance au groupe, la mise en scène (et « à mort ») des pulsions. L’environnement des univers imaginaires de jeux vidéo, écrit Delphine Grellier, est donc majoritairement investi par des symboles de types nyctomorphes […]. En représentant ce qui est douloureux et déstructurant, ce régime suppose la construction d’images opposées, images positives, lumineuses, permettant la lutte contre l’angoissant par le biais de l’antithèse (OMNSH, 2005).

Pour nombre des membres de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines, il y a dans l’expérience vidéoludique, un équilibre entre le plaisir et le déplaisir ; car le joueur ne fait pas ce qu’il veut : il y a comme un « principe de réalité virtuelle », celui du jeu et d’une perte, un « droit de perdre », comme dans le réel (on pense à la licence des jeux Dark Souls où, comme rite de passage, on apprend à mourir). Et, aussi, il y a parfois une angoisse, un stress, voire une détresse, face à la stimulation virtuelle (propos sur le robot) ; car le joueur peut ne pas arriver à maîtriser la stratégie et la tactique, sinon le « mode d’emploi » du jeu. Or ces impuissances participent aux fonctions (imaginaires) du jeu en général : gain, plaisir, avec un brin de frustration. Ainsi les jeux vidéo, imageries parmi d’autres, nous travaillent-ils, au sens de Freud, et nous mettent-ils à l’épreuve — ce qui est mis à l’épreuve, ce sont nos fantasmes, nos représentations, nos affects ; parce que dans un Monde plus bureaucratique et complexe, nous avons plus besoin encore de la complexité et de l’anti-bureaucratie de nos jeux.

David Morin Ulmann
Anthropologue, spécialiste de la modernité et du capitalisme
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

(1) La numérisation appartient de droit à la « parole de la rationalité », à sa langue même, puisque, qu’est-ce que la numérisation, sinon un des témoignages de la rationalité occidentale ? Et que font l’une et l’autre ? La rationalité occidentale et la numérisation rassemblent et enregistrent, et protègent. Par exemple, dans un ordinateur, qui est le fruit direct du logos, énonce Pierre Jacerme, vous avez un tel rassemblement ; c’est toujours la fonction de ce que les Grecs appelaient legein, recueillir et rassembler (afin de rendre manifeste) qu’accomplit la raison ; et, ce faisant, elle protège aussi. Dans l’ordinateur, les données vont être « protégées ». Il y a une mise en recueil qui garde, qui conserve. Et qui protège en même temps. […] La chimie, la physique quantique, c’est l’accomplissement de la philosophie ; l’informatique aussi (Jacerme, 2008 : 23). Sublime !

(2) Il y a encore des jeux intéressants comme Undertale (2015) où on laisse le choix au joueur de tuer tout le monde, personne, ou seulement quelques-uns : la voie royale est évidemment de ne tuer personne ; il faut savoir « résister » pour finir le jeu correctement.

 

un parc d’attraction mise sur la réalité mixte

Installé à Salt Lake City, The Void Entertainement Center est le premier parc de jeux entièrement dédié à la réalité mixte. Ce principe, qui suppose l’expérience du monde physique tout en intégrant les éléments d’un environnement virtuel en 3 ou 4D, est la seconde phase du développement de la réalité virtuelle. Une option pas forcément économique, en coût et en technologie, mais riche de potentiels, et choisie par les créateurs de The Void pour introduire les mondes virtuels dans nos vies.

The Void, Rapture Gear. Photo: © The Void

Le monde de la réalité virtuelle (RV) se décompose aujourd’hui en trois segments, correspondants à trois sortes d’environnements différents. La « réalité virtuelle », qui décrit un univers artificiel qui se substitue à la réalité physique et dans lequel l’on s’immerge par le biais de casques qui coupent entièrement l’utilisateur du monde extérieur. La « réalité augmentée », qui correspond à un dispositif numérique permettant de voir le monde réel, autour de soi, « augmenté » de données et d’informations diverses (géolocalisation, informations touristiques, œuvres artistiques implantées dans le paysage, etc.) à l’aide de lunettes ou de tablettes. Et enfin, « la réalité mixte », nouvelle venue dans le champ lexical high-tech, se présente comme une troisième voie : il s’agit d’un dispositif permettant d’intégrer pleinement des éléments numériques virtuels en 3 (et bientôt 4) dimensions dans le monde réel, à travers un écran transparent, permettant ainsi une interaction totale (action / réaction) avec ses artefacts virtuels dans le champ du réel.

La guerre des terminologies
Les différentes dénominations dépendent également de la propriété des technologies permettant d’expérimenter ces nouvelles formes de réalités numériques. Pour Microsoft par exemple, à l’origine du casque Hololens, le terme de « réalité virtuelle » est obsolète. Leur projet est censé développer le prochain prototype de « réalité mixte ». Derrière son aspect plutôt classique (pour l’instant l’Hololens ressemble en effet beaucoup au Google Glass), le casque Microsoft est une « grosse machine ». Il dispose en effet d’un ordinateur embarqué, d’une série de capteurs et de caméras, qui intègrent des éléments d’animations numériques à la réalité environnent l’utilisateur (connecté à la Xbox, ce casque permet déjà d’afficher des éléments de sa télévision dans son salon). La différence avec les casques de RV du type Oculus ? Porter un Hololens, c’est un peu comme avoir un écran de télévision transparent devant soi, puisqu’il ne couvre pas toute notre vision. De son côté, d’autres géants des nouvelles technologies ont fait le choix de la réalité virtuelle, l’Oculus Rift suscité, désormais propriété de Facebook, isole totalement son utilisateur de son environnement réel. Les deux procédés sont actuellement en concurrence active, via Google (avec ses Google Glass) et Microsoft (et son Hololens), contre Samsung (avec sa VR Gear déjà commercialisée) et Facebook (avec l’Oculus).

The Void, le choix de l’interaction
Les créateurs de The Void (pour Visions Of Infinite Dimensions), eux, ont parié sur la réalité mixte. Un choix logique dans un environnement ludique. En effet, qui dit parc d’attractions dit  « interactions ». Étalé sur un espace de trois hectares encore en cours de réalisation (le lieu doit ouvrir cet été), le parc bénéficie de cloisons modulables et d’accessoires qui peuvent être constamment modifiés. Équipés de casques numériques de type Hololens et harnachés d’un ordinateur contenu dans un sac à dos, six à huit gamers pourront se déplacer et vivre en direct l’expérience de la réalité mixte. Sur leurs écrans apparaîtront divers décors et éléments en 3D, tandis que les autres joueurs voient une version modélisée numérique de leurs adversaires. Croisement entre une lasergame arena ou une partie de paint-ball classique, le combat dans The Void comporte toutes les sensations originales censément ressenties par un joueur : tactilité de son environnement, effet de vertige sur des passerelles, impact des balles sur son corps. C’est là tout l’intérêt de la réalité mixte, permettant de vivre l’expérience du virtuel, mais également de déclencher des actions dans le monde réel (1). Pour ce faire, le joueur est équipé d’un casque à écrans OLED incurvés d’une résolution de 1080p, de prothèses audios THX, de micros pour les communications entre joueurs et d’une veste avec retour de force intégré. La réalité mixte se présente donc ici comme une véritable passerelle entre le monde réel et les environnements virtuels (2).

The Void, Ocean Storm. Photo: © The Void

Le futur du divertissement
The Void préfigure certainement le futur du divertissement. À ce titre, Microsoft a déjà testé plusieurs configurations d’environnement en réalité mixte. Le projet RoomAlive par exemple, consiste à transformer une pièce réelle, avec tout son équipement, mobilier, etc., en pièce immersive en utilisant des projecteurs et caméras créant de la profondeur. La fameuse firme dirigée par Bill Gates est également à l’origine du jeu X-Ray, présenté en octobre dernier à New York. Le gameplay est entièrement dédié à la réalité mixte puisque le joueur est équipé d’un casque Hololens, et doit combattre toutes sortes de robots grâce à des rayons laser. Intégrant totalement l’environnement du participant, la réalité mixte est plus qu’une variante de la réalité virtuelle. Avec son écran transparent, elle se rapproche plus de la réalité augmentée, mais propose un élargissement du simple concept de visualisation de données (celle-ci n’est d’ailleurs pas exempte de critiques comme Chris Dannen qui déclarait dans Fast Company, elle n’améliore pas l’expérience utilisateur, au contraire, elle la complique ! (3). Ici, le public « augmente » sa réalité, mais de créations et de créatures en 3D qui investissent son univers quotidien.

Des promesses de développements stupéfiants
La réalité mixte promet beaucoup de développements, et ce également hors du cadre du divertissement. De fait, sa flexibilité présente des avancés bien réelles, encore inexplorées par la réalité virtuelle « classique ». L’utilisation de capteurs, installés absolument partout dans une pièce, et qui renvoient des informations au porteur de casque, permet de calculer la manière dont une fenêtre ou une porte s’ouvre, mesurant l’angle de rotation des gonds et de poignées, transmettant ainsi une sensation de réalité peu commune à l’utilisateur. D’autres projets sont en préparation, comme la réalisation d’environnements hospitaliers virtuels qui permettraient de former de futurs professionnels de la santé. La guerre des brevets faisant rage, d’autres sociétés comme LeapMotion, une start-up américaine, tentent actuellement d’adapter ce type de technologie de reconnaissance gestuelle à l’Oculus Rift. La caméra, dont est équipé l’Hololens semble bien être l’élément indispensable à la création d’un environnement interagissant avec l’utilisateur. Et, une fois n’est pas coutume, c’est le domaine de l’entertainment qui préfigure ces évolutions.

Une technologie prometteuse, mais à améliorer
Pour autant la réalité mixte, quelle que soit la société qui l’utilise ou la promeut, n’est pas sans défauts. Peu maniable (elle nécessite obligatoirement un ordinateur embarqué), elle oblige également le constructeur à inclure caméras, capteurs de mouvement et senseurs. Des éléments qui, s’ils sont meilleurs marchés aujourd’hui, n’en sont pas moins difficiles à intégrer dans un simple casque. Autre point d’achoppement, la réalité mixte étant également constamment en interaction avec le réel, elle n’est opérante que dans un environnement dédié. Les techniques de tracking (technologie permettant de coordonner éléments réels et virtuels) étant encore très complexes à mettre en place, elle est donc aussi sensible au changement et logiquement sujette aux erreurs. D’ailleurs Microsopft n’annonce pas la commercialisation de son casque Hololens avant 2020.

 

Maxence Grugier
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

> https://thevoid.com

 

(1) www.internetactu.net/2010/01/27/de-la-realite-augmentee-a-la-realite-mixte
(2) Ibid
(3) www.fastcompany.com/3058259/most-innovative-companies/for-oculus-to-succeed-vr-needs-to-succeed

 

Jeux de Guerre… Du « machinima » online au détournement de drone sur le terrain, Joseph Delappe entretient la flamme de l’artiste militant investissant autant le champ virtuel que réel.

Joseph Delappe, Cardboard Soldier - America's Army

Joseph Delappe, Cardboard Soldier – America’s Army, 2009. Photo: © Joseph Delappe

Travaillant depuis le début des années 80 sur des sculptures et installations électromécaniques, puis des performances de jeux online, par ailleurs professeur au Département art de l’université du Nevada, Joseph Delappe fait partie de ces artistes qui ont progressivement réinvesti le terrain physique et réel dans leur approche artistique particulièrement militante, sans pour autant sacrifier les contours du monde virtuel.

Spécialiste de pièces multimédias ou de créations d’images numériques au contraste symbolique souvent très fort — on pense bien évidemment à son fameux Walmart Terrorist, qui mettait en situation un terroriste (forcément) moyen-oriental dans le temple du consumérisme de la classe moyenne américaine — Joseph Delappe a, depuis 2006 et son projet Dead-In-Iraq, pris le champ de la guerre et du détournement des objets militaires comme axe de réflexion, créatif et artistique principal. Dead-In-Iraq s’avère être en fait une intrusion performative sur la durée dans le jeu vidéo online FPS (First-Person Shooter) officiel de recrutement de l’armée américaine, dans lequel l’artiste a intégré au cours de différentes sessions successives le nom de tous les soldats américains tués en Irak, les faisant donc mourir virtuellement une seconde fois avant de leur dédier une sculpture en carton, le Cardboard Soldier.

La Guerre en ligne
Il y a plusieurs facteurs qui m’ont conduit à m’intéresser à cette question du « jeu » autour des videogames de shooting en lien avec l’armée et la guerre — et par extension avec cette culture militarisée qui est celle des États-Unis, explique Joseph Delappe. Il y a d’abord une certaine continuité de mon travail précédent, avant Dead-in-Iraq donc, qui utilisait déjà cette approche FPS dans des interventions performatives qui se rapprochaient du théâtre de rue online ou de la critique culturelle, dans des pièces comme Howl : Elite Force Voyager et Quake/Friends par exemple. Il y a toute cette incidence de la culture américaine très militarisée, les conséquences de tous ces conflits menés depuis la guerre du Vietnam.

Mais, il y a tout de même une explication plus personnelle. Enfant, j’étais fasciné par l’histoire militaire et en particulier par celle de la Seconde Guerre mondiale. J’avais même dans l’idée de rejoindre l’armée après avoir terminé le lycée en 1981. J’ai même rencontré un soldat recruteur à l’école, puis chez moi — il ne me restait plus qu’à signer mon engagement ! Mais, curieusement, ce recruteur, un ancien du Vietnam, a dû déceler chez moi quelque chose qui ne correspondait pas au profil, puisqu’il m’a finalement dissuadé de franchir le pas. Et ça a changé ma vie ! D’une certaine façon, mes interventions sur les jeux enligne officiels de l’armée américaine sont une manière de lui rendre la monnaie de sa pièce. Si elles permettent à un jeune de 17 ans de reconsidérer son choix de s’engager dans l’armée américaine, ce sera une victoire pour moi.

Joseph Delappe, The Terrorist Other

Joseph Delappe, The Terrorist Other, 2013-2014. Photo: © Joseph Delappe

The Walmart Terrorist a été une sorte d’expérience visuelle : à quoi cela ressemblerait-il d’introduire l’image d’un terroriste extraite d’un jeu de FPS contemporain dans un cadre aussi normatif qu’un intérieur de supermarché Walmart ? L’image résulte d’ailleurs d’une série d’expérimentations que j’ai intitulée The Terrorist Other (Le Terroriste Autre) et qui relie différents travaux comme Taliban Hands ou Orange Taliban. Ce qui m’intéresse là c’est l’exploration créative de notre relation complexe avec le terrorisme. Le fait que 50% des joueurs de FPS endossent le personnage d’un terroriste « ennemi » me semble assez révélateur.

Joseph Delappe a explicité cette approche très « machinima » dans son article Playing Politics: Machinima as Live Performance and Document, paru dans le livre Understanding Machinima Essays on Filmmaking in Virtual Worlds (London, UK, Continuum 2012). Il l’a aussi exacerbé dans d’autres séries de travaux comme ses sauvegardes d’écrans mettant en avant ses avatars-soldats de jeux vidéos tués (Dead… Whats Your Point?), et surtout dans son projet Iraqimemorial.org, la constitution toujours en cours d’une base de données Internet égrenant les noms des milliers de victimes civils de la guerre en Irak.

Travail de terrain et plastique drone
Joseph Delappe mène également ses actions artistiques sur le terrain du réel. Avec parfois des considérations toutes aussi profondes, mais plus environnementales, même si la dimension militaire n’est jamais très loin. En mai 2013, il a ainsi porté le projet 929 Mapping The Solar, durant lequel il a parcouru 460 miles à bicyclette dans le sud-ouest désertique du Nevada, à proximité du camp militaire de Nellis Airforce Range, afin de tracer physiquement et symboliquement sur le sol une ligne de délimitation suffisamment large pour créer la plus grande ferme solaire du pays, capable de fournir l’intégralité du territoire national en énergie.

Si un système de fabrication solaire énergétique était réalisé à cette dimension, dans cette zone parmi les plus ensoleillées du pays, correspondant à 1% de la surface totale des États-Unis, nous serions énergétiquement auto-suffisants, revendique-t-il ainsi.
Pour documenter ce projet, Joseph Delappe a acheté un drone Quad Copter, histoire aussi de poursuivre un travail autour de ces objets volants (trop) bien identifiés qui lui tenait à cœur, notamment autour de son autre projet de mémorial en-ligne, 1,000 Drones Project — qui entend lister toutes les personnes civiles identifiées comme victimes des attaques par drones au Pakistan et en Afghanistan.

Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les drones armés, poursuit Joseph Delappe. Je les vois comme une confluence parfaite de notre intarissable amour, voire de notre vénération pour le high-tech, et de notre fascination inextinguible pour les jeux vidéos. Si on va plus loin, ces instruments sont aussi le système d’armement idéal pour un pays comme les États-Unis. Ici, nous sommes en guerre depuis 13 ans. Mais la grande majorité du public ne visualise la « guerre de la terreur » que nous menons qu’à travers un champ perceptif distancié. Il y a une forme de déconnection du terrain, vu à distance, et dont le drone est le relais le plus concret.

Joseph Delappe, In Drone We Trust

Joseph Delappe, In Drone We Trust, 2014. Photo: © Joseph Delappe

Du coup, Joseph Delappe multiplie les déclinaisons, essentiellement conceptuelles et plastiques, avec notamment son projet In Drone We Trust, pour lequel il fabrique des images de drones en édition limitée à tamponner sur des dollars en signe de protestation. Ou encore à travers des œuvres le mettant lui-même en situation comme Me and My Predator, objet performatif d’auto-surveillance composé d’un modèle de drone en plastique porté par une tige en fibre de carbone qu’il garde suspendu au-dessus de sa tête et qu’il affiche comme spécialement créée pour l’insécurité et le confort.

Au croisement des techniques online et plastiques, ludiques et mémorielles, Joseph Delappe reste donc avant tout un activiste dans l’âme, toujours prêt à repartir sur de nouveaux projets. J’ai récemment été commissionné par Turbulence.org, the Cutting Room et la société britannique Phoenix pour créer un serious game intitulé Drone Strike, explique-t-il. Je suis en pleine phase de recherche en ce moment, avec notamment de nombreux entretiens avec des personnes déplacées dans le Nord Waziristan au Pakistan. Je pense aller là-bas au printemps prochain, pour approfondir la question. Et donner plus de consistance encore à son méticuleux travail de documentation/restitution.

Laurent Catala
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

> http://www.delappe.net/

« Théâtre de guerre », jeux vidéo, soft power et retranscription plastique des enjeux théoriques de la géopolitique sont le terrain de prédilection de l’artiste Emeric Lhuisset. Qu’en est-il de la réalité des combats montrés dans les médias ? Qu’elle est la part de réalité et de fiction (virtuelle), entre les joueurs de jeux vidéos et les combattants, qui sont parfois les mêmes ? Comment nos sociétés perçoivent-elles la réalité de ces conflits lointains (et pourtant si proches) ? Toutes ces questions sont au cœur de la démarche de cet artiste.

Emeric Lhuisset. War game. Combattant de l'Armée Syrienne Libre jouant à Counter Strike.

Emeric Lhuisset. War game. Combattant de l’Armée Syrienne Libre jouant à Counter Strike. Vidéo 3’27 » en boucle. Syrie (province d’Idlib), août 2012. Photo: © Emeric Lhuisset.

J’ai un double cursus, artistique et géopolitique. Je travaille à la manière d’un chercheur. D’une part, je fais un travail d’investigation d’un point de vue théorique, en lisant des livres ou en surveillant les médias. Une fois que j’ai cerné mon sujet, je me rends dans la zone concernée où je commence un travail proche de l’anthropologie. Je peux passer trois semaines ou six mois sur place, et quand j’ai cerné les enjeux de ma problématique je produis une œuvre qui est une retranscription plastique de cette analyse. C’est donc en m’intéressant au départ à ces questions de géopolitique que je me suis retrouvé sur des zones de conflits, qui m’ont amené à poser, et à me poser, des questions sur leur représentation.

Le conflit dans nos sociétés sans guerre est extrêmement présent, et l’image qu’on en a est totalement fantasmée. Sur les zones de guerre, la réalité est tout autre. Dans les news, les images sont basées sur l’évènement, le spectaculaire : le tir, l’explosion, le corps sans vie. Quand on regarde un film, c’est la même chose. Il y a aussi les jeux vidéo où nous incarnons le combattant, et même les magasins de jouet où l’on trouve des armes factices. J’ai donc décidé de travailler sur cette démystification des conflits et ce qui entoure sa représentation. Sans agresser le spectateur, mais en essayant de le séduire, voire de le piéger dans l’image, pour l’amener à s’interroger sur ce qu’on lui présente. Mon but n’est pas d’imposer un jugement, mais plutôt de donner à voir. C’est de toute façon très difficile — une société avec d’un côté l’axe du bien et de l’autre celui du mal, comme certains essayent de nous le faire croire, n’existe pas — la réalité est bien plus complexe, surtout dans ce genre de problématique.

Emeric Lhuisset. Théâtre de guerre. Photographies avec un groupe de guérilla Kurde Iranien.

Emeric Lhuisset. Théâtre de guerre. Photographies avec un groupe de guérilla Kurde Iranien. Lambda Durst, Irak, 2011 – 2012. Photo: © Emeric Lhuisset.

Parmi mes différents travaux, j’ai entamé une réflexion sur les jeux vidéo. Lycéen, j’ai beaucoup joué à des jeux du type Counter Strike ou Doom, dans un environnement en mode FPS [First Person Shooter, où le joueur incarne le personnage principal en vue dite « subjective », NDR]. En voyageant, je retrouvais ces jeux un peu partout. En Russie, au Brésil, en Chine, aux États-Unis. Au départ, je voyais ça comme l’accès à un fantasme, celui d’un ailleurs où l’on incarne un combattant et quelque chose que l’on pourrait appeler « l’exotisme de la guerre ». Un jour, en Colombie, j’étais dans un village contrôlé par les FARC. À cinquante kilomètres de la zone de front. On y entendait des tirs, des explosions. Des combattants revenaient blessés. Là, j’ai vu des enfants d’une quinzaine d’années qui étaient en train de jouer à ces jeux. Ces adolescents n’étaient pas dans un fantasme de la guerre, ils vivaient le conflit tous les jours et pourtant ils jouaient à ces jeux. Des joueurs qui deviendront combattants dans quelques années…

Cela m’a poussé à travailler sur les liens qu’entretiennent jeux vidéo et zones de guerre. Les forces armées de nombreux pays développent des jeux vidéo par exemple. Les États-Unis avec America’s Army (téléchargeable gratuitement et dans lequel le lien vers le site de recrutement de l’armée américaine, goarmy(dot)com, apparaît régulièrement), mais aussi la Chine ou l’Iran. Des groupes de guérillas ont même développé leurs jeux. De plus simples, comme Juba le sniper. Un jeu basé sur la légende d’un sniper djihadiste qui aurait abattu une centaine de soldats américains, et qui marche bien en Irak malgré son interdiction, au plus complexe, comme celui du Hezbollah. Inspiré de la guerre contre Israël en 2006, le joueur peut visionner des images d’archives montrant la réalité du conflit tel qu’il s’est déroulé à la fin de chaque plateau.

La frontière entre fiction et réalité est mince ici. Ce genre de démarche pose la question de savoir à quel moment on sort de la fiction du jeu, pour entrer dans le réel, dans l’archive et dans le document historique. Un peu, comme pour ces unités spécialisées en combats urbains équipées de caméras sur le fusil, qui tirent sur l’adversaire en le visualisant sur un écran. C’est la même problématique pour les pilotes de drones qui font la guerre à distance, mais ne voient jamais leurs adversaires. Il faut aussi parler des soldats qui sont sur les zones de guerre, qui combattent, et qui rentrent à la base frustrés parce que les conflits actuels font que très souvent, ils ne voient pas l’ennemi. Ils se connectent alors sur leurs consoles et jouent à Counter Strike ou autre pour se défouler…

Emeric Lhuisset. Chebab. Plan séquence d'une journée de la vie d'un combattant de l'Armée Syrienne Libre.

Emeric Lhuisset. Chebab. Plan séquence d’une journée de la vie d’un combattant de l’Armée Syrienne Libre. Camera subjective, 24h en boucle diffusée en temps réel. Province d’Alep et d’Idlib, Syrie, août 2012. Photo: © Emeric Lhuisset.

En 2012, j’étais en Syrie après une bataille importante durant laquelle les rebelles ont pris une base de l’armée syrienne et sont venus à bout d’une colonne de chars. Le plus frappant fut, quand les combattants se reposaient, d’en voir un allumer son PC portable pour se mettre à jouer à Counter Strike. Cela a donné lieu à un projet que j’ai nommé War Game où l’on voit un combattant de dos, en train de jouer, qui utilise dans le jeu, à plusieurs reprises, la même arme que sur le terrain. On la voit d’ailleurs, posée à côté de lui. Une autre de mes pièces s’appelle Motherfucker burn ! (titre inspiré par le film de Michael Moore Fahrenheit 911).

C’est une vidéo réalisée en 2007 avec un téléphone portable pour accentuer la sensation de réel, tout en préfigurant la représentation des conflits actuels symbolisée par la production d’images par les combattants eux-mêmes via leurs téléphones. Fixé sur une mitraillette, le mobile film en mode subjectif mes déplacements dans des souterrains sombres, comme dans un jeu FPS. Le film est projeté dans un couloir qui accentue l’effet d’angoisse et fait référence au décor de ce type de jeux. Il y a une boucle assez fine de manière à rendre la progression du personnage infinie. Le spectateur attend le moment du shoot, puis se lasse, puisqu’il ne se passe finalement rien. Il y a la frustration, mais aussi la question : qu’attend-t-on finalement, si l’on attend le shoot ? Qu’est-ce que notre frustration révèle sur nous ?

Pour mon projet Théâtre de guerre, je travaille avec des vrais combattants, sur une vraie zone de guerre. Je les invite à rejouer leur réalité dans des mises en scène inspirées de peintures classiques. L’idée étant de reprendre l’aspect maniéré de la peinture, trahissant ainsi le dispositif de mise en scène. Et pourtant, lorsque le spectateur regarde le cartel, il voit qu’il s’agit de vrais combattants, sur une vraie zone de guerre. Quelle est la part du réel alors ? C’est ce trouble que je cherche à produire avec cette série, et les questions qu’elles vont susciter. Cette question sur réel et fiction est d’ailleurs une des problématiques clés de mon travail.

propos recueillis par Maxence Grugier
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

> http://www.emericlhuisset.com/

La culture des jeux vidéo
bilingue (français / english)
septembre / novembre 2011

> Éditorial :

Il ne vous reste qu’une seule vie !
Nous sommes tous joueurs. Du rétrogaming (Pac-Man, Tetris, Street Fighter, Mario, Space Invaders…), au jeu en réseau (World of Warcraft, Counter Strike…), GTA, jeux géolocalisés, jeux sur téléphone mobile, Kinect, Wii, etc., on joue seul, côte à côte, en famille, à trois, à quatre ou à plusieurs millions. Pour s’amuser, pour gagner, pour socialiser ou apprendre (« serious game »), pour vivre des expériences… « Casual gamer », « hardcore gamer » ou même « nolife », nos avatars remplissent des stades virtuels et réclament « des pixels et des jeux ! ».

Des récompenses, voilà ce qui motive soi-disant le joueur et devient même aujourd’hui un principe de management. Ici, le jeu consiste simplement à lire pour découvrir les tops et les flops, les stars cachées derrière leurs créations, les jeux indépendants, les joueurs-acteurs qui se rebellent, et les artistes, bien sûr, qui détournent ces jeux, inventent le slow gaming, créent de la musique 8 bits, et vous obligent même à partager votre manette !

À la fin de ce numéro, il y a peut-être une deuxième vie… Impossible de faire le tour de la planète jeu en un seul volume. Sur cette thématique, MCD a confié la rédaction en chef à Annick Rivoire et son équipe de Poptronics, une collaboration qui se poursuit avec le prochain numéro « écolo-techno ». Attention… Game over Culture !

Anne-Cécile Worms – Directrice de la rédaction

> Remerciements :
Nous remercions notre partenaire Poptronics et Annick Rivoire sur cette publication, ainsi que les institutions qui soutiennent cette publication, le Ministère de la Culture et de la Communication et la Région Île-de-France, le co-éditeur de notre nouvelle formule, Digitalarti, et nos partenaires, Orange et Epitech.