Archive d’étiquettes pour : art sonore

Mille Plateaux


NonPlusUltraBlack
est installation sonore avec les contributions de John-Robin Bold & Andy Cowling, DMSTFCTN, Lain Iwakura, Thomas Köner, Frédéric Neyrat, Realism Working Group, Achim Szepanski, Simona Zamboli
Dans la lignée des productions de Mille Plateaux et de ses labels satellites (Force Inc., Position Chrome, Communism Records) valorisant les « clicks & cuts » et la culture du glitch, avec ce dispositif présenté à l’espace Synnika à Francfort, l’accent est mis sur le concept d’ultranoir : anonyme, sombre, caché, crypté, opaque, secret

Nous utilisons l’obscurité pour désigner l’extérieur. Et l’extérieur a plusieurs noms : Le bouleversement, le contingent, le vide, le silence, l’inattendu, l’aléatoire, l’effondrement, la catastrophe. Très imprégnés de la pensée de Deleuze, sans se départir d’une vision socio-politique sans concession (NON), Achim Szepanski et ses acolytes refusent la consécration comme la muséification et continuent de défricher de nouveaux territoires, continuent de construire de nouvelles « non-musiques » à l’abri, à l’écart, dans le noir donc : les concepts d’invisibilité s’opposent aux guerres des apparences.

> du 21 novembre au 15 janvier, Synnika, Francfort (Allemagne).
> https://synnika.space/events/nonplusultrablack

metteur en son

Martin Messier, jeune artiste montréalais, est devenu l’une des références lorsqu’il s’agit de mettre en scène des œuvres sonores. Ses performances décalées sont présentées dans les plus grands festivals internationaux : Mutek au Canada, Sonar à Barcelone, Transmediale à Berlin ou Nemo à Paris. Elles mettent en avant les corps en mouvement et la musicalité d’objets, tantôt inventés, tantôt détournés.

Martin Messier, Projectors.

Martin Messier, Projectors. Photo: © Maxime Bouchard.

Créée en 2011, Sewing Machines Orchestra rassemble une dizaine de machines à coudre des années 40 composant une véritable symphonie bruitiste. Ces objets — crayons, projecteurs 8 mm ou réveille-matins — se transforment parfois en structure plus abstraite. Machine_Variation, gigantesque mécanisme fait de bois et de métal, explore de nouvelles sonorités à la croisée de l’acoustique et de l’électronique. L’artiste ne cesse de repousser les frontières, mélangeant danse et art numérique à ses compositions. Entre deux dates d’une tournée bien chargée, Martin Messier est revenu sur son parcours. Entretien avec cet artiste qui murmure à l’oreille des objets.

Comment vous êtes-vous dirigé vers les arts numériques ?
Étudiant en électroacoustique au début des années 2000, je ne maîtrisais que le son. Puis je me suis intéressé à la vidéo. Cela m’a forgé une culture numérique, notamment sur la relation son-image. En 2007, je suis devenu membre de Perte de Signal. Dans ce centre d’artistes montréalais, j’ai côtoyé une nouvelle génération qui concevait des installations et qui évoluait dans le domaine des arts médiatiques. Aujourd’hui, je me rends compte que je suis catalogué comme artiste numérique. Tous mes projets sont des performances, mais je ne les aborde pas comme des projets numériques. Avant tout, il faut qu’une expérience vivante se passe, peu importe le médium. La part du corps sur scène est donc prépondérante.

C’est ce qui définit votre empreinte artistique ?
J’accorde toujours une grande importance à la présence humaine même si elle ne définit pas entièrement mon travail. Je préfère parler de « physicalité » sur scène. Je m’intéresse alors à la façon de produire une œuvre. Le résultat final n’est pas chose sacrée. Dans l’ensemble, mes projets ont en commun la synchronisation du son et de la gestuelle. Mon travail se passe uniquement sur scène avec une série d’objets. Je ne produis jamais de CD ou de publications sonores. C’est la performance qui est unique et qui me distingue sans doute des autres artistes.

Vous parlez de « physicalité », pourtant la mécanique est toujours présente…
Ce sont deux notions complémentaires à mes yeux. Les objets que j’utilise, quels qu’ils soient, réveille-matins, électroménagers ou machines à coudre, sont manipulés par des humains. Pour les animer, il doit y avoir un contact physique, un toucher. La rencontre entre la mécanique et l’homme est primordiale.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines. Photo: © Isabelle Gardner, 2010.

D’où vous vient cette passion pour le détournement d’objet ?
L’usage d’objets quotidiens est né d’une volonté de réinventer mon environnement. Je recherche une deuxième fonctionnalité, un second degré aux objets. Ensuite j’effectue un travail d’orchestration et de composition. Nous oublions que la machine à coudre produit du son alors qu’il existe un potentiel musical énorme, plus important d’ailleurs que ce que j’avais initialement imaginé pour Sewing Machines Orchestra. Jusqu’alors l’usage des objets du quotidien était omniprésent. Ils tendent désormais à disparaître de mes créations. Ce n’est donc pas l’essence de mon œuvre. Je suis capable de travailler sur une forme de matériau physique, palpable, mais pas nécessairement dérivée de notre environnement.

Vous entamez donc un nouveau cycle de création ?
Je ne conceptualise jamais mes projets. Ils apparaissent au gré de mes fantasmes. J’ai un rêve, je tente de le réaliser. Le public m’identifie pour mes détournements d’objets, mais passer d’un objet à l’autre indéfiniment n’est pas une démarche séduisante. Depuis peu, je change de direction afin d’amener la musicalité plus loin dans l’expérimentation. Ce qui m’intéresse dorénavant c’est la performance, non l’objet. Ainsi Machine_Variation était déjà un détournement plus abstrait et moins identifiable. La dimension scénographique se place au centre de toute réflexion. Cela permet une visualisation de la forme, du son et du déroulement de la performance. Projectors, illustre mon nouvel attachement à la scénographie.

Quelles sont vos créations les plus marquantes ?
Ma première performance, The Pencil Project [N.D.L.R détournement de crayons], a changé du tout au tout ma façon d’appréhender la création. Pour la première fois, je prenais un objet en le décortiquant et en allant au maximum de ses possibilités. Elle m’a permis de réfléchir à la cohérence d’un projet. Ce qui est acceptable de voir et ce qui ne l’est pas, de faire ou ne pas faire… C’est également à partir de ce moment que j’ai commencé mes premières  collaborations.
Plus tard Sewing Machines Orchestra a connu un vrai succès à travers le monde. Il y a eu un avant et un après cette performance. Je ne m’attendais pas à ce succès même si Singer, la marque des machines à coudre que j’utilise, était mondialement réputée. Finalement j’étais naïf en pensant que je n’allais faire qu’une date.
La Chambre des machines, une machine faite d’engrenages et de manivelles, est une autre création majeure. Pour la collaboration avec Nicolas Bernier [N.D.L.R artiste canadien, auteur de frequencies(a) Prix Ars Electronica 2013]. Ensemble nous avons réalisé la conception sonore et visuelle. Si Nicolas a une démarche conceptuelle, je suis beaucoup plus spontané. Je revendique des concepts simples : faire une performance où la gestuelle est amplifiée.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines. Photo: © Isabelle Gardner, 2010.

C’est ce qui explique un retour à des projets solos ? 
Je crois que les premières collaborations sont toujours faciles. Avec le temps je suis moins enclin à faire des compromis. Je parlais de rêve tout à l’heure… parfois je rêve en solitaire. C’est le cas avec Projectors ou Field qui était présentée pour la première fois à Mutek 2015. Et puis c’est aussi une question de timing… Dans les prochains mois, je termine mes collaborations avec les chorégraphes Anne Thériault et Caroline Laurin-Beaucage. En vérité, je n’aime pas travailler seul. Je préfère me nourrir d’ échanges. Intellectuellement, je trouve cela plus stimulant.

Quels artistes vous ont marqué dernièrement ?
À Berlin j’ai eu la chance de voir une pièce du chorégraphe allemand David Wampach. Les costumes et les décors sont vraiment osés. Son univers m’a totalement surpris. Quand je suis sorti du spectacle, je me suis dit qu’il avait réussi à sortir le spectateur de sa zone de confort. Pour ma part ce fut le cas ! Côté art numérique, sans hésiter, je cite le Mexicain Mario de Vega. Je suis traumatisé par son travail. La meilleure performance jamais vue. Une présence exceptionnelle sur scène alors qu’il n’y a qu’un homme derrière quelques machines. Que quelque chose d’aussi simple soit aussi beau, je trouve cela très inspirant.

propos recueillis par Adrien Cornelissen
remerciements à l’équipe de Stereolux pour l’organisation de cette rencontre
publié dans MCD #79, « Nouveaux récits du climat », sept.-nov. 2015

> http://www.mmessier.com/

dispositifs interactifs

À la fois artiste et chercheur, le Néerlandais Edwin van der Heide explore les champs combinatoires du son, de la lumière et de la spatialité. Une démarche interactive où le public est souvent placé au cœur de son travail, confronté à une exploration active de dispositifs aux dimensions autant volumineuses que volumétriques. Entretien.

Sound Modulated Light 3

Sound Modulated Light 3 @ ZKM, 2012. Photo: D.R.

Edwin, votre nouvelle pièce, Sound Modulated Light 3, sera présentée à partir du mois de mars et jusque début août au ZKM de Karlsruhe. C’est la suite d’une série de travaux entamée il y a quelques années et présentée, entre autres, à l’IFFR de Rotterdam en 2005 ou encore au Voltage festival de Courtrai en 2008. Son principe tourne toujours autour de la déambulation du spectateur équipé de ce boîtier un peu spécial, permettant de rendre audible dans un casque les modulations lumineuses structurant la spatialité de la pièce. Quels sont les principes forts de cette nouvelle mouture du projet ?
En fait, Sound Modulated Light est un environnement de lumière et de sons où le son n’est pas acoustiquement présent. Il est transporté par la lumière. L’espace de la pièce est structuré selon un réseau de lumières multiples. Le son est modulé en intensité à travers ces lumières. Les fréquences audio basses  proviennent d’un flicker, un clignotement visible des lumières. Les fréquences plus hautes sont-elles émises par un clignotement tellement rapide qu’il ne peut pas être perçu par nos  yeux. Chaque source lumineuse dispose de sa propre bande-son assignée.
Dans les versions plus anciennes de Sound Modulated Light, j’utilisais les murs du lieu pour donner la structure aux lumières. Pour Sound Modulated Light 3, je suspends les lumières dans l’espace afin de créer plusieurs couches de lumière, les unes derrière les autres. Il y a un chevauchement plus complexe entre ces lumières, qui résulte en un plus complexe enchevêtrement des couches sonores. Cette complexité est plus stimulante pour le public et il doit s’attendre à des moments plutôt « inattendus » je dirais.

On retrouve cette « complexité », cette multiplicité des directions dans le projet de façade médiatique que vous êtes en train de mettre en place avec l’architecte Lars Spuybroek sur le fronton du centre interdisciplinaire art/média de Rotterdam, le V2_. En quoi consiste-t-il ? L’articulation de votre travail dans une approche encore plus architecturale me semble finalement assez logique…
Pour être exact, Overtone Facade – c’est son titre de travail -, est déjà ma troisième collaboration avec Lars Spuybroek. Nous avons d’abord collaboré sur le Water Pavilion qui a ouvert en 1997, puis nous avons réalisé Son-O-House en 2004 et maintenant nous travaillons sur cette façade pour le V2_. En fait, il est vrai que le besoin de créer et de structurer l’espace joue un grand rôle dans mon travail. Mais je cherche aussi à m’adresser au « corps » des spectateurs dans sa totalité, pas juste à leur ouïe ou à leur vue. Le public doit être engagé de manière active dans mes pièces, se confronter en quelque sorte avec elles.
Ce qui m’intéresse particulièrement dans le travail de Lars Spuybroek, c’est qu’il n’est pas intéressé par une architecture fonctionnelle, mais simplement par des questions de forme. Tout comme moi, il aime articuler cela avec une audience active. Il aime donner forme physiquement à l’espace, alors que moi je me préoccupe de structurer l’espace en utilisant le son et la lumière, à un niveau d’intensité qui devient presque une expérience physique tangible. C’est très intéressant de combiner ces deux approches et de jouer de leur amplification, des oppositions entre le matériel et l’immatériel.
Pour Overtone Facade, je m’amuse à séparer – ou, peut-être est-il plus adéquat de dire à exploser ? – des sons dans des « overtones », des fréquences partielles, des harmoniques. Ces harmoniques disposent de leur propre comportement autonome et spatialisé, qui circule à travers 90 petits haut-parleurs qui sont intégrés dans la façade. Il faut voir chacune de ces harmoniques comme des entités indépendantes qui peuvent dynamiquement entrer en relation, mais aussi rester isolées ou dans un « entre-deux ». En inversant la hiérarchie entre le son et ses harmoniques, un niveau de contrôle peut être établi, où le « morphing », la métamorphose du son, devient un aspect primordial de la synthèse sonore obtenue.

LSP – Laser Sound Performance. Photo: D.R.

Derrière toute cette structuration de l’espace, le principe d’interaction entre le public, le son, les lumières et l’espace est fondamental dans votre travail. Une approche qui donne souvent aux spectateurs un rôle très important de déclencheur, d’expérimentateur d’un dispositif qui n’aurait sans doute pas autant de sens sans lui. Est-ce la caractéristique primordiale à laquelle vous pensez quand vous concevez une installation ? Mettre le public au centre de l’œuvre ?
Oui, c’est cette idée que j’évoquais tout à l’heure de stimulation du public. Il doit créer son propre chemin dans l’espace. Mes travaux partent souvent de principes exploratoires simples auxquels je fais subir des sortes « d’extrapolations » dans l’espace. Je vois ces processus de structuration de l’espace et de structuration des interactions comme des formes augmentées de composition. Là où les compositions traditionnelles sont relatives à des pièces achevées, mes travaux structurent des possibilités qui doivent en quelque sorte se révéler au public.

Dans votre pièce Evolving Spark Network, que vous avez encore présenté récemment à Montréal pour Mois Multi 13, cette structuration interactive intégrant le public prend une dimension physique encore plus importante, matérialisée par ce réseau de connexion électrique lumineux et sonore au-dessus du sol. Il y a finalement un côté très « organique » dans cette pièce, comme si l’humain rentrait en contact avec une sorte de vie artificielle ?
J’utilise intentionnellement ce réseau de connexion électrique à cause de cette physicalité supplémentaire. C’est aussi une manière de souligner qu’il y a dans mes travaux une combinaison customisée de procédés informatiques virtuels, mais aussi des vraies expériences, « vraies », au sens de vivantes. Des choses se déroulent véritablement dans l’espace et pas sur un écran ou au cours d’une projection.

En parlant d’expériences, une autre série que je trouve très intéressante, mais plus par sa nature immersive est celle des DSLE, que vous avez développée pour le projet Cinechamber de Naut Humon — un dispositif de dix écrans entourant le public pour des shows live AV particulièrement immersifs — et qui se caractérise par un son octophonique et la présence de plus d’une centaine de lumières LED. Vous en avez présenté une version retravaillée à l’automne dernier au festival STRP d’Eindhoven. Quelles sont les nouveautés ? Est-ce un projet indépendant des Cinechamber désormais ?
Avec DSLE, je me dirige vers trois réalisations différentes. Au départ, j’essayais d’utiliser un système de contrôle customisé de LEDs, un système qui pouvait être manipulé de façon extrêmement rapide et précis. Mais pendant que je travaillais sur cette première installation, je me suis intéressé à explorer les possibilités d’une version pour Cinechamber plus basée sur la vidéo. Avec des projecteurs vidéo, je ne peux pas obtenir la vitesse et la précision que je peux obtenir avec des lumières LEDs mais j’ai une beaucoup plus grande résolution.
Cela ouvre beaucoup de nouvelles possibilités sans sacrifier les lignes initiales du projet. DSLE-2, que j’ai présenté à STRP utilise des panels de LEDs développés par Philips. Ces panels sont magnifiques parce qu’ils donnent vraiment une très belle lumière diffuse. Ils ne permettent cependant pas encore d’avoir un véritable contrôle grande vitesse. Je travaille actuellement sur DSLE-3, qui utilise des interfaces LED que j’ai développées moi-même et qui me permettent de faire vraiment ce que j’ai en tête depuis le début. Ce nouveau dispositif me permet d’avoir des transitions plus fines dans notre perception de la vitesse et du mouvement, ce qui améliore grandement le contenu de la pièce. La première de DSLE-3 aura lieu en juin dans le cadre de l’exposition Panorama 2012 aux studios des arts contemporains du Fresnoy à Tourcoing.

Spatial Sounds

Spatial Sounds (100dB at 100km/h). Photo: D.R.

Ce que vous me dîtes là résume bien la grande variabilité de votre approche. On peut le constater si on compare une installation intimiste, seulement audible au casque, comme Sound Modulated Light, et d’autres, plus vrombissantes, comme Spatial Sounds (100dB at 100km/h). Pouvez-vous nous parler de cette installation, conçue avec Marnix de Nijs et présentée encore récemment à Reims aux Caves Pommery dans le cadre de l’exposition La Fabrique Sonore ? Elle a un caractère très radical…
Spatial Sounds (100dB at 100km/h) est une installation interactive qui focalise sur la relation homme-machine et qui joue avec la question de savoir si nous contrôlons la machine ou si c’est elle qui nous contrôle. L’installation oppose des moments où le spectateur peut sentir que celle-ci a « choisi » d’interagir avec lui, où le public a d’une certaine manière le contrôle des opérations, et d’autres où filtre la perception d’une peur résultant de l’emballement d’un haut-parleur installé sur un bras robotique tournant à grande vitesse. Cette opposition conduit à des séquences alternées, où l’on peut ressentir de l’empathie, contrôler les choses, mais aussi avoir peur de l’installation ! En quelque sorte, Spatial Sounds (100dB at 100km/h) touche aux limites de l’idée du « qui contrôle qui ».

Cette « empathie », cette idée de « qui contrôle ? », ça doit être une question que vous vous posez quand vous performez directement en live sur certaines de vos pièces. Il y en a une, plus ancienne, que vous jouez encore très souvent, LSP – Laser Sound Performance, une sorte de show à base de lasers et de sons combinés. Pouvez-vous nous parler de cette performance ? Répond-elle à une certaine tentation chez vous de se mettre plus en avant sur une scène, comme à l’époque du Sensorband avec Atau Tanaka et Zbigniew Karkowski ? 
Comme vous savez, à l’origine je viens du milieu des musiques électroniques. Et très vite, j’ai été intéressé par l’utilisation d’interfaces procédant de senseurs, de capteurs physiques, afin de contrôler des sons générés par ordinateur en temps réel. J’ai fait pas mal de performances comme ça, en solo ou au sein du Sensorband. Mais, avec le temps, je me suis davantage intéressé à cette question de spatialité et j’ai réalisé que cela entrait un peu en conflit avec le principe de performer sur une scène. Même si j’aime toujours jouer live, mon intérêt s’est donc davantage porté sur tout ce qui peut se produire dans un dispositif spatialement conçu. Et LSP est donc un bon exemple de cette évolution du processus. Je présenterai d’ailleurs en mai au festival Lichtströme de Coblence en Allemagne, une version en extérieur de LSP. Ce sera la première fois que je travaillerai avec du vrai brouillard – et pas une machine à fumée ! Je suis vraiment impatient de voir le résultat.

Sun-O-House.

Sun-O-House. Photo: © Edwin van der Heide

La musique reste quand même quelque chose d’important pour vous, votre création Extended Atmospheres, présentée en octobre dernier au festival autrichien Kontraste, et basée sur la pièce Atmosphères de György Ligeti, composée en 1961 – et d’ailleurs reprise par Stanley Kubrick dans son 2001, L’odyssée de l’Espace – en témoigne… 
Oui, Atmospheres est une pièce musicale très intéressante dans le sens où il s’agit d’une composition orchestrale portant surtout sur la texture et le timbre. Elle résulte d’un travail avec le compositeur Jan-Peter Sonntag avec lequel je partage la même fascination pour cette œuvre. Nous nous sommes toujours demandé comment elle aurait sonné si elle avait été écrite de nos jours.

Un point intéressant, vous avez été professeur invité au TU (Technische Universitat) de Berlin en 2009 et êtes actuellement artiste invité à l’École du Fresnoy à Tourcoing. Est-ce important pour vous d’être au contact avec toute une génération de nouveaux artistes numériques ou audiovisuels ?
Bien sûr. Je pense qu’enseigner aide surtout à bien structurer votre réflexion. Et c’est une bonne manière de créer un dialogue.

propos recueillis par Laurent Catala
publié dans MCD #80, « Panorama », déc. 2015 / fév. 2016

 

> http://www.evdh.net

voyage au cœur d’un océan de sons

Domaine particulier au sein de la production sonore, le field recording fut d’abord le fruit d’une approche scientifique et technique visant à collecter les sons du monde avant d’être une démarche esthétique et artistique usant de ces mêmes sons comme de matériaux créatifs. Au fil du temps, l’une comme l’autre ont remis les bruits du monde au centre de la création. La parution de Field Recordings, l’usage sonore du monde aux éditions Le Mot et le Reste, est l’occasion de se pencher sur ce qu’il est réellement convenu d’appeler — depuis la naissance de la musique concrète dans les années 50, puis de l’ambient dans les 70’s, du hip-hop, et de l’apparition du sampleur dans les années 90 — « l’art du Field Recording ».

La pratique du Field Recording, littéralement « enregistrement de terrain », apparait à la fin du 19ème siècle grâce à la mise en œuvre des premiers moyens opérationnels de captations sonores et d’enregistreurs portables. Les acteurs du Field Recording contemporains — Chris Watson (ex-Cabaret Voltaire), Geir Jenssen (aka Biosphere), le label Touch, Yann Paranthoën, Henri Pousseur, Lionel Marchetti ou feu-Luc Ferrari — sont, et furent, les héritiers de pionniers emblématiques tels que Nicolas Bouvier, écrivain, photographe, iconographe et voyageur suisse.

Équipé de son antique Nagra, un des premiers magnétophones portables inventés par Stefan Kudelski, Bouvier parcours sa vie durant les routes du monde, et particulièrement de l’Iran, du Pakistan. Il y enregistre les instruments et les chants des Persans et des Tziganes du Moyen-Orient. À ce titre, il participe de cette catégorie de chercheurs, anthropologues, sociologues, audio-naturalistes et ethno-musicologues, scientifiques voyageurs et mélomanes, qui captent les sons en vue d’un archivage patrimonial; éternels curieux, luttant contre l’oubli et l’ignorance.

Certains chercheurs se passionnent pour le chant de l’oiseau lyre d’Australie ou les mélodies des habitants des îles Salomon, quand d’autres se penchent sur le bruit de la ville ou les plaintes exaltées des prisonniers des pénitenciers nord-américains. Dés le départ le Field Recording se présente comme un vaste champ opératoire composé d’enjeux et de finalités aussi riches que variés. Sur ce plan, le livre d’Alexandre Galand, Field Recordings, l’usage sonore du monde en 100 albums, est une véritable mine d’enseignement. L’auteur insiste — à raison — sur cette dichotomie, scientifique/artistique, qui s’avère complémentaire au fil du temps. Composé d’un long essai historiographique, de trois interviews (Jean C. Roché, Bernard Lortat-Jacob et Peter Cusack) et d’une solide discographie, cet ouvrage est une première en langue française et une excellente entrée en matière pour l’amateur souhaitant se plonger dans cet océan de sons.

Aux origines techniques d’un art

Qu’il s’agisse de techniques ou d’études sonores, de collectes en vue d’un archivage ou de témoignage anthropologique patrimonial, l’enregistrement de terrain s’inscrit donc au départ dans une démarche spécifiquement scientifique. À ses débuts tout du moins, la pratique de l’enregistrement de terrain est une part importante de la recherche : qu’il s’agisse d’étudier la nature des sons, de capter des curiosités sonores ou plus concrètement de tester les techniques nouvelles et le matériel d’enregistrement. De ce point de vue, ces techniques et leur évolution sont évidemment pour beaucoup dans la naissance d’un art qui est alors encore à venir.

C’est en 1876 qu’Alexander Graham Bell invente le téléphone, réussissant ainsi à transformer le son en signal électrique. Un an après, Thomas Edison est déclaré « inventeur du phonographe » (même si, en vérité, il prit de vitesse le Français Charles Cros en déposant le brevet avant son concurrent). Cette invention majeure marque le début d’une ère où la reproduction du son naturel (et en série) devient possible. Le phonographe fut le premier appareil à reproduire les sons. Les utilisateurs parlaient alors dans une corne en métal, tout en actionnant une aiguille qui gravait le modèle des ondes ainsi provoquées sur un cylindre tournant, recouvert d’une feuille d’étain que l’on pouvait relire ensuite. Celle-ci s’avéra peu malléable et on la remplaça vite par une pellicule de cire.

Enfin vint l’acétate utilisé par le gramophone d’Émile Berliner, inventeur du procédé. La production industrielle fut laborieuse, et elle ne commença vraiment qu’en 1889. De son côté, le Danois Valdemar Poulsen, suivant les découvertes de l’Allemand Heinrich Hertz concernant les ondes électromagnétiques en 1887, invente une forme d’enregistrement magnétique sur fil de fer souple en 1898. Mais se sont les Allemands du groupe chimique BASF qui propose la possibilité de stocker des sons sur un magnétophone « à fil » à partir de  1930. Une technique qui s’améliore avec l’apparition de la bande pré-magnétisée proposée par la même firme (et qui sera beaucoup utilisé par le régime nazi).

De « l’enregistrement de terrain » au paysage de sons

On le voit, depuis son apparition, l’art du Field Recording est tributaire de cette évolution technologique constante. Les « audio-naturalistes », comme on nommait alors les pionniers qui pratiquaient ce type de recherches, sont forcés d’utiliser les moyens mis à leur disposition, cherchant toujours plus de qualité, de portabilité et d’accessibilité. Cela définit plusieurs catégories de pratiques au sein même du Field Recording, plusieurs approches.

Certains pratiquants optent pour les captations sonores brutes, in situ, dans la nature. Un parti-pris qui n’exclut pas les « sons parasites » et autres bruits naturels qui entourent le sujet et son observateur. C’est le problème devant lequel se trouvent les amateurs de chants et bruits d’animaux, ainsi que ceux qui captent et enregistrent dans le domaine ethnographique (des « natives » de diverses régions du monde, aux chants des prisonniers, marins, des bluesmen, des chants et instruments folkloriques) ou naturaliste.

Ce problème inhérent à l’environnement sonore impose différentes démarches. Certains préféreront isoler l’objet de l’enregistrement. Cela nécessite donc l’accès au studio. C’est là qu’interviennent l’électroacoustique et le traitement des sons. Avec la démocratisation des outils de reproduction et de production (gramophone, puis électrophone et magnétophone) vient le temps de l’expérience acoustique, électroacoustique et acousmatique. De simple « enregistrement de terrain », le Field Recording devient « écologie sonore », « paysage de sons », « cinéma pour l’oreille » ou « microphonie », reproduite, voire « trafiquée » en studio. Avec la création et accessibilité du home-studio, ces pratiques prennent de l’importance et se répandent. Techniquement, tout est bon pour transformer le monde en océan de sons. L’art du Field Recording est une exploration sonore du monde quasi-infinie.

La mise en son du monde

C’est véritablement à partir des années 50 que la pratique du Field Recording prend une autre voie. Sur les traces des grandes découvertes de la musique contemporaine : du sérialisme d’Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern à la musique concrète, conceptualisé par le Français Pierre Schaeffer, et la musique électronique telle que représentée par l’Allemand Karlheinz Stockhausen, l’approche évolue.

À ce propos, il est important de noter l’apport théorique fondamental de Pierre Schaeffer et de la musique concrète, dans l’évolution et l’approche esthétique, et créative, que va prendre le Field Recording. Si l’histoire de la musique est inévitablement liée à celle de la technologie, alors Pierre Schaeffer fut un véritable pionnier. Dès 1948, le Français fonde le Groupe de Recherches de Musique Concrète. Au début simple studio d’enregistrement radiophonique, il participera ensuite activement au développement d’une nouvelle forme de musique : la musique « concrète » qu’il renommera plus tard musique « électro-acoustique ». Schaeffer fut un des premiers à oser s’illustrer dans l’art de la manipulation des sons grâce à la technologie naissante des premiers enregistreurs à bande. Après bien des tâtonnements, il aboutira à une théorie qui suppose la remise en question des notions de « musique », d’écoute, de timbre, de son. Des idées qu’il mettra noir sur blanc dans son Traité des objets musicaux en 1966. Suivant les leçons dispensées dans ce texte manifeste et fondateur, des compositeurs vont tenter de nouvelles expériences.

Dans le domaine du Field Recording, c’est un autre français, Luc Ferrari, qui s’illustrera plus particulièrement, usant de la manipulation électroacoustique des sons et d’enregistrement nommé « anecdotiques » pour leurs caractères banals et quotidiens. Avec Schaeffer et Ferrari, puis plus tard d’autres compositeurs comme Michel Chion ou Lionel Marchetti, c’est en effet véritablement les sons du monde, de tout le monde, sons urbains, sons domestiques, sons infimes ou censément « inintéressants » qui entre dans le domaine de la création musicale.

Field Recording et art du sample : une (r)évolution esthétique

Aujourd’hui plus que jamais, l’exercice du Field Recording est au cœur de la création sonore. De l’ambient inventée dans les années 70 par Brian Eno à la techno, en passant par les projets expérimentaux de divers artistes et musiciens issus des deux scènes suscitées, l’exercice du Field Recording répond à une multiplicité de genre, de démarche et de tendance. L’ambient, par exemple, fut conceptualisé par le musicien britannique Brian Eno, par hasard, alors qu’alité, il passait un disque 33T à la mauvaise vitesse.

Ce micro-évènement lui donnera l’idée d’une musique « d’ambiance », une musique papier peint, qui, au départ, ne répondait en aucun cas aux exigences (il est vrai très libres) du Field Recording. Ce sont plutôt des musiciens techno comme les Anglais de The Orb, ou encore dans une veine plus industrielle, Cabaret Voltaire, 23 Skidoo et autre qui mélangeront rythmes plus ou moins lents avec des captations sonores, dialogues, bruit du vent et des vagues pour les uns, ou cacophonie urbaine et flux d’information pour les autres.

L’apparition du bruit dans la pop music, qui remonte aux Beatles et au Beach Boys, s’émancipe dans la techno. Dans les années 90, des artistes issues de cette scène s’inspireront à la fois de la musique concrète de Schaeffer et des paysages de sons urbains ou naturels des ancêtres de l’ambient pour créer leur propre univers sonore. C’est le cas de Geir Jenssen (aka Biosphere) qui avec une poignée d’albums inoubliables posera vraiment les bases d’un genre, créant presque une école à lui seul. D’autre, ex-artistes de la scène industrielle ou techno, comme l’ex-Cabaret Voltaire Chris Watson, se lance pleinement dans cet art, se faisant rapidement un nom dans ce domaine à part. Entre temps, de nombreux artistes connus et reconnus se sont essayés à cette pratique, offrant à l’auditeur de purs disques de Field Recordings. Ce sont Moondog, Yann Paranthoën, Jana Winderen ou Peter Cusack. Eux aussi suivent les traces de grands pionniers comme Luc Ferrari, Henri Pousseur, Steve Reich ou Alvin Lucier.

De par sa conception du monde, sa liberté, la multiplicité des pratiques qu’il suppose, l’évolution encore active des moyens de captation du monde qui nous entoure, l’exploration des « micro-sons » et autres « infra », la différence des buts poursuivis par les artistes qui se penchent sur ce domaine, le Field Recording a encore de beaux jours devant lui. À l’image des productions qu’il propose, il est une fenêtre toujours ouverte sur le monde et sur la création.

Maxence Grugier
publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013

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un label transversal

Quel est le terrain d’action d’un label dans le contexte actuel où la musique, dématérialisée, mais toujours réifiée, perd sans cesse de sa valeur marchande et esthétique dans « les mailles du réseau » ? C’est à cette question et quelques autres que répond Pierre Beloüin, label-manager d’Optical Sound. Une structure qui déborde du simple cadre de l’édition musicale pour annexer d’autres territoires artistiques, comme l’indique son « sous-titre » : records & fine arts.

Ma motivation initiale pour créer Optical Sound a été de prolonger ce que je faisais déjà, comme tout amateur de musique, en étant adolescent sous la forme de compilation cassettes : une manière de donner un point de vue sonore, mais cette fois sous une forme plus professionnelle en produisant des groupes, avec une réelle diffusion, identité visuelle et ligne éditoriale.
D’autre part, j’avais bien sûr en tête les labels majeurs qui sont toujours des modèles pour moi, tels que : Touch, 4AD, Mute, Mille Plateaux, Mego, L’invitation au Suicide, Sordide Sentimental, Giorno Poetry System, V.I.S.A, Bondage, Some Bizarre, Factory… j’en passe et des meilleurs !
Une de mes principales motivation était aussi de lier mon travail de plasticien à ma passion pour la musique, dès la première édition d’Optical Sound qui était destinée à une écoute individuelle (cf : OS.000 Programme Radio), mais aussi à une de mes installations présentée initialement pour mon diplôme aux Beaux-arts de Paris et portait le nom Optical Sound.

Pour moi la musique a toujours été intimement liée aux Arts Plastiques, et je continue à citer de manière très basique Mike Kelley et Sonic Youth, le Velvet et Warhol; les exemples sont tellement nombreux… La transversalité ne date pas des années 90…
Ces deux domaines (et bien d’autres) ont toujours nourri mes recherches, à double sens. Cela forme un tout avec tous les domaines culturels qui m’animent, il me parait essentiel d’avoir une certaine cohérence et ligne de conduite.
Optical Sound n’est pas un label de musiques électroniques, expérimentales, décalées, cold wave, rock, dark dub, exotica, concrète, acousmatique, mais bien tout cela à la fois, sinon à quoi bon…
Mais Optical Sound est surtout une structure tentaculaire qui, en dehors de sorties physiques sous forme d’objets sonores, organise aussi des expositions, des concerts, de livres et revues, des sérigraphies, des DVD, des applications pour iPad, des dispositifs d’écoutes performatifs, de l’architecture sonore, des audits funéraires, etc.

Par ailleurs, Optical Sound a aussi fonction conservatoire, d’archives (RVB~Transfert, etc.), de trace (Légion Cérébrale, live act for 23 headphones)… Pour RVB~Transfert ou Echo Location, il s’agissait de rendre hommage à mes pairs (pères) non pas sous une forme purement nostalgique, mais aussi avec un pendant contemporain d’auto-réinterprétations pour Echo Location : que se passe-t-il dans le processus créatif d’artistes entre leurs premiers travaux et leurs plus récents ? Quelle vision ont-ils sur leurs propres travaux à vingt ans d’écarts ?
Pour le DVD de plus de trois heures d’archives, RVB~Transfert, il s’agissait de montrer que, malgré le manque de moyens de diffusion et d’outils audiovisuels à l’époque (1979/1991), une scène française bouillonnante et créative était très présente. Paradoxalement on se rend donc compte que tous les outils sont aujourd’hui disponibles et accessibles, mais qu’une pauvreté certaine est au rendez-vous…
Concernant les reliques et archives de lives (comme le concert de Légion Cérébrale pour mon exposition personnelle au FRAC PACA, par exemple), elles font partie de la ligne éditoriale d’Optical Sound. Je ne me contente pas d’éditer les travaux d’artistes, mais je collabore aussi régulièrement avec eux pour la création de bandes sonores liées à mes travaux.
Ces éditions sont des extensions autonomes, des prolongements de mes projets d’expositions, qui existent encore de manière physique comme des catalogues, bien après les dates des dites expositions ou résidences (cf. Special Kit édité suite à ma résidence au Canada puis à la Villa Arson).

On dit souvent Optical Sound édite uniquement des choses visuelles, car c’est une référence au cinéma… Oui, mais pas seulement : le choix du nom était avant tout une manière de mettre en lumière toutes les images mentales générées par une écoute sonore.
Je déteste les étiquettes et les carcans : tout pousse à faire rentrer les gens dans des cases bien lisibles et identifiables, même dans les domaines artistiques, alors qu’il suffit de se pencher un peu sur un contenu pour en comprendre les rouages, mais ce qui manque cruellement aujourd’hui c’est un temps d’écoute, de regard et un retour au désir…
Les artistes édités sur DVD par Optical Sound sont des artistes multiples, vidéastes, mais aussi musiciens, etc. Mais pour une forme visuelle en mouvement, j’envisagerai plutôt un retour à des séances uniques de projections dans le cadre de concerts donnés dans des lieux atypiques, comme je le fais déjà dans le cadre du festival Ososphère par exemple, ou encore dans peu de temps avec le festival Fimé en région PACA.

propos recueillis par Laurent Diouf
publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013

Optical Sound > https://optical-sound.com/

> English Version

musique et création sonore
mars / mai 2013

> Préambule :

Cela avait commencé par un mail alléchant du rédac chef…

Cela avait commencé par l’envie, farouche, de recontacter quelques otakus…
Des personnes croisées au cours de nombreuses pérégrinations radiophoniques et journalistiques. Des fondu(e)s pour qui la musique, le son et les bruits sont un art de vivre, presque un réflexe identitaire…

L’idée était non pas de parler des derniers courants musicaux, mais bien de digresser sur des pratiques musicales, des modalités et supports de création et de distribution. Le tout hors actualité, hors de tout impératif promotionnel. Ou presque… Et puis, surtout, avec l’envie de regarder un peu dans le rétroviseur à l’heure où tout s’apparente à une fuite en avant dans un présent sans cesse renouvelé; en particulier dans le domaine musical…

L’idée était aussi d’appuyer sur « pause » pour essayer de mesurer le changement survenu depuis ce qu’il est convenu d’appeler « la révolution numérique ». De mettre en perspec-tive le « gap » entre les anciens vecteurs de diffusion (disquaire, radio, magazine, etc.) et les nouveaux facteurs portés par Internet que sont la virtualité (dématérialisation de la musique, etc.) et la mobilité (smartphones, géolocalisation, etc.). De garder notre capacité d’étonnement par rapport à la remodélisation de nos possibilités d’échange et d’expérimentation de la musique, face à la convergence image / son.

L’idée était enfin, dans une sorte de mouvement en spirale qui va du plus près de l’édition (les labels) aux formes les plus éloignées de la composition musicale (field recording), d’impressions fugitives (bootlegs) à des réflexions plus didactiques (cinémix, sons-fixés, etc.), d’évaluer les nouvelles procédures d’écoutes, de traquer d’anciens instruments et technologies précurseurs des musiques électroniques, de s’interroger également sur « le retour du refoulé » — i.e. du son analogique — tout en faisant un peu de prospective autour des balbutiements du « son 3D » qui résonne comme un futur antérieur digne de la science-fiction…

Bien « entendu », ce panorama ne saurait être complet. Et c’est tant mieux, car cela augure d’autres numéros de ce type pour continuer cette cartographie « audio-visuelle » en forme de cabinet de curiosités, où les thématiques ricochent entre elles; à la manière d’une version dub. Oui, il fallait bien que le mot « dub » figure dans ce préambule qui n’en est pas un…

Bonne écoute lecture ;-)

Laurent Diouf – Rédacteur en chef

> Sommaire :
Optical Sound, un label transversal
Entropy Records, l’art du support
monoKraK, l’exemple d’un net-label
Confusion technique
Graphisme
Du disquaire à la vente en ligne
Partage
Web-radios, de l’utopie au streaming
Du fanzine au webzine
Pirates en ligne
Écoutes singulières
Écoute participative
Ciné-concert et cinémixes
Concerts, raves, festivals
Live A/V, son et image
Cyberperformance et géolocalisation
Mobilité et musicalité
Musique pour smartphones et tablettes
Musiques expérimentales et danse
Field recordings
Sons fixés et musiques de montages
Créations sonores
Le synthé analogique à l’ère du numérique
Les nouveaux paradigmes du son 3D
Musique and science
Synesthésies musicales
Musique et science-fiction

> English Version / Version Anglaise

déconstruction sonore

Julien Ottavi est un intellectuel contemporain hybride très intéressant, capable d’explorer et d’associer un activisme médiatique à la composition sonore, à la poésie, au cinéma expérimental et à l’anarchitecture. Il est membre fondateur du collectif Apo33 (une association prolifique dans les domaines interdisciplinaires de l’art et de la technologie alliant recherche, expérimentation et intervention sociale) dont l’ADN se situe dans la fusion de l’art sonore, du live-vidéo, des nouvelles technologies et des performances physiques et dans le développement d’outils matériels et logiciels destinés à des projets créatifs,

Julien Ottavi – The Noiser.

Julien Ottavi – The Noiser. Photo : Julien Ottavi/Apo33 (Copyleft)

Depuis 1997, Ottavi développe un travail de composition qui utilise la déconstruction de la voix et la fragmentation de processus grâce au montage numérique. Durant de nombreuses années, en tant que développeur audio et vidéo par le biais de Pure Data, il a fouillé les réserves de l’électronique et construit à partir de matériaux non-conventionnels ou obsolètes, tout en maintenant une posture « militante » quant au partage des connaissances sur le développement technologique, un cheminement qui a conduit à la création d’APODIO, un système d’exploitation Gnu/Linux dédié à l’art numérique. Il suit de manière inconditionnelle la philosophie de l’open source, interprétée comme une ouverture complète, libérée du carcan de la propriété intellectuelle, des idées classiques de l’auteur en tant que créateur individuel et des œuvres d’art issues de talents uniques et individuels. Parti de la scène underground de Nantes jusqu’à atteindre une dimension mondiale, son travail se caractérise par une approche fluide qui se démarque par l’émancipation constante des catégories stylistiques et de fonctionnelles.

Comment est née l’idée d’Apo33 ? De nos jours, un collectif lié à un contexte artistique militant qui guide son travail sur les nouveaux médias n’est plus exceptionnel, mais peut-être l’était-il lorsque vous avez commencé ?
Apo33 a débuté en 1996. L’idée originale était d’apporter à Nantes la musique bruitiste et expérimentale, les performances, tous ces genres qui n’étaient pas représentés dans les médias grand public. Au début des années 2000, nous avons évolué vers la production, la recherche et la promotion de nos propres œuvres d’art. Lorsque nous avons commencé à hybrider l’art, les technologies, l’écologie, la philosophie et la théorie, c’était absolument nouveau en termes d’organisations transdisciplinaires. Nous collaborions alors beaucoup avec des organisations militantes, des médias et associations politiques alternatifs, des collectifs d’art, des organisations travaillant autour des logiciels libres, des nouvelles technologies, du copyleft et, enfin, d’autres groupes versés dans la théorie et la philosophie. Cependant, il était rare que ces organisations mélangent tous ces éléments de manière non-hiérarchique. Aujourd’hui, ces pratiques sont plus répandues et on trouve plusieurs collectifs comme Apo33 dans le monde entier. Cela nous réjouit parce qu’il est important que ces modes d’organisation se multiplient de manière virale et sèment de nouvelles graines dans le quotidien des gens.

Je trouve particulièrement intéressant de lier les changements technologiques et socio-économiques de l’ »information / communication / économie » aux concepts de production et de consommation qui excluent la participation directe de l’argent. Je pense à ces soi-disant « activités économiques non-monétaires » qui sont difficiles à quantifier à travers des indicateurs monétaires, mais susceptibles d’être mieux expliquées par les catégories des médias numériques, des réseaux et de l’esthétique du flux (1).
À vrai dire, ce n’était pas le premier lien, mais à un moment donné il a pris de l’importance parce que nous voulions survivre grâce à notre art, sans avoir pour autant à vendre notre âme. Nous voulions, et voulons encore, rester cohérents par rapport à nos aspirations. Tu produis de l’art, des logiciels, du savoir, des outils que tu partages avec ta communauté, tu ne vends pas de produits dans le but de dégager un bénéfice. Si tu vends quelque chose, ce sera lié à des services, des processus de production, etc. Le mouvement du copyleft apporte de nouveaux paradigmes d’échange économique basés sur les relations sociales et des échanges de « principe », par opposition au capitalisme dont les objectifs sont l’exploitation des travailleurs et le profit issu de tout produit possible, y compris de l’argent (en tant qu’objet virtuel), des productions de masse, de l’épuisement de la nature (terre, ressources, animaux, etc.) et des activités humaines (art, agriculture, énergies, sciences, logement, etc.).

Depuis quelques années, les logiciels libres sont impliqués dans la pratique de réseau. C’est par le biais de ces réseaux originels que le code source a pu circuler; il a été partagé, copié, modifié. Le logiciel libre n’a pu être développé qu’à partir d’un effort collaboratif, de projets, programmations, corrections et beta-tests multi-auteurs. Dès le départ, le projet du « libre » s’est intégré à la pratique d’Internet et du réseau. Sans les logiciels libres et les options de licences affranchies du droit d’auteur, la notion de réseaux numériques se serait trouvée elle-même limitée à des sites payants ou contrôlés par des sociétés privées. Alors que ces sociétés sont manifestement présentes dans le système actuel, elles doivent rivaliser avec des structures plus ouvertes, qui s’ajoutent à une variété de produits issus de la libre circulation, telle que des logiciels, des textes, des idées, de la documentation, des outils de distribution, de communauté, d’entraide, des forums, des modes de partage, etc. Plusieurs formes de création associées à des notions contemporaines de réseaux, de partages et de collaborations ont été mises au point à l’intérieur et en dehors d’Internet…

Lorsque l’auteur se démultiplie, dix fois, mille fois, lorsque la machine (prothèse de l’être humain) devient créatrice autonome et quasi-indépendante, nous pourrions y voir une nouvelle société en pleine émergence où des visions neuves se mêlent et s’entremêlent, s’accumulent et explosent, de nouveaux espoirs surgissent menant à des transformations. Les transformations machiniques ont mené au chaos, à des comportements étranges et inouïs. À présent, nous courrons dans l’obscurité avec la peur comme seul éclairage; peut-être vers notre extermination, comme Icare visant le soleil, essayant de disparaître dans le soleil. Mais en quoi cela est-il lié à des pratiques artistiques ? Peut-être que ces pratiques ne font que refléter nos champs de vision, nos désirs, nos fantômes ? Le désir est peut-être nécessaire à notre transformation, et nous avons besoin de créer des machines, par le biais de réseaux, de participer collectivement à une œuvre d’art incommensurable et interminable, avec des réseaux agissant comme autant de multiplicateurs d’une myriade de permutations.

Que pensez-vous de la scène musicale actuelle du glitch ? Ce type d’expression est souvent basé sur une esthétique de l’erreur avec une matrice post-structurale et trouve son orientation conceptuelle dans le slogan de Deleuze et Guattari : Les machines désirantes ne marchent que détraquées (2). Est-ce que cela exprime également votre point de vue politique ?
Il est intéressant de se pencher sur la question de l’erreur dans l’art en général, de la musique improvisée au cinéma expérimental. Le glitch, l’erreur numérique, le bug, la saleté sont très importants pour les modes d’expression émergents : ils créent de nouvelles façons de jouer avec le medium ou donner des outils à l’artiste. Dans le cas de l’ordinateur, tout le monde est confronté à sa limite. Sa technologie est loin d’être parfaite et, en ce moment, il se multiplie sans fin, ce qui a pour résultat des décharges en Inde, en Afrique ou en Chine, où les pauvres et les enfants sont intoxiqués par le recyclage de composants dangereux qui forment ces outils. Nous devons non seulement aller au-delà de l’idée de simplement faire de la musique ou de l’art numérique, mais aussi il nous faut prendre en compte l’aspect du recyclage. La philosophie GNU/Linux et les nouvelles pratiques de recyclage des machines pour de nouvelles utilisations devraient pouvoir inspirer des artistes dans leur musique et dans leur production artistique.

Apo33, L’oiseau et l’autre, installation sonore basée sur des chants d'oiseaux, 2012.

Apo33, L’oiseau et l’autre, installation sonore basée sur des chants d’oiseaux, 2012. Photo : Julien Ottavi/Apo33 (Copyleft)

La formation des personnes impliquées dans ces disciplines est nécessairement hétérogène : elle est souvent située à la croisée de l’éducation artistique et musicale, ou dans un champ complètement différent. De quel domaine votre univers s’inspire-t-il ?
Depuis de nombreuses années, je développe une pratique de recherche artistique basée sur les nouvelles formes d’écriture musicale utilisant l’ordinateur, les outils audio et les réseaux. À partir de l’interprétation musicale de partitions graphiques telles que Treatise de Cornelius Cardew, December d’Earle Brown ou Cartridge Music de John Cage, j’ai axé mon travail sur l’idée d’une composition programmatique, de recherches dans le domaine du code en tant que partition, mélange de partitions, instrument et direction. Par conséquent, lorsque j’écris un morceau de code ou un « patch » (j’utilise PureData comme principal outil de code) en mettant l’accent sur des idées précises telles que « l’étude de fréquences » ou « la musique de bruit blanc », le programme fait glisser l’interprétation vers une zone avancée dont le musicien suit les chemins indéterminés : la partition graphique, à travers laquelle son interprétation est étroitement liée à l’ouverture de la composition.

L’ordinateur est devenu pour moi un domaine musical où musiciens, interprètes, compositeurs, programmeurs et autres praticiens fusionnent avec de nouveaux outils où s’opèrent des potentialités musicales infinies. Plus qu’un instrument, l’ordinateur offre une toute nouvelle compréhension de la composition musicale. Je peux simultanément construire mon instrument et réaliser une composition, au moment même où j’interprète et joue la musique en public tout en enregistrant et diffusant ce qui en résulte à travers le monde. Je peux contrôler l’ensemble de la chaîne de la production artistique, de son écriture et de sa conception à sa production et sa distribution.

Les ordinateurs portables et autres technologies mobiles, tels que les enregistreurs numériques, apportent un autre niveau à ces pratiques musicales. Nous ne sommes plus limités par notre positionnement spatial : l’espace du studio. La caverne/refuge du musicien/compositeur peut devenir tout aussi nomade que son utilisateur. Nous pouvons presque écrire et composer/jouer/diffuser de la musique aussi souvent que nous le voulons. Ces réalités ont changé ma pratique musicale, offrant une plus grande liberté de mouvement par rapport aux restrictions spatio-temporelles ou aux limitations géographiques dans le cadre de ma production musicale.

En même temps qu’une plus grande mobilité était offerte par l’ordinateur, transformant radicalement ma relation à l’atelier, le World Wide Web est arrivé et avec lui une autre dimension de ma pratique musicale. Je peux à présent jouer à distance avec d’autres musiciens et compositeurs dans des salles de concert, sans avoir à m’y trouver physiquement. Cela m’a conduit à produire et participer à des festivals de musique en ligne ou des concerts à distance, ainsi qu’à collaborer avec différents musiciens dans un contexte où le public, comme les musiciens, ne sont plus dans un espace donné, mais sont dispersés à travers le monde, à l’échelle globale et font l’expérience simultanée de ces productions. Nous pouvons transférer des sons de très haute qualité sur Internet à l’aide des technologies du stream.

En fin de compte, cela signifie que pour explorer ces nouvelles pratiques et collaborations musicales, je peux maintenant travailler avec les musiciens avec qui je souhaitais jouer sans avoir à planifier de voyage, de vol, de visa, etc. Ceci a également contribué à renforcer la communauté et a ouvert les frontières pour les musiciens de pays comme l’Amérique du Sud, l’Afrique ou l’Asie, dont le travail n’était ni diffusé ni connu en Occident. J’ai également commencé à mettre en place mes propres serveurs pour expérimenter avec des studios de musique en ligne, où j’ai enregistré un album entier en collaboration avec un autre musicien à New York, sans jamais être dans le même pays au cours de la production de ce travail. En utilisant la fonction traditionnelle du studio (postproduction), l’enregistrement audio, le mixage multi-canal, etc. avec cette plateforme en ligne, on a travaillé pendant un mois, sur quelques heures d’enregistrements récents et terminés de nouvelles compositions destinées à un CD de 45 minutes.

Mon travail est hanté par un rêve : celui de pouvoir écouter la musique que j’ai dans la tête, paradoxalement sans la fabriquer. Cela vient de l’idée que je suis avant tout un auditeur dont découle le musicien/compositeur. Quand je joue/crée de la musique, j’aime pouvoir l’écouter en même temps que l’auditoire qui la reçoit, plutôt que de me focaliser sur le processus de composition. L’enregistrement ne suffisait pas, car son évolution organique est figée. Je voulais écouter de la musique avec des éléments incontrôlables/imprévisibles, qui intègrent des sources sonores externes (externes à la synthèse, l’algorithme ou la logique informatique). J’ai donc décidé de créer un compositeur automatisé, prenant le relais à partir du point où se situe la Musique, comme le proposait John Cage, c’est-à-dire : une série d’événements sur une ligne chronologique, la Musique est l’écriture du temps, la Musique est temps…

Ce système d’automation doit pouvoir mélanger des sons grâce à un système de samplers, de contrôles de volume et d’effets gérés par différentes horloges effectuant des traitements selon des valeurs aléatoires, y compris des réactions échappant aux contrôles de données comme les entrées fondamentales, les fréquences et les enveloppes. Cette musique peut être créée de n’importe où, en captant du bruit dans la rue, dans un champ ou dans un immeuble, puis en le mixant, le transformant, l’envoyant sur Internet et le diffusant en stream en temps réel à n’importe quel auditeur du cyberespace.

À ce jour, j’ai pu écouter ma « propre » musique chez moi, sans la fabriquer et je suis en mesure d’écouter les transformations subtiles des mouvements sonores et inattendus provenant des changements issus de la source sonore liée aux activités qui se produisent dans les rues et bâtiments et champs où le son est capté : […] une communauté crée des utilisations possibles de la technologie. L’ »utilisateur » de la technologie, n’est donc pas un individu, mais un membre de la communauté ayant une pratique qui utilise la technologie en question. L’utilisateur unique est impliqué dans les pratiques de la communauté et donne du sens à la technologie dans le contexte de ces pratiques. Quand l’innovation transforme ces pratiques, de nouvelles manières d’agir créent de nouvelles interprétations du monde. Si l’innovation est technologique, la technologie s’intègre de manière nouvelle dans la pratique sociale et acquiert un nouveau sens (3).

 

Interview par Pasquale Napolitano
publié dans MCD #68, « La culture du libre », sept. / nov. 2012

 

(1) Manuel Castells, Internet Galaxy (Oxford, Oxford University Press, 2001).
(2) Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (Minuit, 1972).
(3) Ilka Tuomi, Networks of Innovation, change and meaning in the age of the Internet (Oxford, Oxford University Press, 2002)

> http://apo33.org/

Dissection de l’auteur

Le questionnement du système de l’art par la critique institutionnelle, la posture politique du situationnisme, l’amalgame de l’art et de la vie par John Cage et Fluxus, le « système D » du punk : tous ces vecteurs semblent converger dans la recherche de Mattin (musicien et artiste basque). Si son travail est centré sur le bruitisme et l’improvisation, Mattin nous pousse à explorer leurs limites et leurs contradictions en interrogeant les formes établies, les pratiques, les conventions et les contextes.

Mattin live @ MEM festival, Bar Bullit, Bilbao, 18/12/2003. Photo: D.R.

Son approche auto-réfléchie et méta-contextuelle ne se contente pas de déconstruire le langage de la musique visant à explorer le cadre social, politique et économique de la production et de la réception. C’est un déplacement de l’intérêt de la forme musicale vers la sphère extramusicale qui se reflète à tous les niveaux : le concert (conçu comme un système de relations forcées et perturbées), les moyens de production et de distribution (il dirige trois labels militants de l’anti-copyright, chaque œuvre étant disponible gratuitement : la série Free Software, dédiée aux pièces réalisées à l’aide d’un logiciel libre, w.m.o/r et le netlabel Desetxea). Plus important encore, la notion même de droit d’auteur (et par conséquent de propriété intellectuelle) est ramenée à ses racines historiques et littéralement disséquée. À travers des voies impersonnelles d’expression, les performances de Mattin s’opposent à l’idée de créativité individuelle. En assumant les contradictions et en fragmentant les attentes et les rôles préconçus, Mattin tente de dévoiler la manière dont des contextes, les situations et la subjectivité sont construits en les utilisant comme matière première de l’improvisation et en cherchant à sonder le système de la musique expérimentale et de ses relations avec la société capitaliste. En fin de compte, il s’agit d’examiner notre société elle-même.

Vous déclarez sur votre site Web: je n’assume aucune responsabilité pour le pronom « Je » en tant que réceptacle d’un auteur individuel. Ceci nous conduit immédiatement à l’une des notions les plus controversées de la critique esthétique, de l’art et de la musique : l’auteur. Cela s’applique-t-il à votre pratique créative ? Comment le bruitisme et l’improvisation peuvent-ils remettre l’auteur en question ?
La notion de créativité est très problématique, car elle présuppose qu’une personne apporte de la nouveauté ou de l’originalité. Cela engendre une série d’attentes et de divisions ultérieures du travail : on associe cette créativité aux personnes ayant des rôles spécifiques (comme les musiciens ou les artistes) ce qui instaure inévitablement des hiérarchies entre les différents niveaux d’activité, où l’activité du public devient mineure (ou instrumentalisée par une forme d’appropriation par l’artiste).
Dans l’improvisation, la liberté se rapporte à cette conception de la créativité : les improvisateurs sont libres d’utiliser leurs instruments de manières supposées être uniques ou originales. Cette vision de la liberté me semble très limitée et, qui plus est, individualiste dans le sens où les limites se placent dans son propre ego et celui des autres improvisateurs, ce qui instaure une séparation analogue à de la subjectivité libérale : laissez-moi être « libre », tant que je peux exprimer ma « liberté ». Si nous examinons les règles implicites de l’improvisation, il est clair que chaque artiste permet aux autres de faire ce qu’ils veulent tant qu’ils n’interrompent pas son processus de « création ». Les improvisateurs ne sont, en réalité, pas si ouverts que ça; particulièrement si l’on essaie de provoquer un type d’interaction différent, plus intersubjectif.
Le côté informel et la soi-disant liberté dans l’improvisation peuvent entraîner beaucoup de mysticisme et d’obscurantisme, une opacité qui rappelle l’abstraction conceptuelle dans la notion d’auteur ou la forme des produits de consommation. Avec quelques personnes, nous avons essayé de détacher cette notion de créativité de l’improvisation. Nous concevons l’improvisation comme un élément générique sans mise en relief de l’individualité, dans laquelle les expressions impersonnelles ou les gestes génériques produisent une performativité radicale et non-réflexive, dans la mesure où elle ne revient pas vers vous en tant qu’individus (ou, au moins, elle révèle la structure des rôles individuels).

La déconstruction des contextes et des rapports de réception et de production semble être centrale dans votre pratique. Je me souviens avoir assisté à l’un de vos concerts à Berlin et n’y avoir perçu qu’un bruit de fond…
Ce concert était une tentative de travail sur des idées mentionnées ci-dessus, où les décisions structurelles révélaient des attentes, des rôles et des relations de pouvoir informels dans un contexte précis, tout en essayant de produire une « équalisation » radicale des sons (ne pas donner plus d’importance à l’un ou à l’autre) et sans distinction entre l’activité et la passivité (aucune neutralité dans n’importe quel élément de la situation). Je n’étais pas présent, ce qui, pour un concert improvisé peut être considéré comme sacrilège, parce que je n’étais pas là pour exprimer ma liberté, mais j’y avais participé par le biais de décisions préparées à l’avance : le public restait dans un espace totalement obscur pendant une heure, ensuite la lumière s’allumait et on diffusait l’enregistrement des personnes présentes dans la salle durant la première heure.
Pendant la diffusion de cet enregistrement, la moitié des recettes des entrées était censée être disposée au milieu de la salle (nous étions deux à l’affiche ce soir là) et les auditeurs (ou les performeurs, quelque soit la façon dont on préfère les nommer) pouvaient prendre de l’argent s’ils le désiraient. Cependant, Mario De Vega, l’un des organisateurs, estimant que les 20 euros récoltés à l’entrée n’étaient pas suffisants, n’a pas mis cet argent à disposition. Ce qui s’est avéré intéressant pour moi, c’était la façon dont les relations informelles de pouvoir ont resurgit. Je pense que si Mario n’était pas lui-même artiste, il aurait juste placé l’argent selon les instructions, mais étant artiste et organisateur doté d’un certain pouvoir sur la situation, il l’a exprimé sous la forme de décision esthétique qui a saboté la mienne.
Quelques jours plus tard, j’ai participé à un débat public intitulé pourquoi je ne suis pas venu à mon concert. Nous avons examiné les questions soulevées par ce concert, certaines étaient vraiment dures. Cela m’a vraiment permis de me rendre compte de la difficulté de remettre en question le statut de l’auteur en étant soi même auteur. La discussion s’est totalement retournée contre certaines des intentions du concert. En conséquence, je travaille maintenant dans l’anonymat tout en essayant d’utiliser Mattin comme matière à expérimentation et improvisation.

Dans un scénario culturel où l’interaction collective s’impose comme règle de production et de consommation, la tentative de l’avant-garde d’émanciper les spectateurs grâce à la participation semble être absorbée par le système. Votre travail questionne souvent la distinction entre artiste et public. Dans un texte récent, vous présentez la notion d’ »auteur gestionnaire » pour souligner la façon dont les pratiques participatives, tout en essayant de surmonter la distinction entre production active et consommation passive, peuvent finalement devenir une prothèse des courants capitalistes (1).
Cela tient de l’instrumentalisation et de l’agencement : dans quelle mesure l’artiste permet-il un renversement des paramètres conceptuels qui sous-tendent une situation ? Dans quelle mesure l’artiste permettrait-il à une situation de s’effondrer si la participation allait assez loin ?
En écrivant ce texte, je craignais qu’il soit perçu comme moralisateur, comme si il y avait qu’une façon nette et tranchée de se lier à d’autres personnes. Ce n’est pas mon intention, il y a toujours un niveau de manipulation en jeu et il s’agit alors de savoir ce que l’on en fait. Doit-on essayer d’assimiler la notion d’auteur ou de la démanteler en démontrant sa fausseté ?
De ce fait, les concerts que je donne (le « je » étant toujours à questionner) sont des situations qui présupposent que :

  1. a) le public n’est pas neutre
  2. b) le concert est une relation de pouvoir avec des intérêts et des positions inégaux dans la situation
  3. c) néanmoins, les positions ne sont pas figées et peuvent être modifiées ou radicalement questionnées, non pas comme une forme de libération, mais comme une chose autre.

Fondamentalement, il est inintéressant de donner l’impression d’un spectateur libéré ou émancipé par une forme de participation, mais lorsqu’on produit des situations dans lesquelles on est coupés de nos rôles et démuni d’outils pour y faire face, on se sent à nu et vulnérables. Cela relève davantage de l’aliénation et il faut se demander comment l’aliénation est induite, tant au sens général que dans une situation spécifique. Un simple concert ne peut nous libérer, mais nous pouvons explorer la manière dont nous sommes prisonniers des attentes et de conditions artificielles, ce qui revêt toujours un intérêt particulier. Une condition préalable pour changer les choses pourrait résider dans l’effort de compréhension de leurs propres effets et de leur construction.

Mattin live @ Guardetxea, Donosti 07/08/2010. Photo: © Mikel R. Nieto.

Qu’en est-il de votre implication dans le mouvement Anti-Copyright ?
Je ne parlerai pas de mouvement. Il s’agit davantage d’une attitude face à la propriété intellectuelle. Si, grâce à l’improvisation, on remet constamment en question les paramètres de ce dont on traite, alors il est normal de questionner la transformation d’une activité en propriété.
Dans une récente conversation avec Rasmus Fleischer, nous avons abordé les jonctions entre l’obscurité de certains concepts tels que la musique et la notion d’auteur. Elles se sont développées simultanément avec la notion d’expérience et d’esthétique et l’émergence des formes de produits de consommation (i.e. au XVIIIe siècle). Nous considérons ces concepts comme naturels, comme s’ils avaient toujours été là, mais ils sont issus de développements spécifiques à des modes de production, de discussions philosophiques, de la façon dont la notion d’individu et sa relation à la loi se sont édifiées.
Le système juridique qui renforce la propriété repose sur une subjectivité bourgeoise qui conçoit la liberté comme une séparation entre les individus et leur communauté et des individus entre eux. D’un point de vue historique, Marx considère cela comme une excroissance de la Déclaration des droits de l’homme, qui valorise ces séparations. La loi, au lieu de préserver notre liberté, devient un résultat idéologique de l’égoïsme et de l’atomisme, reproduisant ainsi une appréhension de la liberté nécessaire à l’épanouissement du capitalisme. Étant donné que le mode de production capitaliste repose sur des salariés libres de vendre leur puissance de travail, les travailleurs ne possèdent peut-être pas tous les moyens de production, mais il leur reste leur corps et la soi-disant égalité politique et juridique. Plutôt qu’être le sujet des droits, les individus deviennent alors leurs objets et sont, en outre, dégradés et isolés en tant que tels.
De même, les produits de consommation sont des objets égaux aux yeux du marché. Cela montre la manière dont les droits de l’homme et de la propriété sont entièrement liés par l’idéologie de la subjectivité bourgeoise, garantie par la sécurité de la police. La stabilité était tout aussi nécessaire afin de développer une appréhension spécifique du temps : le temps de travail abstrait et homogène qui peut être mesuré par le biais de sa productivité et doté d’une valeur. C’est dans ces conditions présentes que la notion d’auteur pourrait obtenir une certaine pertinence, mais aujourd’hui nous sommes en mesure d’identifier la fausseté du concept. Par exemple, par des moyens technologiques et numériques, comme les logiciels libres, qui ne tiennent aucun compte de l’individualité en tant que source de production et de distribution.

Puisque nous en venons à la série Free Software : pourquoi avoir décidé de fonder un label axé sur les logiciels libres ?
Le label était lié à l’émergence de l’utilisation du logiciel libre par différents acteurs de la musique expérimentale. La majorité de ceux qui utilisent les logiciels libres ont clairement conscience de remettre en question les notions de propriété intellectuelle, mais leurs positions à son égard divergent. Alors, l’une des conditions préalables pour sortir une œuvre sur ce label était de clarifier cette position (anti-copyright, copyleft, licence GNU ou toute autre forme de posture). Il s’agit de faire progresser le débat à ce sujet. D’autre part, des gens curieux, comme Taku Unami, susceptibles de posséder un ordinateur équipé d’un système d’exploitation Mac ou Windows et un autre de GNU/Linux souhaitent essayer plusieurs pratiques. Quand ces artistes sont invités à sortir quelque chose sur le label, ils doivent utiliser l’ordinateur équipé de GNU/Linux. Les moyens de production de la musique expérimentale ont des répercussions idéologiques qui, à mon avis, devraient être discutés plus amplement.

Vous avez développé certaines de ces problématiques à l’écrit, en particulier dans le livre Noise & Capitalism  (2). Souhaiteriez-vous y effectuer des ajustements 3 ans plus tard ? Quel est le potentiel critique dans la production de musique aujourd’hui ?
J’ai commencé à écrire ce livre en août 2006. Depuis, la crise est survenue, bon nombre de luttes ont eu lieu. Ce livre a été un moyen de me rendre compte qu’il n’y a rien d’intrinsèquement critique dans les sons abstraits. La critique découle de la prise de conscience de la façon dont ils sont produits et perçus. Il est devenu évident qu’à l’heure actuelle, le bruit et l’improvisation n’ont pas grand chose à offrir sur le plan politique. Cependant, certaines propositions conceptuelles, dans leurs intentions, invitent encore à des explorations plus poussées; ce qui peut être pertinent au regard des discussions politiques contemporaines.
Par exemple, l’improvisation s’apparente à la notion de « communisation »; d’un communisme par l’action tout en abolissant simultanément la propriété, les relations salariales, les relations entre les genres, les sphères privées et publiques et la théorie de la valeur du travail, sans pour autant nécessiter un programme, des ordonnances ou toute autre forme de médiation. Toutefois, à cet effet, nous aurions besoin d’examiner en profondeur les conditions matérielles et idéologiques qui semblent périphériques à l’improvisation et à la production de musique expérimentale, mais qui sont en réalité sa raison d’être.

Anti-Copyright
interview par Elena Biserna
publié dans MCD #68, « La culture du libre », sept. / nov. 2012

(1) Mattin, Managerial Authorship: appropriating living labour (Casco Issues 12, Sept. 2011).
(2) Anthony Iles, Mattin (eds), Noise & Capitalism (Donostia-S.Sebasti, Arteleku Audiolab, 2009). www.arteleku.net/audiolab/noise_capitalism.pdf

Espaces Soniques

À City Sonic, l’art sonore renvoie invariablement aux espaces de diffusion parsemant la ville de Mons qui l‘accueille. Un rapport indéfectible à l’espace public renforcé par le choix des artistes invités à sa huitième édition, qui s’intègre dans une action de programmation ludique et pédagogique, et où l’idée de réseau garde toute sa prévalence.

Spectres sonores
Habituel parent pauvre des connections entre pratiques artistiques et espace public, le son a trouvé à Mons, en Belgique, un véritable havre d’expression. C’est dans le cadre du festival City Sonic, tenu cette année du 27 août au 12 septembre, que ce rapport entre l’urbain et le sonore se tisse depuis huit ans dans la capitale du Borinage. Une approche à l’expressivité douce, qui s’accommode de cet environnement architectural historique, intriqué et tranquille, renforçant ainsi la subtilité informelle de spectres sonores s’emparant de lieux insolites comme autant de véritables terrains de jeux et d’espaces d’expérimentations idoines.
Une fois encore, c’est à un véritable parcours au cœur de la ville que Transcultures et Philippe Franck, organisateur de l’évènement, invitent le public. Et une fois encore, la Machine à Eau, le site des Anciens Abattoirs ou encore la Salle Saint-Georges – Grand’ Place sont mis à contribution pour accueillir salons d’écoute, performances et installations concoctés par une trentaine d’invités internationaux.

Le son, outil d’un rapport à l’espace
Parmi eux, on note cette année notamment les présences de Diane Landry, de Laura Colmenares et Todor Todoroff, des collectifs MU et Lab[au], du laboratoire de recherche en art sonore Locus Sonus. Des artistes aux pratiques tournant autour d’incursions multidisciplinaires variées (musiques actuelles, arts visuels, arts numériques, création radiophonique…), mais où le son et sa capacité d’occupation, de structuration ou de restitution d’un espace donné constituent un fil conducteur partagé.
Les architectes sonores de Lab[au] utilisent ainsi ce rapport entre le son et l’espace pour contribuer à la configuration de projets urbanistiques (l’installation cybernétique et interactive Binary Waves, panneaux pivotants et lumineux posés sur les bords du canal de Saint-Denis en 2008) ou de réalisations plus intérieures (Framework 5x5X5 et ses modules cinétiques)
Porteur du projet Sound Delta en 2008 — des péniches itinérantes transformées en studio de studios sonores mobiles sur le Danube et le Rhin — et soutien du festival Filmer la Musique à Paris, le collectif Mu joue aussi sur ce travail de remodelage d’une identité sonore en constante gestation.

Field spatialization
Avec des artistes-chercheurs comme Julien Clauss, Anne Roquigny ou Jérôme Joy, le laboratoire Locus Sonus travaille sur les espaces sonores et la field spatialization, la spatialisation sonore combinant l’articulation des espaces locaux et distants. Un principe actif où le transport des sons et des ambiances passe par une combinaison de dispositifs de streaming en direct via Internet, de véritables webcams sonores induisant ces environnements sensoriels à l’affût de leurs propres variations.
Quant à la Québécoise Diane Landry, ces « œuvres mouvelles », qu’elles prennent la forme d’installations, de sculptures ou de performances, utilisent le son comme outil évident de falsification et de transformation d’objets de notre quotidien. Comme en témoignait encore récemment son installation sonore avec automatisation Chevalier De La Réalisation Infinie, réalisée à partir de bouteilles en plastique.

Le réseau et la nouvelle étape brusseloise
Mais surtout, City Sonic a choisi pour son édition 2010 de s’inscrire davantage dans une logique de partenariat et de réseau. Cette année, la manifestation est en effet le volet belge de Diagonales : son, vibration et musique dans la collection du Centre National des Arts Plastiques, un parcours itinérant d’expositions en France, en Belgique et au Luxembourg. Un axe convergent symbolisé dans la grande halle du site des Abattoirs à Mons par la jonction entre la culture pop-rock, le son et les arts plastiques, avec les interventions du platiniste Christian Marclay, du plasticien Steven Parrino, de l’artiste multimédia Malachi Farrel ou encore de la vidéaste post-pop Pipilotti Rist.
Une réflexion élargie qui a permis à City Sonic de trouver son prolongement à Bruxelles dans le cadre de Sonopoetics : de la parole à l’image, de la poésie au son, du 3 au 18 septembre 2010, à l’Institut Supérieur du Langage Plastique (ISELP). Une exposition d’oeuvres plastiques et graphiques liées à la poésie sonore, assortie de conférences, projections et performances, où des pièces de Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Maurice Lemaître, pour les Français, et de John Giorno ou Brion Gysin pour le volet beat anglo-saxon sont particulièrement mises en avant. Un sens de l’ouverture qui s’inscrit bien dans le fil éclairé et vulgarisateur tiré par City Sonic.

Laurent Catala
MCD #60, juillet-aout 2010

Site: http://citysonic.be/

Interview de Philippe Franck, directeur artistique du festival

Comment est né le festival et quelle est sa philosophie ?
City Sonics est né en 2003 de la volonté de l’association Transcultures et de la Ville de Mons de créer une grande manifestation estivale pour les arts sonores (aujourd’hui encore unique en Belgique francophone). City Sonics ouvre toutes les portes de la création (installations, environnements, performances, ateliers, création radiophonique…) avec le souci principal de renouveler le plaisir d’une écoute active, de susciter un dialogue intime entre les lieux d’accueil patrimoniaux ou insolites, les interventions artistiques et les publics…

Votre meilleur souvenir ?
Entendre le célèbre cri de Tarzan — un projet du plasticien-performer Emilio Lopez Menchero présenté en 2003 — résonner à la place du tocsin de l’Hôtel de Ville et voir le visage étonné et amusé des citadins, qui me demandent encore s’ils vont ré-entendre
ce crieur des temps modernes, prouvant, si besoin est, la puissance de l’image sonore.

Votre pire souvenir ?
Le matin du vernissage de la 1ère édition, le visage et les oreilles obstinément fermés d’un employé communal à moitié saoul qui refuse de nous donner accès à l’électricité dans un jardin où nous présentions des installations, retardant le vernissage de plusieurs heures, avant que l’adjoint au Maire ne débloque cette situation absurde (du plaisir des interventions in situ dans l’espace public !)…

Quelles sont les caractéristiques de la prochaine édition ?
L’amplification du réseau Émergences Sonores, une installation / création du grand minimaliste américain Tony Conrad ou encore, Bat Sounds, inspiré par les chauves-souris du compositeur Jean-Paul Dessy… L’édition 2008 renforcera sans doute l’aspect « déambulation » entre les sites du parcours (notamment via une création de Pierre Alféri), mais aussi entre les villes associées (Mons, Maubeuge, Lille).

Comment voyez-vous l’avenir du festival ?
Outre ses collaborations internationales avec d’autres festivals, City Sonics compte développer, à Mons, un programme à l’année d’expositions, rencontres, performances et résidences d’artistes — avec le CeCN (Centre des Écritures Contemporaines et Numériques), Musiques Nouvelles, la Ville de Mons — ainsi que des collaborations transfrontalières (avec Le Manège, Scène Nationale de Maubeuge, le Studio des Arts Contemporains Le Fresnoy, le Palais des Beaux-Arts de Lille…).

MCD, Guide des Festivals Numériques
musique – art – multimédia, 2007-2008

Site: http://citysonic.be/