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Retour sur la 15e édition du festival Gamerz

Pour ceux qui ont connu les années 80s, c’est un grand flash(back) qui les attend en poussant la porte de la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence où se tient Digital / Alter, l’exposition centrale de la 15e édition du festival Gamerz. Sur une table, juste en entrant, trônent quelques téléphones orange à touches et des minitels marron. À l’époque, l’idée qu’un réseau planétaire et des smartphones allaient profondément modifier notre rapport au monde relevait encore de la science-fiction… Depuis, cette modernité télématique est devenue vintage, propice à une archéologie des médias. C’est la démarche du PAMAL_group qui, avec cette installation intitulée 3615 Love, a ressuscité des oeuvres appartenant à la protohistoire de l’art numérique comme les Videotext Poems conçus par Eduardo Kac en 1985-86.

PAMAL_group, 3615 Love

Continuant notre déambulation dans ce lieu exceptionnel, nous passons devant la vidéo de Julius von Bismarck, A Race For Christmas, qui nous laisse un peu pantois, mais il faut dire que nous n’avons jamais focalisé sur un cheval fut-il déguisé en… cheval ! Reste que l’idée, aussi saugrenue soit-elle, nous oblige à mettre en question notre regard, à douter de ce que l’on voit. Expérience troublante. L’ensemble monographique d’Olivier Morvan propose aussi de nombreuses pièces qui interrogent notre perception en pointant ce qui est absent… Aucune personnalité sous le projecteur devant la forêt de micro (Le Cercle de Craie), personne non plus sur le fauteuil roulant qui semble pourtant en mouvement (Morituri I)… Qualifiées de « petites usines à fiction », ces évocations fantomatiques témoignent d’un travail qui s’échelonne de 2007 à 2019.

Olivier Morvan, Le cercle de craie

Plus loin, nous stoppons devant deux autres vidéos. Poor Magic de Jon Rafman, qui alterne une avalanche de personnages 3D, se bousculant et tombant sans fin, avec des textures plus organiques (i.e. des images d’une coloscopie…) dans lesquelles s’incruste la silhouette d’un avatar bleu. I Am Sitting In A Room d’Antonio Roberts, qui s’inspire d’Alvin Lucier, nous permet de visualiser la détérioration de fichiers informatiques, matérialisée par la dégradation d’un texte à l’écran. Nous pénétrons ensuite dans la Salle 4 entièrement consacrée à France Cadet. On y retrouve ses androïdes, parfois dans d’étranges postures, qui nous dévisagent en clignant des yeux. On y découvre également un bestiaire (Hommage au Dodo, Galerie d’espèces disparues), un cabinet de curiosités sous forme de vieilles cartes scolaires (Leçon de choses 2.0), des fichiers bio et anthropométriques (Facs Face ++) et une installation vidéo en sept tableaux retraçant les étapes de la gestation d’un robot (Demain Les Robots). Ces créations offrent une deuxième lecture, un surcroît d’information, grâce à l’utilisation de lampes avec filtres polarisants qui agissent comme révélateur d’encre invisible.

France Cadet. Demain les robots.

Fin de partie avec L’Intrigue de Fabrice Métais, une collection de petites pièces bricolées (collages, dessins, photos, tablettes…) qui raconte en pointillé une histoire énigmatique. Mais qui est donc cette mystérieuse Amandine dont témoignent ici des indices de sa présence à la mer, dans une chambre, en triangle… Il faut se rendre à l’Office du Tourisme d’Aix-en-Provence pour tester 3 installations ayant en commun une interface de jeu vidéo. Celle de Manuel Braun & Antonin Fourneau réinvente une nouvelle manière de jouer, en démultipliant le nombre de participants à ce bon vieux PacMan dans une ambiance cosy (Eggregor 8). Les deux autres dispositifs « jouent » sur le texte. Par substitution de mots pour La Chair du jeu vidéo de Théo Goedert, qui « update » ainsi des réflexions du siècle dernier sur le cinéma. Par débordement de la structure narrative avec Metalepse de Leslie Astier. Ces deux installations sont co-signés avec Robin Moretti.

L’ouverture du festival Gamerz a été marquée par une soirée de performances qui nous a permis de découvrir l’installation pilotée par Virgile Abela, Feedback Acoustique. Reprenant le principe du pendule, ce dispositif se présente sous la forme d’une boule de plexiglas qui laisse entrevoir deux haut-parleurs, une motorisation et un système de contre-poids. Suspendu, l’objet oscille en émettant une plainte synthétique, modulée au rythme du mouvement obéissant à la loi de la gravité. À terme, cette installation devrait compter 4 sphères. Dans un genre radicalement différent, François Parra & Fabrice Césario (alias PACE) ont combiné effets de voix et zébrures de synthé modulaire. eRikM et Stéphane Cousot ont ensuite pris le relais avec leur performance audiovisuelle Zome. Les images diffractées, dont les ombres mouvantes dépendent des objets utilisés par Stéphane Cousot pour les modifier, tempéraient un peu les fulgurances noisy qui s’échappaient des machines d’eRikM. La prochaine performance réunira notamment le collectif chdh (Nicolas Montgermont & Cyrille Henry. Les œuvres sont visibles jusqu’au 24 novembre.

Laurent Diouf

Festival Gamerz, expositions, workshops, conférences et performances
Aix-en-Provence, jusqu’au 24 novembre
> http://www.festival-gamerz.com/

Digital / Alter

Après des préliminaires à Marseille, via une exposition monographique de Paul Destieu en septembre, le Festival des arts multimédia Gamerz va prendre son envol le 13 novembre à Aix-en-Provence. Au programme des expositions, performances, ateliers et conférences qui s’étalent sur une dizaine de jours.

PAMAL_Group (feat. Jacques-Elie Chabert et Camille Philibert), 3615 Love. Photo : D.R.

À la suite de « Digital Defiance » et « Digital Animisme », cette quinzième édition est structurée autour de « Digital Alter » : l’exposition centrale à la Fondation Vasarely qui propose des ensembles monographiques questionnant, comme son titre l’indique, l’altérité à l’ère du digital. Comme il est précisé dans la déclaration d’intention, les artistes présentés se tournent vers « l’Autre » afin de dépasser l’individualisme, l’autoreprésentation et le narcissisme valorisés par les technologies numériques et les modèles de la communication « télématique » ou actuelle.

Une proposition pouvant aussi se résumer à cette interrogation : et si l’enjeu technologique n’était pas tant celui de la connaissance et du pouvoir, mais avant tout celui du désir et du rapport à l’autre ? Dans ce jeu de miroir brisé par les nouvelles technologies, la figure de l’androïde reflète peut-être le mieux ce rapport trouble à l’autre. En présentant diverses versions d’avatars mécanisés ou bio-modifiés, du cyborg aux nouveaux animaux de compagnie électronique en passant par des représentations de clonage, France Cadet nous apporte une réponse dystopique.

Fabrice Métais — qui s’intéresse notamment aux propriétés constituantes ou intrigantes des technologies audio mobiles — opte pour une approche presque métaphysique de ce rapport à l’autre. Son regard est à déchiffrer sous forme d’énigme dans ses créations (L’Intrigue). Il entamera aussi un dialogue avec le philosophe Jean-Michel Salankis lors d’une conférence (Art, technique, matière et idée).

Olivier Morvan qui nous avait justement intrigués lors de l’édition 2016 de Gamerz avec La Maison Tentaculaire — projet et installation protéiforme autour de la fameuse maison de l’héritière Sarah Winchester — nous entraînera dans son univers parallèle composé d’une multitude de petites usines à fictions qui jouent sur paradoxalement sur l’absence (Meme).

Dans une démarche d’archéologie des médias, le collectif PAMAL_group (issu du Preservation & Art – Media Archaeology Lab de l’École Supérieure d’Art d’Avignon) nous invite à un voyage rétrofuturiste autour du Minitel dont le réseau s’est définitivement éteint en juin 2012 (3615 Love). Des œuvres de Julius von Bismarck, Jon Rafman et Antonio Roberts complètent ce panorama de l’altérité digitale.

Manuel Braun & Antonin Fourneau, Egregor. Photo: D.R.

D’autres œuvres jalonnent cette édition, notamment à l’Office de tourisme avec les dispositifs ludiques de Manu Braun & Antonin Fourneau (Egregor 8) ainsi que Robin Moretti en collaboration avec Leslie Astier et Théo Goedert que l’on retrouvera aussi dans le cadre d’un workshop (Métalepse, La Chair du jeu-vidéo).

Enfin, concernant les performances, le programme se partage essentiellement entre art sonore et musiques expérimentales, bruitistes, électroniques et post-industrielles… En premier lieu, nous sommes curieux du Feedback acoustique de Virgile Abela. Un dispositif qui repose sur un pendule type Foucault dont la lente oscillation ponctuée de quelques rotations génère une modulation traduisant les effets de la gravité. Cette installation a été conçue en coordination avec la plateforme MAS (Laboratoire de mécanique acoustique du CNRS).

En tête-à-tête avec Stéphane Cousot, eRikM entamera une improvisation à partir de flux sonores et visuels récupérés en temps réel sur Internet. Il en résultera une « composition indéterminée », assez heurtée et cinglante (Zome). Inspirés par Deleuze, François Parra & Fabrice Cesario (alias PACE) pousseront dans leurs retranchements des machines habituellement dédiées à la communication pour produire un langage dans lequel ils abandonnent temporairement le sens pour entrer dans le son (Le Chant des machines).

Enfin, le collectif chdh (Nicolas Montgermont & Cyrille Henry) se basera sur les « bruits » de l’image vidéo pour une performance AV conçue comme une expérience synesthésique. À l’écran, un magma de pixels — qui n’est pas sans rappeler la neige des écrans cathodiques — d’où émergent des formes, des motifs, des structures aléatoires, sur fond d’electronic-noise très abrasive (Deciban).

Laurent Diouf

Festival Gamerz — Digital / Alter
> du 13 au 24 novembre, Aix-en-Provence
> http://www.festival-gamerz.com/

festival des arts numériques

La 14e édition du festival Gamerz investit la Fondation Vasarely, l’École supérieure d’art et la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence ainsi que la Galerie des Grands Bains-Douches à Marseille, du 8 novembre au 15 décembre prochain. En coordination avec Chroniques — biennale des imaginaires numériques, qui officie sur les mêmes terres et à la même période —, Gamerz propose des expositions, performances, DJ-sets, ateliers et conférences.

Cette année, l’exposition collective se déploie autour d’une thématique commune avec le festival DataBit.me : Digitale défiance. Les artistes Julien Clauss, Caroline Delieutraz, Harm van den Dorpel, ErikM et Géraud Soulhiol proposent, chacun à leur manière, une sorte de critique de la technologie, tels des lanceurs d’alerte. Un regard qui s’inscrit dans l’héritage de penseurs comme Ellul ou Virilio (récemment disparu), contre le mythe du progrès technique, de la glorification de la croissance, de l’innovation sans fin, du culte de la vitesse… Le numérique décuplant ces symptômes de la catastrophe qui vient. Les œuvres présentées illustrent cette problématique liée aux usages sociaux des nouvelles technologies, à la nécessité de reconsidérer l’imaginaire qui préside et accompagne la technique à l’ère du numérique et la culture du digital. Avec une focalisation sur l’image et le son. Et quelques expériences distilleries atypiques (Vincent A., Pat Lubin & Shoï Extrasystole, Alambic Sonore)

L’image, tout d’abord. Internet est le grand pourvoyeur d’images, fixes et animées, qui servent désormais de matériaux artistiques à part entière. Ainsi, Géraud Soulhiol utilise des clichés de Google Earth dont il projette des fragments, nous donnant l’impression de voir le monde par un trou de serrure avec sa série Le Hublot ou d’expérimenter des paysages morcelés (Territoires recomposés). Harm van den Dorpel fait également son marché sur Internet où il glane des photos de personnes franchement HS après des soirées que l’on imagine mémorables (du moins, pour les témoins qui les ont immortalisés). Assez éloigné de l’épure graphique et algorithmique dont il fait preuve habituellement, grâce à un petit protocole d’animation, il nous donne l’impression que ces corps gisants dans des postures improbables sont en séance de lévitation (Resurrections). Caroline Delieutraz déstructure également des images présentées sous la forme d’un puzzle en relief, en bois découpé, sur plusieurs strates, avec des pièces manquantes (Les Vagues); évoquant des tableaux d’un autre siècle (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater, basé sur l’étude d’une partie du désert égyptien via Google Earth par un scientifique italien qui a ainsi pu identifier un cratère creusé par une météorique).

Le son, ensuite, avec eRikM. Éminemment connu dans le circuit des musiques expérimentales, bruitistes et improvisées, il propose un objet sonore baptisé La Borne. Cet artefact qui ressemble un peu à une urne funéraire repose sur un dispositif constitué de 16 codes joués de manière aléatoire. Mêlant collage sonore et symbolisme du langage, cette réalisation est basée sur les éléments de code utilisé par les soldats amérindiens Choctaw pour l’Armée américaine à la fin de la Première Guerre mondiale. À noter que ce principe, rendant quasiment indéchiffrable le code pour d’autres nations (en premier lieu l’Allemagne), fut repris lors de la 2e Guerre mondiale et inspira le film de John Woo avec Nicolas Cage, Windtalkers, les messagers du vent.

Avec sa Salle de brouillage, Julien Clauss met en scène le spectre sonore radiophonique. Combinant une trentaine d’émetteurs/récepteurs bricolés, plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles tirés au cordeau, calés sur des fréquences différentes (de 87 à 108 MHz), cette installation balaye la bande FM (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.), offrant une bande-son modulable, si l’on ose dire, puisque les visiteurs peuvent s’amuser à explorer ce chant des signes à l’aide de radio mises à disposition. Ce dispositif fera aussi l’objet d’une performance, Agrégation de porteuses dans l’Ultrakurzwellen. On retrouvera Julien Clauss dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé L’Homme orbital; auquel participeront également France Cadet, Ewen Chardronnet, Colette Tron et Jean Cristofol qui interviendront sur les aspects théoriques et pratiques du numérique, en confrontant l’expérience de structures et événements ancrés dans la région PACA (Chroniques, Gamerz, ESAAix, Alphabetville).

L’autre grande expo, monographique cette fois, se déroulera à la Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine à Marseille. Sous la bannière Master/Slave — qui évoque pour notre part les temps héroïques des jumpers qui servaient à indexer les disques durs sous interface IDE & Co… — Quentin Destieu (artiste et directeur du festival) y présentera un large panorama de ses créations dans le cadre de son doctorat. Parmi les nombreuses pièces, signalons Maraboutage 3D, soit des poupées vaudou hérissées d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis. Un retour de bâton pour celui qui, après s’être arrogé les fruits du développement de l’imprimante 3D par la communauté open-source, les a brevetés et cadenassés pour en faire l’exploitation commerciale.

Dans un autre genre, À cœur ouvert donne à voir, à taille humaine, les entrailles du premier micro-processeur. Condensé technologique qui annonce la micro-informatique grand public, le Intel 4004 (c’est son nom d’origine) reposait sur une architecture de 4 bits, une fréquence de 740 kHz et était doté d’une mémoire morte de 256 octets… Mais sa principale caractéristique est d’avoir été dessiné entièrement à la main. Ensuite, contrainte de la miniaturisation oblige, les machines ont pris le relais pour le tracé des ramifications du système de transistors. C’est ce réseau des commutations que donne à voir À cœur ouvert.

Quentin Destieu se livre aussi à des opérations de détournement et recyclage de nos appareils électriques et électroniques, les transformant en outils primitifs après avoir fondu leurs composants et métaux (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Au rayon des artefacts improbables, il a conçu une Machine 2 Fish, petit robot motorisé sur roue qui transporte un aquarium selon un itinéraire qui varie au gré des mouvements d’un poisson rouge… Sans oublier La brosse à dents qui chante l’Internationale (profitons-en pour rappeler au passage qu’il existe aussi une Internationale Noire — i.e. anarchiste — que l’on entonne malheureusement moins fréquemment…).

Laurent Diouf

Gamerz 2018, 14e édition, du 08 novembre au 15 décembre, Aix-en-Provence + Marseille
> http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/