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Disparu brutalement le 27 janvier, Philippe Franck était le fondateur et directeur artistique du festival international des arts sonores City Sonic, créé en 2003, dont MCD s’est régulièrement fait l’écho.
Philippe Franck était aussi à l’origine des Transnumériques, la biennale des cultures numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles porté par Transcultures (Centre interdisciplinaire des cultures numériques et sonores qu’il dirigeait), à partir de 2005.
Historien de l’art, concepteur et critique culturel, producteur, créateur sonore, commissaire d’expositions, vidéaste, performer et musicien (Paradise Now)… Philippe Franck a aussi été occasionnellement un contributeur rédactionnel pour MCD.

Espaces Soniques

À City Sonic, l’art sonore renvoie invariablement aux espaces de diffusion parsemant la ville de Mons qui l‘accueille. Un rapport indéfectible à l’espace public renforcé par le choix des artistes invités à sa huitième édition, qui s’intègre dans une action de programmation ludique et pédagogique, et où l’idée de réseau garde toute sa prévalence.

Spectres sonores
Habituel parent pauvre des connections entre pratiques artistiques et espace public, le son a trouvé à Mons, en Belgique, un véritable havre d’expression. C’est dans le cadre du festival City Sonic, tenu cette année du 27 août au 12 septembre, que ce rapport entre l’urbain et le sonore se tisse depuis huit ans dans la capitale du Borinage. Une approche à l’expressivité douce, qui s’accommode de cet environnement architectural historique, intriqué et tranquille, renforçant ainsi la subtilité informelle de spectres sonores s’emparant de lieux insolites comme autant de véritables terrains de jeux et d’espaces d’expérimentations idoines.
Une fois encore, c’est à un véritable parcours au cœur de la ville que Transcultures et Philippe Franck, organisateur de l’évènement, invitent le public. Et une fois encore, la Machine à Eau, le site des Anciens Abattoirs ou encore la Salle Saint-Georges – Grand’ Place sont mis à contribution pour accueillir salons d’écoute, performances et installations concoctés par une trentaine d’invités internationaux.

Le son, outil d’un rapport à l’espace
Parmi eux, on note cette année notamment les présences de Diane Landry, de Laura Colmenares et Todor Todoroff, des collectifs MU et Lab[au], du laboratoire de recherche en art sonore Locus Sonus. Des artistes aux pratiques tournant autour d’incursions multidisciplinaires variées (musiques actuelles, arts visuels, arts numériques, création radiophonique…), mais où le son et sa capacité d’occupation, de structuration ou de restitution d’un espace donné constituent un fil conducteur partagé.
Les architectes sonores de Lab[au] utilisent ainsi ce rapport entre le son et l’espace pour contribuer à la configuration de projets urbanistiques (l’installation cybernétique et interactive Binary Waves, panneaux pivotants et lumineux posés sur les bords du canal de Saint-Denis en 2008) ou de réalisations plus intérieures (Framework 5x5X5 et ses modules cinétiques)
Porteur du projet Sound Delta en 2008 — des péniches itinérantes transformées en studio de studios sonores mobiles sur le Danube et le Rhin — et soutien du festival Filmer la Musique à Paris, le collectif Mu joue aussi sur ce travail de remodelage d’une identité sonore en constante gestation.

Field spatialization
Avec des artistes-chercheurs comme Julien Clauss, Anne Roquigny ou Jérôme Joy, le laboratoire Locus Sonus travaille sur les espaces sonores et la field spatialization, la spatialisation sonore combinant l’articulation des espaces locaux et distants. Un principe actif où le transport des sons et des ambiances passe par une combinaison de dispositifs de streaming en direct via Internet, de véritables webcams sonores induisant ces environnements sensoriels à l’affût de leurs propres variations.
Quant à la Québécoise Diane Landry, ces « œuvres mouvelles », qu’elles prennent la forme d’installations, de sculptures ou de performances, utilisent le son comme outil évident de falsification et de transformation d’objets de notre quotidien. Comme en témoignait encore récemment son installation sonore avec automatisation Chevalier De La Réalisation Infinie, réalisée à partir de bouteilles en plastique.

Le réseau et la nouvelle étape brusseloise
Mais surtout, City Sonic a choisi pour son édition 2010 de s’inscrire davantage dans une logique de partenariat et de réseau. Cette année, la manifestation est en effet le volet belge de Diagonales : son, vibration et musique dans la collection du Centre National des Arts Plastiques, un parcours itinérant d’expositions en France, en Belgique et au Luxembourg. Un axe convergent symbolisé dans la grande halle du site des Abattoirs à Mons par la jonction entre la culture pop-rock, le son et les arts plastiques, avec les interventions du platiniste Christian Marclay, du plasticien Steven Parrino, de l’artiste multimédia Malachi Farrel ou encore de la vidéaste post-pop Pipilotti Rist.
Une réflexion élargie qui a permis à City Sonic de trouver son prolongement à Bruxelles dans le cadre de Sonopoetics : de la parole à l’image, de la poésie au son, du 3 au 18 septembre 2010, à l’Institut Supérieur du Langage Plastique (ISELP). Une exposition d’oeuvres plastiques et graphiques liées à la poésie sonore, assortie de conférences, projections et performances, où des pièces de Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Maurice Lemaître, pour les Français, et de John Giorno ou Brion Gysin pour le volet beat anglo-saxon sont particulièrement mises en avant. Un sens de l’ouverture qui s’inscrit bien dans le fil éclairé et vulgarisateur tiré par City Sonic.

Laurent Catala
MCD #60, juillet-aout 2010

Site: http://citysonic.be/

Interview de Philippe Franck, directeur artistique du festival

Comment est né le festival et quelle est sa philosophie ?
City Sonics est né en 2003 de la volonté de l’association Transcultures et de la Ville de Mons de créer une grande manifestation estivale pour les arts sonores (aujourd’hui encore unique en Belgique francophone). City Sonics ouvre toutes les portes de la création (installations, environnements, performances, ateliers, création radiophonique…) avec le souci principal de renouveler le plaisir d’une écoute active, de susciter un dialogue intime entre les lieux d’accueil patrimoniaux ou insolites, les interventions artistiques et les publics…

Votre meilleur souvenir ?
Entendre le célèbre cri de Tarzan — un projet du plasticien-performer Emilio Lopez Menchero présenté en 2003 — résonner à la place du tocsin de l’Hôtel de Ville et voir le visage étonné et amusé des citadins, qui me demandent encore s’ils vont ré-entendre
ce crieur des temps modernes, prouvant, si besoin est, la puissance de l’image sonore.

Votre pire souvenir ?
Le matin du vernissage de la 1ère édition, le visage et les oreilles obstinément fermés d’un employé communal à moitié saoul qui refuse de nous donner accès à l’électricité dans un jardin où nous présentions des installations, retardant le vernissage de plusieurs heures, avant que l’adjoint au Maire ne débloque cette situation absurde (du plaisir des interventions in situ dans l’espace public !)…

Quelles sont les caractéristiques de la prochaine édition ?
L’amplification du réseau Émergences Sonores, une installation / création du grand minimaliste américain Tony Conrad ou encore, Bat Sounds, inspiré par les chauves-souris du compositeur Jean-Paul Dessy… L’édition 2008 renforcera sans doute l’aspect « déambulation » entre les sites du parcours (notamment via une création de Pierre Alféri), mais aussi entre les villes associées (Mons, Maubeuge, Lille).

Comment voyez-vous l’avenir du festival ?
Outre ses collaborations internationales avec d’autres festivals, City Sonics compte développer, à Mons, un programme à l’année d’expositions, rencontres, performances et résidences d’artistes — avec le CeCN (Centre des Écritures Contemporaines et Numériques), Musiques Nouvelles, la Ville de Mons — ainsi que des collaborations transfrontalières (avec Le Manège, Scène Nationale de Maubeuge, le Studio des Arts Contemporains Le Fresnoy, le Palais des Beaux-Arts de Lille…).

MCD, Guide des Festivals Numériques
musique – art – multimédia, 2007-2008

Site: http://citysonic.be/