Archive d’étiquettes pour : Ars Electronica

Out Of The Box
The Midlife Crisis of the Digital Revolution

Art, technologie et société forment toujours la matrice d’Ars Electronica. Ce festival pionnier fête sa 40ème édition et propose une programmation vertigineuse — conférences, lectures, workshops, expositions, projections, performances…
Les prix Golden Nica 2019 (remis le 5 septembre lors de la cérémonie d’ouvertuve) couronnent cette année Kalina Bertin, Sandra Rodriguez, Nicolas S. Roy et Fred Cassia, pour la catégorie « Computer Animation », Paul Vanouse pour la catégorie « Artificial Intelligence & Life Art », Peter Kutin pour la catégorie « Digital Musics & Sound Art » et Alex Lazarov pour la catégorie « Create Your World »…

avec Aza Raskin, Tom Kubli & ZHAW / Sevn Hirsch, Ralf Baecker, Marko Peljhan & Matthew Biederman, Michael Candy, Helena Nikonole, Azumi Maekawa & Shunji Yamanaka, Dmity Morozov, So Kanno, Saša Spačal, Maja Smrekar, AnotherFarm, Špela Petrič, Scott Eaton, Andy Gracie, Y2K, Projet EVA, Memo Atken, Vladan Joler, Nye Thompson, Caroline Sinders, Charlotte Jarvis, Quimera Rosa, Margherita Pevere, Disnovation.org, Paolo Cirio, Ulf Langheinrich, Franz Fischnaller, Christian Fennesz & Lillevan, Ryoichi Kurokawa, Alex Braga, Thomas Gorbach, Werner Jauk, Antye Greie-Ripartti & Vladislav Delay, Julius von Bismarck

> du 05 au 09 septembre, Linz (Autriche)
> https://ars.electronica.art/outofthebox/en
> https://ars.electronica.art/prix/en/winners/
> https://ars.electronica.art/aeblog/en/

Directeur Artistique de l’Ars Electronica Center de Linz

Initialement ingénieur en télécommunication et artiste des médias, Gerfried Stocker est directeur artistique de l’Ars Electronica Center de Linz depuis son ouverture sur la rive Nord du Danube en 1996. Il codirige aussi le festival du même nom dédié à l’art, aux technologies et problématiques sociétales.

Gerfried Stocker. Photo: © Rubra.

Une opération visant à élaborer le Musée du Futur n’est-elle pas vouée à l’échec ?
Ce serait évidemment le cas si on prenait tout cela à la lettre mais le choix du sous-titre “Musée du Futur” était plutôt une décision stratégique. En effet, lorsque nous avons ouvert l’Ars Electronica Center, les thématiques et les contenus de nos expositions et de nos activités étaient beaucoup plus complexes ou difficiles à comprendre voire à imaginer pour la plupart des gens. De ce fait, si nous l’avions appelé Centre Ars Electronica pour l’Art et la Technologie, il nous aurait probablement fallu cinq bonnes minutes à chaque fois pour expliquer qu’il n’y avait là rien de dangereux ni d’étrange, pas de scientifique, d’artiste ou autre personnage illuminé et qu’il s’agissait vraiment d’une institution publique, au même titre qu’un musée. La seule chose à faire, c’est venir sur place et passer la porte d’entrée. Ensuite, quelqu’un vient vous chercher et vous guide à travers toutes les choses à voir. En ce qui nous concerne, le terme “Musée” signale davantage aux gens comment interagir avec notre institution que le contenu du bâtiment.

L’idée sous-jacente consistait également à toujours concevoir l’Ars Electronica Center comme une sorte de laboratoire où il soit possible d’explorer et d’envisager le fonctionnement d’un musée du futur. Il ne s’agit donc pas d’un musée qui montre l’avenir, ce qui serait évidemment absurde, mais davantage d’un prototype de fonctionnement potentiel du musée du futur. La façon, par exemple, dont les activités d’un musée peuvent se déployer dans ce monde régi par Internet, sachant qu’au tout début, vers 1995-96, de nombreuses théories soutenaient qu’un musée rattaché à un bâtiment s’inscrivait déjà dans le passé. Les espoirs fondés sur le musée virtuel et le musée sur Internet étaient beaucoup plus importants qu’aujourd’hui. À présent, nous comprenons beaucoup mieux l’énorme atout d’un bâtiment physique, dans un espace réel, dans une vraie ville, avec un public et des objets tangibles — tout cela revêt une importance accrue. Par conséquent, il s’agissait de voir comment, lorsque les médias interactifs prennent une place prépondérante, il est possible d’établir un musée du futur en termes de communication avec le public, de manière d’exposer et de présentation des pièces.

Hernan Kerllenevich & Mene Savasta Alsina, Ahora – A song in the Hypertemporal Surface, 2013. Photo: © Guido Rodriguez Limardo.

L’usage des technologies dans l’art est-il propice à la relecture, voire à la réactivation de pratiques historiques ?
En fait, il y a plusieurs phases distinctes dans le développement ou l’évolution des nouvelles technologies. La première se déroule lorsque nous découvrons un nouveau support. Nous ne pouvons pas alors seulement nous baser sur les pratiques de l’ancien support pour découvrir ce dont ce nouveau média est capable. Il est possible de l’observer à travers l’histoire qui va du cinéma à la télévision et au-delà, c’est toujours la même chose. Au début, vous utilisez les méthodes et les pratiques habituelles liées à vos outils, supports média et technologies existants pour essayer de détourner et d’explorer les nouveaux supports. Ensuite, vient la phase des nouvelles expériences, accompagnées par une grande euphorie parce que nous pensons soudain avoir trouvé la nouvelle direction.

Puis vient toujours un troisième stade au cours duquel les gens sont un peu déçus car ces idées super-nouvelles qui ne sont peut-être pas aussi super-nouvelles que ça et que même avec la nouvelle technologie, au final, vous devez faire face à des problèmes similaires. Alors, dans la phase finale commence cette période de réévaluation. Dans la troisième phase, ce modèle simplifié devient plus intéressant parce que vous commencez à connaître certaines déficiences et limites de cette nouvelle technologie. Ensuite, il faut faire un retour délibéré en arrière et se demander ce que nous avons oublié dans cette ruée vers la nouvelle ère numérique ? Puis, soudain, il y a une merveilleuse et passionnante nouvelle période de redécouverte de l’histoire et des choses anciennes, autrefois délaissées en termes d’utilisation et d’exploration du support ou média. C’est la chose vraiment intéressante, car elle permet, en quelque sorte, de finaliser cette étape. Ce modèle, tellement simplifié, a besoin de ces trois éléments pour fonctionner.

David Hochgatterer, Time To X, 2013. Photo: © Florian Voggeneder.

Considérant les œuvres de médias variables, leurs documentations archivées en ligne ne deviennent-elles pas, avec le temps, plus importantes que les œuvres elles-mêmes ?
Oui, c’est certain et c’est un élément que nous devons encore améliorer pour alimenter une culture non pas de documentation, mais de notation de cet art des médias. Parce que la documentation est toujours un cimetière. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est la possibilité de développer une forme de documentation comparable aux notes de musique. Dans ce domaine là, nous bénéficions de plusieurs milliers d’années d’expérience et de culture quant à la façon de maintenir vivant cet art qui repose sur la temporalité (la musique) en formant des générations successives de re-joueurs et de ré-interprètes professionnels, comme les chefs d’orchestre, de sorte que la musique a survécu à un processus continu de renouveau. Je serais trop radical si je niais ici l’utilisation du mot “documentation” car peu importe qui produit le document, la documentation implique que l’on a affaire à une chose finie. Il s’agit donc davantage d’une instruction que d’une documentation.

Ce que l’artiste devrait écrire est une instruction pour le futur. Je ne sais quel qualificatif on donnera à ces personnes mais je suis sûr que, dans 50 ans au plus tard, nous verrons apparaître un nouvel emploi qui se distinguera de celui du restaurateur, car ce dernier opère dans une église et tente de restaurer les peintures sur le mur et les plafonds pour qu’elles retrouvent leur aspect d’origine. Ainsi, il ressemblera plutôt au chef d’orchestre et aux musiciens qui re-compilent et réinterprètent une œuvre, et il aura besoin d’instructions. Parce que le problème c’est que même si nous avons une description parfaite de la pièce de Bill Viola, dans 50 ans il y a très peu de chance que nous disposions du même type d’équipement. Quelqu’un devra choisir entre toujours montrer la vidéo d’origine comme un documentaire ou faire migrer l’œuvre sur de nouveaux supports radicalement différents. Je pense donc que la pérennité ne passe pas par la documentation mais par la notation ou les instructions.

Viktor Delev, Anatta, 2013-2014. Photo: © Martin Hieslmair.

Au regard des thématiques de votre festival, n’est-ce pas aujourd’hui le mot société qui vous est le plus cher parmi les termes, art, technologie et société qui structurent les activités d’Ars Electronica ?
En effet. Vous pouvez le voir à travers l’histoire d’Ars Electronica, sur toute la longueur. Bien sûr, au début, on mettait en priorité l’accent sur la technologie car il s’agissait d’un élément nouveau. Tout le monde s’enthousiasmait et les artistes étaient ravis. Toutes ces premières expériences réalisées par les artistes restent un élément essentiel. Mais cette prédilection pour la technologie est souvent méprisée de par sa nature intrinsèque. Le travail très important de l’époque ne résidait pas dans le jeu passionné avec la technologie, mais dans l’opportunité d’explorer son potentiel. Ainsi, en sondant les possibilités de la technologie, les artistes de l’époque ont véritablement ouvert ce domaine à la société. À mon sens, ils avaient la mission très politique d’extraire ces technologies du domaine de l’industrie pour les transporter au cœur de la société. Cette formule, mise en place pour Ars Electronica par nos prédécesseurs en 1979, reste inchangée.

Par ailleurs, le festival a évolué en phase avec les progrès de la culture et de la technologie elle-même. Au milieu des années 1990, quand mon équipe a commencé à travailler ici, la réalité du World Wide Web et de l’Internet a subitement touché tout le monde. Nous nous sommes toujours demandés si le futur avait rétrogradé : c’est-à-dire, si au lieu d’être en avance sur nous, tout à coup, le futur était venu à notre rencontre. Nous étions immergés dans ce contexte quand toutes ces choses qui avaient été prédites ou envisagées dix ans auparavant se sont réalisées d’un seul coup. Par conséquent, nous avons dû, de plus en plus, examiner l’impact sociétal. Cependant, avec cette explosion soudaine il a fallu aussi répondre à la demande qui consistait à parler de ce développement au grand public, une demande émanant des entreprises soucieuses, elles aussi, de s’en rapprocher. Ainsi, tout à coup, la mission d’Ars Electronica s’est retrouvée chargée de nombreux éléments. C’est pourquoi, depuis le milieu des années 90, le travail touchant à la société est devenu la partie majeure et quasi-exclusive des activités d’Ars Electronica.

Hermann Nitsch, Deep Space Live, 2013. Photo: © Tomislav Mesic.

Pensez-vous qu’un projet d’art et de médias doive être présentable au sein d’un white cube comme Christiane Paul semble nous le suggérer dès 2008 avec son livre New Media in the White Cube and Beyond ?
Pour répondre sérieusement, nous devrions avoir une très longue discussion pour définir les œuvres d’art des médias. C’est comme si on employait le terme « animal ». Pourquoi ne pas parler d’un crocodile, d’un éléphant ou d’un moustique ? De la même manière qu’il existe des différences entre un crocodile, un éléphant et un moustique, l’art des médias se déploie dans des directions totalement distinctes. Bien sûr, il existe des critères communs qui permettent de parler d’art des médias. Cependant, le mode et le lieu d’exposition doivent être abordés de manière totalement différente. La cage qui pourrait accueillir un crocodile ne serait pas adaptée à un éléphant ou à un moustique. De même, il existe de nombreuses formes d’art des médias qui ne correspondent aucunement au white cube.

Je pense que nous comprenons encore très mal la réalité de l’art des médias car nous utilisons toujours le Centre Pompidou, le MoMA, la Tate ou ce type de lieu, comme référents. Bon sang ! Pourquoi un artiste des médias devrait-il vouloir à tout prix entrer au Centre Pompidou, au MoMA ou à la Tate, en delà des questions économiques ? Je préfèrerais de loin avoir un impact social. Je ne sais pas si être exposé dans l’un de ces grands centres, même si vous obtenez un article dans le New York Times, a un impact social si important que ça. Quoi qu’il en soit, l’impact social en tant qu’artiste des médias, avec de nombreuses voies et possibilités de réaliser son projet est beaucoup plus important, sans parler des nouveaux marchés qui émergent. Je pense que l’art des médias est sur la bonne voie. La raison pour laquelle la majorité de ces artistes des médias n’est pas ENCORE représenté par les galeries ou que les galeries ne viennent pas à la rencontre de ces œuvres relève juste de l’ignorance, de la paresse et de l’apathie des idées et des mécanismes du marché. Il m’apparaît donc que ce sont davantage les propriétaires des white cubes qui sont avides d’intégrer l’art des médias, plutôt que l’inverse.

Dominique Moulon
publié dans MCD #80, Panorama, déc. 2015 / fév. 2016

Ars Electronica: www.aec.at

Interview de Gerfried Stocker

En 1991, Gerfried Stocker, artiste des médias et ingénieur en télécommunications fonde x-space, une équipe destinée à mener des projets pluridisciplinaires et produire des installations et des performances qui incluent des éléments d’interaction, de robotique et de télécommunication. Depuis 1995, Gerfried Stocker officie en tant que directeur artistique d’Ars Electronica, l’organisation fondée en 1979 à Linz, en Autriche qui organise le festival du même nom dédié à l’art, la technologie et la société. À partir de 1995/96, il dirige l’équipe d’artistes et de techniciens qui développent les stratégies d’exposition innovatrices de l’Ars Electronica Center et installent sur les lieux un département de recherche et de développement, l’Ars Electronica Futurelab. C’est également lui qui conçoit et met en place la série d’expositions internationales présentées depuis 2004 par Ars Electronica et, à partir de 2005, le projet et le repositionnement thématique de l’Ars Electronica Center dans sa nouvelle version agrandie.

Un éclairage utilisant une technologie de pointe illumine l'enveloppe de verre d'une surface d'environ 5100 M2 autour de l'Ars Electronica Center. Les bandes de LED montées au dos des 1100 plaques de verre disposées sur la façade sont programmables séparément. La luminosité et le mélange de couleurs peuvent être réglées.

Un éclairage utilisant une technologie de pointe illumine l’enveloppe de verre d’une surface d’environ 5100 M2 autour de l’Ars Electronica Center. Les bandes de LED montées au dos des 1100 plaques de verre disposées sur la façade sont programmables séparément. La luminosité et le mélange de couleurs peuvent être réglées. Au total il y a environ 40000 diodes, une sur 4 émet une lumière rouge, verte, bleue ou blanche. Lors d’une opération nocturne ordinaire, 3 à 5 kilowatts suffisent à produire des effets spéciaux innovants. Photo: © Nicolas Ferrando, Lois Lammerhuber

Marco Mancuso: Le Festival Ars Electronica est né en 1979 pour présenter et observer l’impact croissant des technologies sur l’art contemporain et la société dans son ensemble  — le Prix décerné à l’issue du concours mettant l’excellence à l’honneur. Le Centre en tant que lieu d’art et le FutureLab en tant que département de R&D, soutenu par un ensemble des partenaires technologiques privés ayant investi dans le projet, ont vu le jour peu de temps après. D’un point de vue historique, pourquoi tout cela est-il arrivé et comment cela s’est-il développé ? Ars Electronica semble avoir amorcé une véritable révolution au niveau de la production d’art et de culture. Il existait alors dans le monde très peu d’exemples comparables, capables d’échanges et d’exploration de l’art et de la culture des médias jusque là délaissés. Comment ce processus s’est-il articulé et quelles sont les difficultés auxquelles vous vous êtes confronté ?
Gerfried Stocker: En 1979, le Festival for Art, Technology and Society (festival pour l’art, la technologie et la société) a été fondé en écho au Linzer Klangwolke (Son de Nuage). Le Prix Ars Electronica est né en 1987. À la fin des années 1970, il était crucial que la ville de Linz se réinvente. Dominée par la croissance rapide de l’industrie métallurgique, suite à la Seconde Guerre mondiale, Linz manquait d’infrastructure culturelle et n’était connue qu’en tant que ville industrielle polluée. À cette époque, il est devenu évident que le futur de la ville ne reposerait pas sur la transformation du fer en acier.
C’est à ce moment que le directeur de la chaîne de télévision locale, associé à un artiste et à un scientifique, s’est mis à penser au festival, animé par la conviction que l’ordinateur allait vite devenir bien plus qu’un simple instrument technique — il allait non seulement être une force motrice pour les nouvelles technologies et les nouvelles économies, mais allait aussi avoir un impact colossal sur la culture et la société tout entière. C’était visionnaire, compte tenu de l’époque à laquelle Ars Electronica a été fondé. Ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’ils ont compris qu’un festival et un colloque sophistiqués ne suffisaient pas, mais qu’il fallait également produire quelque chose qui puisse toucher tout le monde.
À partir de ce moment, c’est devenu notre principe directeur : regarder les sujets et les développements qui définissent notre avenir, essayer de les comprendre grâce à des artistes et des scientifiques venus des quatre coins du monde et communiquer le tout au public. Au fil des ans, nous avons mis en place une chaîne d’activités très solide — avec le Festival (et en particulier le Prix) comme source d’inspiration et d’idées; le Centre comme plateforme dédiée à l’éducation où les gens peuvent découvrir les thèmes et les technologies de l’avenir d’une manière très participative et créative; et le FutureLab, groupe de réflexion et melting-pot réservé aux créatifs, aux artistes, aux techniciens, aux développeurs, etc. — qui permettent au public d’utiliser toutes ces contributions et toute cette expérience pour générer de nouvelles idées et de nouveaux prototypes. En parallèle, nous possédons une section qui organise des expositions à travers le monde et la section Ars Electronica Solutions où nous transformons toutes ces idées créatives en produits destinés au marché.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, l’intégration de l’art, de la technologie et la société dépasse un simple usage plaisant de ces termes, il s’agit vraiment d’un principe directeur dans notre travail, toujours plus à même d’affronter les enjeux et les mutations de notre époque axée sur la technologie. Le seul élément sous-jacent à toutes ces activités est le point de vue et la manière artistique d’aborder les questions. Cela nous oblige à rester très proches des besoins des gens, à ne jamais perdre de vue l’importance du développement de la technologie en fonction des utilisateurs. Nous sommes ainsi beaucoup mieux préparés à affronter les aspects négatifs de l’évolution actuelle.

Project Genesis – l'une des expositions à l'Ars Electronica Center – se déploie sur deux étages du bâtiment. Les œuvres sont regroupées en quatre ensembles thématiques: Biomédias, Hybrides Synthétiques, Ethiques de la Génétique et Science Citoyenne.

Project Genesis – l’une des expositions à l’Ars Electronica Center – se déploie sur deux étages du bâtiment. Les œuvres sont regroupées en quatre ensembles thématiques: Biomédias, Hybrides Synthétiques, Ethiques de la Génétique et Science Citoyenne. Photo: © Tom Mesic.

MM: Ars Electronica est un projet financé à la fois par des aides publiques (Upper Austria, ministères Autrichiens) et des partenaires privé, comme nous pouvons le constater sur la page dédiée à ce sujet sur le site Internet. Si l’on part de la vaste quantité d’écrits et d’expériences répertoriées qui traitent des   Industries Créatives, il parait aujourd’hui évident que les industries du vingt-et-unième siècle dépendront de plus en plus de la production de savoirs par le biais de la créativité et de l’innovation (Landry, Charles; Bianchini, Franco, 1995, The Creative City, Demos). Ce qui reste à éclaircir — sans doute parce que c’est moins direct — c’est la raison pour laquelle les industries privées investissent dans un centre comme Ars Electronica, ce qu’ils y cherchent, au fond, et quel est le retour sur investissement potentiel (si on le souhaite, on peut aussi parler de retour conceptuel ou de retour en arrière). En d’autres termes, quel modèle économique — culturel — de production pourrait finalement être appliqué à une plus petite échelle?
GS: S’il vous plaît ne pensez pas que je suis impoli ou arrogant (j’essaie juste d’être clair et honnête), mais je dois dire qu’il est ridicule d’attendre une réponse à CETTE QUESTION en quelques lignes. Je pourrais rajouter à la pile de ces déclarations vides de sens qui ont déjà considérablement entamé la crédibilité des industries créatives. Il nous a fallu de nombreuses années pour développer cette pratique et il faudrait des heures pour en parler de manière suffisamment approfondie. C’est un écosystème très complexe et multi-couches qu’il faut maintenir pour solidifier un partenariat et une collaboration qui fonctionnent de manière durable entre ces domaines et leurs acteurs. Au final, la raison pour laquelle les entreprises travaillent avec nous (il ne s’agit pas de sponsoring mais de travail commun et de co-développement), c’est que, sur la base de nos 35 ans d’expérience, nous avons trouvé quelques outils permettant de faciliter ou de modérer cet échange.

MM: À l’Ars Electonica Centre vous travaillez sur la présentation de formes d’art liminaires et expressives : de la biotechnologie au génie génétique, de la robotique aux prothèses, de l’interactivité à la neurologie ou encore des technologies de l’environnement à biologie de synthèse. Pensez-vous que des territoires spécifiques à la production de l’art des médias proche des investissements industriels vont voir le jour ? Là encore, comment l’activité des expositions de l’Ars Electronica Center est-elle liée aux stratégies et aux financements de vos partenaires industriels?
GS: Jusqu’ici nous n’avons jamais choisi de thématiques pour un festival ou des expositions en fonction de l’investissement de telle ou telle entreprise. L’un des facteurs de notre succès (ou peut-être de la survie d’Ars Electronica), c’est que nous avons toujours été une institution culturelle gérée par la ville de Linz. Cela signifie que nous disposons toujours du financement nécessaire aux activités et responsabilités de base. Bien entendu, nous pourrions considérablement étendre notre gamme d’activités et accroître notre impact par le biais de collaborations avec le secteur privé, mais il serait toujours possible de survivre sans eux en nous cantonnant à nos activités principales. Par contre, nous ne pourrions en aucun cas survivre très longtemps si notre but ultime visait l’argent fourni par l’industrie parce que, dans ce cas, nous perdrions notre force et notre crédibilité et donc l’accès à des personnes créatives et à leurs idées… il faut comprendre le tout comme un écosystème et non comme un modèle d’affaires !!!

Les essaims des quadcoptères de l'Ars Electronica Futurelab ont été la principale attraction au Voestalpine Klangwolke de 2012. Un public de 90 000 personnes a pu assister à un record du monde: la première formation en vol de 49 quadcoptères.

Les essaims des quadcoptères de l’Ars Electronica Futurelab ont été la principale attraction au Voestalpine Klangwolke de 2012. Un public de 90 000 personnes a pu assister à un record du monde: la première formation en vol de 49 quadcoptères. Les quadcoptères ont également fait leur apparence à Londres, Bergen, Ljubljana, Brisbane et Umea. Par ailleurs, ils sont capables de former des fresques de lumière.
Photo: © Gregor Hartl Fotografie

MM: S’agissant de l’Ars Electronica Futurelab, le Labo travaille sur des domaines de recherche comme l’Esthétique Fonctionnelle, l’Écologie d’Interaction, l’Esthétique de l’Information, la Technologie Persuasive, la Robotinité (en anglais, le terme  »robotinity » est inspiré par  »humanity » NdT.) et le formidable Catalyseur de Créativité. En quoi estimez-vous que ces domaines présentent un potentiel à la fois du point de vue artistique et de l’angle commercial lié à la recherche et aux technologies ? Pensez-vous que ces questions feront un jour de partie notre quotidien, que les artistes des médias s’y référeront et qu’elles engendreront une culture productive et une valeur artistique pour être finalement récompensées par un Prix Ars Electronica ?
GS: Oui bien sûr, ces choses-là font déjà partie intégrante de notre vie, de la culture et de la société. Ce n’est qu’en les approchant par le biais de stratégies comme la créativité catalytique que nous pourrons les aborder correctement. Pensez à la différence entre Robotique et « Robotinité », il ne s’agit pas simplement d’un jeu de langage, mais d’une tout autre approche qui permet d’appréhender les enjeux et les changements.

MM: L’Ars Electronica Residency est un Réseau d’excellence qui comprend des organisations partenaires comme des institutions d’études supérieures, des musées, des organisations culturelles, des centre de ressources R&D du secteur public, mais aussi des initiatives et des entreprises privées. Vous déclarez qu’il s’agit du désir de mener un programme de résidence d’artiste ou de chercheur, chacun se concentrant sur un domaine spécifique pour lequel le partenaire respectif possède une expertise unique. Pourriez-vous donner un exemple concret de la façon dont un projet spécifique est né, d’où l’idée de départ est venue (des écoles, des organismes culturels ou d’initiatives privées), le fonctionnement du processus, comment les étudiants/les écoles/ les artistes/les entreprises ont été mis en relation ? Pensez-vous que la création d’une œuvre d’art, la valeur de la recherche sur une technologie donnée et la communication y afférant puissent rester totalement libres et indépendants de toute pression des entreprises et des investisseurs privés ? Comment Ars Electronica pourrait éviter un éventuel processus de transformation des arts des médias visant à plaire au grand public/au marché ?
GS: Ici encore, je me permets de rappeler qu’il s’agit d’un écosystème ! Pour retirer des bénéfices de la créativité sans l’exploiter, vous devez travailler comme un cultivateur, si vous ne nourrissez pas votre terre, vous ne récolterez rien. Le réseau d’artistes-en-résidence est une stratégie qui consiste à remettre de la matière fertile dans le réservoir de créativité. C’est une façon extraordinaire de relier les individus et les institutions porteurs d’idées similaires, de rapprocher les techniciens et les artistes, etc, etc. Quant à la stratégie pour éviter de se vendre, là encore, j’utiliserai l’analogie avec les cultivateurs. Il est normal de vendre le fruit de sa récolte, mais si vous vendez votre terre au lieu des produits qu’elle permet de faire pousser grâce à votre expertise, alors vous devenez un agent immobilier et toutes vos compétences, votre expérience et votre culture disparaissent.

 

interview par Marco Mancuso
carte blanche / Digicult
publié dans MCD #74, « Art / Industrie », juin / août 2014

 

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