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cultures électroniques & arts numériques

Expositions, lives, performances sonores et visuelles : durant 10 jours, du jeudi 12 au dimanche 22 septembre, le festival Scopitone investit une nouvelle friche promise à la démolition, l’ancien MiN (Marché d’intérêt National, équivalent de Rungis) sur l’île de Nantes. Pour cette 18ème édition, c’est donc une programmation augmentée, doublée, qui offre une diversité de scènes, d’événements et de rendez-vous.

Des tables rondes et conférences permettront de poursuivre des réflexions autour du futur, des technologies et des arts numériques. Les Rendez-vous du Labo proposent également des ateliers, masterclass et workshop autour des Nouvelles interactions entre humains, nature et technologie ; la Conservation de l’art numérique ; l’Approche écoconsciente de l’art numérique ; la Sonification du geste avec Max8

Parmi les expositions et installations, on citera notamment les géants lumineux d’Amanda Parer (Fantastic Planet) ; le poisson-rouge qui pilote depuis son aquarium un fauteuil motorisé, un artefact conçut par le collectif Dardex aka Quentin Destieu & Sylvain Huguet (Machine 2 Fish v2) ; le ballet de vapeurs blanches mis en scène par Sebastien Wolf & Michael Kugler (Brume) ; les fumées s’échappant d’une structure monumentale conçue par Guillaume Cousin (Le Silence des Particules).

Pour le volet performances AV et musiques électroniques, on retrouve en ouverture Étienne de Crécy avec un nouveau dispositif scénique (Space Echo). À l’affiche également, mais pas seulement, le collectif Transforma pour un set audio-visuel qui revisite l’histoire des manufactures sur une composition signée de Sascha Ring (Manufactory), Maxime Dangles en plongée dans les grands fonds (Sonars), Ryoichi Kurokawa (subassemblies), Julien Bayle (Structure.Live), Andreas Lutz (Binary Supremacy)…

Sans oublier Molecule pour une version imagée en 360° de son album « groenlandais » (-22.7°C live 360), Alex Augier (p(O)st), Pierce Warnecke & Clément Édouard (Sédiments), Kompromat (Vitalic + Rebeka Warrior, ex-Sexy Sushi)… Plus inattendue, Chloé alliée au collectif Scale s’éloigne des codes du clubbing techno pour explorer des territoires plus ambient-electronica… En bout de piste, dans une pièce noire, Fabien Aléa Nicol & Anne-James Chaton combineront fragments de textes philosophiques et pulsations stroboscopiques (Distanding Waves).

Scopitone 2019
> du jeudi 12 au dimanche 22 septembre, Nantes
> https://www.stereolux.org/scopitone

festival des arts numériques

La 14e édition du festival Gamerz investit la Fondation Vasarely, l’École supérieure d’art et la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence ainsi que la Galerie des Grands Bains-Douches à Marseille, du 8 novembre au 15 décembre prochain. En coordination avec Chroniques — biennale des imaginaires numériques, qui officie sur les mêmes terres et à la même période —, Gamerz propose des expositions, performances, DJ-sets, ateliers et conférences.

Cette année, l’exposition collective se déploie autour d’une thématique commune avec le festival DataBit.me : Digitale défiance. Les artistes Julien Clauss, Caroline Delieutraz, Harm van den Dorpel, ErikM et Géraud Soulhiol proposent, chacun à leur manière, une sorte de critique de la technologie, tels des lanceurs d’alerte. Un regard qui s’inscrit dans l’héritage de penseurs comme Ellul ou Virilio (récemment disparu), contre le mythe du progrès technique, de la glorification de la croissance, de l’innovation sans fin, du culte de la vitesse… Le numérique décuplant ces symptômes de la catastrophe qui vient. Les œuvres présentées illustrent cette problématique liée aux usages sociaux des nouvelles technologies, à la nécessité de reconsidérer l’imaginaire qui préside et accompagne la technique à l’ère du numérique et la culture du digital. Avec une focalisation sur l’image et le son. Et quelques expériences distilleries atypiques (Vincent A., Pat Lubin & Shoï Extrasystole, Alambic Sonore)

L’image, tout d’abord. Internet est le grand pourvoyeur d’images, fixes et animées, qui servent désormais de matériaux artistiques à part entière. Ainsi, Géraud Soulhiol utilise des clichés de Google Earth dont il projette des fragments, nous donnant l’impression de voir le monde par un trou de serrure avec sa série Le Hublot ou d’expérimenter des paysages morcelés (Territoires recomposés). Harm van den Dorpel fait également son marché sur Internet où il glane des photos de personnes franchement HS après des soirées que l’on imagine mémorables (du moins, pour les témoins qui les ont immortalisés). Assez éloigné de l’épure graphique et algorithmique dont il fait preuve habituellement, grâce à un petit protocole d’animation, il nous donne l’impression que ces corps gisants dans des postures improbables sont en séance de lévitation (Resurrections). Caroline Delieutraz déstructure également des images présentées sous la forme d’un puzzle en relief, en bois découpé, sur plusieurs strates, avec des pièces manquantes (Les Vagues); évoquant des tableaux d’un autre siècle (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater, basé sur l’étude d’une partie du désert égyptien via Google Earth par un scientifique italien qui a ainsi pu identifier un cratère creusé par une météorique).

Le son, ensuite, avec eRikM. Éminemment connu dans le circuit des musiques expérimentales, bruitistes et improvisées, il propose un objet sonore baptisé La Borne. Cet artefact qui ressemble un peu à une urne funéraire repose sur un dispositif constitué de 16 codes joués de manière aléatoire. Mêlant collage sonore et symbolisme du langage, cette réalisation est basée sur les éléments de code utilisé par les soldats amérindiens Choctaw pour l’Armée américaine à la fin de la Première Guerre mondiale. À noter que ce principe, rendant quasiment indéchiffrable le code pour d’autres nations (en premier lieu l’Allemagne), fut repris lors de la 2e Guerre mondiale et inspira le film de John Woo avec Nicolas Cage, Windtalkers, les messagers du vent.

Avec sa Salle de brouillage, Julien Clauss met en scène le spectre sonore radiophonique. Combinant une trentaine d’émetteurs/récepteurs bricolés, plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles tirés au cordeau, calés sur des fréquences différentes (de 87 à 108 MHz), cette installation balaye la bande FM (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.), offrant une bande-son modulable, si l’on ose dire, puisque les visiteurs peuvent s’amuser à explorer ce chant des signes à l’aide de radio mises à disposition. Ce dispositif fera aussi l’objet d’une performance, Agrégation de porteuses dans l’Ultrakurzwellen. On retrouvera Julien Clauss dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé L’Homme orbital; auquel participeront également France Cadet, Ewen Chardronnet, Colette Tron et Jean Cristofol qui interviendront sur les aspects théoriques et pratiques du numérique, en confrontant l’expérience de structures et événements ancrés dans la région PACA (Chroniques, Gamerz, ESAAix, Alphabetville).

L’autre grande expo, monographique cette fois, se déroulera à la Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine à Marseille. Sous la bannière Master/Slave — qui évoque pour notre part les temps héroïques des jumpers qui servaient à indexer les disques durs sous interface IDE & Co… — Quentin Destieu (artiste et directeur du festival) y présentera un large panorama de ses créations dans le cadre de son doctorat. Parmi les nombreuses pièces, signalons Maraboutage 3D, soit des poupées vaudou hérissées d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis. Un retour de bâton pour celui qui, après s’être arrogé les fruits du développement de l’imprimante 3D par la communauté open-source, les a brevetés et cadenassés pour en faire l’exploitation commerciale.

Dans un autre genre, À cœur ouvert donne à voir, à taille humaine, les entrailles du premier micro-processeur. Condensé technologique qui annonce la micro-informatique grand public, le Intel 4004 (c’est son nom d’origine) reposait sur une architecture de 4 bits, une fréquence de 740 kHz et était doté d’une mémoire morte de 256 octets… Mais sa principale caractéristique est d’avoir été dessiné entièrement à la main. Ensuite, contrainte de la miniaturisation oblige, les machines ont pris le relais pour le tracé des ramifications du système de transistors. C’est ce réseau des commutations que donne à voir À cœur ouvert.

Quentin Destieu se livre aussi à des opérations de détournement et recyclage de nos appareils électriques et électroniques, les transformant en outils primitifs après avoir fondu leurs composants et métaux (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Au rayon des artefacts improbables, il a conçu une Machine 2 Fish, petit robot motorisé sur roue qui transporte un aquarium selon un itinéraire qui varie au gré des mouvements d’un poisson rouge… Sans oublier La brosse à dents qui chante l’Internationale (profitons-en pour rappeler au passage qu’il existe aussi une Internationale Noire — i.e. anarchiste — que l’on entonne malheureusement moins fréquemment…).

Laurent Diouf

Gamerz 2018, 14e édition, du 08 novembre au 15 décembre, Aix-en-Provence + Marseille
> http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/

Retour à la maison pour le festival Présences électronique qui s’était exilé ces dernières années, suite aux travaux de rénovation des locaux de Radio France. L’édition 2018 de cet événement initié par l’INA/GRM quitte donc le CentQuatre pour revenir au Studio… 104 !!!

L’acousmonium, ce fameux « orchestre de haut-parleurs » sur lequel sont diffusés les concerts avec un son spatialisé, retrouve ainsi son écrin d’origine. L’esprit de la programmation reste le même : faire partager l’affiche à des musiciens férus d’expérimentations sonores; que ceux-ci soient issus de l’électroacoustique ou de la scène l’électronique.

Se succèderont ainsi durant trois soirées, du 23 au 25 mars, des musiciens aux parcours multiples, aux techniques et ambiances contrastées. Avec en ouverture, un hommage à Pierre Henry (qui nous a quitté début juillet 2017) au travers d’une courte pièce (4’17 ») intitulée « Spirale ». Un essai de « modulation de fréquence » qui, de son propre aveu, aurait pu être le proto de la musique répétitive…

Autre hommage, celui de Jacob Kirkegaard à l’égard d’Else Marie Pade, compositrice danoise (née en 1924, disparue en 2016), avec qui il avait collaboré il y a quelques années (cf. l’album Svævninger sur Important Records en 2012).

Parmi les artistes à l’honneur cette année, notre attention se focalisera sur John Chantler dont nous connaissons le travail via Room40, le label de Lawrence English dédié à la musique expérimentale. Pour l’occasion, il délivrera une création spécialement composée sur un synthétiseur modulaire du GRM (inspiré de celui construit par François Coupigny, est-il précisé pour les connaisseurs).

On retiendra aussi la présence de Bill Orcutt qui délaissera pour l’occasion ses dérives guitare/noise au profit d’une pièce algorithmique générée via son propre programme open-source, Cracked; également à la source de deux albums bizarroïdes, combinant abstractions électroniques et relents de blues…

Dans cette sphère guitaristique, aux accents saturés et distordus, on retrouvera Stephen O’Malley (Sunn O))), KTL) en compagnie d’Attila Csihar et Oren Ambarchi pour leur projet Gravetemple qui s’annonce comme une performance ritualiste…

On mentionnera également Marc Parazon aka :such:, à la fois ingénieur du son, compositeur et artiste sonore qui « joue » notamment avec de vieux lecteurs K7 et les bruits qui trahissent leur obsolescence et la maltraitance qu’il leur inflige…

Sans oublier Phonophani, personnage éminent de l’ambient abstrait, dans une recherche constante de la pureté du son, et Surgeon, dans son versant ambient-drone sous l’alias Anthony Child.

On signalera enfin le voyage au bout de la folie auquel nous convie The Caretaker (aka V/Vm pour ses dérapages electronic-noise) grâce à une création pour le festival qui reflète son projet en cours, Everywhere at the end of time, où il révèle et illustre la progression de la démence à travers le son.

 

Présences électronique, du 23 au 25 mars, Maison de la Radio / Studio 104
> http://www.maisondelaradio.fr/presences-electronique

 

Opération Phoenix pour le festival Electron… Après quelque temps d’incertitude, ce rendez-vous des cultures électroniques de Genève se métamorphose pour sa 15ème édition. Auparavant concentré sur le week-end de Pâques, le festival se dédouble (19-21 et 26-28 avril) et en profite pour investir d’autres quartiers et lieux de Genève. Et la programmation s’affiche volontairement clubbing, en prenant comme modèle revendiqué la scène berlinoise.

 

Pour autant, l’affiche reste éclectique, mêlant figures totémiques et artistes à découvrir, ainsi que des représentants de la scène locale. Et s’il y a bien de nombreux tenants d’une techno/house très festive, d’autres formations œuvrent de manière plus anguleuse, tissent des rythmiques hypnotiques, développent des ambiances plus sombres. Ce qui nous réjouit.

Pour s’en convaincre définitivement, cédons aux joies du name-dropping : Argonaute, Blacknox (aka Gérôme Nox + Black Sifichi), Cocoon, DBridge, Detroit Swindle, Digitalis, DJ Lilocox, Exos, Floating Points, ItaloJohnson, James Ruskin, Joris Voorn, Joy Orbison, Kevin Saunderson, Laurel Halo, Mark Broom, Mike Huckaby, Mimetic, Monoloc, Pangaea, Prosumer, Rødhåd, Terence Fixmer, Tin Man…

Du passé, le festival Electron a gardé l’idée d’une exposition transversale. Cette année, c’est l’équipe d’Optical Sound, emmenée par Pierre Beloüin qui met en exergue la comédie et les dérives du monde de l’art, tout en montrant en contrepoint d’autres alternatives, d’autres hybridations, au travers de conférences, workshops, danse et performances…

Electron, festival des cultures électroniques de Genève
> du 19-21 + 26-28 avril, Genève (Suisse)
> exposition The Sun Ain’t Gonna Shine Any More, du 5 au 19 avril
> https://www.electronfestival.ch/

festival des arts multimédia

Le coup d’envoi de l’édition 2017 de Gamerz a été donné vendredi 3 novembre, avec l’inauguration de l’exposition phare du festival à la Fondation Vasarely. La thématique pour cette 13ème édition est axée autour de la part sombre, et parfois occulte, des nouvelles technologies. L’exposition se donnant pour objectif de mettre en avant des créations artistiques actuelles, dans lesquelles les artistes questionnent nos différents modes d’interactions avec les machines à travers le spectre de l’ésotérisme. Parmi les pièces proposées, nombreuses sont celles qui empruntent les codes d’un certain animisme-digital.

Parmi les œuvres exposées qui flirtent avec ce nouvel âge de l’ésotérisme, on retiendra notamment l’inventaire cartographique de Suzanne Treister qui retrace les nombreuses ramifications des différents mouvements et théories de la contre-culture; des anarcho-primitivismes au transhumanisme, de Thoreau à Adorno, du CLODO (Comité pour la liquidation ou la destruction des ordinateurs; actif sur Paris et Toulouse entre 1980 et 1983) à Unabomber. Intitulée Hexen 2.0, cette taxinomie illustrée par des arcanes du tarot au crayonné très riche pointe également les soubassements idéologiques, cryptiques et souvent délirants, du complexe militaro-industriel.

Suzanne Treister, Hexen 2.0. Photo: D.R.

Avec Alphaloop, retrouvant les utopies des 60s qui ont irriguées la Silicon Valley, Adelin Schweitzer « ré-enchante » l’usage du téléphone via une intervention immersive et déambulatoire où les participants munis de casque VR sont invités à se laisser guider par un shaman moderne et à appréhender le réel transfiguré comme sous l’effet de psychotropes… Présentée sous forme d’une restitution vidéo organisée à la manière d’un totem, avec encens, pentagrammes vidéographiques et devices obsolètes en offrandes, cette installation nous donnait aussi un aperçu de la première performance de ce type réalisée quelques semaines plus tôt.

Adelin Schweitzer, Alphaloop. Photo: D.R.

Inversement, avec Sketches towards an Earth Computer, Martin Howse propose, au sens strict, une œuvre en prise sur le terrain. Son installation est en fait une sorte une carte-mère de quelque mètres carrés qui utilise à la fois des éléments métalliques, électroniques et surtout organiques (terreau, champignons). Les réactions chimiques liées à ces composants, ainsi que les variations de lumières et d’humidité, génèrent des feedbacks qui opèrent comme un véritable code informatique « chtonien », évoluant au fil de ces paramètres.

Martin Howse , Sketches towards an Earth Computer. Photo: D.R.

Luce Moreau est également attachée à la terre, à la nature. Cette plasticienne travaille en « jouant » avec des insectes (des chenilles processionnaires qui tournent sans fin sur un anneau de Moebius). Et des abeilles auxquelles elle soumet des formes pour modeler les rayons de leurs ruches; reprenant par exemple l’ossature du fameux Phalanstère de Charles Fourier, qui se voit ainsi reproduit comme une maquette en cire d’abeille. Une démarche à mettre en perspective avec d’autres artistes et collectifs qui mettent également les abeilles a contribution en détournant leur construction à des fins artistiques comme le BULB (Brussels Urban Bee Laboratory), Ann Kristine Aanonsen, Sabino Guiso, Ren Ri, Stanislaw Brach…

Luce Moreau, Les Palais. Photo: D.R.

À l’opposé, Émilien Leroy focalise sur les friches industrielles du Nord de la France. Collection et accumulation de vieilles boîtes à outils métalliques colorées et de masques de soudure aux allures africaines : ses installations à la Arman témoignent de la mémoire sociale et ouvrière de L’Usine des Dunes près de Dunkerque. On le retrouve plus tard lors de la soirée d’ouverture, sous le pseudo de Feromil, affublé d’un vieux masque à gaz qui lui donne des allures d’alien ou de liquidateur de Tchernobyl, pour un set « electro-magnétique » plein de larsens et de sonorités abrasives générées par un détecteur de métaux.

Feromil. Photo: D.R.

Glitch, electronic-noise et cyber-breakbeats étaient également au programme de cette soirée qui s’est ouverte sur Attack me please at 2.432 GHz, la symphonie audiovisuelle pour lignes de code, bugs et hautes fréquences de Benjamin Cadon (par ailleurs directeur artistique de Labomedia). À la suite, avec son Radioscape, Nicolas Montgermont a balayé les ondes radio de 3GHz to 30kHz. Chaque bande de fréquences étant visualisée et signalée selon leurs utilisations (Marine, Satellite, TV, FM, etc.). Il est à noter que ce voyage dans le spectre sonore a aussi été matérialisé sur disque vinyle. En conclusion, le trop rare duo Servovale (Gregory Pignot & Alia Daval) avait ressorti leurs machines pour une performance A/V aux contours géométriques et aux rythmiques cinglantes baignant dans une ambiance post-industrielle.

Laurent Diouf

Gamerz, jusqu’au 12 novembre, Aix-en-Provence
> www.festival-gamerz.com

Biennale Internationale des Arts Numériques

En cette rentrée, Nemo revient pour sa saison 2017-2018. Portée par Arcadi Île-de-France, cette Biennale Internationale des Arts Numériques est cette fois placée sous le signe du Hasard, de l’Accident et de la Sérendipité. Faisant suite à Prosopopée en 2015, cette thématique augure un regard, des émotions et des découvertes artistiques en résonnances avec notre monde fracturé et digitalisé; en attendant de poursuivre cette exploration, dans deux ans, sur un thème aux accents transhumanistes déjà annoncé : Feu le genre humain ?

Pour l’heure, la soirée d’ouverture aura lieu le 4 octobre au Trianon à Paris. À l’affiche : Ben Frost + MFO, Parquet, Walter Dean, Julien Desprez, Pascal Lièvre… Musiques électroniques et performances audiovisuelles donc, de même pour la soirée de clôture qui verra, le 24 mars 2018, Alva Noto — alias Carsten Nicolai, incontournable chef de file d’une certaine electronica radicale qu’il promeut sur son label Raster-Noton — et Anne-James Chaton (poète 2.0) réuni pour une création intitulée Alphabet, entre glitch music et intervention verbale; ainsi que les duos PurForm (Enigm(a)) et TRDLX (Orphism) à la Grande halle de La Villette.

Entre ces deux dates, durant 6 mois (!) sur Paris et sa périphérie, Nemo proposera de nombreux autres concerts et performances AV; en particulier ceux de Radian, David Rothenberg + Scanner, Forest Swords, Vatican Shadow, Aufgang, Max Cooper, Alex Augier (_nybble_), NSDOS (Chat’ing), Simon Fisher Turner (The Picture From Darkness, en hommage au cinéaste Derek Jarman), SNAP (Julien Desprez avec scénographie, mapping vidéo et lumières de Grégory Edelein & Jean-Pascal Retel), Martin Messier (Field), Uriel Barthélémi (Les Yeux du grand manteau de nuit), Antoine Schmitt (La Chance), CM von Hausswolff (Squared), Julien Ottavi, eRikM, Ensemble IRE aka Kasper Toeplitz + Franck Vigroux (Bestia), Dopplereffekt & AntiVJ (Entropy)…

Mais Nemo c’est aussi et surtout un Parcours Numérique dans différents lieux accueillant des propositions et installations qui représentent un panel impressionnant des différentes créations de la culture digitale actuelle — Werktank (Reality Check), Barthélémy Antoine-Loeff (Inlandsis), Jacques Perconte (La Source / Fonte), Manfred Mohr & Eric Vernhes (Beyond the lines), Pierre Jodlowski (Soleil Blanc), Albertine Meunier (Le Livre infini), Sybil Montet de Doria & Simon Kounovsky (Arcane Drift – CORE.PAN), David Guez & Bastien Didier (Lévitation), Thomas Bigot & Frédéric Villeneuve-Séguier (Audioneural network), Flavien Théry (Ici commencent les cieux), Ryoichi Kurokawa (Unfold), HeHe (Absynth), Caty Olive & Laurent Friquet (Light Show)…

Outre le fait de présenter des pièces et évènements singuliers, la Biennale agrège également sous sa bannière d’autres festivals — Rou(-x)teur à Mains d’Œuvres (lieu emblématique pour l’imagination artistique et citoyenne, actuellement menacé d’expulsion), A Night Of Real Recognition consacré au label Optical Sound, Bruits Blancs du Lieu Autre à Arcueil, La Science de l’Art du Collectif pour la culture en Essonne sur La Culture du risque,  —, et gravite aussi autour d’autres manifestations comme la Nuit Blanche ou Variation (MCD inside…) : le marché de l’art numérique doublé de l’expo L’Origine du monde (numérique).

L’exposition-titre, Les Faits du hasard, prendra place le 7 décembre au Cent Quatre autour des performances de Cod.Act (πTon), PLUG, Pascal Lièvre (Aérobics philosophiques), GK Collective (FRAVI/Agence de rencontres sans risque), Elizabeth Saint Jalmes & Cyril Leclerc (Pixel lent, ballet pour 176 escargots et 2 humains…), So Kanno & yang02 (Semi-senseless Drawing Machine)… Autre proposition importante de cette édition 2017-2018 de Nemo, des visites de l’Atelier de Nicolas Schöffer, pionnier de l’art cinétique et cybernétique. Sis dans la fameuse villa des Arts, l’endroit a échappé de peu à un désastre immobilier et offre un aperçu saisissant de l’univers et des œuvres interactives et multimédia avant l’heure de cet artiste qui reste méconnu du grand public.

En complément de cette grande fresque des arts numériques, quelques pistes de réflexion seront esquissées au travers de rencontres et débats, notamment sur la notion de Culture expérientielle, sur les apports du numérique à la création musicale, sur L’art au-delà du digital (conférence aimée par Dominique Moulon) ou bien encore L’Humain au défi du numérique… Cette liste est bien sûr non-exhaustive, ne reste plus qu’a faire des choix au sein de ce programme pléthorique.

Nemo, Biennale Internationale des Arts Numériques
> octobre 2017 / mars 2018, Paris – Île-de-France
> www.biennalenemo.fr

Non-Compliant Futures

Festival international d’art numérique, Sight + Sound revient pour une 9ème édition sous la bannière Non-Compliant Futures, titre de l’exposition principale de cet évènement à la fois défricheur et provocateur, qui initie les changements sociaux à travers l’art, la musique et l’esprit festif…

Installations, performances AV, ateliers, interventions et conférences : confiée au groupe de travail Disnovation.org (Nicolas Maigret & Maria Roszkowska), la programmation rassemble des artistes comme Aliens In Green, Moreshin Allahyari & Daniel Rourke, RYBN, Liam Young, Demolecurisation, Yann Leguay…

L’objectif de Non-Compliant Futures est de déconstruire les grands récits de l’innovation qui nous promettent un futur radieux reposant sur l’hyperconsommation, le techno-positivisme, le colonialisme numérique et le mythe d’une croissance infinie.

Parmi les œuvres proposées qui nous invite à porter un tel regard critique, on mentionnera l’inquiétant caddie de supermarché muni d’un bras robotisé (Robotic Trolley), la machine kabbalistique du collectif RYBN (Data Ghost 2), le service funéraire pour données numériques et gadgets obsolètes proposé par Audrey Samson (Chéri ne me quitte pas), les outils préhistoriques réalisés par Dardex à partir d’éléments de matériels électroniques recyclés (Refonte)…

À cela s’ajoute une série de conférences sur les notions de colonialisme numérique et d’appropriation émancipatrice (Digitalism Colonialism), sur les impacts globaux du capitalisme sur l’homme et l’animal (Post-Animal / Post-Machine), sur les stratégies, actions symboliques, et autres rituels du soin qui émergent à l’ère de l’anthropocène (Earthly Survival)…

Et deux ateliers. D’une part Rencontre 2030 : restes alimentaires et visions spéculatives, animée par Pamela Tudge. D’autre part, Morehshin Allahyari qui nous donnera un aperçu de l’Additivism; conjonction de « additive » et « activism », un mouvement qui critique le côté « radical » des nouvelles technologies en vogue dans les écoles, les fablabs ou lors d’ateliers au niveau social, écologique et planétaire.

Sight + Sound 2017, du 27 septembre au 1er octobre, Eastern Bloc et Never Apart, Montréal, Québec / Canada.
Infos: https://easternbloc.ca/fr/festival-sight-sound/

Audrey Samson, Goodnight. Photo: © Alexis Bellavance

 

Moreshin Allahyari, 3D Additivist. Photo: D.R.

 

RYBN, Data Ghost. Photo: © Kristof Vrancken

Incarnée par Sonic Protest, la formule la plus consistante d’un festival de musiques défricheuses modernes (entendez par là mêlant musiques noise, expérimentale, avant-garde, free-jazz, post-indus, post-techno, art sonore, etc..) a continué d’infuser dans nos oreilles à l’occasion d’une édition 2017 qui a mis la barre haute en termes de découvertes, de têtes d’affiche (in)attendues et de soirées plus judicieusement thématiques. Une équation qui fait des adeptes avec l’émergence dans la foulée de la première mouture du festival Frisson Acidulé d’Arrache-toi un Œil. La bande-son d’un printemps sonique parfait.

Festival itinérant – avec plusieurs dates en province – Sonic Protest 2017 a mis les bouchées doubles sur ses dates parisiennes, avec un florilège de propositions artistiques essaimant sur deux semaines de programmation. Si le cinéma (avec des films sur Nihilist Spasm Band ou Tony Conrad), l’art sonore (avec l’étrange performance à base d’objets hétéroclites de Pierre Berthet et Rie Nakajima, ou les installations plastiques musicales de Sarah Kenchington), voire même les performances théâtrales burlesques pour enfants (avec un étonnant Jean-Louis Costes) étaient de sortie, c’est tout de même la partie musicale qui restait le porte-voix le plus vociférant de la manifestation.

This Is Not This Heat @ Centquatre © Sonic Protest

Dans ce registre, Sonic protest impose sa patte, avec un mélange toujours aussi aiguisé d’artistes cultes plus ou moins (in)attendus et de soirées thématiques résonnant comme autant de niches impromptues. Dans le premier axe, le concert de This Is Not This Heat au Centquatre avait des allures de grand raout pour amateurs de free-rock seventies. Mais malgré de très bons moments (l’intensité foisonnante de « Testcard/Horizon Hold » et « Makeshift Swahili », les vibrations plus éthérées d’« Independence »), la nouvelle formation extensive mise sur pied par le duo de survivants du trio originel – le batteur Charles Hayward et le guitariste Charles Bullen – a trop joué la carte des arrangements et de la clarté pop, perdant ainsi en chemin la ligne originelle non-musicale et décousue : une manière de confirmer en tout cas que This Is Not Heat n’était en effet pas This Heat. Plus convaincant sur la durée, le concert de Nurse With Wound à l’église Saint-Merri, a bénéficié de surcroit d’un son optimum – pas toujours facile dans cette enceinte volumétrique difficile à sonoriser –, de superbes visuels projetés et de l’habile complémentarité unissant Peter Stapleton à son désormais très stable trio d’acolytes (Andrew Liles, Colin Potter et Matt Waldron, plus Quentin Rollet au saxo pour l’occasion).

Le résultat, une déferlante de collages post-ambient noyés dans une matrice free-jazz électronique et extatique, a été des plus brillants même si le final aurait mérité mieux que ce cut trop abrupt. Autres gros noms attendus, ceux de Rashad Becker et de Wolf Eyes. Nouvelle figure de l’ambient/electronica organique au sein du label Pan, le producteur allemand est resté fidèle aux Instants Chavirés à ses babillages électroniques très Bob Ostertag. Mais privé de ses effets spatialisés et acousmatiques, sa musique finissait par perdre un peu de sa chair. Toujours à Montreuil, mais du côté de la très belle salle de La Marbrerie, le trio américain emmené par le chanteur Nate Young a semblé cédé un peu à sa léthargie tellurique, trop replié sur son blues/noise erratique et torturé pour emballer un public pourtant conquis d’avance. Une alchimie plus recommandable sur disque –  le très bon Undertow récemment sorti sur leur nouveau label Lower Floor – que sur scène où on regrette parfois leur ancienne posture plus explosive.

Wolf Eyes @ La Marbrerie © Sonic Protest

Musiques brutes…et bancales !
Comme on peut l’attendre d’un festival défricheur, Sonic Protest 2017 a surtout réussi son coup du côté de ses plateaux annexes, plus tournés sur ces rencontres insolites dont Sonic protest a le secret. On a ainsi pu apprécier la rotation physique et électro-acoustique (23 minutes chacun) des musiciens expérimentaux estampillés par le label Art Kill Art (avec une mention spéciale aux performances de Yann Leguay, de Vincent Epplay et d’Arnaud Rivière, pour une conclusion sonique percussive !) à l’église Saint-Merri, les scénarios sonores iconoclastes réunissant au Générateur l’inclassable performer Ghédalia Tazartès et le plus technoïde Low Jack, ou, à la Marbrerie, les pulsations trance acoustiques à base de vielle à roue et de percussion de La Tène, et le free-noise jazzy post-Staer des Norvégiens de The Golden Oriola. Plus brutale, la prestation très réussie, mêlant hardcore et free-métal, des revenants américains de Flying Luttenbachers, emmenés par un Weasel Walter en grande forme derrière sa batterie, a tenu la dragée haute à celle non moins surprenante (quoique parfois un tantinet trop lyrique) des Indonésiens de Zoo, sorte de croisement entre MR Bungle, Ruins et un esprit gamelan trafiqué.

Outre ses élans de radicalité bien sentis, c’est pourtant la soirée dédiée aux pratiques musicales brutes (liant artistes et/ou publics en situation de handicap dans le cadre de deux journées de rencontres et de débats au Centre Barbara- Fleury Goutte D’Or) qui a réservé la meilleure surprise. Tout d’abord, par la performance touchante réunissant l’une des figures de l’art brut, André Robillard, au poète punk Alexis Le Forestier : une ligne post-punk, mélangeant comptines ubuesques et sonorités électriques très Bérurier Noir qui a déridé l’assistance. Ensuite et surtout, par le concert absolument magique des vétérans américains (ils existent depuis 1965 !) du Nihilist Spasm Band : une sorte de quintessence du psyché et du noise-rock originel ; un télescopage de Can, du Magic Band et de Mother of Invention, annonciateur de la no-wave et des collages d’un Peter Stapleton (Nurse With Wound) qui les a toujours vénérés. La liaison parfaite entre la musique brute … et bancale !

La Cabine @ Frisson Acidulé © Baptiste Le Quiniou

Frisson Acidulé fait son cirque électrique
Pas le temps de verser une larme pourtant, car le collectif de graphistes/rockers d’Arrache-Toi Un œil prenait immédiatement le relais pour la première édition de leur festival Frisson Acidulé, entre le FGO-Barbara et le très convivial Cirque Electrique de la Porte des Lilas. Trois jours d’irruption musicale bouillonnante où l’on a tout de même été un peu déçus par la première soirée – la plus métallique -, marquée par l’absence de Chaos Echoes, la prestation trop en surface de Monarch (moins de poses, plus de son SVP) et celle amusante, mais un peu téléphonée des Japonais de Birushanah, avec ces percussions métalliques venant relever un ersatz d’Acid Mother Temple. Heureusement, la journée du samedi a offert quelques très bons moments comme la performance kraut-free-jazz du trio Futuroscope ou le heavy psyché puissant des illuminés Terminal Cheesecake. Mention spéciale également à la plus calme journée de clôture du dimanche, où l’on a pu s’extasier sur les ciné-concerts addictifs de Jessica 93 (sur les deux chapitres finaux du Häxan de Benjamin Christensen), priser le dark/folk chamanique d’Ashotoreth (sur La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky), goûter aux bandes-son ambient de La Cabine sur fond de fêtes de monstres des traditions montagnardes européennes, ou se brûler les oreilles sur les arrangements telluriques d’Orval Carlos Sibelius (porté par les images volcaniques d’Haroun Tzaieff). À Paris, le  printemps sera sonique ou ne sera pas !

Laurent Catala

électronique 2017

L’édition 2017 de Présences électronique a débuté sur une « note » assez triste, avec un morceau de Mika Vainio, disparu prématurement quelques heures plus tôt. Il avait partagé l’affiche du festival en 2006, pour son célèbre projet Pan Sonic formé avec son complice Ilpo Väisänen, puis il était revenu en solo en 2009, programmé avec Philip Jeck, Erik-M & FM Einheit, KK.Null, David Toop, Pita…

Photo: © INA / Aude Paget.

Au croisement des musiques expérimentales et d’expérimentation, le festival Présences électronique porté par l’INA/GRM (Groupe de Recherches Musicales) rassemble aussi bien des artistes de la scène électroacoustique, adeptes d’une musique improvisée ou composée, écrite, « savante », que des musiciens issus de l’electronica « radicale » et post-industrielle, qui s’est affirmée en marge du circuit techno. Cette 13ème édition qui se déroulait une fois encore au Cent-Quatre en attendant de réintégrer les studios de Maison de la Radio ne dérogeait pas à cette règle en proposant à un public curieux et exigeant un panel d’artistes souvent méconnus.

C’est avec une courte pièce d’Ivo Malec joué par Daniel Teruggi, directeur du GRM, que le festival a donc vraiment commencé. Moins abrasif que Mika Vainio, ce premier mouvement de Triola ou Symphonie pour moi même (1978) est néanmoins chargé de bourdonnements, de uhulements synthétiques et de bruits parasites. Une pallette de sons assez large, restituée avec précision par l’acousmonium, le fameux dispositif sonore composé de nombreux haut-parleux qui permettent une écoute spatialisée. Plus lumineux, plus « symphonique » par son jeu de nappes, le morceau de Kara-Lis Coverdale contrastait ensuite avec cette effervescence bruitiste. La compositrice canadienne a sans aucun doute livré le concert le plus « accessible » de la soirée. On devrait la retrouver au programme du festival Mutek en août prochain.

Jana Winderen. Photo: © INA / Didier Allard.

Avec la performance de Thomas Ankersmit, retour à des sonorités bourdonnantes qui alternent basses et hautes fréquentes, laissant apparaître des moments d’apaisements entre deux stridences. La soirée se termine sur le grand bric-à-brac sonore dispensé par Cannibal, formation de circonstances réunissant le plasticien Cameron Jamie, Cary Loren (Destroy All Monster) et Denis Tyfus. Parfois brouillonne, leur prestation alignait les télescopages de sources, des boucles au lancement qui semblait aléatoire, des samples parfois improbables (Sorry angel…), des gargarismes et une rythmique en retrait qui a fini par émerger après de longues digressions guitaristiques…

Le lendemain, on retrouve cette sensation de cacophonie organisée avec L’ocelle Mare, le projet solo de Thomas Bonvalet (par ailleurs guitariste du duo post-rock expérimental Cheval de Frise). Objets, instruments acoustiques, corps, machines : Thomas Bonvalet livre une œuvre composite qui emprunte au « bruit-collage » et à la performance. Lui succèdant, Jana Winderen nous immergent avec ses field-recordings dans un univers sonore naturaliste et aquatique (cris d’oiseaux, ressac de l’océan, souffle du vent, etc). À la manière de Chris Watson qu’elle côtoie sur le label Touch, ses captations dessinent un paysage tout en étant offrant un dépaysement… Un moment de grâce avant de replonger dans des méandres plus bruitistes.

François Bayle. Photo: © INA / Didier Allard.

En début de soirée, François Bayle, ancien directeur du GRM, prend les commandes de l’acousmonium qu’il a conçu dans les années 70s comme un « orchestre de haut-parleurs » destiné à répondre aux exigences acoustique de la musique concrète, perfectionné au fil des années et de l’évolution des techniques de son. Comme on a pu s’en rendre compte lors de l’interprétation de La Fin du bruit, courte pièce de son répertoire où se répercute des sons granuleux ou grésillants et des voix transformées dont on ne (re)connaît pas l’origine, l’acousmonium permet d’en déployer toute la richesse sonore et de renforcer ainsi le plaisir de l’écoute.

Stephan Mathieu — dont le travail souvent collaboratif est inscrit depuis longtemps sur des plateformes comme Ritornell, 12k, Spekk, Line et désormais Schwebung, son propre label — avait choisi d’interpréter December 52, une pièce d’Earle Brown qui se caractérise notamment par sa partition graphique et une lattitude assez large dans son interprétation. Adepte de l’electronic-music plutôt glitch et expérimentale, il a délivré un set très ambient, mais avec un certain relief, doté d’un son ample avec du corps, très unitaire et non pas « fragmenté » comme la plupart des autres pièces proposées.


Stephan Matthieu. Photo: © INA / Didier Allard.

Changement d’ambiance avec l’arrivée de Hild Sofie Tafjord, musicienne accomplie qui évolue aussi au sein de nombreuses formations à géométrie variable (dont Zeitkrazer et le Trondheim Jazz Orchestra). Drôle d’impression en la voyant débarquer sur scène avec son cor d’harmonie (plus gros et complexe qu’un cor de chasse). Au début, on entend qu’un souffle « discontinu », presque asthmatique. Dans un second temps quelques sons cuivrés finissent par sortir de l’instrument rutilant et sont aussitôt retravaillés, « bidouillés », ce qui rend encore plus difficile à suivre sa proposition.

Passage de témoin ensuite avec le duo Demdike Stare qui concluait cette deuxième soirée avec un mix en hommage au GRM baptisé Cosmogony, initiallement prévu l’année dernière. Grand consommateur de vynils, Sean Canty et Miles Whittaker ont été jusqu’à presser quelques dubplates après avoir farfouillé dans les archives du GRM. Des galettes qu’ils combineront à d’autres raretés vyniliques piochés dans leur trésor personnel. Pour autant, les loops (parfois un peu trop flagrants) mêlés à quelques effets disloqués ne nous ont pas « ensorcellés », on attendait autre chose. Si la composante dark-drone était bien présente, il y manquait, à notre sens, la dimension « dub/breakbeat » qui ont fait leur réputation.

Leafcutter John. Photo: © INA / Aude Paget.

Dernier round le dimanche 16 avril, qui s’est ouvert avec Meryll Ampe. Si l’on parle souvent de « sculpture sonore » en commettant un abus de langage, force est de constater que ce n’est pas le cas avec cette artiste qui pratique à la fois la musique et la sculpture. Pour le festival, elle a conçu une pièce comme un jeu de construction, à partir d’enregistrements et traitements qui interagissent et délimitent un espace et une plastique sonore inédite. Leafcutter John est aussi, à sa manière, un sculpteur de sons. Mais c’est la lumière qui lui sert d’outil pour commander et moduler les éléments musicaux. Multipliant les sources lumineuses, de lampes-gadgets à une mini-boule à facette qu’il agite au-dessus d’une interface comme un pendule, il se révèle le plus inventif de cette programmation. Petite pause personnelle pour conjurer, le temps d’une manifestation, l’ordre noir qui nous menace, et nous revenons au Cent-Quatre pour la dernière session du festival.

Se saissant à son tour de l’acousmonium, François Bonnet (directeur artistique du festival et du GRM) nous fait découvrir un extrait de l’œuvre de James Tenney (1934-2006), pionnier de la musique électronique avec Max Mathews, qui prend une tonalité particulière sous l’effet de spatialisation. Ensuite Andrew Pekler, adepte du found-sounds et qui a renouvellé l’expérience du piano préparé à l’ère du téléphone portable, proposait une Description of an island, comme un reportage audio imaginaire. Cet aspect narratif était poussé à l’extrême avec Akira Rabelais qui, sur une musique ténue, nous contait l’histoire lancinante de La femme sans tête

Minibus Pimps. Photo: © INA / Jean-Baptiste Garcia

Le dernier set de cette édition revenait au combo Minibus Pimps, soit Helge Sten (alias Deathprod et Supersilent) et John Paul Jones (le bassiste de Led Zepellin qui a aussi produit, arrangé et joué avec La Fura Del Baus, Peter Gabriel, Brian Eno, Diamanda Galas, Sonic Youth…!). Comme on pouvait le pressentir, le duo nous a entraînés — et parfois perdu — dans un long corridor de « guitare noise » chargé d’effets, hésitant entre drone/indus et libre improvisation selon les aléas de leur performance. Rendez-vous l’année prochaine pour d’autres explorations sonores.

Laurent Diouf

> https://inagrm.com/fr

festival des arts multimédia

La douzième édition de Gamerz — festival des arts multimédia basé à Aix-en-Provence et porté par l’association M2F / Lab Gamerz — vient de se refermer le dimanche 13 novembre après dix jours d’expositions, performances, ateliers et rencontres. Cette année, cette manifestation se distribuait essentiellement autour de deux parcours d’expositions : Univers Simulés (à la Fondation Vasarely avec Ewen Chardronnet en commissaire invité) et D. Générer (dans différents lieux, sous la direction artistique de Quentin Destieu). Pour l’essentiel symptomatique des utopies et dystopies liées aux nouvelles technologies émergentes depuis la seconde moitié du XXe siècle (cybernétique, conquête spatiale, robotique, etc.), les pièces, installations et projets proposés développaient des esthétiques, mondes et chimères questionnant notre société désormais gouvernée par des algorithmes et en proie à l’obsolescence programmée. Retour d’horizon…

Symbole s’il en est de cette gouvernance mathématique, les robots-traders qui pilotent à vitesse folle les marchés boursiers sont une source d’inspiration pour le collectif RYBN qui ne cesse de dénoncer l’absurdité des ressorts de cette économie-monde au travers d’ADMXI. Un « vrai-faux » logiciel de trading dont les ressorts algorithmiques reposent sur des prémisses ésotériques (l’harmonie des sphères, un thème astral ou des figures de la géomancie, par exemple…). Mais une fois introduits dans le circuit spéculatif de la finance, ces automates informatiques fonctionnent comme leurs homologues qui obéissent à l’orthodoxie capitaliste !

Contrôler les flux, être informé en temps réel de tous les paramètres socio-économiques et décider ainsi en toute majesté : poussé à son comble, ce regard panoptique doublé d’une volonté de puissance ne peut qu’engendrer un monstre informatique. Même avec les meilleures intentions du monde. Un tel projet, fou, fut pourtant mis sur pied par Stafford Beer durant le gouvernement Allende au Chili. Nom de code de ce Big Brother chilien : Cybersyn ou le Projet Synco… Nous sommes au début des années 70s. L’informatique est plus que rudimentaire, surtout vue l’objectif. Il faut une armée d’opératrices pour traiter les télex. Et la salle de contrôle ressemble furieusement au poste de pilotage de l’Enterprise du capitaine Kirk…

Cybersyn ne sera pratiquement pas opérationnel, sauf lors d’une grève des camionneurs. La dictature de Pinochet mettra fin de manière sanglante à ce système. Regina de Miguel a exhumé des archives de ce projet méconnu pour en faire un montage vidéo sur une bande-son signée Lucrecia Dalt (Una historia nunca contada desde abajo). Sur ce principe, elle propose aussi un autre film en forme de narration spéculative autour de l’écologie et de la recherche scientifique, alternants paysages gelés, archives photo de travaux scientifiques et rotations d’antennes radar sur une bande-son post-indus conçue par Jonathan Saldanha (Nouvelle Science Vague Fiction).

Regina de Miguel reviendra sur sa démarche lors d’une conférence-débat où se produisait également Konrad Becker en marge de Painted By Numbers, son installation réalisée conjointement avec Felix Stalder. Soit une série d’extraits d’interviews de scientifiques et activistes dont les paroles s’entrechoquent comme une partie de ping-pong par écrans interposés. Sur l’estrade et en solo, Konrad Becker s’est lancé dans un long monologue, sur un débit saccadé et une succession d’images presque samplées, pour nous faire partager les analyses politico-culturelles à propos des dangereuses limites de la culture digitale. Un écho « live & direct » des propos que ce vétéran de indus-noise-experimental propage au sein de son World-Information Institute depuis des lustres.

La conquête spatiale était également au programme avec les « agents non-humains » Špela Petrič, Miha Turšič, Dunja Zupančič et Dragan Živadin qui ont développé des installations assez minimalistes autour de Voyager; matérialisant le trajet, la position, etc. de la sonde par des lumières, sons et aplats de couleurs. À ce jour, c’est l’engin d’origine terrestre le plus éloigné de notre système solaire, photographié une dernière fois il y a près de 15 ans à longue distance. Actuellement, Voyager 1 se trouve à 136,63 UA (i.e. 20,43 milliards de km). Sa sœur jumelle Voyager 2 à « seulement » 112,64 UA sur une ellipse différente. Toutes deux emportent un disque d’or avec des messages sonores (grâce à Carl Sagan qui avait déjà apposé la fameuse plaque avec le salut terrien à destination d’extraterrestre sur Pioneer 10 et 11 parties 5 ans avant Voyager)…

Changement de registre avec Walking Cube, la nouvelle structure évolutive de 1024 architecture (aka François Wunschel & Pier Schneider + Jason Cook pour ce projet spécifique). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un cube tubulaire dont l’agencement se module grâce à un dispositif pneumatique. Agité de spasmes mécaniques, le cube semble ainsi danser de manière chaotique, comme un robot maladroit.

Autre structure métallique évoquant cette fois les robots-insectes tueurs du film Runaway, L’Évadé du futur : le Chimères Orchestra conçu par le collectif Reso-nance. Accrochées à la charpente métallique de la salle principale de Seconde Nature, ces espèces de fourmis géantes frappent le support sur lequel elles sont suspendues, créant ainsi une sorte de symphonie percussive assez étrange. Au sol tournoyaient les pâles d’une sorte de gros ventilateur. Ce Rotor est l’œuvre — pas très convaincante, faute de lisibité de l’intention (i.e. la sonification de données anémométrique) — de Lucien Gaudion.

Nous avons eu également l’impression d’être devant des insectes, devant une fourmilière, face à Refunct Modular : en fait, il s’agit de vieux appareils dont les mécanismes ont été désossés et mis à nu par Benjamin Gaulon. Tout en cliquetis et clignotements, cet alignement de cartes-mères, transistors, diodes, petits haut-parleurs, se donne à voir également comme une « fresque multimédia ». Un principe d’alignement reprit pour KindleGlitched : une série de liseuses Kindle défectueuses que Benjamin Gaulon a récupéré et qui n’affichent désormais plus que des images « dé-générées », accidentées (glitch)…

Le détournement était aussi à l’ordre du jour avec Alexis Malbert alias Tapetronic qui customise des K7, les transformant en autant de petits gadgets ludiques avec lesquels on peut scratcher. Et plus si affinités (cf. la Vibro cassex…). Une pratique de détournement simple, low-tech, qu’il était possible de partager et d’expérimenter lors d’un atelier dédié.

Toujours sur le plan du détournement, d’image et de communication cette fois, France Cadet « exhibait » son gynoïde virtuel… En d’autres termes, un androïde féminin en 3D se jouant de la publicité d’Aubade : HoloLeçon n°32. Au passage, on regrettera que cette modélisation ne bénéficie pas d’une plus grande exposition (au sens strict), que ces animations soient présentées dans un plus grand format. Dans le même espace, Paul Destieu proposait également une animation 3D où s’agitaient des baguettes suspendues, symbolisant les Mouvements pour batterie, d’après Himéra. Avatar des « concrétions » qu’il réalise par ailleurs. Mais pour des raisons presque indépendantes de notre volonté, on ne peut s’empêcher de penser à une séquence de Fantasia (Disney, 1940…).

Le projet le plus farfelu et inquiétant à la fois revenant à Olivier Morvan qui, au travers d’une accumulation d’objets, de sons, de musique et d’un film, nous transporte dans La maison tentaculaire de Sarah Winchester… L’histoire est vraie et cela rend encore plus saisissant cette proposition. Après la disparition d’êtres chers, l’héritière des célèbres marchands de mort (la fameuse carabine) verse dans le spiritisme, pratique en vogue à la fin du XIXe siècle, et consulte un médium qui, nous dit la légende, lui conseille de faire quelque chose pour toutes les âmes en peine qui ont été tuées par… une Winchester ! Cela fait du monde…

Pour ce faire, elle entreprend donc la construction d’une maison à San José, en Californie. Les travaux débutent en 1884. Ils ne s’arrêteront qu’en 1922, au décès de sa propriétaire. Entre-temps, pendant 38 ans donc, guidée par des esprits pas toujours bienveillants, Sarah multiplia les plans, les innovations high-tech pour l’époque (ascenseur, chauffage central, toilettes, etc.), les pièces (au total, 160 dont 40 chambres !), les bizarreries architecturales (escalier menant au plafond, placards sans fonds, fenêtres ouvertes sur le sol, etc.) et bien sûr les références au nombre 13…

Laurent Diouf

> http://www.festival-gamerz.com