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Porté par l’association TNTB, le festival d’arts numériques DataBit.Me a clôturé sa 6ème édition en ce début novembre sur de nombreuses performances, dans un joyeux capharnaüm high-tech. Seul évènement de ce type sur la ville d’Arles, DataBit.Me est tout à la fois un lieu de rencontres, d’expositions, de live-sets, mais aussi de pratiques et d’expérimentations.

Centré sur la technologie et ses codes (au propre comme au figuré), ou plus exactement sur la mise en question des techniques du numérique et du digital, DataBit.Me consacre une large part de sa programmation à des ateliers animés par des « musiciens-bidouilleurs » et des « artistes-geeks », et à la restitution de projets développés dans le cadre de résidences (dont certaines en partenariat avec le Zinc à Marseille).

Pour cette édition 2016, le mot d’ordre était « énergie ». Énergie fossile, énergie nucléaire, énergie renouvelable… Cette thématique entre, évidemment, en résonnance avec la problématique du réchauffement climatique et des conséquences socio-économiques que cela induit. L’idéal pour questionner la technologie, la détourner, tenter des alternatives low-tech, tester des prototypes « sous tension » …

Symbolant cette démarche en lien avec ce thème, Le Cénographe présentait à la Galerie Huit une vidéo rétrospective de l’électrification du territoire, de l’immédiat après-guerre à la nucléarisation des années 70s, au travers d’extraits de vieux films institutionnels. Une propagande pour le tout électrique orchestrée par EDF qui souligne, en creux, l’engrenage infernal de cette dépendance énergétique.

Pour visionner ce montage, le spectateur était invité à pédaler sur vélo d’appartement trafiqué, le Cycloproj’, qui fournit ainsi une partie de l’énergie pour piloter cette « vidéo-installation interactive ». La vitesse et le rétro-pédalage permettant aussi de moduler le déroulé des images, même si ce n’est pas forcément le but premier. La bande-son électronique pouvant être « customisée » par des percus rudimentaires; un rondin de bois mis à disposition du public.

Le camp de base du festival était établi à la Bourse du Travail d’Arles. C’est là qu’a eu lieu l’essentiel des interventions et restitutions des résidences. Celle de Marcel-li Antúnez Roca, lors de la soirée de clôture, nous a littéralement embarquée. Sous forme de « conférence performée », après avoir retracé son parcours, cet artiste qui a fait ses premières armes au sein de La Fura dels Baus s’est mué en conteur 2.0, brodant tout un délire autour de la théorie de la transpermie (des spores sont à l’origine de la vie sur terre, et l’humanité est promise elle-même, à terme, à repartir dans les étoiles…).

Harnaché dans une armature métallique aux multiples ramifications et dispositifs qui le transforme à moitié en cyborg (en jupette, qui plus est ;), Marcel-li Antúnez Roca commande ainsi des dessins, animations et incrustations dans le décor en carton d’une histoire peuplée d’un étrange bestiaire. Une histoire abracadabrantesque, et parfois un peu scato, qui réveille en chacun de nous le rêveur aux étoiles qui sommeille… Sachant qu’il s’agit d’un work in progress, que la forme définitive de cette histoire n’est pas encore fixée.

Concernant le volet musical du festival, on zappe sans regret les formations embourbées dans un style régressif et potache) — que ce soit version elektro synth-pop ou punk-rock métallo (pour schématiser) — limite hors sujet à notre avis. Question de génération sans doute… Bololipsum, par contre, nous a pleinement convaincus. Recyclant habilement vieux claviers, consoles et autres Dictée Magique, ce musicien-hacker échappé du circuit bending délivre de la « toy music » du meilleur effet, c’est-à-dire qui allie les sonorités 8-bit à un canevas rythmique bien groovy.

Dans un registre différent, plus sombre et chaotique, il faut aussi citer les explorations « vidéo-graphiques » de Zofie Taeuber et Miyö van Stenis. Sans oublier le trio infernal Trioskyzophony qui se démarque nettement de ce qui se fait habituellement dans le genre human beatbox, en tout cas lors de leurs performances improvisées pour DataBit.Me, où ils ont prouvé à de nombreuses reprises que cet exercice de style maniant effets de voix et machines (loops, etc.) peut s’avérer bien deep et hypnotique, hors des chemins balisés du hip-hop.

La suite, l’année prochaine… En attendant, on ne peut que saluer la pugnacité de David Lepolard et son équipe pour ce travail de « passeur numérique » sur l’agglomération d’Arles. En espérant que le festival DataBit.Me puisse gagner dans un futur proche l’ampleur qu’il mérite.

Laurent Diouf

> http://www.databit.me

cultures électroniques & arts numériques

Porté par Stereolux, plateforme dédiée à la diffusion, au soutien à la création et à l’accompagnement des musiques actuelles et des arts numériques, le festival nantais Scopitone affichait cette année sa 15ème édition ! Une édition structurée autour d’ateliers, de tables rondes, de nuits électro (Helena Hauff, Agoria, Lindstrøm, The Field, etc.) et d’un parcours d’exposition singulier.

Une exposition jalonnée de créations exclusives et/ou de premières présentations françaises pour de nombreuses pièces disséminées dans plusieurs lieux. À commencer par La Fabrique de Stereolux, Trempolino et Les Nefs à côté des fameuses Machines sur l’Île de Nantes, zone toujours en plein (ré)aménagement, ainsi que le Readi (Lab et École de Design), la Cale 2 Créateurs, le Ferrailleur et Le Jardin des Berges. Le festival a également investi d’autres endroits emblématiques de Nantes, comme le Château des Ducs de Bretagne, le Manoir de Procé, Le Lieu Unique et la Tour de Bretagne, par exemple.

De l’ensemble de l’exposition se dégage une cohérence, marquée la philosophie « art / science » de cette édition avec des œuvres qui jouent sur la lumière, les données et la perception visuelle. Une unité renforcée également par le son : la plupart des installations et performances proposées déploient une « bande-son » percluse de craquements électrostatiques et de bourdonnements d’infra-basses… Mais la thématique première est bien celle du traitement et de la mise en forme de l’information, de La matérialité des données. Comment les traduire et les rendent visibles ? Comment les gérer et se les réapproprier ? Tel était le champ de questionnement d’une conférence passionnante, qui s’est d’ailleurs prolongée au-delà de l’horaire prévu le jeudi, en prolongement de workshops.

Dans cet esprit, parmi les œuvres exposées, Kinetica conçue par Martial Geoffre-Rouland incarnait parfaitement cette matérialisation en temps réel du monde de flux et d’interconnexions dans lequel nous vivons désormais. Réalisée avec le soutien nécessaire d’Orange puisque cette installation cinétique repose sur la visualisation des données (localisation, déambulation et d’activités dans la ville) transmises par les smartphones et restituer ici sous forme d’un panneau composé de dizaine de disques (6×12) pivotants selon les impulsions reçues. Une barre LED au milieu de chaque disque, à la couleur spécifique selon l’activité, permettant de se situer sur cet échiquier numérique après avoir téléchargé l’application adéquate.

Le mouvement des Clones de Félix Luque Sánchez est, par contre, initié par un algorithme programmé de manière aléatoire et chaotique. Une routine qui anime deux pendules montés chacun sur ce qui s’apparente au bras d’une table traçante. En équilibre instable, on assiste aux efforts (pas toujours désespérés) des balanciers pour se maintenir à niveau; ce qui les faits aussi ressembler à des athlètes s’échinant sur barres parallèles… Allié à Iñigo Bilbao, Félix Luque Sánchez propose aussi une autre installation « plurimédia » : Memory Lane. On y observe sur écran, comme au travers d’un miroir grossissant et déformant, les fragments d’une roche dont le relief à la fois étrange et aride évoque une planète lointaine…

C’est par contre à un astre plus familier, en l’occurrence la lune et ses croissants, que nous fait penser Diapositive 1.2 réalisé par Children of the Light (i.e. le duo Christopher Gabriel & Arnout Hulskamp). Cette autre installation cinétique se présente comme un immense pendule cerclé de LEDs qui pivote lentement et s’électrise parfois brutalement d’une lumière à la blancheur froide, déchirant le noir sidéral dans lequel il est suspendu. Daito Manabe et Motoi Ishibashi utilisent eux aussi des LEDs pour transfigurer le spectre lumineux, faire apparaître des fréquences (et donc des couleurs) habituellement invisibles. Pour les visualiser, il faut là aussi charger une petite appli qui génère un filtre révélant d’autres dimensions, formes et couleurs qui se cachent dans les ombres — la pièce s’intitule rate-shadow — d’une succession d’objets et d’artefacts disposés sur des présentoirs.

Mais la pièce maîtresse de ce parcours d’exposition est installée dans une des salles du Château des ducs de Bretagne. Elle résulte d’une collaboration entre Ryoichi Kurokawa et l’astrophysicien Vincent Minier. Intitulée Unfold, il s’agit d’une « mise en scène » des données recueillies par le télescope spatial Herschel sur la formation des étoiles. De cet amas stellaire brut, Ryoichi Kurokawa a fait une représentation géométrique et sonore projetée sur 3 panneaux englobants notre champ de vision. Le résultat n’est pas sans rappeler Ryoji Ikeda par ses lignes de fuite et son electronic-noise, ses soubresauts épileptiques et son foisonnement de particules… L’idéal étant de s’allonger sous l’épicentre de la projection, une petite estrade étant prévue à cet effet, pour pleinement s’immerger dans cette fresque cosmique.

Il est toujours question de lumière et d’espace, mais cette fois de manière beaucoup plus délimitée, contrainte, avec constrained curface. Une autre installation de Ryoichi Kurokawa composée de deux écrans inclinés, disposés en décalé. Tout ce passe à leur point d’intersection, comme un effet miroir. Les couleurs obéissent à un nuancier synchronisé, là aussi, avec de l’electronic-noise. Changement d’ambiance et de propos avec Rekion Voice de Katsuki Nogami. En entrant dans cette troisième salle du château, nous avons l’impression de pénétrer dans une basse-cour. Sauf que ce ne sont pas des volatiles qui émettent des piaillements, mais des petits « robots » bricolés et fixés sur des supports. Les sons qu’ils émettent sont en fait le bruit amplifié des petits moteurs qui les animent en fonction du mouvement du public. Il y en a une dizaine environ, dont un à l’entrée, en sentinelle, qui donne l’impression de prévenir ses congénères de notre visite…

Cela dit, il n’y a pas que des artistes confirmés au programme de cette expo. Scopitone a réservé une visibilité à deux créations lauréates d’un appel à projets Arts & Technologies lancé par Elektroni[k] (then goto festival Maintenant…). On découvre ainsi Uluce du collectif Recif : une structure de toile tendue de 13 faces. Mi-sculpture interactive, mi-instrument, le public est invité à toucher les surfaces qui réagissent et activent un jeu de lumière et de sons. Les autres lauréats sont Paul Bouisset et Eugénie Lacombre qui présente _Logik, une interface qui permet d’agencer et moduler des formes en rotation sur écran.

Les lives A/V lors de la soirée d’ouverture s’inscrivent également dans ce « grand jeu » de lumières, sons et données. Si l’arrière-plan de Ljøs du collectif fuse* n’est pas sans évoquer les cieux étoilés, la performance de la cordiste Elena Annovi en interaction avec cette trame audio-visuelle donne une tout autre dimension à ce type de performance, ou plutôt redonne son sens premier au mot « performance ». Plus humain évidemment, ce genre de live-act pourrait aussi s’apparenter à ce que l’on nomme le nouveau cirque, en plus high-tech…

Par contraste, Matthew Biederman & Pierce Warnecke apparaissent beaucoup plus conventionnels, réduisant leur set à une sur-multiplication de combinaisons de formes géométriques basiques sur un jeu de couleur là aussi réduit (bleu et rouge pour l’essentiel). Délaissant ce genre d’arithmétique sonore et visuelle pour des formes plus organiques et des sonorités vaporeuses presque ambient, Paul Jebanasam & Tarik Barri nous ont vraiment séduits avec leur Continuum. En clôture, c’est un autre type de performance avec sons circulaires et lumières synchronisées qui est attendue, celle de Gwyneth Wentink, Wounter Snoei et Arnout Hulskamp (de Children of the Light) : In Code. Soit une variation électroacoustique (harpe) et électronique autour de IN C de Terry Riley. À l’heure où ce premier bilan de l’édition 2016 de Scopitone est mis en ligne, il vous reste le temps d’y assister !

Laurent Diouf

Infos: www.stereolux.org/scopitone-2016
Photos: D.R.

retour sur le Festival Accès)s( #15

Expos, conférences, performances, musiques : la quinzième édition du Festival Accès)s( s’est structurée autour de l’imagerie aérienne et de la dernière technologie en date qui renouvelle la vue d’en haut, du ciel : le drone.

L’Oiseau de feu
Une phobie de l’avion nous empêchant de prendre l’air, sauf nécessité transatlantique, c’est donc en train que nous nous sommes rendu à Pau pour assister au Festival Accès)s(. Ironie amusante… La vue du ciel nous cause un stress important. Pas au point de mordre une hôtesse de l’air, mais suffisamment pour avoir des crampes d’estomac, parfois quelques jours avant le décollage (le must en matière d’appréhension), et de devenir verdâtre en dévisageant les passagers au moment de l’embarquement (alors, c’est avec gens-là que nous allons mourir…). Une peur insidieuse qui s’est affirmée au fil du temps, sans facteur déclenchant, ni autre justificatif que celui de finir crucifié sur le divan des héritiers de Freud ou de Lacan (ne soyons pas sectaires). Et pourtant, comme le faisait remarquer Jean-Philippe Renoult — à l’origine avec Dinah Bird de l’installation sonore interactive A.V.I.O.N. — un crash n’est pas, administrativement parlant, synonyme de centaines de morts carbonisés. Ce terme s’applique avant tout à de la casse qui cloue l’avion au sol.

Si les accidents graves demeurent rares donc, les incidents matériels sont en revanche plus nombreux, comme en témoignent les annotations reportées sur les strips des contrôleurs aériens. On en a un aperçu en regardant ces dizaines de bristols rectangulaires agencés dans le couloir du Bel Ordinaire, l’espace qui accueille l’exposition Vu Du Ciel organisée par Agnès de Cayeux — commissaire invitée par Pauline Chasseriaud, directrice du Festival Accès)s(. Ils servent en quelque sorte de « balises » pour l’installation A.V.I.O.N qui « joue » sur, de et avec des sons collectés (communications, ambiance d’aéroport, bruits de moteurs, etc.) et diffusés par le biais d’enceintes directives infra-soniques. Une mise en onde en trois mouvements : vol, brouillage et crash suite au hacking possible des systèmes de navigation (c’est très rassurant… ;). Muni d’une « radio dynamo » (i.e. avec manivelle) retransmettant cette dramaturgie sonore, le public est invité à « parasiter » l’espace d’exposition.

Bluebird
De part et d’autre de ce couloir est proposé d’autres installations, pièces et créations. Divisée en deux sections, Oh my drone ! et Du ciel de nos écrans, l’exposition Vu Du Ciel offre ainsi une vision directe, médiane, imprimée, projetée ou scénarisée du vieux rêve de l’humanité, le désir de voler, aujourd’hui pleinement réalisé, si ce n’est sublimé, par les machines (avions, drones, simulateurs, etc.). Du regard affranchi de la pesanteur. Vu du ciel, donc. Avec d’étonnantes « perspectives ». Ainsi, si le risque aviaire est pleinement identifié et anticipé pour les aéroplanes, qui aurait pensé que la narcolepsie pouvait être fatale aux navettes spatiales…? C’est pourtant l’idée que développe Dorothée Smith au travers de son projet transdisciplinaire (film, performance, photos, installation) TRAUM (Le cas Y). Tout comme A.V.I.O.N. de Jean-Philippe Renoult & Dinah Bird, cette fiction astronautique évolutive est une création qui fait suite a une résidence au sein de l’Aéroclub du Béarn.

Depuis quelques années, et singulièrement depuis la guerre sans fin au Proche-Orient, les avions sans pilote ont colonisé notre imaginaire et, au sens strict cette fois, renouvellé notre vision du monde. Nul ne sait encore ce qu’il adviendra de ce regard cartographique mortifère, mais d’autres approches, ludiques et artistiques, restent possibles. À l’instar de Mária Júdová & Andrej Boleslavsky et leur Composition for a drone dont la partition dépend des points de localisation de l’engin dans un espace donné. Et des architectes Gramazio & Kohler qui, avec l’ingénieur Raffaello D’Andrea, extrapolent des usages probables (livraison, etc.) via leur projet Flight Assembled Architecture où des drones autonomes — ouvriers dociles —obéissent à un programme pour ériger une tour comme un jeu de construction.

Icare
Ce futur incertain contraste avec un passé que l’on peut contempler également dans cette exposition. Une collection de consoles et vieux ordinateurs retrace l’histoire (si ce n’est la pré-histoire) des simulateurs de vol. Dans le genre madeleine, le bruit du clavier de l’Apple IIe nous fait voyager dans le temps. On replonge à l’orée des années 80s. En 1983 très précisément. Pas d’Internet, ni de portable. Des disquettes grand format (floppy). Un écran noir avec des filets verts. Et notre imagination sans limites qui fait le reste. Se concrétisent alors labyrinthes suintants et tavernes louches (Bard’s Tale) et, dans le cas qui nous intéresse, des vols de nuit au-dessus de paysages verdoyants comme des terrains de golf (Flight Simulator II). La suite, comme on peut le voir (« vu d’en haut », « vue embarquée », etc.), s’écrit en couleur, avec des manettes sophistiquées et un rendu plus réaliste au fil de l’évolution des consoles (Atari, Nintendo, etc.).

On mesure le progrès technologique, le gap, en 30 ans, avec Empty Room de Christine Webster. Encore au stade du développement, ce dispositif immerge le « spectateur-joueur » dans un environnement 3D assez géométrique et une bande-son electro-acoustique également « tri-dimensionnelle », grâce à un casque de réalité virtuelle. Expérience unique de déambulation sans contrainte physique… sauf pour les binocleux ! Christine Webster a également conçu l’environnement sonore de Beyond_Bitmaps. Une installation réalisée par Laura Mannelli, architecte atopique et artiste scénographe. Inspirée par le roman Snow Crash de Neal Stephenson (édité en français sous le titre Le Samouraï virtuel), Laura Manelli met en scène Hiro, un personnage modélisé avec l’aide de Frederick Thompson, que l’on peut observer en se penchant au-dessus d’une l’armature grésillante dans ses efforts et sa gestuelle scintillante pour s’évader de son métavers d’un noir intersidéral.

L’oiseau blanc
Maintenue jusqu’en décembre au Bel Ordinaire (espace d’art contemporain), d’autres propositions sont à découvrir dans cette exposition qui matérialise en partie le dossier thématique réalisé par Agnès de Cayeux et Marie Lechner pour MCD #78, La conjuration des drones — ce numéro ayant fait l’objet d’une rencontre-signature à la Librairie L’Escampette dans le cadre du festival. Une série de workshops mobilisant les étudiants de l’ESA (École Supérieure d’Art des Pyrénées) poursuit également l’exploration de cette thématique au travers de nombreuses créations (vidéos, sculptures, installation, etc.). La restitution mi-novembre de ces ateliers donnant lieu à une autre exposition en parallèle, baptisée Un autre point de vue. Et durant le festival, c’est toute une série de conférences et performances qui ont illustré et analysé cette redéfinition du regard et de l’imaginaire au contact des technologies de l’aéronautique. Comme un fil rouge entre les différents lieux du festival, Maëlla-Mickaëlle M., aérienne sur ses rollers, l’oreille collée à un transistor ou virevoltante autour d’un dôme géodésique, livre une performance allégorique (La jeune femme, le dôme et le drone). Hortense Gauthier — à qui sera confiée avec Philippe Boisnard la prochaine édition du festival autour du thème de la frontière — proposait une Poésie du drone dont les éléments (lecture de textes, marquages au sol et bande-son post-industrielle) contrastaient avec le classicisme des peintures accrochées dans le patio intérieur du Musée des Beaux-arts de Pau.

Les conférences se sont déroulées à la Médiathèque André Labarrère. Animées par Philippe Di Folco, écrivain, enseignant et scénariste, ces rencontres ont vu les intervenants se succéder devant une assistance studieuse. Laura Mannelli est revenue sur la notion d’architecture atopique, où se mêlent expérimentation et rétro-prospective. Guillaume Bourgois et Dorothée Smith ont questionné cette révolution de l’image et des prises de vue aérienne dans le cinéma (de Chris Marker à la série Homeland, en passant La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog). Pas de doute, l’effondrement des mondes étoilés se fera… Olivier Grapenne a abordé l’épineuse question des Machines autonomes. Et Jean-Philippe Renoult au travers d’une séance d’écoute a mis en perspective l’histoire bourdonnante de la drone music; d’Éliane Radigue à Sunn O))), en passant par Ravi Shankar ou John CalePlus tard en soirée, avec une hauteur de vue remarquable, Jean-Philippe a tenté d’évangéliser les masses en passant, notamment, Strauss (Johann, pas Richard) « rechapé » par le turntabiliste Christian Marclay, dans son DJ-set promis, de fait, à un crash prématuré…

Fais comme l’oiseau…
Ce n’est que le lendemain, lors de la soirée d’anniversaire du samedi, que la musique a régné en maître. Au programme, Felix Kubin à qui est revenu la lourde tâche d’ouvrir les hostilités avec ses morceaux d’elektro-pop-synthétique, conçus comme de petites mécaniques de précision et souvent agrémentés de vidéos. À sa suite, le duo Ninos du Brasil a galvanisé le public avec son mélange de percussions brésiliennes et de « technoise » roborative. En comparaison, Syracuse (Antoine Kogut & Isabelle Maître) paraissait un peu fade; les vocaux et certaines envolées mélodiques atténuant l’impact de leur set aux accents house acidulée et pop psychée. Pour finir, décollage vertical avec DJ Marcelle. Personnage haut en couleur qui n’est pas sans évoquer pour les plus vieux d’entre nous feu Lisa N’Eliaz, mais dans un registre sonore plus bigarré. Musique africaine, techno asymétrique et drum-n-bass : la sélection aux enchaînements parfois un peu rugueux de DJ Marcelle est unique en son genre…

Épilogue en fin de matinée avec un focus sur le pigeon-voyageur en compagnie de Philippe Guilhempourqué, Président du Club de colombophilie de Pau, venu à l’invitation de Marie Lechner parler de sa passion aux festivaliers, avant de procéder à un lâcher de pigeons à l’heure du brunch. Inattendues, mais pertinentes retrouvailles avec l’intelligence du vivant après la froideur des machines. La solution est d’ailleurs peut-être, pour les mécanismes, dans une imitation du vol battu (i.e. avec battement d’ailes) comme le propose l’étonnant Bionic Bird conçu par Edwin van Ruymbeke. Héritier des petits jouets mécaniques mus par des élastiques, ce mini-drone en forme de petit oiseau noir est le contre-exemple absolu des drones militarisés dévoreurs d’hommes et d’énergie… D’un poids plume (évidemment), il se pilote via un smartphone et se recharge sur une borne en forme d’œuf…

Laurent Diouf

Infos: http://acces-s.org
Photos: D.R. / Festival Accès)s(

art, innovation et cultures numériques

Retour sur la troisième édition du Mirage Festival qui s’est déroulée du 25 février au 1er mars dernier à Lyon. Avec une fréquentation en hausse (7000 visiteurs contre 4500 pour la précédente), la manifestation a prouvé que l’union de propositions innovantes autour d’une volonté fédératrice des acteurs des arts numériques — mais aussi d’une ouverture au grand public — était le bon choix. Une édition réussie donc, subrepticement tournée cette année vers cette « archéologie des médias » dont nous vous parlions dans le numéro 75 de MCD, et qui mixait durant cinq jours technologies high-tech et inspirations low-tech dans un même élan créatif.

Ann-Katrin Krenz & Michael Burk, Kepler’s Dream. Photo: © Maxence Grugier.

Où en sont les arts numériques aujourd’hui ? Vaste question, à laquelle répondait en partie la troisième édition du festival Mirage de Lyon. Les arts numériques en question, prit dans la globalité de leur histoire désormais pérenne prétendent incarner un champ de transgression, d’unification, d’échange et d’hybridation aux propositions quasi infinies, rendues possibles par l’élan technique (voir « techniciste ») de nos sociétés, transformant l’artiste en ingénieur, le créateur en technicien (et inversement !). Bref, ils représentent un bouleversement de tous les codes communément acceptés comme étant ceux du monde de l’art. Ou bien, tout simplement, n’est-ce pas l’aboutissement de l’acte artistique d’aujourd’hui ? En phase avec les évolutions techniques et cognitives de notre temps. Des questions qui étaient justement au cœur de cette édition du festival Mirage, avec ses constants croisements de techniques et d’époques, ses pôles de réflexions aussi (*), dans une ville marquée d’histoire et concentrant de nombreuses volontés, de non moins nombreux acteurs et de multiples lieux aptes à accueillir le fruit de ces recherches.

Mirage en mode nomade
Initié depuis trois ans maintenant par l’Association Dolus et Dolus (Simon Parlange, Jean-Emmanuel Rosnet), le festival Mirage vivait cette année son baptême du feu. Une troisième édition charnière donc, qui installe l’évènement dans la cartographie des propositions culturelles lyonnaises et marque le passage d’un festival « d’initiés » à celui de rendez-vous incontournable des amateurs d’art, d’innovation et de cultures numériques, puisque tel est son intitulé. Un festival qui s’inscrit également dans une mosaïque de lieux, plus par nécessité que par réel choix, mais qui se fait aussi l’écho de la diversité des lieux impliqués dans ses démarches novatrices. Ainsi, nous pouvions découvrir et participer aux œuvres présentées cette année un peu partout sur les pentes de la Croix-Rousse dans le premier arrondissement, dans différentes galeries ou lieux d’exposition.

Le tissu lyonnais en la matière étant exceptionnellement étendu, des performances, Think-Tank et Tech-Tank, mais aussi concerts et installations étaient présentées aux Subsistances (Lyon 1), à Pôle Pixel et au Club du Transbordeur (Villeurbanne), ainsi qu’au Sucre (Lyon 2). Des lieux que les Lyonnais connaissent déjà comme étant les places fortes de la diffusion culturelle. Un symbole pour commencer : le vernissage de la manifestation investissait le Réfectoire Baroque du Musée des Beaux-Arts de Lyon, dont les hauts-reliefs stuqués de Guillaume Simon (1671-1708) se virent ranimés par Folds et Stain, les installations vidéo-morphiques et troublantes de l’artiste Berlinois Robert Seidel !

Arnaud Potier, Golem. Photo: © Arnaud Potier.

To the future…
Il est toujours difficile de témoigner de l’effervescence d’un festival et de donner une vue d’ensemble d’un évènement par essence hétérogène. S’il fallait un thème unificateur, nous pourrions parler de l’omniprésence du croisement des démarches et des époques faisant se percuter ancien et moderne. Qu’il s’agisse de Kepler’s Dream, l’installation des Allemands Ann-Katrin Krenz et Michael Burk à la galerie Sunset (QG du festival) : un savant mélange de haute-technologie (le cœur de cette pièce étant réalisé en impression 3D) et d’esthétique steampunk, ou bien du Timée de Guillaume Marmin et Philippe Gordiani présentée à la Galerie Terremer, et de Golem (Arnaud Pottier – BK / Digital art company) à l’Espace Altnet, tous se réfèrent au passé, à l’histoire (du monde, des idées, de l’art). Quand Kepler’s Dream s’inspire des théories de l’astrophysicien du même nom, Timée, œuvre immersive faites d’images et sons, puise son essence dans l’harmonie de Platon, tandis que Golem, sculpture augmentée, évoque le concept de « l’inquiétante étrangeté ».

… and back
De leur côté, Marcelo Valentes et Julien Grosjean proposaient deux œuvres complémentaires utilisant d’anciennes technologies audios (platines vinyles pour l’un, magnétophone pour l’autre). Stroboscopia était le prétexte d’une histoire du Brésil revisitée à base de disques « customisés », de collages et brisures sur des platines équipées de microscopiques caméras numériques. Tandis La Chambre Rouge, installation participative visuellement attractive, mêlait machines archaïques (micro, Revox) pour un commentaire sur l’évanescence du son et l’histoire des archives sonores. Histoire toujours, grande et petite, celle du cinéma et celle de l’univers, avec Big Bang Remanence de Joris Guibert et Projectors de Martin Messier, deux artistes/bricoleurs passés maîtres de la manipulation analogico-numérique. Le Français a raconté la naissance du monde, trafiquant en direct l’énergie pure du bruit blanc généré par d’antiques téléviseurs, tandis que le Canadien se livra à une performance physique et technique époustouflante, mêlant installation, vidéo et musique électroacoustique à partir de vieux projecteurs Super 8 augmentés.

Julien Grosjean, La Chambre rouge. Photo: © Maxence Grugier.

Du côté de l’innovation…
L’innovation et la réflexion prospective (ou introspective) avaient, bien évidemment, également sa place dans le cadre de cette manifestation lyonnaise. Avec l’installation participative Screencatcher de Justine Emard, plasticienne férue de nouvelles technologies, nous avons pu tester les possibilités de la réalité augmentée, technique appelée à être largement utilisée dans le champ de la création numérique du futur. Idem pour LPT1 de Hugo Passaquin qui offrait au public la possibilité de participer activement à l’élaboration d’une œuvre numérique en temps réel grâce à ses smartphones. Au Lavoir Public, les curieux ont pu également découvrir Hyperlight de Thomas Pachoud. Une œuvre immersive et performative en constante évolution qui unit danse (interprétée par Thalia Ziliotis), musique (David Guerra) et technologies lasers.

De la musique, il y eut aussi durant tout le festival. Tout d’abord avec les performances Live AV du Franco-Américain Pierce Warnecke, et celle du Français Franck Vigroux à la Salle Garcin. Deux moments forts, mettant à mal le corps et l’esprit, sous l’effet d’une peur panique de la désorientation visuelle et sonore tout d’abord (Warnecke), puis sous le choc de la noise industrielle corrosive et puissante (Vigroux). Ensuite, ce furent les prestations du duo Sidekick (transfuge du trio lyonnais Palma Sound System) au Lavoir, et celles des labels 50 Weapons et Creme Organisation au Sucre. Pour conclure, le Mirage se déplaçait au Transbordeur en invitant Fulgent, producteur lyonnais dont la techno à la fois mélodique et abrasive a ravi les fans, et Kangding Ray, artiste français signé sur le label Raster Noton (Alva Noto, Frank Bretschneider) désormais installé à Berlin. Parfait mélange d’énergie et de (retro)futurisme noir à la Blade Runner, leur musique était le point d’orgue (électronique) d’une semaine riche en propositions.

Maxence Grugier
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

Site: www.miragefestival.com

(*) À noter l’élaboration cette année du Mirage Open Creative Forum, co-organisée avec AADN, journée de réflexion et temps d’échange créatifs autour de l’avenir des arts numériques.

post-audio

Retour sur la 16ème édition du festival Elektra marqué, cette année, par le lancement de la première Biennale Internationnale d’Art Sonore. Placée sous le signe du « post-audio », la programmation interroge l’influence du sonore sur notre psyché, explore les différents phénomènes d’écoute, propose de nouvelles modalités d’interrelation entre le son et l’image au travers de rencontres, expositions et performances.

Cod.Act, Nyloïd. Photo: © Gridspace.

Le festival Elektra, qui se déroule à Montréal à la mi-mai, s’est ouvert cette année avec une table ronde en compagnie de [The User] et des auteurs de la monographie qui leur est consacrée. Les installations sonores de Thomas McIntosh et Emmanuel Madan illustrent le questionnement multiple du « post-audio ». Un questionnement reconduit ensuite avec Resonant Architecture du collectif Art Of Failure, représenté par Nicolas Maigret. Une projection vidéo où se succèdent friches industrielles, jungles urbaines et paysages dévastés qui servent, au sens strict, de caisse de résonnance à des objets architecturaux atypiques.

Une « mise en vibration » qui atteint son paroxysme avec une installation monumentale qui se dresse au milieu de nulle part, tel un gigantesque totem chargé de piéger des sons. À la suite de cette présentation, place à l’inauguration de la Biennale Internationnale d’Art Sonore au Musée d’Art Contemporain de Montréal, avec la nouvelle installation performative de Cod.Act. Baptisée Nyloïd, impressionnante par sa taille, il s’agit d’une sorte de tripode constitué de tubulures souples en nylon. Soumis à des contraintes mécaniques, l’alien s’agite, se tord en émettant des borborygmes, comme pris de convulsions devant un public craintif.

Dans une ambiance plus feutrée et studieuse, le Marché International d’Art Numérique initié par Elektra rassemble des professionnels (artistes, festivals, revues, médialabs, commissaires…). L’occasion pendant 2 après-midis passés au Centre Phi de croiser des expériences. De mesurer également l’importance du contexte socio-culturel et économique dans lequel peuvent s’ancrer des initiatives; notamment pour les pays du Sud. Ainsi, par exemple, le SESC (Service Social du Commerce), une institution privée brésilienne qui œuvre dans le domaine des services, de l’éducation et de la santé, mais qui a également un Département consacré aux Arts visuels et numériques, et peut réunir un public bigarré dans un quartier qui se met à vibrer sur du mapping et de la drum-n-bass !

Alex Augier, oqpo_oooo. Photo: © Gridspace.

La rencontre avec les chercheurs, artistes et étudiants affiliés à l’Hexagram-UQAM (le centre de recherche en arts médiatiques de l’Université du Québec à Montréal) était également propice à l’échange d’impressions avec la découverte de works in progress dans le domaine des dispositifs scéniques, des vêtements connectés… Outre quelques présentations et expositions satellites, Elektra proposait aussi, de manière plus inattendue, un aperçu des ateliers créatifs-pédagogiques à destination des enfants avec la contribution d’Herman Kolgen dans une performance audio-visuelle aux allures de fête de fin d’école !

Plus adulte, si ce n’est cérébral, l’exercice d’écoute proposé par Nicolas Bernier avec un dispositif très simple (oscillateur, diapason, haut-parleur), qui repose sur le télescopage d’oscillations générées par deux sources, électronique et analogique (Frequencies (friction). Autre installation audiovisuelle et multicanal jalonnant un des lieux investis par Elektra, Topologies de Quayola qui opère une réinterprétation géométrique des peintures classiques de Velasquez et Tiepolo, les transformant ainsi en une sorte d’origami en mouvement qui semble conçu avec du papier froissé. Il y a aussi Temporeal, l’étrange installation cinétique de Maxime Damecour, qui nous force à observer de près un filament presque fluorescent qui réagit aux basses fréquences.

Concernant les lives, tout a démarré avec 2 sets immersifs sous le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). C’est un peu comme la Géode : les images recouvrent complètement notre champ de vision. Allonger, le voyage astral commence avec des rectangles colorés que Paul Prudence enchaîne à des effets tunnel sur une bande-son à la fois planante et coupante (Lumophore II). À sa suite, le collectif turc Ouchhh exploite le même principe, mais avec des textures en noir et blanc plus travaillées, plus complexes, évoluant au gré de patterns électroniques sculptées au scalpel (Homeomorphism, suivi de Solenoid). Un moment fort du festival.

Alva Noto & Byetone + Atsuhiro Ito, Diamond Version. Photo: © Gridspace.

Les autres lives se sont déroulés à l’Usine-C. Sur l’ensemble de la programmation, nous retiendrons l’étonnant jonglage avec des projecteurs de Martin Messier (Projectors), la leçon de DJing avec des toupies lumineuses de Myriam Bleau (Soft Revolvers) produisant des sonorités ondulantes qu’il vaut mieux écouter sans avoir mangé gras avant… On retrouve Paul Prudence, en 2D cette fois (Cyclone II). Dans un registre plus « techno-tronique », Alex Augier s’est imposé avec ses compositions très « mathématiques » prolongées par des lignes de fuites projetées sur une structure cubique (oqpo_oooo). Hors de ce dispositif, on observe une proximité d’intention de sonorités avec le set « algorithmique » de Julien Bayle (ALPHA). Par contre, Franck Bretschneider, accompagné de Perce Warnecke pour les visuels, nous a laissés pantois : trop décousu, trop brut, trop improvisé, trop « free » par rapport à son album éponyme paru sur Raster Noton (Sinn+Form); en dehors d’un moment calme au milieu de ce fatras sonore, sous forme d’une boucle mélodique.

Nous avons préféré, de loin, ses acolytes Olaf Bender (Byetone) et Carsten Nicolai (Alva Noto) qui clôturaient les sessions le samedi soir. Ils ont livré un set cinglant, doté d’une force brute et d’un volume conséquent. Le tandem était épaulé par Atsuhiro Ito qui jouait de l’optron. Un instrument qu’il a inventé, qui ressemble à un néon perclus de capteurs avec lequel il se livre à des solos plein de luminescences et de stridences. Un peu plus tard dans la nuit, les derniers festivaliers encore valides après ces 4 jours intenses ont rejoint Alain Thibault, directeur d’Elektra, et son équipe pour un dernier set dans un bar-club (le Datcha, rue Laurier Ouest pour les connaisseurs). Rendez-vous est pris pour l’année prochaine…;)

Laurent Diouf
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

> http://elektrafestival.ca

Ten Years After

Au fil des ans Electron a su conserver son ambiance conviviale et sa programmation éclectique, se préservant ainsi de la démesure de certains évènements qui n’ont plus qu’une vision comptable comme raison d’être… C’est ainsi que le Festival des cultures électroniques de Genève a franchi avec panache le cap des 10 ans d’existence en mars dernier; marquant à la fois la fin d’un cycle et le point de départ de nouvelles aventures…

Sascha Funke @ Electron 2013. Photo: D.R. / Electron Festival

Par une sorte de mise en abîme, cette édition 2013 accueillait le fameux label Kompakt qui célèbre pour sa part son 20ème anniversaire en sur-multipliant sa présence dans de nombreux clubs et festivals around the world. Cette étape genevoise proposant d’entrée de jeu, le jeudi soir, un plateau de choix avec Mohn, Sascha Funke et sa deep-tech à la fois charpentée et saccadée, ronde et cliquetante, Justus Köhncke imposant du chant en rupture de tonalité avec l’attente du public, Saschienne et Gui Boratto en point d’orgue. Rappelons le pour les béotiens (il y en a toujours qui traînent…), Kompakt a été créé à Cologne par Michael Mayer, Jürgen Paape et Wolfgang Voigt (alias Gas) sur les cendres d’un magasin de disque (Delirium) et a su popularisé la minimal-techno et les interludes « pop-ambient » chers à la scène allemande. Outre ses activités de booking et de distribution quasi-hégémonique en la matière, l’enseigne a conservé une section dédiée à la vente (physique et en ligne). Il était donc logique de recréer pour l’occasion un « fac-similé » du magasin avec la quasi-totalité des références du label disponible en vinyl et/ou CD, dans l’enceinte de L’Usine (le Centre Autogéré qui fait office de vaisseau-mère pour le festival). Une initiative qui nous a permis d’admirer une mosaïque de pochettes dans un décor à l’allemande (i.e. plutôt roots et rough, éloigné de tout design high-tech…) en écoutant les dernières productions tout en sirotant une bière gracieusement offerte par les tauliers…!

Calyx & Teebee @ Electron 2013. Photo: © Jeremy Hofmeister / courtesy Electron Festival

S’étant attardé aux premiers sets de la soirée Kompakt, on entreprend tardivement de se diriger vers La Gravière — épicentre du versant « bass-music » de la programmation d’Electron 2013 — où le Trojan Sound System à poser ses caissons. La route nous semble longue et hasardeuse pour des raisons indépendantes de notre volonté… Pris d’un doute, on cherche en vain quelques silhouettes dans la pénombre. En toute autre ville, ce périple le long d’un chemin sombre et escarpé en bordure de l’Arve (affluent du Rhône) se révèlerait un brin anxiogène. Mais c’est oublié que l’on est à Genève… Pas de (kernel) panique. On fini par voir se profiler une ombre mouvante : c’est une charmante pitchoune en vélo nous confirme que, oui, c’est bien par là que ça se passe… Une dizaine de mètres plus loin, les premières pulsations d’une basse pachydermique dissipent nos dernières appréhensions. Nous pénétrons ensuite dans la petite salle aux murs suintants, en priant pour ne pas être victime d’un décollement de la plèvre tant les fréquences distillées par les murs d’enceintes sont à couper le souffle. Mais hélas, trois fois hélas, nous arrivons trop tard pour cette entreprise de dubisation massive, lointaine dérivée de l’antique label Trojan… D’autres formations ont pris le relais. Nous reviendrons néanmoins rôder sur les lieux les jours suivants pour écouter notamment OBF + Mungo’s HiFi et surtout The Bug — aka Kevin Martin — en compagnie de Daddy Freddy pour un set de combat (sono à décorner un bœuf et déco camouflage tendance free party…).

Deepchild @ Electron 2013. Photo: © Thiago Lemos / courtesy Electron Festival

D’autres figures de légende étaient également conviées pour cette cuvée 2013 : à l’instar de plusieurs festivals, depuis quelques saisons Electron réveille la fibre des défuntes années 80s… Ainsi Daniel Miller, fondateur du label Mute, a assuré une sélection techno-pop-synth bien actuelle, tandis que le duo Kas Product, de nouveau en selle avec un son plus ample et rond, a rejoué ses titres-phares (« One of a kind », « Never come back », « So young but so cold », « Loony-Bin », etc.) devant un public transgénérationnel… En comité plus restreint, Genesis P-Orridge (Psychic TV, etc.) — qui après avoir ressemblé à une vieille Anglaise indigne a désormais des allures de Bavaroise fatiguée — parle de son amour disparu dont on n’est vraiment pas sûr qu’il/elle se remettra un jour… Une conférence placée sous le signe de la pandrogénie et agrémentée de visuels qui ne nous épargnent rien des boucheries successives que ce couple infernal s’est infligées. Intitulé S/He is (still) her/e : the pandrogeny project of Breyer P-Orridge, cette « explication de texte » s’avère être un excellent complément au film de Marie Losier, The Ballad Of Genesis and Lady Jaye. Quelques heures plus tard, malgré un rhume carabiné, Genesis P-Orridge monte sur scène en compagnie de son fidèle servant Bryin Dall à la guitare et aux machines pour des lectures de textes sur fond noisy, ravivant son projet Thee Majesty.

Mad Codiouf @ Electron 2013. Photo: © Matheline Marmy / courtesy Electron Festival

Autre conférence à laquelle nous avons assistée, celle de Mandrax. Pionnier de la scène house, revenu en Helvétie après un long exil new-yorkais à l’orée des années 90, il prouve que musique électronique est aussi « une histoire suisse »… Diffusant en préambule le morceau précurseur, si ce n’est visionnaire, de Manuel Göttsching, « E2-E4 » pour hypnotiser son auditoire, il démêle de manière très pédagogique l’écheveau des influences, courants et artistes qui ont forgé la techno et consorts, tout en pointant le contexte social dans lequel ils ont émergé. Après ce cours magistral, rien de tel qu’une pause dans le Chill-Out. Un espace conçu comme une installation, à la fois lieu de relaxation, d’écoute et de performance (matelas, visuels et cristaux compris), assurant la continuité du festival (24/24h) au moment où les autres salles fermaient. Proposé en référence aux chill-out des raves, ces espaces intemporels et surtout hors rythmiques qui ne subsistent plus que dans les rassemblements de la mouvance trance, cet endroit hébergeait une exposition qui rassemblait, entre autres, des œuvres de Sylvie Fleury et Jacques Perconte, ainsi que des archives des Merry Pranksters (prototype absolu des travellers…). L’écrin idéal pour écouter Sogar et sa musique minimaliste et cérébrale.

Mimetic @ Electron 2013. Photo: © Jeremy Hofmeister / courtesy Electron Festival

On regrette d’ailleurs que la part des musiques post-industrielles et expérimentales soit moins conséquente qu’à l’époque où Electron réquisitionnait le Théâtre de l’Alhambra niché au pied de la vieille ville. Il est vrai que l’équipe du festival s’occupe aussi de Présences Électroniques Genève, version suisse du festival parisien de l’INA-GRM qui concentre toutes ces autres facettes de la musique électroniques. Qu’importe, en ce week-end pascal notre soif de décibels est plus forte. Nous délaissons un peu les propositions péri-musicales (danse, ateliers, projections et dégustations), pour nous concentrer sur les multiples lives et DJ-sets à l’affiche de la programmation pléthorique. Parmi les nombreux intervenants, nous retiendrons en particulier le marathon de Theo Parrish, les extravagances sonores de Murcof, le classicisme de Rubin Steiner et LFO en version 2.0. très abrasif. Pour le versant techno : Derrick Carter, Attaque, Anja Schneider et Deepchild, roboratif et efficace. Plus transversal : Tiga, Kenny Dope plutôt old school et brouillon, Mimetic avec un live elektro-breakbeat très acéré. Au rayon drum-n-bass, citons TC dont on regrettera l’omniprésence du MC; tout comme pour le tandem Calix & Teebee et Loadstar — bien qu’un ton en dessous. Enfin, dans un genre voisin, aux consonances dubstep clairement revendiqué, on préférera Shackleton et, palme d’or, Mala In Cuba dont la combinaison breakbeat & bass / percus latino est vraiment détonante. La suite dans quelques mois…

Laurent Diouf
publié dans MCD HS#08, cultures numériques live, octobre 2013

La 3e édition du festival Désert Numérique, à Saint-Nazaire-le-Désert, inaugure l’été 2012 avec une programmation curieuse et téméraire.

Au moment où l’on passe au tout-numérique, dans ce territoire de montagne qui n’a été que très tardivement relié aux réseaux et dont la salle de cinéma la plus proche est à une heure de route, Désert Numérique propose une visite de la culture numérique au travers de son histoire technique et artistique. Au travers du cinéma, de la vidéo, des bandes magnétiques, au travers de l’appropriation des canaux de transmission, des radios amateur et pirates, des pratiques de détournement, du collectif, de l’intrusion, autant de postures qui habitent le numérique, autant de clés de lecture à réactiver.

> http://desert.numerique.free.fr/2012/

La 7ème édition du festival In Famous Carousel s’installe à la Gaîté lyrique et présente des oeuvres d’artistes de la culture numérique touchés par les métamorphoses qu’elle offre.

Tous les ans, pendant 5 jours et dans différents lieux, In Famous Carousel se déploie dans différents lieux et propose des installations, des concerts, des performances ou encore des projections en invitant des artistes inscrits dans l’ère de la révolution numérique que nous vivons. Pour cette 7ème édition, « Desctruction et réassemblage » sont les maîtres mots. Agrégats d’emballages, collages dadaïstes, sampling, remix, circuit bending, cut et mashup, datamosh, le procédé de « déconstruction / réassemblage » a traversé le 20ème siècle et les disciplines. A l’heure d’internet, de l’accélération des technologies de communication et du partage des connaissances, ce procédé de « destruction et réassemblage » laisse entrevoir d’autres pistes de création, entre l’analogique et le numérique.

> https://gaite-lyrique.net/festival/in-famous-carousel

Présences électronique, le festival de musique électronique / musique électroacoustique organisé par l’INA / G.R.M. (Groupe de Recherches Musicales) en co-production avec Radio France, a eu lieu cette année du 25 au 27 mars.

C’est pour rendre hommage à Pierre Schaeffer, à la musique concrète et à la musique acousmatique, inventées dès la fin des années 40 au G.R.M. et faire le lien avec les nouvelles expérimentations de la musique électronique que son directeur artistique, Christian Zanési, a organisé ce festival à la Maison de Radio France pour la première fois en 2005.

> https://inagrm.com/fr

Espaces Soniques

À City Sonic, l’art sonore renvoie invariablement aux espaces de diffusion parsemant la ville de Mons qui l‘accueille. Un rapport indéfectible à l’espace public renforcé par le choix des artistes invités à sa huitième édition, qui s’intègre dans une action de programmation ludique et pédagogique, et où l’idée de réseau garde toute sa prévalence.

Spectres sonores
Habituel parent pauvre des connections entre pratiques artistiques et espace public, le son a trouvé à Mons, en Belgique, un véritable havre d’expression. C’est dans le cadre du festival City Sonic, tenu cette année du 27 août au 12 septembre, que ce rapport entre l’urbain et le sonore se tisse depuis huit ans dans la capitale du Borinage. Une approche à l’expressivité douce, qui s’accommode de cet environnement architectural historique, intriqué et tranquille, renforçant ainsi la subtilité informelle de spectres sonores s’emparant de lieux insolites comme autant de véritables terrains de jeux et d’espaces d’expérimentations idoines.
Une fois encore, c’est à un véritable parcours au cœur de la ville que Transcultures et Philippe Franck, organisateur de l’évènement, invitent le public. Et une fois encore, la Machine à Eau, le site des Anciens Abattoirs ou encore la Salle Saint-Georges – Grand’ Place sont mis à contribution pour accueillir salons d’écoute, performances et installations concoctés par une trentaine d’invités internationaux.

Le son, outil d’un rapport à l’espace
Parmi eux, on note cette année notamment les présences de Diane Landry, de Laura Colmenares et Todor Todoroff, des collectifs MU et Lab[au], du laboratoire de recherche en art sonore Locus Sonus. Des artistes aux pratiques tournant autour d’incursions multidisciplinaires variées (musiques actuelles, arts visuels, arts numériques, création radiophonique…), mais où le son et sa capacité d’occupation, de structuration ou de restitution d’un espace donné constituent un fil conducteur partagé.
Les architectes sonores de Lab[au] utilisent ainsi ce rapport entre le son et l’espace pour contribuer à la configuration de projets urbanistiques (l’installation cybernétique et interactive Binary Waves, panneaux pivotants et lumineux posés sur les bords du canal de Saint-Denis en 2008) ou de réalisations plus intérieures (Framework 5x5X5 et ses modules cinétiques)
Porteur du projet Sound Delta en 2008 — des péniches itinérantes transformées en studio de studios sonores mobiles sur le Danube et le Rhin — et soutien du festival Filmer la Musique à Paris, le collectif Mu joue aussi sur ce travail de remodelage d’une identité sonore en constante gestation.

Field spatialization
Avec des artistes-chercheurs comme Julien Clauss, Anne Roquigny ou Jérôme Joy, le laboratoire Locus Sonus travaille sur les espaces sonores et la field spatialization, la spatialisation sonore combinant l’articulation des espaces locaux et distants. Un principe actif où le transport des sons et des ambiances passe par une combinaison de dispositifs de streaming en direct via Internet, de véritables webcams sonores induisant ces environnements sensoriels à l’affût de leurs propres variations.
Quant à la Québécoise Diane Landry, ces « œuvres mouvelles », qu’elles prennent la forme d’installations, de sculptures ou de performances, utilisent le son comme outil évident de falsification et de transformation d’objets de notre quotidien. Comme en témoignait encore récemment son installation sonore avec automatisation Chevalier De La Réalisation Infinie, réalisée à partir de bouteilles en plastique.

Le réseau et la nouvelle étape brusseloise
Mais surtout, City Sonic a choisi pour son édition 2010 de s’inscrire davantage dans une logique de partenariat et de réseau. Cette année, la manifestation est en effet le volet belge de Diagonales : son, vibration et musique dans la collection du Centre National des Arts Plastiques, un parcours itinérant d’expositions en France, en Belgique et au Luxembourg. Un axe convergent symbolisé dans la grande halle du site des Abattoirs à Mons par la jonction entre la culture pop-rock, le son et les arts plastiques, avec les interventions du platiniste Christian Marclay, du plasticien Steven Parrino, de l’artiste multimédia Malachi Farrel ou encore de la vidéaste post-pop Pipilotti Rist.
Une réflexion élargie qui a permis à City Sonic de trouver son prolongement à Bruxelles dans le cadre de Sonopoetics : de la parole à l’image, de la poésie au son, du 3 au 18 septembre 2010, à l’Institut Supérieur du Langage Plastique (ISELP). Une exposition d’oeuvres plastiques et graphiques liées à la poésie sonore, assortie de conférences, projections et performances, où des pièces de Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Maurice Lemaître, pour les Français, et de John Giorno ou Brion Gysin pour le volet beat anglo-saxon sont particulièrement mises en avant. Un sens de l’ouverture qui s’inscrit bien dans le fil éclairé et vulgarisateur tiré par City Sonic.

Laurent Catala
MCD #60, juillet-aout 2010

Site: http://citysonic.be/