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Biennale des Imaginaires Numériques

Report, annulation, dématérialisation… Pas facile de maintenir la programmation d’un événement compte tenu des incertitudes et contraintes de la crise sanitaire actuelle. Et pourtant, contre vents et marées diront certains, Chroniques, la Biennale des Imaginaires Numériques, ouvre bel et bien ses portes le 15 décembre à Aix et Marseille, jour du déconfinement annoncé. Petit survol des expositions proposées.

Portée par Seconde Nature et Zinc, Chroniques devait initialement se tenir mi-novembre. Ironie de l’histoire, alors que les circonstances actuelles renforcent le sentiment de finitude (épidémie, climat) et d’effondrement (de l’économie de marché, de la démocratie représentative, etc.), la thématique de cette édition 2020 s’articule autour de la notion d’Éternité…  Pour l’essentiel, la Biennale des Imaginaires Numériques est axée autour d’expositions, mais la programmation compte aussi quelques événements en ligne : rencontres professionnelles en partenariat avec l’Institut français, masterclasse avec Joanie Lemercier et Juliette Bibasse.

Parmi les expositions, on citera Ghost In The Machine, qui réuni des œuvres évoquant les échos de la mort (spiritisme, etc.) au travers des techniques de communication. Ainsi, en s’intéressant aux ondes électromagnétiques, Véronique Béland fait aussi revivre le télégraphe comme porte pour communiquer avec l’au-delà avec son installation générative, Haunted Telegraph. Dans un autre genre, Thierry Fournier propose Grave, une installation vidéo qui dévoile une pierre tombale dont les inscriptions se réécrivent ad vitam æternam

Si les fantômes sont dans la machine, il n’y a pas de raison que Dieu n’y soit pas aussi un peu pour quelque chose. Une deuxième expo en forme de « spin off », intitulée God From The Machine, propose quatre œuvres narratives, des films VR ou en réalité augmentée construite sur une hybridation des conventions cinématographiques et des mécanismes du jeu vidéo. Quatre créations signées Charles Ayats, Jan Kounen & Sabrina Calvo (7 Lives), Huang Wei-Hsuan (Modernological Urbanscape), Alain Damasio, Charles Ayats, Franck Weber & Frédéric Deslias (MOA), Singing Chen (Afterimage For Tomorrow).

Ensemble, ils racontent une odyssée contemporaine entre monde réel et virtuel, entre monde des vivants et des morts, entre monde présent et futur où nos souvenirs peuvent être téléchargés, ou encore dans une ville en 2046 sous la loi d’une surveillance et d’un marketing sans limites. Entre happening politique et projet transdisciplinaire, Post Growth du collectif Disnovation.org (feat. Baruch Gottlieb, Clémence Seurat, Julien Maudet & Pauline Briand) met l’accent sur l’impasse dans laquelle est coincée notre société de consommation et invite à explorer des prototypes de jeux stratégiques pour se décoloniser des doctrines de la croissance économique, à découvrir des voi-x-es alternatives, et à appréhender les conséquences radicales d’un modèle économique reconnecté avec les sources d’énergie élémentaires…

La thématique centrale de cette édition est répartie sur deux expositions : Avons-nous le temps pour l’éternité ? et Que voulons-nous faire pousser sur les ruines ? Un questionnement mis en forme au travers de nombreuses installations. Notamment celles d’Antoine Schmitt (Prévisible – Hétérotopies #2), Felix Luque Sanchez (Perpétuité I), Rocio Berenguer (Lithosys) et Eva Medin (Le Monde après la pluie) co-produites par Chroniques dans le cadre de cette biennale. Ces créations explorent nos réactions face à la bascule technologique et climatique que nous éprouvons et les spéculations sur « le monde d’après » : Comment allons-nous coexister entre vivants et non vivants ?  Comment allons-nous pouvoir vivre et nous adapter face à ces mutations ?

En parallèle, quelques expositions solos et autres monographies sont consacrées à Félicie d’Estienne d’Orves, Laurent Pernot et Jeanne Susplugas. Des événements associés où figurent Jacques Perconte et A.I.L.O. (Géométrie Spatiale) viennent également compléter cette programmation qui trouvera son acmé lors d’un week-end de clôture (du 14 au 17 janvier 2021) avec des performances (Coexistence de Rocio Berenguer, Krasis d’Alexandra Radulescu & Annabelle Playe), projections (Cycle de Nohlab) et installations (ÜBM Junior de Michaël Cros).

Chroniques, Biennale des Imaginaires Numériques
Aix-en-Provence et Marseille, jusqu’au 17 janvier, 20 février et 7 mars (selon les expositions)
Infos : https://chroniques.org/

l’art du ressenti

Covid oblige, ISEA2020, initialement prévu en mai à Montréal dans le cadre du Printemps Numérique, se tiendra finalement du 13 au 18 octobre sur le réseau. Pour l’occasion, le 26ème Symposium International sur l’Art Électronique se réinvente autour d’une thématique singulière : Why Sentience?

Loin d’être une contrainte, cette édition en ligne d’ISEA2020 permet au contraire de multiplier intervenants et participants, de réaffirmer le caractère international de cette structure (anciennement Inter-Society for the Electronic Arts), de tisser des interactions et discussions avec un public encore plus large. Rappelons que cette organisation à but non lucratif fondée aux Pays-Bas en 1990 a pour vocation de favoriser le dialogue art / science. Cet événement est une vitrine des productions créatives appliquant les nouvelles technologies dans l’art électronique, l’interactivité et les médias numériques. Basée à l’Université de Brighton en Angleterre, ISEA s’était déjà déroulée à Montréal en 1995. Une édition a eu lieu à Paris en 2000. D’autres à Singapour, Sydney, Dubaï, Hong Kong, Durban…

Photo © Jeremy Segal

L’année dernière à Gwangju, en Corée du Sud, le thème choisi était celui de la lumière éternelle (Lux Æterna). Cette année, les créations, débats et propositions tourneront autour du mot composite « Sentience ». Ce terme est une contraction de ressentir-sentir-créer du sens. Concept oublié des philosophes des Lumières et d’une partie des philosophies orientales, ce mot désigne aujourd’hui tout ce qui se rapporte au ressenti du vécu, aux épreuves d’une expérience subjective. On perçoit tout ce que cela implique quant aux spéculations sur la conscience animale, par exemple… Dans le cadre d’ISEA2020, l’accent est mis sur sept axes.

Maria Molokova, Optical Hearing 2019. Photo © Ksenia Fedorova

De fait, le premier questionnement sera justement consacré à l’animalité. Le deuxième champ de questions concernera le monde écosophique, c’est-à-dire l’écologie au sens large (climatique, mentale, etc.). À l’aube de l’intelligence artificielle et de la robotique généralisée, le troisième s’intéressera au monde des machines. Le quatrième répondra à un positionnement militant en prise avec l’actualité brûlante sur les notions de « race », de « genre », de « normes »… Le cinquième questionnera la matière ; celle des corps comme celle des circuits imprimés. Le sixième fera place à la critique techno-politique (surveillance, racisme, militarisation, contrôle, inégalités, néolibéralisme…). Le dernier axe engagera une réflexion prospective planétaire autour des défis sociaux (local/global, flux migratoires, etc.).

Photo © Patricia Olynyk

On le devine à l’énoncé de ce programme, la résurgence du concept de sentience en ce début du 21e siècle est pertinente pour appréhender la période charnière qui est la nôtre de manière pluridisciplinaire ; c’est-à-dire dans l’art et le design récents, les études médiatiques, les études scientifiques et technologiques, la philosophie, l’anthropologie, l’histoire des sciences et le monde des sciences naturelles – notamment la biologie, les neurosciences et l’informatique. Concrètement, cette question centrale du ressenti au-delà, avec et autour du corps humain se retrouve amplifiée par la pandémie, comme le souligne les organisateurs d’ISEA2020. Et les propositions artistiques et technologiques présentées dans cet événement, si elles ne permettent pas toutes de répondre concrètement et immédiatement aux défis qui sont désormais les nôtres, ouvrent des pistes et permettent d’entrevoir l’éventuel monde d’après…

Photo © Jonathan Parsons

Parmi les débats annoncés, on notera des discussions axées autour de la réévalutation du travail des femmes au travers d’instruments de musique fabriqués avec des objets domestiques sous la direction de Douglas Brock, sur la prise en compte des objectifs, désirs et perceptions visuelles inter-espèces et non-humaines par Carlos Castellanos, Elizabeth Demaray, Ken Rinaldo et Amy Youngs, sur les notions de création, comportement et d’imagination dans le processus d’apprentissage automatique (machine learning) par Stephen Kelly, Sofian Audry, Ben Bogart, Stephanie Dinkins et Suzanne Kite, sur la Terre, le ciel et l’espace extra-atmosphérique par Kathy High, Kira O’Reilly et Marie-Pier Boucher…

Photo © Jonathan Parsons

Concernant les artistes, signalons la télé-présence de Larbitssisters, David Garneau, Suzanne Kite, Marco Barotti, Quentin Vercetty, Scott Benesiinaabandan… Au total, en plus de nombreuses conférences, ateliers et présentations de projets, ce sont pas moins de 80 œuvres et performances conçues par 105 artistes locaux et internationaux qui seront accessibles en ligne, à la fois sur la plateforme d’ISEA2020 et un site dédié pour chaque proposition, moyennant un forfait sous forme de passe qui donne aussi un accès complet à MTL, la Semaine Numérique de Montréal.

Laurent Diouf

ISEA2020, conférences, expositions, ateliers, performances, présentations
26ème Symposium International sur l’Art Électronique,
édition en ligne, du 13 au 18 octobre
> https://isea2020.isea-international.org/fr/

Recto VRso

Comme son nom l’indique, Laval Virtual est un festival basé en Mayenne, à Laval, qui est dédié à la réalité virtuelle et aux techniques immersives. C’est surtout, en cette année 2020 marquée par la pandémie du coronavirus Covid-19, un des rares festivals a être maintenu… virtuellement ! Signe des temps, le fameux Burning Man se déroulera aussi cette année dans les replis des multivers… Un mode opératoire qui s’impose, après coup, avec évidence. Si d’autres événements on choisi d’assurer une édition réduite sur les réseaux sociaux, comme Le Printemps de Bourges par exemple, Laval Virtual va au-delà en proposant une version complètement dématérialisée de sa programmation du 22 au 24 avril. Seul le parcours artistique qui était prévu dans différents lieux emblématiques de la ville a été annulé.

Pour faire vivre — et surtout pour vivre — cette manifestation à distance, les organisateurs ont créé une plateforme qui évoque Les Sims et les mondes désormais perdus de Second Life. Le protocole d’accès est simple. Sur inscription gratuite, les participants comme les festivaliers sont invités à télécharger une application qui permet de créer un avatar et ensuite de rejoindre, participer et réagir aux différentes propositions du festival ; que ce soit les conférences, la soirée de remise des Awards ou les rendez-vous d’affaires. Sans oublier les compétitions entre start-ups rassemblées sous l’intitulé ReVolution (la notion de compétition est-elle vraiment compatible avec l’idée de révolution, c’est aune autre question…). Cette saine émulation est divisée en trois catégories : #Startups (pour les start-ups technologiques), #Experiences (pour les studios de production qui ont créé un contenu cross-technologie) et #Research (pour les projets de recherche universitaire ou privée).

Concernant les conférenciers (chercheurs, créateurs, entrepreneurs, etc.), on note en particulier la présence de Suzanne Beer, Professeure de philosophie et enseignante en Arts Numériques à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée, qui vient juste de publier un essai intitulé Musées Virtuels et Réalités Muséales (L’Harmattan, mars 2020). La remise des awards qui distinguent des projets en réalité virtuelle ou augmentée, axés sur des problématiques industrielles, commerciales ou de formation, se tiendra également dans les mêmes conditions.

Sigrid Coggings, Serial portrait VR. Photo: D.R.

L’exposition Corps réel – Corps virtuel qui rassemble une quinzaine d’œuvres sera visible dans le labyrinthe d’une galerie tridimensionnelle. Sa version physique, IRL, est reportée à l’année prochaine. Et finalement ces circonstances donnent corps, si l’on ose dire, à la déclaration d’intention et aux interrogations portées par les artistes : Les paradoxes et les explorations propres au virtuel… Les disparitions imaginées du corps… La perception et les illusions multisensorielles… La place du corps au sein de la réalité virtuelle ou mixte ? Quelles hybridations possibles entre le corps réel et le corps virtuel ?

Mélodie Mousset & Eduardo Fouilloux, Jellyfish always cared. Photo: D.R.

Parmi les artistes de cette édition singulière, on mentionnera Isobel Knowles & Van Sowerwine et leur film à 360 degrés en stop-motion sur les tribulations d’un chauffeur de taxi émigré en Australie (Passenger), la compagnie K.Dance qui continue d’expérimenter de nouvelles pistes chorégraphiques (RCO remixed), Sigrid Coggings et ses portraits « modern style » (Serial portrait VR), Coco team et son univers aquatique (Sharky Sharky), Neon Minuit et sa constellation de points qui dessinent un monde en construction/déconstruction permanente (Heterotopia), Mélodie Mousset & Eduardo Fouilloux qui nous plongent dans les entrailles de l’inconscient en suivant les ondulations hypnotiques de méduses aux couleurs chatoyantes (Jellyfish always cared)…

Laurent Diouf

Laval Virtual, sur inscription gratuite, du 22 au 24 avril 2020
> https://www.laval-virtual.com/fr/accueil/
> https://rectovrso.laval-virtual.com/edition-virtuelle-2020/

Cosmogonie

Cette 8ème édition du festival Mirage dédié à l’art, à l’innovation et aux cultures numériques, est placée sous le signe de la Cosmogonie. Derrière ce terme, que l’on raccorde plus volontiers à la conception de l’univers des civilisations disparues, se cache une programmation qui fait la part belle à l’imaginaire spatial et à notre futur proche au travers d’un parcours d’exposition, des rencontres et des performances.

Flavien Théry, Jean-Pierre contemplant le trou noir. Photo: D.R.

En phase avec cette thématique, parmi les artistes invités cette année, on retrouve Flavien Théry qui nous propose d’écouter les étoiles au travers de son installation Messenger, de faire une exploration sonore de la surface martienne à défaut de pouvoir y aller physiquement (Sound reveries of trips we won’t go), mais aussi de « voir » un trou noir sous la forme d’une tapisserie stéréoscopique en écho à la première représentation informatique de cet objet céleste énigmatique réalisé par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet (Jean-Pierre contemplant le trou noir).

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand sont aussi fascinés par les trous noirs. Avec Orbiheron, ils recréent un vortex en jouant sur des effets d’optiques dans un bassin rempli d’eau, matérialisant ainsi les aberrations lumineuses et physiques observables aux abords de ces monstres cosmiques. Le duo d’artistes présente également Hydrogeny, une installation qui déploie les volutes des irisations colorées de l’hydrogène grâce à un système d’électrolyse.

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand, Orbiheron. Photo: D.R.

Avec Soleil Noir, Barthélemy Antoine-Loeff rend visibles les éruptions solaires dont les panaches débordent la circonférence de notre astre, masqué par un cache. Mais c’est aussi une « allégorie énergétique » qui pointe la démesure des ressources dont nous avons désormais besoin pour alimenter nos serveurs et autres data centers. Le collectif Berlinois Quadrature est également à l’écoute de l’espace avec une mécanique disposée en arc de cercle qui retrace, en temps réel via une antenne, les vibrations des confins de l’univers (Noise Signal Silence)

La réalité virtuelle est également au programme avec des projections comme Nachtspiel de Robert Müller & Christophe Merkle, Fluido.obj de Joaquina Salgado, Quantum de Kylan Luginbühl, et Cosmorider de Pierre-Emmanuel Le Goff : cinq petites minutes intenses qui permettent de vivre l’expérience de l’aventure spatiale de Thomas Pesquet. À noter un bel aperçu de nombreuses œuvres réalisées par des étudiants issus d’écoles de design. En parallèle, des « ateliers vidéo & cratères d’impact », une visite commentée et le spectacle interactif, entre théâtre et jeu vidéo, librement inspiré du roman Loterie solaire de Philip K. Dick, de Mathilde Gentil (GOSH Cie), témoignent d’une ouverture en direction d’un public familial.

Laboratoire de rencontres, le Mirage Creative+ regroupe une série de conférences et tables rondes. Ainsi, le rendez-vous de l’Institut Français met son expertise au service des artistes et acteurs du numérique qui souhaitent lancer ou renforcer leurs présences et perspectives à l’étranger en les aidant à mieux comprendre les étapes d’un développement d’activité à l’échelle internationale. Des discussions réuniront notamment Tom Higham (directeur créatif de Mediale), Kristina Mairere (productrice des expositions Ars Electronica), Cléo Sallis-Parchet (coordinatrice InterAccess) et Luis Fernandez (curateur Gnration) qui partageront leurs expériences et exposeront leurs projets. En correspondance avec la thématique de cette édition, un débat art / science intitulé Quitter la planète bleue ?, modéré par Maxence Grugier, fera intervenir Annick Bureaud (Léonardo OLATS), Barthélemey Antoine-Loeff, Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand et Simon Meyer (Planétarium) sur l’espace infini de l’horizon spatial en art.

À ne pas manquer deux performances audio-visuelles le vendredi 13 (ta ta tam…). D’une part Sédiments de Pierce Warnecke & Clément Édouard. Une proposition qui combine l’image, le son — dense et vibratile — et le minéral. Rarement utilisées dans ce genre de dispositifs, des pierres sont soumises à des impulsions lumineuses et aux oscillations de hauts parleurs tandis que leurs images fragmentées nous arrivent par flashs. D’autre part, MA de Maxime Houot (Collectif Coin) qui orchestre un véritable ballet de projecteurs. Leurs rayons lumineux dessinant des entrecroisements qui se détachent dans le noir et dont le mouvement est souligné par des nappes inquiétantes et quelques bleeps…

En clôture du festival, on se laissera porter jusqu’au petit matin par les excursions rythmiques de Somaticae, les ambiances disloquées, à la fois tribales et expérimentales de Zoë McPherson dans la lignée de son tout nouvel album States Of Fugue, les dérives dub-indus / dark-ambient d’Ossia, et le dancehall trafiqué de Warzou…

Laurent Diouf

Mirage Festival, 8e édition, Cosmogonie, du 11 au 15 mars, Les Subsistances, Lyon
> https://www.miragefestival.com/

Biennale Arts Sciences

Spectacles, conférences, ateliers, installations, lectures, déambulations, performances… La biennale Experimenta ouvre ses portes dans quelques heures à Grenoble pour une dizaine de jours consacrés à des créations et réflexions qui associent artistes, ingénieurs et scientifiques. Cette dixième édition explore le futur au travers de thématiques liées à l’intelligence artificielle (ou Informatique avancée, terme préféré par les organisateurs), à la virtualité et, bien sûr, à la science-fiction. Colloque sur le dérèglement climatique, journées d’informatique théâtrale, lectures immersives, jeu vidéo expérimental et installations interactives : aperçu d’une programmation transdisciplinaire.

Yann Nguema, Soleidoscope. Photo: D.R.

Parmi les nombreuses propositions artistiques de l’édition 2020 d’Experimenta, on retient notamment le projet P.R.I.S.M de Yann Nguema (Ezekiel) qui fait suite à des résidences à l’Atelier Arts Sciences. C’est une série de dispositifs qui « malmènent » des images en jouant sur des matières, sur la lumière et des phénomènes optiques. Le projet final en comptera huit. En attendant, trois installations interactives — Soleidoscope, Anato-Me, Starta — avec lesquelles le public peut « jouer » sont présentées à la biennale. Avec Tristan Ménez, et son installation cinétique Bloom, c’est l’eau qui est le matériau principal et le vecteur des sons et transformations visuelles. Le mécanisme rendu invisible par un système stroboscopique, le liquide semble alors comme suspendu dans le vide et oscille au gré des vibrations de basses et des modulations de nappes symphoniques.

De nouvelles techniques et procédés conçus pour le spectacle vivant seront aussi dévoilés. Comme des agrès électromagnétiques qui permettent de déjouer la gravité pour les acrobates du cirque contemporain à la recherche d’autres dimensions. Démonstration avec , une performance conçue et mise en scène par Simon Carrot. Dans un autre genre, Rocio Berenguer et son équipe utilise le champ magnétique comme fil conducteur pour sa fiction post-anthropocène déclinée en trois volets : spectacle de danse-théâtre (G5), performance (Cœxistence) et installation (Lithosys). Dans un futur proche, l’idée est donc de se servir du champ magnétique et des roches aimantées de la croûte terrestre pour établir une tentative de dialogue entre humains et non-humains (animaux, robots, plantes, intelligence artificielle…). Pour prolonger cette narration, chaque participant sera invité à coder et enregistrer son message sur de la magnétite. L’installation Lithosys, véritable système de communication inter-espèces / intra-vivants se chargeant de répercuter les missives sur le réseau magnétique terrestre.

Le dialogue entre machines, ou plus exactement entre petits modules cubiques, est à l’ordre du jour avec Reactive Matter de Scenocosme (Grégory Lasserre & Anaïs Met Den Ancxt). Un assemblage de 120 cubes aimantés, équipés de plusieurs capteurs gyroscopiques et de microphones qui leur permettent de réagir au toucher et au bruit, et de transmettre des données informatiques à leurs voisins. Enchâssés dans une enveloppe transparente qui se déploie comme un rhizome, ces Blinky Blocks émettent en retour de la lumière colorée et du son. On retrouvera aussi le bras robotique que Filipe Vilas-Boas a condamné, comme un enfant puni à l’école, à écrire indéfiniment la phrase « I must not hurt humans » (The Punishment)

Le studio Théoriz nous permettra de tester Unstable, une expérience en réalité virtuelle à vivre sur une balançoire… À expérimenter également, la re-lecture immersive, avec casque VR, d’Alice aux pays des merveilles par le collectif Or NOrmes (Lili Alix Wonderlands). Autre expérience troublante : Catched. Le spectateur contemplera son double numérique au travers d’un portrait re-dessiné par les données personnelles et les mots des échanges qu’il disperse sur les réseaux sociaux. Anna Ridler s’interrogera sur le Bitcoin et les modalités de spéculation autour de cette fameuse crypto-monnaie (Mosaic Virus). Mentionnons aussi le monologue immobile de Thierry Fournier ou les doutes existentiels d’une intelligence artificielle chargée de surveiller une plage (Penser voir)…

Ezra et la compagnie Organic Orchestra présenteront une performance poétique sonore et visuelle, ONIRI 2070. Une fiction itinérante autour d’un archipel fantastique, prétexte à un voyage sans cesse renouvelé où se mêlent atmosphères végétales, lumineuses ou glaciales et scènes de désert, de tempête ou d’abysses. Mêlant matière concrète et univers abstrait, la vidéo et la musique qui accompagnent ce récit sont réalisées en direct. Les objets, les machines et manipulations qui produisent la matière du spectacle sont exposés à la vue de tous. Avec une prouesse technique à la clef : le matériel du spectacle est compact, léger, transportable en vélo et doté d’un dispositif autonome qui doit permettre de jouer une heure, dans des endroits insolites sans dépasser 1kWh d’énergie.

Enfin, une dizaine de tables rondes nous invite phosphorer sur des sujets aussi variés que les « Algorythmes poétiques » (Quelle place accorder à l’expérience sensible, au rêve et à la poésie dans les outils informatiques ? Quelles nouvelles formes de narration permettent-ils d’inventer ?) ; le « Réchauffement artistique ! » (Comment création et production artistique tiennent compte des enjeux environnementaux ?) ; ou bien encore « Imaginaire des artistes et informatique avancée » (Longtemps protagoniste des ouvrages de science-fiction, tant dystopiques qu’utopiques, l’IA est depuis longtemps pensée par les artistes. Comment s’en emparent-ils ? Comment modifie-t-elle leur regard et façonne-t-elle leur travail ? Quelles nouvelles techniques, approches, outils, démarches artistiques en découlent ?). À noter quelques conférences sur lesquelles planera l’ombre de la science-fiction : « Souriez vous êtes filmés » (avec Alain Damasio + Félix Treguer / La Quadrature du Net), « S’organiser avec l’Intelligence Artificielle » (avec Catherine Dufour, Norbert Merjagnan).

Laurent Diouf

Experimenta, Biennale Arts Sciences du 11 au 21 février, Grenoble
> http://www.experimenta.fr

Électronique, expérimentale, improvisée, acousmatique, drone, noise, ambient, post-industriel… Le festival Bruits Blancs focalise sur les musiques exploratoires. Mais le terrain de jeu de cet événement s’étend aussi vers les formes audiovisuelles et la littérature poétique.

Comme le rappelle à juste titre la déclaration d’intention du festival, il n’y a de vitalité artistique que dans l’exploration permanente : celle de la découverte, celle d’ouvrir des voies inconnues. Une philosophie qui se retrouve pleinement dans les propositions des artistes invités pour cette 9ème édition.

Parmi la programmation exigeante, on note la présence de Franck Vigroux & Kurt D’Haeseleer pour leur performance AV mêlant maelstrom d’images et sonorités abrasives, The Island (part 1). De son côté, Derek Holzer devrait jongler avec des motifs lumineux en résonnance avec les stridences de ses machines (Vector Synthesis).

L’Ensemble Motus interprétera deux pièces électroacoustiques (composées par Edith Alonso et Tony Conrad). Antoine Schmitt & Hortense Gauthier proposeront un étrange ballet de particules qui virevoltent autour d’un corps (CliMax).

Saxophoniste légendaire — connu pour avoir joué avec Merzbow, John Zorn, Lee Renaldo (Sonic Youth) et Lou Reed avec qui il a cofondé Metal Machine Trio — Ulrich Krieger devrait nous embarquer dans une dérive free-noise.

La Cellule d’Intervention Métamkine (Christophe Auger, Jérôme Noetinger & Xavier Quérel) mettra en œuvre son dispositif électroacoustique et ses projections en 16mm reflétées dans des miroirs.

Des rencontres, entre écriture littéraire et musicale, son également au programme. Par ailleurs, le festival ira au-delà de son camp de base, l’espace Anis Gras à Arcueil, et de l’Île-de-France pour s’évader hors les murs avec le collectif chdh à Montpellier et à Bagnols-les-Bains en Lozère.

Laurent Diouf

Bruits Blancs #9
formes audiovisuelles, musiques exploratoires, littérature poésie
du 21 novembre au 07 décembre
Arcueil, Alfortville, Issy-les-Moulineaux, Bagnols-les-Bains, Le Vialas, Montpellier
> http://bruitsblancs.fr/

Digital / Alter

Après des préliminaires à Marseille, via une exposition monographique de Paul Destieu en septembre, le Festival des arts multimédia Gamerz va prendre son envol le 13 novembre à Aix-en-Provence. Au programme des expositions, performances, ateliers et conférences qui s’étalent sur une dizaine de jours.

PAMAL_Group (feat. Jacques-Elie Chabert et Camille Philibert), 3615 Love. Photo : D.R.

À la suite de « Digital Defiance » et « Digital Animisme », cette quinzième édition est structurée autour de « Digital Alter » : l’exposition centrale à la Fondation Vasarely qui propose des ensembles monographiques questionnant, comme son titre l’indique, l’altérité à l’ère du digital. Comme il est précisé dans la déclaration d’intention, les artistes présentés se tournent vers « l’Autre » afin de dépasser l’individualisme, l’autoreprésentation et le narcissisme valorisés par les technologies numériques et les modèles de la communication « télématique » ou actuelle.

Une proposition pouvant aussi se résumer à cette interrogation : et si l’enjeu technologique n’était pas tant celui de la connaissance et du pouvoir, mais avant tout celui du désir et du rapport à l’autre ? Dans ce jeu de miroir brisé par les nouvelles technologies, la figure de l’androïde reflète peut-être le mieux ce rapport trouble à l’autre. En présentant diverses versions d’avatars mécanisés ou bio-modifiés, du cyborg aux nouveaux animaux de compagnie électronique en passant par des représentations de clonage, France Cadet nous apporte une réponse dystopique.

Fabrice Métais — qui s’intéresse notamment aux propriétés constituantes ou intrigantes des technologies audio mobiles — opte pour une approche presque métaphysique de ce rapport à l’autre. Son regard est à déchiffrer sous forme d’énigme dans ses créations (L’Intrigue). Il entamera aussi un dialogue avec le philosophe Jean-Michel Salankis lors d’une conférence (Art, technique, matière et idée).

Olivier Morvan qui nous avait justement intrigués lors de l’édition 2016 de Gamerz avec La Maison Tentaculaire — projet et installation protéiforme autour de la fameuse maison de l’héritière Sarah Winchester — nous entraînera dans son univers parallèle composé d’une multitude de petites usines à fictions qui jouent sur paradoxalement sur l’absence (Meme).

Dans une démarche d’archéologie des médias, le collectif PAMAL_group (issu du Preservation & Art – Media Archaeology Lab de l’École Supérieure d’Art d’Avignon) nous invite à un voyage rétrofuturiste autour du Minitel dont le réseau s’est définitivement éteint en juin 2012 (3615 Love). Des œuvres de Julius von Bismarck, Jon Rafman et Antonio Roberts complètent ce panorama de l’altérité digitale.

Manuel Braun & Antonin Fourneau, Egregor. Photo: D.R.

D’autres œuvres jalonnent cette édition, notamment à l’Office de tourisme avec les dispositifs ludiques de Manu Braun & Antonin Fourneau (Egregor 8) ainsi que Robin Moretti en collaboration avec Leslie Astier et Théo Goedert que l’on retrouvera aussi dans le cadre d’un workshop (Métalepse, La Chair du jeu-vidéo).

Enfin, concernant les performances, le programme se partage essentiellement entre art sonore et musiques expérimentales, bruitistes, électroniques et post-industrielles… En premier lieu, nous sommes curieux du Feedback acoustique de Virgile Abela. Un dispositif qui repose sur un pendule type Foucault dont la lente oscillation ponctuée de quelques rotations génère une modulation traduisant les effets de la gravité. Cette installation a été conçue en coordination avec la plateforme MAS (Laboratoire de mécanique acoustique du CNRS).

En tête-à-tête avec Stéphane Cousot, eRikM entamera une improvisation à partir de flux sonores et visuels récupérés en temps réel sur Internet. Il en résultera une « composition indéterminée », assez heurtée et cinglante (Zome). Inspirés par Deleuze, François Parra & Fabrice Cesario (alias PACE) pousseront dans leurs retranchements des machines habituellement dédiées à la communication pour produire un langage dans lequel ils abandonnent temporairement le sens pour entrer dans le son (Le Chant des machines).

Enfin, le collectif chdh (Nicolas Montgermont & Cyrille Henry) se basera sur les « bruits » de l’image vidéo pour une performance AV conçue comme une expérience synesthésique. À l’écran, un magma de pixels — qui n’est pas sans rappeler la neige des écrans cathodiques — d’où émergent des formes, des motifs, des structures aléatoires, sur fond d’electronic-noise très abrasive (Deciban).

Laurent Diouf

Festival Gamerz — Digital / Alter
> du 13 au 24 novembre, Aix-en-Provence
> http://www.festival-gamerz.com/

D’un soleil à l’autre

Alors que l’on a célébré cet été le cinquantenaire d’Apollo 11, du fameux petit pas de Neil Amstrong, et plus largement de la conquête spatiale, le thème de cette 19e édition du festival Accès)s( était tout trouvé : D’un soleil à l’autre.

Sur le substrat des utopies techniques, de la littérature d’anticipation, du cinéma de la science-fiction, comment les artistes explorent-ils aujourd’hui les ressorts culturels et les nouvelles formes de notre imaginaire spatial à l’aune de ses plus récents projets de conquête ?

Autour de scénarios impliquant l’intelligence artificielle, la robotique ou la culture du vivant, quels récits font les artistes des « bulles spéculatives » qu’incarnent l’exploration de ces mondes inconnus et le défi de colonisation d’une nouvelle Terre ?

Éléments de réponse sous l’égide de Charles Carcopino, commissaire invité — au travers de conférences, projections, performances, séances d’écoute, nuits electro, installations et d’expositions — avec Hugo Deverchère, Étienne Rey & Wilfried Wendling, Félicie d’Estienne d’Orves, Nicolas Montgermont, Daniela de Paulis, Véronique Béland, Bertrand Dezoteux, Poté, Le Matin, Voiron, Sentimental Rave

> du 10 octobre au 7 décembre, Pau
> https://www.acces-s.org/

Biennale des arts numériques

La cuvée 2019-2020 de Nemo se démultipliera sur 4 mois (du 3 octobre au 9 février), dans 40 lieux à Paris et dans toute l’Île-de-France. Comme les précédentes éditions, la Biennale des arts numériques englobe d’autres manifestations, dont CURIOSITas, le festival Arts & Science de l’Université Paris-Saclay (du 7 au 17 novembre), et le festival Bruits Blancs (du 21 novembre au 7 décembre). Au total, ce sont près de 80 événements — concerts, expositions, performances, conférences… — qui seront proposés par Gilles Alvarez et l’équipe du CentQuatre.

Il faut bien tout cela pour tenter de répondre à la question existentielle qui porte cette édition : le genre humain est-il appelé à disparaître ? Le champ est vaste… Les éléments de réponse aussi puisque les œuvres, spectacles et rencontres évoqueront l’intelligence artificielle, l’apprentissage exponentiel des machines, les réalités augmentées et virtuelles appliquées à la vie quotidienne, la « main invisible » des datas, l’homme « augmenté » et toutes ses qualités et fonctions qui dans le même élan seront diminuées, de la Singularité qui nous est promise, du post-humanisme, du transhumanisme et du post-anthropocène

Impossible de détailler le programme tant il est riche, mais on signalera notamment, parmi les artistes qui essayent d’écrire l’histoire du futur au présent, Jean-Benoît Dunckel, Jacques Perconte, Guillaume Marmin, Joël Maillard, Julien Desprez & Kasper T. Toeplitz, Marco Donnarumma & Margherita Pevere, knowbotiq, Dominique Koch, Lawrence, Alex Augier & Alba Corral, Simon Steen-Andersen, Moritz Simon Geist, Marco Btambilla, Beb-Deum, Christophe Bruno, Marie-Julie Bourgeois & Barthélemy Antoine-Lœff, Thibault Brunet, Xavier Antin, David Wahl, Laurent Bazin, Franck Vigroux & Kurt d’Haeseleer, Antoine Schmitt, Hortense Gauthier, Cellule d’Intervention Métamkine (Christophe Auger, Xavier Quérel et Jérôme Noetinger), Molécule, Rocio Berenguer…

> du 03 octobre au 09 février, Paris et Île-de-France

> https://www.biennalenemo.fr/

Arts, Musiques & Technologies

Porté par l’association Electroni[k], le festival Maintenant se décline en expositions, performances audiovisuelles, installations, conférences et DJ-sets. Parmi les temps forts, on signalera notamment Pantha Du Prince avec son projet « ritualistique » dédié aux arbres (Conférence Of Tree), Molecule qui proposera de vivre une expérience sonore « amplifiée » par des lampes neuro-stimulantes et stroboscopique (Pandora Live), Asuna et son orchestre polyphonique constitué d’une centaine de claviers-jouets, Nicolas Bazogue avec une création sonore générée et modulée via des interfaces cinétiques (Vis Insita), Playtronica et ses capteurs qui transforment des ananas en source de sons (16 Pineapples), Michela Pelusio et son étrange torsade lumineuse ou bien encore l’immense anneau suspendu dans le Musée des beaux-arts de Rennes par Vincent Leroy (Aurore Boréale), et l’installation sonore rétrofuturiste de panGenerator (Apparatum), basée sur des bandes magnétiques et composants optiques… Pour ce qui est du volet purement musical, on note notamment la présence de Errorsmith, AZF, OD Bongo, Lucas Paris, Sentimental Rave, re:ni, Crystalmess, Pura Pura… Les conférences proposeront pour l’essentiel des réflexions sur les Réalités augmentées, virtuelles et mixtes.

> du 4 au 13 octobre, Rennes

> https://www.maintenant-festival.fr/2019/