Archive d’étiquettes pour : interactivité

EXO, au-delà des frontières

Le festival d’art numérique Elektra revient avec une nouvelle thématique : EXO – Au-delà des frontières. Cette édition 2025 qui se déroulera du 18 au 22 juin proposera une série de performances audiovisuelles, d’expériences participatives et d’œuvres interactives. L’idée est bien d’essayer d’aller voir « au-delà », de se tenir à la lisière de l’inconnu, dans des territoires inexplorés entre intelligence artificielle, exobiologie et réalités parallèles […] et d’interroger notre relation à l’altérité, à la technologie et aux mondes qui échappent à notre perception.

Alain Thibault, The 11th Dream. Photo: D.R.

Pour tenter cette aventure, le public dispose de trois portes d’entrées. D’une part via une expérience théâtrale urbaine immersive où, après avoir revêtu une combinaison spatiale, nous sommes parés pour une mission d’exploration à travers la ville. Baptisée #Exoterritoires, cette expérience peut se vivre aussi bien comme acteur que comme spectateur. Imaginée par Le Clair Obscur, ce spectacle de rue scientifico-poétique, est le fruit de la collaboration entre un metteur en scène et artiste numérique, un auteur de science fiction, une comédienne et des chercheur·euses du CNES / Observatoire de l’Espace

Le Clair Obscur, #Exoterritoires. Photo: D.R.

La deuxième porte permet de vivre une expérience collective de VR dans un musée virtuel : Elektra Virtual Museum (EVM). Ce nouveau projet présente une sélection d’œuvres 3D d’artistes du Québec : Baron Lanteigne, Bill Vorn, Chun Hua Catherine Dong, Eyez Li, Philippe Internoscia, Skawennati, Kevin Dubeau, Tanya St-Pierre & Philippe-Aubert Gauthier et Yan Breuleux. Ces œuvres sont à découvrir gratuitement, muni d’un casque VR, le long d’un parcours sur 5 étages à l’UQAM (Université du Québec à Montréal).

Augurs Wand (Mike Cassidy & Kristian North), Smoke Screen. Photo: D.R.

Troisième porte : les performances en soirée. Pour celle d’ouverture, le mercredi 18 juin, ce sera Smoke Screen par Augurs Wand (Mike Cassidy & Kristian North). Ce duo utilise un synthétiseur laser fait sur mesure pour générer simultanément des formes, des couleurs et des sons diffusés par trois lasers et un ensemble de haut-parleurs. Et aller au-delà des « portes de la perception », à la limite des hallucinations, en jouant explicitement sur les phénomènes entoptiques et les illusions perceptuelles créés par l’intégration du son à la lumière laser…

Ianna Book, Eros Circuitry. Photo: D.R.

Les autres soirées verront se succèder les performances AV, installations interactives et lives sets parfois très « electronic-noise » de Kevin Dubeau (Hyper-Crash), Ianna Book (Eros Circuitry), MSHR (Network Entity), Baron Lanteigne (Matter Under Maintenance), Alain Thibault (The 11th Dream), Tacit Group (tacit.perform[best]), mHz (Cruise Missile Intersectionnality), Motoko (Model 3), WYXX (STD10), Gazaebal (UN/Readable Sound).

Laurent Diouf

> Festival Elektra, EXO – au-delà des frontières
> du 18 au 22 juin, Montréal (Québec / Canada)
> https://www.elektramontreal.ca/festival-2025?lang=fr

Perspectives of AI in the Visual Arts

Pour marquer son ouverture, le centre Diriyah Art Futures de Riyadh, en Arabie Saoudite, propose une exposition qui offre un vaste panorama sur l’art numérique : Art Must Be Artificial, perspectives of AI in the Visual arts.

Edmond Couchot & Michel Bret, Les Pissenlits, 1990. Courtesy of Diriyah Art Futures.

Une nouvelle ère
Cet événement a été organisé par Jérôme Neutres ; commissaire d’expositions, auteur, ex-directeur chargé de la stratégie et du développement pour la Réunion des musées Nationaux-Grand Palais et ancien directeur exécutif du Musée du Luxembourg à Paris. Réunissant une trentaine d’œuvres de pionniers, d’artistes reconnus et de créateurs émergents, cette exposition se distribue sur quatre axes qui mettent en valeur des approches et techniques spécifiques.

Privilégiant un parcours pluriel, plutôt que la linéarité d’un historique, l’exposition nous rappelle que l’art numérique est inséparable de la révolution informatique qui s’est déployée dès les années 60. Au-delà, comme le souligne Jérôme Neutres, c’est aussi l’exploration d’une transformation socio-culturelle profonde, où les artistes ne sont pas seulement des créateurs, mais les architectes d’une nouvelle ère numérique.

Alan Rath, Again, 2017. Courtesy of Diriyah Art Futures.

Lignes de code…
La première étape de cette exposition est placée sous le signe du codage : The invention of a coding palette. La création à l’ère numérique se fait à l’aune de la géométrie et des mathématiques. Mais la programmation informatique et les machines peuvent aussi « dialoguer » ou, du moins, faire écho aux pratiques artistiques plus classiques (peinture, sculpture, etc.). En témoigne, sur le parvis du Diriyah Art Futures, Hercules and Nessus #A_01 de Davide Quayola. Cette sculpture massive et inachevée, exécutée par un bras robotisé dans un bloc de marbre gris, s’inscrit en référence aux sculptures non finito de Michel-Ange. Plus loin, les robots de Leonel Moura sont aussi à l’œuvre… Ils réalisent in situ, de façon presque autonome, des tracés sans fin (011120). On peut aussi admirer sa série de sculptures torsadées qui trônent en extérieur (Arabia Green, Arabia Red, Arabia Blue…).

Dans cette première section, on trouve également quelques-unes des premières œuvres graphiques réalisées par ordinateur dans les années 60-70. Frieder Nake (Walk Through Rathe), Vera Molnar (2 Colonnes, Trapez Series, (Des)Ordres et Hommage à Monet), Manfred Mohr (P-038-II). Avec son installation spécialement créée pour le Diriyah Art Futures, Peter Kogler nous plonge littéralement dans un tourbillon de « formes déformées », au sein d’un grand espace entièrement recouvert de carrés tridimensionnels vert et blanc (Untitled). L’illusion d’optique et l’impression de dérèglement des sens sont saisissantes. Un QR code permet de faire apparaître un insecte virtuel dans cet espace.

Peter Kogler, Untitled, 2023. © Courtesy of Diriyah Art Futures

Poétique de l’algorithme
Cette deuxième partie de l’exposition insiste sur la, ou plutôt, les dimensions presque infinies des installations et pièces générées par des algorithmes : Algorithmic poetry to question of infinity. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’algèbre (al-jabr) et la notion de suite algorithmique doivent beaucoup au mathématicien perse Al-Khwârizmî… On y retrouve bien évidemment Ryoji Ikeda avec une déclinaison de data.tron [WUXGA version]. Ces entrecroisements de lignes et de chiffres sur fond d’electronic noise contrastent avec le « naturalisme » dont peut faire preuve Miguel Chevalier avec ses fleurs fractalisées (Extra Natural, Fractal Flowers).

En extérieur, Miguel Chevalier propose aussi en projection sur l’une des façades du Diriyah Art Futures des motifs kaléidoscopiques évoquant des arabesques géométriques (Digital Zellig). On peut faire l’expérience de son univers pixelisé au Grand Palais Immersif à Paris jusqu’au 6 avril 2025. Leo Villareal (Floating Bodies), Laila Shereen Sakr alias VJ Um Amel (Rosetta Stones Resurrected), Nasser Alshemimry (Digital Anemone), Daniel Rozin et son miroir mécanique coloré (RGB Peg Mirrror) ainsi que les maelströms de Refik Anadol (Machine Hallucination NYC Fluid Dreams A) complètent cet aperçu. À cela s’ajoutent deux installations, l’une cinétique, l’autre robotique : Piano Flexionante 8 d’Elias Crespin (prototype de L’Onde du Midi installée au Musée du Louvre) et l’étrange ballet des « oiseaux » noirs d’Alan Rath (Again).

Miguel Chevalier, Digital Zelliges, 2022. © Courtesy of Diriyah Art Futures

Nature et artifice
Le troisième temps de cette exposition revient sur la question de la nature et du paysage : A Digital oasis: organic artworks for an artificial nature. On sait à quel point ce sujet est central dans l’histoire de l’art. Là aussi, il est intéressant de voir comment ce thème est traité et réinterprété dans l’art numérique. On mesure le chemin parcouru avec la pièce iconique d’Edmond Couchot & Michel Bret datant déjà de 1990 : Les Pissenlits. Ce dispositif interactif qui permet aux spectateurs de souffler pour disperser les spores des pissenlits sur écran fonctionne toujours, techniquement bien sûr, mais aussi et surtout artistiquement. Plus réalistes, les tulipes générées par Anna Ridler via un programme d’IA semblent paradoxalement inertes (Mosaic Virus, 2019).

Pour les représentations de paysages, on se perd dans les multiples détails des vidéos 4K de Yang Yongliang qui, de loin, paraissent statiques, immuables (The Wave, The Departure). Haythem Zakaria propose aussi une installation vidéo 4K en noir et blanc (Interstices Opus III), concluant un travail de réflexion sur le paysage qu’il a entamé en 2015. Les captations ont été faites en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Elles montrent différents plans de l’Atlas qui traverse ces 3 pays. Sur ces vues viennent se greffer des traits et carrés qui trahissent volontairement une manipulation de l’image pour mieux souligner la profondeur de ce massif mythique. En haut des marches conduisant à la terrasse qui coiffe une partie du Diriyah Art Futures flotte une représentation LED du « drapeau » de fumée noire de John Gerrard qui symbolise l’exploitation sans fin du pétrole (Western Flags).

Refik Anadol, Machine Hallucinations – NYC Fluid Dreams A, 2019. Courtesy of Diriyah Art Futures.

L’œil du cyclone
La quatrième et dernière partie de l’exposition focalise sur l’Intelligence Artificielle : Every AI has its look. On y découvre beaucoup de portraits morcelés, fragmentés, désormais si courants à l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, au travers de l’installation d’Eyad Maghazil qui a collecté et mis en forme des centaines d’heures de petites vidéos (Stream). Avec sa série IconGif, Xu Wenkai — alias Aaajiao, artiste, activiste et blogueur — opère un retour vers le futur avec ses images très pixelisées reproduites sur écran, où se dessinent des portraits de personnages qui semblent être échappés d’un manga…

Avec ses portraits recomposés sur trois écrans, mélangeant plusieurs bouches et regards sous le « contrôle » d’un algorithme dédié (machine learning), Daniah Al-Salah nous soumet à une injonction : Smile Please! Les techniques de reconnaissance faciale sont aussi une source d’inspiration pour concevoir des portraits à l’ère numérique. Charles Sandison joue avec ces technologies pour créer des visages fantômes, des regards « imaginés » à partir d’une base de données (The Reader 1). Une installation vidéo qui donne tout son sens au titre de cette exposition — Art Must Be Artificial, Perspectives of AI in the Visual Arts — visible jusqu’en février prochain.

Laurent Diouf

> exposition Art Must Be Artificial : Perspectives of AI in the Visual Arts
> du 26 novembre 2024 au 15 février 2025
> Diriyah Art Futures, Riyadh (Arabie Saoudite)
> https://daf.moc.gov.sa/en

une expérience interactive avec l’univers créatif de l’IA

Cette première grande exposition parisienne consacrée à Miguel Chevalier au Grand Palais Immersif à Paris est présentée jusqu’au 6 avril 2025. Captivant et hypnotique, le parcours sur distribue sur 2 étages et 1 200 m2. Cette exposition regroupe des installations immersives, génératives et interactives qui explorent des thématiques actuelles, telles que la surveillance, l’identité numérique et la relation entre l’humain et la machine.

À ces installations se mêlent aussi des vidéos inédites, des sculptures réalisées par impression 3D, ou encore des œuvres lumineuses pensées comme des totems. Les visiteurs sont ainsi en immersion dans l’univers visionnaire de l’artiste, où le réel et le virtuel se rencontrent pour explorer les nouvelles frontières de l’art numérique et de l’intelligence artificielle.

Cette exposition s’articule autour de deux thèmes principaux : la ligne et le pixel. À travers cette dualité, Miguel Chevalier explore les réseaux invisibles qui façonnent nos vies quotidiennes et structurent notre société, qu’il s’agisse de flux de communication, de données ou même de phénomènes cosmiques et métaphysiques.

Ses œuvres récentes, nourries par les progrès de l’intelligence artificielle, interrogent l’impact croissant des systèmes algorithmiques, la nature des images générées par les algorithmes, et questionnent l’influence de la technologie sur notre manière de percevoir le monde.

> exposition de Miguel Chevalier
> du 05 novembre au 06 avril, Grand Palais Immersif, Paris
> https://grandpalais-immersif.fr/

Biennale internationale des arts numériques

Némo est de retour en cet automne 2023. Comme les éditions précédentes, la Biennale Internationale des Arts Numériques essaime à Paris et dans toute l’Île-de-France jusqu’au début de l’année prochaine. Plus d’une vingtaine de lieux sont investis pour cette manifestation.

collectif Universal Everything, Maison Autonome. Photo: D.R.

L’inauguration de cette biennale tentaculaire s’est faite au CentQuatre à Paris avec l’exposition Je est un autre ? dont le titre reprend les mots de Rimbaud. Derrière cette assertion, c’est toute une thématique autour des représentations et personnalités multiples que chacun abrite désormais grâce (ou à cause) du numérique.
Copies, doubles, mutants, avatars, identités factices, technologies de l’égo, quêtes de visibilité, (dis)simulations, emprises, deepfakes, chimères, métamorphoses et univers parallèles font désormais partie de notre quotidien.
C’est tous ces « effets miroirs » qui sont mis en scène dans cette exposition au travers de vidéos immersives, d’installations interactives et autres œuvres hybrides conçues par Jean-Luc Cornec (TribuT), Marco Brambilla (Heaven’s Gate), Bill Vorn (Intensive Care Unit), Frederik Heyman (Virtual Embalming), Ian Spriggs (Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad), Donatien Aubert (Veille Infinie), Encor Studio (Alcove LTD)…

Pendant trois mois, d’autres expositions, spectacles, installations, rencontres et performances viendront creuser ce sujet et rythmeront le déroulé de la biennale le temps d’une journée, d’une semaine ou de plusieurs mois. Ainsi jusqu’au 5 janvier à La Capsule, le Centre culturel André Malraux du Bourget, Chen Chu-Yin et Daphné Le Sergent extrapolent autour des DAO (Decentralized Autonomus Organizations) ; en français les Organisations Autonomes Décentralisées. Soit des « communautés internet » formées autour d’un intérêt commun que les deux artistes abordent par le biais de la mémoire artificielle et de l’intelligence collective.

Au Cube de Garges, une exposition collective enterre avec un peu d’avance le monde digital, celui du geste sur nos écrans tactiles, pour nous faire entrevoir le monde de demain, celui des interfaces actionnées par la pensée. Intitulée Cerveau-Machine, cette exposition prévue jusqu’au 16 décembre réunie notamment Memo Akten, Maurice Benayoun, Justine Emard, Neil Harbisson & Pol Lombarte, Mentalista, Adrian Meyer, Julien Prévieux, Marion Roche… Un cycle de projections, deux œuvres de réalité virtuelle réalisées par Mélanie Courtinat et Lena Herzog, un live de Sugar Sugar et une performance audiovisuelle de TS/CN (Panorama) sont également prévus en écho à cette expo.

TS/CN, Panorama. Photo: D.R.

Échantillons de soi est une autre exposition collective autour des « personnalités multiples » qui nous hantent dans le réel comme dans le virtuel et de la pratique d’échantillonnage (son, image). Ou approchant. Les œuvres d’Ines Alpha, Renaud Auguste-Dormeuil, Emilie Brout & Maxime Marion, Grégory Chatonsky, Dasha Ilina, Bettie Nin et Fabien Zocco présentées à La Traverse, Centre d’art contemporain d’Alfortville, brouillent également, pour certaines du moins, la frontière entre sphère privée et monde de l’art.

Au Centre Culturel canadien à Paris, du 7 décembre 2023 au 19 avril 2024, il sera question d’Infinies Variations par le biais des créations de Nicolas Baier, Salomé Chatriot, Chun Hua, Catherine Dong, Georges Legrady, Caroline Monnet, Oli Sorenson, Nicolas Sassoon, Christa Sommerer & Laurent Mignonneau et Timothy Thomasson. C’est le troisième volet d’une trilogie conçue par les commissaires d’exposition Dominique Moulon, Alain Thibault et Catherine Bédard qui explorent, cette fois, la notion de série telle qu’elle se présente dans l’histoire de l’art depuis le XIXe.

Au Bicolore, l’espace culturel et la plateforme digitale de la Maison du Danemark à Paris, sur une thématique voisine (Multitude & Singularité) appliquée aux êtres comme aux technologies, on découvrira des œuvres de Stine Deja & Marie Munk, Jeppe Hein, Mogens Jacobsen, Jakob Kudsk Steensen, Jens Settergren et Cecilie Waagner Falkenstrøm qui reflètent la complexité du monde dans sa version numérique. Aux Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, du 8 au 17 décembre, la compagnie Adrien M & Claire B présentera Dernière minute. Une installation doublée d’une expérience immersive qui inclue les spectateurs. Le concept : une minute est étirée sur une demi-heure. La source d’inspiration : le décès d’un père et la naissance d’un fils. Le sujet : l’intervalle, cette fameuse minute, qui précède la vie ou la mort…

Stine Deja & Marie Munk, Synthetic Seduction: Foreigner. Photo: D.R.

Début décembre également, lors de l’Open Factory #7 au CentQuatre, on pourra aussi solliciter Tally, l’apprentie artiste quantique mise au point par Matthieu Poli avec Alexis Toumi et Sven Björn Fi. Cette intelligence artificielle (impossible d’y échapper dans une telle manifestation) utilise les possibilités uniques de l’ordinateur quantique pour composer des œuvres abstraites qu’elle dessine ensuite à l’aide de bras robots. Elle apprend continuellement en intégrant les réactions du public, définissant ainsi une sensibilité artistique propre. Contrairement aux intelligences artificielles génératives classiques qui se contentent de reproduire l’existant, Tally cherche à comprendre en profondeur la structure des œuvres d’art. À voir…

Durant ce trimestre riche en propositions artistiques, on retiendra aussi Lumen Texte, la performance « pour un vidéo projecteur et un plateau vide » du Collectif Impatience au MAIF Social Club à Paris. Chutes, l' »opéra électronique » source d’expérience synesthésique de Franck Vigroux / Cie Autres Cordes à la MAC de Créteil. La nouvelle version d’A-Ronne, le « théâtre d’oreille » conçu par Luciano Berio & Sébastien Roux, proposée par Joris Lacoste au même endroit. Cette pièce sonore explorera les ambiguïtés entre voix et électronique, voix amplifiées ou réverbérées dans l’espace, voix jouées dans le casque ou entendues « à travers » le casque.

On testera Earthscape ou la déambulation philosophique initiée par la Cie Zone Critique, sur un modèle rappelant les dérives situationnistes (en plus sérieux…), qui investira la Scène de Recherche de l’École Nationale Supérieure Paris-Saclay à Gif-sur-Yvette. Sur l’esplanade de La Défense, on retrouvera une autre installation d’Encor Studio, Hemispheric Frontier — un cercle clignotant de néons assez hypnotiques se reflétant sur une surface aqueuse — et la Lune Dichroïque de Jérémie Bellot. Une sorte de grosse boule à facette translucide et colorée. Nourri par la géométrie polyédrique et les arts mathématiques, nous dit-on, ce plasticien et architecte de formation, interroge le rôle de la lumière dans l’espace vécu et dans l’espace perçu à travers des dispositifs audiovisuels immersifs.

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Némo
Biennale internationale des arts numériques
> jusqu’au 7 janvier 2024
> https://www.biennalenemo.fr/

Séquence #5 : arts sonores

Visualiser le son est une exposition collective (sons, vidéos, art génératif, installations interactives, projections, rencontres) qui présente différentes approches quant à ces connexions, et cela à travers différentes perspectives : les partitions graphiques de Chiyoko Szlavnics et Clara de Asís ouvrent la porte vers une conception plus ample et visuelle de l’écriture musicale.

Les vidéos de Simon Girard et Julien Haguenauer, ainsi que les données sonifiées et mises en vidéo par le duo britannique Semiconductor, nous montrent comment les images et les sons peuvent être traités et générés d’une même manière. Les images fixes de Sigolène Valax et Sabina Covarrubias proposent des musiques dont la sonorité est perçue en tant que couleur et forme, tandis que l’art génératif de Guillaume Loizillon révèle le champ des possibles de l’univers du web.

Enfin, l’interactivité et la gestuelle sont mis en évidence dans les travaux de Basile Chassaing et la pièce que [Federico Rodriguez-Jiménez] propose : les capteurs de mouvement ou de son permettant au spectateur de voir le sonore en tant que geste ou en tant qu’image en temps réel. Visualiser le son ouvre une réflexion autour des possibles zones de brouillage entre le son et l’image.

En répondant à l’écriture traditionnelle du phénomène sonore, cette exposition enquête sur l’écriture musicale elle-même et pointe vers de nouvelles directions concernant la notation des mondes sonores contemporains. […] Et s’il est question, dans l’exposition Visualiser le son, de données qui génèrent indifféremment des sons ou des images, d’outils technologiques qui réinventent l’écriture musicale, la programmation cinéma qui l’accompagne dresse quant à elle un panorama des relations entre « audio » et « visuel »…

> du 10 mars au 13 août, Le Lavoir Numérique, Gentilly
> https://lavoirnumerique.grandorlyseinebievre.fr/

La notion de « code » est centrale aussi bien pour le vivant que pour le mécanique. Et les pratiques artistiques sont également soumises à sa loi. Plus largement, cette confrontation permet de nourrir le questionnement sans fin sur les défis civilisationnels qui se posent actuellement.

Éric Vernhes Horizon négatif. Photo : © Jean-Christophe Lett.

code quantum

L’exposition Code Is Law, visible sur rendez-vous au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, témoigne de ces interrogations au travers d’une dizaine d’œuvres rassemblées par Carine Le Malet — responsable de la programmation pour la Scène de recherche de l’ENS Paris Saclay, ancienne directrice de la programmation et de la création pour Le Cube – Centre de création numérique (2001-2020) — et Jean-Luc Soret — curateur indépendant, ancien responsable des projets nouveaux médias de la Maison Européenne de la Photographie (1999 – 2019), cofondateur du Festival @rt Outsiders (2000-2011).

Cet événement reprend le titre du célèbre article de Lawrence Lessig où ce juriste nous mettait en garde contre l’apparition d’un nouveau pouvoir « immatériel », mais tentaculaire et surpuissant : le code qui régit le cyberespace. Le code qui se déploie sans contre-pouvoir, qui n’obéit à aucun gouvernement. Le code qui fait loi, donc, autorisant ou non l’accès à l’information, rendant l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre…

Mais le code est aussi un levier qui soulève de nombreuses questions anthropologiques, esthétiques, socio-culturelles, politiques et philosophiques par rapport à l’omniprésence computationnelle… Un questionnement qui se fait ici par le biais de la distanciation artistique et poétique, au travers de démarches et créations transversales proposées par des artistes belges et internationaux qui résident tous à Bruxelles ou en Wallonie. Ce regard critique sur l’inéluctable transformation sociale, numérique et écologique, à la fois pleine d’espoir et de menaces, que nous subissons, reste néanmoins « bienveillant » (symbiocène), par opposition à une vision plus anxiogène (anthropocène).

Natalia De Mello, Machins Machines. Photo : © Jean-Christophe Lett.

machins machines

La musique obéit aussi à un code, ou plutôt à des codes, des gammes, des tonalités, etc. En formalisant des bruits sur le modèle de la musique, c’est-à-dire en les alignant sur une partition, Natalia de Mello a réalisé une sorte de fresque murale (Machins Machines). Un travail de marquerie qui laisse entrevoir, de près, des icônes et des fragments d’interface de logiciels. Le dispositif repose sur des boîtes suspendues comme des notes sur une portée stylisée. À l’intérieur, des petites enceintes qui diffusent des bruits de notre environnement quotidien. Dans un autre genre, AMI (2003-2005), la deuxième proposition de cette artiste, fait appel au sentiment d’empathie envers les machines, robots ou gadgets électroniques. Lointain héritage du Tamagochi tourné en dérision, l’effigie d’un homme se dresse comme une statue grecque affublée d’artefacts à des endroits choisis de son corps (visage, nombril, sexe, pieds…) pour contrôler ses réactions.

Mais lorsque l’on pense code au quotidien, on pense avant tout aux algorithmes du plus célèbre des moteurs de recherche qui nous livre des réponses orientées en fonction de notre profil et des datas collectées « à l’insu de notre plein gré ». En particulier si l’on utilise le raccourci, J’ai De La Chance. Pour mettre en exergue le « décor truqué » de Google, François de Coninck a opté pour une représentation à rebours des codes numériques. Il a en effet confié des captures d’écran des suggestions de recherche à Damien De Lepeleire qui les a reproduites sous forme d’aquarelles, avec une calligraphie presque enfantine et parfois des effets de délavés.

Il est également question de data avec Laura Colmenares Guerra qui nous offre un aperçu de son travail d’alerte sur la déforestation amazonienne et les problèmes socio-environnementaux qui minent cette partie du monde avec deux sculptures (sur une série de treize). Grâce à une imprimante 3D qui fonctionne avec de l’argile, elle réalise une matérialisation des données (topographiques, hydrographiques, etc.) et de leurs tracés, reflétant ainsi à un instant « t » l’état de deux sous-régions de l’Amazonie (Rios / Caqueta (Japura) & Juruá).

Laura Colmenares Guerra, Rios / Caqueta (Japura) & Juruá. Photo : © Jean-Christophe Lett.

mécaniques poétiques

Le code ultime se cache sans doute au cœur de nos cellules, enfoui dans notre ADN, dont les 4 éléments de base — thymine, adénine, guanine, cytosine (TAGC) — offrent un nombre presque infini de combinaisons. Cette loi s’applique à tout le vivant. Outre nos cousins chimpanzés avec qui nous partageons le plus de gènes, cela nous rend proches également d’un champignon ou d’un arbre. Ce qui permet à Antoine Bertin de s’amuser avec l’ADN de plantes et d’être humain pour composer de petites ritournelles à « deux mains » sur un piano mécanique qui laisse entrevoir ses entrailles (Species Counterpoint).

Deux mélodies se superposent, c’est un contrepoint. Puisque l’ADN est constitué d’une double hélice, Antoine Bertin met en parallèle les données biologiques issues des matières animales et végétales dont est constitué le piano (pour la main gauche) avec celles d’un humain (pour la main droite). Un processus de « sonification » transforme les données (l’ADN) en son (la musique). Le résultat est modulé selon des gènes qui articulent des fonctions primaires (respirer, ressentir, manger, se défendre, déféquer, se reproduire, dormir, mourir). Soit huit mouvements pour une symphonie hybride. Esthétiquement, ce piano trafiqué aux allures steampunk évoquera pour certains les mécaniques poétiques d’Ez3kiel conçus par Yann Nguema.

Autre pièce maîtresse de cette exposition : Spectrogrammes de Claire William. Si le métier à tisser est vieux comme le monde, celui perfectionné à Lyon par Jacquard au début du 19e siècle est considéré comme la toute première machine computationnelle dans la mesure où il utilisait des cartes perforées pour fonctionner, comme les orgues de Barbarie et les pianos mécaniques justement.

Pour son installation, Claire William a détourné un modèle beaucoup plus récent, en l’occurrence une machine à tricoter des années 70/80 sur laquelle elle a greffé un appareillage électronique qui capte les flux électromagnétiques environnants. Les ondes sont converties en signaux binaires pour « téléguider » le tricot. Il en résulte un entrelacs de mailles dont les motifs indiquent la signature électromagnétique du lieu. À noter que d’autres sources peuvent être aussi utilisées.

Antoine Bertin, Species Counterpoint. Photo : © Jean-Christophe Lett.

paysages géométriques

Changement de dimension avec Éric Vernhes. On replonge dans le monde des écrans avec des phrases simples, transcodées, transformées en idéogrammes dépouillés et abstraits. Inspiré par un poète japonais du 17e siècle, cette graphie évolutive très épurée est présentée dans de petits tableaux encadrés (Bashô). Éric Vernhes présente aussi des paysages géométriques générés aléatoirement. Le spectateur peut les moduler par sa présence ou par des gestes en se rapprochant de la caméra synchronisée sur chaque écran.

Ce dispositif emprunte son intitulé au titre d’un des ouvrages de Paul Virilio, Horizon Négatif. Disparu en 2018, le philosophe-architecte-urbaniste, grand prêtre de « la catastrophe qui arrive », a été traumatisé par la guerre et ses bombardements qu’il a subis enfant. Ce n’est pas un hasard si son premier ouvrage porte le titre fracassant de Bunker archéologie. Son analyse du monde moderne sous les prismes de la vitesse, de l’espace, des écrans, du cybermonde, de l’accident, reste fondamentale.

L’interaction est également au centre des projets d’Alex Verhaest. D’une part avec Sisyphean Games – Ad Homine. Un ensemble de jeux vidéo vintage qu’elle a détourné jusqu’à l’absurde, laissant le joueur hors boucle puisque ses mouvements sont vains : il n’a plus prise sur le scénario du jeu qui se répète à l’infini, le condamnant à un éternel recommencement comme Sisyphe. D’autre part — et surtout — avec Temps Morts / Idle Times qui se présente, au premier regard comme un « tableau-vidéo ». Les teintes et le rendu restent proches de la peinture bien qu’il s’agisse d’une projection sur écran géant. Un groupe de personnages est disposé autour d’une table, de face, symétriquement comme dans la Céne. Ils portent le deuil d’un père disparu, suicidé ou assassiné.

Imperceptiblement quelques détails nous intriguent. L’immobilité apparente est troublée par des mouvements (un clignement d’œil, le vol d’un papillon…), rappelant certaines œuvres de Bill Viola par exemple. Plus étrange encore, les personnages sont dédoublés. Ils cohabitent avec leurs clones, un peu plus âgés, comme échappés d’une autre dimension temporelle. On pourrait s’éterniser, se laisser hypnotiser par cette étrangeté. Mais nous avons la possibilité d’appeler un personnage ! Lorsque l’on compose un numéro donné, une sonnerie retentit « dans » le tableau. Le personnage central, un dénommé Peter, actionne son portable et une discussion s’engage entre les membres de cette drôle de famille…

archéologie du corps calculé

On revient au plus près du corps et du code avec deux performances programmées début mars, en clôture de l’exposition, si les conditions le permettent. Au travers d’une conférence performée, Jacques André mettra en exergue la rationalisation de nos corps bardés de plus en plus de capteurs et d’objets connectés qui nous auscultent en permanence, nous exhortant à une normalité clinique, à une auto-évaluation quasi permanente, à une compétition anatomique qui ne laisse presque plus de place à l’hédonisme (Mes Organes, Mes Datas).

Cette réification étant désormais bien installée et les technologies ayant évoluées, Jacques André se livre, au sens strict, à une véritable archéologie du corps calculé. Si le corps semble plus libre chez Jonathan Schatz, il s’exprime néanmoins dans un cadre plus contraint, plus numérique. Dialoguant avec un environnement qui mêle éléments visuels et sonores de facture très minimaliste, que l’on doit à Yannick Jacquet et Thomas Vaquié, cette œuvre chorégraphique d’une durée d’une vingtaine de minutes est une réinterprétation « codée » de musique et danse traditionnelle japonaise (Minakami).

Laurent Diouf

Code Is Law, exposition collective avec Jacques André, Antoine Bertin, Laura Colmenares Guerra, François De Coninck & Damien De Lepeleire, Natalia De Mello, Jonathan Schatz, Alex Verhaest, Eric Vernhes, Claire Williams.

> sur rendez-vous jusqu’au 28 février, au Centre Wallonie-Bruxelles, 127-129 rue Saint-Martin, Paris.
Performances de Jacques André (Mes Organes Mes Datas) et Jonathan Schatz (Minakam), le samedi 6 mars (sous réserve des contraintes sanitaires)

> https://www.cwb.fr/agenda/code-is-law-exposition-collective

Laia Cabrera & Isabelle Duverger

L’interaction et l’immersivité au service de l’illusion d’optique. On pourrait résumer ainsi Illusion, l’installation conçue par Laia Cabrera et Isabelle Duverger, cinéastes et artistes plasticiennes. Combinant différentes techniques (mapping, miroir, réalité augmentée, vidéo, musique, animation), leur dispositif est une expérience limite, entre voyage sensoriel et labyrinthe numérique, où le public est invité à se perdre et à jouer « activement » dans un maelstrom de formes, de couleurs et de sons.

Illusion est une œuvre « multiple » (immersive, interactive, etc.). Comment est né ce projet ? Sur quels principes repose-t-il ?
Ce projet est né d’une recherche que nous menons depuis quelques années sur l’illusion de la notion du temps. Parce que notre travail est très visuel, nous avons cherché le langage le plus approprié pour proposer une pièce qui permettrait de jouer avec cette notion. L’art immersif est pour nous le moyen d’arracher le public à la réalité en l’invitant à se retrouver dans un espace complètement transformé. L’utilisation de miroirs au sol et au plafond est un autre moyen que nous utilisons ici pour transformer, renverser la perspective pour le public.

Pourquoi ce choix de l’interactivité ?
La technologie évolue beaucoup et nous nous intéressons aux possibilités qu’elle nous propose, sans se laisser limiter par elle. L’intention est de faire participer le spectateur afin qu’il ne soit plus seulement spectateur, mais acteur de notre histoire. Et l’interactivité est un élément essentiel afin de donner le contrôle au public, mais également de lui permettre de s’investir dans la pièce, d’en altérer le sens et de générer du contenu visuel et sonore. En d’autres termes, cela permet d’explorer de nouvelles dramaturgies et narrations multimédias. Pour cela nous avons collaboré avec le designer en interactivité Aniol Saurina Masó. L’essence de notre travail en tant qu’artistes est de raconter des histoires en créant de nouveaux langages pour le public. Et la réactivité de la pièce, de par cette interactivité, permet aux tout petits comme aux plus grands d’y participer. Toutes ces possibilités qui s’ouvrent au public sont en soi une récompense.

Le son et la musique renforcent le sentiment d’immersion. Quelques phrases sur cet aspect…
Nous travaillons toujours le son, autant que possible. Cela renforce l’univers visuel et transmet une émotion que les visuels seuls ne peuvent communiquer. Nous sommes musiciennes et nous essayons autant que possible de travailler avec des compositeurs et musiciens qui comprennent le langage visuel. Avec nous sur ce projet, Nana Simopoulos est une compositrice de musique de film renommée qui peut faire du jazz ou de la musique du monde, mais aussi créer des univers sonores. Mary Ann McSweeney, contrebassiste de jazz, a également participé à l’enregistrement de certaines sections de la musique, apportant ainsi son talent d’improvisation à notre pièce.

Quelques mots également sur vos projets en cours…
Nous avons participé à la création d’une plateforme interactive de 22 m de long, Coolture Impact, à Times Square à New York, durant ces deux dernières années. C’est la première de ce genre dédié à l’art, et la plus grande de son genre. Elle a été inaugurée avec notre pièce The Now en octobre dernier. Elle permet maintenant à d’autres artistes qui utilisent également l’interactivité d’y présenter leurs pièces. Nous y retournerons à la mi-juin pour présenter une nouvelle pièce. Nous sommes également en train de développer une pièce sur la recherche de la conscience qui sera développée pour être projetée dans un dôme.

Laurent Diouf

Illusion, installation interactive de Laia Cabrera & Isabelle Duverger, du 1er juin au 1er novembre, galerie Flutter, South La Brea / Los Angeles (USA)

> https://flutterexperience.com/
> https://www.laiacabreraco.com/illusion