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Retour sur la 15e édition du festival Gamerz

Pour ceux qui ont connu les années 80s, c’est un grand flash(back) qui les attend en poussant la porte de la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence où se tient Digital / Alter, l’exposition centrale de la 15e édition du festival Gamerz. Sur une table, juste en entrant, trônent quelques téléphones orange à touches et des minitels marron. À l’époque, l’idée qu’un réseau planétaire et des smartphones allaient profondément modifier notre rapport au monde relevait encore de la science-fiction… Depuis, cette modernité télématique est devenue vintage, propice à une archéologie des médias. C’est la démarche du PAMAL_group qui, avec cette installation intitulée 3615 Love, a ressuscité des oeuvres appartenant à la protohistoire de l’art numérique comme les Videotext Poems conçus par Eduardo Kac en 1985-86.

PAMAL_group, 3615 Love

Continuant notre déambulation dans ce lieu exceptionnel, nous passons devant la vidéo de Julius von Bismarck, A Race For Christmas, qui nous laisse un peu pantois, mais il faut dire que nous n’avons jamais focalisé sur un cheval fut-il déguisé en… cheval ! Reste que l’idée, aussi saugrenue soit-elle, nous oblige à mettre en question notre regard, à douter de ce que l’on voit. Expérience troublante. L’ensemble monographique d’Olivier Morvan propose aussi de nombreuses pièces qui interrogent notre perception en pointant ce qui est absent… Aucune personnalité sous le projecteur devant la forêt de micro (Le Cercle de Craie), personne non plus sur le fauteuil roulant qui semble pourtant en mouvement (Morituri I)… Qualifiées de « petites usines à fiction », ces évocations fantomatiques témoignent d’un travail qui s’échelonne de 2007 à 2019.

Olivier Morvan, Le cercle de craie

Plus loin, nous stoppons devant deux autres vidéos. Poor Magic de Jon Rafman, qui alterne une avalanche de personnages 3D, se bousculant et tombant sans fin, avec des textures plus organiques (i.e. des images d’une coloscopie…) dans lesquelles s’incruste la silhouette d’un avatar bleu. I Am Sitting In A Room d’Antonio Roberts, qui s’inspire d’Alvin Lucier, nous permet de visualiser la détérioration de fichiers informatiques, matérialisée par la dégradation d’un texte à l’écran. Nous pénétrons ensuite dans la Salle 4 entièrement consacrée à France Cadet. On y retrouve ses androïdes, parfois dans d’étranges postures, qui nous dévisagent en clignant des yeux. On y découvre également un bestiaire (Hommage au Dodo, Galerie d’espèces disparues), un cabinet de curiosités sous forme de vieilles cartes scolaires (Leçon de choses 2.0), des fichiers bio et anthropométriques (Facs Face ++) et une installation vidéo en sept tableaux retraçant les étapes de la gestation d’un robot (Demain Les Robots). Ces créations offrent une deuxième lecture, un surcroît d’information, grâce à l’utilisation de lampes avec filtres polarisants qui agissent comme révélateur d’encre invisible.

France Cadet. Demain les robots.

Fin de partie avec L’Intrigue de Fabrice Métais, une collection de petites pièces bricolées (collages, dessins, photos, tablettes…) qui raconte en pointillé une histoire énigmatique. Mais qui est donc cette mystérieuse Amandine dont témoignent ici des indices de sa présence à la mer, dans une chambre, en triangle… Il faut se rendre à l’Office du Tourisme d’Aix-en-Provence pour tester 3 installations ayant en commun une interface de jeu vidéo. Celle de Manuel Braun & Antonin Fourneau réinvente une nouvelle manière de jouer, en démultipliant le nombre de participants à ce bon vieux PacMan dans une ambiance cosy (Eggregor 8). Les deux autres dispositifs « jouent » sur le texte. Par substitution de mots pour La Chair du jeu vidéo de Théo Goedert, qui « update » ainsi des réflexions du siècle dernier sur le cinéma. Par débordement de la structure narrative avec Metalepse de Leslie Astier. Ces deux installations sont co-signés avec Robin Moretti.

L’ouverture du festival Gamerz a été marquée par une soirée de performances qui nous a permis de découvrir l’installation pilotée par Virgile Abela, Feedback Acoustique. Reprenant le principe du pendule, ce dispositif se présente sous la forme d’une boule de plexiglas qui laisse entrevoir deux haut-parleurs, une motorisation et un système de contre-poids. Suspendu, l’objet oscille en émettant une plainte synthétique, modulée au rythme du mouvement obéissant à la loi de la gravité. À terme, cette installation devrait compter 4 sphères. Dans un genre radicalement différent, François Parra & Fabrice Césario (alias PACE) ont combiné effets de voix et zébrures de synthé modulaire. eRikM et Stéphane Cousot ont ensuite pris le relais avec leur performance audiovisuelle Zome. Les images diffractées, dont les ombres mouvantes dépendent des objets utilisés par Stéphane Cousot pour les modifier, tempéraient un peu les fulgurances noisy qui s’échappaient des machines d’eRikM. La prochaine performance réunira notamment le collectif chdh (Nicolas Montgermont & Cyrille Henry. Les œuvres sont visibles jusqu’au 24 novembre.

Laurent Diouf

Festival Gamerz, expositions, workshops, conférences et performances
Aix-en-Provence, jusqu’au 24 novembre
> http://www.festival-gamerz.com/

Digital / Alter

Après des préliminaires à Marseille, via une exposition monographique de Paul Destieu en septembre, le Festival des arts multimédia Gamerz va prendre son envol le 13 novembre à Aix-en-Provence. Au programme des expositions, performances, ateliers et conférences qui s’étalent sur une dizaine de jours.

PAMAL_Group (feat. Jacques-Elie Chabert et Camille Philibert), 3615 Love. Photo : D.R.

À la suite de « Digital Defiance » et « Digital Animisme », cette quinzième édition est structurée autour de « Digital Alter » : l’exposition centrale à la Fondation Vasarely qui propose des ensembles monographiques questionnant, comme son titre l’indique, l’altérité à l’ère du digital. Comme il est précisé dans la déclaration d’intention, les artistes présentés se tournent vers « l’Autre » afin de dépasser l’individualisme, l’autoreprésentation et le narcissisme valorisés par les technologies numériques et les modèles de la communication « télématique » ou actuelle.

Une proposition pouvant aussi se résumer à cette interrogation : et si l’enjeu technologique n’était pas tant celui de la connaissance et du pouvoir, mais avant tout celui du désir et du rapport à l’autre ? Dans ce jeu de miroir brisé par les nouvelles technologies, la figure de l’androïde reflète peut-être le mieux ce rapport trouble à l’autre. En présentant diverses versions d’avatars mécanisés ou bio-modifiés, du cyborg aux nouveaux animaux de compagnie électronique en passant par des représentations de clonage, France Cadet nous apporte une réponse dystopique.

Fabrice Métais — qui s’intéresse notamment aux propriétés constituantes ou intrigantes des technologies audio mobiles — opte pour une approche presque métaphysique de ce rapport à l’autre. Son regard est à déchiffrer sous forme d’énigme dans ses créations (L’Intrigue). Il entamera aussi un dialogue avec le philosophe Jean-Michel Salankis lors d’une conférence (Art, technique, matière et idée).

Olivier Morvan qui nous avait justement intrigués lors de l’édition 2016 de Gamerz avec La Maison Tentaculaire — projet et installation protéiforme autour de la fameuse maison de l’héritière Sarah Winchester — nous entraînera dans son univers parallèle composé d’une multitude de petites usines à fictions qui jouent sur paradoxalement sur l’absence (Meme).

Dans une démarche d’archéologie des médias, le collectif PAMAL_group (issu du Preservation & Art – Media Archaeology Lab de l’École Supérieure d’Art d’Avignon) nous invite à un voyage rétrofuturiste autour du Minitel dont le réseau s’est définitivement éteint en juin 2012 (3615 Love). Des œuvres de Julius von Bismarck, Jon Rafman et Antonio Roberts complètent ce panorama de l’altérité digitale.

Manuel Braun & Antonin Fourneau, Egregor. Photo: D.R.

D’autres œuvres jalonnent cette édition, notamment à l’Office de tourisme avec les dispositifs ludiques de Manu Braun & Antonin Fourneau (Egregor 8) ainsi que Robin Moretti en collaboration avec Leslie Astier et Théo Goedert que l’on retrouvera aussi dans le cadre d’un workshop (Métalepse, La Chair du jeu-vidéo).

Enfin, concernant les performances, le programme se partage essentiellement entre art sonore et musiques expérimentales, bruitistes, électroniques et post-industrielles… En premier lieu, nous sommes curieux du Feedback acoustique de Virgile Abela. Un dispositif qui repose sur un pendule type Foucault dont la lente oscillation ponctuée de quelques rotations génère une modulation traduisant les effets de la gravité. Cette installation a été conçue en coordination avec la plateforme MAS (Laboratoire de mécanique acoustique du CNRS).

En tête-à-tête avec Stéphane Cousot, eRikM entamera une improvisation à partir de flux sonores et visuels récupérés en temps réel sur Internet. Il en résultera une « composition indéterminée », assez heurtée et cinglante (Zome). Inspirés par Deleuze, François Parra & Fabrice Cesario (alias PACE) pousseront dans leurs retranchements des machines habituellement dédiées à la communication pour produire un langage dans lequel ils abandonnent temporairement le sens pour entrer dans le son (Le Chant des machines).

Enfin, le collectif chdh (Nicolas Montgermont & Cyrille Henry) se basera sur les « bruits » de l’image vidéo pour une performance AV conçue comme une expérience synesthésique. À l’écran, un magma de pixels — qui n’est pas sans rappeler la neige des écrans cathodiques — d’où émergent des formes, des motifs, des structures aléatoires, sur fond d’electronic-noise très abrasive (Deciban).

Laurent Diouf

Festival Gamerz — Digital / Alter
> du 13 au 24 novembre, Aix-en-Provence
> http://www.festival-gamerz.com/

L’édition 2018 du festival Gamerz est axée principalement autour de deux expositions Master/Slave de Quentin Destieu à Marseille, et Digital Defiance, à Aix-en-Provence; ainsi que des ateliers et conférences. Exposition collective, Digital Defiance, a déjà refermé ses portes il y a quelques jours. Comme son titre l’indique, cette manifestation rassemblait des œuvres critiques envers la technologie envahissante et la redéfinition de notre appréhension du monde par le numérique.

Quentin Destieu, Maraboutage 3D. Photo: D.R.

Des Territoires recomposés de Géraud Soulhiol qui utilise des clichés de Google Earth en les morcelant et en les réagençant pour nous faire découvrir une cartographie imaginaire, aux gisants qui se mettent à léviter sous l’effet d’animations gérées par Harm van den Dorpel (Resurrections), en passant par les puzzles de Caroline Delieutraz qui invitent à voir différemment des tableaux (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater), et l’énigmatique objet sonore conçu par eRikM qui restitue de manière aléatoire des bribes de codes utilisés par les soldats amérindiens Choctaw durant la Première Guerre mondiale (La Borne) : ce panorama offrait de multiples points de vue sur cette reconfiguration, voire transfiguration, du monde et la « défiance » que cela suscite, avec en point d’orgue la Salle de brouillage de Julien Clauss. Une installation basée sur une trentaine de micro-émetteurs radio plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles accrochés dans une salle blanche et dépouillée de la Fondation Vasarely où se tenait cette exposition. Balayant le spectre de la bande FM, les spectateurs-auditeurs pouvaient s’amuser à en capter quelques échos (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.) grâce à de petits transistors. Lors de la performance donnée pour le vernissage, Julien Clauss a joué avec cet entrelacs d’ondes invisibles, renforcé par un synthé modulaire qui apportait quelques modulations supplémentaires.

Julien Clauss, Agrégation de porteuses dans l’Ultrakurzwellen, performance en ouverture de l’installation Salle de Brouillage. Festival Gamerz, Fondation Vasarely, le 10/11/18. Photo: © Luce Moreau.

Dans cet esprit de mise en question des technologies, Quentin Destieu présentait de nombreuses pièces à Art-Cade, la Galerie des Grands Bains Douches à Marseille à deux pas du fameux mur de La Plaine… Intitulée Master/Slave, cette exposition se prolonge jusqu’au 15 décembre. Au travers de certaines œuvres, on imagine que la grande catastrophe numérique a déjà eu lieu. Ainsi avec les étranges mannequins qui portent les stigmates de bugs informatiques, matérialisation d’un Maraboutage 3D qui s’incarne aussi sous la forme d’une poupée vaudou hérissée d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis; personnage peu scrupuleux et vénal qui a breveté les principes de l’imprimante 3D développés par la communauté open-source pour en faire l’exploitation commerciale. Quentin Destieu s’est également amusé à fondre les composants d’un ordinateur pour en extraire de quoi fabriquer des outils primitifs (pointes de flèches, couteau, etc.) qui semblent sortir d’une deuxième préhistoire (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Le sarcophage qui renferme une réplique agrandie du premier micro-processeur — le seul à avoir été dessiné de la main de l’homme — renforce cette sensation d’immersion dans un futur antérieur où règne une « techno-primitive » (À cœur ouvert). Mais le dispositif le plus futuriste et humoristique est sans aucun doute ce dispositif qui permet à un poisson rouge, grâce à des capteurs, de se ballader dans son aquarium placé sur une petite plateforme robotisée (Machine 2 Fish) !

Laurent Diouf

Master/Slave, exposition de Quentin Destieu dans le cadre du festival multimédia Gamerz, à la Galerie des grands Bains-Douches à Marseille jusqu’au 15 décembre.

> http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/

festival des arts numériques

La 14e édition du festival Gamerz investit la Fondation Vasarely, l’École supérieure d’art et la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence ainsi que la Galerie des Grands Bains-Douches à Marseille, du 8 novembre au 15 décembre prochain. En coordination avec Chroniques — biennale des imaginaires numériques, qui officie sur les mêmes terres et à la même période —, Gamerz propose des expositions, performances, DJ-sets, ateliers et conférences.

Cette année, l’exposition collective se déploie autour d’une thématique commune avec le festival DataBit.me : Digitale défiance. Les artistes Julien Clauss, Caroline Delieutraz, Harm van den Dorpel, ErikM et Géraud Soulhiol proposent, chacun à leur manière, une sorte de critique de la technologie, tels des lanceurs d’alerte. Un regard qui s’inscrit dans l’héritage de penseurs comme Ellul ou Virilio (récemment disparu), contre le mythe du progrès technique, de la glorification de la croissance, de l’innovation sans fin, du culte de la vitesse… Le numérique décuplant ces symptômes de la catastrophe qui vient. Les œuvres présentées illustrent cette problématique liée aux usages sociaux des nouvelles technologies, à la nécessité de reconsidérer l’imaginaire qui préside et accompagne la technique à l’ère du numérique et la culture du digital. Avec une focalisation sur l’image et le son. Et quelques expériences distilleries atypiques (Vincent A., Pat Lubin & Shoï Extrasystole, Alambic Sonore)

L’image, tout d’abord. Internet est le grand pourvoyeur d’images, fixes et animées, qui servent désormais de matériaux artistiques à part entière. Ainsi, Géraud Soulhiol utilise des clichés de Google Earth dont il projette des fragments, nous donnant l’impression de voir le monde par un trou de serrure avec sa série Le Hublot ou d’expérimenter des paysages morcelés (Territoires recomposés). Harm van den Dorpel fait également son marché sur Internet où il glane des photos de personnes franchement HS après des soirées que l’on imagine mémorables (du moins, pour les témoins qui les ont immortalisés). Assez éloigné de l’épure graphique et algorithmique dont il fait preuve habituellement, grâce à un petit protocole d’animation, il nous donne l’impression que ces corps gisants dans des postures improbables sont en séance de lévitation (Resurrections). Caroline Delieutraz déstructure également des images présentées sous la forme d’un puzzle en relief, en bois découpé, sur plusieurs strates, avec des pièces manquantes (Les Vagues); évoquant des tableaux d’un autre siècle (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater, basé sur l’étude d’une partie du désert égyptien via Google Earth par un scientifique italien qui a ainsi pu identifier un cratère creusé par une météorique).

Le son, ensuite, avec eRikM. Éminemment connu dans le circuit des musiques expérimentales, bruitistes et improvisées, il propose un objet sonore baptisé La Borne. Cet artefact qui ressemble un peu à une urne funéraire repose sur un dispositif constitué de 16 codes joués de manière aléatoire. Mêlant collage sonore et symbolisme du langage, cette réalisation est basée sur les éléments de code utilisé par les soldats amérindiens Choctaw pour l’Armée américaine à la fin de la Première Guerre mondiale. À noter que ce principe, rendant quasiment indéchiffrable le code pour d’autres nations (en premier lieu l’Allemagne), fut repris lors de la 2e Guerre mondiale et inspira le film de John Woo avec Nicolas Cage, Windtalkers, les messagers du vent.

Avec sa Salle de brouillage, Julien Clauss met en scène le spectre sonore radiophonique. Combinant une trentaine d’émetteurs/récepteurs bricolés, plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles tirés au cordeau, calés sur des fréquences différentes (de 87 à 108 MHz), cette installation balaye la bande FM (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.), offrant une bande-son modulable, si l’on ose dire, puisque les visiteurs peuvent s’amuser à explorer ce chant des signes à l’aide de radio mises à disposition. Ce dispositif fera aussi l’objet d’une performance, Agrégation de porteuses dans l’Ultrakurzwellen. On retrouvera Julien Clauss dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé L’Homme orbital; auquel participeront également France Cadet, Ewen Chardronnet, Colette Tron et Jean Cristofol qui interviendront sur les aspects théoriques et pratiques du numérique, en confrontant l’expérience de structures et événements ancrés dans la région PACA (Chroniques, Gamerz, ESAAix, Alphabetville).

L’autre grande expo, monographique cette fois, se déroulera à la Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine à Marseille. Sous la bannière Master/Slave — qui évoque pour notre part les temps héroïques des jumpers qui servaient à indexer les disques durs sous interface IDE & Co… — Quentin Destieu (artiste et directeur du festival) y présentera un large panorama de ses créations dans le cadre de son doctorat. Parmi les nombreuses pièces, signalons Maraboutage 3D, soit des poupées vaudou hérissées d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis. Un retour de bâton pour celui qui, après s’être arrogé les fruits du développement de l’imprimante 3D par la communauté open-source, les a brevetés et cadenassés pour en faire l’exploitation commerciale.

Dans un autre genre, À cœur ouvert donne à voir, à taille humaine, les entrailles du premier micro-processeur. Condensé technologique qui annonce la micro-informatique grand public, le Intel 4004 (c’est son nom d’origine) reposait sur une architecture de 4 bits, une fréquence de 740 kHz et était doté d’une mémoire morte de 256 octets… Mais sa principale caractéristique est d’avoir été dessiné entièrement à la main. Ensuite, contrainte de la miniaturisation oblige, les machines ont pris le relais pour le tracé des ramifications du système de transistors. C’est ce réseau des commutations que donne à voir À cœur ouvert.

Quentin Destieu se livre aussi à des opérations de détournement et recyclage de nos appareils électriques et électroniques, les transformant en outils primitifs après avoir fondu leurs composants et métaux (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Au rayon des artefacts improbables, il a conçu une Machine 2 Fish, petit robot motorisé sur roue qui transporte un aquarium selon un itinéraire qui varie au gré des mouvements d’un poisson rouge… Sans oublier La brosse à dents qui chante l’Internationale (profitons-en pour rappeler au passage qu’il existe aussi une Internationale Noire — i.e. anarchiste — que l’on entonne malheureusement moins fréquemment…).

Laurent Diouf

Gamerz 2018, 14e édition, du 08 novembre au 15 décembre, Aix-en-Provence + Marseille
> http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/

festival des arts multimédia

Le coup d’envoi de l’édition 2017 de Gamerz a été donné vendredi 3 novembre, avec l’inauguration de l’exposition phare du festival à la Fondation Vasarely. La thématique pour cette 13ème édition est axée autour de la part sombre, et parfois occulte, des nouvelles technologies. L’exposition se donnant pour objectif de mettre en avant des créations artistiques actuelles, dans lesquelles les artistes questionnent nos différents modes d’interactions avec les machines à travers le spectre de l’ésotérisme. Parmi les pièces proposées, nombreuses sont celles qui empruntent les codes d’un certain animisme-digital.

Parmi les œuvres exposées qui flirtent avec ce nouvel âge de l’ésotérisme, on retiendra notamment l’inventaire cartographique de Suzanne Treister qui retrace les nombreuses ramifications des différents mouvements et théories de la contre-culture; des anarcho-primitivismes au transhumanisme, de Thoreau à Adorno, du CLODO (Comité pour la liquidation ou la destruction des ordinateurs; actif sur Paris et Toulouse entre 1980 et 1983) à Unabomber. Intitulée Hexen 2.0, cette taxinomie illustrée par des arcanes du tarot au crayonné très riche pointe également les soubassements idéologiques, cryptiques et souvent délirants, du complexe militaro-industriel.

Suzanne Treister, Hexen 2.0. Photo: D.R.

Avec Alphaloop, retrouvant les utopies des 60s qui ont irriguées la Silicon Valley, Adelin Schweitzer « ré-enchante » l’usage du téléphone via une intervention immersive et déambulatoire où les participants munis de casque VR sont invités à se laisser guider par un shaman moderne et à appréhender le réel transfiguré comme sous l’effet de psychotropes… Présentée sous forme d’une restitution vidéo organisée à la manière d’un totem, avec encens, pentagrammes vidéographiques et devices obsolètes en offrandes, cette installation nous donnait aussi un aperçu de la première performance de ce type réalisée quelques semaines plus tôt.

Adelin Schweitzer, Alphaloop. Photo: D.R.

Inversement, avec Sketches towards an Earth Computer, Martin Howse propose, au sens strict, une œuvre en prise sur le terrain. Son installation est en fait une sorte une carte-mère de quelque mètres carrés qui utilise à la fois des éléments métalliques, électroniques et surtout organiques (terreau, champignons). Les réactions chimiques liées à ces composants, ainsi que les variations de lumières et d’humidité, génèrent des feedbacks qui opèrent comme un véritable code informatique « chtonien », évoluant au fil de ces paramètres.

Martin Howse , Sketches towards an Earth Computer. Photo: D.R.

Luce Moreau est également attachée à la terre, à la nature. Cette plasticienne travaille en « jouant » avec des insectes (des chenilles processionnaires qui tournent sans fin sur un anneau de Moebius). Et des abeilles auxquelles elle soumet des formes pour modeler les rayons de leurs ruches; reprenant par exemple l’ossature du fameux Phalanstère de Charles Fourier, qui se voit ainsi reproduit comme une maquette en cire d’abeille. Une démarche à mettre en perspective avec d’autres artistes et collectifs qui mettent également les abeilles a contribution en détournant leur construction à des fins artistiques comme le BULB (Brussels Urban Bee Laboratory), Ann Kristine Aanonsen, Sabino Guiso, Ren Ri, Stanislaw Brach…

Luce Moreau, Les Palais. Photo: D.R.

À l’opposé, Émilien Leroy focalise sur les friches industrielles du Nord de la France. Collection et accumulation de vieilles boîtes à outils métalliques colorées et de masques de soudure aux allures africaines : ses installations à la Arman témoignent de la mémoire sociale et ouvrière de L’Usine des Dunes près de Dunkerque. On le retrouve plus tard lors de la soirée d’ouverture, sous le pseudo de Feromil, affublé d’un vieux masque à gaz qui lui donne des allures d’alien ou de liquidateur de Tchernobyl, pour un set « electro-magnétique » plein de larsens et de sonorités abrasives générées par un détecteur de métaux.

Feromil. Photo: D.R.

Glitch, electronic-noise et cyber-breakbeats étaient également au programme de cette soirée qui s’est ouverte sur Attack me please at 2.432 GHz, la symphonie audiovisuelle pour lignes de code, bugs et hautes fréquences de Benjamin Cadon (par ailleurs directeur artistique de Labomedia). À la suite, avec son Radioscape, Nicolas Montgermont a balayé les ondes radio de 3GHz to 30kHz. Chaque bande de fréquences étant visualisée et signalée selon leurs utilisations (Marine, Satellite, TV, FM, etc.). Il est à noter que ce voyage dans le spectre sonore a aussi été matérialisé sur disque vinyle. En conclusion, le trop rare duo Servovale (Gregory Pignot & Alia Daval) avait ressorti leurs machines pour une performance A/V aux contours géométriques et aux rythmiques cinglantes baignant dans une ambiance post-industrielle.

Laurent Diouf

Gamerz, jusqu’au 12 novembre, Aix-en-Provence
> www.festival-gamerz.com

festival des arts multimédia

La douzième édition de Gamerz — festival des arts multimédia basé à Aix-en-Provence et porté par l’association M2F / Lab Gamerz — vient de se refermer le dimanche 13 novembre après dix jours d’expositions, performances, ateliers et rencontres. Cette année, cette manifestation se distribuait essentiellement autour de deux parcours d’expositions : Univers Simulés (à la Fondation Vasarely avec Ewen Chardronnet en commissaire invité) et D. Générer (dans différents lieux, sous la direction artistique de Quentin Destieu). Pour l’essentiel symptomatique des utopies et dystopies liées aux nouvelles technologies émergentes depuis la seconde moitié du XXe siècle (cybernétique, conquête spatiale, robotique, etc.), les pièces, installations et projets proposés développaient des esthétiques, mondes et chimères questionnant notre société désormais gouvernée par des algorithmes et en proie à l’obsolescence programmée. Retour d’horizon…

Symbole s’il en est de cette gouvernance mathématique, les robots-traders qui pilotent à vitesse folle les marchés boursiers sont une source d’inspiration pour le collectif RYBN qui ne cesse de dénoncer l’absurdité des ressorts de cette économie-monde au travers d’ADMXI. Un « vrai-faux » logiciel de trading dont les ressorts algorithmiques reposent sur des prémisses ésotériques (l’harmonie des sphères, un thème astral ou des figures de la géomancie, par exemple…). Mais une fois introduits dans le circuit spéculatif de la finance, ces automates informatiques fonctionnent comme leurs homologues qui obéissent à l’orthodoxie capitaliste !

Contrôler les flux, être informé en temps réel de tous les paramètres socio-économiques et décider ainsi en toute majesté : poussé à son comble, ce regard panoptique doublé d’une volonté de puissance ne peut qu’engendrer un monstre informatique. Même avec les meilleures intentions du monde. Un tel projet, fou, fut pourtant mis sur pied par Stafford Beer durant le gouvernement Allende au Chili. Nom de code de ce Big Brother chilien : Cybersyn ou le Projet Synco… Nous sommes au début des années 70s. L’informatique est plus que rudimentaire, surtout vue l’objectif. Il faut une armée d’opératrices pour traiter les télex. Et la salle de contrôle ressemble furieusement au poste de pilotage de l’Enterprise du capitaine Kirk…

Cybersyn ne sera pratiquement pas opérationnel, sauf lors d’une grève des camionneurs. La dictature de Pinochet mettra fin de manière sanglante à ce système. Regina de Miguel a exhumé des archives de ce projet méconnu pour en faire un montage vidéo sur une bande-son signée Lucrecia Dalt (Una historia nunca contada desde abajo). Sur ce principe, elle propose aussi un autre film en forme de narration spéculative autour de l’écologie et de la recherche scientifique, alternants paysages gelés, archives photo de travaux scientifiques et rotations d’antennes radar sur une bande-son post-indus conçue par Jonathan Saldanha (Nouvelle Science Vague Fiction).

Regina de Miguel reviendra sur sa démarche lors d’une conférence-débat où se produisait également Konrad Becker en marge de Painted By Numbers, son installation réalisée conjointement avec Felix Stalder. Soit une série d’extraits d’interviews de scientifiques et activistes dont les paroles s’entrechoquent comme une partie de ping-pong par écrans interposés. Sur l’estrade et en solo, Konrad Becker s’est lancé dans un long monologue, sur un débit saccadé et une succession d’images presque samplées, pour nous faire partager les analyses politico-culturelles à propos des dangereuses limites de la culture digitale. Un écho « live & direct » des propos que ce vétéran de indus-noise-experimental propage au sein de son World-Information Institute depuis des lustres.

La conquête spatiale était également au programme avec les « agents non-humains » Špela Petrič, Miha Turšič, Dunja Zupančič et Dragan Živadin qui ont développé des installations assez minimalistes autour de Voyager; matérialisant le trajet, la position, etc. de la sonde par des lumières, sons et aplats de couleurs. À ce jour, c’est l’engin d’origine terrestre le plus éloigné de notre système solaire, photographié une dernière fois il y a près de 15 ans à longue distance. Actuellement, Voyager 1 se trouve à 136,63 UA (i.e. 20,43 milliards de km). Sa sœur jumelle Voyager 2 à « seulement » 112,64 UA sur une ellipse différente. Toutes deux emportent un disque d’or avec des messages sonores (grâce à Carl Sagan qui avait déjà apposé la fameuse plaque avec le salut terrien à destination d’extraterrestre sur Pioneer 10 et 11 parties 5 ans avant Voyager)…

Changement de registre avec Walking Cube, la nouvelle structure évolutive de 1024 architecture (aka François Wunschel & Pier Schneider + Jason Cook pour ce projet spécifique). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un cube tubulaire dont l’agencement se module grâce à un dispositif pneumatique. Agité de spasmes mécaniques, le cube semble ainsi danser de manière chaotique, comme un robot maladroit.

Autre structure métallique évoquant cette fois les robots-insectes tueurs du film Runaway, L’Évadé du futur : le Chimères Orchestra conçu par le collectif Reso-nance. Accrochées à la charpente métallique de la salle principale de Seconde Nature, ces espèces de fourmis géantes frappent le support sur lequel elles sont suspendues, créant ainsi une sorte de symphonie percussive assez étrange. Au sol tournoyaient les pâles d’une sorte de gros ventilateur. Ce Rotor est l’œuvre — pas très convaincante, faute de lisibité de l’intention (i.e. la sonification de données anémométrique) — de Lucien Gaudion.

Nous avons eu également l’impression d’être devant des insectes, devant une fourmilière, face à Refunct Modular : en fait, il s’agit de vieux appareils dont les mécanismes ont été désossés et mis à nu par Benjamin Gaulon. Tout en cliquetis et clignotements, cet alignement de cartes-mères, transistors, diodes, petits haut-parleurs, se donne à voir également comme une « fresque multimédia ». Un principe d’alignement reprit pour KindleGlitched : une série de liseuses Kindle défectueuses que Benjamin Gaulon a récupéré et qui n’affichent désormais plus que des images « dé-générées », accidentées (glitch)…

Le détournement était aussi à l’ordre du jour avec Alexis Malbert alias Tapetronic qui customise des K7, les transformant en autant de petits gadgets ludiques avec lesquels on peut scratcher. Et plus si affinités (cf. la Vibro cassex…). Une pratique de détournement simple, low-tech, qu’il était possible de partager et d’expérimenter lors d’un atelier dédié.

Toujours sur le plan du détournement, d’image et de communication cette fois, France Cadet « exhibait » son gynoïde virtuel… En d’autres termes, un androïde féminin en 3D se jouant de la publicité d’Aubade : HoloLeçon n°32. Au passage, on regrettera que cette modélisation ne bénéficie pas d’une plus grande exposition (au sens strict), que ces animations soient présentées dans un plus grand format. Dans le même espace, Paul Destieu proposait également une animation 3D où s’agitaient des baguettes suspendues, symbolisant les Mouvements pour batterie, d’après Himéra. Avatar des « concrétions » qu’il réalise par ailleurs. Mais pour des raisons presque indépendantes de notre volonté, on ne peut s’empêcher de penser à une séquence de Fantasia (Disney, 1940…).

Le projet le plus farfelu et inquiétant à la fois revenant à Olivier Morvan qui, au travers d’une accumulation d’objets, de sons, de musique et d’un film, nous transporte dans La maison tentaculaire de Sarah Winchester… L’histoire est vraie et cela rend encore plus saisissant cette proposition. Après la disparition d’êtres chers, l’héritière des célèbres marchands de mort (la fameuse carabine) verse dans le spiritisme, pratique en vogue à la fin du XIXe siècle, et consulte un médium qui, nous dit la légende, lui conseille de faire quelque chose pour toutes les âmes en peine qui ont été tuées par… une Winchester ! Cela fait du monde…

Pour ce faire, elle entreprend donc la construction d’une maison à San José, en Californie. Les travaux débutent en 1884. Ils ne s’arrêteront qu’en 1922, au décès de sa propriétaire. Entre-temps, pendant 38 ans donc, guidée par des esprits pas toujours bienveillants, Sarah multiplia les plans, les innovations high-tech pour l’époque (ascenseur, chauffage central, toilettes, etc.), les pièces (au total, 160 dont 40 chambres !), les bizarreries architecturales (escalier menant au plafond, placards sans fonds, fenêtres ouvertes sur le sol, etc.) et bien sûr les références au nombre 13…

Laurent Diouf

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