Archive d’étiquettes pour : Bill Vorn

EXO, au-delà des frontières

Le festival d’art numérique Elektra revient avec une nouvelle thématique : EXO – Au-delà des frontières. Cette édition 2025 qui se déroulera du 18 au 22 juin proposera une série de performances audiovisuelles, d’expériences participatives et d’œuvres interactives. L’idée est bien d’essayer d’aller voir « au-delà », de se tenir à la lisière de l’inconnu, dans des territoires inexplorés entre intelligence artificielle, exobiologie et réalités parallèles […] et d’interroger notre relation à l’altérité, à la technologie et aux mondes qui échappent à notre perception.

Alain Thibault, The 11th Dream. Photo: D.R.

Pour tenter cette aventure, le public dispose de trois portes d’entrées. D’une part via une expérience théâtrale urbaine immersive où, après avoir revêtu une combinaison spatiale, nous sommes parés pour une mission d’exploration à travers la ville. Baptisée #Exoterritoires, cette expérience peut se vivre aussi bien comme acteur que comme spectateur. Imaginée par Le Clair Obscur, ce spectacle de rue scientifico-poétique, est le fruit de la collaboration entre un metteur en scène et artiste numérique, un auteur de science fiction, une comédienne et des chercheur·euses du CNES / Observatoire de l’Espace

Le Clair Obscur, #Exoterritoires. Photo: D.R.

La deuxième porte permet de vivre une expérience collective de VR dans un musée virtuel : Elektra Virtual Museum (EVM). Ce nouveau projet présente une sélection d’œuvres 3D d’artistes du Québec : Baron Lanteigne, Bill Vorn, Chun Hua Catherine Dong, Eyez Li, Philippe Internoscia, Skawennati, Kevin Dubeau, Tanya St-Pierre & Philippe-Aubert Gauthier et Yan Breuleux. Ces œuvres sont à découvrir gratuitement, muni d’un casque VR, le long d’un parcours sur 5 étages à l’UQAM (Université du Québec à Montréal).

Augurs Wand (Mike Cassidy & Kristian North), Smoke Screen. Photo: D.R.

Troisième porte : les performances en soirée. Pour celle d’ouverture, le mercredi 18 juin, ce sera Smoke Screen par Augurs Wand (Mike Cassidy & Kristian North). Ce duo utilise un synthétiseur laser fait sur mesure pour générer simultanément des formes, des couleurs et des sons diffusés par trois lasers et un ensemble de haut-parleurs. Et aller au-delà des « portes de la perception », à la limite des hallucinations, en jouant explicitement sur les phénomènes entoptiques et les illusions perceptuelles créés par l’intégration du son à la lumière laser…

Ianna Book, Eros Circuitry. Photo: D.R.

Les autres soirées verront se succèder les performances AV, installations interactives et lives sets parfois très « electronic-noise » de Kevin Dubeau (Hyper-Crash), Ianna Book (Eros Circuitry), MSHR (Network Entity), Baron Lanteigne (Matter Under Maintenance), Alain Thibault (The 11th Dream), Tacit Group (tacit.perform[best]), mHz (Cruise Missile Intersectionnality), Motoko (Model 3), WYXX (STD10), Gazaebal (UN/Readable Sound).

Laurent Diouf

> Festival Elektra, EXO – au-delà des frontières
> du 18 au 22 juin, Montréal (Québec / Canada)
> https://www.elektramontreal.ca/festival-2025?lang=fr

Nos personnalités multiples à l’ère numérique

Pièce maîtresse de la biennale Némo, l’exposition Je est un autre est visible au CentQuatre à Paris jusqu’au 7 janvier 2024. Comme indiqué dans le sous-titre, cet événement est axé autour de nos clones numériques. Copies, doubles, mutants, avatars, identités factices, technologies de l’égo, quêtes de visibilité, (dis)simulations, emprises, deepfakes, chimères, métamorphoses et univers parallèles : nous vivons désormais dans un monde hyper-technologique mais illusoire avec des personnalités multiples. Démonstrations au travers de vidéos immersives, d’installations interactives et autres œuvres hybrides.

Maxime Houot (Collectif Coin), Ataraxie

Je est un autre ? Évidemment avec ce titre rimbaldien on se perd en conjectures… Quid de l’enfer du coup, serait-on tenté de rétorquer en piètre sartrien… On verra, en attendant ce sont les Portes du Paradis que nous ouvre Marco Brambilla (Heaven’s Gate). Une installation vidéo dantesque. Au sens strict, d’ailleurs, puisqu’elle est inspirée par le Purgatoire de Dante. À l’écran géant, qui fait près de huit mètres de haut, se succèdent en boucle sept tableaux retraçant l’histoire du monde et de l’humanité, du Big Bang à nos jours… Une histoire américaine, cela dit car on y reconnaît des symboles de la conquête de l’Ouest et de Wall Street. Entre autres. Pionnier de l’image numérique ayant œuvré par le passé au cinéma (rayon blockbuster), Marco Brambilla a réalisé des collages pour chacune des époques, empruntant une multitude, justement, de personnages et de monstres à de vieux films hollywoodiens. Le résultat est somptueux et envoûtant.

Autre réalisateur ciné et touche-à-tout de l’image numérique, Ismaël Joffroy Chandoutis qui propose Madotsuki_the_Dreamer. Une installation vidéo « mise en scène » dans une chambre de geek ou apparenté. Créée pour la biennale, cette installation tire son nom de l’héroïne d’un jeu vidéo japonais du début des années 2000, obscur et troublant par rapport aux normes des autres jeux de cette période. Comme sur ce modèle, il est aussi question de rêves sans sortir d’une pièce. Ici ce sont les nombreuses personnalités endossées par un individu et incarnées par écran interposé. Au total, il décline 74 identités factices qui vont de la féministe radicale au néo-nazi en passant, bien sûr, par le jihadiste… Le monde des réseaux finalement…

Lifer Heritage, le projet de Montaine Jean, Clare Poolman, Jeanne Rocher et Etta Marthe Wunsch, nous immerge aussi dans un décor de jeu vidéo. Pourtant, ce n’en n’est pas un. Il s’agit de Second Life ; monde virtuel qui fut paradoxalement « réel » un temps avant de s’évaporer une fois l’engouement pour ses îles retombé au tournant des années 2010. Depuis, il reste quelques avatars errant comme des zombies dans des décors datés et froids, dont le rendu n’a pas évolué depuis. Déserté, ce monde virtuel auquel nous avons tous cru à un moment donné est devenu fantomatique. En nous montrant ces avatars « en quête d’auteur », ce collectif s’est livré à un vrai travail d’archéologie numérique. Est-ce que le nouveau métavers connaîtra le même sort ? On est en droit de se poser la question alors que Meta et les casques VR qui n’existaient pas à l’époque de Second Life n’ont pas (encore) rencontré l’adhésion du plus grand nombre.

Bill Vorn, I.C.U. (Intensive Care Unit)

Il est question aussi de virtuel, plus exactement de mausolées virtuels, avec Frederik Heyman (Virtual Embalming). Composé d’étranges petits tableaux en 3D presque kitsch, ses pièces s’imposent comme des reliques d’un nouveau genre. Frederik Heyman a ainsi virtuellement « embaumé » pour l’éternité, ou presque, trois de ses icônes : Isabelle Huppert, Kim Peers et Michèle Lamy. Après tout, pourquoi pas… On revient sur la vidéo assez horrifique et mortifère, il faut bien le dire, avec Ian Spriggs (Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad). Ses portraits vidéographiques se transforment en écorchés, passant d’un visage lisse, léché, à un monstre anatomique que l’on dirait échappé d’un manuel de médecine avec une netteté saisissante… Et puisque l’on parle médecine, on observera aussi avec délectation les robots de Bill Vorn au bord de l’agonie, en unité de soins intensive (Intensive Care Unit), en repensant au fameux « cri des machines blessées »…

Dans un autre genre, mêlant représentation animale et mécanique, les « moutons électriques » de Jean-Luc Cornec (TribuT) avec leurs têtes et pattes composées de vieux téléphones filaires nous renvoie inévitablement à nos comportements à l’heure des smartphones. De manière un peu plus docte, Donatien Aubert entreprend justement de raconter l’histoire des télécommunications, du morse jusqu’aux intelligences artificielles avec des ordinateurs, des blocs holographiques et un film (Veille Infinie). Enfin, on s’approchera prudemment du container dans lequel défilent, avec les mêmes postures que des mannequins, des personnages boursoufflés et affichant des couleurs pastels (Maison Autonome). Créées par le Collectif Universal Everything, ces entités 3D constituent aussi le visuel de cette édition 2023 de Némo.

collectif Universal Everything, Maison Autonome. Photo: D.R.

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Je est un autre ?
Nos personnalités multiples à l’ère numérique
> exposition au CentQuatre à Paris
> jusqu’au 7 janvier 2024
> https://www.biennalenemo.fr/

Biennale internationale des arts numériques

Némo est de retour en cet automne 2023. Comme les éditions précédentes, la Biennale Internationale des Arts Numériques essaime à Paris et dans toute l’Île-de-France jusqu’au début de l’année prochaine. Plus d’une vingtaine de lieux sont investis pour cette manifestation.

collectif Universal Everything, Maison Autonome. Photo: D.R.

L’inauguration de cette biennale tentaculaire s’est faite au CentQuatre à Paris avec l’exposition Je est un autre ? dont le titre reprend les mots de Rimbaud. Derrière cette assertion, c’est toute une thématique autour des représentations et personnalités multiples que chacun abrite désormais grâce (ou à cause) du numérique.
Copies, doubles, mutants, avatars, identités factices, technologies de l’égo, quêtes de visibilité, (dis)simulations, emprises, deepfakes, chimères, métamorphoses et univers parallèles font désormais partie de notre quotidien.
C’est tous ces « effets miroirs » qui sont mis en scène dans cette exposition au travers de vidéos immersives, d’installations interactives et autres œuvres hybrides conçues par Jean-Luc Cornec (TribuT), Marco Brambilla (Heaven’s Gate), Bill Vorn (Intensive Care Unit), Frederik Heyman (Virtual Embalming), Ian Spriggs (Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad), Donatien Aubert (Veille Infinie), Encor Studio (Alcove LTD)…

Pendant trois mois, d’autres expositions, spectacles, installations, rencontres et performances viendront creuser ce sujet et rythmeront le déroulé de la biennale le temps d’une journée, d’une semaine ou de plusieurs mois. Ainsi jusqu’au 5 janvier à La Capsule, le Centre culturel André Malraux du Bourget, Chen Chu-Yin et Daphné Le Sergent extrapolent autour des DAO (Decentralized Autonomus Organizations) ; en français les Organisations Autonomes Décentralisées. Soit des « communautés internet » formées autour d’un intérêt commun que les deux artistes abordent par le biais de la mémoire artificielle et de l’intelligence collective.

Au Cube de Garges, une exposition collective enterre avec un peu d’avance le monde digital, celui du geste sur nos écrans tactiles, pour nous faire entrevoir le monde de demain, celui des interfaces actionnées par la pensée. Intitulée Cerveau-Machine, cette exposition prévue jusqu’au 16 décembre réunie notamment Memo Akten, Maurice Benayoun, Justine Emard, Neil Harbisson & Pol Lombarte, Mentalista, Adrian Meyer, Julien Prévieux, Marion Roche… Un cycle de projections, deux œuvres de réalité virtuelle réalisées par Mélanie Courtinat et Lena Herzog, un live de Sugar Sugar et une performance audiovisuelle de TS/CN (Panorama) sont également prévus en écho à cette expo.

TS/CN, Panorama. Photo: D.R.

Échantillons de soi est une autre exposition collective autour des « personnalités multiples » qui nous hantent dans le réel comme dans le virtuel et de la pratique d’échantillonnage (son, image). Ou approchant. Les œuvres d’Ines Alpha, Renaud Auguste-Dormeuil, Emilie Brout & Maxime Marion, Grégory Chatonsky, Dasha Ilina, Bettie Nin et Fabien Zocco présentées à La Traverse, Centre d’art contemporain d’Alfortville, brouillent également, pour certaines du moins, la frontière entre sphère privée et monde de l’art.

Au Centre Culturel canadien à Paris, du 7 décembre 2023 au 19 avril 2024, il sera question d’Infinies Variations par le biais des créations de Nicolas Baier, Salomé Chatriot, Chun Hua, Catherine Dong, Georges Legrady, Caroline Monnet, Oli Sorenson, Nicolas Sassoon, Christa Sommerer & Laurent Mignonneau et Timothy Thomasson. C’est le troisième volet d’une trilogie conçue par les commissaires d’exposition Dominique Moulon, Alain Thibault et Catherine Bédard qui explorent, cette fois, la notion de série telle qu’elle se présente dans l’histoire de l’art depuis le XIXe.

Au Bicolore, l’espace culturel et la plateforme digitale de la Maison du Danemark à Paris, sur une thématique voisine (Multitude & Singularité) appliquée aux êtres comme aux technologies, on découvrira des œuvres de Stine Deja & Marie Munk, Jeppe Hein, Mogens Jacobsen, Jakob Kudsk Steensen, Jens Settergren et Cecilie Waagner Falkenstrøm qui reflètent la complexité du monde dans sa version numérique. Aux Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, du 8 au 17 décembre, la compagnie Adrien M & Claire B présentera Dernière minute. Une installation doublée d’une expérience immersive qui inclue les spectateurs. Le concept : une minute est étirée sur une demi-heure. La source d’inspiration : le décès d’un père et la naissance d’un fils. Le sujet : l’intervalle, cette fameuse minute, qui précède la vie ou la mort…

Stine Deja & Marie Munk, Synthetic Seduction: Foreigner. Photo: D.R.

Début décembre également, lors de l’Open Factory #7 au CentQuatre, on pourra aussi solliciter Tally, l’apprentie artiste quantique mise au point par Matthieu Poli avec Alexis Toumi et Sven Björn Fi. Cette intelligence artificielle (impossible d’y échapper dans une telle manifestation) utilise les possibilités uniques de l’ordinateur quantique pour composer des œuvres abstraites qu’elle dessine ensuite à l’aide de bras robots. Elle apprend continuellement en intégrant les réactions du public, définissant ainsi une sensibilité artistique propre. Contrairement aux intelligences artificielles génératives classiques qui se contentent de reproduire l’existant, Tally cherche à comprendre en profondeur la structure des œuvres d’art. À voir…

Durant ce trimestre riche en propositions artistiques, on retiendra aussi Lumen Texte, la performance « pour un vidéo projecteur et un plateau vide » du Collectif Impatience au MAIF Social Club à Paris. Chutes, l' »opéra électronique » source d’expérience synesthésique de Franck Vigroux / Cie Autres Cordes à la MAC de Créteil. La nouvelle version d’A-Ronne, le « théâtre d’oreille » conçu par Luciano Berio & Sébastien Roux, proposée par Joris Lacoste au même endroit. Cette pièce sonore explorera les ambiguïtés entre voix et électronique, voix amplifiées ou réverbérées dans l’espace, voix jouées dans le casque ou entendues « à travers » le casque.

On testera Earthscape ou la déambulation philosophique initiée par la Cie Zone Critique, sur un modèle rappelant les dérives situationnistes (en plus sérieux…), qui investira la Scène de Recherche de l’École Nationale Supérieure Paris-Saclay à Gif-sur-Yvette. Sur l’esplanade de La Défense, on retrouvera une autre installation d’Encor Studio, Hemispheric Frontier — un cercle clignotant de néons assez hypnotiques se reflétant sur une surface aqueuse — et la Lune Dichroïque de Jérémie Bellot. Une sorte de grosse boule à facette translucide et colorée. Nourri par la géométrie polyédrique et les arts mathématiques, nous dit-on, ce plasticien et architecte de formation, interroge le rôle de la lumière dans l’espace vécu et dans l’espace perçu à travers des dispositifs audiovisuels immersifs.

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Némo
Biennale internationale des arts numériques
> jusqu’au 7 janvier 2024
> https://www.biennalenemo.fr/

5e Biennale Internationale d’Art Numérique

Reportée comme de nombreuses manifestations pour cause de crise sanitaire, la Biennale Internationale d’Art Numérique (BIAN) organisée par Elektra se déroule finalement cet hiver à l’Arsenal, centre d’art contemporain à Montréal.

Après une précédente édition dédiée à l’art fait par les machines pour les machines (Automata), cette cinquième version intitulée Metamorphosis est consacrée au changement et aux transformations individuelles et sociétales.

Cette thématique fait référence au Livre des transformations, le Classique des Changements (I Ching) ; en « pariant » sur le fait que le changement constant que nous observons aujourd’hui nous permet d’élargir notre compréhension de la relation entre humanité, nature et technologie.

Initiée par DooEun Choi et Alain Thibault (Elektra), les commissaires de cette exposition, l’illustration de ce pari pascalien s’incarne au travers des oeuvres de Refik Anadol, Michel de Broin, Cadie Desbiens-Desmeules, Justine Emard, Exonemo, Daniel Iregui, Herman Kolgen, Ryoichi Kurokawa, Ahreum Lee, Lu Yang, Louis-Philippe Rondeau, Oli Sorenson, David Spriggs, Samuel St-Aubin, Bill Vorn

> du 19 novembre 2021 au 16 janvier 2022, Arsenal, Montréal (Québec / Canada)
> https://www.elektramontreal.ca/biennale2021

Inferno, l’enfer mécanique

Les deux artistes canadiens, spécialistes de la robotique et inventeurs d’un incroyable bestiaire mécanique, collaborent de nouveau sur un projet ambitieux. Présenté pour la première fois, en mars dernier, au festival Exit, Inferno est une performance unique et participative. Dans une ambiance sombre et oppressante, une vingtaine de cobayes humains s’équipe d’exosquelettes mécaniques. Pendant près d’une heure, ces créatures hommes-robots, physiquement soumis aux machines qui les contrôlent, vivent un véritable enfer. Ce monde de limbes, déployé à grande échelle par Bill Vorn et Louis-Philippe Demers, questionne nos représentations usuelles, le rôle et l’impact de la technologie dans notre environnement. Inferno, programmé à Stereolux à Nantes en avril dernier, a été l’occasion de rencontrer ces deux artistes hors-normes et de vérifier si l’enfer est pavé de bonnes intentions…

Bill Vorn & Louis-Philippe Demers, Inferno. Photo: D.R.

Quelques mots sur votre parcours et vos collaborations…
Bill Vorn : Nous travaillons ensemble depuis 1992, en parallèle à nos projets solos. Nous venions alors de milieux différents. J’exerçais dans la musique électronique dès les années 80. Des études en communication m’ont amené au multimédia et à ce que l’on appelait les arts media. Louis-Philippe est issu de l’informatique et de l’univers théâtral. C’est lui qui maîtrise la lumière dans nos installations et performances. Nous travaillons autour des formes robotiques. Elles nous permettent d’intégrer des notions relatives au son, à la lumière afin de créer des systèmes interactifs.

En 1992, vous parliez de robotique ?
B.V. : Pour moi la robotique d’hier et aujourd’hui est identique. Il s’agit d’un système mécanique avec un feed-back et un environnement.
Louis-Philippe Demers : Nous avons expérimenté plusieurs systèmes. Ce que nous appelions à l’époque, « vie artificielle sur des systèmes quasi vivants », était des métabolismes aux comportements biologiques qui s’éloignent de la mécanique. Il s’agissait déjà de robotique. D’ailleurs notre premier projet, Espace Vectoriel, était techniquement plus complexe à réaliser qu’Inferno.

À chaque projet vous enrichissez votre bestiaire mécanique…
L-P.D. : Notre travail porte sur les comportements déviants des robots. Il est intéressant de créer des machines qui fonctionnent de manière inattendue. Nous nous situons dans la répétition du mouvement et de l’automate. Le comportement animal est considéré comme imprévisible. Le but est d’amener les machines à agir de la sorte.
B.V. : Nous dévions nos créations des normes robotiques. Avec le temps nous avons créé un cabinet de curiosité. Si nous avions construit l’Éléphant des Machines de l’île à Nantes [l’interview se déroule à proximité de l’Éléphant, N.D.L.R.], nous aurions imaginé une créature folle, désarticulée, qui se traine par terre…

Avec Inferno, vous travaillez directement sur le corps humain…
L-P.D. : Nos premières créations jouaient avec des formes géométriques, puis nous avons complexifié ces formes en aboutissant à des constructions zoomorphiques. D’une certaine façon, dès qu’une partie d’un de nos robots ressemble à un membre anatomique, le public identifie un animal, un insecte, une créature. Cependant, il est certain qu’Inferno est la forme anthropomorphique la plus aboutie de notre travail.
B.V. : Nous avons toujours travaillé sur le comportement, comme avec lors du projet Hysterical Machines. D’une manière logique, nous avions envie d’amener l’expérimentation de plus en plus proche du public.

Justement, quelles sont les caractéristiques et implications d’Inferno ?
B.V. : Inferno, notre dernière création, est une performance participative où le public est équipé de bras robotisés fonctionnant grâce à des vérins pneumatiques. En totale immersion, les participants sont soumis aux mouvements préprogrammés des exosquelettes. Nous nous sommes inspirés de la description des niveaux de l’Enfer, notamment dans la Divine Comédie de Dante et dans les Dix Cours de l’Enfer du Singapourien Haw Par Villa [basé sur l’ancienne philosophie bouddhiste chinoise, N.D.L.R.].
L-P.D. : L’Enfer renvoie à l’éternité et sous-entend l’idée de répétition. Que faire lorsque l’on a l’éternité devant soi ? Les humains sont déjà dans des automatismes constants. Avec Inferno nous embarquons le public dans un système infini et c’est finalement la monotonie qui devient l’Enfer. C’est à partir de cette trame que se développe notre travail.

Bill Vorn & Louis-Philippe Demers, Inferno. Photo: D.R.

On vous sent ironique dans votre interprétation de l’Enfer…
L-P.D. : Bien sûr que c’est ironique. Les séries de gestes et d’automatismes des participants rappellent les danses techno des premières raves parties. On s’amuse de ces stéréotypes. Parfois, nous essayons de les briser en programmant un cha-cha de robot au cours de la performance.
B.V. : On peut également voir dans Inferno un deuxième niveau de lecture : l’enfer de la technologie venant se greffer à notre quotidien. Le plus frappant c’est la servitude volontaire du public qui s’engage dans cette performance et qui en demande toujours davantage.

Le châtiment est-il corporel ou psychologique ?
L-P.D. : En réalité il est plus psychologique que corporel. L’exosquelette est lourd, pas toujours à la taille idéale, il fait chaud. Il y a de l’inconfort, mais pas de supplices. L’expérience est quasi indolore. Tous les effets scéniques transportent le participant dans notre univers et l’assujettissent à la machine. C’est avant tout dans ce sens qu’on parle de châtiment.

De votre point de vue, comment se déroule la performance ?
B.V. : Nous travaillons en binôme, de la conception à la réalisation. Au moment du live, nous nous plaçons au centre de la pièce. L’un s’occupe de la lumière, l’autre du son et des mouvements. Nous contrôlons les bras, pas le reste du corps. Certains mouvements sont programmés, mais nous laissons une place importante à l’improvisation. Elle nous permet une liberté plus étendue pour interagir avec les participants. Nous voyons lorsque le public est en souffrance, lorsqu’il s’amuse et parfois lorsqu’il entre en transe.

Le son programme conditionne justement ces comportements…
B.V. : Les nappes ambiantes d’Inferno sont organiques. Nous ne cherchons pas à composer une musique particulièrement anxiogène. Nous donnons une intention industrielle à chaque sonorité, de sorte à ne pas reconnaître la source. Ce quelque chose d’inconnu donne une singularité à nos machines et aux comportements qui en découlent.
L-P.D. : L’imaginaire robotique puisée dans la culture hollywoodienne ne fait pas partie de la composition sonore. Même si la culture des années 70 nous inspire, il n’y a pas de bruits de moteur ou de sonorités pseudo électroniques dans Inferno. Pour inventer de nouveaux conditionnements, il faut être le moins connoté possible.

Vous êtes tous deux associés à de prestigieuses universités, vos créations participent-elles à vos recherches ?
L-P.D. : Nos universités [Singapour pour Louis-Philippe Demers et Montréal pour Bill Vorn, N.D.L.R.] considèrent nos créations comme des publications universitaires. On pourrait parler d’une démarche d’expérimentation pour certains projets. Nous effectuons finalement des allers-retours entre le monde scientifique et la création artistique. Nos œuvres contribuent à enrichir nos recherches, mais il s’agit d’abord de créer un observatoire de comportement. Le plus amusant avec Inferno ? Si chacun réagit à sa manière, tous sont punis d’une même façon !

propos recueillis par Adrien Cornelissen
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015