Archive d’étiquettes pour : Children of the Light

La lumière telle que vous ne l’avez jamais vue

Douze artistes qui brillent de mille feux… Quinze installations monumentales qui invitent à l’immersion… C’est l’exposition grand public de cet été 2025 en matière d’art numérique et affilié. Mais on aurait tort de bouder notre plaisir sous prétexte que cette « monstration » s’adresse au plus grand nombre. Chapeauté par l’agence et studio de création Tetro, le « casting » est sans appel et la Grande Halle de La Villette à Paris permet de déployer des installations qui ont besoin d’espace sans se chevaucher.

Christophe Bauder & Robert Henke, Grid. Photo: D.R.

L’effet tunnel
La plongée dans cette exposition se fait en passant par un grand corridor qui accueille Beyond, l’installation de Playmodes. Dans la lignée d’une de leur autre création (WaveFrame), le tandem espagnol Eloi Maduell et Santi Vilanova propose une déambulation sonore et lumineuse sur près de 20 mètres avec un fond blanc en ligne de mire. Les traits de lumière en forme de « U » inversé soulignent la forme de cette structure et leurs clignotements démultiplient l’impression de profondeur, de perspective.

Cet « effet tunnel » est renforcé par une bande-son en diffusion multicanal. Les enceintes laissent échapper de l’ambient-dark et des rondeurs synthétiques avant une séquence finale d’obédience drum-n-bass. Musiques et cultures digitales, disions-nous… L’ensemble des pièces et installations est soutenu par des compositions électroniques tour à tour rythmées, hypnotiques ou abstraites.

Children Of The Light, Spiraling Into Infinity. Photo: LD

Des ambiances sonores qui se marient bien dans l’obscurité qui domine, aussi paradoxal que cela puisse paraître vu la thématique. Au fil des installations, c’est une lumière blanche, crue et presque aveuglante qui zèbre les ténèbres dans la première partie de cette exposition qui en compte cinq. On retrouve de la couleur et des formes composées plus loin, dans les autres sections.

La fin du parcours d’expo ressemble à un couloir temporel… Les visiteurs sont invités à traverser un container customisé avant de regagner la sortie. Les lumières miroitant à l’intérieur fonctionnent comme un kaléidoscope. Il s’agit de Passengers, une installation itinérante de Guillaume Marmin qui transfigure les lieux d’expositions et les visiteurs. L’ambiance sonore est signée par l’artiste et compositeur Alex Augier. Avec Negative Space, Olivier Ratsi nous entraîne lui aussi dans un tunnel ou plutôt dans un labyrinthe comme ceux des palais des glaces… Sauf que les panneaux-miroirs de son dédale sont remplacés par des douches de lumière soulignées par de la fumée et une bande-son intrigante…

Nonotak, Narcisse. Photo: LD

Spirales et mouvements
Outre une sensation de profondeur, la lumière peut aussi suggérer le mouvement. C’est le cas avec Spiraling Into Infinity de Children Of The Light (Christopher Gabriel + Arnout Hulskamp). Une sculpture lumineuse toute en courbes, composée de longs « spaghettis » transparents dans lesquels courent des lumières colorées, synchro avec la musique mystérieuse de Jakob Lkk. Les visiteurs sont libres d’évoluer au sein de cette installation et en quelque sorte de se connecter, si ce n’est d’interagir, avec ce flux lumineux.

On reste sur la figure de la spirale — fixe pour ce qui est de l’armature, mais qui s’anime et semble s’élever sous l’effet de la lumière — avec Nautilus du Collectif Scale. En plus de cette installation scénographique, le collectif propose aussi une fresque géométrique qui passe du noir et blanc à des couleurs vives : Carnaval. Soit une multitude de lignes de fuite se combinent et recombinent presque à l’infini provoquant là aussi une sensation de mouvement et de profondeur.

Le mouvement, rien que le mouvement : Narcisse de Nonotak est une installation composée d’une série de petits miroirs pivotants alignés sur trois rangées. Leur rotation provoque des jeux d’ombres et de flux avec la lumière qui se réfracte. On notera aussi la présence de 1024 architecture qui nous place face à un cube 3D (Orbis 2) certes doué d’évolution et de mouvement, mais dont la « pertinence » tant par rapport à la thématique de l’expo qu’au travail de ce collectif nous échappe un peu…

Collectif Scale, Carnaval. Photo: D.R.

Immersion horizontale
Il arrive parfois (souvent ?) que l’on arpente une expo au pas de course. Mais ici, plusieurs œuvres nous invitent à prendre notre temps. Parce que leurs variations se déploient sur de longues séquences. Et parce que certaines se dévoilent pleinement en immersion. Ainsi la pièce emblématique Grid de Christophe Bauder & Robert Henke (alias Monolake : musique électronique et art numérique encore…). Ce mobile suspendu est composé de triangles de néons bleutés (pas moins de 48 triangles pour cette version updatée 2025). Cet ensemble monte, descend ou pivote lentement au-dessus du public qui est allongé en dessous.

Même position pour expérimenter l’Abîme de Visual System. L’espace est un peu plus contraint que celui dont dispose Bauder & Henke, mais la pratique est la même : confortablement allongé, le public se laisse envoûter par les figures géométriques générées par cette installation vidéo. Cette configuration renforce encore plus le côté hypnotique de cette expérience sensorielle, comparé à la version projetée frontalement sur multi-écrans.

Bien évidemment la contemplation de la voûte céleste requiert le même genre de dispositif. C’est ce que propose Quiet Ensemble avec Solardust : une nuée de petites lumières qui scintillent, changent de couleurs et de textures. Ces particules lumineuses qui semblent parcourues d’arcs électriques ont une « épaisseur », une « réalité » holographique qui donne l’impression de se baigner dans la capture d’écran d’un télescope spatial.

Quiet Ensemble, Solardust. Photo: LD

Le cercle rouge
Si la lumière est aussi une onde, pour l’homme le symbole premier de ce « plus beau spectacle du monde » reste le soleil. C’est ce que nous rappelle Guillaume Marmin avec Oh Lord. Cette installation vidéo qui laisse voir en contrepoint les éruptions solaires et des entrecroisements de pixels à la Ryoji Ikeda a été réalisée en collaboration avec l’Observatoire de Paris Meudon et l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble.

Jacqueline Hen attire les visiteurs au plus près de son immense soleil : One’s Sunset Is Another One’s Sunrise. Pour s’approcher au plus près de ce cercle d’acier suspendu, qui emprisonne de petits miroirs carrés réfléchissant une lumière rouge-orangé, il faut fouler un sol bleu nuit semblable à une plage de sable…

Jacqueline Hen, One’s Sunset Is Another One’s Sunrise. Photo: LD

A contrario, pour leur deuxième œuvre présentée dans le cadre de cette exposition, Children Of The Light ont choisi l’absence de lumière, à savoir l’allégorie d’une éclipse solaire. Diapositive est constituée d’un cercle en métal noir accroché en hauteur qui diffuse alternativement ou partiellement de la lumière, en son centre et à l’extérieur, en suivant un long et lent mouvement de rotation.

Karolina Halatek met en scène aussi un cercle, un disque disposé à l’horizontale et qui semble léviter dans un Halo de fumée blanchâtre. Cette installation est inspirée par des phénomènes lumineux observés autour du soleil et de la lune. On peut se faufiler à l’intérieur pour mieux s’immerger, s’imprégner de la dimension contemplative de ce dispositif, mais peu de gens osent franchir le cap…

Laurent Diouf

> Into The Light : l’expo, jusqu’au 31 août, La Villette, Paris
> https://www.lavillette.com/
> https://www.intothelight.paris/

Guillaume Marmin, Passengers. Photo: LD

cultures électroniques & arts numériques

Porté par Stereolux, plateforme dédiée à la diffusion, au soutien à la création et à l’accompagnement des musiques actuelles et des arts numériques, le festival nantais Scopitone affichait cette année sa 15ème édition ! Une édition structurée autour d’ateliers, de tables rondes, de nuits électro (Helena Hauff, Agoria, Lindstrøm, The Field, etc.) et d’un parcours d’exposition singulier.

Une exposition jalonnée de créations exclusives et/ou de premières présentations françaises pour de nombreuses pièces disséminées dans plusieurs lieux. À commencer par La Fabrique de Stereolux, Trempolino et Les Nefs à côté des fameuses Machines sur l’Île de Nantes, zone toujours en plein (ré)aménagement, ainsi que le Readi (Lab et École de Design), la Cale 2 Créateurs, le Ferrailleur et Le Jardin des Berges. Le festival a également investi d’autres endroits emblématiques de Nantes, comme le Château des Ducs de Bretagne, le Manoir de Procé, Le Lieu Unique et la Tour de Bretagne, par exemple.

De l’ensemble de l’exposition se dégage une cohérence, marquée la philosophie « art / science » de cette édition avec des œuvres qui jouent sur la lumière, les données et la perception visuelle. Une unité renforcée également par le son : la plupart des installations et performances proposées déploient une « bande-son » percluse de craquements électrostatiques et de bourdonnements d’infra-basses… Mais la thématique première est bien celle du traitement et de la mise en forme de l’information, de La matérialité des données. Comment les traduire et les rendent visibles ? Comment les gérer et se les réapproprier ? Tel était le champ de questionnement d’une conférence passionnante, qui s’est d’ailleurs prolongée au-delà de l’horaire prévu le jeudi, en prolongement de workshops.

Dans cet esprit, parmi les œuvres exposées, Kinetica conçue par Martial Geoffre-Rouland incarnait parfaitement cette matérialisation en temps réel du monde de flux et d’interconnexions dans lequel nous vivons désormais. Réalisée avec le soutien nécessaire d’Orange puisque cette installation cinétique repose sur la visualisation des données (localisation, déambulation et d’activités dans la ville) transmises par les smartphones et restituer ici sous forme d’un panneau composé de dizaine de disques (6×12) pivotants selon les impulsions reçues. Une barre LED au milieu de chaque disque, à la couleur spécifique selon l’activité, permettant de se situer sur cet échiquier numérique après avoir téléchargé l’application adéquate.

Le mouvement des Clones de Félix Luque Sánchez est, par contre, initié par un algorithme programmé de manière aléatoire et chaotique. Une routine qui anime deux pendules montés chacun sur ce qui s’apparente au bras d’une table traçante. En équilibre instable, on assiste aux efforts (pas toujours désespérés) des balanciers pour se maintenir à niveau; ce qui les faits aussi ressembler à des athlètes s’échinant sur barres parallèles… Allié à Iñigo Bilbao, Félix Luque Sánchez propose aussi une autre installation « plurimédia » : Memory Lane. On y observe sur écran, comme au travers d’un miroir grossissant et déformant, les fragments d’une roche dont le relief à la fois étrange et aride évoque une planète lointaine…

C’est par contre à un astre plus familier, en l’occurrence la lune et ses croissants, que nous fait penser Diapositive 1.2 réalisé par Children of the Light (i.e. le duo Christopher Gabriel & Arnout Hulskamp). Cette autre installation cinétique se présente comme un immense pendule cerclé de LEDs qui pivote lentement et s’électrise parfois brutalement d’une lumière à la blancheur froide, déchirant le noir sidéral dans lequel il est suspendu. Daito Manabe et Motoi Ishibashi utilisent eux aussi des LEDs pour transfigurer le spectre lumineux, faire apparaître des fréquences (et donc des couleurs) habituellement invisibles. Pour les visualiser, il faut là aussi charger une petite appli qui génère un filtre révélant d’autres dimensions, formes et couleurs qui se cachent dans les ombres — la pièce s’intitule rate-shadow — d’une succession d’objets et d’artefacts disposés sur des présentoirs.

Mais la pièce maîtresse de ce parcours d’exposition est installée dans une des salles du Château des ducs de Bretagne. Elle résulte d’une collaboration entre Ryoichi Kurokawa et l’astrophysicien Vincent Minier. Intitulée Unfold, il s’agit d’une « mise en scène » des données recueillies par le télescope spatial Herschel sur la formation des étoiles. De cet amas stellaire brut, Ryoichi Kurokawa a fait une représentation géométrique et sonore projetée sur 3 panneaux englobants notre champ de vision. Le résultat n’est pas sans rappeler Ryoji Ikeda par ses lignes de fuite et son electronic-noise, ses soubresauts épileptiques et son foisonnement de particules… L’idéal étant de s’allonger sous l’épicentre de la projection, une petite estrade étant prévue à cet effet, pour pleinement s’immerger dans cette fresque cosmique.

Il est toujours question de lumière et d’espace, mais cette fois de manière beaucoup plus délimitée, contrainte, avec constrained curface. Une autre installation de Ryoichi Kurokawa composée de deux écrans inclinés, disposés en décalé. Tout ce passe à leur point d’intersection, comme un effet miroir. Les couleurs obéissent à un nuancier synchronisé, là aussi, avec de l’electronic-noise. Changement d’ambiance et de propos avec Rekion Voice de Katsuki Nogami. En entrant dans cette troisième salle du château, nous avons l’impression de pénétrer dans une basse-cour. Sauf que ce ne sont pas des volatiles qui émettent des piaillements, mais des petits « robots » bricolés et fixés sur des supports. Les sons qu’ils émettent sont en fait le bruit amplifié des petits moteurs qui les animent en fonction du mouvement du public. Il y en a une dizaine environ, dont un à l’entrée, en sentinelle, qui donne l’impression de prévenir ses congénères de notre visite…

Cela dit, il n’y a pas que des artistes confirmés au programme de cette expo. Scopitone a réservé une visibilité à deux créations lauréates d’un appel à projets Arts & Technologies lancé par Elektroni[k] (then goto festival Maintenant…). On découvre ainsi Uluce du collectif Recif : une structure de toile tendue de 13 faces. Mi-sculpture interactive, mi-instrument, le public est invité à toucher les surfaces qui réagissent et activent un jeu de lumière et de sons. Les autres lauréats sont Paul Bouisset et Eugénie Lacombre qui présente _Logik, une interface qui permet d’agencer et moduler des formes en rotation sur écran.

Les lives A/V lors de la soirée d’ouverture s’inscrivent également dans ce « grand jeu » de lumières, sons et données. Si l’arrière-plan de Ljøs du collectif fuse* n’est pas sans évoquer les cieux étoilés, la performance de la cordiste Elena Annovi en interaction avec cette trame audio-visuelle donne une tout autre dimension à ce type de performance, ou plutôt redonne son sens premier au mot « performance ». Plus humain évidemment, ce genre de live-act pourrait aussi s’apparenter à ce que l’on nomme le nouveau cirque, en plus high-tech…

Par contraste, Matthew Biederman & Pierce Warnecke apparaissent beaucoup plus conventionnels, réduisant leur set à une sur-multiplication de combinaisons de formes géométriques basiques sur un jeu de couleur là aussi réduit (bleu et rouge pour l’essentiel). Délaissant ce genre d’arithmétique sonore et visuelle pour des formes plus organiques et des sonorités vaporeuses presque ambient, Paul Jebanasam & Tarik Barri nous ont vraiment séduits avec leur Continuum. En clôture, c’est un autre type de performance avec sons circulaires et lumières synchronisées qui est attendue, celle de Gwyneth Wentink, Wounter Snoei et Arnout Hulskamp (de Children of the Light) : In Code. Soit une variation électroacoustique (harpe) et électronique autour de IN C de Terry Riley. À l’heure où ce premier bilan de l’édition 2016 de Scopitone est mis en ligne, il vous reste le temps d’y assister !

Laurent Diouf

Infos: www.stereolux.org/scopitone-2016
Photos: D.R.