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biennale internationale des arts numériques

La version 2021 de Némo, biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France est annoncée pour cet automne, jusqu’au tout début de l’année prochaine. Comme les éditions précédentes, cette manifestation affiche une programmation pléthorique (ce n’est pas péjoratif) qui se distribue sur plusieurs lieux — à commencer par le CentQuatre, pivot de cet événement, ainsi que l’ENS Paris-Saclay, l’esplanade de la Défense, le Centre Wallonie-Bruxelles… — et événements associés. C’est Passengers, l’œuvre nomade de Guillaume Marmin qui servira de trait d’union entre les trois principaux pôles de cette édition.

Guillaume Marmin, Passengers. Photo: D.R.

Le sous-titre de l’exposition principale, Au-delà du réel ?, donne le ton : entre science-fiction et exploration de l’invisible, expériences sensorielles et performances sonores, la programmation réunira des artistes qui font œuvre de phénomènes astrophysiques, magnétiques, chimiques, nucléaires, mais aussi sociétaux, économiques, sociologiques et produisent de nouvelles cartographies du « réel » par la matérialisation de l’imperceptible.

Impossible de lister toutes les installations et performances qui sont proposées. On se contentera de signaler La Ligne rouge de Filipe Vilas-Boas & Guillaume Hutzler. Un projet d’augmentation technologique d’une barrière de sécurité qui fonctionne un peu comme un escape game. Atotal, nouvelle création du spectacle musical de Franck Vigroux et Antoine Schmitt dans le cadre d’un week-end Blade Runner. Franck Vigroux sera aussi présent à la Philharmonie de Paris pour Le Grand Soir Numérique aux côtés de Kurt d’Haeseleer, et à la MAC de Créteil pour la conclusion de son tryptique Forêt.

Schnitt, ScanAudience. Photo: D.R.

On notera aussi la conférence performée de Yvain Julliard (Cerebrum, le faiseur de réalité). La performance « magique » du metteur en scène et vidéaste Clément Debailleul (Cie 14:20), (Æon). Dead Center avec l’intervention de Jack Gleeson autour du transhumanisme (To Be a machine). L’incontournable Ryoichi Kurokawa (subassemblies) et, dans un autre registre, le live-set « total » de Max Cooper (Yearning for the infinite) ainsi que la B.O. électronique de la capture et réutilisation des données audio et biométriques du public par le collectif Schnitt (ScanAudience).

> du 9 octobre 2021 au 9 janvier 2022
> https://www.biennalenemo.fr/

cultures électroniques et arts numériques

Le rendez-vous international des arts numériques et des musiques électroniques organisé par Stereolux à Nantes aura lieu du 9 au 19 septembre. Cette 19e édition est portée par Hyper Nature, soit près d’une vingtaine d’installations qui reflètent les préoccupations et actuelles. En premier lieu, l’urgence climatique et les questions liées à l’environnement.

Les plantes sont au centre de plusieurs dispositifs. Au travers de son installation qui mêle vidéo et réalité augmentée, Elise Morin cherche à percer le secret de la résistance à la radioactivité de certaines plantes (Spring Odyssey). Mené en collaboration avec des biologistes de la NASA, que le sujet intéresse en vue de futures conquêtes spatiales au long cours, ce projet se base sur la végétation de la fameuse forêt rouge qui borde Tchernobyl…

Sabrina Ratté a élaboré un conservatoire virtuel où l’on entre-aperçoit des échantillons d’espèces végétales disparues (Floralia). À l’heure où les occidentaux obèses ou végétariens se gavent de spiruline (initialement élaborée pour combattre la malnutrition au Sahel, faut-il le rappeler), l’installation de Cécile Beau intitulée Soleil Vert se passe de commentaires…

Le phénomène des cryptomonnaies est mis en scène par Anna Ridler avec Mosaic Virus qui met en parallèle les données de 10000 tulipes (qui renvoient au premier crash spéculatif de l’histoire au XVIIe siècle aux Pays-Bas) avec les fluctuations du Bitcoin. Justine Emard fait le lien entre les abeilles et la fragilité de notre écosystème avec une installation basée sur un système de machine learning (Supraorganism). Le duo HeHe illustre simplement, mais efficacement, l’asphyxie qui menace notre planète en projetant de la poussière fluorescente sur un globe terrestre en mouvement (Laboratory Planet II).

Barthélemy Antoine-Lœff a recréé en miniature un glacier artificiel (Tipping point). Une illustration de la disparition de celui d’Okjökull, en Islande en 2014 ; premier glacier évaporé suite au réchauffement climatique dû aux activités humaines. L’eau (Laura Colmenares Guerra), la pollution lumineuse (Pepa Ivanova) ou bien encore les mouvements électro-magnétiques (Claire Williams) sont, entres autres, aussi mis en avant.

Pour les performances et le volet musical, on note en particulier la présence de Tim Hecker, Bird Signals For Earthly Survival, Para One, Alex Augier & Heather Lander, High Tone… Ateliers, ciné-mixes, workshops et rencontres complètent cette programmation.

> du 09 au 19 septembre, Stereolux, Nantes
> https://www.stereolux.org/scopitone-2021

quitter la gravité

Si vous n’avez ni le budget, ni l’envie, de vous envoyer en l’air avec Richard Branson, Elon Musk, Jeff Bezos et consorts, vous pouvez néanmoins Quitter la gravité avec l’équipe du Tetris au Havre jusqu’au début du mois de septembre.

Associée à l’Espace multimédia Gantner pour sa 5e édition, cette manifestation est structurée autour d’une exposition collective et 100 % féminine qui regroupe des œuvres de Jingfang Hao, Marie Lienhard, Silvi Simon, Tabita Rezaire, Cécile Babiole, Christina Kubisch, Vivian Caccuri, Linda Sanchez, Félicie d’Estienne d’Orves, Joyce Hinterding…

Comme le titre l’indique, leurs créations interrogent la notion de gravité, d’invisibilité au sens propre comme au figuré, avec des propositions poétiques, politiques et ludiques. Entre art sonore et expérience VR, dispositif symbolique et histoire parallèle, les pièces et installations proposées se jouent des sens et des éléments.

Contexte oblige, les visites sont gratuites, mais nécessite une inscription préalable. Plusieurs formules sont possibles (visite sensorielle, visite contée, visite créative, visite gadget, visite conférence). Des rencontres, des performances (Robert La Rousse), un fablab et des tables rondes sont également au programme.

> jusqu’au 5 septembre, Le Tetris, Le Havre
> https://festivalexhibit.fr/

 
Il fut un temps où l’on parlait d’afro-futurisme. C’était au siècle dernier, au creuset de musiques électriques, de science-fiction et de peinture valorisant l’Afrique moderne ; si ce n’est post-moderne… Cette thématique est toujours d’actualité et s’est enrichie depuis des questions civilisationnelles nées avec le nouveau millénaire (écologie, numérique, etc.). Et l’Afrique offre toujours un point de vue décentré (pour les Occidentaux…) pour questionner l’avenir et les récits du futur. L’écrivaine afro-américaine Octavia Estelle Butler, morte en 2006 en ayant laissé derrière elle des écrits de SF, proposait le terme d’histo-futuriste pour définir quelqu’un qui regarde vers l’avant sans tourner le dos au passé, combinant un intérêt pour l’humain et pour la technologie.

C’est dans cet esprit que la commissaire d’exposition Oulimata Gueye a invité des artistes du continent qui, à partir d’une approche critique de la notion de futur, se demandent de quels savoirs et de quelles histoires nous avons besoin pour imaginer les mondes de demain. Nous avons un aperçu de ces « histoires parallèles » au travers de l’exposition intitulée l’Université des Futurs Africains qui se tient jusqu’au 29 août au Lieu Unique à Nantes, avec DK Osseo-Asare & Yasmine Abbas, Larry Achiampong, Lo-Def Film Factory (Francois Knoetze & Amy-Louise Wilson), Hamedine Kane & Stéphane Verlet-Bottéro, Nolan Oswald Dennis, Tegan Bristow, Nhlanhla Mahlangu, Philisiwe Dube, Russel Hlongwane, Ångelo Lopes & Rita Raínho, Kapwani Kiwanga, Tabita Rezaire, Jean Katambayi Mukendi, Jean-Pierre Bekolo, Afrotopiques (Marie-Yemta Moussanang)…

Pour abolir symboliquement la distance entre le lieu de l’exposition et le continent africain, un espace conçu par les architectes DK Osseo-Asare & Yasmine Abbas est installé au sein de l’exposition. Consacré à la construction d’un savoir commun, il fonctionne comme un lieu utile, un laboratoire, un espace de rencontres, de travail, de performances, une université d’éducation populaire. Cet événement s’inscrit dans le cadre de la Saison Africa2020 pilotée par N’Goné Fall, dont la tenue a été reportée en 2021 à cause de la pandémie de Covid19.

> jusqu’au 29 août, Le Lieu Unique, Nantes
> https://www.lelieuunique.com

Par les rêves…
Le rendez-vous annuel de la création au Fresnoy – Studio national

Nous n’avons pas fini de rêver. Pour le plus grand bonheur des psy et des artistes. Pour le malheur du temps… Le rêve, ou plutôt les rêves structurent la thématique du 23e rendez-vous annuel de la création du Fresnoy – Studio national qui se tiendra cet automne jusqu’à la fin de l’année. Ce qui vous laisse le temps, justement, de re-lire Le temps et le rêve de JW Dunne…

Gregor Božič, Monuments aux arbres tombés. Installation, 2021. © Gregor Božič

Comme le souligne Olivier Kaeppelin, commissaire de l’exposition, les films ou les installations de Panorama 23, utilisant le dessin comme l’art électronique, la sculpture, comme la réalité virtuelle, la théorie comme la poésie, ne cèdent jamais aux complaisances de l’idéologie, pour mettre en crise le monde avec lequel ils « débattent ». Ils se démarquent des discours rhétoriques et des slogans. Ils se détournent de cette économie du sens pour nous proposer de penser « par le rêve ». Ils côtoient, avec une grande liberté, les utopies littéraires ou scientifiques.

Les propositions artistiques se structurent sur quatre modalités. En premier lieu dans des face-à-face avec la présence humaine [où] le regard suit une ligne horizontale. […] Ils sont présents dans les photos, les dessins, les vidéos, les peintures, les performances ou ils nous échappent déclinés dans de multiples dimensions de l’espace grâce aux créations numériques.

Certaines invitent le regard à se lever sur le lointain. Dans d’autres travaux, la vision s’élève, se perd… C’est l’univers des fosses océaniques, des sonars, des réseaux ou encore de la fascinante matière noire. D’autres encore supposent un présent non-observale, théorique, présupposé par la mémoire des archives, les « datas », les modélisations, le calcul. Il est le fruit d’hypothèses conceptuelles, grâce à des jeux entre des cellules imperceptibles, entre les ondes et les particules. L’intrigue se manifeste par des cartographies, des encodages, des saisies systémiques ou des suppositions mathématiques.

Isabella Hin, Fight or Flight. Film, 2021. © Isabella Hin

Exposition avec Amélie Agbo, Judith Auffray, Guillaume Barth, Moufouli Bello, Olivier Bémer, Younes Ben Slimane, Santiago Bonilla, Ghyzlène Boukaïla, Gregor Božič, Alice Brygo, Emanuele Coccia, Anaïs-Tohé Commaret, Guillaume Delsert, Juliette Dominati, Vincent Duault, Rony Efrat, Elliot Eugénie, Joan Fontcuberta, Faye Formisano, Charles Fosseprez, Dora García, Julián García Long, Vera Hector, Isabella Hin, Che-Yu Hsu, Dorian Jespers, Olivier Jonvaux, Yongkwan Joo, Lina Laraki, Samuel Lecocq, Lefebvre Zisswiller, Lou Le Forban, Gohar Martirosyan, Kendra McLaughlin, Joachim Michaux, Magalie Mobetie, Lou Morlier, Toshihiro Nobori, Daniel Peñaranda Restrepo, Laure Prouvost, Chuxun Ran, Céleste Rogosin, Stéphanie Roland, Anhar Salem, Inès Sieulle, Marie Sommer, Ana Elena Tejera, Guillaume Thomas, Louise Tilleke, Minh Quý Truong,  Janaïna Wagner, Agata Wieczorek, Malte Zander, Yunyi Zhu

Il est précisé que le premier étage de la grande Nef du Fresnoy sera, durant l’exposition un lieu d’ateliers, de lectures, de discussions de convivialité et de partage…

> Panorama 23, le rendez-vous annuel de la création au Fresnoy – Studio national
> du 24 septembre au 31 décembre, Le Fresnoy, Tourcoing
> https://www.lefresnoy.net/

Daniel Peñaranda Restrepo, Ciuda sin sueño (titre provisoire). Film, 2021. © Daniel Peñaranda Restrepo

De la tulipe à la crypto marguerite

Deux récents évènements viennent donner un relief singulier à l’exposition d’œuvres axées sur les crypto-monnaies qui se tient jusqu’au 20 mars à l’Avant Galerie Vossen dans le 3e à Paris. Tout d’abord l’intérêt renouvelé du fantasque Elon Musk (Tesla, Space X) pour le Bitcoin, et dans une autre mesure le Dogecoin, entraînant dans son sillage de nombreux remous financiers. Ensuite le récent « hold-up » de pirates boursicoteurs, réunis sur un forum du site communautaire Reddit qui ont jeté leur dévolu sur les actions de la chaîne de jeu vidéo américaine Gamestop, contrecarrant ainsi le plan des loups de Wall Street, torpillant des fonds d’investissement et obligeant les autorités financières, dépassées cette rébellion 2.0, à bricoler en urgence de nouvelles règles du marché…

Les crypto-monnaies et les échanges financiers appliqués au monde de l’art sont donc au cœur de cette exposition qui retrace aussi, comme son intitulé le laisse deviner, l’histoire de la spéculation. C’est en effet autour de la tulipe, plus exactement du commerce de ses bulbes, que s’est cristallisé le premier phénomène spéculatif de l’histoire. Nous sommes en Hollande bien évidemment, au XVIIe siècle, lorsque la machine se met en branle. Rapidement les prix s’envolent jusqu’à atteindre des valeurs stratosphériques : à l’apogée de cet emballement  « hors sol », un bulbe vaut l’équivalent d’une ou deux maisons ou quinze ans de salaire d’un artisan. Et ce qui devait arriver, arriva : le cours de la tulipe s’effondre en quelques semaines, en 1637, dans un pays par ailleurs ravagé par la peste bubonique…

Autre temps, autre épidémie. Depuis, ce scénario s’est répété, amenant à chaque fois des variantes, renouvelant l’expérience avec une multitude de denrées, de ressources, de produits, de titres… Mais le symbole de la tulipe est resté et de nombreux artistes réunis ici ont pris cette fleur comme sujet, soulignant selon les supports, matières ou protocoles mis en œuvre, la vacuité et la fragilité de ces acrobaties financières. C’est le cas, pêle-mêle, de Louise Belin (Tout doit disparaître), de Mona Oren (Wax Tulip Mania, un parterre de tulipes en cire noire et blanche), du bien nommé Denis Monfleur ou d’Anna Ridler (Mosaic Virus, une installation vidéo dont l’extrait du dataset présenté ici offre un aperçu des milliers de polaroïds qu’elle annote scrupuleusement et qui servent aussi de base de données pour l’apprentissage algorithmique de… la reconnaissance de la tulipe).

D’autres œuvres, relevant ou non de l’art numérique, partent sur d’autres pistes à l’exemple de Prosper Legault et son enseigne qui joue sur la duplicité sémantique du mot « change » (échange / changement), alignant sur le côté un inventaire à la Prévert qui se déroule comme la promesse « bonnes résolutions » (« Change » de sexe, de quartier, de mentalité, de climat, de crèmerie, de curateur, d’argent…). En 2014, la revue MCD avait justement publié un numéro intitulé Changer l’argent. Détail : à l’époque, 1 Bitcoin cotait seulement 400€… En parallèle du crypté et du virtuel, il y était aussi question de « fausses monnaies » plus vraies que nature quant à leur raison d’être (Agliomania, Gibling, Livre Lewes, Knochen, Afro…).

Jade Dalloul avec sa série Brand Currency — qui reprend les codes graphiques des billets de banque en substituant comme illustration le logo de grands groupes avec leurs patrons en effigie — s’inscrit parfaitement à la suite de ces démarches artistiques générant des utopies monétaires. Ce qui a vraiment changé, par contre, depuis la publication de cette édition, c’est bien la place du marché. Plus précisément, la question de l’achat et de la vente d’une œuvre d’art numérique ; question centrale avec, à l’autre bout du spectre, la problématique de la conservation.

Jade Dalloul, Brand Currency. Photo: D.R

Une œuvre d’art numérique pouvant être un objet « dématérialisé » (un simple fichier dans le cas du net-art par exemple) et/ou être reproductible à l’infini, alors que pour l’Ancien Monde la valeur financière est indexée au caractère unique et à la possession physique, cela invite forcément à une redéfinition des conditions de transaction. L’arrivée des crypto-monnaies offre, spécifiquement pour l’art numérique, une solution adaptée. L’idée n’est pas tant d’acheter des œuvres avec des Bitcoins ou autres, même si cela est désormais possible dans de nombreux lieux — à commencer, logiquement, par l’ Avant Galerie Vossen où se tient cette exposition — mais de transposer et d’appliquer la technologie du blockchain à une œuvre d’art.

Le code algorithmique (blockchain) assure l’identité, l’authenticité et la propriété de l’œuvre. C’est cela que l’on achète et non pas l’œuvre elle-même qui peut ainsi continuer à être dupliquée sans perdre, pour l’acheteur, son caractère unique et sa valeur. La certification de l’algorithme la rend non-interchangeable. Par définition, cela devient un bien non-fongible  (NFT, non-fongible token). Traçables grâce au blockchain, les œuvres virtuelles ou dématérialisées subissent ainsi un processus de réification qui permet aussi des reventes (le fameux marché secondaire) tout en assurant un pourcentage systématique sur la transaction à l’artiste. Ce droit de suite (un peu l’équivalent des royalties) étant automatiquement implémenté avec le blockchain.

Nous assistons en fait à la naissance du « crypto-art », dont les babillements datent seulement de quelques années. Les premières transactions de ce genre remontent notamment aux CryptoKitties, les chats virtuels échappés du jeu en ligne éponyme en 2017. Et à en juger par les points rouge présent sur bon nombre d’œuvres présentées à cette exposition, cette expérience transactionnelle séduit. Qui plus est, l’artiste Albertine Meunier propose chaque samedi, sur inscription, un atelier historique et pratique sur le crypto-art. Une conférence animée par Victor Charpiat est également prévue sur ce thème. Satoshi Nakamato, le père putatif du Bitcoin dont le portrait peint par Ronan Barrot orne les murs de la galerie, doit sourire derrière son écran…

Laurent Diouf

De la tulipe à la crypto marguerite 
atelier (Albertine Meunier) + conférence (Victor Charpiat) + exposition avec Allbi, Bananakin, Robbie Barrat, Ronan Barrot, Louise Belin, Bleh, Fernando Botero, Bady Dalloul, Jade Dalloul, DataDada, Norman Harman, Denis Laget, Prosper Legault, Lulu xXX, Albertine Meunier, Denis Monfleur, Mona Oren, Paul Rebeyrolle, Anna Ridler, Robness, Milène Sanchez, Sylvie Tissot…

> jusqu’au 20 mars, Avant Galerie Vossen, 58 rue Chapon, 75003 Paris
(mercredi / samedi, 14h30 / 17h30)
> https://avant-galerie.com/

La notion de « code » est centrale aussi bien pour le vivant que pour le mécanique. Et les pratiques artistiques sont également soumises à sa loi. Plus largement, cette confrontation permet de nourrir le questionnement sans fin sur les défis civilisationnels qui se posent actuellement.

Éric Vernhes Horizon négatif. Photo : © Jean-Christophe Lett.

code quantum

L’exposition Code Is Law, visible sur rendez-vous au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, témoigne de ces interrogations au travers d’une dizaine d’œuvres rassemblées par Carine Le Malet — responsable de la programmation pour la Scène de recherche de l’ENS Paris Saclay, ancienne directrice de la programmation et de la création pour Le Cube – Centre de création numérique (2001-2020) — et Jean-Luc Soret — curateur indépendant, ancien responsable des projets nouveaux médias de la Maison Européenne de la Photographie (1999 – 2019), cofondateur du Festival @rt Outsiders (2000-2011).

Cet événement reprend le titre du célèbre article de Lawrence Lessig où ce juriste nous mettait en garde contre l’apparition d’un nouveau pouvoir « immatériel », mais tentaculaire et surpuissant : le code qui régit le cyberespace. Le code qui se déploie sans contre-pouvoir, qui n’obéit à aucun gouvernement. Le code qui fait loi, donc, autorisant ou non l’accès à l’information, rendant l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre…

Mais le code est aussi un levier qui soulève de nombreuses questions anthropologiques, esthétiques, socio-culturelles, politiques et philosophiques par rapport à l’omniprésence computationnelle… Un questionnement qui se fait ici par le biais de la distanciation artistique et poétique, au travers de démarches et créations transversales proposées par des artistes belges et internationaux qui résident tous à Bruxelles ou en Wallonie. Ce regard critique sur l’inéluctable transformation sociale, numérique et écologique, à la fois pleine d’espoir et de menaces, que nous subissons, reste néanmoins « bienveillant » (symbiocène), par opposition à une vision plus anxiogène (anthropocène).

Natalia De Mello, Machins Machines. Photo : © Jean-Christophe Lett.

machins machines

La musique obéit aussi à un code, ou plutôt à des codes, des gammes, des tonalités, etc. En formalisant des bruits sur le modèle de la musique, c’est-à-dire en les alignant sur une partition, Natalia de Mello a réalisé une sorte de fresque murale (Machins Machines). Un travail de marquerie qui laisse entrevoir, de près, des icônes et des fragments d’interface de logiciels. Le dispositif repose sur des boîtes suspendues comme des notes sur une portée stylisée. À l’intérieur, des petites enceintes qui diffusent des bruits de notre environnement quotidien. Dans un autre genre, AMI (2003-2005), la deuxième proposition de cette artiste, fait appel au sentiment d’empathie envers les machines, robots ou gadgets électroniques. Lointain héritage du Tamagochi tourné en dérision, l’effigie d’un homme se dresse comme une statue grecque affublée d’artefacts à des endroits choisis de son corps (visage, nombril, sexe, pieds…) pour contrôler ses réactions.

Mais lorsque l’on pense code au quotidien, on pense avant tout aux algorithmes du plus célèbre des moteurs de recherche qui nous livre des réponses orientées en fonction de notre profil et des datas collectées « à l’insu de notre plein gré ». En particulier si l’on utilise le raccourci, J’ai De La Chance. Pour mettre en exergue le « décor truqué » de Google, François de Coninck a opté pour une représentation à rebours des codes numériques. Il a en effet confié des captures d’écran des suggestions de recherche à Damien De Lepeleire qui les a reproduites sous forme d’aquarelles, avec une calligraphie presque enfantine et parfois des effets de délavés.

Il est également question de data avec Laura Colmenares Guerra qui nous offre un aperçu de son travail d’alerte sur la déforestation amazonienne et les problèmes socio-environnementaux qui minent cette partie du monde avec deux sculptures (sur une série de treize). Grâce à une imprimante 3D qui fonctionne avec de l’argile, elle réalise une matérialisation des données (topographiques, hydrographiques, etc.) et de leurs tracés, reflétant ainsi à un instant « t » l’état de deux sous-régions de l’Amazonie (Rios / Caqueta (Japura) & Juruá).

Laura Colmenares Guerra, Rios / Caqueta (Japura) & Juruá. Photo : © Jean-Christophe Lett.

mécaniques poétiques

Le code ultime se cache sans doute au cœur de nos cellules, enfoui dans notre ADN, dont les 4 éléments de base — thymine, adénine, guanine, cytosine (TAGC) — offrent un nombre presque infini de combinaisons. Cette loi s’applique à tout le vivant. Outre nos cousins chimpanzés avec qui nous partageons le plus de gènes, cela nous rend proches également d’un champignon ou d’un arbre. Ce qui permet à Antoine Bertin de s’amuser avec l’ADN de plantes et d’être humain pour composer de petites ritournelles à « deux mains » sur un piano mécanique qui laisse entrevoir ses entrailles (Species Counterpoint).

Deux mélodies se superposent, c’est un contrepoint. Puisque l’ADN est constitué d’une double hélice, Antoine Bertin met en parallèle les données biologiques issues des matières animales et végétales dont est constitué le piano (pour la main gauche) avec celles d’un humain (pour la main droite). Un processus de « sonification » transforme les données (l’ADN) en son (la musique). Le résultat est modulé selon des gènes qui articulent des fonctions primaires (respirer, ressentir, manger, se défendre, déféquer, se reproduire, dormir, mourir). Soit huit mouvements pour une symphonie hybride. Esthétiquement, ce piano trafiqué aux allures steampunk évoquera pour certains les mécaniques poétiques d’Ez3kiel conçus par Yann Nguema.

Autre pièce maîtresse de cette exposition : Spectrogrammes de Claire William. Si le métier à tisser est vieux comme le monde, celui perfectionné à Lyon par Jacquard au début du 19e siècle est considéré comme la toute première machine computationnelle dans la mesure où il utilisait des cartes perforées pour fonctionner, comme les orgues de Barbarie et les pianos mécaniques justement.

Pour son installation, Claire William a détourné un modèle beaucoup plus récent, en l’occurrence une machine à tricoter des années 70/80 sur laquelle elle a greffé un appareillage électronique qui capte les flux électromagnétiques environnants. Les ondes sont converties en signaux binaires pour « téléguider » le tricot. Il en résulte un entrelacs de mailles dont les motifs indiquent la signature électromagnétique du lieu. À noter que d’autres sources peuvent être aussi utilisées.

Antoine Bertin, Species Counterpoint. Photo : © Jean-Christophe Lett.

paysages géométriques

Changement de dimension avec Éric Vernhes. On replonge dans le monde des écrans avec des phrases simples, transcodées, transformées en idéogrammes dépouillés et abstraits. Inspiré par un poète japonais du 17e siècle, cette graphie évolutive très épurée est présentée dans de petits tableaux encadrés (Bashô). Éric Vernhes présente aussi des paysages géométriques générés aléatoirement. Le spectateur peut les moduler par sa présence ou par des gestes en se rapprochant de la caméra synchronisée sur chaque écran.

Ce dispositif emprunte son intitulé au titre d’un des ouvrages de Paul Virilio, Horizon Négatif. Disparu en 2018, le philosophe-architecte-urbaniste, grand prêtre de « la catastrophe qui arrive », a été traumatisé par la guerre et ses bombardements qu’il a subis enfant. Ce n’est pas un hasard si son premier ouvrage porte le titre fracassant de Bunker archéologie. Son analyse du monde moderne sous les prismes de la vitesse, de l’espace, des écrans, du cybermonde, de l’accident, reste fondamentale.

L’interaction est également au centre des projets d’Alex Verhaest. D’une part avec Sisyphean Games – Ad Homine. Un ensemble de jeux vidéo vintage qu’elle a détourné jusqu’à l’absurde, laissant le joueur hors boucle puisque ses mouvements sont vains : il n’a plus prise sur le scénario du jeu qui se répète à l’infini, le condamnant à un éternel recommencement comme Sisyphe. D’autre part — et surtout — avec Temps Morts / Idle Times qui se présente, au premier regard comme un « tableau-vidéo ». Les teintes et le rendu restent proches de la peinture bien qu’il s’agisse d’une projection sur écran géant. Un groupe de personnages est disposé autour d’une table, de face, symétriquement comme dans la Céne. Ils portent le deuil d’un père disparu, suicidé ou assassiné.

Imperceptiblement quelques détails nous intriguent. L’immobilité apparente est troublée par des mouvements (un clignement d’œil, le vol d’un papillon…), rappelant certaines œuvres de Bill Viola par exemple. Plus étrange encore, les personnages sont dédoublés. Ils cohabitent avec leurs clones, un peu plus âgés, comme échappés d’une autre dimension temporelle. On pourrait s’éterniser, se laisser hypnotiser par cette étrangeté. Mais nous avons la possibilité d’appeler un personnage ! Lorsque l’on compose un numéro donné, une sonnerie retentit « dans » le tableau. Le personnage central, un dénommé Peter, actionne son portable et une discussion s’engage entre les membres de cette drôle de famille…

archéologie du corps calculé

On revient au plus près du corps et du code avec deux performances programmées début mars, en clôture de l’exposition, si les conditions le permettent. Au travers d’une conférence performée, Jacques André mettra en exergue la rationalisation de nos corps bardés de plus en plus de capteurs et d’objets connectés qui nous auscultent en permanence, nous exhortant à une normalité clinique, à une auto-évaluation quasi permanente, à une compétition anatomique qui ne laisse presque plus de place à l’hédonisme (Mes Organes, Mes Datas).

Cette réification étant désormais bien installée et les technologies ayant évoluées, Jacques André se livre, au sens strict, à une véritable archéologie du corps calculé. Si le corps semble plus libre chez Jonathan Schatz, il s’exprime néanmoins dans un cadre plus contraint, plus numérique. Dialoguant avec un environnement qui mêle éléments visuels et sonores de facture très minimaliste, que l’on doit à Yannick Jacquet et Thomas Vaquié, cette œuvre chorégraphique d’une durée d’une vingtaine de minutes est une réinterprétation « codée » de musique et danse traditionnelle japonaise (Minakami).

Laurent Diouf

Code Is Law, exposition collective avec Jacques André, Antoine Bertin, Laura Colmenares Guerra, François De Coninck & Damien De Lepeleire, Natalia De Mello, Jonathan Schatz, Alex Verhaest, Eric Vernhes, Claire Williams.

> sur rendez-vous jusqu’au 28 février, au Centre Wallonie-Bruxelles, 127-129 rue Saint-Martin, Paris.
Performances de Jacques André (Mes Organes Mes Datas) et Jonathan Schatz (Minakam), le samedi 6 mars (sous réserve des contraintes sanitaires)

> https://www.cwb.fr/agenda/code-is-law-exposition-collective

exposition digitale au Togo

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, correspondance en deux parties depuis Lomé.

Marché de Gbossimé. Photo: D.R.

En 20 ans de pratique de commissariat art et jeu vidéo, j’ai beaucoup travaillé en Europe, au Canada, aux États-Unis ou en Australie et la plupart du temps, j’ai présenté des œuvres ou des jeux provenant de pays occidentaux. C’est de ce constat qu’est né mon Tour du Monde Art et Jeu Vidéo, initié en juin 2019. De la nécessité de décentrer mon point de vue en tant que commissaire d’exposition et de dépasser les barrières de langage qui empêchent bien souvent la rencontre et la découverte avec des œuvres non traduites en anglais ou en français.

C’est pourquoi j’ai décidé de partir à la rencontre et d’interviewer des artistes et des game makers, mais aussi des activistes en me focalisant sur les pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle au monde et façonne notre manière de percevoir le réel. L’émancipation des femmes, des personnes transgenres et des populations issues de pays anciennement coloniaux est encore jeune et se révèle fragile. C’est pourquoi j’ai décidé de promouvoir et d’encourager les pratiques luttant contre les stéréotypes de genre, de sexualité, d’origine ethnique ou de représentation centrées sur l’Occident.

« Protégeons nous! », un machinima de Roger Agbadji. Photo: © Roger Agbadji

J’étais au Ghana en train de poursuivre mon tour du monde art et jeu vidéo lorsque la pandémie a poussé la plupart des états à fermer leurs frontières. J’avais le choix entre être rapatriée en France, ou rester en Afrique. J’ai alors fait le pari de rester et de passer au Togo, juste avant que le Ghana ne ferme ses frontières terrestres. Depuis le mois de mars, je réside à Lomé. Le Togo, quoi qu’assez peu touché par le Coronavirus a très rapidement imposé un couvre-feu de 20h à 6h du matin, fermé ses routes principales et ses frontières. Les écoles ont été fermées et le port du masque rendu obligatoire.

D’abord un peu dans l’expectative par rapport à mon tour du monde qui de fait, se trouvait à l’arrêt et perdait de son sens en temps de pandémie, je me suis tout doucement remise à réaliser des interviews d’acteurs et d’actrices du numérique ou du jeu vidéo, mais cette fois-ci en ligne. Cette nouvelle impulsion a été initiée par l’Institut français du Togo qui m’a commandé plusieurs portraits vidéo de game designers en Afrique. C’est ainsi que j’ai interviewé en ligne Sename Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue de formation, car j’avais entendu parler de l’exposition « Lomé + » dont il est le commissaire et d’un jeu en réalité augmentée conçu à cette occasion.

« LOMÉ + », une exposition digitale pour découvrir Lomé au passé, présent et au futur

« Lomé + » est une exposition qui devrait ouvrir prochainement ses portes au Palais de Lomé, la date de réouverture dépendant de l’évolution de la pandémie. C’est un projet digital pour présenter la ville de Lomé depuis ses origines, mais aussi pour donner une vison de ce que Lomé pourrait être demain. Dans « Lomé + », la section jeune public se présente sous la forme d’une installation immersive à l’intérieur d’une alcôve : la Grotte de Paul Ahyi. « Le plus grand artiste que ce pays ait jamais produit, auteur du monument sur la place de l’indépendance à Lomé, du drapeau togolais et d’œuvres qui ornent les hôtels les plus prestigieux de la ville. Il est donc possible de concevoir un parcours dans la ville pour suivre le travail de l’artiste et on en a fait un jeu pour les enfants. »

L’histoire du jeu tourne autour d’un amoureux de l’œuvre de Paul Ahyi, qui aime tellement son travail qu’il fait le tour de la ville pour voler un fragment de chacune de ses œuvres afin de reconstituer une mini exposition à l’intérieur d’une grotte. Au mur de la grotte sont accrochés les fragments de chacune des œuvres. Lorsque l’on rentre dans la grotte munie d’une tablette, on doit retrouver les fragments et les assembler avec les bonnes œuvres. Et quand on y parvient, l’œuvre elle-même apparaît en réalité augmentée sur l’écran. La grotte de Paul Ahyi a été réalisée avec Pierrick Chahbi qui a fondé Wakatoon, une start-up française qui transforme un coloriage en dessin animé et le Woelab.

« Le Baiser » de Paul Ahyi à l’Hôtel de la Paix à Lomé. Photo: D.R.

Dans le parcours de « Lomé + » on passe par le passé, le présent et le futur de la ville de Lomé au travers de QRode. Il n’y a aucun texte dans l’exposition, il est obligatoire d’avoir un téléphone. Lorsque l’on rentre dans l’exposition, la première œuvre est une installation de fibres végétales au sol, en alotime, l’arbre avec lequel on fait les cure-dents, et dont le nom a donné celui de la ville de Lomé. « On rentre dans l’expo et immédiatement on a l’impression de marcher dans une forêt. » Une commande faite à l’artiste Kokou Nouwavi, artiste plasticien et responsable de la Case des Daltons. Un lieu atypique à Lomé, où sont organisés des concerts, des expositions, des rencontres. Un lieu conçu comme un village, un village dans la ville. Parce que comme le dit souvent Sename, le village, ça marche, il y a une cohésion et une entraide qui n’existent pas dans la ville.

La case des Daltons. Photo: D.R.

Le présent est illustré par la fresque documentaire en 6 chapitres commandée à l’artiste réalisateur et rappeur Elom 20ce, Aux Impossibles Imminents. Chaque vidéo suit une des figures de la ville et nous raconte son histoire. « C’est un prétexte pour montrer la ville, l’expliquer et en faire connaître des aspects méconnus. La vidéo consacrée à l’artiste musicienne Kezita se passe beaucoup sur la plage et c’est une manière pour nous de parler de l’érosion côtière, des enfants de la rue, des femmes qui dorment sur la plage la nuit parce qu’elles viennent travailler depuis les villages et ne rentrent chez elles que le weekend.»

L’exposition se termine avec les photos de Silvia Rosi, photographe togolaise, basée à Londres, autour du « Sihin », le mot Ewe pour l’anneau de tissu que les femmes porteuses mettent sur leur tête afin de la protéger et de stabiliser la charge. « Ma grand-mère était vendeuse au marché d’Assigame à Lomé. Après avoir perdu la vue à la fin de la quarantaine, elle a été forcée de quitter le métier. J’adore regarder son Sihin », confie la photographe.

Lomé une cité féminine

Cela permet de parler des femmes, qui sont une des caractéristiques de la ville, car Lomé est une des seules villes en Afrique où il y a plus de femmes que d’hommes. La ville de Lomé a même été fondée par des femmes : les nanas Benz, ces femmes d’affaires togolaises qui ont fait fortune avec la distribution du Wax dans toute l’Afrique. Ces femmes ont joué un grand rôle à plusieurs moments de l’histoire de Lomé. « Une ville construite par les femmes, politiquement, économiquement… » rappelle Sename.

Séname présente aussi dans l’exposition une installation où il met en scène ce qu’il imagine pour le futur de la ville. « C’est une mise en espace de ce qu’on fait à Lomé avec les Woelabs. Notre tentative de bricoler la smart cité en créant des lieux d’innovation qui transforment la ville . » C’est sa première exposition en tant que commissaire qui lui a été commandée en raison de son engagement dans les Woelabs. Pour cette exposition, le Woelab a développé l’application de navigation dans l’exposition, ainsi que le jeu en Réalité Augmentée. Il s’avère, en effet, qu’en interviewant Sename, c’est tout l’éco-système numérique du Togo que je découvre.

Un écosystème fondé au départ sur une vision forte. Celle d’un territoire connecté, prenant le contre-pied de la smart cité traditionnelle qui se développe souvent dans une logique utilitariste, et en dépit des populations. Ici il s’agit au contraire de créer des espaces d’innovations à l’échelle des quartiers dans un esprit de « démocratie technologique ». Pour mieux appréhender le projet des Woelabs et entrer en contact avec l’éco-système numérique Togolais, en temps de coronavirus, je me suis rendue dans un des espaces, le Woelab 0, situé entre un marché et le ghetto, proche d’une déchetterie à ciel ouvert et en bordure de rails de chemin de fer. C’est mon immersion à l’intérieur des fablabs à Lomé que je vous ferai découvrir dans une seconde partie de cette chronique.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

Ce que les machines nous apprennent

Une révolution copernicienne… C’est ce à quoi nous invitent en substance les commissaires de l’exposition Human Learning, Alain Thibaut (Elektra) et Dominique Moulon. Avec un constat : depuis les années 50s avec l’émergence de la notion d’Intelligence Artificielle, jusqu’aux années 2000 avec le développement du deep learning, qui arrive après celui du machine learning dans les années 80s, nous nous rapprochons de la toute-puissance des machines promises à « penser » et à agir de manière autonome.

Nous n’y sommes pas encore, mais ce n’est plus de la science-fiction : c’est devenu un objectif tangible pour l’industrie dans de nombreux domaines. Sans verser prématurément dans une dystopie à la Terminator, on peut néanmoins considérer que le mal est fait… Et en retour, s’interroger sur ce que les machines peuvent désormais nous apprendre. Sur ce plan, les artistes (mais ce ne sont pas les seuls) ont appris à utiliser, à détourner, parfois à regarder agir ou à transfigurer les technologies du numérique. Démonstration au travers de cette exposition qui rassemble une quinzaine d’œuvres singulières.

Justine Emard, Soul Shift. Photo: D.R.

Le dialogue qui se développe entre robots humanoïdes sur écran géant est à cet égard assez troublant. Soul Shift (2019) de Justine Emard nous présente ainsi un monde où l’homme est hors boucle. Les machines se sont déjà affranchies de l’aventure humaine pour vivre selon leurs propres codes. Elles découvrent l’empathie et l’altérité « duplicable ». Nous ne pouvons que les regarder. Et apprendre justement… Autre histoire de robot, anthropomorphique, moins sophistiqué sur le plan technologique, mais tout aussi riche d’enseignements symboliques, avec les pérégrinations de Chun Hua Catherine Dong (In Transition, 2018). L’           artiste met en scène ce robot comme un compagnon de voyage au long cours en le photographiant dans des mises en scène étonnantes par leur banalité apparente (sur le bord d’une route, en haut d’une dune de sable, dans un champ…).

Louis-Philippe Rondeau, Liminal. Photo: D.R.

L’installation la plus ludique est sans conteste Liminal (2018) de Louis-Philippe Rondeau. C’est un arc métallique qui renferme un dispositif de caméra couplé à un effet déformant. Le visiteur est invité a passé sous cette arche et voit son image déformée qui défile sur écran, comme son double projeté dans une autre dimension. Samuel St-Aubin mise sur la précision des gestes mécaniques avec son installation robotique Prospérité (2017). Reprenant le principe d’une table traçante, ce dispositif ordonne inlassablement des grains de riz avec une perfection géométrique. Le spectateur observe patiemment l’alignement implacable de ces petits points blancs sur fond noir.

Samuel St-Aubin, Prospérité. Photo: D.R.

Matthew Biederman préfère les couleurs vives avec Interference (2018). Son installation lumineuse générative ressemble, de loin, à un entrecroisement de néons. Mais l’entrelacs des couleurs qui ondulent suggère un dispositif beaucoup plus complexe. Réalisée dans le cadre d’une résidence, cette œuvre s’inspire de l’expérience de la « double fente » que Thomas Young a menée en 1801 pour démontrer la nature ondulatoire de la lumière. Beaucoup de couleurs également dans Morphogenerator (2018), une autre installation vidéo, générative et multicanal, de Matthew Biederman qui se réfère ici aux travaux d’Alan Turing sur le phénomène de morphogénèse. Sur les écrans, les motifs colorés se mélangent comme sous l’effet d’un kaléidoscope et se combinent dans des articulations sans fin au pouvoir hypnotique.

Matthew Biederman, Interference. Photo: D.R.

Grégory Chatonsky s’appuie pour sa part sur les études d’Adam Schneider et William Domhoff. Ces chercheurs à l’Université de Californie ont consigné près de 20000 rêves en faisant appel à des témoignages. L’idée est d’associer ces récits à des images mises à disposition dans une base de données et dans laquelle une Intelligence Artificielle va puiser pour générer à son tour des rêves… L’installation The Dreaming Machine (2014-2019) en offrant une sorte de « précipité multimédia » d’où émergent sculptures et vidéos. D’autres illustrations de cet apprentissage par les machines sont également à découvrir au travers des œuvres de Xavier Snelgrove & Mattie Tesfaldet, Émilie Brout & Maxime Marion, Olivier Ratsi, Sabrina Ratté, David Rokeby, Skawennati, Douglas Coupland et Émilie Gervais.

Laurent Diouf

Human Learning, exposition jusqu’au 17 avril, Centre Culturel Canadien, Paris
> https://canada-culture.org/

Les intelligences simulées

Exposition dans le cadre de Mutations / Créations 4 (Centre Pompidou + Ircam). Mise en perspective des créations les plus contemporaines, innovations technologiques comme applications industrielles, dans une forme d’archéologie de l’intelligence artificielle, sur une période d’une cinquantaine d’années. Commissaire : Frédéric Migayrou, avec la collaboration de Camille Langlois. Déclaration d’intention :

Greg Dunn, Self Reflected, 2016. Photo : D.R.

À l’heure où l’intelligence artificielle s’étend à tous les domaines du monde contemporain, le Centre Pompidou propose pour la première fois, avec Neurones, les intelligences simulées, une mise en relation de ce phénomène avec l’histoire des neurosciences et de la neuro-computation.
L’exposition déploie cinq grands axes de recherche, chacun présenté et défini par des champs de références historiques sous forme de graphes permettant la mise en correspondance chronologique des innovations et des créations. Le parcours s’amorce avec les représentations et les images qui constituent l’imaginaire collectif de la vie cérébrale, en les opposant à la recherche dans le champ de l’imagerie numérique et à l’idée d’un cerveau artificiel.
Un deuxième chapitre met en exergue l’intérêt constant des fondateurs du domaine computationnel pour les jeux, jusqu’à l’expérience ultime de la confrontation homme / ordinateur à travers la défaite du joueur d’échecs Kasparov face au logiciel Deep Blue.
Plus loin, un cyber-zoo abrite les tortues électroniques de Walter Ross Ashby et de Grey Walter, la souris de Shannon et le renard électronique d’Albert Ducrocq, présentés comme les ancêtres des objets pilotes et de la voiture autonome. Une section est consacrée aux investigations neuroscientifiques, touchant aux fantasmes de la manipulation des consciences et de l’extension des capacités cognitives.
Enfin, la dernière partie s’intéresse au phénomène de Deep Learning, soit le traitement de très grandes quantités d’informations par de nouveaux types de réseaux neuronaux, en relation avec une archéologie des arbres et des schémas, des classifications ayant à toute époque organisé nos compréhensions du savoir et des connaissances.

> du 26 février au 20 avril, Centre Pompidou, Paris
> https://www.centrepompidou.fr/