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AGIR (ET NON PAS RÉAGIR)
un point de vue sur la conservation des arts numériques

Le caractère performatif et contextuel des œuvres numériques est indissociable de la matérialité de leurs supports. Dans ce cadre, comment conserver à la fois cette matérialité et le comportement de l’œuvre de la manière la plus authentique possible ? La règle d’or : anticiper.

Acquisition d'équipements de remplacement par le ZKM, série de SGI indigo, 2014.

Acquisition d’équipements de remplacement par le ZKM, série de SGI indigo, 2014. Photographies des réserves du ZKM où sont entreposées une vingtaine d’ordinateurs de type SGI Indigo destinés à la conservation des œuvres de sa collection permanente. Photo: Morgane Stricot / © ZKM, Karlsruhe.

Les matériels et logiciels dont les œuvres numériques sont tributaires pour véhiculer leur discours sont des supports indispensables, mais instables. L’obsolescence confère à la matérialité initiale de ces œuvres une date limite de conservation. La seule solution à long terme, désormais largement acquise, est la mise à jour continuelle et systématique de cet environnement technologique. Seulement les mises à jour matérielles entrainent bien souvent des remaniements logiciels et des modifications plus ou moins légères du comportement ou de l’esthétique des œuvres. C’est pourquoi ces stratégies de conservation préconisant le changement technologique comme seul moyen de préserver l’art numérique se mêlent à un intérêt historique, prônant une archéologie des média et une culture de la réparation. Ces deux approches sont tout à fait légitimes, et à mon sens, fortement complémentaires, tant qu’elles sont réalisées au bon moment, à la lumière d’une documentation solide.

Réagir, c’est souvent déjà trop tard
Avec comme ennemi n°1 un phénomène socio-économique incontrôlable, réagir n’est pas une option. Si on agit, ou plutôt on réagit, au moment où un problème survient, c’est qu’il est déjà trop tard. C’est pourquoi l’anticipation est un prérequis indispensable à la préservation des œuvres numériques.

À la question « quand doit-on agir ? », ma réponse est simple : quand tout va bien. C’est-à-dire lorsque l’œuvre fonctionne correctement dans son contexte technologique d’origine. C’est à ce moment-là que des mesures peuvent être entreprises en prévision des changements technologiques à venir. En effet l’œuvre dans sa version 1.0 nous fournit un point de référence nécessaire avant toute intervention de conservation ou d’actualisation. Sa documentation approfondie et son maintien, notamment grâce à de bonnes conditions de stockage et à la duplication, permettent d’envisager des scénarios d’actualisation et de comparer le comportement et l’esthétique de l’œuvre tout au long de ce processus. La perte de la version initiale consécutive à un temps d’attente trop long rend tout effort de conservation à long terme risqué en termes d’authenticité.

La duplication et le versioning, entrepris simultanément, permettent d’apporter des solutions de préservation viable à court et à long terme. Ces deux concepts de conservation se composent des différentes stratégies de conservation existantes à l’heure actuelle. Ces stratégies, souvent issues des sciences de l’information et de la communication, ont été théorisées et mises en pratique par des organisations comme le DOCAM (1), Forging the future (2) ou encore les projets Matters in Media Art de la Tate (3) et Digital Art Conservation du ZKM (4).

Dupliquez, dupliquez, il en restera quelque chose…
La façon la plus simple de préserver le comportement et l’esthétique d’une œuvre numérique est de conserver le plus longtemps possible son environnement technologique historique. C’est-à-dire de faire fonctionner son dispositif matériel original ou un dispositif identique (même époque, même modèle) avec l’environnement logiciel d’origine ou les données initiales.

TV-BOT 1.0 (2005) et TV-BOT 2.0 (2010), Marc Lee, 2011. Mise en regard de deux versions de l'œuvre TV-BOT lors de l'exposition Digital Art Conservation au ZKM | Medien Museum en 2011.

TV-BOT 1.0 (2005) et TV-BOT 2.0 (2010), Marc Lee, 2011. Mise en regard de deux versions de l’œuvre TV-BOT lors de l’exposition Digital Art Conservation au ZKM | Medien Museum en 2011. TV-BOT 1.0, étant aujourd’hui inaccessible dans sa version originale à cause de problème de compatibilité avec les navigateurs web actuels, a été exposée sous forme de documentation vidéo sur un écran cathodique aux côtés de sa version migrée. Cette version « figée » donnait alors à voir le comportement et l’esthétique d’origine de l’œuvre. Photo: ONUK / © ZKM, Karlsruhe.

Il existe plusieurs stratégies et pratiques visant à prolonger la durée de vie des œuvres numériques dans leur contexte technologique historique : la réparation du dispositif avec l’aide de pièces détachées, le remplacement par un modèle identique, l’inspection régulière de l’état de marche, la sauvegarde redondante des données et enfin l’entreposage et la manipulation dans de bonnes conditions.

La duplication est une méthode de conservation par anticipation combinant toutes ces stratégies. Il s’agit ici d’implémenter la copie des données propres à l’œuvre réalisée lors des sauvegardes (dans leur format d’origine (5)) sur les équipements de remplacement (ce qui implique d’avoir acquis ces équipements avant leur indisponibilité sur le marché). Tout ceci dans le but de dupliquer X fois l’œuvre dans son ensemble et ainsi créer plusieurs exemplaires identiques et fonctionnels.

Avoir plusieurs exemplaires fonctionnels permet de gagner du temps pour d’éventuelles mesures d’actualisation, d’avoir une connaissance documentaire et technologique approfondie du dispositif et du comportement de l’œuvre et enfin d’éviter des problèmes d’incompatibilité en testant les copies et données avec le matériel qui leur est dévolu.

…enfin, pas à long terme…
La duplication ne permet pas toutefois de conserver une œuvre à long terme puisque même si un entreposage effectué dans les meilleures conditions possible prolonge la durée de vie des composants, ils finiront fatalement par être défectueux et introuvables sur le marché. C’est pourquoi le versioning peut être envisagé.

Le versioning (6) consiste en la création d’une ou plusieurs versions mises à jour de l’œuvre. C’est-à-dire tous les exemplaires résultant de l’actualisation de l’environnement technologique de l’œuvre, se référant à l’exemplaire 1.0. Ce concept de conservation regroupe un panel de stratégies allant de la migration sans changement discernable du comportement de l’œuvre jusqu’à la réinterprétation de l’idée qui la sous-tend.

 

Diagramme Digitalis (diagramme méthodologique de la préservation d’objets numériques complexes), 2014.

Diagramme Digitalis (diagramme méthodologique de la préservation d’objets numériques complexes), 2014. Le projet Digitalis a commencé en 2012, dans le cadre du projet de fin d’étude de Morgane Stricot à l’École Supérieure d’Art d’Avignon. Ce diagramme est accessible en trois langues (français, allemand et anglais). Photo: Morgane Stricot / D.R.

Quelle que soit la stratégie choisie, on apportera ici une modification plus ou moins sévère du code source, des données ou des artefacts de représentation. La migration, la virtualisation, l’émulation et le portage n’apportent la plupart du temps qu’une actualisation du « contenant » alors qu’avec la réinterprétation on passe à l’actualisation du « contenu », c’est-à-dire de l’idée, à l’écosystème médiatique contemporain à chaque nouvelle exposition. Le versioning est une manière d’accompagner l’évolution naturelle du concept de l’œuvre.

Certains comportements sont conditionnés par les matériels historiques et d’autres comportent des éléments contextuels, c’est pourquoi une bonne documentation et surtout une collaboration active entre domaines de compétences et le ou les artistes sont primordiaux afin de définir une limite claire entre évolution naturelle et amélioration technique ou esthétique.

Une réserve cependant. Une actualisation du « contenant » apportera souvent des modifications du comportement et de l’esthétique de l’œuvre, même si bien souvent, c’est de manière bénéfique ou du moins contrôlable (8). Une utilisation excessive et arbitraire de la réinterprétation donnerait alors lieu à un work-in-progress sans fin, ne laissant plus de place à l’historicité et à la chronologie et surtout empêchant ainsi les futures générations d’artistes numériques de s’inscrire dans le paysage technologique qui leur est propre.

Digitalis, un diagramme pour agir
Il est clair qu’il n’existe pas une méthode unique applicable à tous les cas, mais plutôt que chaque cas vient nourrir des méthodes différentes. Fort de ce constat, j’ai mis sur pied un diagramme méthodologique expérimental en ligne, appelé Digitalis (7). Normatif, il donne une vue d’ensemble des phases contribuant à la préservation d’objets numériques complexes en milieu muséal. Il a pour principal but d’aider les différents acteurs à définir les paramètres d’instanciation d’une œuvre afin de prendre une décision qui préserve son comportement et donc son authenticité. Il leur permet également de se poser les bonnes questions afin de maintenir cette authenticité malgré les divers changements technologiques.

Enfin, en étant le plus objectif possible, il aide à comprendre les potentiels risques et bénéfices de chaque stratégie de conservation, afin d’en choisir une en toute connaissance de cause. Ce diagramme tente d’apporter une approche plus scientifique et systématique de la conservation de l’art numérique. Sa forme circulaire illustre la nature proactive de la conservation : aucune solution n’est durable, il faut en permanence agir. Digitalis fait d’ailleurs l’objet d’une amélioration et d’une adaptation constante liée à l’évolution des pratiques numériques. Toute participation est la bienvenue.

Morgane Stricot
conservateur-restaurateur, ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie), Karlsruhe, Allemagne.

publié dans MCD#75, « Archéologie des médias », septembre / novembre 2014

(1) L’Alliance de recherche DOCAM (Documentation et Conservation du patrimoine des Arts Médiatiques) a été initiée par la Fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie (FDL) en 2005. www.docam.ca/ (consulté le 23 février 2014)

(2) Forging the future : nouveaux outils pour la préservation des médias variables. http://forging-the-future.net/ (consulté le 23 février 2014)

(3) Ce projet collaboratif, lancé en 2005 par le New Art Trust (NAT), le Museum of Modern Art (MoMA), le San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA) et la Tate, a pour but d’aider ceux qui collectent et conservent les œuvres à obsolescence technologique (time-based media artworks). www.tate.org.uk/about/projects/matters-media-art (consulté le 09 mars 2014)

(4) ZKM, Zentrum für Kunst und Medientechnologie Karlsruhe. Ce projet de recherche (2010-2012) a été consacré à l’exploration de stratégies de conservation de l’art numérique. www02.zkm.de/digitalartconservation/ (consulté le 23 février 2014)

(5) Image disque (système d’exploitation, programmes, données et pilotes), CD, DVD, cassette ou cartouche de jeux vidéo par exemple.

(6) Terme habituellement utilisé en développement logiciel. La définition est ici étendue à l’environnement matériel de l’œuvre.

(7) Digitalis, diagramme méthodologique de la préservation d’objets numériques complexes. http://digitalis.litchio.com

(8) Par exemple, le passage d’un vidéoprojecteur CRT à un vidéoprojecteur HD apporte bien souvent une meilleure lisibilité de l’artefact de représentation (luminosité, contraste et rendu des couleurs). Autre exemple, l’ajout d’une portion de code permettra de pallier au problème de vitesse lors d’une migration vers un ordinateur de plus forte puissance.

 

Exposer des « zombies »

Pourquoi le Net Art, l’art du réseau, devrait se séparer de l’art contemporain avant de l’épouser. Exposer, médier et conserver le Net Art sont réductibles à un unique problème : son éphémérité. La question est de savoir s’il faut sauver quelque chose de cet art et, si oui, ce qu’il faut en sauver. 

Les Net artistes voient dans l’Internet la possibilité de montrer leurs travaux sans passer par la médiation du monde de l’art traditionnel. Par définition, le Net Art fusionne les média de la création et de l’exposition — qui est dans le même temps un médium politique, économique et culturel : l’œuvre réalisée avec le réseau est montrée sur le réseau et pour le réseau (1). Dès son origine, l’Internet est, pour les Net artistes, synonyme de liberté d’expression, de relation directe au public, d’indépendance à l’égard des mécanismes du marché de l’art, de renversement de la position de l’auteur, d’actions communes, collectives et plus ou moins anonymes… La mémoire du Net Art se confond alors avec les cultures numériques. Ainsi le Net Art s’est-il construit contre l’institution de l’art — qui le lui a bien rendu (2).

Capture d’écran de la vidéo de présentation de l’Exposition net.art / Painters and Poets à Ljubljana (19 juin – 31 août 2014) (curateurs : Vuk Ćosić & Alenka Gregorič). Photo : D.R

Parallèlement, dès les débuts du Net Art, les artistes et les théoriciens ont cherché à montrer l’art du réseau ailleurs que sur l’Internet. Il existe quelques stratégies remarquablement bien pensées, comme les webjays d’Anne Roquigny, les  speedshows du F.A.T. Lab, ou l’exposition récente net.art / Painters and Poets à Ljubljana (Vuk Ćosić & Alenka Gregorič) qui résume à elle seule les différentes stratégies  d’exposition du Net Art : accès aux œuvres via des postes informatiques (Documenta X, 1997), routeurs WiFi (XPO Gallery, 2014), encadrements de captures de sites de Net Art (Daniel Garcia Andujar, 1999 et Per Platou, Written in Stone – a net.art archaeology, Oslo, 2003), vidéo et installations… Au-delà d’un certain désir d’aller porter le Net Art dans des milieux qui en ignorent tout, ces dernières traductions de l’art du réseau dans l’exposition travaillent à son intégration dans l’art contemporain.

Net Art et art contemporain
Or, le Net Art a-t-il son avenir dans l’art contemporain ? C’est en tout cas la stratégie retenue par bon nombre d’artistes du réseau aujourd’hui regroupés sous le nom d’art post-Internet (3). Contrairement au Net Art qui fonde sa pratique sur le flux, l’art Post-Internet, partant de l’idée que l’Internet irradie tous les autres media, fige son flux temporel dans des objets conformes au marché traditionnel de l’art (photographies, sculptures, installations, vidéo, mais aussi URL, etc.). L’artiste bénéficie ainsi des avantages liés au monde de l’art : une rémunération en tant qu’auteur; une visibilité plus efficace que s’il était resté au sein d’un réseau noyé par les multiples productions des artistes professionnels et amateurs du réseau; l’illusion de voir son nom peut-être un jour inscrit dans le panthéon des artistes immortels. Mais que faire alors de ces œuvres restées au sein du flux et en dehors de tout objet ? Faut-il donc qu’elles courent elles aussi après le white cube ?

L’avenir du Net Art : produits dérivés ou arts dans l’espace public ?
Les deux forces du Net Art sont aussi ses faiblesses. Il est éphémère, en raison de l’obsolescence du hardware et du software (logiciels, navigateurs, etc.). D’autre part, son accès est indifférencié (il ne serait rien sans la « culture ouverte »). En résumé, deux bêtes noires de l’art contemporain. C’est pour cette raison que le Net Art est devenu post-Internet, qu’il a commencé à produire des objets à tirage limité (des impressions, des routeurs par exemple) ou des produits dérivés, dans le droit fil du capitalisme culturel cinématographique. Cette pratique conduit naturellement à la signature, aux droits d’auteur, à une relation au public médiée par le marché… Ne peut-on pas imaginer un autre monde de l’art qui corresponde enfin au Net Art, à d’autres stratégies, qui ne l’aurait pas contraint à sortir du réseau ?

Imaginons par exemple que l’argent de l’art considère la création, non comme un investissement, mais comme une perte, à l’image de l’éphémérité et de la gratuité du Net Art. Avec ce mode de consommation, la dépense disparaît en même temps que sa consommation culturelle. C’est d’une certaine manière ce qui advient lorsque l’on va au théâtre ou quand on assiste à une performance. De ce à quoi nous avons assisté, nous ne conservons que le souvenir. Il faudrait alors que, partout où le théâtre est subventionné par les puissances publiques, ces dernières financent aussi l’Art Internet, moins sans doute du côté du cinéma que du côté d’un art qui, sous le nom d’un art de l’espace public, regrouperait par exemple les arts de la rue et l’art du réseau. Dans cet art, la jouissance esthétique et la puissance symbolique liées à l’œuvre ne résident pas dans la possession et la pérennisation, mais dans le don de l’œuvre, sa perte ou son recyclage.

Capture d’écran de la vidéo de présentation de l’Exposition net.art / Painters and Poets à Ljubljana (19 juin – 31 août 2014) (curateurs : Vuk Ćosić & Alenka Gregorič). Photo : D.R

Faut-il sauver le Net Art et, si oui, comment ?
Ce qui fait œuvre dans le monde de l’art contemporain de plus en plus saturé d’artistes et d’objets n’est pas seulement le moment de son instauration ni le moment de sa monstration, ni encore son achat, mais surtout la décision de sa conservation et de sa restauration. Parmi les différents moyens de conservation des œuvres numériques, la ré-interprétation, défendue par « la théorie des médias variables », qui consiste à faire passer une œuvre de son médium obsolète à un médium actuel, permet à l’œuvre d’être toujours « à jour » pour les besoins de l’exposition et des collections. Cette théorie dualiste (car il lui faut distinguer le matériel de l’immatériel de l’œuvre) entre en contradiction avec sa visée. Car si l’on peut vouloir une métempsycose de l’œuvre, il n’en existe pas à ce jour de possible pour les artistes. Mortels, ils ne pourront éternellement accompagner les réinterprétations, à moins qu’on ne les dépossède de leur œuvre après leur mort…

Mais, au-delà de cela, si cette méthode peut s’avérer pertinente pour des installations (4), elle n’a guère de sens concernant le Net Art. Les écritures du Net Art tirent leurs effets esthétiques de leur relation avec leur écosystème médiatique — technologique et industriel. Durant les dix premières années du Net Art, tel hack répondait à l’émergence d’une innovation industrielle (cf. uebermorgen.com), telle action à la bulle Internet (cf. etoy.com), telle production au cyberféminisme (cf. VNS Matrix)… Ces écosystèmes ayant partiellement disparu, une réinterprétation de ces œuvres nécessiterait d’en faire des entièrement nouvelles. Enfin, les productions de Net Art demeurent à l’image de leur médium : elles sont en réseau. S’il faut les sauver, ce n’est pas individuellement, selon le couple traditionnel conserver/montrer, mais comme les éléments d’un écosystème, dont l’institutionnalisation de la mémoire garantira leur pérennité.

L’Internet est une succession de média morts. L’obsolescence y frappe aussi vite que l’émergence. En quelques années, ses productions deviennent des zombies illisibles, qui ne laissent derrière eux que traces, récits et documents épars. S’il faut pérenniser les productions du Net Art, ce n’est pas en les traitant comme des œuvres d’art contemporain — en les restaurant tous les dix-huit mois, ou en les travestissant pour l’argent de l’art —, mais en intégrant ce qu’il y a en elle de proprement numérique : elles sont des écritures éphémères, des textes écrits en code-machine et en code-réseau (nous voici ici encore proche du théâtre). Cela revient à accepter un jour l’illisibilité du texte et la destruction de sa machine de lecture. Cela revient à penser le désir d’éternité autrement.

Quand le laboratoire PAMAL propose l’idée d’un second original conservant la machine d’origine et le code-machine de l’œuvre — devenue archive — accompagnée d’une documentation (entretien de l’artiste, témoignages sur les usages, etc.) (5), c’est pour accueillir et non lutter contre l’éphémérité de l’œuvre. Il reste maintenant à leur trouver un cimetière digne, visitable par le plus grand nombre. Ce ne sera sans doute pas un musée d’art contemporain — car pourquoi déciderait-il de stocker et de préserver des textes et des machines de lecture au regard de leur valeur dans le marché de l’art. Ne serait-il pas plus cohérent que ce soit un lieu déjà en charge des archives de l’écrit ?

Emmanuel Guez
(artiste et chercheur)
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) Laforet (A.), Le net art au musée. Stratégies de conservation des œuvres en ligne, L>P, Questions théoriques, 2011.
(2) Cf. Lambert (N.), « Internet Art versus the institutions of art », in Art and the Internet, Black Dog Publishing, 2013.
(3) Cf. Olson (M.), « Post-Internet, Art after the Internet » (2011), in Art and the Internet, op.cit.
(4) Cf. L’exposition « Seeing Double : Emulation in theory and practice », Ippolito / Jones, N-Y-C, 2004.
(5) Cf. Broye (L.), « Projet H.A.L 8999, Save our bit ! », dans ce numéro.

la mémoire des arts de la scène au temps du numérique

Documenter les œuvres scéniques et leur processus de création est un enjeu majeur pour les équipes artistiques et les historiens du théâtre. Rekall répond à cette demande qui s’est accrue avec le développement des dispositifs technologiques numériques dans les arts de la scène.

Rekall, capture d'écran.

Rekall, capture d’écran. Photo: © Clarisse Bardiot.

La création numérique et la création scénique  face à leur propre oubli.
Le numérique et les arts de la scène ont au moins un point commun : ils engendrent des documents pour le premier, des œuvres pour le second, qui sont éphémères. L’obsolescence programmée des technologies numériques est le grand paradoxe des campagnes de numérisation — et de conservation — du patrimoine. La perspective d’un « Digital Dark Age », de l’oubli numérique, vaste trou noir de la mémoire contemporaine, rejoint le statut fugitif, volatil du spectacle vivant. Du point de vue de la mémoire des arts de la scène, les technologies numériques font surgir différentes questions : comment s’approprier les archives, comment mémoriser un parcours au sein d’un corpus de documents ? Que peuvent-elles apporter par rapport à d’autres approches comme la notation ou la captation vidéo ? Quel statut accorder aux documents numériques produits pendant le processus de création ? Comment documenter les dispositifs technologiques utilisés dans les spectacles, ne serait-ce que dans le cadre des régies son et lumière ? En quelques mots : quelle(s) mémoire(s) des arts de la scène les technologies numériques proposent-elles ?

Le chantier est vaste, les expériences nombreuses et souvent en cours de développement. Leur prolifération relève d’une préoccupation grandissante pour la mémoire, pour les traces, mais aussi pour la transmission et la compréhension du processus de création. Cette effervescence se propage auprès des institutions en charge de la mémoire du théâtre, des lieux qui mettent à l’affiche les « reprises » d’œuvres anciennes (reenacment), mais aussi et surtout des artistes, des chercheurs, du public. Depuis le milieu des années 2000, les initiatives de documentation des arts de la scène avec des technologies numériques se multiplient : capture du mouvement à même le corps des danseurs, bases de données consultables sur Internet, outils d’annotation vidéo des captations et des répétitions, génération de partitions, etc. Des outils spécifiques mis à disposition sur des plateformes en ligne permettent d’analyser les archives, de les confronter, de tisser des liens sémantiques entre de multiples documents. Cet aspect est au cœur d’un programme européen, ECLAP (e-library for performing arts) (1).

ECLAP réunit de nombreuses institutions européennes consacrées aux arts de la scène, contribue à la numérisation de leurs fonds (aujourd’hui plus d’un million de documents, reliés à la bibliothèque numérique en ligne Europeana) et propose une série d’outils qui permettent à chacun d’enregistrer son propre parcours et d’annoter les documents sélectionnés via l’application MyStoryPlayer. Une autre initiative, en Angleterre, propose de créer des carnets de notes personnalisés à partir d’un fonds d’archives disponible sur Internet : le Digital Dance Archives réunit différentes collections du National Resource Centre for Dance (NRCD) (2), dont la collection Laban, ainsi que le fonds d’archives de la chorégraphe Siobhan Davies. Des vidéos, mais aussi des photographies, des dessins, etc. sont accessibles au public. Les documents retenus par chaque personne peuvent être annotés, classés et partagés.

Parmi les expériences menées, nombreuses sont le fait de chorégraphes, ou encore d’équipes de recherches associées à un artiste. Citons, de manière non exhaustive : Emio Greco, Siobhan Davies, Wayne McGregor, Steve Paxton, Pina Bausch (via le programme d’archivage de sa fondation), Jan Fabre, Deborah Hay, Bebe Miller, Thomas Hauert. Et bien sûr William Forsythe dont les projets pionniers sont devenus des références incontournables (3) : Improvisation Technologies, Synchronous Objects et Motion Bank embrassent une réflexion conduite sur vingt années, de 1993 à aujourd’hui (4). Quelques personnes, tels le chercheur Scott deLahunta ou encore le concepteur multimédia Chris Ziegler circulent d’un projet à l’autre, disséminant réflexions, expérimentations et bonnes pratiques. Au-delà de la diversité des partis-pris, ces projets ont pour point commun la création de ressources chorégraphiques du point de vue de l’artiste, avec la prise en compte de son processus de création. Autrement dit, l’objectif n’est pas de trouver un modèle unique pour documenter toutes les démarches artistiques, mais de partir de la pratique propre à chaque chorégraphe pour développer une documentation spécifique.

Synchronous objects for One Flat Thing, reproduced by William Forsythe, site Internet, 2009, objet « The Dance », capture d’écran. Photo: D.R.

Conserver les archives pour transmettre et recycler.
Autre préoccupation partagée : il ne s’agit pas tant de documenter pour laisser une trace que de documenter pour transmettre la danse vers d’autres danseurs, voire engendrer de nouvelles œuvres. Comme le constate Scott deLahunta, ces artistes [Siobhan Davies, Emio Greco, Wayne McGregor et William Forsythe] et les organismes qui ont été construits autour d’eux ont commencé à penser, ou à repenser dans certains cas, comment créer, gérer et disséminer leurs ressources chorégraphiques. L’objectif de ces nouvelles considérations oscille entre la constitution d’une archive et la réutilisation de ces ressources dans leur œuvre (5). D’une logique de conservation à un principe de recyclage, la temporalité de l’archive est remise en question : au catalogage, à la fixation des traces d’une œuvre qui a eu lieu (traces qui privilégient souvent les documents écrits), on substitue la collecte d’éléments très divers pour être à même de les réinjecter dans le processus de création.

Ce faisant, la notion même d’archive est à reconsidérer. Dans un article intitulé What if This Were an Archive  ? (6), la spécialiste de danse contemporaine Maaike Bleeker revient sur Double Skin/Double Mind, une installation interactive dont l’objectif est de permettre au chorégraphe Emio Greco de transmettre à des danseurs les qualités de mouvement propre à son vocabulaire. Un écran vidéo montre Emio Greco expliquant et interprétant des mouvements. Dans l’espace de l’installation, le danseur les apprend en les reproduisant. Un système de reconnaissance lui permet d’avoir en temps réel un retour visuel et sonore sur la qualité de sa prestation. Pour Maaike Bleeker, si cette installation peut transmettre une compréhension de la logique des modalités du mouvement chez Greco, peut-elle également transmettre ses chorégraphies ? Qu’est-ce que cela signifierait ? Et si cela était une archive ? (7). Le numérique fait surgir de nouveaux types de documents, dont la nomenclature même est problématique. Comment nommer l’archive-installation d’Emio Greco ? De quoi est-elle la trace ? De la danse, du mouvement, du processus de création, de la pédagogie ?

Si l’on en revient à des pratiques plus largement partagées par les metteurs en scène et chorégraphes contemporains, force est de constater qu’au-delà de certains discours érigeant le plateau en sanctuaire anti-numérique, une partie du processus de création — plus ou moins importante, plus ou moins avérée et revendiquée — a lieu via les ordinateurs et les réseaux : échanges de mails, traitements de texte, rendez-vous à distance via des dispositifs de téléprésence (voix sur IP), images et vidéos numériques pour rassembler des idées, des pistes de travail, usage des réseaux de partages d’images pour mettre à disposition des documents visuels pour l’ensemble de la compagnie, croquis effectués sur tablette numérique, etc. Au-delà du processus, les œuvres elles-mêmes sont concernées : quasiment toutes les régies son et lumière sont numériques (et l’arrivée de l’éclairage à leds dans les théâtres va encore amplifier le phénomène); de nombreux spectacles font appel à des procédés de régies vidéo (numérique), à des capteurs, voire à des dispositifs plus sophistiqués comme la création de programmes informatiques spécifiques. Dans ce contexte, l’obsolescence rapide des technologies devient extrêmement problématique, à la fois pour les artistes qui doivent pouvoir continuer à faire tourner leurs spectacles, et pour les chercheurs qui souhaitent en analyser les processus de création. Les documents numériques sont alors des traces essentielles pour retracer l’histoire des arts de la scène à l’époque contemporaine.

Rekall, un environnement open source pour documenter, analyser les processus de création et simplifier la reprise des œuvres.
Ces différentes interrogations sont à l’origine d’un projet que je conduis actuellement, en étroite collaboration avec Guillaume Marais, Guillaume Jacquemin et Thierry Coduys (8). La plupart des exemples évoqués ci-dessus ont donné lieu à la création d’interfaces spécifiques à une seule œuvre, non généralisables à d’autres spectacles et qui plus est dans des formats propriétaires (Flash en particulier). Les travaux menés ont engendré des applications (sites Internet, DVD-Rom) et non des programmes. D’où une réflexion menée sur la création d’un logiciel qui puisse s’appliquer au plus grand nombre d’œuvres possible, et qui puisse s’adresser autant aux artistes, à leurs équipes techniques qu’aux chercheurs, aux fonds d’archives et au grand public. C’est ainsi qu’est né Rekall, un environnement open source pour documenter, analyser les processus de création et simplifier la reprise des œuvres.

Bertha Bermudez dans l'installation interactive Double Skin/Double Mind.

Bertha Bermudez dans l’installation interactive Double Skin/Double Mind. Photo: © Thomas Lenden.

Le fonctionnement de Rekall s’articule essentiellement autour des documents de création : croquis de scénographies, commentaires audio, descriptions d’éléments techniques, vidéos, textes, carnets de notes, conduites techniques, patches, captures d’écran de logiciels spécifiques, partitions, photographies, mails… Il permet de structurer plusieurs strates temporelles : celle du processus de création (éclairer par exemple les recherches menées pour tel aspect du spectacle), de la représentation elle-même (voire de ses différentes versions dans le cas d’un work in progress), et de sa réception (par exemple en ajoutant des commentaires audio de la compagnie sur son propre travail, ou bien de spectateurs, ou encore la revue de presse).

L’accumulation des documents est un élément clé du fonctionnement de Rekall. En effet, c’est en analysant ces documents, en les mettant en relation les uns avec les autres et en les plaçant dans des contextes soigneusement choisis (multidimensionnels, temporels ou non) que Rekall parvient peu à peu à révéler des caractéristiques spécifiques à une œuvre donnée. Cette structure ouvre alors un spectre de possibilités analytiques extrêmement important. En partant du principe qu’un processus de création peut être analysé en grande partie par les documents de création collectés (devenus documents d’exploitation pour certains), Rekall se base sur les métadonnées présentes dans chacun de ces documents pour en extraire des informations cruciales (auteur, date de création, lieu de création, mot-clé, etc.), qui sont ensuite utilisées par les outils d’analyse et de représentation de l’information, afin de révéler des comportements créatifs, des usages ou d’autres informations insoupçonnées.

Préserver les composantes technologiques d’un spectacle
Rekall permet de rendre compte des technologies utilisées dans un spectacle et d’en offrir une description pour éventuellement proposer une alternative avec d’autres composantes. Il nous semble en effet primordial de garder la trace la plus précise possible des composantes technologiques d’une œuvre, parce qu’elles sont également porteuses de dimensions esthétiques et historiques, tout en offrant la possibilité de décrire les effets de ces mêmes composantes, dans la lignée de la réflexion sur les médias variables (9). Même si Rekall répond en partie au problème d’obsolescence des technologies (nomenclatures claires, mises à jour des outils embarqués, etc.), il est indispensable que certaines actions de préservation soient réalisées par l’utilisateur. Rekall simplifie cette préservation active en alertant par exemple lorsque la pérennité d’un document est mise en danger par la dernière mise à jour de son logiciel d’exploitation.

Rekall est actuellement en version bêta. La collaboration avec des équipes artistiques dans cette phase d’expérimentation est essentielle. En effet, le logiciel est conçu pour les artistes et leurs équipes techniques afin qu’ils soient à même de documenter leur propre processus de création et les œuvres créées. C’est pourquoi nous nous appuyons sur la collaboration de deux équipes artistiques, en théâtre (Jean-François Peyret) et en danse (Mylène Benoit), en résidence respectivement au Fresnoy et au Phénix scène nationale Valenciennes. Des réunions de travail avec les différents intervenants (techniciens, régisseurs, metteur en scène, chorégraphe, éclairagiste, vidéaste) font partie du processus de conception et développement de Rekall, afin d’ajuster régulièrement le cahier des charges et les spécifications aux besoins des futurs utilisateurs. Plusieurs workshops sont également prévus afin d’évaluer et éventuellement corriger certains aspects méthodologiques, comme le tracking des actions des différents contributeurs à une œuvre, ou encore le choix d’un modèle qui puisse s’adapter à de nombreuses œuvres. En effet, il nous semble que Rekall, conçu à l’origine pour des œuvres scéniques, peut également être utilisé pour des installations plastiques ou dans d’autres contextes.

Clarisse Bardiot
(maître de conférences à l’Université de Valenciennes, spécialiste des arts de la scène à composante technologique, elle est aussi éditrice et galeriste)
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

1) ECLAP, www.eclap.eu (consulté le 01/05/2014).

(2) Digital Dance Archives, www.dance-archives.ac.uk/ (consulté le 01/05/2014).

(3) Pour des articles sur ces différentes démarches, cf. International Journal of Performance Arts & Digital Media, « Choreographic documentation », vol. 9, n°1, 2013. Performance Research, « Digital Resources », 11:4, 2007.

(4) Bardiot (C.), « Une autre mémoire : la chorégraphie des données. À propos des objets numériques développés par William Forsythe (Improvisation Technologies, Synchronous objects et Motion Bank), in Documenter, recréer… Mémoires et Transmissions des œuvres performatives et chorégraphiques contemporaines, Les Presses du Réel, à paraître.

(5) Scott de Lahunta et Norah Zuniga Shaw, « Constructing memory : creation of the choreographic resource », in Performance Research, 2007, 11:4, p. 54.

(6) Bleeker Maaike , « What if This Were an Archive? », in RTRSRCH, vol.2, n°2, 2010, p. 3-5.

(7) Ibid., p. 3.

(8) Projet initié et conçu par Clarisse Bardiot, en collaboration avec Buzzing Light et Thierry Coduys. Production Le Phénix scène nationale Valenciennes avec le soutien du Pôle Image Nord-Pas-de-Calais, de la Direction générale de la création artistique — Ministère de la Culture et de la Communication, du Fresnoy, Studio national des arts contemporains et de MA scène nationale — Pays de Montbéliard. Production cofinancée par PICTANOVO avec le soutien du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, de Lille Métropole Communauté Urbaine, de la CCI Grand-Hainaut, du Centre National du Cinéma et de l’image animée.

(9) Depocas (A.), Ippolito (J.), Jones (C.) (sous la direction de). L’Approche des médias variables. La permanence par le changement. Guggenheim Museum Publications et Fondation Daniel Langlois, 2003. Publié sur Internet : http://variablemedia.net (consulté le 01/05/2014).

conserver, restaurer, préserver les œuvres médiatiques et numériques

Après des études en histoire de l’art, philosophie et linguistique générale et une pratique en électronique, vidéo et photographie, Johannes Gfeller, né en 1956, a été professeur à la Haute École des Arts de Berne (2001-2011) et depuis 2011 à l’Académie des Beaux-Arts de Stuttgart, où il dirige le Master de « Conservation des nouveaux média et de l’information numérique ».

Les pistes hélicoïdales d’une bande vidéo demi-pouce, rendues visibles par le ferrofluide.

Les pistes hélicoïdales d’une bande vidéo demi-pouce, rendues visibles par le ferrofluide. Photo: © Johannes Gfeller.

Vous êtes conservateur-restaurateur spécialisé dans la conservation-restauration des Nouveaux média, est-ce que ce nouveau champ a changé l’approche traditionnelle de la conservation ?
Je crains que ni à Berne ni à Stuttgart (1), les spécialisations en conservation-restauration des Nouveaux média n’ont, ou ne vont, pour beaucoup changer les approches traditionnelles de la conservation. Si les deux approches ont en commun le soin apporté à l’œuvre d’art (ou du bien culturel dans l’archive), elles n’ont rien de commun au niveau technologique. Le monde des pigments et des liants couvre un autre continent que celui des électrons dans un semi-conducteur. Si la conservation était un peu moins « conservatrice », elle créerait une spécialisation « art contemporain, biens culturels électriques et électroniques » ou quelque chose de ce genre.

Le fait que les spécialisations plus traditionnelles utilisent des appareils d’analyse de haute technologie, et que ces derniers soient devenus des appareils numériques avec des données à structurer et à conserver à long terme, peut rapprocher les « traditionalistes » et les « modernes » (numériques). Le programme de Stuttgart couvre la photographie, l’audiovisuel et les données numériques. Si ce programme avait une Licence et un Master comme les quatre autres programmes, une fécondation de ces programmes par conservation numérique serait beaucoup plus facile. Malheureusement il est difficile de trouver des horaires communs.

Plusieurs théoriciens distinguent la conservation de la préservation des nouveaux média, que pensez-vous de cette distinction ? Quelle est sa signification ?
Dans les domaines plus traditionnels de la conservation-restauration, on s’est mis d’accord sur le fait que la ligne de démarcation est située quelque part entre la documentation, la conservation préventive, le nettoyage d’un côté et de l’autre côté la restauration, invasive si nécessaire avec toutes les implications d’une réversibilité des interventions. La restauration doit être fondée sur une expérience et un savoir plus large que les premiers, pour éviter des traitements inadéquats de l’œuvre en question. Le domaine de la restauration scientifique, qui n’existe que depuis quelques décennies, digère et souffre encore des dérives certes bien intentionnées du 19ème siècle.

Dans le domaine des média, qu’ils soient analogiques ou numériques, les « traitements » ont un caractère différent. Du côté des objets à conserver, par exemple une installation vidéo — mais on peut déjà l’élargir aux objets numériques —, il y a toujours cette contradiction entre conservation de la substance et conservation de la fonction. L’impossibilité même de répondre aux exigences des deux besoins à la fois a mené à la notion de l’obsolescence de l’original, avec tous ses effets qui conduisent à une « culture » d’échange d’appareils originaux (dans la mesure où ils sont gardés ou conservés) contre des modèles plus récents. Parfois ces derniers ont non seulement une apparence toute différente, mais il leur manque aussi les fonctions « primitives » de l’original propre à une époque révolue.

Cette pratique va créer des œuvres SDF, dépourvues de leurs « boîtes » typiques. Celles-ci pourtant racontent beaucoup de l’ère de leur création. C’est d’ailleurs un grand jeu de dupes malhonnêtes de priver toutes les générations à venir d’une expérience aussi authentique que possible d’une époque du passé. La question initiale (conservation et/ou préservation) n’a ici plus tellement de pertinence.  Il est plus important de considérer la fusion entre la conservation-restauration et l’ingénierie électronique pour développer de nouveaux modèles et pratiques de pérennisation qui ne seraient pas guidés par un corset idéologique tel que la « variable media initiative » (2) (à laquelle a succédé le projet Forging the Future (3)).

Gérald Minkoff, L’envers à L’endroit, 1971. Reconstruction 2008 par Johannes Gfeller.

Gérald Minkoff, L’envers à L’endroit, 1971. Reconstruction 2008 par Johannes Gfeller. Photo: © Johannes Gfeller.

Ce projet semblait marqué par un nouveau type d’artiste-curateur, auquel la conservation, restée trop longtemps dans son milieu pigments-liants, n’était pas préparé du tout. Pour sortir de ce déficit, la conservation a développé une culture de documentation (qui était bien nécessaire), mais absolument pas une culture de l’intervention que l’époque réclamait. La « variable media initiative » cachait son propre manque par une sorte de « il faut être absolument moderne », en appliquant des termes techniques de la science informatique, telle que la migration et l’émulation sur toutes les matérialités de l’art contemporain, que cela soit approprié ou non. Pour être juste, il faut dire que plus les œuvres étaient numériques, plus les différents niveaux d’intervention, tels qu’ils sont proposés par la « variable media initiative », gagnaient en pertinence.

Pour revenir à la question initiale, on a bien sûr non seulement à traiter des objets, mais aussi des supports d’information. Comme la conservation préventive demande une haute responsabilité dans son niveau d’intervention — qui est réelle : une conservation préventive sans effet possible sur les œuvres et les supports ne mériterait probablement pas qu’on s’y arrête —, le traitement des supports doit se fonder sur des expériences. Mais ces expériences sont fondées davantage sur le savoir de la communauté de ceux qui les pratiquent tous les jours, de nombreuses heures, face à des milliers d’objets, que sur les résultats des scientifiques, qui choisissent un corpus particulier qui est limité et maniable. Il y a certes des « do’s » et des « do not » dans la migration des supports, qui peuvent toucher à l’intégrité physique de l’objet, mais ils sont autant du côté du savoir (degré des études) que de la (mal)adresse. Le succès et la qualité d’une migration dépendent donc de divers facteurs, dont le degré atteint par les études n’est qu’un élément.

Pensez-vous que la théorie de l’archéologie des média (et en particulier le point de vue matérialiste de Friedrich Kittler, chez qui le hardware est fondamental) est pertinente pour aborder la conservation-restauration des nouveaux média ?
Absolument. Si déjà on parle d’archéologie, on s’est probablement mis en accord que cela comprend aussi les média analogiques. Ceci n’est pas évident, parce que pour beaucoup de personnes de ce milieu, les nouveaux média ne commencent qu’avec l’apparition du numérique (au mieux, dans la première moitié des années 1970). Pour la description de la fonction d’une œuvre numérique, on peut bien négliger ses composants électroniques, du moins si on se contente d’une approche plus philosophique, voire informatique. On peut donner une description minutieuse de la fonction et du comportement de l’œuvre sans entrer dans le niveau technique des signaux et des composants. Mais dès que se posent les questions de sa pérennisation, la connaissance du hardware devient indispensable. Beaucoup de défauts, même dans un objet considéré comme étant numérique, sont de caractère analogique : trop de chaleur implique des défaillances. Le vieillissement des condensateurs électrolytiques, la corrosion des platines et des contacts, les soudures dites froides, etc.

Tout ce savoir s’est accumulé pendant des décennies — s’en priver par une décision, selon laquelle il ne faudrait considérer que la technologie numérique serait une grosse bêtise. Ceux qui la propagent montrent que leur connaissance en hardware — qui est tout de même la base du trafic d’électrons et des valeurs de tensions analogiques ou numériques (qui, soit dit en passant, sont passées de deux valeurs à huit par cellule dans les récents disques durs solides SSD — la renaissance de la richesse analogique en quelque sorte), est fort restreinte. Adopter un tel point de vue est peut-être suffisant pour une discussion philosophique de salon reflétant nos temps modernes, mais pas pour une recherche professionnelle qui doit considérer tous les effets possibles.

Les média sont certes toujours issus d’une situation socio-culturelle, mais aussi techno-culturelle. Nier la base technologique de notre socialisation contemporaine n’est peut-être pas politiquement conservateur, mais philosophiquement. Le juste chemin de la compréhension et de la responsabilité dans l’usage des nouveaux média ne peut donc, dès lors que l’on se place sur la route de leur pérennisation, n’être que matérialiste, non pas au nom d’un choix volontaire, mais par une vue nourrie d’expériences techno-historiques qui alimentent le long chemin vers le virtuel. La connaissance de la matérialité est de la plus grande importance dans le virtuel à venir, dans lequel une grande partie de nos œuvres et idées vont finir. Néanmoins les deux notions « matérialisme » et « matérialité » ont des origines toutes différentes… Et nous ne les aborderons pas ici…

Des composants électroniques dégradés dans la télévision de Wolf Vostell, TV für Millionen, 1959/67.

Des composants électroniques dégradés dans la télévision de Wolf Vostell, TV für Millionen, 1959/67. Photo: © Johannes Gfeller.

Pouvez-vous donner un exemple emblématique des difficultés de la conservation des œuvres d’art numériques ?
Au lieu d’un seul exemple, je préfère ici esquisser ses difficultés principales. Si l’ordinateur, sur lequel une œuvre est installée, n’est plus réparable, on peut essayer de trouver le même modèle. Probablement la migration sera un succès. Mais, tôt ou tard, le remplaçant devra lui aussi être remplacé. Ici sonne l’heure de l’émulation : un ordinateur plus moderne fait comme si, grâce à un logiciel appelé « émulateur », il était l’ordinateur obsolète et à remplacer. Le logiciel original, peut-être programmé par l’artiste(-ingénieur), va « reconnaître » son environnement initial et se mettre en marche comme jadis. Mais tout cela a un coût.  L’élaboration d’une émulation de tout un système (par exemple une Silicon Graphics Indigo2) est un travail de plusieurs mois d’un informaticien spécialisé. Ce peut être un cas pour un crowdsourcing : mais qui sont les bénéficiaires ? Les visiteurs de l’exposition ? L’artiste ? …

Une œuvre existant uniquement sur internet ne connaît pas ces difficultés du bas-fond technologique. Mais elle dépend d’un changement encore plus rapide : celui des formats de données, des protocoles de transmission et des fonctions des navigateurs. La conservation d’une telle œuvre nécessite une reprogrammation permanente, si elle veut la maintenir en ligne. Nous pouvons essayer de la garder hors ligne, mais nous entrons alors de nouveau dans la problématique générale de la conservation des ordinateurs et de leurs logiciels, une problématique augmentée d’un problème d’ordre philosophique : si l’œuvre en ligne se nourrissait de données pour en faire son propre contenu, elle est littéralement mise en état de « conservation » dès lors qu’elle est mise hors ligne. Elle est alors sa propre documentation, et non plus l’œuvre en état de fonctionnement. Probablement elle nécessite même un succédané fini au lieu du réseau infini, mis à disposition sur un serveur qui peut être connecté par une « documentation » au lieu du réseau réel. Même si le visiteur de musée ne s’en rend pas compte, il y a dans ce cas plusieurs changements sinon des altérations profondes de l’œuvre initiale.

Signal vidéo perturbé volontairement dans un but créatif par Jean Otth, Hommage à Mondrian, 1972.

Signal vidéo perturbé volontairement dans un but créatif par Jean Otth, Hommage à Mondrian, 1972. Photo: © Johannes Gfeller.

Vous dirigez le Master de « Conservation des nouveaux média et de l’information numérique » au sein de l’Académie des Beaux-Arts de Stuttgart : quel bilan dressez-vous de cette formation? Quelles sont les disciplines les plus importantes ? Y a-t-il vraiment des débouchés ?
La durée totale de notre master est de 2 ans, stages professionnels et projets (pratiques) de conservation inclus. Si on en décompte le dernier trimestre qui est uniquement réservé au mémoire, il reste un an et 9 semaines pour les cours, qui se partagent entre la photographie, l’audiovisuel et l’information numérique. Quand j’ai pris en charge la direction du programme en 2011, il y avait peu d’équipement disponible pour les étudiants, à part des ordinateurs achetés en 2006, un scanner et une imprimante, et quelques caméras et lecteurs vidéos anciens. J’ai investi dans une collection d’appareils obsolètes surtout dans le domaine de l’audiovisuel, qui nous permettent de migrer des formats audio depuis le cylindre en cire jusqu’à un vaste nombre de formats de bandes magnétiques amateurs ou studio.

Dans le domaine de la vidéo, nous lisons presque une quarantaine de formats analogiques et numériques différents et nous sommes capables de les transférer en fichier non-compressé et sans drop-outs. J’ai acheté des outils de toute sorte, des microscopes, des sources lumineuses normalisées, des scanners de négatifs et de diapos de haut de gamme, des appareils pour le color-management, etc. Les étudiants et étudiantes ont beaucoup apprécié ce « material turn », qui leur a permis de découvrir des appareils, non plus seulement à l’occasion de visites dans des institutions avec lesquelles nous avons une collaboration, mais aussi dans les cours pratiques d’atelier que j’ai introduits dans l’académie.

Les études sont denses et nous nous demandons régulièrement si les trois spécialisations ne mènent pas à une trop grande superficialité des connaissances dans chacune des trois spécialisations. En retour se contenter d’une seule discipline les deux années ne permettrait pas vraiment d’avoir une connaissance approfondie. L’argument pour ne pas laisser tomber la photographie, qui est le médium le moins technique de notre programme, est double : non seulement la production s’est complètement tournée vers le numérique, mais de plus ce défi va changer pour beaucoup le profil professionnel des conservateurs. Dans notre programme, l’informatique possède un rôle clé, d’une part comme outil de convergence de média et d’autre part comme medium concerné lui-même par l’obsolescence. Jouer ce double rôle, en laissant ouvertes en permanence les portes de l’analogique — d’où viennent les données, est l’essence du programme de Stuttgart. Avec cette diversité, les diplômés trouvent des emplois dans des archives, des bibliothèques, des musées, et des programmes de recherche.

Des courroies complètement dégradées dans un magnétoscope vidéo Philips, env. 1967. Photo: © Johannes Gfeller.

Comment, en quelques mots, décririez-vous le travail du conservateur-restaurateur  d’œuvres d’art numériques ?
Comme il n’y a pas encore ce type de professionnel, regardons dans le futur : cela devra mener à une fusion entre l’ingénierie (pour deux parts), la science de l’art contemporain et des media (pour une part) et la conservation (pour une part), la répartition exacte entre ces parts étant variable. Bien sûr on peut continuer la voie de la conservation comme discipline centrale qui engage des professionnels spécialisés, mais je crois qu’il est temps aujourd’hui d’inverser les rôles. Selon ce modèle, ce sont d’excellentes connaissances techniques et informatiques qui doivent être enrichies par les principes élémentaires de la conservation et par des études culturelles. Pourquoi l’ingénierie et non pas seulement l’informatique ?

Les œuvres d’arts numériques ne sont que rarement des produits standards installés et programmés dans un but artistique. Très souvent elles comportent des ajouts mécaniques et/ou électroniques réalisés spécialement pour elles. Les grands principes de l’émulation ou de la virtualisation ne sont pas capables à eux-seuls de manier ces cas spéciaux, pour lesquels l’ingénierie est nécessaire. Pour les œuvres purement virtuelles, qui ne dépendent pas d’un hardware dédié, la répartition tourne en faveur de l’informatique (une à deux parts).

propos recueillis par Emmanuel Guez
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) Il s’agit des deux endroits d’enseignement de conservation des nouveaux média que je connais bien et qui sont en même temps les deux programmes principaux dans les pays de langue allemande. Pour une comparaison des deux programmes voir : Johannes Gfeller, À propos de la formation dans la discipline « conservation des média », in Bernhard Serexhe, Conservation de l’art numérique : théorie et pratique – Le projet digital art conservation, Walter de Gruyter, 2013, p. 567-584.

(2) www.variablemedia.net/

(3) http://forging-the-future.net/

 

 

Save our bit !

Qui ne se souvient de l’œil rouge profond de HAL 9000, la bête noire de David « Dave » Bowman dans le film de Kubrick, 2001, L’Odyssée de l’Espace ? HAL est l’acronyme de Heuristically programmed ALgorithmic computer. C’est aussi celui de l’Hypermedia Art Lab (1).

Stockage d’ordinateurs au sein du laboratoire PAMAL. Photo: © PAMAL / École Supérieure d’Art d’Avignon.

Si le HAL 9000 avait existé, il serait aujourd’hui obsolète. Non que les technologies l’aient aujourd’hui dépassé — elles n’en sont pas encore là —, mais s’il avait vraiment existé en 1968, alors il n’y aurait rien d’étonnant à trouver un HAL 9000 déglingué sur le bord d’un trottoir. Nombreux sont aujourd’hui les ordinateurs et autres machines médiatiques qui ont disparu et, en dehors d’un intérêt historique ou pour les musées d’histoire des techniques, pourquoi les conserver ? Depuis le premier ordinateur, il existe des œuvres d’art produites avec ces machines. Certaines de ces créations, parce qu’elles suscitent l’intérêt du monde de l’art ou de la culture, sont parfois traduites et diffusées par des machines bien différentes de celles pour lesquelles elles avaient été pensées. Jusqu’à quel point les œuvres d’art médiatiques peuvent-elles, au regard des effets sur la réception, passer d’une machine à une autre, comment peuvent-elles être réparées, dupliquées, émulées, migrées, virtualisées, réinterprétées, cultivées, qui sont les solutions habituellement proposées pour leur conservation (2) ?

Le projet HAL 8999 part d’un présupposé qui vient des théories de l’archéologie des média. Le « réflexe » de l’histoire et de la pensée en général consiste à oublier les machines. Ainsi bon nombre de machines médiatiques ont été « oubliées », alors qu’elles ont servi à produire des œuvres d’art. Issue de la théorie des média, l’archéologie des média postule que les machines et leur matérialité conditionnent le produit de la création et de sa réception. L’objectif est de mettre à l’épreuve, à la fois, et ce parti pris et les solutions évoquées plus haut, lesquelles aboutissent souvent à des contresens artistiques. Nous (3) avons alors mis en place un protocole d’étude appliqué à une série d’œuvres d’art (4), dont la conservation interroge le bien-fondé de ces solutions. Dans un premier temps, les œuvres sont activées dans le respect le plus strict de leurs conditions matérielles d’origine. Si cette activation est impossible, nous mettons en œuvre un second original. Ensuite, nous produisons une version émulée, migrée, virtualisée ou cultivée, dans la lignée des solutions habituelles. Enfin, nous proposons, avec l’artiste, une version réinterprétée, réalisée directement sur des machines actuelles. Par exemple, une œuvre conçue pour un Minitel pourra être proposée sur une tablette. Il s’agit dans ce cas de deux œuvres différentes.

Un « second original » pour des œuvres disparues.
Dans les différentes étapes de ce protocole, la plus passionnante à ce stade de nos recherches est celle de second original. « Second original » est une association peu commune de termes, qui selon leur définition respective, sont quasiment antinomiques. « Original » s’utilise en parlant d’une chose qui émane directement de l’auteur, tandis que le terme « second » lui est accolé en droit privé pour désigner le double d’un contrat ou document quelconque signé par le déclarant ou les parties (5). Dans le contexte de notre recherche, cette association de termes prend un sens voisin, bien que très différent. Entre les deux approches citées ci-dessus, notre « second original » ou « double original » serait une version de l’œuvre originale alors que celle-ci, sur sa machine d’origine ou équivalent, a disparu. Le « second original » reprend toutes ses qualités premières (software et hardware), émanant d’une collaboration entre l’artiste et le laboratoire (6). Le « second original » n’est plus à proprement parler une « œuvre », qui pourrait par exemple être vendue, mais une copie constituant une « archive » (7).

Stockage numérique des œuvres confiées au Laboratoire. Photo: © PAMAL / École Supérieure d’Art d’Avignon.

Il faut ici se placer dans un contexte d’exposition et de transmission de l’œuvre. Nous savons d’expérience, laquelle est courte en raison du peu de recul historique concernant ce type d’œuvres, qu’elles sont sensibles aux phénomènes d’obsolescence en plus des variations traditionnelles connues (matérielles, culturelles, etc.). Ces phénomènes d’obsolescence sont d’une telle ampleur qu’ils précèdent bien souvent tous les autres et entraînent des modifications radicales pouvant aller jusqu’à la perte complète de l’œuvre par dysfonctionnement, incompatibilité. Citons ici quelques exemples bien connus tels que l’abandon progressif d’une technologie largement employée par les artistes, tels Flash (8) ou Director (9), pour créer des interfaces et des animations. Nous pourrions aussi évoquer la rupture de compatibilité d’un système d’exploitation à l’autre (10).

Une archive qui sert aussi à retracer le processus de création
La réalisation d’un second original peut s’avérer utile sous deux aspects, en tant que nouvel exemplaire fonctionnel, puis en tant qu’expérience de conception. Le nouvel exemplaire fonctionnel réalise ce que la série promet. En art, comme ailleurs, le nombre fait la force. Plus un objet est reproduit, plus nous avons de chance de le conserver. C’est le choix fait par les responsables de la mémoire des centres de stockage de déchets nucléaires à l’ANDRA, multiplier le nombre d’exemplaires des « mémoires de synthèse pour les générations futures » contenant les informations essentielles (localisation, historique, contenu, etc.) tout en le distribuant au plus grand nombre (11). L’expérience de conception, quant à elle, permet de prendre la mesure des variations technologiques et des phénomènes d’obsolescence en mobilisant des achats de pièces, de logiciels et des connaissances des langages informatiques.

Lors de cette réalisation, la fabrication d’un second original refait l’expérience initiale de conception et éprouve ainsi les ruptures et incompatibilités prévues et imprévues tout en conservant l’intégrité de l’œuvre considérée. La conception de ce second original ne permet pas de préserver l’œuvre sur le long terme, puisqu’il est identique avec le « premier original » (12). Toutefois, il autorise à nouveau l’exposition, de la même manière que l’autorise la copie d’exposition. Tout en réalisant une étape intermédiaire de conservation préventive précédant les stratégies de conservation curative, plus complexes et encore peu expérimentées pour certaines, il est enfin une pièce dans le puzzle d’un écosystème médiatique donné, un élément de lecture et de compréhension en regard des contextes médiatiques, techniques et culturels, qui n’apparaissent que lorsqu’ils dysfonctionnent.

Lionel Broye
artiste et éditeur multimédia, Lionel Broye enseigne à l’École Supérieure d’Art d’Avignon.

(1) Le projet H.A.L 8999 est dirigé par Lionel Broye et Prune Galeazzi.

(2) Cf. Stricot (M.), « Agir (et non pas réagir) », p. 92-95, dans ce même numéro. Cf. son site  : http://digitalis.litchio.com/

(3) Le laboratoire PAMAL (Preservation, Archaeology, Media Art Lab), auquel est rattaché le projet. Il est composé de Stéphane Bizet (physique, électronique), Lionel Broye (artiste, éditeur multimédia), Christophe Bruno (artiste, théoricien), Prune Galeazzi (conservatrice-restauratrice), Emmanuel Guez (responsable du laboratoire, artiste, théoricien), Line Herbert-Arnaud (historienne de l’art).

(4) Les œuvres étudiées sont Angelino d’Albertine Meunier, .jpg printing de Jacob Riddle, Le critique automatique d’Antoine Schmitt, Counter de Grégory Chatonsky, Fascinum de Christophe Bruno, Les Secrets de Nicolas Frespech, DOEK d’Annie Abrahams et (sous réserve à l’heure de la rédaction de cet article) les videotex works d’Eduardo Kac.

(5) « Copie », et « duplicata » sont les termes utilisés indistinctement pour désigner la reproduction manuscrite, mécanique ou électronique d’un contrat ou d’un document quelconque. En revanche, le « double », est un second original signé par le déclarant ou par les parties (source  : www.dictionnaire-juridique.com/definition/copie.php)

(6) Une convention contractuelle permet d’établir clairement les conditions de réalisation d’un « second original » en accord avec (et la participation de) l’auteur et les éventuels propriétaires (privés ou publics).

(7) Cf. Guez (E.), « Exposer des zombies », p.  64-65, dans ce numéro.

(8) Se reporter à l’arrêt du développement de Flash Player pour iPhone et Android au bénéfice du HTML5.

(9) La disparition du CD-Rom qui est le support de destination des projets développés avec Director a rendu désuet tout travail avec ce programme, même si ce dernier s’est vu agrémenté de fonctions Web et 3D. Il faut cependant noter qu’il existe toujours une version fonctionnelle de ce programme chez Adobe, Director 12. Cf. www.adobe.com/fr/products/director.html

(10) C’est le cas avec Rosetta (Mac_OS_X) chez Apple, qui a entraîné l’illisibilité d’un grand nombre de productions artistiques et littéraires.

(11) Source : www.andra.fr/pages/fr/menu1/les-solutions-de-gestion/se-souvenir-19.html

(12) Cependant certaines pièces fabriquées de nouveau aujourd’hui, utilisées pour la réalisation d’un second original et dont la durée de vie nous est inconnue, pourraient s’avérer plus fiables que les pièces d’origine (ex. : la re-fabrication d’anciennes cartes Arduino).

entretien avec Anne Laforet

Les œuvres créées par et pour Internet rejoignent depuis quelques années les collections des musées. Elles posent de nouvelles et complexes questions de conservation, de restauration et d’exposition. D’une part, les matériaux numériques de ces œuvres sont fragiles et sont interdépendants d’un écosystème médiatique en perpétuelle évolution; d’autre part, leur mode de fonctionnement et d’activation suppose une relation, une interaction et des postures parfois datées du visiteur.

Jodi, OSS/••••, version web, 2005. Le programme #Reset en fonctionnement. Photo: © Jodi.

Les œuvres d’art Internet présentent de nombreuses spécificités qui font obstacle à leur préservation : ce sont des œuvres numériques qui traitent de l’information pour présenter un visuel et fonctionnent à travers un environnement informatique complexe. Beaucoup de paramètres entrent en compte pour le bon fonctionnement de ce type de créations : un écosystème médiatique, une relation avec le visiteur, etc. Aujourd’hui, avez-vous à l’esprit un protocole de conservation permettant de préserver cette expérience entre le pratiquant et l’œuvre ?
Faire l’expérience d’un site c’est, en effet, manipuler le dispositif que l’artiste met à disposition sur Internet. Il y a véritablement inscription du visiteur dans l’œuvre. Le spectateur est celui qui active l’œuvre, certes à distance, dans le cas d’un site, par exemple au moment de la connexion au serveur lorsque son adresse IP s’écrit dans le fichier log. Dans le cas de Sweet Dream de Julie Morel, l’Internet sert de pont entre la galerie et la chambre de l’artiste, l’œuvre est connectée, il n’y a pas véritablement activation comme dans le cas d’une œuvre en ligne.
Quand on parle d’écosystème médiatique et de relation homme/machine, ce qu’il faut retenir c’est que les interactions se font au travers d’un matériel particulier qui implique certaines postures. C’est particulièrement flagrant dans le cas d’OSS/•••• de Jodi, l’œuvre est inscrite dans un certain type de fonctionnement de l’ordinateur (avec écran, clavier, souris…), cela conditionne une relation particulière avec le dispositif. D’autant que ce mode relationnel n’est pas, aujourd’hui, l’unique mode d’accès aux œuvres. On peut y accéder par téléphone portable…
Le visiteur n’est pas incorporé de la même manière dans les objets, suivant s’il s’agit d’un ordinateur personnel, d’une tablette, d’un portable… Lorsque Jodi a créé des pièces comme OSS/••••, cela coïncidait avec le développement de l’Internet personnel. Le trouble que le dispositif de l’artiste amène dans le fonctionnement est intrinsèquement lié à un environnement situé, daté, qu’il peut être difficile de recomposer ou même d’imaginer aujourd’hui.

Jodi, OSS/••••, version web, 2005. Photo: © Jodi.

La préservation de l’ensemble des éléments constitutifs d’une œuvre d’art Internet est complexe et souvent même une étude poussée ne permet pas de cibler les risques futurs, malheureusement imprévisibles, car liés à l’évolution constante du réseau et de son milieu. Comment traiter une œuvre en vue de sa préservation, tout en prenant pleinement en compte ce paramètre d’obsolescence ?
Sur ce point, il y a le projet “Digital Art Conservation” réalisé en 2010-2012 autour de dix œuvres des institutions partenaires, des œuvres numériques de générations différentes. Ce type de projet sensibilise le monde de l’art à la préservation de ces œuvres et permet de tester des hypothèses à travers des études de cas.
Par exemple, avec les études de cas de Still Living d’Antoine Schmitt et OSS/•••• de Jodi. Ces œuvres ont été créées avec “Director” (logiciel) qui a été largement remplacé par Flash. Bien que Director soit encore fonctionnel alors qu’il est obsolète, ces œuvres créées avec un même logiciel peuvent connaître des stratégies de préservation différentes. L’œuvre de Jodi OSS/•••• existe sur CD-ROM et sur Internet. L’espace multimédia Gantner, l’institution ayant acheté cette œuvre, est en droit de la reproduire sur CD-ROM, mais que faire avec un support en voie d’obsolescence ? Et comment la montrer au public ? Sur l’ordinateur d’origine ou sur une machine récente ?
À son acquisition, cette œuvre a fait l’objet d’une intervention par les artistes où le code a été “porté” sur une plateforme informatique récente, parler d’original n’est alors pas vraiment pertinent. Mettre à jour est parfois une opération inévitable si nous ne souhaitons pas faire disparaître ces œuvres. Mais peut-être pouvons-nous contrôler et limiter les différentes plateformes sur lesquelles elles peuvent être montrées aujourd’hui, voire refuser certaines conditions d’exposition.

Puisque la pratique des internautes est constitutive de l’identité et du fonctionnement de l’œuvre, comment rendre compte de ces pratiques qui varient avec le temps ?
Il s’agit de savoir quel type de dispositif l’on peut recréer pour saisir l’écosystème médiatique de l’époque ? Comment saisir le caractère de nouveauté d’une œuvre ou d’une technologie a posteriori ? Comment faire ce voyage dans le passé tout en sachant ce que l’on sait aujourd’hui ?
Ce sont bien les conditions d’accès aux œuvres qui sont menacées. Aujourd’hui Internet a beaucoup changé et les navigateurs aussi. Beaucoup de fenêtres « pop-up » sont bloquées automatiquement par nos machines et nos navigateurs alors que beaucoup de sites Internet créés par des artistes utilisaient ces fenêtres comme élément à part entière de l’expérience de l’œuvre. Il est donc difficile sinon impossible de retrouver toutes les interactions, les sensations que procurait le réseau Internet des années 1980-90 en comparaison à celui d’aujourd’hui.
La documentation, plutôt que la conservation, offre des directions, comme par exemple la possibilité de filmer ou de faire une démonstration enregistrée du l’œuvre de net art pour garder certaines caractéristiques, ce qui n’est pas sans ironie pour des objets destinés à être expérimentés !

Aujourd’hui, une prise de conscience collective nous fait pleinement mesurer que « les machines meurent aussi ». Ainsi, préserver le numérique par le numérique est grandement remis en question, puisque préserver des objets par ces mêmes outils éphémères et évolutifs ne résout que temporairement le problème. Qu’en pensez-vous ?
Il faudrait réussir à faire en sorte que les œuvres soient maintenues sans rupture dans le temps, en trouvant un moyen d’entretenir les œuvres et leur fonctionnement, sans cesse les adapter à leur milieu évolutif. Cela peut passer aussi par une modification des pratiques artistiques des artistes eux-mêmes avec l’utilisation de logiciels libres plus stables dans le temps.

Antoine Schmitt, Still Living, 2006. Source : www.gratin.org/stillliving/ Photo: © Antoine Schmitt

La conservation implique une préservation et une transmission d’un objet, afin qu’il soit compris et montré dans le présent ainsi que dans le futur. Ainsi, il arrive aujourd’hui que les institutions montrent un site Internet des années 1990 sur un écran haute définition, plus grand et traitant la couleur de façon plus précise qu’il y a 20 ans. Qu’en pensez-vous ?
Il est tout à fait possible de penser la présentation des œuvres comme une documentation, avec tout ce que cela implique. Cela peut aussi passer par des petites choses : ce qui est traître, par exemple, c’est de ne pas dire qu’il s’agit de “re-création” notamment lorsque l’une galerie ou un musée présente un film émulé sur un autre support. Il faudrait simplement ajouter : cette pièce a été “numérisée en telle année.”
À ce sujet, il existe un texte très intéressant de Jon Ippolito sur le cartel de Death by Wall Label (1) où il invite les musées à faire des cartels rappelant l’ensemble des opérations qui ont été effectuées sur les objets. Il est très important d’indiquer les transformations qui ont fait que l’objet soit venu jusqu’à nous, les restaurations par exemple. Il n’y a pas d’œuvres d’art « telles quelles »…

Quels sont vos projets ?
Je réfléchis à un projet dont les contours sont encore flous, sur « l’anarchronisme », une contraction entre les notions d’anarchie et d’anachronisme. Au contraire des œuvres que l’on peut dater facilement, il y a beaucoup d’œuvres chronologiquement indéfinies. Leur caractère anachronique peut s’expliquer par un retour de l’analogique : comment se fait-il que certains artistes aujourd’hui utilisent les technologies analogiques au détriment de celles du numérique ? Cela est peut-être lié au fait que le numérique s’est banalisé. Et l’engouement des artistes pour des pratiques mixtes n’est pas que le fait de la nostalgie : des technologies plus anciennes en devenant obsolètes offrent des possibilités de remettre en jeu certaines formes ou trajectoires.

propos recueillis par Rémy Geindreau et Tiphaine Vialle
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) http://thoughtmesh.net/publish/11.php

Le générateur Cockcroft-Walton du Professeur Thibaud

Remonter, restaurer, exposer un objet technique : toutes ces actions dépendent de considérations technologiques dont on pourrait dénouer les fondements. Ou comment un fragment d’accélérateur de particules oublié, et pourtant très présent dans notre imaginaire, devient un objet patrimonial.

Le générateur en pièces détachées aujourd’hui, 2013. Photo: © Séverine Dérolez

Vestige de la « Big Science »
Dans un laboratoire de physique encore en activité s’alignent, dans une lumière irréelle, pareille à des monstres luisants, de fantastiques machines (E.P. Jacobs), des sphères métalliques de plus d’un mètre de diamètre, des tubes de bakélite, des éclateurs, etc. : un appareillage fragmenté digne d’Objectif Lune, des aventures de Blake et Mortimer (1), d’un roman de Mary Shelley ou d’un crash extraterrestre. En réalité, il s’agit du générateur de type Cockcroft-Walton (2) en pièces détachées, qui alimentait en haute tension (1.2 Méga-Volts) un accélérateur de particules. Il doit aujourd’hui être restauré et présenté sur le campus de l’Université Lyon 1. Commandée par le physicien Jean Thibaud à la société Haefely au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette machine « briseuse d’atomes » fut utilisée à la caserne militaire de la Vitriolerie puis à l’Institut de Physique nucléaire de Lyon où elle est actuellement entreposée.

Parmi ses usages multiples, elle a notamment servi à former les cadres de l’armée à la physique nucléaire et fut utilisée dans le cadre d’une collaboration avec le CERN pour un projet d’accélérateur d’ions lourds. Cet objet technico-scientifique monumental, qui culmine à 7 mètres de haut, et dont quelques rares exemplaires sont exposés dans le monde suppose, pour sa restauration, de retracer toute la chaîne opératoire, de sa fabrication à son obsolescence (3). Cette obsolescence du générateur qui provoque la crainte de sa disparition et donc le souci de sa conservation, suppose une perte considérable de savoirs.

En effet, il faut avoir, comme nous le rappelle Pierre Bourdieu dans le cas d’un objet de la même famille, incorporé beaucoup de théorie et aussi de routines pratiques pour être à la hauteur d’un cyclotron (4). Préserver, ce n’est pas implorer la venue d’un deus ex machina qui viendrait tout dénouer de la tragédie culturelle, mais c’est recomposer fragment par fragment la trajectoire de la technique réelle et fictionnelle, dont l’objet n’est que la trace. C’est une démarche proche de la rétro-ingénierie et de l’archéologie industrielle qui consiste à prendre pour point de départ un objet technique existant pour revenir à l’environnement d’usage du générateur.

Mystères de laboratoire
Le générateur Cockcroft-Walton est apparu d’emblée comme ésotérique, puisque la pratique scientifique est souvent fantasmée et le mode d’existence des objets techniques peu connus, excepté par le prisme de la science-fiction et de la vulgarisation scientifique. Il a donc fallu faire appel à des domaines connexes à la restauration, des « sciences studies » aux mécanismes patrimoniaux, pour pouvoir aborder cette proche altérité. Méthode qui s’est avérée efficace notamment pour identifier les différents organes fonctionnels du générateur en l’absence de plans et de documentation (condensateurs, diodes, résistances, pare-effluves, etc.), pour diagnostiquer certaines altérations d’usage, pour repérer les modifications matérielles (changements de pièces, de la source, des tubes accélérateurs associés, etc.), pour retracer le parcours historique de l’objet, etc.

L’anthropologie des techniques nous apprend, notamment avec Leroi-Gourhan, que toute la personnalité d’un groupe humain est enfermée dans la moindre de ses productions matérielles (5). Il n’y a pas tant de différences entre les objets du Musée du Quai Branly et ceux du Musée des Arts et Métiers. Peu d’éléments, du point de vue typologique, permettent de distinguer un masque rituel non occidental muséifié d’une machine de laboratoire, d’une télévision ou d’un téléphone portable en cours de patrimonialisation. Une machine est bien significative d’une ethnie puisqu’elle s’inscrit dans une culture, dans des modes d’actions, de croyances, dans des institutions, des organisations propres et singulières à une société.

Le secours de l’anthropologie, de l’ethnologie ou de la sociologie des sciences et des techniques est donc important afin de comprendre l’objet au-delà de ce qu’on suppose de lui. Il s’agit bien de replacer le générateur Cockcroft-Walton à la place qui était la sienne, en amont de tel tube accélérateur, avec tel pupitre de commande, avec tels physiciens, dans telle cage de Faraday, tel laboratoire, etc. L’exposition du générateur en intérieur ou en extérieur, dans tous les cas, dans un autre contexte, ne peut être envisagée qu’après avoir exhumé l’environnement d’usage passé de l’objet. Combien d’erreurs de médiation peuvent être ainsi évitées !

Le générateur Cockcroft-Walton dans la cage de Faraday (dôme), 1992. Photo: © IPNL

Réparer / Restaurer
Si la restauration de l’objet suppose, entre autres, des connaissances dans les traitements d’inhibition des alliages d’aluminium au silicium et dans la protection de la bakélite (premier plastique synthétique) des condensateurs, nombre de questions dépassent les stricts ressorts techniques — bien qu’elles les alimentent. John Hart, dans la préface qu’il donne à la troisième édition de l’ouvrage de Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (6), livre une anecdote qui en dit long sur une certaine conception de la restauration des objets techniques : lorsqu’au second symposium de mécanologie il [Simondon] a loué le Coal Board d’Angleterre pour la restauration de la machine de Newcomen, il a fait remarquer que l’objectif des conservatoires et des musées doit être la remise en fonctionnement des objets techniques.

On pourrait opposer à cette vision qui prône un retour à l’état d’usage des objets techniques, puisque c’est précisément cette ustensilité qui les différencie des autres biens culturels, une autre, plus en adéquation avec la déontologie de la conservation-restauration, qui préconise la préservation des traces historiques inscrites dans l’objet (traces d’usages). La première approche condamne l’objet à plus ou moins court terme en même temps qu’elle permet de faire perdurer l’efficacité de la technique; la seconde permet de pérenniser l’objet, mais rogne ce pour quoi il avait été conçu (7). Ces deux approches sont donc, et de manière égale, la cause d’une perte considérable. Camper sur l’une ou l’autre de ces visions s’avère néfaste.

Le rétablissement de la fonction utilitaire dans le cas d’un objet issu de la « Big Science », comme le générateur, relève de l’utopie sauf si l’on fait abstraction des nombreuses contraintes techniques, de sécurité, et si l’on considère que les ajouts de pièces ne sont pas actes de falsification. De plus, comme tout objet technique, du satellite au plus petit des transistors, le générateur Cockcroft-Walton n’a de sens qu’en interaction avec un milieu (ici, le champ scientifique). Aussi, la mise sous tension du générateur est-elle condamnée à la fragmentation. De surcroît, le courant électrique (aussi visuelle que puisse être la métaphore langagière du « courant ») du générateur est, par nature, invisible. Que pourrait-on voir de plus, nonobstant les phénomènes d’arcs électriques ? Ce sont pourtant des machines atomiques de la sorte — et en fonctionnement ! — qui ont inauguré le Palais de la Découverte en 1937 avec pour objectif de montrer « la science en train de se faire ».

Même s’ils ne fonctionnent plus et même s’ils sont détachés de leur contexte, les objets techniques patrimoniaux gardent un usage au mieux symbolique (8) ou au moins documentaire. Le fonctionnement symbolique empêche parfois le fonctionnement technique de l’objet : re-faire fonctionner le Cockcroft-Walton n’aurait pas plus de sens et de légitimité que de re-faire voler le Blériot XI pour une autre traversée de la Manche — qui n’aura rien à voir avec la première — à défaut d’une machine à démonter le temps.

Les « savoirs : maintenir et réparer » et les « savoirs : préserver et restaurer » (9) le Cockcroft-Walton ne sont pourtant pas à opposer : force est de constater qu’ils se confondent parfois, et surtout que les premiers vont conditionner les seconds. Il n’y a peut-être pas tant de différence entre l’ingénieur électrotechnicien qui va tenter de réduire l’ondulation résiduelle de la tension du générateur, et le restaurateur qui tente, tant bien que mal, de réduire la fragmentation de la technique. Exposer l’objet oblige à un nouveau type d’efficacité socio-technique : cet objet identique et inédit à la fois est vidé en son centre, par où toute parole peut se proférer désormais, fluer, comme si tout était dès lors possible, comme si la citadelle était à prendre. […] Les mots vont le réinstaller dans la loi de la gravité ; les étiquettes vont solidement l’arrimer dans un sol neuf (P. Mairot) (10).

Esthétique et technique
On peut dire que le bien, dès le moment où il est extrait du lieu où il reposait, est exposé, d’une part, à une détérioration physique et, d’autre part, à une détérioration culturelle puisqu’il est transformé et se charge de multiples connotations qui ne sont pas toutes légitimes, écrivait Umberto Eco (11). Nombre de sédiments culturels changent notre perception des objets techniques, parfois même de manière insoupçonnée. Qui ne pense à Germinal devant une mine-musée ? À Turner devant une machine à vapeur ? À Barbarella ou à Doisneau chez les Joliot-Curie, devant un générateur Haute Tension ? Les goûts, l’histoire des styles, de l’art modifient notre regard sur les objets techniques. C’est d’ailleurs pour son esthétique que le générateur a été choisi comme décor d’une série télévisée de science-fiction Bing (12) diffusée sur FR3 en 1992.

Le dépouillement fonctionnel du générateur Cockcroft-Walton est en fait l’avatar du XXe siècle de l’esthétique technique. Au XIXe par exemple, les instruments scientifiques en laiton étaient pour la plupart vernis ce qui les protégeait de la corrosion et des dégradations et leur conférait un aspect doré : cet aspect recherché n’a aucun rapport avec le minimalisme formel des objets techniques du XXe siècle finalement proche de l’abstraction, du constructivisme, du futurisme, etc. On ne peut non plus occulter l’image véhiculée par ces « cathédrales de la science » à différents moments de l’histoire : leur perception dans les années 30, lorsque la science exécute un pas de deux avec le progrès, n’est pas la même qu’au lendemain de l’explosion de la bombe atomique ou après les catastrophes liées au nucléaire civil, ni la même qu’aujourd’hui où les accélérateurs de particules se mesurent en kilomètres.

Le générateur avec l’accélérateur d’agrégats d’hydrogène dans le dôme, 1992. Photo: © IPNL

Irréduction de l’objet technique
La tâche du technologue, nous dit Simondon, est d’être le représentant des êtres techniques auprès de ceux par qui s’élabore la culture. En ce sens, les acteurs du projet d’exposition du Cockcroft-Walton sont bien des technologues; et pour ne pas galvauder ce terme, ils se doivent de porter une réflexion sur la technique qui ne soit pas réductrice. Quelle place et quelle signification donner aux modes de fonctionnement initiaux et évolutifs des objets techniques et comment s’en informer ? Comment, à travers la médiation, diminuer l’écart entre les usages passés de l’objet et son usage futur ?

L’introduction d’une symétrie entre les modes d’existence passés et futurs est une des voies possibles pour intégrer la rupture entre les différents milieux d’usage du générateur. En quelque sorte, le script inscrit dans le générateur, soit celui d’être un médiateur ou un « actant » (13), doit être transmué dans un autre contexte. S’il permettait, il y a peu de temps encore, de briser les atomes selon le principe de l’effet tunnel — et donc de construire les liens sociaux qui maintenaient le monde de la physique —, il va désormais servir à construire et maintenir la culture scientifique commune en produisant de nouveaux types de liens. Le restaurateur étant en première ligne face à l’objet, comment s’y prendre pour acter cette symétrie ?

Depuis son achat, le générateur n’a cessé d’être adapté et modifié et nous avons toutes les bonnes raisons de penser que le figer à jamais, en faire un « objet fermé » serait dommageable. Pour réussir le passage du générateur dans un contexte culturel, il ne faut réduire le Cockcroft-Walton ni à son ustensilité, ni à son histoire, ni même à une esthétique, fut-elle particulièrement prégnante, à moins d’en faire une coquille vide de la technique ou une forme anecdotique d’un générateur identique dans les aventures de Tintin. Il faut en revanche assurer le maintien de ces trois dimensions dans un équilibre permettant au générateur de déployer ses multiples aspects culturels.

Alliances disciplinaires
Après avoir entrepris le constat d’état et le diagnostic de l’objet, en parallèle de l’enquête de terrain en laboratoire (interviews de témoin, analyses scientifiques…), les traitements doivent permettre non seulement d’enrayer les dégradations évolutives (corrosion, salissures, fuites…), de faciliter le remontage, mais aussi et surtout, de permettre une relation socio-technique avec le générateur. Cela exige, entre autres : de garder un potentiel de fonctionnement. Même si l’objet n’est plus destiné à être utilisé dans le cadre de la physique nucléaire, sa transmission passe aussi par le maintien de son ustensilité.

Il faut préserver, autant que possible, l’état de surface fonctionnel des éléments, remonter les organes fonctionnels, recréer la cage de Faraday (reconstitution d’un dôme par exemple en tant qu’abri en cas d’exposition en extérieur), etc. ; préserver les traces d’usage (impacts d’arcs électriques, inscriptions, etc.) garantes de ce que Aloïs Riegl appelle les « valeurs historiques, d’ancienneté et d’usage » ; maintenir le rapport forme/fonction de l’objet (polissage des sphères, décrassage des tubes en bakélite…), gardien de l’esthétique de l’objet; créer des outils de contextualisation (par exemple, recomposition de l’ensemble de l’environnement en réalité augmentée, etc.) dans un souci didactique (14).

De la même manière qu’il est impossible de suivre le parcours d’un générateur Cockcroft-Walton sans passer de la politique à l’ingénierie, de l’armement nucléaire français à la trajectoire d’une particule (15), on ne peut suivre le fil de la médiation du générateur sans passer d’une discipline à l’autre, disciplines que l’on tient ordinairement pour distinctes. Il est indispensable que les modalités de préservation d’un objet sur lequel viennent se cristalliser autant d’aspects culturels (de l’ère de l’atome à la bande dessinée) soient issues d’alliances de compétences qu’il ne s’agit pas simplement de superposer, mais de recomposer, voire de confondre (au sens de mélanger).

On ne peut construire un nouvel usage du générateur, le faire passer d’un monde à l’autre, que lorsque l’histoire déborde sur l’ingénierie, la physique moderne sur la sociologie, l’esthétique sur la technique, le génie électrique sur la médiation, la restauration sur la technologie, etc. Nous sommes loin du mythe de l’inventeur démiurge isolé ou du réparateur d’automates solitaire qui à l’aide de la foudre ou de « l’Onde Septimus » va remettre de la technique dans la machine, va invoquer l’esprit qui manquait aux rouages. Le restaurateur doit agir collectivement, dans une trans-disciplinarité consistant à réunir autour de la même table Homo Sapiens, Faber, Ethnologicus et Patrimonialis et leur faire parler une même langue dans le même but : adapter l’objet à son nouveau milieu.

Rémy Geindreau
conservateur-restaurateur, diplômé du DNSEP
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) Plusieurs générateurs de type Cockcroft-Walton sont représentés en BD, notamment par Hergé dans Objectif Lune, p.23 (Casterman, 1953) et par E.P. Jacobs dans Le Secret de l’Espadon, p.147 (Lombard, 1950 / réédition Éditions Blake et Mortimer, 2002).

(2) Un générateur Cockcroft-Walton est un multiplicateur de tension. Il produit une tension continue élevée en accumulant des charges électriques grâce à une série de condensateurs et de diodes montés en cascade. Ce procédé est inventé par John Cockcroft et Ernest Walton au Cavendish Laboratory de Cambridge. Ils obtiennent le prix Nobel de physique en 1951 pour ce montage avec lequel il réalise, en 1932, la première transmutation contrôlée de l’histoire. (Cf. Cockroft (J.D.), Walton (E.T.S.), « Disintegration of Lithium by Swift Protons, Letters to the Editor », April 30, 1932, Cavendish Laboratory, Cambridge, April 13, Nature, n°3261, Vol. 129)

(3) Cf. Geindreau (R.), Contribution de la conservation-restauration au destin patrimonial d’un générateur Cockcroft-Walton, mémoire de fin d’études, DNSEP option art, mention conservation-restauration, École Supérieure d’Art d’Avignon, 2014. Cette étude préalable à la restauration ainsi que l’enquête ethno-technologique ont été menées en étroite collaboration avec Jean-Paul Martin, physicien CNRS/IPNL et Séverine Dérolez, doctorante en histoire et didactique des sciences, Laboratoire S2HEP, Université Lyon 1, chargée de la mission de sauvegarde du patrimoine technique et scientifique contemporain (PATSTEC) au Musée des Confluences de Lyon.

(4) Bourdieu (P.), Science de la science et réflexivité, Raisons d’agir, 2001.

(5) Leroi-Gourhan (A.), « Ethnologie et esthétique », Les racines du monde, Belfond, 1982.

(6) Simondon (G.), Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, 1989 (1ère édition : 1958).

(7) Pour une approche des dilemmes de la restauration des objets techniques, cf. Granato (M.), Le Guet Tully (F.), “Les principes de la restauration d’instruments scientifiques : le cas du cercle méridien Gautier de l’observatoire de Rio de Janeiro”, revue In Situ, revue des patrimoines, 2009.

(8) C’est le “paradoxe de Mustang” théorisé dans l’ouvrage de Muñoz Viñas (S.), Contemporary Theory of Conservation, Elsevier, 2005.

(9) Rolland-Villemot (B.), « Le traitement des collections industrielles et techniques, de la connaissance à la diffusion », La Lettre de l’OCIM, n°73, janvier 2001.

(10) Mairot (P.), « Musée et technique », Terrain [En ligne, 2005], 16 mars 1991.

(11) Eco (U.), « Observation sur la notion de gisement culturel », Traverses n°5, printemps 1993, Centre Georges Pompidou.

(12) Série inspirée du roman Pardon, vous n’avez pas vu ma planète ? de Bob Ottum, J’ai lu, 1976.

(13) Cf. Akrich (M.), « Comment décrire les objets techniques ? », Techniques et Culture, n°9, p. 49-64, 1987 et Latour (B.), La science en action, (1987), trad. de l’anglais par M. Biezunski, La Découverte/Poche, 2005.

(14) Derolez (S.), Khantine-Langlois (F.), Lautesse (P.), « L’objet de patrimoine comme ressource pour l’enseignement », Cahiers de la recherche et du développement — Le patrimoine scientifique comme ressource pour l’enseignement, 2014.

(15) Pestre (D.), « Les physiciens dans les sociétés occidentales de l’après-guerre. Une mutation des pratiques techniques et des comportements sociaux et culturels », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1992.

Conserver l’art numérique à l’aune de ses propres valeurs

Dragan Espenschied est un artiste connu pour ses œuvres du réseau et ses musiques 8-bit. Il dirige le programme de conservation d’art numérique de Rhizome depuis cette année. Entretien.

Vous dirigez le programme de Rhizome (1) dédié à la conservation d’art numérique (Rhizome’s Digital Conservation Program). Quelle est votre approche personnelle de ce type de conservation et pourriez-vous nous en dire davantage sur ce programme ?
Rhizome est une organisation très intéressante en ce qu’elle est née sur un support numérique et qu’elle gère une archive d’œuvres elles aussi créées sur des supports numériques. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une collection d’art sur CD-ROMs, mais d’éléments très hétérogènes liés à l’Internet. À l’instar de nombreuses organisations ancrées dans la culture numérique et caractérisée par ses valeurs d’accès libre et facile, Rhizome a amassé un grand nombre d’artefacts et doit faire face à un défi d’envergure quant à leur conservation. Il s’agit en effet de gérer plus de 2000 œuvres d’une grande diversité technique et culturelle, datant de 1998 à nos jours.

Mon objectif consiste à mettre au point un protocole de conservation qui fonctionne par catégories d’objets, voire de systèmes, au lieu de s’évertuer à gérer des œuvres individuelles. Ma précédente expérience professionnelle avec le bwFLA (2) et Geocities (3) s’est avérée très enrichissante. Il en découle que la visée de la restauration d’un artefact doit également élever la qualité de la conservation des autres pièces voire aborder en une seule fois un ensemble d’artefacts qui partagent des problématiques similaires. Si nous avons pour habitude de concevoir les œuvres d’art comme des pièces uniques qui demandent à être abordées de manière isolée, cette pratique ne convient pas à la culture numérique où la majorité des artefacts interagissent avec un large éventail de systèmes. La profondeur réside alors souvent dans son ampleur.

Vous mettez l’accent sur l’accès, pouvez-vous nous en dire plus ?
Il est nécessaire d’établir une distinction entre stockage et accès. Lorsque l’on sauvegarde une œuvre numérique, le processus devrait viser à prélever autant d’éléments que possible, sans faire toute une histoire autour des soi-disant « caractéristiques importantes ». On devrait plutôt s’efforcer de restituer tout « original » dans son intégralité. Maintenant, le fait que la culture numérique porte davantage sur les pratiques que les artefacts peut compliquer les choses et de nouvelles méthodes doivent être développées pour nous aider sur ce point. Le téléchargement d’un site Internet n’est pas adapté à la plupart des œuvres contemporaines. Rhizome se préoccupe tout autant de cet aspect. L’accès consiste à réactiver la pertinence des originaux conservés. Par exemple, la création d’une série de simulations de captures d’écran à partir du torrent de GeoCities a rétabli ce projet dans le circuit actuel des médias sociaux, comme autant de dérivés de l' »original ».

Pensez-vous que la théorie de l’archéologie des média (et de manière générale son approche qui accorde une importance prépondérante au matériel informatique) soit pertinente pour la conservation de l’art numérique ?
Dans un monde idéal, en effet, ce serait pertinent, mais en pratique je pense que pour les organisations concernées c’est quasi-impossible. Les valeurs de la culture numérique ont de multiples points d’accès et si quelque part dans une salle de lecture verrouillée, on trouvait un vieil ordinateur ce ne serait pas très utile pour écrire l’histoire du numérique. La majorité des organisations clés de la culture numérique sont petites et mobiles. Ce type de maintenance ne parait pas tenable en ce qui les concerne et se focaliser sur le maintien du matériel est un luxe que seuls quelques-uns peuvent se permettre. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’une part importante de cette culture est générée par des communautés qui ne bénéficient d’aucune forme de soutien institutionnel. Dans ces conditions, comment pourraient-elles préserver leur culture ?

Je crois fermement à l’émulation et à la conservation du système en tant que technique pour maintenir les originaux en vie, ainsi qu’à la migration et la réinterprétation comme stratégies de communication à court terme. Dans le projet bwFLA, nous avons réactivé environ 300 CD-ROMs de la fin du siècle dernier issus des archives de la Transmediale (4). Tous ne fonctionnaient pas, certains fonctionnaient mal et la performance des autres encore restait douteuse. Mais cet effort a permis de faire resurgir quelque chose qui était devenu inaccessible. Cela dit, la restauration de masse ne doit pas forcément être un point final. Elle doit aussi servir à sélectionner les artefacts qui méritent une étude encore plus poussée.

Pensez-vous que l’intégration de l’art numérique, en particulier de l’art Internet (et plus particulièrement encore du net.art), dans l’art contemporain dépende de pratiques de conservation efficaces ?
C’est le moteur principal de mon travail dans ce domaine. Je souhaite que les artistes puissent construire un corpus suffisant sans avoir à imprimer leurs sites internet pour les vendre à des galeries ou des musées. Je suis sûr que cela permettra aussi à l’art Internet de toucher des terrains beaucoup plus radicaux. Les outils développés pour la conservation de l’art numérique auront des effets positifs en dehors des institutions, pour des communautés et des individus sans soutien institutionnel.

Quel est le problème majeur de la conservation de l’art numérique ?
Trop de travail et pas assez de temps ! Je pense que les métaphores mal choisies et mal comprises de la bibliothèque, l’archéologie, l’archivage et du catalogage de l’art empêchent ce domaine de progresser. Nous semblons nous battre sur la façon d’attribuer une valeur culturelle aux artefacts numériques à l’intérieur de systèmes de mémoire établis, alors que cela fait déjà longtemps que la culture numérique a créé ses propres valeurs.

Pourriez-vous me donner un exemple de cas limite de conservation d’art numérique ?
Ha ! Ce problème concerne avant tout ce que l’on accepte comme étant suffisamment authentique. Jusqu’à présent, j’ai réussi à trouver des solutions pour conserver à peu près tout. Le vrai problème réside dans la quantité de ressources technologiques et de la main d’œuvre. On peut aussi incriminer une certaine incapacité à percevoir des abstractions ou trop de proximité avec des pratiques standard inadaptées. L’impossibilité véritable survient quand il n’y a rien à conserver, quand une pièce a totalement disparu ou a été détruite et qu’aucune copie ou documentation ne demeurent hormis les souvenirs de son existence. Elle ne peut alors subsister qu’en tant que légende.

propos recueillis par Emmanuel Guez

Captures d’écran de pages d’accueil de sites hébergés sur GeoCities choisies par E.G. Source : http://oneterabyteofkilobyteage.tumblr.com/ Photo: © Olia Lialina & Dragan Espenschied

(1) Rhizome, site fondé en 1998 par Mark Tribe, possède une base de données (appelée ArtBase). Cf. http://rhizome.org/

(2) bwFLA – Emulation as a Service (EaaS), un projet porté par Klaus Rechert, professeur en systèmes de communication à l’Université de Freiburg. Le projet consiste à faciliter et à universaliser l’émulation comme stratégie de préservation des œuvres numériques. Cf. http://bw-fla.uni-freiburg.de/

(3) GeoCities est un service d’hébergement Web qui a existé de 1994 à 2009. En 1999, il était le troisième site le plus visité dans le monde (source : http://en.wikipedia.org/wiki/GeoCities). L’idée de départ consistait à associer une page personnelle ou un site à une « cité » et non à un nom d’utilisateur. Cette idée, caractéristique du Web 1.0, a beaucoup influencé une certaine vision du Web, conçu comme espace et comme lieu. Avec le projet One Terabyte of Kilobyte Age, Dragan Espenschied et Olia Lialina ont archivé des centaines de pages d’accueil des sites de GeoCities. Cf. http://contemporary-home-computing.org/1tb/ et http://oneterabyteofkilobyteage.tumblr.com/

(4) Originellement festival d’art vidéo en marge du festival de cinéma Berlinale, la Transmediale est depuis 1998 un festival des arts et cultures numériques qui se déroulent tous les ans à Berlin.

vue par Annie Abrahams, Martine Neddam et Julie Morel

Dans le Net art, préserver, montrer et médier sont indissociablement liés, car l’Internet, ce « lieu » (ou non-lieu) de l’exposition de l’œuvre, est aussi son médium. Or l’Internet change, les internautes aussi et les machines vieillissent (souvent mal). D’où la nécessité de documenter l’œuvre et de l’accompagner jusqu’à son dernier souffle.

Julie Morel, Sweet Dream, 2007. Photo: © Julie Morel

Les pratiques artistiques qui, dans les années 1990, se montraient sur l’Internet, que ce soit par contrainte — absence de soutien institutionnel —, en réaction à l’institution ou tout simplement parce qu’elles n’en avaient plus besoin pour se diffuser ou rencontrer leur public (1), ne se préoccupaient pas de leur pérennité. Or, ces œuvres disparaissent petit à petit de notre paysage informatique. Les navigateurs sont mis à jour, les balises sont remplacées… menant inévitablement au non-fonctionnement de certains éléments.

Ainsi, les œuvres disparaissent avec le médium de leur exposition. Si l’on peut être tenté de penser que les artistes sont les personnes le plus à même de corriger les erreurs qui surviennent sur leurs pages Internet au fil des années, ce temps d’entretien vient empiéter sur le temps destiné à la création. Conservation et instauration ne sont pas toujours cumulables.

Les œuvres d’art Internet représentant un intérêt grandissant, il est logique de penser que leur préservation pourrait revenir à un réseau actif d’acteurs impliqués dans leur conservation, comme c’est déjà le cas dans le cinéma expérimental ou les films réalisés en Super 8. Mais, comment alors assurer la pérennité de ces œuvres dans le « lieu » de leur exposition ? Comment, tout au moins, rendre compte de son évolution et comment les transposer dans un espace d’exposition qui devient alors « autre » (Offline ou Online) ?

Sweet Dream / Julie Morel / du hard- et du software
Dans l’espace de la galerie, le visiteur de Sweet Dream, réalisée par Julie Morel en 2007, est invité à appuyer sur une touche de clavier d’ordinateur (« wake up » ou « sleep ») qui allume ou éteint une lampe installée à distance, au domicile de l’artiste. L’œuvre est donc physiquement présente dans l’espace usuel. Supposant l’utilisation d’Internet, l’œuvre est également présente au sein de cet espace-temps particulier, faisant alors du réseau lui-même, outre un composant fonctionnel, un médium. L’étude de Sweet Dream (1) soulève de nombreuses questions aussi bien pour la restauration que pour l’exposition d’œuvres à composantes numériques. En effet, comment identifier les risques présents et à venir dans ces œuvres dont les constituants sont sujets à obsolescence et dont le fonctionnement dépend d’un environnement particulier et autonome (ici, des touches de clavier, une carte Arduino, un Mac mini, Internet, etc.) ?

Le fonctionnement de Sweet Dream dépend d’un dispositif comprenant plusieurs matériels informatiques (hardware) ponctuant les différentes étapes que connait le signal, envoyé par les deux touches de clavier d’ordinateur à la lampe de chevet de l’artiste. Élaborer des axes de conservation-restauration pour cette œuvre implique de pleinement comprendre ces matériaux, matériels et composants afin de définir leur rôle au sein du dispositif. Chaque matériel est incorporé dans le dispositif par les soins de l’artiste et est en interrelation avec les autres. L’œuvre étant destinée à fonctionner, il est nécessaire de comprendre le dispositif technologique comme étant un point d’intervention crucial, bien que celui-ci ne soit pas visible par le spectateur.

Toutefois, Sweet Dream est non seulement une œuvre technologique, mais elle est aussi conceptuelle. Julie Morel s’intéresse particulièrement au caractère sensible des technologies : la textualité singulière des machines et les accidents qu’elles peuvent produire (2). Dès le ready-made, la forme sensible ne constitue plus un socle fiable à la signification. L’œuvre n’est plus ni strictement, ni intégralement identifiable à sa forme (3). C’est pourquoi l’étude de conservation-restauration doit porter ici sur l’ensemble du dispositif, y compris conceptuel, incluant la partie invisible qui se trouve au domicile de Julie Morel.

Je suis intervenue sur cette œuvre (4) afin de sécuriser le dispositif dans sa globalité. Les composants sont destinés à être manipulés et s’en retrouvent inévitablement fragilisés. Ce qui nous conduit immanquablement à la nécessité de composer des stocks de matériels de rechange en cas de panne ou de défaillance, avant que la production du matériel en question soit écoulée. Mais ici, comme chez tous les artistes de Net art, le hardware ne fait pas tout. Il faut aussi « porter » le code, afin de permettre au programme de Sweet Dream d’être compatible avec un plus grand nombre d’ordinateurs et de matériels. Issu du jargon des informaticiens, le « portage » est utilisé par le réseau des Médias Variables. L’œuvre est alors accompagnée dans son évolution informatique, jusqu’à un certain point…

Being Human / Annie Abrahams / des machines et des performances participatives
Annie Abrahams a produit des œuvres sur le Web depuis la moitié des années 1990. Ses œuvres sont donc concernées au premier chef par l’obsolescence technologique. Elles sont vouées à disparaître et Annie Abrahams en a pleinement conscience. Mais elle ne souhaite pas se pencher sur ce qui risque d’être détruit et/ou sur ce qui devrait être conservé : Je n’ai aucune envie de me pencher sur ce qui se détruit, ce qui doit être gardé, ce qui aura de la valeur après — je veux vivre dans le présent, avec les choses d’aujourd’hui — après, je ne serai plus là !, dit-elle.

Si la plupart des œuvres d’Annie Abrahams utilisent le réseau comme dispositif, elles sont surtout performatives. Chez Annie Abrahams, les machines ont également un corps. Aussi sont-elles bien plus proches de la performance, du théâtre, de la musique que de certaines œuvres à composantes technologiques, utilisant le réseau pour des fins différentes. En conséquence, l’exposition de ses œuvres et leur activation supposent des tactiques de préservation proches de celles développées autour des « time-based media » qui placent leur nature temporelle au premier plan de leur préservation (5). Leur préservation peut alors se présenter sous la forme d’un stockage de données, d’une base de données, ou encore d’une veille technologique. Le caractère participatif des œuvres d’Annie Abrahams fait qu’elles ne peuvent être préservées que sous la forme d’information et de documents. Ceux-ci ne permettent malheureusement pas de conserver l’œuvre dans son entièreté, mais ils protègent néanmoins les données qui participent à faire comprendre l’œuvre et qui composent son histoire.

Comme l’écrivent Stéphanie Elarbi et Ivan Clouteau, il faut d’abord accepter la nature éphémère de la plupart des œuvres électroniques et médiatiques. Archiver et documenter le transitoire semble un paradoxe, mais cette nécessité advient au moment où les technologies, à l’origine de ce transitoire, rendent cette pratique (de l’œuvre) possible (6). Ainsi, Being Human, accessible sur la page www.bram.org/, est présentée sous forme d’archive participative où nous pouvons pratiquer le site comme il était présenté en 2007, 2003 ou 1997. Cette archive précieuse nous permet d’observer Being Human dans sa globalité. L’œuvre peut donc être comprise comme un objet évolutif et changeant, suivant au fil du temps la créativité de l’artiste.

Mouchette, David Still, XiaoQian / Martine Neddam / prendre soin de son personnage
Le Net art a aussi ses classiques. Parmi eux, le site de Mouchette (7) propose un véritable millefeuille de pages Web liées les unes aux autres et présentant chacune une information à écouter, à lire ou encore à contempler. C’est une expérience à part entière où nous sommes invités à découvrir tout l’univers d’un personnage et à jouer avec lui. Mais voilà maintenant dix-huit ans que Mouchette a 13 ans. Que de mutations a connues cette pré-adolescente dans l’écosystème fluctuant de l’art et de l’Internet ! Martine Neddam fait partie du mouvement net.art et elle a produit de nombreuses créations sur le World Wide Web. Mais que reste-t-il aujourd’hui de Mouchette, David Still ou encore XiaoQian ? Ces personnages sont-ils voués à disparaître dans le cimetière de l’Internet?

Captures d’écran du site d’archives du monde de Mouchette (articles, fans, événements, etc.) Cf. http://about.mouchette.org/ Photo: © Martine Neddam

L’Internet avant les années 2000 est un environnement contraignant si nous le comparons à celui d’aujourd’hui : un maximum d’informations devait être contenu dans très peu d’espace fichier (à hauteur de 20 kb) et il fallait procéder au codage des pages et des images pour les créer. Les contraintes liées aux balbutiements du Net étaient un moteur de créativité fort. Il s’agissait d’un véritable challenge : dire des choses avec très peu de moyens (fichier petits, bande passante réduite…), rappelle Martine Neddam.

Aujourd’hui, ajoute-t-elle, les internautes manquent de la curiosité nécessaire qui était très présente dans la pratique d’Internet. Cela demandait une pratique d’investigation : aller chercher les choses (liens cachés, sons, etc.). Les liens, gifs transparents, peuvent être activés si nous « tâtons » l’image pour chercher s’il y a des choses à voir. Maintenant, on ne sait rien du tout du mode de transmission des informations qui nous arrivent ! Qui sait, par exemple, combien de serveurs s’engagent sur une page Facebook ? Maintenant tout est dans le nuage. L’Internet a changé, l’internaute également, le pratiqueur des œuvres du réseau tout autant. Mouchette a traversé plusieurs époques du Web, celui des sites personnels, celui de la bulle Internet, celui du Web 2.0, celui de la mobilité.

Une œuvre de Net art est une expérience, de surcroît liée à un état d’esprit et à une époque. Les sites de Mouchette et de David Still sont imprégnés du style visuel propre à cette époque : oui, dit Martine Neddam, chaque artiste est un archéologue des média. Souvent on trouve un certain charme à faire un clin d’œil à des pratiques plus anciennes. L’ASCII par exemple : faire des images en ASCII c’est de l’archéologie des média puisqu’on l’utilisait avant le WWW, mais déjà sur Internet.

Archiver un site Internet est souvent, pour les artistes, une solution préférée à d’autres. Mais ce qui est stocké est un instantané de l’œuvre sur un support isolé de l’Internet. Archiver un site, c’est figer et décontextualiser. Ce même support de stockage est le reflet de la technologie numérique propre à une certaine époque et il est sujet lui aussi à l’obsolescence. Un site Internet est une expérience qu’il faut pratiquer et s’il fallait conserver quelque chose de ces œuvres, il serait alors nécessaire de conserver le contexte d’existence de l’œuvre : quels écrans permettent sa bonne réception ? Quels clavier et souris ? Ne faut-il pas considérer les conditions de réception de l’œuvre comme faisant partie intégrante de celle-ci ?

Les interfaces, comme les claviers, les souris, les écrans, le réseau, etc., deviennent difficiles à obtenir une fois leur production écoulée et très vite, avant même que ne se pose la question de la préservation de l’œuvre, disparaissent les stocks de matériels qui auraient permis d’activer l’œuvre au plus près de son environnement d’origine. Mais Martine Neddam pense l’archive autrement. Le site est encore en fonctionnement aujourd’hui. D’autres sites n’ont pas connu cette chance et disparaissent petit à petit, URL par URL. Préserver un site comme Mouchette suppose des actions permanentes (mise à jour des liens, animation bloquée par les navigateurs, réparation de scripts, etc.).

Les problèmes soulevés par l’entretien de l’œuvre sont intégrés dans le travail de Martine Neddam : avant, les images utilisées pour le site de Mouchette prenaient l’entièreté du fond d’écran qui était bien entendu plus réduit que les écrans d’aujourd’hui. C’est pourquoi maintenant l’image de fond de page est répétée en mosaïque pour combler la place disponible. Le site date de 1996. Mais cela fait 8 ans que je réfléchis à un mode d’archivage. Dois-je, par exemple, conserver une apparence vieillie et datée du site ? Le site vit également au travers de toutes ses versions, tout ça est un peu insaisissable ! Les contenus sont forcément modifiés. Les Orientaux détruisent pour reconstruire et nourrissent par là, de manière peut-être plus pérenne, la mémoire. Nous, les Occidentaux, nous souhaitons à tout prix conserver un état présumé original.

La pratique, dans le cas du Net.Art, est le plus important, mais aussi peut-être ce qui est le plus insaisissable. Lorsqu’une de mes œuvres dysfonctionne, dois-je tout laisser en place et ne pas essayer de la faire marcher ? Ou tout remplacer et la faire bien fonctionner ? Je réclame un droit au rafistolage, au bricolage de mes œuvres à l’instar d’un artiste comme Jean Tinguely. Il s’agit de conserver l’esprit sinon le concept ! (8). Mouchette est un site, mais c’est aussi un personnage qui traverse les années et qui doit, pour continuer d’exister, être soigné, réparé, bricolé. Le choix de Martine Neddam est ni celui de l’éphémérité de l’art, lié à cette idée que « l’art c’est la vie » comme chez Annie Abrahams, ni du fonctionnement à l’identique comme chez Julie Morel, animée par les impératifs de la galerie, mais celui d’un accompagnement, coûteux en temps et en énergie, de la « croissance » de l’œuvre. Grâce à ce soin apporté à l’œuvre, l’expérience de Mouchette est toujours possible.

Et après ?
Quel avenir se dessine pour les créations en ligne de Martine Neddam ? Il arrivera un jour où l’artiste ne pourra plus apporter le soin nécessaire à l’existence en ligne de son personnage. Lorsque l’artiste n’entretiendra plus ses œuvres, qui paiera l’enregistrement des noms de domaines, qui maintiendra les javascripts, etc. ? Et quand bien même ils seront pris en charge, car c’est là, in fine, le rôle des institutions muséales et patrimoniales, nous ne pouvons pas prédire l’évolution de l’Internet et du Web.

Martine Neddam a pensé à une solution (tout moins tant que l’Internet existera) : l’auto-archivage, avec le site About Mouchette (http://about.mouchette.org). Les données qui y sont stockées concernent principalement les actions et les expériences des utilisateurs et pratiqueurs du site de Mouchette. Elles concentrent l’ensemble des référencements, sans tri préalable, des modes d’activation du site : « les buveurs font partie du bar ! », puisque c’est avant tout la pratique de la page par les internautes qui est importante pour l’artiste.

Le Net art est créé et pensé pour un médium évolutif, l’Internet, ce qui implique immanquablement des modifications qui ne sont pas prévues à l’avance, ou maîtrisées. Les œuvres sont donc elles-mêmes évolutives, qu’elles soient portées, adaptées (Julie Morel), documentées (Annie Abrahams) ou archivées et accompagnées (Martine Neddam). Finalement, n’est-il pas juste question ici de continuer à pratiquer les œuvres de Net art pour les faire exister, même à une époque éloignée de leur création initiale ? Conserver une œuvre consisterait à la pratiquer, à permettre son expérimentation aussi longtemps que possible jusqu’à ce que celle-ci ne soit plus en état de « fonctionner ».

Autant de questions qui demandent à ce que l’artiste (associé peut-être au conservateur-restaurateur) définisse la limite à partir de laquelle l’œuvre devra être considérée comme disparue. Il peut paraître paradoxal de confronter l’idée de disparition à la volonté de conservation. Bien souvent, des œuvres numériques sont actualisées informatiquement et esthétiquement pour pouvoir les présenter au public en état de fonctionnement. Une version « historique » de l’œuvre est alors conservée dans des réserves ou bien elle est présentée en exposition en même temps que la version actualisée. Également, la solution inverse existe, par exemple, lorsque les œuvres sont présentées « inertes » au public avec un document explicatif en complément de la présentation.

Ces solutions révèlent notre incapacité à accepter la disparition d’une œuvre, même quand celle-ci est, de par la nature de ses composants, prévue pour n’exister qu’un temps. Les objets numériques, pourtant créés en dehors de l’institution muséale, comme c’est le cas pour les œuvres du Net.Art, sont aujourd’hui rattrapés par le monde de l’art et de la conservation, qui leur insuffle un nouveau statut allant parfois à l’encontre de leur concept. Et si, pour les conserver, nous prenions le chemin naturel tracé par leur concept. Et si nous les pratiquions tout en les accompagnant le plus respectueusement possible vers leur disparition ?

Tiphaine Vialle
conservatrice-restauratrice, Tiphaine Vialle est diplômée du DNSEP
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) Bureaud (A.), Magnan (N.), Connexions, Art Réseaux média, guide de l’étudiant, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2002, p.16.

(2)  Cf. le site  de Julie Morel : www.incident.net

(3) Elarbi (S.) et Clouteau (I.), « Exposer et pérenniser l’œuvre contemporaine » in Technè n°24, C2RMF, 2006, p.69.

(4) Vialle (T.), La préservation d’œuvres d’art à composantes numériques, étude théorique et pratique. Sweet Dream de Julie Morel, mémoire de fin d’études, DNSEP option art mention conservation-restauration, École Supérieure d’Art d’Avignon, 2014.

(5) Cf. Laurenson (P.), Authenticity, Change and Loss in the Conservation of Time-Based Media Installations, Tate Papers Issue 6, 2006. Cf. aussi L’approche des médias variables par la Fondation Daniel Langlois. Depocas (A.). Préservation Numérique, la stratégie documentaire, 2002, www.fondation-langlois.org.

(6) Cf. Mahé (E.), L’ère post-média. Humanités digitales et Cultures numériques. Les pratiqueurs, Hermann, 2012.

(7) www.mouchette.org

(8) Neddam (M.), « Zen and the art of database maintenance », in Dekker (A.), Archives2020, Sustainable Archiving of born-digital cultural content, Virtueel Platform, 2011.