Archive d’étiquettes pour : exposition

Archéologies d’un monde numérique

L’inauguration ce vendredi 13 décembre du deuxième volet de l’exposition Jusqu’ici tout va bien ? nous donne l’occasion de revenir sur cet événement central de la biennale Nemo. Sous-titrée Archéologies d’un monde numérique, cette manifestation est une porte vers le futur qui nous attend si nous ne changeons pas de paradigme civilisationnel. En résumé : après le grand effondrement, les machines continuent de tourner et l’homme n’est plus qu’une hypothèse pas même nécessaire… Aperçu de ce futur dystopique au travers de quelques œuvres présentées au CentQuatre jusqu’au 9 février.

Takayuki Todo, SEER. Photo : D.R.

La figurine qui orne l’affiche de cette exposition est assez surprenante. En fait, c’est une tête posée sur un plateau. Un visage plastique qui nous observe, réagit à nos mouvements et nous fait des clins d’œil. Conçu par Takayuki Todo, SEER (Simulative Emotional Expression Robot) est à ce jour l’androïde qui présente le plus d’expressions faciales (étonnement, sourire, etc.). Une animation troublante, comme un avant goût de cette fameuse vallée de l’étrange (uncanny valley) qui nous saisira lorsque les robots humanoïdes seront presque à l’identique de nous. En attendant, dans l’industrie, la majorité des robots ne sont que des bras articulés. Nombre de créations ont déjà été réalisées en détournant cette machine-outil. Ainsi, à la suite du collectif Robotlab (Bios) par exemple, Filipe Vilas-Boas condamne cette machinerie à écrire sans fin « I must not hurt humans » (The Punishment). Une damnation éternelle qui fait écho aux lois de la robotique édictées par Asimov dès les années 40. Autre déclinaison de ce détournement : Optimisation Of Parenthood d’Addie Wagenknecht. Ici, le contraste est saisiant entre la mécanique répétitive du bras qui berce un vieux landau…

Avec la robotique, l’autre grand thème qui traverse cette exposition est l’urbanisme. Mais dans ce cadre, ce sont surtout des villes fantômes à l’image de l’installation vidéo de Hugo Arcier, Ghost City, qui reprend le moteur du jeu GTA en le dépouillant de tout décor et de toutes couleurs. Il n’en subsiste que la trame décharnée, dénuée de toute présence humaine, qui tourne dans le vide. C’est aussi un paysage urbain désolé, dévasté, en noir et blanc, que l’on survole avec Alain Josseau (Automatique War). Cette installation se compose de maquettes balayées par de petites caméras qui retransmettent leurs images sur plusieurs écrans. Le rendu est saisissant, on observe avec les yeux d’un drone les effets de bombardements sur différents théâtres d’opérations… Thomas Garnier met également en scène une maquette animée (Cénotaphe). Cette sorte de Sim City en noir et blanc et en 3D est une métaphore des « éléphants blancs » et autres projets immobiliers qui restent à l’état de ruines faute d’avoir été achevés. On pense aussi à une maquette ou des réalisations en Lego en contemplant les assemblages de Kristof Kintera. Conçu avec une multitude de composants électroniques, Post-naturalia évoque une jungle à la fois organique et numérique. En vis-à-vis, Out of PowerTower se dresse comme une tour de Babel, une Métropolis entièrement fabriquée avec des piles usagées !

Projet EVA, L’objet de l’internet. Photo : © LD

Ces paysages crépusculaires s’accordent bien avec la bande-son émise par l’installation de Michele Spanghero, Ad Lib : actionné par un respirateur artificiel, un orgue émet un son lancinant, hypnotique, qui tourne en boucle comme un mantra, évoquant les complaintes de la Buddha Machine du duo FM3… On reste dans l’étrange avec L’objet de l’internet du Projet EVA. Pour le moins low-tech, ce dispositif mobilise un jeu de miroirs et des spots. Une voix robotique égrène quelques infos en anglais. Le spectateur est alors invité a se glisser à l’intérieur de l’objet qui ressemble presque à un instrument de torture. La tête du cobaye volontaire étant immergée au milieu des prismes et des lumières qui changent de couleurs au fil de la rotation du dispositif. En action, on dirait une antique machine à voyager dans le temps… L’idée étant, littéralement, de faire tourner la tête du « client », sur le modèle de la Dreammachine de Brion Gysin. Mais l’expérience ultime de cette exposition est due à Alexandre Schubert. Son installation audio-visuelle Solid State repose sur deux ingrédients : de la fumée et une lumière stroboscopique intense. Une recette éprouvée notamment par Ulf Langheinrich (Lost) et Kurt Hentschläger (Feed). Certains d’entre nous se souviennent aussi de la fin d’un concert de Coil en 2001 particulièrement intense… Mais Solid State est encore plus virulent. Malgré une certaine pratique de ce genre d’expérience, nous sommes restés au seuil de la première pièce sans pouvoir déambuler plus loin, sans atteindre les limites de ce chaos visuel…

Laurent Diouf

Jusqu’ici tout va bien ?, Archéologies d’un monde numérique
> exposition jusqu’au 9 février, du mercredi au dimanche, CentQuatre, Paris
> http://www.104.fr/fiche-evenement/jusqu-ici-tout-va-bien.html

Margriet van Breevoort, Homunculus Ioxodontus & Refugus. Photo: © LD

Première édition d’un nouveau format d’événement consacré aux arts nouveaux-médias, Media Arts for Good se clôture ce vendredi 28 juin après deux semaines de parcours suivis par les différents publics et partenaires de l’association MCD. 

Exposition Media Arts for Good, visite d’une équipe de Cap Digital, partenaire de MAG

Media Arts for Good est né de la volonté d’initier des publics isolés ou éloignés de l’emploi aux enjeux sociétaux du numérique par la découverte de travaux artistiques et projets entrepreneuriaux qui viennent nourrir les réflexions engagées sur ces sujets. Ainsi ce sont 10 parcours qui ont été proposés à autant de groupes, élaborés selon les caractéristiques et besoins de chacun, et en partenariat avec des acteurs de l’innovation sociale et numérique (Cap Digital, Forum des Images, Les Canaux).

Exposition Media Arts for Good, groupe accompagné par Emmaüs Solidarité.

Chaque parcours avait pour étape commune la visite de l’exposition Media Arts for Good, installée dans le 10e arrondissement de Paris et co-produite par l’association MCD et ArtJaws, acteur dédié à la promotion d’artistes spécialisés Art/Tech. Réunissant le travail d’artistes-intervenants MCD (Cristina Hoffmann, Julien Levesque) aux côtés de celui d’artistes internationaux (José Carlos Casado, Maja Smrekar, Mariano Sardón), l’exposition proposait d’appréhender la diversité des liens existants entre l’art et le numérique, et des façons dont ces artistes invitent, singulièrement, à questionner la place et le rôle du numérique au regard de l’évolution de nos sociétés et des interactions qui les animent. 

Forte de son succès, l’exposition, initialement programmée du 17 au 21 juin, s’est prolongée d’une semaine afin d’accueillir davantage de bénéficiaires et partenaires des actions MCD. Au total, ce sont environ 120 personnes de 11 à 90 ans qui ont bénéficié d’une visite guidée, dont la médiation s’est progressivement enrichie des échanges que les oeuvres ont occasionnés. 

Parmi les publics invités, on comptait des jeunes pré-ados de l’atelier EnReportagePermanent – premiers visiteurs de l’exposition accompagnés par la Directrice de MCD, Anne-Cécile Worms, qu’ils ont interviewés pour l’occasion – des jeunes collégiens de La Grange aux Belles qui ont poursuivis le parcours au Forum des Images pour participer à NewImages, festival sur la réalité virtuelle, mais aussi des personnes suivies par Emmaüs Solidarités, partenaire de l’association, ou encore les senior·e·s de l’atelier HyperLadies et ceux·celles du laboratoire de création du Centre des Arts d’Enghien-les-Bains réuni·e·s pour la première fois autour d’un atelier spécial de création animé par l’artiste Cristina Hofmann. 

Les Canaux, jeune de l’atelier EnReportagePermanent.
Festival NewImages 2019, élève du collège La Grange aux Belles.

Media Arts for Good se clôture à l’occasion d’un événement Cap Digital, partenaire avec lequel débutaient les premiers parcours MAG le 13 et 14 juin dernier, alors que MCD accompagnait 4 groupes de bénéficiaires (des personnes suivies par Emmaüs Solidarité, des jeunes du parcours Numerik’Up de Colombbus, un groupe d’apprenant·e·s de chez Simplon, ainsi qu’un groupe d’apprenant·e·s de la formation “Fabrication Numérique » co-produite par MCD et l’Institut-Mines-Télécom) pour profiter de visites guidées et sur-mesure du festival Futur.e.s 2019.  

Festival Futur.e.s 2019, apprenant·e·s du parcours Numerik’Up par Colombbus.

Première édition d’un parcours d’initiation aux cultures numériques et engagées.

Riche de son expérience de production de quatre éditions de la Digital Week France et de Variation Media Art Fair, MCD produit un nouvel événement recentré sur la médiation et l’accompagnement des publics dans la découverte des cultures digitales.

Ce nouvel événement francilien s’adresse à l’audience l’association : publics empêchés, scolaires, associations sociales, structures de l’ESS, scolaires, étudiant.e.s désireu.x.ses de se former à ces nouvelles pratiques qui lient innovation et création. Il a pour objectif de mettre à profit l’expérience événementielle et le tissu partenarial de MCD au service d’une médiation qualitative dédiée aux cultures numériques engagées.

Media Arts for Good s’articule autour de 3 fils rouges :

Une exposition de 7 oeuvres nouveaux médias abordant les thématiques du lien social, de l’environnement connecté et du numérique responsable. La sélections des oeuvres, réalisée en collaboration avec ArtJaws, présentera des artistes internationaux et franciliens. L’exposition figurera également les travaux d’artistes historiquement liés aux action de MCD. Ouverte sur 5 jours, accessible gratuitement sur prise de rendez-vous avec des structures partenaires, l’exposition se tient du 17 au 21 juin 2019 dans le 10e arrondissement de Paris.

Un agenda d’événements pour poursuivre les réflexions initiées lors de la visite de l’exposition (partenaires ou produits par l’association) : expositions, visites de fablabs, ateliers de création numérique, participation accompagné par un médiateur de festivals partenaires, etc.

Un partenariat avec des structures sociales et culturelles (Emmaüs Solidarité, Social Builder, Mozaïk RH, Colombbus, Simplon, collège du 10e arrondissement, club des seniors, Mission Locale de Paris) pour construire avec chaque public des rendez-vous qualitatifs de découverte et d’initiation.

L’inauguration officielle de Media Arts for Good aura lieu le 14 juin 2019 à la Mairie du 10e arrondissement de Paris, en présence d’Eric Algrain, Adjoint à la Maire du 10e et d’Anne-Cécile Worms, Directrice de MCD. Elle conviera, sur invitation, les représentant.e.s des différentes parties prenantes et partenaires de l’action. Cet événement mettra à l’honneur la mise en ligne de la nouvelle plateforme MCD, financée par le Ministère de la Culture.

Media Arts For Good est soutenue par la Région Île-de-France et la Mairie du 10e arrondissement de Paris. L’action est partenaires de Cap Digital et figure dans la programmation Off du Festival Futur.e.s .

Pour plus d’information ou pour réserver un créneau de visite, merci de nous contacter à event@digitalmcd.com.

Télécharger le dossier de présentation de Media Arts For Good.

Les partenaires :

Radiant : un univers phosphorescent

Des faisceaux laser blancs qui tournent et laissent des traces qui s’estompent lentement sur un panneau vert phosphorescent : Radiant, la nouvelle installation de HC Gilje sera visible à Stereolux jusqu’au 23 juin. Cet artiste d’origine norvégienne actuellement basé à Berlin, connu pour ses vidéos expérimentales (Cityscapes), installations lumineuses et lives A/V (notamment avec le collectif 242.pilots) livre ici un dispositif hypnotique à interprétation multiple.

Cette exposition est une première…
En effet, c’est ma première exposition personnelle en France; même si j’ai présenté avant une autre installation, In Transit X, à Marseille en 2017 dans le cadre du festival Chroniques. Auparavant, j’ai aussi fait quelques projections dans différents lieux en France, notamment à la Cinémathèque et au Centre Pompidou suite à mon contact avec l’éditeur vidéo Lowave qui a réalisé mon DVD Cityscapes en 2005.

Quelles vos sources d’inspiration pour Radiant et la manière dont les différents éléments s’articulent ?
J’ai commencé par réfléchir sur l’idée d’extinction, de croissance et de déclin; ainsi que sur la manière dont les plantes se nourrissent de la lumière. Et bien sûr, sur le laser dont la lumière est plus intense que les rayons du soleil et les pigments phosphorescents, ces matières naturelles qui capturent la lumière et la restituent lentement sous forme de lueur verte (à l’époque de Galilée, on appelait ça des éponges solaires). Radiant s’articule aussi autour de la question du temps et de la vitesse avec les éclairs intenses du laser qui contrastent avec la lente dissolution de leurs traces sur la matière phosphorescente. Il se passe des choses intéressantes dans cette superposition de traces, dans ces dessins où l’on peut voir les empreintes de multiples passages mêlées à d’autres, plus récents. Cela matérialise aussi différentes échelles de temps, de durées selon la terminologie de Bergson, qui coexistent à la surface du panneau.

Comment cet aspect de l’installation sera perçu ?
Pour le public, je pense que cela fonctionnera aussi de multiples façons, à différentes échelles (macro et micro). On peut aussi bien se projeter à l’échelle de l’univers ou subatomique.

Dans leur conception, vos installations sont imaginées comme des « conversations dans et avec l’espace ». Est-ce que Radiant fonctionne sur le même principe ?
Habituellement, je commence avec l’exploration de l’endroit où je vais concevoir une installation. Je prends le temps de l’explorer, je viens avec tout mon matériel, je teste et j’improvise systématiquement en cherchant à amplifier et transformer l’endroit. Pour Radiant, c’est différent. À l’inverse, j’ai fabriqué un grand panneau carré pour le light painting avant, sans vraiment penser à l’espace dans lequel il allait prendre place. Ce panneau pour Stéréolux fait 3,6 mètres de côtés. Mais de toute façon, une installation est transformée par le lieu dans lequel elle est présentée, et inversement elle a le pouvoir de transformer l’espace dans lequel elle est proposée. Évidemment cela diffère selon qu’elle est présentée dans environnement assez brut, comme au Kraftwerk durant le festival Berlin Atonal, ou dans un espace plus sophistiqué, comme un mur circulaire de projection lors d’une manifestation artistique en Norvège. Sinon, le faisceau laser blanc étant assez intense, les ombres qui en résultent et le rendu dans l’espace sont relativement similaires à celles de mes autres installations lumineuses.

Pour l’inauguration de l’exposition, la présentation de Radiant sera suivie d’une performance : comment s’articulera-t-elle par rapport à cette installation ?
La base matérielle de l’installation et de la performance est plus ou moins la même, c’est la structure qui diffère. La performance doit générer une expérience intense, captivante pour le public, tandis que l’installation est plus méditative. Radiant a été conçu au départ comme une installation qui est à la fois un espace et un état à expérimenter. Et je l’ai toujours pensé comme une boucle temporelle à cause de la superposition des traits de lumière qui créent constamment de nouvelles images. Le temps d’une performance live n’étant pas circulaire, cela change radicalement l’expérience que l’on en fait. D’autant qu’un live set est plus une expérience commune, publique, tandis qu’une installation s’éprouve plutôt seul ou avec peu de personnes. Et bien sûr, le live set implique une bande-son créée en temps réel. Pour Radiant, j’utilise le son mécanique que produisent les miroirs laser. Le son est amplifié et diffusé sur des haut-parleurs, mais aussi enregistré et réinterprété pour créer nouveaux sons (simultanément aux visuels). En fait, pour cette performance à Stéréolux, ce sera la première fois où j’utiliserai ce processus sonore. Pratiquement toutes mes autres lives A/V sont différents puisque ce sont des collaborations et improvisations avec d’autres musiciens ou artistes visuels, alors que Radiant Live est une performance très contrôlée, avec une structure fixe et un espace donné pour développer des variations.

Quelques mots sur vos autres projets…
J’ai récemment créé une installation lumineuse dans un cadre spécifique, en l’occurrence quatre pièces interconnectées à l’intérieur d’une galerie. Cette création s’intitule Red White Black et consiste en deux rangées de LEDS qui suivent les contours des pièces et des portes. L’une émet des pulsations de lumières blanches dans une direction, l’autre de la lumière rouge en direction opposée. C’est très simple, mais cela crée une dynamique dans le lieu, un jeu d’ouverture et de fermeture, de révélation et de dissimulation, l’espace s’étend, se contracte, se tord et s’effondre. Probablement une de mes créations favorites ! Sinon, une pièce très différente, mais qui a été la plus montrée ces dernières années : Barents (mare incognitum). Une installation vidéo avec des vues de la mer de Barent qui tournent lentement. Cela a été filmé à la frontière de la Norvège et de la Russie avec une caméra que j’ai bricolée et pointé vers le Pôle Nord. C’est un de mes nombreux travaux liés à mon engagement dans la série de projets Dark Ecology initiés par Hilde Mehti et Sonic Acts dans la zone frontalière russo-norvégienne. Mon film Rift provient également de cette initiative. Il combine ma passion pour le réalisateur expérimental Len Lye et ma préoccupation envers la longue durée de vie du plastique. Il faisait partie du programme Vertical Cinema qui proposait des films expérimentaux en 35mm projetés verticalement. Speiling est le dernier de cette série de réalisations. Une forme organique colorée est projetée sur un parterre réfléchissant, créant ainsi un espace dynamique lumineux. Actuellement, je travaille sur deux projets assez différents : une installation dans une cavité stalactique d’une vieille forteresse qui sera présentée en août et une série d’installations, prévues pour l’année prochaine dans un espace « normal », où je me donne comme chalenge de travailler à la fois avec la lumière, le son et le mouvement.

propos recueillis par Laurent Diouf

Photos: D.R.

HC Gilje, Radiant, installation du 02 au 23 juin 2019, Stereolux, Nantes.
https://www.stereolux.org/agenda/hc-gilje-radiant
http://hcgilje.com/

TIME MACHINE : la tentation de Venise

Pia MYrvoLD est de retour à Venise dans le cadre du Off de la Biennale qui, d’édition en édition, s’affirme comme place forte d’un marché de l’art où la création numérique et les nouveaux médias ont désormais pleinement droit de cité. Son exposition TIME MACHINE s’inscrit dans le cadre de Take Care Of Your Garden une série de manifestations initiées par le GAD (Giudecca Art District).

Pia MYrvoLD, Performance Time Machine. Photo: D.R.

Près de 8 ans après avoir été une des première à avoir présenté une œuvre multimédia à la biennale de Venise (cf. Flow – work in motion), Pia MYrvoLD propose une nouvelle version de ses installations luminueuses baptisées #LightHackSculptures. Chaque sculpture, conçue en partie avec des matériaux de récupération, est unique et trouve sa forme définitive selon la configuration du lieu où elle est installée.

Imposants, ces totems enchevêtrés et luminescents prendront place dans les murs de la Fabbrica H3 di SerenDPT. L’ossature de ces sculptures est simple, une échelle ou un élément d’échafaudage. C’est la base d’un assemblage sur lequel se greffe un entrelac de cables et quelques réflecteurs, des parapluies photo, parfois des écrans qui affichent des stris pixélisés et surtout des boîtiers de couleurs vives. La lumière jailli de nombreuses sources (spots, fibres, etc.), transformant ces installations en phare pour aliens…

L’espace, la lumière et, bien sûr, le temps. Intitulée TIME MACHINE, cette exposition ne fait pas référence à une machine à voyager dans le temps, mais plutôt à une machine à produire le temps. Un temps digital, découpé, multiplié, sériel. Mais aussi espace « hors temps », en opposition à l’injonction temporelle permanente auquelle nous soumet notre société numérisée. Les #LightHackSculptures de Pia MYrvoLD se perçoivent sous plusieurs dimensions et sont une invitation à reconsidérer notre rapport aux multiples gadgets chronophages qui nous entourent. Deux performances accompagneront cette exposition.

Pia MYrvoLD, Performance Time Machine. Photo: D.R.

La première, Extended Reality, renouvelle le questionnement sur la réalité virtuelle que Pia MYrvoLD a déjà beaucoup explorer au travers d’œuvres interactives sur écran et en 3D (Art Avatar, Métamorphoses du Virtuel, Transforming Venus). Naviguant autour de l’installation, une danseuse vêtue d’une combinaison aux motifs ésotériques — et au visage caché par un masque aux ramifications lumineuses (élément que l’on retrouve sur les sculptures) — se déplace avec des mouvements incertains, comme si elle évoluait dans un univers virtuel ou dans les limbes de visions générées par notre troisième œil… L’idée étant aussi de réintroduire de l’humain et la magie dans la boucle. De réenchanter le monde.

La deuxième performance, The Sumerians on Holiday, nous entraîne encore plus loin. Dans le passé de Pia MYvorLD d’une part, puisqu’elle renoue ici avec ses premières interventions dans le monde de la mode, à l’orée des années 90s, en concevant des vêtements hybrides qui font appel aux nouvelles technologies au-delà de leur conception. Dans le passé de l’humanité d’autre part, puisque ce mélange de technologies futuristes et de savoirs anciens cristallisés dans ces vêtements hybrides fait écho à la civilisation sumérienne, matrice de l’écriture. Aux mythes que cette civilisation disparue suscite, dont les derniers signes énigmatiques peuvent être réinterprétés à l’aune de la théorie des anciens astronautes…

Laurent Diouf

Pia MYrvoLD, TIME MACHINE, du 7 au 30 mai 2019, Fabbrica H3 di SerenDPT (ex Chiesa SS Cosma e Damiano), Vaparetto: Palanca Guiedecca, Venise.

Lorsque l’on évoque l’hybridation entre la science du vivant et l’art à l’ère du numérique, il ressort immédiatement un nom : Eduardo Kac. Avec ses manipulations transgéniques « empruntées » à l’INRA qui rendent un lapin vert fluorescent, il est devenu le symbole du bio-art; sans que l’on mentionne par ailleurs les interrogations et controverses liées à une telle collusion… Eduardo Kac figure, bien évidemment, dans le tableau mis en exergue de l’exposition La Fabrique Du Vivant, présentée au Centre Pompidou.

Une sorte de galerie de l’évolution de la création artistique liée aux biotechnologies qui, dans un panoramique vertigineux, relie Mary Shelley (Frankenstein) et les biohackeurs qui proposent désormais des kits de modification génétique. Cet historique affiché rappelle aussi l’existence de précurseurs, telle Marta de Menezes qui réalise en 1999 une œuvre basée sur des manipulations morphogénétiques sur les ailes d’un papillon vivant. Ces balises remettent en perspective les pièces, récentes pour la plupart, présentées par les commissaires de l’exposition, Marie-Ange Brayer et Olivier Zeitoun.

À rebours de ce que l’on pourrait supposer, les dizaines de créations rassemblées pour cette exposition ne reposent pas toutes à 100% sur des protocoles high-tech. Certaines ne font que s’inspirer du design, des structures et de la texture du vivant. À l’image des AguaHoja Artifacts de Neri Oxman & The Mediated Matter Group accrochés à un mur comme des trophées. Avec leurs nervures, ces échantillons de matériaux biodégradables « forgés » par imprimante 3D ressemblent à des mues de serpents…

La plupart des pièces, cependant, font appel à des composants, des procédés ou des propriétés issus du monde organique, végétal ou animal. L’utilisation de biomatériaux permettant de jouer sur la lumière, la couleur… de concevoir des objets capables d’évoluer (!) et de répondre à l’exigence écologique de notre époque… d’ouvrir d’autres champs à l’innovation… Émanant d’artistes et de travaux de laboratoires, l’exposition s’articule sur 4 volets : Modéliser le vivant, Programmer le vivant, Ingénierie de la nature et Nouvelles matérialités.

Parmi les réalisations, citons notamment la lampe bioluminescente du designer Joris Laarman qui intègre des cellules de lucioles et est, de fait, un objet « semi-vivant » (Half Life Lamp). Dans un registre voisin, des algues sont à la source du fonctionnement de la lampe biocomposite d’Alexandre Echasseriau (Akadama) et de l’installation bioluminescente de Daan Roosegaarde (Glowing Nature). Prisonnières dans des boîtes de Petri où leurs propriétés (bioréceptivité, biophotovoltaïque, bioremédiation) sont misent en valeur, ce sont encore des algues qui sont utilisées par Bio-ID alias Marcos Cruz & Brenda Parker (Robotically extruded algae-laden hydrogel).

Des algues et des semences servent aussi de traceurs à Allison Kudla pour dessiner via une bio-imprimante 3D un paysage basé sur un algorithme de croissance végétale appliqué au développement urbain (Capacity for (Urban Eden, Human Error)). Les champignons sont également très prisés pour les propriétés du mycélium qui permet, par exemple, de souder de petites briques et d’élaborer des structures complexes et imposantes comme celles conçues par l’architecte David Benjamin (studio The Living), ou de fabriquer des objets comme des chaises par sédimentation et impression 3D (Mycelium Chair du studio Klarenbeek & Dros).

Même principe pour le projet XenoDerma développé par l’équipe de l’Urban Morphogenesis Lab qui utilise la soie de toiles d’araignée contrainte dans des armatures géométriques. Cette mise à contribution « forcée » est aussi appliquée aux abeilles dans la série Made By Bee de Tomáš Gabzdil (Studio Libertiny). Comme d’autres artistes pratiquant l’api-sculpture (Ren Ri, Stanislaw Brach, Luce Moreau, etc.), Tomáš Gabzdil préforme le cadre de l’activité des abeilles qui se font designers à leur insu et conçoivent ainsi des formes et des objets en cire selon la matrice fournie; ici en l’occurrence des vases (The Honeycomb Vase).

Sonja Bäumel & Manuel Selg ont choisi de s’intéresser aux bactéries colportées par l’homme (Metabodies). C’est la croissance et le « langage » de ces bactéries, que chacun héberge sur sa peau, qui sont rendus visibles grâce à l’ajout de GFP; la fameuse protéine verte fluo qu’utilise aussi Eduardo Kac. Rappelons qu’il a aussi injecté de l’ADN extrait de son sang dans une fleur (Edunia). Dans le genre, Špela Petrič injecte des hormones extraites de son urine dans le tissu embryonnaire d’une plante qu’elle place ensuite dans des sortes de couveuses où l’on peut observer l’évolution de ces chimères (Ectogenesis: Plant-Human Monsters).

Mais la pièce la plus surprenante est peut-être celle d’Amy Karle au titre plus qu’évocateur : Regenerative Reliquary. Là aussi, on observe au travers d’une sorte de bocal le squelette 3D d’une main, reconstitué à partir de cellules souches déposées sur une armature en matière biodégradable. Dans l’absolu, même si le temps d’une exposition reste trop peu important pour en mesurer pleinement les variations, cette relique futuriste se développe et donne l’impression, à terme, d’une croissance millimétrée et maîtrisée…

La Fabrique Du Vivant marque le troisième volet de Mutations / Créations, manifestation annuelle du Laboratoire de la création et de l’innovation du Centre Pompidou — auquel se rattache aussi la monographie de l’artiste brésilienne Erika Verzutti — et se parcourt aux sons de l’installation du compositeur Jean-Luc Henry, Biotope. Par intervalle, surgissent comme des cris d’animaux dans une jungle imaginaire et d’autres bruits incertains… Un dispositif interactif réagissant en fonction des visiteurs de l’expo; fruit d’un partenariat avec l’Ircam, comme le forum Vertigo qui réunit des universitaires, scientifiques, artistes et ingénieurs.

Au menu de ces rencontres art / science qui auront lieu du 27 au 30 mars, une présentation de projets réalisés dans le cadre des STARTS Residencies, programme européen de résidences artistiques liées à l’innovation technologique, un colloque (Composer avec le vivant), des tables rondes et débats avec des universitaires, chercheurs, ingénieurs et artistes autour des problématiques du design en science, de la modélisation du vivant, des biomatériaux, du génie génétique… En bonus, des concerts associés le 28 mars siglés Ircam Live qui verront notamment Robin Rimbaud alias Scanner qui réinterprétera Mass Observation (à l’origine, un album techno-ambient / electronica expérimentale paru, après ses premières captures de conversations, en 1994 sur Ash International et récemment réédité en version extended).

Laurent Diouf
Photos: D.R.

> La Fabrique Du Vivant, exposition du 20 février au 15 avril, Galerie 4 – Centre Pompidou, Paris
> Forum Vertigo, colloque, débats et concerts, du 27 au 30 mars, Centre Pompidou, Paris
> https://www.centrepompidou.fr

sur la terre comme au ciel

C’est une nouvelle descente aux enfers que nous proposent les artistes multi-médias Gast Bouschet & Nadine Hilbert. Vidéo en noir et blanc, musique crissante et entêtante, décor évanescent : une partie du Centre des Arts d’Enghien est ainsi le terrain d’expérience d’une étrange ré-interprétation de l’œuvre de Dante. Gast Bouschet & Nadine Hilbert ont opté pour le froid et le sombre, plutôt que le feu et le rougeoiement des abîmes infernaux : leur pièce maîtresse, Cocytus Defrosted qui offre succession d’images spectrales, est allégorie du neuvième cercle de l’Enfer de Dante; celui où les damnés sont emprisonnés dans la glace…

À l’étage, Laura Mannelli, architecte et artiste, complète cette exposition avec une série d’installations et une déambulation virtuelle. Les différents cercles et paliers de la Divine Comédie étant déjà des métavers… Co-réalisé avec Frederick Thompson (Revv Studio) et Gérard Hourbette (récemment disparu, co-fondateur du combo Art Zoyd), Near Dante Experience est donc un projet immersif qui « mixe » la Divine Comédie et les manifestations de ce qu’il est convenu d’appeler les expériences de mort imminente (en anglais, near death experience). Laissez votre corps derrière vous et laissez vous guider par la lumière au bout du tunnel…

Laurent Diouf

As Above So Below / sur la terre comme au ciel : exposition avec Gast Bouschet & Nadine Hilbert + Laura Mannelli, Centre des Arts d’Enghien, jusqu’au 30 décembre
> http://www.cda95.fr/fr/content/above-so-below-sur-la-terre-comme-au-ciel

ceci n’est pas une exposition…

À proprement parler, comme le proclame de manière intempestive le panneau d’infos à l’entrée de la Fondation EDF, il ne s’agit pas d’une exposition, même si c’est le terme employé. Au travers des pièces rassemblées par Fabrice Bousteau, La Belle Vie Numérique est en fait une illustration de la manière dont le numérique bouleverse notre vie quotidienne. Et de ce que ce bouleversement induit au niveau des pratiques artistiques, en terme de champ d’investigation, d’outils, de supports et de normes esthétiques.

Marie-Julie Bourgeois, Tempo II. Photo: D.R.

Pour autant, on reconnaît quelques œuvres emblématiques pour qui s’intéressent à l’art numérique. À commencer par Tempo II de Marie-Julie Bourgeois qui sert de signalétique à cette manifestation. Cette version 2 proposée sous forme de triptyque reprend son principe d’origine : une mosaïque d’écrans branchés sur des webcams qui laissent entrevoir des fragments de ciel en temps réel. Au total, 270 petites fenêtres bleutées qui clignotent au gré des nuages, des fuseaux horaires et de la rotation terrestre, avec un habillage sonore qui fluctue toutes les 4 minutes, au rythme des mises à jour de ces images.

Autres pièces significatives, les dispositifs hybrides de Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt, alias Scenocosme, mêlant le végétal au digital. Dans ce cadre, on redécouvre Akousmaflore. Un jardin suspendu et interactif : les visiteurs étant invités à toucher les feuilles qui réagissent en émettant des sons modulés selon l’intensité des caresses prodiguées. Basé aussi sur ce principe du toucher lié aux variations des courants électrostatiques corporels, le couple d’artistes présente également une pièce de leur série Matières Sensibles : une fine planche dont on peut jouer comme d’une harpe en laissant glisser nos doigts sur les nervures du bois.

Mais nombre d’installations pointent les travers des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et des réseaux sociaux, du narcissisme puéril des utilisateurs, les abus, jusqu’à l’absurdité, de la géolocalisation, du partage et de l’exploitation des données personnelles, des protocoles d’accès… Ainsi Aram Bartholl et ses séries Are You Human? et Select All Squares qui parodient les codes Captcha et grilles d’images qui se multiplient pour accéder à un site et/ou confirmer l’envoi d’un message. Entre topographie composite et cartes postales dématérialisées, Julien Levesque puise, comme son titre l’indique, dans Google Street View pour sa série Street Views Patchwork.

Le selfie — ou l’égoportrait selon la terminologie de nos cousins québécois — est mis à l’index avec Encoreunestp, via des miroirs qui s’offrent comme une mise en abîme. Carla Gannis en propose une version colorée et augmentée (The Selfie Drawings). Elle met également en scène, façon Jérôme Bosch, les émoticônes dont on parsème nos posts (The Garden of Emoji Delights). En forme de performance, Amalia Ulman développe une fiction en prenant comme support Instagram, avant d’être célébrée à la Tate Modern (Excellences & Perfections)… Mwood utilise pour sa part l’application de streaming vidéo Periscope, dont on a mesuré l’impact en France lors du mouvement contre la Loi Travail en 2016, via une installation où il projette une sorte de mini-zapping sur d’antiques ordinateurs (Fifteen Seconds of Fame).

Mais par rapport à la philosophie affichée de cette « non exposition », c’est sans aucun doute le projet Rembrandt.2016 qui pose le mieux cette problématique de l’art confronté à la révolution du numérique. En 2016 donc, sous l’égide de Microsoft, des ingénieurs mettent au point une sorte de monographie informatique des peintures Rembrandt. Position des yeux, expressions du visage, apparence vestimentaire, etc. Toutes les données sont recoupées pour établir, sans jeu de mots, une sorte de portrait-robot. Conforme aux canons de Rembrandt, il en ressort le portrait d’un homme blanc âgé de 30 à 40 ans, de face, tourné vers la droite, dans un costume noir, portant un chapeau et une fraise… La réalisation de ce faux, baptisé The Next Rembrandt, a été confié a une imprimante 3D pour parfaire le rendu, la trame et la matière de la toile (le mouvement des coups de pinceau, l’épaisseur de la peinture, la superposition des glacis). L’effet est saisisant, tout comme les perspectives ouvertes par cette démarche transgressive.

Laurent Diouf

La Belle Vie Numérique, entrée libre, jusqu’au 18 mars 2018, Fondation EDF, Paris.
> https://fondation.edf.com/fr/expositions/la-belle-vie

Art Jaws Media Art fair

Variation a refermé ses portes. L’heure est donc au bilan pour l’édition 2017 de cette foire-exposition consacrée à « l’art des nouveaux médias » (media art fair) qui s’est tenue à la Galerie de la Cité internationale des arts à Paris fin novembre, sur les quais près de l’Hôtel de Ville.

Les œuvres présentées témoignaient d’un large éventail de ces pratiques artisques liées notamment aux technologies de l’information et ce que l’on nomme, par extension, l’art numérique. Comme le soulignait dans son édito Dominique Moulon, commissaire de l’exposition, ces pièces étaient proposées à travers une scénographie ouverte et propice aux dialogues improbables. Une quarantaine d’artistes voyaient ainsi leurs œuvres réparties sur les différents plateaux de la galerie.

Au détour d’installations, de dispositifs vidéos ou de reproductions photographiques, on reconnaissait une des « mosaïques temporelles » colorées du collectif LAb[au] (chronoPrints, 2009), presque déjà un « classique »; contraste absolu par rapport aux troublants amalgames de visages et lambeaux de corps générés par Grégory Chatonsky (Perfect Skin II, 2015).

Samuel Bianchini, Enseigne [tapuscript], 2012. Photo: D.R.

Les messages lumineux de Samuel Bianchini (Enseigne [tapuscript], 2012) et Fabien Léaustic (Hello World, 2016) bousculaient le sens des mots; de même que Thierry Fournier qui joue sur l’injonction paradoxale du secret à l’heure de la surexposition sur les réseaux (Hide Me, 2017). Esmeralda Kosmatopulos jongle également avec les mots, les symboles, les signes comme l’arobase ou le dièse (#Untitled, 2013), les gestes et autres Climax (2016) attachés aux smartphones et réseaux sociaux.

Objet emblématique de notre époque, le smartphone a induit toute une série de gestuelles propre aux écrans tactiles. Des gestes que l’industrie n’a pas manqué de breveter dans une logique mercantile. À rebours, Myriam Thyes sublime la beauté du geste qui s’apparente à une caresse envers les machines (Smart Pantheon, 2016). Benjamin Gaulon alias Recyclism explose, littéralement, la représentation de soi à travers les écrans brisés des téléphones portables; proposant ainsi une sorte d’auto-portrait de l’utilisateur en gueule cassée (Broken Portraits, 2016-2017).

Félicie d’Estienne d’Orves, Cosmographies, 2016. Photo: D.R.

Changement d’environnement avec les « produits dérivés » (broderies, recherches au sol) d’Eduardo Kac; variations justement autour de l’origami 3D conçu, et réalisé en collaboration avec l’astronaute Thomas Pesquet, comme une œuvre flottante en apesanteur pour la station spatiale (Téléscope Intérieur, 2016). On citera aussi les « blocs mémoire » de Lopez Soliman qui fige dans le marbre la silhouette agrandie de cartes SD (File Genenis n.2, 2016-2017).

Dans ce dialogue improvisé, aux faisceaux laser lancés dans le ciel par Félicie d’Estienne d’Orves (Cosmographies, 2016) répondait l’étrange monolithe transpercé et brillant comme un miroir métallique aux reflets bleutés de Martin Bricelj Baraga. Baptisé Cyanometer, ce dispositif s’inspire du cyanomètre, un instrument pour mesurer la couleur du ciel développé par Horace-Bénédict de Saussure au 18e siècle. Martin Bricelj Baraga en propose une version 2.0, avec écran LCD, dans une esthétique très dépouillée, qui inclut également d’autres paramètres et mesures comme celle de la pollution.

Martin Bricelj Baraga, Cyanometer. Photo: D.R.

En s’emparant des textes de William Burroughs, Pascal Dombis prolonge l’expérience du cut-up en croisant datas et algorithmes (The Limits of Control (B7), 2016). Pe Lang conçoit des objets animés. Certains alignent des anneaux ondulants sur des filins. Ils peuvent se déployer sur des panneaux de plusieurs mètres. Plus modeste en taille, celui présenté dans le cadre de Variation évoquait un boulier parcouru d’ondes magnétiques (Moving Objects, n.1751-1752). Charles Carmignac a réalisé un étrange artefact aux allures de créature aquatique avec un simple un voile de couleur turquoise en suspension dans un tube de verre (In Vitro Blue, 2016).

Enfin, dans un recoin de la galerie, on tombe nez-à-nez avec un mobile composé de tubulures et de miroirs qui tournoient. La pièce détonne parmi les autres œuvres exposées. Ses formes évoquent les années soixante. C’est le cas (Chronos X, 1969). Mais cette sculpture fait preuve d’une étonnante modernité. Temporalité, spatialité, mobilité, interactivité, lumino-dynamisme… C’est la marque de Nicolas Schöffer, pionnier de l’art cinétique et cybernétique, artiste visionnaire disparu en 1992 dont on n’a pas fini de (re)découvrir les champs d’activité. En marge, dans le cadre de la Digital Week, il était possible de visiter son atelier parisien. L’endroit semble figé dans le temps, le comble pour une œuvre en mouvement ! Sa compagne assurait la visite, partageant avec rigueur son érudition pour transmettre la mémoire d’une démarche artistique singulière, « multimédia » avant l’heure.

Nicolas Schöffer, Chronos X, 1969. Photo: D.R.

En parallèle, on pouvait aussi se replonger dans l’histoire récente de cette convergence des arts et des technologies qui s’est cristallisée dans les années soixante. Intitulé L’Origine du Monde (Numérique), cet aperçu photographique de projets et événements précurseurs — l’Art and Technology Program du County Museum of Art de Los Angeles en 1966 qui mettait en contact des artistes avec des grands groupes industriels; les performances 9 Evenings: Theatre and Engineering à l’origine du groupe Experiments in Art and Technology à New York en 1966 avec notamment John Cage; et l’exposition Cybernetic Serendipity organisée à l’Institute of Contemporary Arts de Londres en 1968 — permet aussi de relativiser la portée innovatrice de certaines œuvres contemporaines…

Laurent Diouf

Photos: D.R. / Variation
> http://variation.paris/

une autopsie de l’innovation

Après avoir piloté récemment deux expositions collectives — Go Canny, poétique du sabotage à La Villa Arson et Futurs Non Conformes dans l’espace virtuel du musée du Jeu de Paume — Disnovation.org est invité à son tour à exposer par Stéréolux, à Nantes en décembre. On y (re)découvre trois œuvres emblématiques conçues par ce groupe de travail initié par les artistes Nicolas Maigret et Maria Roszkowska qui dénoncent la « religion » de l’innovation.


Disnovation.org s’interroge en effet sur le retour du « techno-positivisme » que nous connaissons depuis l’arrivée du numérique, d’Internet et des nouvelles technologies; promesse d’une parousie scientiste (transhumanisme, singularité, etc.) et de dérives socio-politiques pourtant déjà pointées dès les années 50s par des penseurs comme Jacques Ellul (cf. La Technique ou l’Enjeu du Siècle, 1954). Une techno-mythologie dont le monde de l’art n’est malheureusement pas exclu. En extrapolant des données et des situations, les installations de Nicolas Maigret et Maria Roszkowska démontrent (et démontent) par l’absurde cette « propagande de l’innovation ».

Première illustration vis-à-vis de la supplantation de l’homme par la machine et l’intelligence artificielle avec Predictive Art Bot (développé avec le concours de Jérôme Saint-Clair). Ce dispositif algorithmique met en scène des mots-clefs piochés au hasard de l’actualité sur différents sites. Associés, ces mots-clefs sont ensuite proposés comme source d’inspiration possible. La liste de ces concepts potentiels s’affiche sur Twitter, comme des appels à projets libres de droits dont les artistes peuvent s’emparer.

Blacklists est également une œuvre s’appuyant sur Internet. Comme son titre l’indique, il s’agit bien d’une liste noire. Un inventaire d’adresses de sites tendancieux ou illégaux. Des millions de références compilées dans 13 ouvrages de 666 pages chacun… Une recension comparable à l’Enfer des bibliothèques… Une plongée dans le « darknet » qui donne le vertige. La troisième installation a été conçue avec Clément Renaud et Hongyuan Qu. Baptisée Shanzhai Archeology, elle met en lumière toute une collection de téléphones portables made in China dont le design, les fonctionnalités et parfois la finalité (rasoir, taser…), sont éloignés des standards occidentaux; révélant ainsi un autre imaginaire des techniques…

Outre le traditionnel vernissage, la soirée d’ouverture de cette exposition, le jeudi 30 novembre, propose une autopsie de l’idéologie de l’innovation sous forme de conférence qui sera animée par Benjamin Gaulon, Marie Lechner et Clément Renaud, et suivie par une performance A/V de Nicolas Maigret et Brendan Howell : The Pirate Cinema. Un collage de courts extraits de films qui matérialisent le flux des téléchargements. C’est l’interception en temps réel des échanges entre les utilisateurs du circuit de peer-to-peer (BitTorrent) qui fournit la matière vidéo à cette intervention.

Disnovation.org, vernissage jeudi 30 novembre, exposition du 1er au 17 décembre, Stéréolux, Nantes
Infos https://www.stereolux.org/agenda/nicolas-maigret-marie-roskowska-disnovationorg