Archive d’étiquettes pour : Afrique

Kër Thiossane, villa pour l’art et le multimédia au Sénégal, se définit comme un espace culturel dédié à l’expérimentation artistique et sociale. En wolof, « kër » signifie la maison et « thiossane » la culture traditionnelle sénégalaise. Ce lieu de recherche, de résidence, de création et de formation encourage l’intégration du multimédia dans les pratiques artistiques et créatives traditionnelles, et soutient le croisement des disciplines.

Mosaïque alternative réalisée à Kër Thiossane. Par Mushana Ali et Kan-si, détail. 2012. Photo : © Antoine Louisgrand / Kër Thiossane.

Kër Thiossane a débuté ses activités à Dakar en 2002. En 2003, grâce au soutien de la fondation canadienne Daniel Langlois pour l’art, la science et les nouvelles technologies, l’association ouvre un espace public numérique afin d’offrir aux Sénégalais un lieu de partage et de réflexion autour de l’art et des technologies numériques, en proposant résidences, formations, rencontres et ateliers. Il s’agit du premier laboratoire pédagogique artistique et transdisciplinaire lié aux pratiques numériques et aux nouveaux outils de communication en Afrique de l’Ouest.

En 2008, est créée la première édition du festival Afropixel sur les logiciels libres liés aux pratiques citoyennes des pays du « Sud ». En 2012, la 3ème édition s’est déroulée autour des Biens Communs, abordés via l’angle des technologies numériques et de la création artistique en Afrique. Depuis ses débuts, Kër Thiossane développe les échanges et les collaborations avec des structures du continent africain et tisse aussi des liens avec d’autres continents, dans une perspective Sud-Sud.

Atelier Demodrama Faces réalisé avec l’Ambassade d’Espagne au Sénégal. 2011. Photo : © Kër Thiossane.

Ainsi sont mis en œuvre des projets internationaux de coopération, tels que Rose des Vents Numérique. Développé de 2010 à 2012, avec le soutien du fonds ACP Cultures de l’Union Européenne et de nombreux partenaires, ce projet a eu pour objectif de développer la coopération artistique numérique et partager des connaissances techniques, culturelles et artistiques, entre le Sénégal, le Mali, l’Afrique du Sud et les Caraïbes.

Mené en partenariat avec notamment le Collectif Yeta au Mali, Trinity Session en Afrique du Sud, l’OMDAC en Martinique, ou encore le CRAS (Centre de Ressources Art Sensitif, Mains d’Œuvres) en France, Rose des Vents Numérique s’est articulé autour de différentes actions phares : les festivals Afropixel (Dakar, mai 2010) et Pixelini (Bamako, octobre 2011); plusieurs formations autour des logiciels libres; six résidences croisées d’artistes d’Afrique et des Caraïbes; la participation au 8ème Forum des Arts Numériques de Martinique (OMDAC); et la création de Ci*Diguente.

Valise pédagogique développée à Kër Thiossane dans le cadre du projet Rose des Vents Numérique. 2010. Photo : © Kër Thiossane.

Car à l’issue de Rose des Vents Numérique, il était nécessaire de créer et entretenir un espace de partage et d’échanges entre les acteurs impliqués, afin de permettre à la dynamique de réseau mise en œuvre de perdurer et de s’élargir. Ainsi est née Ci*Diguente, en wolof « au milieu des choses », « dans un entre-deux », qui fait écho à cet espace de rencontre entre les continents, les disciplines et les savoirs. Cette plate-forme de ressources est principalement dédiée aux artistes et acteurs de l’art numérique en Afrique et Caraïbes, et est aussi ouverte à tous; les ressources sont librement disponibles dans le respect de la licence Creative Commons et chacun peut y proposer ses articles en créant son propre compte.

Marion Louisgrand, initiatrice de Kër Thiossane, ajoute: en Afrique, à l’exception de l’Afrique du Sud, la création numérique est un courant encore nouveau, où les manifestations et expositions qui y sont consacrées sont encore rares ; les structures et écoles susceptibles d’accompagner les artistes africains et capables d’accueillir des expositions sont peu nombreuses.

Si produire ou exposer les œuvres multimédias nécessite la mise en œuvre de moyens matériels pointus, et donc onéreux, Kër Thiossane et les acteurs de son réseau ont pris le parti de développer sur leurs territoires des projets privilégiant les « basses technologies », le « faites-le vous-même », mettant l’accent sur la relation entre création, recherche et espace public.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

 

> www.ker-thiossane.org

négocier une culture mondiale

Cet article met en résonance l’Altermodernisme, une théorie esthétique développée par Nicolas Bourriaud, et des artistes numériques sud-africains, et établit un cadre pour l’art numérique actuel en Afrique du Sud. Plus précisément, il examine les rôles de Nathaniel Stern et Marcus Neustetter (1) en tant qu’artistes, et de Tegan Bristow (2) en tant que commissaire et chercheuse. Cet article propose (ou suggère) à la pratique future dans ce domaine en Afrique du Sud un socle critique alternatif et, ce faisant, il vise à alimenter et étendre le débat sur ce sujet.

Relation IV (détail). Marcus Neustetter. Exposition In Motion (2010). Photo: © Marcus Neustetter.

L’Altermodernisme est une théorie esthétique globale qui intègre des cultures multiples et leur permet de coexister sur un pied d’égalité. La théorie de l’Altermodernisme, définie par Bourriaud et principalement exposée dans son ouvrage Radicant (2010), se base sur ses observations de la dynamique globale et de la pratique artistique contemporaine, dans un monde perçu comme « dé-centré » et dominé par la mondialisation. La théorie de Bourriaud constitue un point de départ qui permet aux artistes de s’émanciper du postmodernisme et du postcolonialisme. L’Altermodernisme rejette les modèles multiculturels revendiqués par le postmodernisme et le postcolonialisme en faveur d’un nouveau modernisme qui permet aux cultures d’être restituées sur un pied d’égalité et considérées comme « l’autre ». Il affirme qu’il s’agit de remplacer la question de l’origine par celle de la destination. Bourriaud suggère un niveau de compréhension et de transfert entre les cultures grâce à la coopération et à la discussion.

Les praticiens altermodernistes sont capables de traverser les cultures dans le temps et l’espace. Ils surfent sur différentes cultures par le biais d’équivalents qui leur permettent de comprendre et d’utiliser des signes différents. Bourriaud décrit le mouvement de l’artiste radicant comme celui qui est en mesure de développer des racines multiples au cours de son voyage, dont l’origine n’est plus considérée comme l’élément de focalisation. Au contraire, le point focal devient la destination. Dans l’ensemble, Bourriaud perçoit ce monde « dé-centré » comme permettant à la pratique d’un artiste de s’épanouir dans une nouvelle direction.

L’avènement de la mondialisation est le point de départ de l’élaboration théorique de Bourriaud. Il le considère comme un facteur qui influence la production artistique et provoque un changement dans les modes de pensée et d’évolution au sein du paysage culturel. Pour Bourriaud, la mondialisation a eu le même effet sur le contexte actuel que l’industrialisation sur le modernisme. Cette évolution est nourrie par le réseau de télécommunication complexe qui s’est développé en parallèle à la mondialisation, comme un résultat du capitalisme. La dynamique de l’Altermodernisme offre la possibilité d’échanger dans plusieurs langues et cultures et d’établir des correspondances.

Compte tenu de sa nature intrinsèque et de la manière dont on y accède, le support numérique est étroitement lié à la mondialisation sans nécessairement se limiter à la culture d’une région ou d’un pays donnés. L’aspect fondamental de l’art numérique est son interactivité, une interaction à la fois physique et psychologique (à l’opposé des sensibilités contemporaines). Selon Christiane Paul, la nature interactive du support offre une forme particulière d’esthétique qui se traduit par des récits, des voyages et des œuvres dynamiques, en phase avec la théorie de Bourriaud. L’Altermodernisme offre un cadre à ce support et lui permet de développer son propre discours au sein de la culture contemporaine.

Le domaine de l’art numérique sud-africain est beaucoup plus confidentiel, restreint et exclusif que l’art numérique international. Le support revêt des tendances exclusives, aussi bien pour ceux qui pratiquent que pour ceux qui voient, qui sont capables de comprendre et d’apprécier un travail qui requiert un certain degré de connaissances techniques et numériques. La nécessité préalable de cette connaissance est admise à la fois par Neustetter et Bristow et souvent considérée comme un obstacle par ces deux acteurs du numérique.

Given Time. Nathaniel Stern. Ross et Felix, vus dans Second Life. Photo: © Nathaniel Stern.

Neustetter, Stern et Bristow sont tous relativement mobiles, ce qui se retrouve à la fois dans leurs œuvres et leur pratique. Stern, qui a initialement vécu aux États-Unis, s’est installé à Johannesburg en 2001, où il a pu approfondir sa connaissance de l’art numérique et a commencé à alimenter et développer le discours autour de l’art numérique en Afrique du Sud. Rentré aux États-Unis, ces deux points d’ancrage ont aidé Stern à initier un dialogue autour du discours et du support. De même, les connexions multiculturelles de Neustetter et les nombreux voyages internationaux liés à sa pratique contribuent au discours élaboré autour de son travail.

Bristow, qui elle aussi vit principalement en Afrique du Sud, a enseigné au Japon et voyage beaucoup à travers l’Afrique pour mener des recherches liées à son doctorat. Bristow est à la fois influencée par son propre mouvement et la traversée de cultures différentes, et par celui des artistes qu’elle sélectionne, tandis que ces mêmes artistes ne sont affectés que par leur propre mobilité. Ces acteurs du numérique se déplacent au-delà d’un usage du support numérique, vers un sens construit par rapport à la globalité. Cette mobilité et la traversée des cultures et des zones géographiques reflètent le monde habité tel que décrit par Bourriaud.

Dans son œuvre Given Time (Temps donné) (2010), Stern utilise l’environnement du réseau social immersif Second Life comme plateforme et cadre de son travail artistique. Dans Second Life, il met en scène deux avatars qui sont amants et qui flottent dans les airs, presque complètement immobiles, les yeux rivés sur l’interface de l’autre. Cette œuvre est présentée par le biais de deux grandes projections vidéo des avatars sur des murs se faisant face, chacun montré du point de vue de l’autre. Ils deviennent alors des personnages, des « acteurs ». Le spectateur pénètre dans cet espace entre les deux amants, mais l’échange entre les avatars est éternel, jamais perturbé par ce visiteur qui devient voyeur de leur échange. Le monde virtuel auquel il participe à travers les avatars dépend en fait de lui. Le dialogue établi entre les deux avatars est entièrement détourné du domaine physique.

Le travail de Neustetter avec les connexions est illustré dans son œuvre relation IV, incluse dans l’exposition In Motion (2010). Cette œuvre est une impression numérique de performances réalisées avec un logiciel sensible à la lumière. Le logiciel, développé par Bristow, permet à Neustetter de produire un tracé numérique lumineux des performances. L’image d’ordinateur est utilisée pour suivre la lumière et dessiner une ligne allant d’une lumière particulièrement brillante à la suivante, créant ainsi un dessin de lumière. Neustetter s’est rendu compte qu’il dessinait l’espace… autour des choses, que la source de lumière pouvait se connecter et que, au fond, il captait le temps et l’espace en observant l’espace négatif autour des objets ou des mouvements (interview). La ligne semble ainsi former des connexions et un itinéraire semble être transposé par le logiciel.

Le mode de commissariat de Bristow résulte de sa recherche. Ceci transparaît dans l’exposition Internet Art in the Global South (l’art d’Internet dans le Sud global) (2009), dont elle a été commissaire pour la Joburg Art Fair en 2009. Cette exposition (3), qui est encore visible aujourd’hui, se compose d’un site Web autour d’un dispositif de visualisation et de liens vers des œuvres sur Internet issues de divers pays du Sud, principalement d’Amérique du Sud, d’Inde, de Corée et d’Afrique du Sud. Bristow a utilisé le réseau international Upgrade (un réseau mondial de militants associatifs et d’artistes du numérique) comme plateforme pour inviter les artistes à soumettre des œuvres d’art, sélectionnées sur la base de lignes thématiques similaires. Cette mise en réseau et la méthode utilisée pour le commissariat illustrent la façon dont le support permet d’établir un dialogue global. C’est l’une des premières collections marquantes de Netart dans les pays du Sud et qui aborde la question cruciale du support quand il s’agit de la marginalisation et des avancées du monde premier. Une collection comme celle-ci permet une approche critique du support dans une perspective adaptée à la fois aux artistes et aux spectateurs.

Internet Art in the Global South. Capture d’écran du site : www.digitalarts.wits.ac.za/jafnetart/. Avril 2013. Photo: D.R.

Bien que le projet ait été présenté dans le cadre d’une manifestation d’art contemporain, Internet s’est avéré un support peu attrayant pour le public. Ce sentiment se retrouve dans l’ensemble des galeries et la partie commerciale de la scène sud-africaine de l’art contemporain. Ce constat étant fait, l’exposition en ligne, après la Joburg Art Fair, s’est avérée être une ressource intéressante et un reflet du support utilisé dans les pays du Sud. La nature du support permet aux réseaux de se constituer du fait qu’Internet est intrinsèquement fondé sur des hyperliens et de l’hypertexte qui créent des connexions et font circuler les informations. Bristow envisage de réitérer cette expérience à plus grande échelle.

Les deux artistes œuvrent à générer la narration à travers l’information, et des liens se tissent entre les œuvres d’art qui accompagnent le spectateur dans un voyage à travers un espace-temps donné. La perception de leur propre position globale en tant que citoyens du monde (selon Neustetter) permet un engagement ciblé vis-à-vis des concepts tels que la cartographie, le déplacement, les réseaux, la translation et les récits. Il en est de même pour le commissariat d’art et la recherche relative au support que sont les autres activités de Bristow.

La théorie de Bourriaud ne s’applique pas seulement à la pratique artistique, elle est aussi le reflet d’une dynamique mondiale. Elle suggère la manière dont cette nouvelle modernité et la mondialisation pourraient être abordées par des artistes. Dans son article Deriving Knowledge (Connaissance dérivée) (2009), Sarah Smizz observe que le déplacement devient une méthodologie et un point de vue par opposition à un style. L’Altermodernisme ne définit pas nécessairement un style esthétique ou une « tendance » spécifique, mais plutôt un mode de pensée et de perception qui devient une esthétique. Cette esthétique est présente dans les œuvres de Neustetter et Stern tout comme dans le commissariat de Bristow et son approche du support. Smizz ajoute que l’Altermodernisme permet aux artistes des nouveaux médias (beaucoup se référant à l’hyperlien/hypertexte comme processus de pensée) de se connecter à des récits et à une translation dynamique, ainsi qu’à des thèmes récurrents ancrés dans l’œuvre des praticiens.

Bien que cette théorie soit juste à bien des égards et qu’elle offre des éclairages pertinents, l’Altermodernisme reste quelque peu idéalisé. La théorie de Bourriaud ne saurait être décrite comme fondamentalement « erronée », mais elle recèle deux aspects problématiques. D’abord, les aspects de la théorie de Bourriaud qui englobent et incluent tout font de l’Altermodernisme un postulat quelque peu irréaliste. Ensuite, Bourriaud a conçu une théorie générale à partir du « centre » sur une dynamique globale qu’il perçoit comme existant dans un monde « dé-centré ». Tout le monde n’a cependant pas la possibilité d’évoluer dans ce monde « dé-centré » décrit par Bourriaud; tous ne sont pas capables d’adopter le style de vie mobile qui aboutit à l’Altermodernisme et certaines personnes sont obligées de migrer et de voyager à travers les continents. Cette mobilité est très différente de celle décrite par Bourriaud et de la mobilité des praticiens cités en exemple.

Il se peut que l’Altermodernisme ne concerne pas autant de personnes que Bourriaud le pense. Si l’on adopte cette théorie, on se doit d’en considérer les écueils. Il serait en outre utile d’affiner son adaptation critique si on souhaite l’utiliser comme cadre de réflexion. Elle forme toutefois un cadre essentiel pour l’art numérique et plus particulièrement pour les artistes d’Afrique du Sud qui évoluent dans une société multiculturelle et multilingue. Le support numérique offre aux praticiens un moyen alternatif de découvrir des cultures différentes, d’un point de vue à la fois géographique et historique. Les artistes dont on parle ici explorent des thèmes rendus accessibles par une dynamique et une culture mondiales. La théorie Bourriaud illustre ce point et permet de se mouvoir à l’intérieur de cette dynamique et au-delà.

Carly Whitaker
Spécialiste de l’interaction numérique, artiste, enseignante et chercheuse à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg, Afrique du Sud)
publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

Rencontres d’Arts Visuels de Yaoundé

Serge Olivier Fokoua, directeur des RAVY, cerne ainsi son événement : jusqu’où peut aller l’art en train de se faire? Quelle est la part de l’Afrique dans ce rendez-vous de l’art actuel? L’un des objectifs de ces Rencontres est de permettre des échanges entre artistes d’ici et d’ailleurs. Créer un réseau dynamique de partage des savoirs et des compétences.

Em’kal Eyongakpa. Installation vidéo. RAVY 2012. Photo : © Les Palettes du Kamer.

Les Rencontres d’Arts Visuels de Yaoundé (RAVY), nées en avril 2008, ont présenté leur 3ème édition en 2012. Elles sont organisées par Les Palettes du Kamer, une association d’artistes plasticiens camerounais fondée en 2004.

La mission des RAVY est de promouvoir l’art contemporain, au Cameroun et en Afrique, en s’entourant de créateurs émergents et confirmés, d’artistes de nombreuses nationalités et disciplines (peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, performeurs, etc.), dont la démarche artistique est innovante. À travers des expositions, performances, colloques, ateliers et conférences, il s’agit de faire venir l’art à la rencontre du public. Le festival permet au public de Yaoundé d’appréhender de nouveaux discours sur la société moderne, des thématiques engagées, subtiles ou poétiques.

Marcio Carvalho (Portugal). Performance et installation vidéo. RAVY 2012. Photo : © Jean-Marc Gayman.

Suite à l’atelier organisé par Em’kal Eyongakpa (1) avec 7 artistes multimédias, à l’Institut Français de Yaoundé, un projet collectif sur le thème « Couloirs » a été présenté au festival RAVY. Des postures, attitudes et comportements urbains ont été filmés puis juxtaposés pour être projetés sur des écrans disposés dans un espace. Lors du vernissage, un récital de poésie a accompagné cette installation.

Les RAVY sont financées par les cotisations des membres de l’Association, ont le soutien du Ministère camerounais de la Culture, d’organisations internationales et de fondations privées. Ce festival s’appuie aussi sur un réseau de structures locales et internationales. Le choix des artistes se fait via des commissaires partenaires, en collaboration avec des festivals et centres d’art, tels que le CRANE_Centre de ressources, au Château de Chevigny (Côte d’Or, France).

Serge Olivier Fokoua. Photo : D.R.

Or, selon Serge Olivier Fokoua, les RAVY s’inscrivent dans un contexte très difficile, où les arts visuels occupent une place secondaire dans la fourchette des disciplines artistiques, tant pour le public que pour les institutions nationales. Les artistes africains avec lesquels nous travaillons sont des passionnés, mais les résultats sont souvent lents. C’est dans le désir de booster ce secteur créatif que nous avons voulu créer des plates-formes d’expression et de promotion des arts visuels. Dans l’art numérique, beaucoup d’artistes manquent cruellement de matériel adéquat pour pouvoir exprimer ce qu’ils ont au fond d’eux. Et quand il leur arrive de réaliser des projets, les occasions de les montrer sont rares.

Aussi, le projet RAVY se positionne-t-il comme une vitrine pour redonner du vent à ce secteur de l’art qui bat de l’aile. Cette opération, aux effets multiplicateurs, permet non seulement de dénicher des artistes talentueux, mais aussi d’assurer leur promotion de manière durable à travers le tissu relationnel d’ici et d’ailleurs que sont galeries, centres d’art, foires, ateliers ou résidences.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.ravyfestival.org

vers un usage militant des « écritures du peuple »

Cet article présente les rares archives existantes sur le champion de boxe Andrew Jeptha. Malgré sa réussite internationale en tant que premier boxeur noir à avoir gagné un titre britannique en 1907, il n’est « visible » dans les archives qu’à travers un petit livre retraçant le parcours de sa vie, et une photographie comportant un autographe. Le texte manuscrit et des éléments du texte de la brochure vont être adaptés, par l’auteur de cet article, en une police de caractères nommée Champion Jeptha Script.

Premières pages de la publication d’Andrew Jeptha. Bibliothèque Nationale d’Afrique du Sud. Photo: © Kurt Campbell.

Cette réaction créatrice vis-à-vis des fragments qui se trouvent dans les archives défie les conventions en matière de recherche historique, en inscrivant Jeptha dans le présent, ce qui représente une sorte de « retour ». Cette désobéissance épistémologique, en accord avec les approches radicales d’autres études, accroît le défi rencontré face aux archives coloniales qui adoptent trop facilement la règle du « seulement des preuves authentiques » et son corollaire: le silence. La pratique émergente dont il est fait état est ce que l’auteur appelle les « écritures du peuple » (folk-scripting), la volonté de perfectionner et répandre l’écriture d’une « personne ordinaire », bien que remarquable, sous forme numérique à l’attention des communautés actuelles et futures.

Il est révélateur que les documents historiques sur Andrew Jeptha dans les archives sportives britanniques et sud-africaines soient rares. La seule trace complète d’archivage qui existe est une brochure unique auto-éditée par Jeptha [image 1], à la Bibliothèque Nationale du Cap, qui s’intitule : A South African Boxer in Britain (Un Boxeur sud-africain en Grande-Bretagne). Ce document est important en tant que texte et objet. La brochure, d’abord, comme support visuel, matériel, nous transmet un « visage » de Jeptha. Pour aborder ce témoin de l’éphémère, les cadres conceptuels de Luciana Duranti (3) sont particulièrement pertinents. Duranti encourage la pratique d’un archivage qui étudie la genèse et la transmission de documents, ainsi que leur relation avec leur créateur. Cette façon de penser à propos de textes existants que nous rencontrons définit les « documents » comme des « monuments », à savoir que le document n’est pas seulement une réserve de données, il est en soi une source (4). Une approche aussi spécifique que celle-ci prend en compte tous les éléments du document, non seulement comme le moyen de parvenir à un but : lire le texte, mais en ce qu’il offre la structure pour une idéation qui s’étend à partir et au-delà du document.

La voix des lettres imprimées rencontrées initialement dans la publication, n’est pas moins importante pour se représenter Jeptha que l’autographe lisible sur sa photographie [image 2], qui offre un lien direct et personnel avec le sujet. En fin de compte, les écrits de Valéry sur le livre mettent en avant les éléments textuels dans les livres comme points de départ décisifs d’une analyse visuelle : Je l’ouvre : il parle. Que je le referme, il redevient une chose des yeux ; il n’est donc rien au monde qui soit plus analogue à un homme […] Il a un aspect physique. Son extérieur visible et tangible qui peut être aussi quelconque que particulier, aussi hideux que plaisant, aussi insignifiant que remarquable que n’importe quel membre de notre espèce. Quant à sa voix qui est entendue dès qu’il s’ouvre […] n’est-elle pas présente dans la police de caractères utilisée… (5)

La police de caractères Champion Jeptha Script testée sur le système d’exploitation Mac OS (Apple Macintosh). Photo: © Kurt Campbell.

Si nous acceptons la possibilité que le livre dans sa forme propre et la photographie signée constituent un « personnage » particulier, cette pensée montre comment l’érudition, appliquée spécifiquement et de manière volontaire à des archives visuelles de Jeptha, pourrait opérer. Un « retour » symbolique d’Andrew Jeptha peut ainsi avoir lieu sous la forme radicale d’une typographie faite sur mesure. Les éléments visuels de Jeptha, livret et photographie signée, deviennent à la fois champ d’analyse et champ d’action. Le rôle de la typographie comme clé historique et instrument de création est considéré ainsi par Shloss : Une autre manière de parler de typographie, ou des conditions matérielles d’un texte, pourrait être de l’identifier comme un système de signes ou un code […] Les polices de caractères peuvent fournir des visuels analogues au texte… (6)

Jeptha, complètement aveugle à l’âge de 35 ans, suite aux blessures reçues lors de ses combats, regretta plus que tout son incapacité à pouvoir lire et écrire sa propre histoire. La création d’une police qui serve à d’autres personnes pour écrire ou lire cette histoire constitue un acte profondément « évocateur ». Dans le premier paragraphe du livret, Jeptha décrit le mode opératoire utilisé pour narrer les événements : Un petit mot sur la forme que prend ce fascicule. J’avais pris l’habitude de griffonner des notes de temps en temps, sous forme d’une écriture abrégée (suffisamment compréhensible pour moi, si je pouvais voir, mais dénué de sens pour toute autre personne). Des coupures de presse de l’époque décrivant mes nombreux combats avaient également été regroupées et elles remplissaient deux grands albums. À cela s’ajoutaient de nombreux extraits d’articles de journaux en vrac que je n’avais pas eu l’occasion de coller.

Un défi typographique est lancé dans le paragraphe précédent : développer une police qui réponde aux deux systèmes d’écriture dont parle Jeptha et qui reproduise son histoire. Il y a la forme des caractères propre aux journaux à grand tirage, et l’écriture personnelle, particulière (et courante) de l’écrivain. Cette méthode de travail, qui consiste à reconnaître « la trace textuelle » de Jeptha dans les archives, met en place la police Champion Jeptha Script comme une production visuelle qui défie l’idée de « garder en mémoire » un individu. La racine memorial [du mot anglais utilisé par l’auteur] connote le concept de « marque mémorielle ». La typographie en tant que discipline est capable d’exploiter cette idée de façon unique : les lettres servant à la fois de texte et d’image, des formes imprégnées de la résonance radicale (ancrée dans ses racines) d’une personne dans un espace-temps donné.

L’Autopen (autostylo). Avec l’autorisation de la Société Autopen de la Damilic Corporation. Photo: D. R.

La portabilité de l’élément populaire
Il est envisagé que le texte numérique (Champion Jeptha Script) opérationnel sera transféré d’un groupe ou d’une communauté d’utilisateurs, au suivant. C’est similaire à ce que les chansons ou histoires populaires accomplissent ou tentent d’accomplir en tant que productions conçues à des fins de déploiement social. En effet, la tradition de l’histoire populaire (folklorique) culturelle (parlée et écrite) se préoccupe de la propagation des accomplissements et des vies de gens « ordinaires » ou « communs », qui méritent que la communauté future s’en souvienne. Dans le cas des polices du support numérique, le potentiel pour une transmission est tout aussi puissant par le biais de l’utilité, de la portabilité et de l’aspect de collection qu’atteignent les polices de caractères.

Le binôme textuel: le défi épistémologique de la technologie numérique
La principale conséquence de ce projet, qui consiste à reconstruire le texte manuscrit d’une personnalité, a fortuitement remis en cause le rôle de la pratique dans la technologie numérique. La participation à ce projet ne visait pas simplement le fonctionnement de l’outil numérique, ni la puissance d’une machine qui puisse générer automatiquement des formes constituées par l’écriture d’Andrew Jeptha. Au contraire, ce projet demande une intimité qui est proche de celle de la tradition du « copiste » [image 3] qui, en Afrique (7), appartient à l’histoire ancestrale de la diffusion des manuscrits. Les élèves de cette tradition copiaient la « main » d’un maître à maintes reprises jusqu’à ce qu’une reproduction fidèle puisse être obtenue. La fonction traditionnelle du copiste nécessite de comprendre les complexités de l’écriture qui est copiée et s’assurer qu’il n’y ait pas de dérèglement fondamental dans le processus.

L’histoire de la technologie nous présente un objet qui, paradoxalement, exclut toute trace d’idéation humaine dans le procédé de parfaite duplication d’une signature humaine. Ceci est manifeste dans l’Autopen (l’Autostylo [image 4]), une machine à signature automatique datant des années ’60, particulièrement et fréquemment utilisée aux États-Unis sous la présidence de John F. Kennedy (8). Cette pratique, qui consiste à utiliser une machine pour signer physiquement des documents officiels (pratique perpétuée à ce jour dans les services de Barack Obama), a conduit à la production d’un certain nombre de systèmes ultérieurs et de produits commerciaux comme le Ghostwriter (le « prête-plume » – Image 5). Ces machines-à-signature utilisent le code visuel d’une signature pour reproduire une matérialité autorisée en quantités illimitées.

Ghostwriter. Le « prête-plume » : bras mécanique signant un document. Avec l’autorisation de la Société Autopen de la Damilic Corporation. Photo: D. R.

La machine ne peut cependant enrichir le langage de la main humaine au-delà du nombre limité de lettres comprises dans la signature tant le procédé d’extension de la signature (un holographe détaillé) prend un temps considérable, mais demande aussi un nombre infini de combinaisons de mots et lettres pour que la machine puisse un jour y parvenir. En revanche, la tradition des copistes est une pratique qui requiert la compréhension de la technique manuscrite copiée de telle manière que, par moments, le scribe peut prévoir les qualités formelles que la main qu’il imite afficherait lorsqu’il est nécessaire d’insérer une lettre ou un chiffre dont le modèle n’est pas disponible. En ce sens, un dialogue visuel est créé entre la main d’un homme du présent et la main d’un homme du passé, tel un binôme textuel partagé à travers le temps et l’espace.

En nourrissant l’espoir de fournir de parfaits glyphes qui puissent être numérisés, l’auteur de cet article ressent une affinité particulière avec Andrew Jeptha, de par l’écriture et la réécriture des lettres initialement tracées par ce dernier. De temps en temps, la création de nouvelles lettres est nécessaire, « nouvelles » dans la mesure où des exemples antérieurs n’existent pas dans les archives de Jeptha. De manière symbolique, le procédé ou l’acte qui consiste à développer la police s’apparente à « tenir la main » d’un homme enterré depuis longtemps. La pratique est aussi une forme d’activisme et une façon de créer l’histoire populaire, de s’assurer que l’on se souvienne d’un héros national oublié, par-delà les frontières politiques de sa propre vie, d’une manière qui puisse être propagée à l’intérieur et au-delà d’une communauté.

La pratique de l’écriture du peuple se manifeste ainsi : la police Champion Jeptha Script indique une itération contemporaine de l’ancienne tradition des copistes, allant profondément à l’encontre de ce dont les machines comme l’Autopen semblent être capables à un niveau superficiel. La tension idéologique et épistémologique qui apparaît avec le rôle de l’Autopen et la tradition du copiste révèle la nature du conflit tacite qui, dans les sciences humaines, se joue actuellement dans le contexte de la technologie industrielle et de la culture artistique : La technologie n’est ni une idéologie […] ni une exigence neutre […], mais la scène d’une lutte […] un champ de bataille social (9). Malgré les trajectoires autrefois inimaginables qu’a rendues possibles la technologie numérique, la question du « Texte » reste encore sans réponse (10).

Kurt Campbell
publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

Kurt Campbell organise des conférences sur les nouveaux médias à l’Université du Cap et à l’École des Beaux-arts Michaelis (Afrique du Sud). Il est le fondateur d’une fonderie indépendante de polices numériques et a exposé ses œuvres en Afrique du Sud et à l’international. Son travail est présent dans la collection permanente de la National Gallery of South Africa et dans plusieurs collections dans le monde.

(1) Vandana, Beniwal, Anup: Aesthetics of Activism: A Study of Mahasweta Devi’s Fiction, p. 16.

(2) Opperman, Serpil : The Interplay Between Historicism And Textualıty: Postmodern Hıstorıes, p. 102.

(3) Le travail de Luciana Duranti met en avant l’efficacité de la « diplomatique », une science d’archivage fondée par Jean Mabillon, un bénédictin français du XVIIe siècle, afin de valider les décrets royaux et monastiques et de déceler les faux documents. En tant que méthode de traitement des documents, la diplomatique a subi divers changements progressifs. La diplomatique « spéciale » illustre l’une de ces évolutions.

(4) Comme expliqué par Olivier Guyotjeannin in The expansion of Diplomatics as a Discipline (1996).

(5) Valéry, Paul: Le Physique du livre dans Paul Bonet, de Paul Valéry et Paul Éluard (Blaizot, 1945).

(6) Shloss, Carol. Journal of Modern Literature (Indiana University Press, 1985), pp. 153-168.

(7) Pour des informations détaillées concernant la tradition, cf. Timbuktu Scripts and Scholarship, édité par Meltzer, Lalou, Lindsay Hooper et Gerald Klinghardt (Le Cap: Hansa, 2008).

(8) Cf. The robot that helped the president (Le robot qui aida le président) de Charles Hamilton.

(9) Feenberg, Andrew: Critical Theory of Technology (Oxford University Press, États-Unis, 1991).

(10) Cf. The Genealogy of an Antidisciplinary Object de John Mowitt (Duke University Press Books, 1992) pour une étude approfondie de la question du « Texte » aujourd’hui.

 

juin / août 2013

> Éditorial :

L’Afrique digitale

En 1984, dans un livre intitulé Un regard noir*, Makossa alias Blaise N’Djehoya, décrivait non sans humour des Français vus par les Africains. Aujourd’hui, nous vous proposons de parcourir les pistes de la création numérique en Afrique avec un point de vue différent sur les nouvelles technologies : les Africains vus par les Africains. Et si l’innovation, dont le monde occidental se gargarise, était à (re)découvrir sur le continent africain ? Détournement, récupération, inventions, nouveaux usages…

L’art contemporain africain lié aux nouvelles technologies reste aujourd’hui méconnu et sous-représenté à l’échelle internationale. Cette publication présente une première cartographie, du Maghreb jusqu’en Afrique du Sud, valorisant les acteurs de la création numérique africaine. Panorama extraordinaire mais non exhaustif, ce numéro reflète la diversité et la richesse de ces expressions artistiques, liées aux contextes spécifiques, culturels, économiques et sociaux du continent africain.

Toutes les tendances sont représentées : installations multimédia, oeuvres-machines, photographie numérique, art vidéo, live audio-visuel, Netart, art sonore, lectures poétiques, projets typographiques, graphisme animé, jeu vidéo, processus participatifs, dispositifs interactifs, art du recyclage, art du code, design, art de la localisation, « culture virale de la rue », expérimentations libres… Les structures qui produisent et/ou diffusent ces oeuvres sont aussi mises à l’honneur : festivals, plateformes de ressources, sites Web, blogs, collectifs investis dans les logiciels libres et l’Open Source, Fablabs, réseaux d’innovation…

Musiques & Cultures Digitales a initié dès 2009 le projet Digitale Afrique, avec Karen Dermineur, rédactrice en chef invitée sur ce numéro, pour proposer une nouvelle perspective sur les nouvelles technologies en partant découvrir les créateurs du continent africain, qui les utilisent et les détournent, qui créent tout simplement avec les outils contemporains.

Anne-Cécile Worms – Directrice de la rédaction

* Blaise N’Djehoya et Massaër Diallo, Un regard noir, Les Français vus par les Africains, 1984, éditions Autrement.

> Sommaire :
Création numérique à Dakar : naissance et évolution
Une culture de la technologie : comprendre l’art numérique en Afrique du Sud et de l’Est
Metatrame : une plateforme immersive 3D libre et expérimentale, implantée par GawLab au Sénégal pour l’Afrique de l’Ouest
Négocier une culture mondiale dans l’art numérique sud-africain
Dala, Interface 2012 : cartographier le trajet entre Cato Manor et Durban Central
L’idéation textuelle et le numérique en Afrique du Sud : vers un usage militant des « écritures du peuple »
Dans la faille : la pratique des médias de Hobbs et Neustetter de 1999 à nos jours
L’innovation en Afrique subsaharienne : la réussite des technologies mises au service du développement local
Le continent africain, creuset de l’innovation : retour aux sources de la créativité sociale
Portraits d’acteurs du numérique :artistes, porteurs de projets innovants, événements, institutions…

> Remerciements :
Nous tenons à remercier particulièrement les auteurs et les artistes ayant contribué à ce numéro, Tegan Bristow d’Afrique du Sud pour son aide précieuse sur l’Afrique anglophone, l’Organisation internationale de la Francophonie, engagée dans la promotion de la diversité culturelle et linguistique notamment sur le continent africain, dont le soutien nous permet de mettre à disposition gratuitement cette publication en français et en anglais aux formats numériques (pdf et e-book), et l’Institut français, dont le cahier spécial rend compte du cycle de conférences Digital Africa (forums des industries numériques), initié en 2012, sur les industries numériques et l’innovation en Afrique.