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L’instant décisif

Cette exposition qui s’inscrit dans le cadre de Némo, la Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France, est produite par le CentQuatre en partenariat avec Elektra (Montréal). Comme son titre l’indique, cet évènement questionne le moment clef où nous opérons des prises de décisions. Numérisation et robotisation obligent, cette « expérience cruciale » est aujourd’hui souvent déléguée aux algorithmes qui pilotent nos machines. Nous vivons donc un « instant décisif » dans l’histoire humaine au regard des choix qui s’offrent à nous pour un développement responsable de l’intelligence artificielle.

Alain Thibault, Dominique Moulon et Catherine Bédard ont sélectionné des œuvres issues de processus décisionnels extirpés de l’invisible pour nous projeter dans un futur immédiat qui nous appartient encore pour un moment… Des installations vidéos et dispositifs robotiques conçus par Baron Lanteigne, Aram Bartholl, Adam Basanta, Véronique Béland, France Cadet, Naomi Cook, Pascal Dombis, Jean Dubois, Marie-Ève Levasseur, Rafael Lozano-Hemmer, Sabrina Ratté, David Spriggs, Maija Tammi, Varvara & Mar

> du 10 décembre 2021 au 15 avril 2022, Centre culturel canadien, Paris
> https://canada-culture.org/event/decision-making/

Attention au contresens… Contrairement à ce que l’on pourrait penser, au travers de son ouvrage L’art au-delà du digital, Dominique Moulon ne propose pas une lecture de l’art « post-digital ». Il est de toute façon encore trop tôt pour se livrer à une telle prospective. Par contre, il s’agit de changer de regard sur l’art à l’ère du numérique, de s’affranchir du prisme technologique pour remettre en perspective des pratiques artistiques qui s’enracinent effectivement bien au-delà du digital. Faire en sorte que la technique ne masque pas l’horizon historique sur lequel s’inscrivent les œuvres.

Un premier constat s’impose, le digital est partout et l’art numérique a déjà une histoire, est déjà dans l’histoire… Bien que loin d’être achevée, la révolution informatique remodèle notre quotidien depuis trois bonnes décennies. Nous baignons dans un monde qui est de plus en plus sous l’emprise des nouvelles technologies. C’est une « donnée immédiate » partagée par le plus grand nombre. De fait, sur ce plan, le temps de la pédagogie est fini. La démocratisation des outils, médias et médiums numériques dessine notre présent. L’avenir appartient déjà aux digital natives.

Même si elles exercent toujours un pouvoir de fascination, les nouvelles technologies ont vu leur « magie » un peu s’estomper comparé au temps désormais héroïque du surgissement de l’informatique. Il est donc temps de s’intéresser aux œuvres sans se focaliser sur leur « coefficient du numérique ». De considérer les pratiques et créations artistiques actuelles en mettant entre parenthèses leur aspect purement technique, pour mieux restituer le lien, la « continuité » qui les rattache aux œuvres anté-numériques. Par ailleurs, le fait qu’une œuvre soit impossible à réaliser avant l’ère numérique n’en fait pas pour autant une œuvre intrinsèquement numérique…

Les changements de perception et d’utilisation de certaines techniques s’avèrent parlants sur ce point. Ainsi, pour le net art — symbole par excellence à son émergence, au milieu des années 90s, de « l’art du numérique » — et les pratiques qui s’y rattachent encore, Internet a vu son statut de « médium » se dissoudre au fil de la banalisation des équipements publics (ADSL, téléphone portable, etc.) pour devenir une « source » et/ou un matériau parmi d’autres. En tant que générateur d’images et de données quasi infini, Internet est désormais utilisé par beaucoup d’artistes qui ne s’inscrivent plus nécessairement dans le « net-art », mais en utilisant les flux ou la géolocalisation, ils forgent une « version 2.0 » de pratiques antérieures comme le land-art par exemple.

Jan Robert Leegte, BlueMonochrome.com, 2008. Photo: D.R.

C’est en cela que l’on peut parler réellement d’art post-digital : d’une part parce que les pratiques artistiques de l’ère numérique ne surgissent pas ex nihilo, ensuite parce que leur dimension technologique ne saurait seule en constituer l’épaisseur esthétique, enfin (surtout) parce qu’elles renouvellent des démarches et des courants pré-existants.

Le numérique permet ainsi de développer d’autres propositions, d’autres déclinaisons artistiques, en s’installant un peu comme un coucou dans le creuset d’un média. Ainsi le cinéma s’affranchit du « cinéma » sous l’impulsion des nouvelles technologies — un « mouvement » antérieur au digital qui commence aussi avec l’arrivée de nouvelles caméras — et rejoint ainsi l’art expérimental (found-footage, installation vidéo, etc.).

Mais la parenté de l’art numérique avec des courants artistiques antérieurs (dadaïsme, surréalisme, futurisme…) est surtout une évidence pour des œuvres faisant appel à des pratiques de détournement, de collage, de récupération, d’appropriation, de décontextualisation. Les technologies numériques favorisent ce type de déplacement. Il en est de même pour l’utilisation du mouvement, de la lumière et de l’interaction, décuplés par l’arrivée des capteurs, qui acte une continuité avec l’art cinétique notamment.

Antoine Schmitt, Pixel noir, 2010. Photo: D.R.

Plus en historien qu’en théoricien, presque en curateur, Dominique Moulon (enseignant, journaliste et commissaire d’expositions) se livre à un formidable inventaire qui rassemble une multitude d’œuvres présentées dans les contextes de leurs monstrations, pour mieux les analyser, les comprendre, les mettre en relation, les assembler sans tenir compte de leurs proximités formelles…

Ce « Mécano du digital » permet aussi de mettre en exergue cette continuité qui relie Antoine Schmitt (Pixel noir, 2010) à Malevitch (Carré noir sur fond blanc, 1915), Pablo Garcia & Addie Wagenknecht (Webcam Venus, 2012) à Edgar Degas (Femme se peignant, 1884-1886), Jan Robert Leegte (BlueMonochrome.com, 2008) à Yves Klein (Monochrome bleu (IKB 3), 1960), Caroline Delieutraz (Deux visions, 2012) à Raymond Depardon (La France, 2004-2010)…

Une mise en perspective qui permet aussi de relativiser la dimension disruptive des œuvres numériques en les replaçant dans l’histoire de l’art, tout en confirmant le rôle des artistes : ils témoignent et agissent comme des révélateurs, au sens photographique du terme. Ils mettent en exergue les angles morts, les limites et dangers de cette « numérisation du monde ». De manière assez simple finalement, puisque les technologies qu’ils exploitent à des fins artistiques sont porteuses, dès leur origine, des dérives de leur devenir… Paradoxalement, c’est peut-être la seule vraie « raison d’être » de la technologie au cœur d’une configuration artistique. Il n’y a que dans le monde de l’art où les machines sont inutiles, en apparence…

Laurent Diouf

Dominique Moulon, L’art au-delà du digital (Nouvelles éditions Scala, 2018)

Art contemporain, nouveaux medias

Enseignant et journaliste, notre collaborateur DOMINIQUE MOULON publie une somme sur ce que l’on nomme aussi de l’autre côté de l’Atlantique les « arts médiatiques ». C’est-à-dire des œuvres « transdisciplinaires », « multi-media », qui mobilisent en partie ou totalité des éléments « empruntés » à l’informatique, aux nouvelles technologies de communication, à la robotique ou aux bio-technologies. Sur ce plan, le « bio-art par certains aspects avec son cortège de greffes chimériques, de culture de tissus humains et autres manipulations génétiques sur les animaux, pourrait être considéré comme relevant des pires avanies historiques sans ce « blanc-seing » artistique…

Mais c’est sur le corps dans son intégrité, sa nudité ou sa mobilité, sans artifice, que s’ouvre cet ouvrage. Le corps de l’artiste et/ou celui du public selon le dispositif et les interactions misent en place. Replaçant chaque protocole dans une perspective historique, Dominique Moulon cartographie ces pratiques artistiques émergentes au travers des travaux de Nicolas Clauss, Electronic Shadow, Granular Synthesis, Ryoji Ikeda, Eduardo Kac, Lab[au], Locus Sonus, Antoine Schmitt, RYbN, Stelarc et Tez; pour ne citer que quelques-uns des artistes qui traversent cette étude exhaustive.

Correspondances son / image, transfigurations de bases de données, environnements immersifs, univers virtuels, installations qui redessinent la ville ou font apparaître de nouveaux paysages et relations sociales… Au fil des pages, on mesure aussi l’accélération du temps, des mentalités, des technologies et des « possibles » que l’art contemporain et les nouveaux médias ne font, finalement, que révéler lentement comme une vieille photo argentique…

Dominique Moulon, Art contemporain nouveaux medias (Nouvelles Éditions Scala / collection Sentiers d’Art, 2011). Infos: ne.scala@free.fr
Site: www.nouveauxmedias.netwww.moulon.net