Archive d’étiquettes pour : Alex Augier

La lumière telle que vous ne l’avez jamais vue

Douze artistes qui brillent de mille feux… Quinze installations monumentales qui invitent à l’immersion… C’est l’exposition grand public de cet été 2025 en matière d’art numérique et affilié. Mais on aurait tort de bouder notre plaisir sous prétexte que cette « monstration » s’adresse au plus grand nombre. Chapeauté par l’agence et studio de création Tetro, le « casting » est sans appel et la Grande Halle de La Villette à Paris permet de déployer des installations qui ont besoin d’espace sans se chevaucher.

Christophe Bauder & Robert Henke, Grid. Photo: D.R.

L’effet tunnel
La plongée dans cette exposition se fait en passant par un grand corridor qui accueille Beyond, l’installation de Playmodes. Dans la lignée d’une de leur autre création (WaveFrame), le tandem espagnol Eloi Maduell et Santi Vilanova propose une déambulation sonore et lumineuse sur près de 20 mètres avec un fond blanc en ligne de mire. Les traits de lumière en forme de « U » inversé soulignent la forme de cette structure et leurs clignotements démultiplient l’impression de profondeur, de perspective.

Cet « effet tunnel » est renforcé par une bande-son en diffusion multicanal. Les enceintes laissent échapper de l’ambient-dark et des rondeurs synthétiques avant une séquence finale d’obédience drum-n-bass. Musiques et cultures digitales, disions-nous… L’ensemble des pièces et installations est soutenu par des compositions électroniques tour à tour rythmées, hypnotiques ou abstraites.

Children Of The Light, Spiraling Into Infinity. Photo: LD

Des ambiances sonores qui se marient bien dans l’obscurité qui domine, aussi paradoxal que cela puisse paraître vu la thématique. Au fil des installations, c’est une lumière blanche, crue et presque aveuglante qui zèbre les ténèbres dans la première partie de cette exposition qui en compte cinq. On retrouve de la couleur et des formes composées plus loin, dans les autres sections.

La fin du parcours d’expo ressemble à un couloir temporel… Les visiteurs sont invités à traverser un container customisé avant de regagner la sortie. Les lumières miroitant à l’intérieur fonctionnent comme un kaléidoscope. Il s’agit de Passengers, une installation itinérante de Guillaume Marmin qui transfigure les lieux d’expositions et les visiteurs. L’ambiance sonore est signée par l’artiste et compositeur Alex Augier. Avec Negative Space, Olivier Ratsi nous entraîne lui aussi dans un tunnel ou plutôt dans un labyrinthe comme ceux des palais des glaces… Sauf que les panneaux-miroirs de son dédale sont remplacés par des douches de lumière soulignées par de la fumée et une bande-son intrigante…

Nonotak, Narcisse. Photo: LD

Spirales et mouvements
Outre une sensation de profondeur, la lumière peut aussi suggérer le mouvement. C’est le cas avec Spiraling Into Infinity de Children Of The Light (Christopher Gabriel + Arnout Hulskamp). Une sculpture lumineuse toute en courbes, composée de longs « spaghettis » transparents dans lesquels courent des lumières colorées, synchro avec la musique mystérieuse de Jakob Lkk. Les visiteurs sont libres d’évoluer au sein de cette installation et en quelque sorte de se connecter, si ce n’est d’interagir, avec ce flux lumineux.

On reste sur la figure de la spirale — fixe pour ce qui est de l’armature, mais qui s’anime et semble s’élever sous l’effet de la lumière — avec Nautilus du Collectif Scale. En plus de cette installation scénographique, le collectif propose aussi une fresque géométrique qui passe du noir et blanc à des couleurs vives : Carnaval. Soit une multitude de lignes de fuite se combinent et recombinent presque à l’infini provoquant là aussi une sensation de mouvement et de profondeur.

Le mouvement, rien que le mouvement : Narcisse de Nonotak est une installation composée d’une série de petits miroirs pivotants alignés sur trois rangées. Leur rotation provoque des jeux d’ombres et de flux avec la lumière qui se réfracte. On notera aussi la présence de 1024 architecture qui nous place face à un cube 3D (Orbis 2) certes doué d’évolution et de mouvement, mais dont la « pertinence » tant par rapport à la thématique de l’expo qu’au travail de ce collectif nous échappe un peu…

Collectif Scale, Carnaval. Photo: D.R.

Immersion horizontale
Il arrive parfois (souvent ?) que l’on arpente une expo au pas de course. Mais ici, plusieurs œuvres nous invitent à prendre notre temps. Parce que leurs variations se déploient sur de longues séquences. Et parce que certaines se dévoilent pleinement en immersion. Ainsi la pièce emblématique Grid de Christophe Bauder & Robert Henke (alias Monolake : musique électronique et art numérique encore…). Ce mobile suspendu est composé de triangles de néons bleutés (pas moins de 48 triangles pour cette version updatée 2025). Cet ensemble monte, descend ou pivote lentement au-dessus du public qui est allongé en dessous.

Même position pour expérimenter l’Abîme de Visual System. L’espace est un peu plus contraint que celui dont dispose Bauder & Henke, mais la pratique est la même : confortablement allongé, le public se laisse envoûter par les figures géométriques générées par cette installation vidéo. Cette configuration renforce encore plus le côté hypnotique de cette expérience sensorielle, comparé à la version projetée frontalement sur multi-écrans.

Bien évidemment la contemplation de la voûte céleste requiert le même genre de dispositif. C’est ce que propose Quiet Ensemble avec Solardust : une nuée de petites lumières qui scintillent, changent de couleurs et de textures. Ces particules lumineuses qui semblent parcourues d’arcs électriques ont une « épaisseur », une « réalité » holographique qui donne l’impression de se baigner dans la capture d’écran d’un télescope spatial.

Quiet Ensemble, Solardust. Photo: LD

Le cercle rouge
Si la lumière est aussi une onde, pour l’homme le symbole premier de ce « plus beau spectacle du monde » reste le soleil. C’est ce que nous rappelle Guillaume Marmin avec Oh Lord. Cette installation vidéo qui laisse voir en contrepoint les éruptions solaires et des entrecroisements de pixels à la Ryoji Ikeda a été réalisée en collaboration avec l’Observatoire de Paris Meudon et l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble.

Jacqueline Hen attire les visiteurs au plus près de son immense soleil : One’s Sunset Is Another One’s Sunrise. Pour s’approcher au plus près de ce cercle d’acier suspendu, qui emprisonne de petits miroirs carrés réfléchissant une lumière rouge-orangé, il faut fouler un sol bleu nuit semblable à une plage de sable…

Jacqueline Hen, One’s Sunset Is Another One’s Sunrise. Photo: LD

A contrario, pour leur deuxième œuvre présentée dans le cadre de cette exposition, Children Of The Light ont choisi l’absence de lumière, à savoir l’allégorie d’une éclipse solaire. Diapositive est constituée d’un cercle en métal noir accroché en hauteur qui diffuse alternativement ou partiellement de la lumière, en son centre et à l’extérieur, en suivant un long et lent mouvement de rotation.

Karolina Halatek met en scène aussi un cercle, un disque disposé à l’horizontale et qui semble léviter dans un Halo de fumée blanchâtre. Cette installation est inspirée par des phénomènes lumineux observés autour du soleil et de la lune. On peut se faufiler à l’intérieur pour mieux s’immerger, s’imprégner de la dimension contemplative de ce dispositif, mais peu de gens osent franchir le cap…

Laurent Diouf

> Into The Light : l’expo, jusqu’au 31 août, La Villette, Paris
> https://www.lavillette.com/
> https://www.intothelight.paris/

Guillaume Marmin, Passengers. Photo: LD

cultures électroniques et arts numériques

Après les turbulences des années Covid et malgré les séquelles encore en cours, 2022 semble marquer un retour à la normale pour les grands événements publics. Timing idéal pour Scopitone qui célèbre ses 20 ans d’existence en cette rentrée, du 14 au 17 septembre.

Cet anniversaire sera marqué par du mapping projeté dans la cour du Château des ducs de Bretagne. Aux manettes, Yann Nguema (fondateur d’Ez3kiel). Pour cette création, il va puiser des éléments de la culture indienne (s’inspirant de l’exposition Reflets de mondes sacrés visible au château) et les télescoper avec d’autres esthétiques issues de civilisations et époques différentes. Ce métissage culturel en forme d’uchronie architecturale s’animera régulièrement tous les soirs du festival à partir de 21h00.

Rendez-vous quasi-similaire mais sur les bords de l’Erdre, quai Ceineray, avec Joanie Lemercier (co-fondateur du label AntiVJ) pour son l’installation audiovisuelle Constellations qui brille de multiples reflets aux couleurs blanches et argentées nimbées de noir. Des visuels projetés sur de fines gouttes d’eau en suspension forment ainsi des images tridimensionnelles qui nous donnent l’impression de plonger aux tréfonds du cosmos jusqu’aux limites de l’univers. La bande-son est signée Paul Jebanasam.

Sur le front des lives A/V, on retrouve avec plaisir Alex Augier. Il proposera hex/A\, une performance millimétrée qui combine son, vidéo et laser. Attentif à la « mise en scène », Alex Augier sait surprendre le public par des images et des sonorités qui frappent comme des uppercuts. Sébastien Guérive devrait aussi surprendre avec son projet Omega Point en développant une atmosphère ambient et expérimentale, en contrepoint des images organiques du réalisateur Mikaël Dinic diffusées sur onze cylindres.

Plus coloré, plus festif aussi, le tandem formé par S8JFOU et Simon Lazarus devrait embarquer le public dans un univers à la fois rythmé et introspectif avec leur live AV Op Echo. Autre duo au programme, Atoem se partage également entre deux mondes, organique et synthétique, acoustique et électronique. À noter qu’ils seront aussi présents pour une masterclass sur la synthèse soustractive ; c’est-à-dire autour du synthé modulaire qu’ils ont fabriqué et des différentes phases du processus créatif (composition, mixage, enregistrement, etc.).

Le jeudi 15, la salle Maxi de Stereolux devrait résonner sous les assauts combinés de 4 artistes : Maelstrom, Flore, Fasme et Djedjotronic. Cette performance à 8 mains devrait être un des temps forts des lives et DJs sets de cette édition avec Daniel Avery, tête de pont de la première nuit electro qui s’achèvera tôt le matin. Le reste de la programmation musicale nous échappe quelque peu, question de génération…, mais nul doute qu’entre Gazole Inc., Poté, Decius, Asna & Anyoneid, Zone Rouge, Anetha, Myd, Bambounou ou Nesa Azadikhah, cet anniversaire bénéficie de bonnes vibes.

> du 14 au 17 septembre, Nantes
> https://www.stereolux.org/scopitone-2022/

p(O)st

La nouvelle performance d’Alex Augier s’inscrit dans le sillage ses précédentes réalisations, end(O) et ex(O), en mettant également en œuvre une diffusion mutiphonique et un dispositif circulaire. Visuellement p(O)st nous immerge dans un tourbillon de formes, de filaments et de couleurs. Musicalement, on y retrouve un son spatialisé, basé sur les techniques de sampling et de looping, d’obédience « techno-tronique » avec des accents mélodiques. Très attaché à la scénographie, Alex Augier veille à la correspondance de l’audio et du visuel. Décryptage.

Comment as-tu conçu p(O)st, et avec quelle intention ?
p(O)st est une performance AV. Cette simple affirmation définit l’intention principale de mon travail. Selon moi, une performance AV s’inscrit dans un champ de création spécifique. Ce n’est pas celui de la création musicale à laquelle est associée une création visuelle (ou vice-versa) avec ce côté interchangeable, dissociable. La performance AV doit proposer un « objet » cohérent, techniquement et artistiquement, où tous les éléments sont liés de manière définitive. Impossible de soustraire un des éléments sans détruire le projet.
Dès le départ, je travaille sur une idée audiovisuelle et, non de manière isolée, sur une idée musicale ou sur une idée visuelle. J’utilise un dispositif scénique qui porte cette idée. C’est son seul rôle. Donc, quand je dis simplement que p(O)st est une performance AV, j’exclus tous les projets qui sont, à mes yeux, audio ET visuel comme le VJing, les collaborations entre un musicien et un artiste visuel qui travaille dans une même direction thématique, mais comme cela pourrait l’être d’une scène de cinéma où les deux médias restent interchangeables… Ces projets représentent plus de 90 % de ce qui est présenté comme performance AV. Je n’ai aucun mépris pour ces formes, mais je souhaiterais que le public puisse mieux faire la différence.
Dans le cas de p(O)st, la principale idée audiovisuelle est celle de la spatialisation audiovisuelle. Je voulais placer, dans un espace donné, des sons et des images. Une synchronisation audiovisuelle temporelle, mais également spatiale. La spatialisation du son est assurée par une couronne de haut-parleurs placée autour du public, et un algorithme de diffusion ambisonique qui permet une synthèse de champs sonore évitant au public d’avoir l’impression que le son vient directement des haut-parleurs, mais semble réellement présent dans le volume défini par cette couronne. Concernant le visuel, j’ai pensé cet écran cylindrique et transparent de 5 mètres de diamètres, car il me permet de placer les images dans l’espace. Une sorte de couronne visuelle. La structure scénique n’est pas un simple élément scénographique, un élément de décor… elle est faite pour porter cette idée de spatialisation mixte. Cette fonctionnalité de la structure est un élément important de mon travail.

Comme lors de tes précédentes performances, pour ce nouveau projet tu es au centre du dispositif, mais cette fois la structure est élargie et le public peut prendre place tout autour, sans place assignée, tout en conservant de fait une position frontale…
En parallèle de la spatialisation du son assurée par un système de diffusion multiphonique, le dispositif scénique permet de spatialiser les images dans un espace donné. Ce dispositif doit être installé au centre du lieu pour permettre au public de s’y installer tout autour et profiter ainsi de cette expérience. Comme dans le cas des projets précédents, oqpo_oooo et _nybble_, je suis au cœur de ce dispositif. Simplement, cela me semble être la place la plus pertinente dans le cadre d’une performance. Je fais un tout avec ma création.
Par ailleurs, je voulais que ce projet soit présenté dans une configuration frontale, c’est-à-dire face au public et non autour de lui. J’ai eu l’occasion d’assister à ce type de spectacle multi-écrans, dit immersif, et je trouve que cela ne fonctionne pas. La raison étant que les champs auditif et visuel sont traités sur le même plan, or ils sont très différents. Le champ auditif est une sphère totale nous permettant d’entendre ce qui se passe derrière nous sans être obligé de nous retourner. Alors que le champ visuel est une demi-sphère nous permettant de ne voir que ce qui est face à nous.
En général, pendant les premières minutes de ce type de spectacle, le public fait l’effort de tourner la tête pour justement rechercher l’immersion, mais rapidement il adopte une position définitive qui l’amène à suivre naturellement le spectacle de manière frontale. C’est pour cette raison que je voulais placer les images dans un espace « frontal ». Cela semble moins impressionnant, mais probablement plus pertinent. L’écran étant transparent, quelle que soit la position du public, chaque personne peut voir et entendre ce qui se passe au loin, au proche, à droite, à gauche…

En dehors de cette disposition scénique, est-ce que tu as développé des techniques ou procédés spécifiques pour cette performance ?
Le projet se veut très « live », c’est-à-dire libre, vivant et organique. Pendant la performance, chaque « impact » audiovisuel est joué. Chaque séquence et transition audiovisuelle est construite. Il y a quelqu’un aux commandes et cela se ressent. Je suis également parti sur l’idée de jouer des boucles audiovisuelles, car cela résonnait parfaitement avec la forme circulaire du dispositif scénique et cela permettait de m’inscrire dans une pratique très répandue de la musique « electro », me donnant une direction musicale claire.
J’utilise ainsi des samples/boucles musicaux, mais d’une manière très personnelle (il s’agit de samples « maison »). Plus précisément, j’utilise des fragments de samples que je recompose dans le temps, pendant la performance, afin de réaliser de nouvelles séquences (par exemple, un sample est découpé en 16 fragments, chacun de ces fragments de 1/16 est utilisé pour recomposer une nouvelle séquence). Un fragment sonore est lié à une image et ces 2 éléments sont liés à un endroit de l’espace. J’ai programmé dans Max tout ce que j’avais besoin pour ce projet. J’ai un patch Max dédié à la gestion des samples, aux traitements sonores… Ensuite, le son va dans un patch dédié à la spatialisation (j’utilise le Spat de l’IRCAM). J’utilise aussi un patch dédié au contrôle des paramètres visuels. Tout est lié. Le visuel est génératif.
Le gros du travail a été de programmer l’interface de contrôle : Monome Grid + Monome Arc. L’esthétique de ces machines est en parfaite résonance avec la forme globale du projet ! Le design de ces contrôleurs est très minimal et c’est toute leur beauté. J’ai seulement 4 encodeurs rotatifs et 16×8 boutons rétro-éclairés, mais cependant accès à tous les paramètres du projet (son, spatialisation, image…) ; c’est-à-dire à au moins une centaine de paramètres et ce de manière assez instinctive. J’ai donc fait un vrai travail de design pour obtenir l’ergonomie la plus efficiente possible. Ce travail est en constante évolution, chaque répétition me permettant d’apporter des améliorations (le simple placement d’un bouton par exemple). C’est la partie la plus sophistiquée du projet (malheureusement non visible par le public). J’aimerais la valoriser, car elle montre à quel point tout est parfaitement lié.

Quelques mots aussi sur le titre…
La scénographie évoque les techniques de sampling/looping et inscrit le projet dans l’une des pratiques les plus connues de la musique électronique. Mais p(O)st inscrit cette pratique dans un cadre transversal en intégrant images génératives, espace (son et images déployées à 360°), nouvelles manières de jeu (séquençage de fragments musicaux) et intègre une interface avant-gardiste. La transversalité du projet permet de s’émanciper des formes traditionnelles et de créer un espace unique adapté à sa propre diffusion. p(O)st à l’ambition d’aller au-delà. Le jeu graphique du titre qui inclus (O) fait le lien avec mes projets précédents end(O) et ex(O) dont la forme globale est également circulaire. Par ailleurs, ex(O) sera présenté à la Philharmonie de Paris dans le cadre du Grand Soir Numérique de la Biennale Némo, le 7 février 2020.

Tu présentes p(o)st pour la première fois dans le cadre de Nemo dans quelques jours à la MAC à Créteil. Comment appréhendes-tu l’événement ?
Je répète beaucoup et ce projet me stresse particulièrement, car je n’ai aucun filet. J’espère que le public comprendra que la musique qu’il entend et le visuel qu’il voit n’ont pas été produits tranquillement en studio, puis simplement diffusés. Mais que j’ai, sous les doigts, un méta-instrument audiovisuel et que la réussite de ma performance a une grande importance dans le rendu définitif.

Est-ce que tu développes déjà d’autres projets ?
Je vais travailler, dès le mois de mars 2020, avec Heather Rose Lander, une artiste visuelle basée à Glasgow. Il s’agira d’une performance audiovisuelle (ou audio ET visuelle, car dans le cadre d’une collaboration, il est difficile d’imposer à d’autre l’exigence technique et artistique que j’ai essayé de présenter au début de cet interview). Ce projet sera présenté en première à Londres, en octobre prochain, dans le cadre du festival Sonica.

La technologie évolue très très vite. Dans l’absolu, en spéculant sur des techniques encore imaginaires, quel dispositif aimerais-tu mettre en place si c’était possible ?
J’aimerais pouvoir alléger le plus possible (jusqu’à la disparition) tous les éléments techniques nécessaires au projet p(O)st : écran en tulle, vidéo-projecteurs… Ces éléments font malheureusement ressentir leur lourdeur esthétique. La scénographie serait tellement plus belle si on ne sentait pas tous ces éléments structurels. Dans le cadre de p(O)st, j’imagine une sorte d’écran invisible, flottant à 1 mètre du sol, sans aucun élément technique visible (câbles, VP…). C’est ce que j’ai imaginé depuis le début, mais ce n’est malheureusement pas réalisable, notamment en tenant compte de toute la logistique nécessaire à sa diffusion (tout la structure et les 4 VP sont transportables sur un vol régulier par exemple !).

propos recueillis par Laurent Diouf
photos : © Alex Augier / Quentin Chevrier

Alex Augier > https://www.alexaugier.com/

p(O)st, performance audio-visuelle. Première dans le cadre de la biennale Nemo, le 18 janvier à la MAC, à Créteil > https://www.maccreteil.com/

ex(O), performance audio-visuelle. Proposée dans le cadre du Grand Soir Numérique de la Biennale Némo, le 7 février 2020 à la Philharmonie de Paris > https://philharmoniedeparis.fr/

automata

Bientôt 20 ans, 19 pour être précis : le festival Elektra affiche l’insolence de la jeunesse en célébrant cette année le corps. Corps électrifié, mécanisé, augmenté, connecté… Empruntant son intitulé Automata – Chante le corps électrique au poète Walt Whitman, cette édition 2018 se tiendra du 26 juin au 1er juillet à Montréal (Canada / Québec). Chaque soir, le public sera amené à découvrir des performances A/V, en première mondiale et nord-américaine pour la plupart.

On retrouvera notamment avec plaisir la nouvelle performance des frères Décosterd alias Cod.Act, πTon. Dans la lignée de leurs précédentes créations, il s’agit d’une structure mécanique et ondulante ressemblant cette fois à un énorme lombric qui semble échappé d’un monde extraterrestre et avec qui un personnage équipé d’un attirail que ne renierait pas le capitaine Nemo entame un dialogue ponctué de borborygmes et d’étranges incantations.

Autres retrouvailles : Alex Augier, pour l’occasion en compagnie de l’artiste visuelle Alba G. Corral. Musicien électronique adepte des performances AV, Alex Augier proposera end(O). Une œuvre poétique et immersive spécialement conçue pour le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). Jouant inlassablement avec les mots, l’écriture et la lecture qu’il déconstruit et reconstruit, Anne-James Chaton sera aussi du rendez-vous avec Some Songs.

Dans l’esprit de ses pairs japonais (Ryoji Ikeda, Ryoichi Kurokawa, etc.), muni de data gloves couplés à huit synthétiseurs audiovisuels, Chikashi Miyama tracera des lignes et des courbes atomisées qui ressemblent aux visualisations en noir et blanc des accélérateurs de particules (Trajectories). À découvrir, dans un autre registre, NSDOS, qui allie tatouage et musique électronique (Tattoo Hacking)

Outre quelques événements et expositions satellites, les 28 et 29 juin aura lieu en parallèle à Elektra la 12e édition du MIAN. Ce Marché International d’Art Numérique plutôt à destination des professionnels (producteurs, curateurs, galeristes, journalistes, directeurs de festivals, etc.), mais ouvert au public, sera l’occasion d’interventions et de conférences entre les artistes et les différentes acteurs du secteur, de présentations de nouveaux projets et de réflexions autour des arts visuels et des nouvelles technologies, de tables rondes sur le devenir de l’art numérique.

Enfin, également dans le prolongement du festival et de sa thématique corporelle, à partir du 29 juin jusqu’au 5 août, aura lieu la 4e édition de la BIAN (Biennale Internationale d’Art Numérique). C’est dans ce cadre que sera proposée Automata, l’exposition phare d’Elektra 2018 qui sera pilotée par Peter Weibel, directeur du ZKM (le célèbre centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe), en tant que commissaire invité.

Au programme de cette exposition, on découvrira des œuvres qui combinent projection vidéo et dispositif robotique, expérience immersive et réalité virtuelle, sculpture numérique et installation multimédia. Les fameux bras robotiques de l’industrie automobile étant emblématiques de ce détournement artistique.

C’est le cas de l’installation Over the Air de TeamVOID & Cho Young Kak qui propose un « tracé » indexé selon les données des indices de la qualité de l’air. Version futuriste, mais un futur pas forcément radieux malgré des intentions louables (soulager les contraintes chronophages de la garde d’un enfant), Addie Wagenknecht propose d’utiliser ce genre d’infatigable prothèse mécanique pour bercer un landau (Optimization of Parenting, Part 2).

L’autre axe de cette exposition tourne autour de l’art du portrait. Une antienne artistique qui voit sa pratique renouvelée et surtout transfigurée grâce aux possibilités qu’offrent, par exemple, les capteurs pour brosser un portrait pixellisé en temps réel. Une expérience que pourront tester les spectateurs au travers de trois installations interactives : Portrait on the fly de Christa Sommerrer & Laurent Mignonneau, Darwinian rotating lines mirror ainsi que Wooden mirror de Daniel Rozin.

Laurent Diouf

Elektra, Festival international d’art numérique, du 26 juin au 1er juillet, Montréal
BIAN, Biennale Internationale d’Art Numérique, du 29 juin au 5 août, Montréal
MIAN, Marché International d’Art Numérique, du 28 au 29 juin, Montréal
> https://www.elektrafestival.ca/

Elektra 2018

la révolution pour la musique contemporaine

C’est la présence d’Alex Augier, à l’affiche du Grand Soir Numérique, qui nous a décidés de sortir de notre tanière pour assister aux concerts donnés à la Philharmonie dans le cadre de la biennale Nemo le 26 janvier dernier. Nous avions découvert oqpo_oooo, sa précédente performance A/V, lors du festival Elektra à Montréal en 2016. Campé au milieu d’un dispositif assez simple (une structure tubulaire et de la toile) qui forme une sorte de cube 3D, Alex Augier dispensait de la « techno-tronique » assez cinglante et articulée autour de motifs géométriques synchronisés sur les fréquences et la rythmique.

Sa nouvelle performance baptisée _nybble_ (soit le terme anglais pour désigner un demi-octet équivalent à 4 bits) reprend ce principe. Mais cette fois le cube semble un peu plus ouvert, un peu plus transparent; de fait Alex Augier semble moins enfermé dans cette structure. Les visuels sont moins compacts également. Les tracés ressemblent plus à des explosions de particules qu’à des perspectives rectilignes. Et sa musique se fait plus « brute », si ce n’est brutale. Ses fulgurances electronic-noise ricochent d’un canal à un autre, de même que les projections vidéos passent d’un écran à un autre.

Changement de décor avec Nicolas Crosse. Il fait face à un batteur, un pianiste et un violoncelliste. Les premières mesures laissent penser à la simple interprétation d’une pièce « classique ». La scène est vide de tout dispositif. Mais bien vite la gestuelle saccadée laisse transparaître un tout autre scénario. Nicolas Crosse est équipé de capteur, tout comme les musiciens. Ces capteurs permettent de générer et séquencer des sons en temps réel. Gestes répétitifs, chaotiques ou au contraire affûtés comme un rasoir : l’attaque des mouvements détermine la tonalité et la sonorité des samples. Un « duel » s’engage entre les protagonistes. Le télescopage de sonorités acoustiques et électroniques va crescendo. Le tout avec humour ! Une composante plutôt rare dans le domaine. Le titre de cette pièce écrite par Alexander Schubert n’en est que plus significatif : Serious smile.

On esquisse quelques sourires également lorsque l’on voit apparaître les raquettes stylisées de l’antique jeu vidéo Pong sur écran. Curieux et amusant « cross over » entre quelques bruits cartoonesques, une projection vidéo azimutée et une bonne vingtaine de musiciens classiques (hautbois, clarinette, contrebasse, violon, etc.). Nous sommes cette fois en compagnie de l’Ensemble InterContemporain placé sous la direction de Vimbayi Kaziboni. Osons une parenthèse et chromatisons notre propos, le fait qu’une personne née au Zimbabwe, partageant ses activités entre l’Europe et les États-Unis, dirige une telle formation nous réjouis profondément. C’est aussi rare que l’humour dans ce milieu justement… Baptisée Any Road, cette pièce créée par Daniele Ghisi, avec Boris Labbé pour les visuels, est la transposition d’un projet avorté qui devait justement combiner jeu vidéo et création musicale.

Par contre, nous restons septique sur la pertinence du deuxième set mené par l’Ensemble InterContemporain. Non que les qualités du pianiste Dimitri Vassilakis soient en cause, mais simplement parce que ce concerto de Rene Glerup n’a strictement rien d’électronique et, de fait, est en contradiction avec l’intention même de cette soirée : souligner que la révolution numérique n’a pas épargné la musique contemporaine, conjuguer l’image et le son, croiser les pratiques et les technologies pour développer de nouvelles esthétiques sonores.

Après cette « sortie de route », on se retrouve de nouveau en terrain conquis avec de l’electronica noisy et des visuels vidéo. En l’occurrence, un maelstrom rougeoyant, dense et grésillant conçu par Tarik Barri. Le son, « drone post-indus noise » (pour résumer), est assuré par Paul Jebanasam qui donne aussi dans le dubstep sous le pseudo de Jabba pour le projet Moving Ninja signé sur Tectonic. Intitulé Continuum, cette performance A/V se veut une exploration en trois temps de la vie, la puissance et l’énergie de l’univers… Plus prosaïquement, c’est aussi un très bon album éponyme, ambient-experimental de 3 plages aux titres pour le moins alambiqués, paru en 2016 sur Subtext; label cofondé par Paul Jebanasam avec James Ginzburg (30Hz, Emptyset) et Roly Porter (Vex’d).

Laurent Diouf

Grand Soir Numérique, le 26/01/18, Philharmonie, Paris.
> https://www.biennalenemo.fr/2017/08/04/grand-soir-numerique/

 

post-audio

Retour sur la 16ème édition du festival Elektra marqué, cette année, par le lancement de la première Biennale Internationnale d’Art Sonore. Placée sous le signe du « post-audio », la programmation interroge l’influence du sonore sur notre psyché, explore les différents phénomènes d’écoute, propose de nouvelles modalités d’interrelation entre le son et l’image au travers de rencontres, expositions et performances.

Cod.Act, Nyloïd. Photo: © Gridspace.

Le festival Elektra, qui se déroule à Montréal à la mi-mai, s’est ouvert cette année avec une table ronde en compagnie de [The User] et des auteurs de la monographie qui leur est consacrée. Les installations sonores de Thomas McIntosh et Emmanuel Madan illustrent le questionnement multiple du « post-audio ». Un questionnement reconduit ensuite avec Resonant Architecture du collectif Art Of Failure, représenté par Nicolas Maigret. Une projection vidéo où se succèdent friches industrielles, jungles urbaines et paysages dévastés qui servent, au sens strict, de caisse de résonnance à des objets architecturaux atypiques.

Une « mise en vibration » qui atteint son paroxysme avec une installation monumentale qui se dresse au milieu de nulle part, tel un gigantesque totem chargé de piéger des sons. À la suite de cette présentation, place à l’inauguration de la Biennale Internationnale d’Art Sonore au Musée d’Art Contemporain de Montréal, avec la nouvelle installation performative de Cod.Act. Baptisée Nyloïd, impressionnante par sa taille, il s’agit d’une sorte de tripode constitué de tubulures souples en nylon. Soumis à des contraintes mécaniques, l’alien s’agite, se tord en émettant des borborygmes, comme pris de convulsions devant un public craintif.

Dans une ambiance plus feutrée et studieuse, le Marché International d’Art Numérique initié par Elektra rassemble des professionnels (artistes, festivals, revues, médialabs, commissaires…). L’occasion pendant 2 après-midis passés au Centre Phi de croiser des expériences. De mesurer également l’importance du contexte socio-culturel et économique dans lequel peuvent s’ancrer des initiatives; notamment pour les pays du Sud. Ainsi, par exemple, le SESC (Service Social du Commerce), une institution privée brésilienne qui œuvre dans le domaine des services, de l’éducation et de la santé, mais qui a également un Département consacré aux Arts visuels et numériques, et peut réunir un public bigarré dans un quartier qui se met à vibrer sur du mapping et de la drum-n-bass !

Alex Augier, oqpo_oooo. Photo: © Gridspace.

La rencontre avec les chercheurs, artistes et étudiants affiliés à l’Hexagram-UQAM (le centre de recherche en arts médiatiques de l’Université du Québec à Montréal) était également propice à l’échange d’impressions avec la découverte de works in progress dans le domaine des dispositifs scéniques, des vêtements connectés… Outre quelques présentations et expositions satellites, Elektra proposait aussi, de manière plus inattendue, un aperçu des ateliers créatifs-pédagogiques à destination des enfants avec la contribution d’Herman Kolgen dans une performance audio-visuelle aux allures de fête de fin d’école !

Plus adulte, si ce n’est cérébral, l’exercice d’écoute proposé par Nicolas Bernier avec un dispositif très simple (oscillateur, diapason, haut-parleur), qui repose sur le télescopage d’oscillations générées par deux sources, électronique et analogique (Frequencies (friction). Autre installation audiovisuelle et multicanal jalonnant un des lieux investis par Elektra, Topologies de Quayola qui opère une réinterprétation géométrique des peintures classiques de Velasquez et Tiepolo, les transformant ainsi en une sorte d’origami en mouvement qui semble conçu avec du papier froissé. Il y a aussi Temporeal, l’étrange installation cinétique de Maxime Damecour, qui nous force à observer de près un filament presque fluorescent qui réagit aux basses fréquences.

Concernant les lives, tout a démarré avec 2 sets immersifs sous le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). C’est un peu comme la Géode : les images recouvrent complètement notre champ de vision. Allonger, le voyage astral commence avec des rectangles colorés que Paul Prudence enchaîne à des effets tunnel sur une bande-son à la fois planante et coupante (Lumophore II). À sa suite, le collectif turc Ouchhh exploite le même principe, mais avec des textures en noir et blanc plus travaillées, plus complexes, évoluant au gré de patterns électroniques sculptées au scalpel (Homeomorphism, suivi de Solenoid). Un moment fort du festival.

Alva Noto & Byetone + Atsuhiro Ito, Diamond Version. Photo: © Gridspace.

Les autres lives se sont déroulés à l’Usine-C. Sur l’ensemble de la programmation, nous retiendrons l’étonnant jonglage avec des projecteurs de Martin Messier (Projectors), la leçon de DJing avec des toupies lumineuses de Myriam Bleau (Soft Revolvers) produisant des sonorités ondulantes qu’il vaut mieux écouter sans avoir mangé gras avant… On retrouve Paul Prudence, en 2D cette fois (Cyclone II). Dans un registre plus « techno-tronique », Alex Augier s’est imposé avec ses compositions très « mathématiques » prolongées par des lignes de fuites projetées sur une structure cubique (oqpo_oooo). Hors de ce dispositif, on observe une proximité d’intention de sonorités avec le set « algorithmique » de Julien Bayle (ALPHA). Par contre, Franck Bretschneider, accompagné de Perce Warnecke pour les visuels, nous a laissés pantois : trop décousu, trop brut, trop improvisé, trop « free » par rapport à son album éponyme paru sur Raster Noton (Sinn+Form); en dehors d’un moment calme au milieu de ce fatras sonore, sous forme d’une boucle mélodique.

Nous avons préféré, de loin, ses acolytes Olaf Bender (Byetone) et Carsten Nicolai (Alva Noto) qui clôturaient les sessions le samedi soir. Ils ont livré un set cinglant, doté d’une force brute et d’un volume conséquent. Le tandem était épaulé par Atsuhiro Ito qui jouait de l’optron. Un instrument qu’il a inventé, qui ressemble à un néon perclus de capteurs avec lequel il se livre à des solos plein de luminescences et de stridences. Un peu plus tard dans la nuit, les derniers festivaliers encore valides après ces 4 jours intenses ont rejoint Alain Thibault, directeur d’Elektra, et son équipe pour un dernier set dans un bar-club (le Datcha, rue Laurier Ouest pour les connaisseurs). Rendez-vous est pris pour l’année prochaine…;)

Laurent Diouf
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

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