Archive d’étiquettes pour : Afrique

Les pionniers

Trois jours. Pas plus… Un court laps de temps pour découvrir l’exposition Camer Crypto-Art, les pionniers, qui s’est tenue au Théâtre de la Ville de Paris dans le cadre de Focus Cameroun 3. Danse, théâtre, musique, mode, photographie et crypto-art… Cet événement organisé par l’Ambassade de France et l’Institut Français du Cameroun a pour but de faire connaître la créativité artistique de ce pays de l’Afrique centrale.

Yvon Ngassam, Imany & Alioune, World’s most influential people (2030-2040). Photo : D.R.

En fait, plus qu’une expo, Camer Crypto-Art est avant tout la restitution d’une « crypto résidence » baptisée Correspondances. Portée par Ox4rt, structure de conseil, curation, expositions et accompagnement en Cryptoart, NFT et Métavers, cette initiative est placée sous la responsabilité d’Albertine Meunier, Benoît Couty et Thuy-Tien Vo.

L’objectif de la résidence était donc d’accompagner des artistes plasticiens camerounais vers l’art numérique et le crypto-art. Ils sont une vingtaine à avoir ainsi basculé dans le métavers et, pour certains, à avoir métamorphosé leur démarche artistique en dialoguant avec une intelligence artificielle.

Boudjeka Kamto. Triplets trying to reconnect world and people… Photo : D.R.

Le profil de ces artistes est très ancré sur les arts visuels : ils sont graphistes, peintres, réalisateurs, illustrateurs, etc. Tous ont déjà un style affirmé et un parcours remarqué, mais à la suite de cette résidence, leur travail a pris un autre relief et une esthétique nouvelle. De plus, en « enchaînant » chacune de leur création à un NFT, cela leur permet en toute autonomie d’exposer, de vendre ou d’échanger leurs œuvres numériques ainsi certifiées et rendues uniques.

Celles-ci étaient exposées sur les paliers du hall du Théâtre de la Ville qui donne sur la place du Châtelet. Les formes et couleurs qui brillaient sur les écrans sont sorties de l’imagination d’Alain Ngann, Alexandre Obam, Alt cohold, Beti Ophélie, Éric Takukam, Fotale, Marcelin Abu, Nyamah Musongo…

Annoora (Abbo Nafissatou). Voices of the forgotten. Résilience. Photo : D.R.

On « flashe » littéralement sur les silhouettes féminines d’inspiration himba, bété et massaï d’AJNart ainsi que sur les photos modifiées, augmentées, d’Annoora (Abbo Nafissatou) ; en particulier sa série Resilience sur la violence faite aux femmes. C’est également ce thème de la résilience qui a inspiré Nart M’Mounir (alias Mohamed Mounir Ngoupayou) pour ses photo-montages qui expriment la brutalité du monde.

Le qualificatif d’afrofuturiste s’impose pour quasiment toutes les œuvres présentées. Outre l’aspect à la fois traditionnel (afro) et high-tech (futur), il se dégage de ces représentations numériques un parfum dystopique et un sentiment dysphorique propre à notre époque.

Sam Franklin Waguia, Mythical Legend. Photo : D.R.

C’est particulièrement flagrant sur les superbes et inquiétants portraits réalisés par Sam Waguia. De même que les masques, statuettes et personnages 3D de Boudjeka Kamto, pourtant très « roots », mais qui semblent venir d’un ailleurs sombre et post-électronique…

Même impression avec Lejobist (aka Wilson Job Pa’aka) qui explore la notion d’avenir ancestral au travers de l’univers de la mode, là aussi avec de saisissants portraits de femmes qui ont l’air échappées d’un univers à la Mad Max… Verlaine Mba affirme également son identité africaine grâce à la mode, avec des mannequins au visage dissimulé par des masques et des tissus aux couleurs vibrantes.

Lejobist (Wilson Job Pa’aka), Nayaah, African futuristic fashion. Photo : D.R.

À l’opposé, Boris Nzebo a choisi de représenter des créatures non-humaines : un génie, un djoudjou qui cherche à réaliser ses rêves et un animal social dont la « chorégraphie » est une réponse aux transformations exigées par le récit urbain… Mais c’est le visage d’un Afrotopien, un homme avec des dreads et une coiffe circulaire fabriquées à partir de fragments de verre, que l’on voit sur l’affiche de l’expo. Elle est signée Yvon Ngassam, lauréat 2024 du Prix Non Fongible 237 décerné à un artiste numérique camerounais.

Yvon Ngassam, Kwami & Inaya, World’s most influential people (2030-2040). Photo : D.R.

Il s’est distingué avec une série « psychédélique » de 12 déesses au pouvoir hypnotique. Mais c’est encore une autre collection de portraits réalisés par cet artiste qui nous a fascinés. Des portraits du futur bien sûr. Celles de personnes les plus influentes au monde entre 2030 et 2040… Toute une galerie de personnages qui posent par deux avec une plastique mi-humaine, mi-statuaire, dans des tons noir et rouge-orangé. Des artistes, des icônes, des pionniers, des leaders, des innovateurs et des titans

Laurent Diouf

Verlaine Mba, Soul Davis, My African Culture. Photo : D.R.

PS: on peut retrouver tous ces crypto-artistes au travers de l’exposition collective Crypto Art / Crypto Bloom jusqu’au 22 juillet, à l’Institut Français du Cameroun à Douala et Yaoundé

 
Il fut un temps où l’on parlait d’afro-futurisme. C’était au siècle dernier, au creuset de musiques électriques, de science-fiction et de peinture valorisant l’Afrique moderne ; si ce n’est post-moderne… Cette thématique est toujours d’actualité et s’est enrichie depuis des questions civilisationnelles nées avec le nouveau millénaire (écologie, numérique, etc.). Et l’Afrique offre toujours un point de vue décentré (pour les Occidentaux…) pour questionner l’avenir et les récits du futur. L’écrivaine afro-américaine Octavia Estelle Butler, morte en 2006 en ayant laissé derrière elle des écrits de SF, proposait le terme d’histo-futuriste pour définir quelqu’un qui regarde vers l’avant sans tourner le dos au passé, combinant un intérêt pour l’humain et pour la technologie.

C’est dans cet esprit que la commissaire d’exposition Oulimata Gueye a invité des artistes du continent qui, à partir d’une approche critique de la notion de futur, se demandent de quels savoirs et de quelles histoires nous avons besoin pour imaginer les mondes de demain. Nous avons un aperçu de ces « histoires parallèles » au travers de l’exposition intitulée l’Université des Futurs Africains qui se tient jusqu’au 29 août au Lieu Unique à Nantes, avec DK Osseo-Asare & Yasmine Abbas, Larry Achiampong, Lo-Def Film Factory (Francois Knoetze & Amy-Louise Wilson), Hamedine Kane & Stéphane Verlet-Bottéro, Nolan Oswald Dennis, Tegan Bristow, Nhlanhla Mahlangu, Philisiwe Dube, Russel Hlongwane, Ångelo Lopes & Rita Raínho, Kapwani Kiwanga, Tabita Rezaire, Jean Katambayi Mukendi, Jean-Pierre Bekolo, Afrotopiques (Marie-Yemta Moussanang)…

Pour abolir symboliquement la distance entre le lieu de l’exposition et le continent africain, un espace conçu par les architectes DK Osseo-Asare & Yasmine Abbas est installé au sein de l’exposition. Consacré à la construction d’un savoir commun, il fonctionne comme un lieu utile, un laboratoire, un espace de rencontres, de travail, de performances, une université d’éducation populaire. Cet événement s’inscrit dans le cadre de la Saison Africa2020 pilotée par N’Goné Fall, dont la tenue a été reportée en 2021 à cause de la pandémie de Covid19.

> jusqu’au 29 août, Le Lieu Unique, Nantes
> https://www.lelieuunique.com

Power to the commons

Pandémie oblige, la huitième édition d’Afropixel se déroulera en ligne. IRL, ce festival est basé à Dakar au Sénégal et porté par Ker Thiossane ; lieu de recherche, de résidence, de création et de formation autour du multimédia dans les pratiques artistiques. Cette manifestation est axée cette année sur la notion de Commun. Traduction littérale de l’anglais common, ce terme désigne les biens communs. Cette notion de propriété collective pour le bien — et non pas au profit — de tous a été réactivée dans le sillage de l’open-source, mais ne se limite pas au domaine du numérique. La crise sanitaire, économique et climatique que nous traversons actuellement rend cette nécessité de réappropriation, de retour aux communautés, et de solidarité encore plus impérieuse ; en particulier sur le continent africain.

Cette situation se complique encore sous le poids des techniques qui nous laissent entrevoir un futur de plus en plus rationalisé, globalisé, cadenassé… L’heure est donc à la riposte : la défense et la préservation des biens communs deviennent une lutte collective dans laquelle les artistes et les intellectuels ont un rôle essentiel à jouer. L’intention d’Afropixel est de croiser les regards entre artistes, penseurs et publics sur l’usage des technologies (…), à réfléchir à la nécessité de s’approprier les technologies pour agir localement en ouvrant la fenêtre à des futurs communs. Ces regards sont d’autant plus importants qu’ils apportent une vision décentrée, celle des Suds, en contrepoint à celle de l’Occident. Mais en invitant aussi des artistes et intervenants européens, Afropixel instaure un dialogue et un échange sur la manière d’expérimenter, de s’approprier et de détourner ces technologies émergentes.

Concrètement cela se traduit par une exposition virtuelle, intégralement disponible en ligne, qui présente des œuvres et installations incitant à une certaine prise de conscience des possibles dérives sociétales induites par ces technologies de contrôle qui transforment déjà notre vie quotidienne. Avec en exergue l’Intelligence Artificielle désormais capable de générer des créations originales, qu’elles soient musicales, picturales ou encore écrites. À cette exposition réunissant une dizaine d’artistes se rajoutent trois tables rondes (Agora) où il sera question du défi posé par l’IA, ainsi que du bien commun appréhendé sous le prisme de quelques concepts propre à l’hémisphère sud (buen vivir / sumak kawsay, pour l’Amérique Latine, l’Ubuntu ou la notion d’humanisme issu d’Afrique du Sud).

Ker Thiossane étant aussi un lieu de résidences, Afropixel est l’occasion de nous offrir un aperçu de ce qu’il s’y trame et fusionne. Comme pour les autres évènements du festival, ces restitutions seront accessibles en direct via des expériences virtuelles et des performances participatives. Ainsi, réunis autour de l’artiste et hôte Marcus Neustetter, une douzaine de participants s’attacheront à imaginer, explorer et montrer à quoi pourrait ressembler un futur commun. Une deuxième résidence plus ludique et acidulée devrait voir le collectif d’artistes japonais Nani$ôka entraîner le public dans une sorte de happening, entre concert, performance et rituel politique.

Deux ateliers sont également au programme. Le premier est réservé aux ados qui seront invités par le chorégraphe belge Ugo Dehaes — en collaboration avec l’artiste Doulsy et le Fablab maison Defko ak Niep (Fais-le avec les autres) — à fabriquer leur propre petit robot, sur le modèle de ceux qu’il a construits pour son spectacle Forced Labor. L’idéal pour s’initier à la programmation sur Arduino et aux techniques d’impression 3D pour l’habillage de ces anthropoïdes. Le deuxième, plus technique, permettra à des artistes et des jeunes d’Afrique de l’Ouest de se familiariser avec le data et deep learning sans lesquels l’Intelligence Artificielle ne serait rien.

Afropixel #8, powers to the commons
agora, performances, ateliers, expos avec Joy Buolamwini, Shalini Kantayya, Marta Revuelta, Filipe Vilas-Boas, Matthieu Cherubini, Ugo Dehaes, Melia Roger, Josefa Ntjam, Pre-Empt Collective, Faye Kabali-Kwaga, Nkhensani Mkhari…

> du 10 mars au 10 avril, online version
> http://www.ker-thiossane.org/
> https://www.afropixel8.com/

et autres initiatives de makers à Lomé

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, seconde partie de sa correspondance depuis Lomé.

Isabelle Arvers (premier rang, au centre) à la Case des Daltons. Photo: D.R.

Les Woelabs lieux de démocratie technologique

L’interview de Sename Koffi, commissaire de l’exposition « Lomé + » chroniquée dans ma première correspondance m’a fait appréhender tout l’écosystème numérique togolais. En l’interviewant, je découvre les premiers fablabs créés à Lomé, mais aussi comment ces lieux sont devenus un tech hub et ont initié plusieurs générations de makers.

Le Woelab est un projet initié par Sename Koffi Agbodjinou en 2012 avec la création d’un premier espace, le Woelab Zéro, puis d’un second, le Woelab Prime en 2016. Dans l’idée de « mailler tout le territoire d’espaces d’innovation avec un réseau de lieux, en essayant d’avoir un lieu dans chaque quartier. Les deux lieux se situent à la frontière du Ghana, afin de transformer cette bande frontalière en un « smart territoire ». Woelab est l’équivalent Togolais du fablab, puisque « Woe » signifie « fais-le » en Ewé.

C’est un laboratoire pour faire des choses, un espace dédié au numérique, un lieu transversal. Avec des espaces de coworking proposant des services partagés (aide juridique, secrétariat, communauté, programme d’accompagnement des entrepreneurs, reprographie, comptabilité) ; un incubateur de start-up avec un accompagnement à la professionnalisation d’entreprise ; un lieu d’apprentissage des technologies et aujourd’hui un grenier urbain grâce à la start-up Urbanattic.

Sename m’explique que « c’est un projet qui a un peu déclenché la scène tech au Togo, on a créé le premier tech hub du pays et toutes les choses en lien avec le digital ont ensuite gravité autour. » En 8 ans, de très nombreuses personnes sont passées par les Woelabs, de nombreuses sociétés se sont créées. L’idée étant de former des personnes aux nouvelles technologies pour qu’elles puissent ensuite produire elles-mêmes leurs propres techno. « Dans la scène tech togolaise, 4 personnes sur 5 viennent de chez nous. » Le Woelab a d’ailleurs été sous le feu des projecteurs en 2013 pour avoir conçu la W.Afate, la toute première imprimante 3D créée à partir de déchets électroniques. Un projet qui avait été primé par la NASA dans le cadre de l’International Space Apps Challenge.

Quartier Woelab. Photo: D.R.

Les Woelabs sont des lieux majoritairement fréquentés par des jeunes, la moyenne d’âge allant de 13 à 19 ans. Le profil des jeunes n’est pas forcément « tech ». « L’engagement de ce lieu, poursuit Sename, est de prouver que n’importe qui, même quelqu’un qui n’a pas été à l’école, peut devenir une personne qui a complètement compris ce qu’est la culture digitale et est capable de faire des choses avec le numérique. Toute personne qui souhaite apprendre est la bienvenue, il n’y a aucun filtrage, aucune sélection. On se présente comme des espaces de démocratie technologique. »

Les labs sont en capacité d’accueillir chacun une trentaine de jeunes, donc chaque année une communauté se stabilise autour de 60 jeunes. En début d’année, il est demandé à chaque jeune ce qu’il ou elle aimerait réaliser et ils/elles vont ensuite pouvoir suivre les ateliers et différentes interventions de professionnels dans des domaines aussi variés que le dessin technique, la modélisation 3D, le code, le prototypage, etc. Chaque intervention étant destinée à accompagner le projet de chacun.e dans le cadre des WoecodeAcademy, « un programme d’activation junior ».

D’autres interventions sont proposées dans le cadre de la Woe Academy, une sorte d’université libre, ouverte au tout public, qui m’a permis de donner trois ateliers machinima en ligne via zoom à la communauté des Woelabs. Pour le dernier atelier, j’étais accompagnée par les jeunes de la Opencode Academy. 8 ans après sa création, avec près de 60 jeunes qui viennent tout au long de l’année, on peut imaginer le nombre de personnes que ces lieux ont pu toucher et faire évoluer.

Atelier machinima au Woelab. Photo: D.R.

Trouver des solutions pour l’environnement immédiat

C’est Mabizaa Badanaro, mathématicien et économiste de formation et « catalyseur » de la communauté web de tout cet écosystème, qui me reçoit au Woelab Zero et me rappelle les fondements du lieu :  « Avec les Woelabs on souhaite créer un modèle d’urbanisme participatif qui contribue à développer des services pour simplifier la vie des populations africaines : nourriture, éducation, mobilité, santé, environnement… en développant des solutions sur des problématiques concrètes. 3 personnes sur 5 en Afrique n’ont pas accès à internet. Aussi, ce que nous souhaitons avec Woelab, c’est combler ce fossé technologique. »

Trois projets en mode start-up sont actuellement accompagnés par Woelab. Tout d’abord, WoeBots, la start-up qui tire son nom de l’imprimante 3D inventée par Kodjo Afate Gnikou, la W.Afate. Imaginée pour donner la capacité au plus grand nombre de produire des objets en 3D et pouvoir ainsi sortir de « leur isolement technologique ». La W.Afate a été la première imprimante 3D réalisée à partir de déchets électroniques en Afrique, Kodjo a ensuite travaillé pour renforcer son imprimante, la rendre plus robuste et aujourd’hui la W.Afate n’est plus conçue à partir de déchets électroniques, mais à partir de composants, afin de pouvoir la produire en série. Actuellement, dans le but de démocratiser l’accès à la conception d’objets en 3D, l’idée est de donner à chaque école africaine une imprimante 3D et de former les professeurs puis les élèves, afin d’ apprendre à modéliser des objets puis à les imprimer.

Urbanattic. Photo: D.R.

Urbanattic est une plateforme en ligne qui gère des greniers urbains connectés, chargés de produire de l’alimentation bio dans Lomé et d’implanter des greniers dans chaque quartier afin de promouvoir l’agriculture bio, le circuit court et de prodiguer de la nourriture bio aux populations. « Vous valorisons aujourd’hui, autour des WoeLabs Zéro et Prime, cinq potagers issus de la transformation de dépotoirs sauvages. » L’autre mission d’Urbanattic est de former la population à l’agriculture et à l’alimentation responsables en ville, afin de créer d’autres greniers dans la ville et de transformer les habitudes de consommation : il y a des ateliers d’aquaponie, de confitures, de diététique, etc. Les potagers sont équipés de capteurs de taux d’humidité et bientôt seront aussi équipés de capteurs de pH.

Les objets connectés font aussi partie de SCoPE, « Sorting and Collecting Plastics for our Environment ». Une société dédiée au recyclage des déchets, créée afin de sensibiliser les gens à ne pas jeter partout leurs ordures. « On a construit des kits pour recevoir tous les produits recyclables. Nous développons actuellement un capteur capable d’indiquer quand le kit est rempli afin qu’il puisse être enlevé par l’équipe. Nous déposons ces kits chez les habitants et venons les relever lorsque ceux-ci sont pleins. » Les sacs qui réceptionnent tous les objets recyclables sont eux-mêmes conçus à partir de petits sacs plastiques recyclés. Des sacs que l’on voit partout dans les rues ou sur les rivières, car ce sont les sachets d’eau que les gens boivent au quotidien. De l’eau du robinet mise sous sachet plastique et ensuite rafraîchie.

Sename est le fondateur et le gestionnaire du lieu. Il forme les jeunes et auto-finance également entièrement les Woelabs. « D’abord au départ par pure radicalité, puis lorsqu’on s’est ouvert à des sponsors, les choses ont pris du temps et ne sont pas forcément venues. »

Le lavabo intelligent de Kokou Sitsope Sekpona. Photo: D.R.

Depuis d’autres incubateurs et makerspaces ont fleuri au Togo :

Tout d’abord l’Ecoteclab. Je rencontre Ousia A. Foli-Bebe, le fondateur d’Ecoteclab au Nunyalab, un nouvel incubateur et espace de coworking, mis en place par le gouvernement togolais pour accompagner le jeune entrepreneuriat. Ousia a étudié l’environnement et la qualité de vie, ainsi que les énergies renouvelables, dans le but de produire de la technologie pour le milieu agricole. « Premier problème, je n’avais pas de lieu qui pouvait m’accompagner pour produire les machines que j’imaginais, il n’y avait pas d’endroit où on pouvait faire ça. »

C’est dans cette recherche de lieux qu’il est passé par le Woelab, pendant 9 mois, entre 2013 et 2014. Mais les équipements manquaient pour son projet. C’est là qu’il a décidé de créer son propre makerspace. L’Ecoteclab a démarré en sept 2016, également sur une base d’autofinancement, sauf pour le lieu d’accueil, occupé à titre gracieux. Même les ateliers sont dispensés gratuitement. « On a pensé à donner des formations payantes, mais notre public n’en a pas les moyens, alors nous facturons des prestations payantes à des entreprises ou à des structures publiques. »

MoLab, un projet initié par l’ambassade américaine, mais qui se poursuit à présent de façon autonome, est un maker bus, alimenté en énergie solaire, conçu et à présent géré par Ecoteclab. Le Molab sillonne le pays pour donner des formations et des ateliers aux publics jeunes. Un bus conçu pour se déplacer dans les écoles et faire le lien entre connaissances théoriques et fabrication de prototypes, et faire découvrir les compétences que l’on peut développer avec le numérique.

« Notre but est d’inciter les jeunes à devenir des makers et des inventeurs. Pour y parvenir, on leur donne des exemples concrets d’innovateurs sur la scène togolaise : comme le Foufoumix. Une machine pour piler le foufou, le plat national togolais fabriqué à partir d’igname pilé, inventée par le Togolais Jules Minsob Logou il y a dix ans, après avoir observé les femmes de sa famille s’épuiser à la tâche. Souvent on va dans des villages où les écoles n’ont pas de bâtiments en dur, ça fait trois ans que le Molab circule, et ce, dans toutes les régions du Togo, même dans des endroits privés d’électricité. »

Ousia et ses visières. Photo: D.R.

La réponse des makers togolais à la Covid-19

Au début de la crise du Covid, Ousia s’est rapproché d’autres makers et en particulier du nouveau makerspace de l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Lomé et ils ont réfléchi à la manière de trouver des solutions à la pandémie. Ils ont d’abord commencé à produire des visières. Puis ils ont imaginé un respirateur. Ils ont alors créé un premier prototype, mais comme c’est un équipement médical il a fallu passer par toute une série de validations. « Pour nous, le plus important c’est que les gens comprennent ce que peuvent apporter les makers à la communauté. Quand on parle de robot, d’imprimantes 3D, les gens ne voient pas concrètement ce que l’on peut apporter, mais quand la crise est venue, les gens ont compris qu’on pouvait produire des choses localement, qu’on pouvait être utiles. »

Je retrouve Ousia à la Case des Daltons dans le cadre de Kantata, un projet de mémoire virtuelle de l’art vivant togolais initié lors du hackathon #touscontrecorona, une initiative privée qui a ensuite été portée par le gouvernement et la GIZ (l’agence de coopération internationale allemande pour le développement, NDLR). La Case se prépare en effet à accueillir un réseau local Raspberry Pi qui permettra aux artistes de se rencontrer afin de produire et de diffuser leurs contenus numériques.

Pour pouvoir respecter les gestes barrière, on nous incite à utiliser un lavabo mobile intégré à une poubelle jaune. Muni d’un capteur à infra-rouge, ce « lavabo intelligent » a été conçu chez lui par un jeune maker de 19 ans, étudiant en mécanique : Kokou Sitsope Sekpona. Il n’en est pas à sa première invention puisque il est en train de finaliser un générateur capable de fonctionner de manière autonome à l’énergie solaire, afin d’équiper en électricité les villages, même les plus reculés.

Les makers sont nombreux, le Togo peut s’en enorgueillir ! Je suis à présent sur le départ du Togo, dans l’attente de la réouverture de l’aéroport de Lomé, dans l’espoir de pouvoir reprendre mon tour du monde là où j’avais été arrêtée par la pandémie, avec si j’y parviens comme prochaine destination : le Kenya.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

Retrouvez la première partie de la correspondance d’Isabelle Arvers au Togo.

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

exposition digitale au Togo

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, correspondance en deux parties depuis Lomé.

Marché de Gbossimé. Photo: D.R.

En 20 ans de pratique de commissariat art et jeu vidéo, j’ai beaucoup travaillé en Europe, au Canada, aux États-Unis ou en Australie et la plupart du temps, j’ai présenté des œuvres ou des jeux provenant de pays occidentaux. C’est de ce constat qu’est né mon Tour du Monde Art et Jeu Vidéo, initié en juin 2019. De la nécessité de décentrer mon point de vue en tant que commissaire d’exposition et de dépasser les barrières de langage qui empêchent bien souvent la rencontre et la découverte avec des œuvres non traduites en anglais ou en français.

C’est pourquoi j’ai décidé de partir à la rencontre et d’interviewer des artistes et des game makers, mais aussi des activistes en me focalisant sur les pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle au monde et façonne notre manière de percevoir le réel. L’émancipation des femmes, des personnes transgenres et des populations issues de pays anciennement coloniaux est encore jeune et se révèle fragile. C’est pourquoi j’ai décidé de promouvoir et d’encourager les pratiques luttant contre les stéréotypes de genre, de sexualité, d’origine ethnique ou de représentation centrées sur l’Occident.

« Protégeons nous! », un machinima de Roger Agbadji. Photo: © Roger Agbadji

J’étais au Ghana en train de poursuivre mon tour du monde art et jeu vidéo lorsque la pandémie a poussé la plupart des états à fermer leurs frontières. J’avais le choix entre être rapatriée en France, ou rester en Afrique. J’ai alors fait le pari de rester et de passer au Togo, juste avant que le Ghana ne ferme ses frontières terrestres. Depuis le mois de mars, je réside à Lomé. Le Togo, quoi qu’assez peu touché par le Coronavirus a très rapidement imposé un couvre-feu de 20h à 6h du matin, fermé ses routes principales et ses frontières. Les écoles ont été fermées et le port du masque rendu obligatoire.

D’abord un peu dans l’expectative par rapport à mon tour du monde qui de fait, se trouvait à l’arrêt et perdait de son sens en temps de pandémie, je me suis tout doucement remise à réaliser des interviews d’acteurs et d’actrices du numérique ou du jeu vidéo, mais cette fois-ci en ligne. Cette nouvelle impulsion a été initiée par l’Institut français du Togo qui m’a commandé plusieurs portraits vidéo de game designers en Afrique. C’est ainsi que j’ai interviewé en ligne Sename Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue de formation, car j’avais entendu parler de l’exposition « Lomé + » dont il est le commissaire et d’un jeu en réalité augmentée conçu à cette occasion.

« LOMÉ + », une exposition digitale pour découvrir Lomé au passé, présent et au futur

« Lomé + » est une exposition qui devrait ouvrir prochainement ses portes au Palais de Lomé, la date de réouverture dépendant de l’évolution de la pandémie. C’est un projet digital pour présenter la ville de Lomé depuis ses origines, mais aussi pour donner une vison de ce que Lomé pourrait être demain. Dans « Lomé + », la section jeune public se présente sous la forme d’une installation immersive à l’intérieur d’une alcôve : la Grotte de Paul Ahyi. « Le plus grand artiste que ce pays ait jamais produit, auteur du monument sur la place de l’indépendance à Lomé, du drapeau togolais et d’œuvres qui ornent les hôtels les plus prestigieux de la ville. Il est donc possible de concevoir un parcours dans la ville pour suivre le travail de l’artiste et on en a fait un jeu pour les enfants. »

L’histoire du jeu tourne autour d’un amoureux de l’œuvre de Paul Ahyi, qui aime tellement son travail qu’il fait le tour de la ville pour voler un fragment de chacune de ses œuvres afin de reconstituer une mini exposition à l’intérieur d’une grotte. Au mur de la grotte sont accrochés les fragments de chacune des œuvres. Lorsque l’on rentre dans la grotte munie d’une tablette, on doit retrouver les fragments et les assembler avec les bonnes œuvres. Et quand on y parvient, l’œuvre elle-même apparaît en réalité augmentée sur l’écran. La grotte de Paul Ahyi a été réalisée avec Pierrick Chahbi qui a fondé Wakatoon, une start-up française qui transforme un coloriage en dessin animé et le Woelab.

« Le Baiser » de Paul Ahyi à l’Hôtel de la Paix à Lomé. Photo: D.R.

Dans le parcours de « Lomé + » on passe par le passé, le présent et le futur de la ville de Lomé au travers de QRode. Il n’y a aucun texte dans l’exposition, il est obligatoire d’avoir un téléphone. Lorsque l’on rentre dans l’exposition, la première œuvre est une installation de fibres végétales au sol, en alotime, l’arbre avec lequel on fait les cure-dents, et dont le nom a donné celui de la ville de Lomé. « On rentre dans l’expo et immédiatement on a l’impression de marcher dans une forêt. » Une commande faite à l’artiste Kokou Nouwavi, artiste plasticien et responsable de la Case des Daltons. Un lieu atypique à Lomé, où sont organisés des concerts, des expositions, des rencontres. Un lieu conçu comme un village, un village dans la ville. Parce que comme le dit souvent Sename, le village, ça marche, il y a une cohésion et une entraide qui n’existent pas dans la ville.

La case des Daltons. Photo: D.R.

Le présent est illustré par la fresque documentaire en 6 chapitres commandée à l’artiste réalisateur et rappeur Elom 20ce, Aux Impossibles Imminents. Chaque vidéo suit une des figures de la ville et nous raconte son histoire. « C’est un prétexte pour montrer la ville, l’expliquer et en faire connaître des aspects méconnus. La vidéo consacrée à l’artiste musicienne Kezita se passe beaucoup sur la plage et c’est une manière pour nous de parler de l’érosion côtière, des enfants de la rue, des femmes qui dorment sur la plage la nuit parce qu’elles viennent travailler depuis les villages et ne rentrent chez elles que le weekend.»

L’exposition se termine avec les photos de Silvia Rosi, photographe togolaise, basée à Londres, autour du « Sihin », le mot Ewe pour l’anneau de tissu que les femmes porteuses mettent sur leur tête afin de la protéger et de stabiliser la charge. « Ma grand-mère était vendeuse au marché d’Assigame à Lomé. Après avoir perdu la vue à la fin de la quarantaine, elle a été forcée de quitter le métier. J’adore regarder son Sihin », confie la photographe.

Lomé une cité féminine

Cela permet de parler des femmes, qui sont une des caractéristiques de la ville, car Lomé est une des seules villes en Afrique où il y a plus de femmes que d’hommes. La ville de Lomé a même été fondée par des femmes : les nanas Benz, ces femmes d’affaires togolaises qui ont fait fortune avec la distribution du Wax dans toute l’Afrique. Ces femmes ont joué un grand rôle à plusieurs moments de l’histoire de Lomé. « Une ville construite par les femmes, politiquement, économiquement… » rappelle Sename.

Séname présente aussi dans l’exposition une installation où il met en scène ce qu’il imagine pour le futur de la ville. « C’est une mise en espace de ce qu’on fait à Lomé avec les Woelabs. Notre tentative de bricoler la smart cité en créant des lieux d’innovation qui transforment la ville . » C’est sa première exposition en tant que commissaire qui lui a été commandée en raison de son engagement dans les Woelabs. Pour cette exposition, le Woelab a développé l’application de navigation dans l’exposition, ainsi que le jeu en Réalité Augmentée. Il s’avère, en effet, qu’en interviewant Sename, c’est tout l’éco-système numérique du Togo que je découvre.

Un écosystème fondé au départ sur une vision forte. Celle d’un territoire connecté, prenant le contre-pied de la smart cité traditionnelle qui se développe souvent dans une logique utilitariste, et en dépit des populations. Ici il s’agit au contraire de créer des espaces d’innovations à l’échelle des quartiers dans un esprit de « démocratie technologique ». Pour mieux appréhender le projet des Woelabs et entrer en contact avec l’éco-système numérique Togolais, en temps de coronavirus, je me suis rendue dans un des espaces, le Woelab 0, situé entre un marché et le ghetto, proche d’une déchetterie à ciel ouvert et en bordure de rails de chemin de fer. C’est mon immersion à l’intérieur des fablabs à Lomé que je vous ferai découvrir dans une seconde partie de cette chronique.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire

Le Réseau Bretagne Solidaire, le Réseau Français des Fablabs et le Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest s’associent avec les mondes de la santé, de la recherche et de l’entreprise pour doter les fablabs africains en machines et consommables. L’objectif : fabriquer sur place les dispositifs de protection, prévention et détection de la Covid-19. Tour d’horizon.

Makers Nord Sud contre le coronavirus. Photo: © Blolab – Bénin.

Devant la pandémie mondiale de Covid-19, chaque pays fait face à des besoins en masques et visières de protection, respirateurs, lits, personnels formés à la réanimation, en particulier les pays d’Afrique de l’Ouest, déjà sous-dotés en infrastructures et matériel sanitaire.

Pour répondre aux besoins, les makers africains se mobilisent déjà pour apporter des solutions simples, peu coûteuses et efficaces dans la détection, le traitement et la prévention de la Covid-19. L’initiative “Makers Nord Sud contre le coronavirus” conjugue les capacités des réseaux Bretagne Solidaire, Réseau Français des Fablabs et Réseau Francophones des Fablabs d’Afrique de l’Ouest pour une mise en capacité des fablabs locaux afin de soutenir les systèmes de santé par une production locale durable de dispositifs sanitaires, tout en soutenant les actions globales des fablabs africains.

Création du ReFFAO en 2018. Source ReFFAO.org. Photo: D.R.

Un réseau dynamique de fablabs en Afrique de l’Ouest francophone

Ils et elles s’appellent Ahmadou, Diarra, Gildas, Modou, Ghislain, Marie ou Medard. Ils sont au Sénégal, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Fasso, au Mali, au Bénin, et dans toute la Communauté Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CDEAO).

Ces hommes et ces femmes font partie d’un des plus gros réseaux continentaux de fablabs dans l’hémisphère sud : le ReFFAO, Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest, fondé en 2018, et organisateur chaque année de Make Africa à Cotonou au Bénin.

Vingt-sept fablabs coopèrent maintenant dans une dizaine de pays avec la particularité de composer et de réinterpréter localement la manière de faire et de partager des solutions de terrain. Adaptées aux contraintes locales, elles sont empreintes de la richesse des diversités culturelles, mais aussi guidées par le sens de leur action.

Avec le projet Hub Cité, le travail de l’anthropologue et architecte Sénamé Koffi Agbodjinou, fondateur de L’Africaine d’architecture et des WoeLabs au Togo, se situe ainsi aux antipodes de l’approche des smart cities européennes et intègre low-techs et participation. Le projet est ainsi plus près des principes d’autonomie productive locale défendus par le réseau des fab cities. Pour exemple, les lave-mains anti-coronavirus (comme le Dane Corona du Senfablab) sont mécaniques et conçus pour des lieux publics extérieurs, loin des distributeurs incorporant de l’électronique ou des prototypes pour salle de bain individuelle.

La prise en compte des enjeux d’égalité (sexe, handicap, accès, etc.), d’éducation/formation et de l’urgence climatique est également au cœur des préoccupations. Cela va jusqu’à la recomposition d’ordinateurs (Jerry DIT), le croisement entre création et fabrication numérique dans l’art-thérapie pour aider des victimes de guerre et de violences à se reconstruire (Yop Crealab, Côte d’Ivoire), ou l’éducation des enfants exploités sur les sites d’orpaillage (Wakatlab, Burkina Fasso).

Carte des fablabs en Afrique de l’Ouest. Photo: © Armelle Chaplin/Martin Lozivit – Metropolitiques.eu

Une mobilisation de terrain engagée dès le mois de mars

 

À ce jour, plus de 6000 visières ont été imprimées et montées au profit des hôpitaux et centres de santé, plus de 200 systèmes de lavage de mains automatique à partir de matériels recyclés. Six respirateurs artificiels développés, plus de 9000 masques alternatifs cousus et distribués ; des distributeurs automatiques de gel désinfectant collectifs en lieux publics ont été conçus et installés. De nombreux exemples sont disponibles sur la page COVID 19 du réseau africain. Mais la reconnaissance institutionnelle, les stocks de matériaux (on ne produit pas de filament pour imprimantes 3D dans la CDEAO !) et l’équipement sur place restent loin des nécessités liées aux enjeux démographiques.

Une alliance vertueuse d’acteurs issue du cœur de crise du coronavirus

Depuis trois ans, des actions communes sont réalisées au travers d’un triangle partenarial croisant le ReFFAO, le Réseau Français des Fablabs, et Tiers-lieux Edu. Après Fair Langue, opération impressionnante croisant fablabs et pédagogie avec le réseau Tiers-Lieux Edu, et l’arrêt du projet “Je fabrique mon matériel pédagogique” prévu en main 2020 du fait de la crise sanitaire, le projet Makers Nord sud contre le coronavirus rassemble aujourd’hui de nouveaux acteurs remarquables par leurs différences et complémentarités. En effet les partenaires historiques ont rencontré en cœur de crise du coronavirus de nouvelles forces partageant le désir de solutions croisant communs, santé et fabrication distribuée.

Au cœur du projet, opère une organisation ancienne, peu familière du monde des « makers », mais réunissant plus de 40 associations solidaires nord-sud connaissant la réalité, le terrain, les villes et les campagnes d’Afrique et d’Asie : le Réseau Bretagne Solidaire. À son actif : des dizaines de projets de coopération, une connaissance des milieux diplomatiques, des appels à projets et un pragmatisme de terrain. Le connecteur entre ces mondes est Martin Lozivit, un géographe ayant travaillé deux ans à Cotonou, mais aussi fréquentant le Low Tech Lab, et administrateur du Réseau Bretagne Solidaire. Il était (avec Hugues Aubin (RFFlabs) et le Woelab (Togo) – ndlr) à Make Africa 2019 pour parler fablabs et villes durables.

Respirateur artificiel créé par ENCI, Ecoteclab, M.Akakpo ; TIDD – Togo. Photo: © reffao.org

D’autres acteurs d’envergure se positionnent désormais comme moteurs dans la dynamique en proposant leurs ressources : Just One Giant Lab et ses 5000 développeurs pour l’organisation de communautés de recherche et de conception ouverte ; l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec Roman Khonsari, Philippe Cochin, architectes du projet Covid3d pour la partie de mise en relation avec le milieu médical et la validation scientifique des prototypes. Ils sont les chevilles ouvrières de la première ferme d’imprimantes 3D professionnelle installée à Cochin-Port-Royal durant le confinement en France (20 000 objets fabriqués, dont des dispositifs médicaux utilisés sur le terrain).

Ahmadou Diallo, de la African Airbus Community, un réseau informel et puissant de bonnes volontés maillant le grand continent pour soutenir des projets humanistes, apporte le soutien de milliers d’ingénieux(ses) et ingénieur(e)s. Il ne s’agit pas là d’argent, mais de mise en relation de compétences multiples, de possibilités d’usiner des pièces rares ou chères. Cette communauté aujourd’hui appuyée par le Conseil Présidentiel pour l’Afrique partage contacts, ouvre des portes, et porte elle-même le projet SN3DCOVID19 sur Dakar, un collectif citoyen réunissant une dizaine d’organisations sénégalaises (startups, associations, écoles, universités) pour s’entraider et collaborer dans la lutte contre la Covid-19.

Le Labsud, fablab de Montpellier, offre lui ses plateformes numériques pour travailler, et son carnet d’adresses dans le monde médical et à la région Occitanie. Indiens Dans la Ville, fondateur de l’Atelier commun à Rennes, apporte sa connaissance du surcyclage plastique. Les Rennais de My Human Kit, pionnier international dans le croisement makers et santé avec Nicolas Huchet, sont évidemment de la partie. Le projet associe donc réseaux francophones de fablabs (240 lieux dans 11 pays au total), professionnels de la santé, plateformes de développement open-source collaboratives, acteurs de la solidarité internationale, makers-artistes et entreprise industrielle.

African Airbus Community. Photo: © Ahmadou Diallo

Équiper pour soigner, surcycler le plastique pour alimenter la fabrication locale

Deux grandes actions sont programmées par l’initiative Makers Nord Sud contre le coronavirus. La première vise le soutien en équipement de 10 fablabs dans 8 pays de la CDEAO, pour épauler les fabrications et prototypages en cours. Une liste détaillée de matériels (machines, composants, électronique) a été établie à cet effet après un appel aux fablabs ouest-africains. Une cartographie conçue avec Thomas Sanz, chercheur membre de l’association Vulca et bénévole au Réseau Français des Fablabs, permet également de recouper les lieux de soins avec les fablabs et makerspaces. Elle démontre la proximité entre besoin et réponse ultra-locale, car de nombreux fablabs sont situés à côté d’hôpitaux, certains leur fournissant déjà du matériel.

La deuxième action consiste dans le montage, avec l’appui d’Indiens Dans la Ville (Rennes) d’une machine Precious Plastic à Cotonou (Bénin). Cette machine permet la transformation de déchets plastiques notamment pour l’impression 3D, le moulage. Pendant la crise épidémique, l’association Indiens Dans la Ville, mobilisée aux côtés des couturières masquées, a finalisé une étape technique décisive : le contrôle et la maîtrise du diamètre du filament pour imprimantes 3D fabriqué avec des déchets plastiques. Cet outillage (lui-même open-source évidemment) pourra être adapté aux contraintes locales et permettra de ne pas dépendre d’importations de bobines plastiques pour l’impression 3D, et de tester la fabrication, à proximité de lieux de soins et des publics, à la fois des consommables et des objets tels que les supports de visières, les appui-portes, etc.

Precious Plastic Rennes. Photo: © IDLV

Un financement de 175 000 € pour un programme sur 8 pays d’Afrique de l’Ouest

L’objectif de tous les partenaires est de convaincre de grands acteurs légitimes tels que l’Organisation Internationale de la Francophonie (engagée dans de nombreux projets de solidarité Covid-19), l’Agence Française de Développement et toutes les bonnes volontés de soutenir financièrement ce projet, puis, si nécessaire, d’actionner tout complément tel qu’un financement participatif, pour croiser l’énergie des makers africains avec les besoins des établissements de soin et des populations.

Depuis le mois de mai, l’initiative multiplie les contacts avec de nombreuses organisations bienveillantes et concernées  : Institut de Recherche pour le Développement avec son programme de recherche-action en appui à la riposte africaine à l’épidémie de Covid-19 (ARIACOV), ambassades, Organisation Internationale de la Francophonie, Fondation de France, Régions et territoires (Occitanie, Bretagne, Rennes…).

Le projet vise un déploiement avant fin 2020, et bien entendu une extension dans le temps et dans l’espace, pour faire santé autrement, dans un modèle au final assez proche de l’idéal de la Fab City Foundation : partage et création planétaire de solutions dans le bien commun de l’humanité, et fabrication légale et distribuée par les acteurs locaux.

Banque de solutions open source pour la santé d’OSMS. Source OSMS – 15/06/2020. Photo: D.R.

La santé ouverte comme horizon

Ces collaborations improbables se sont tissées en cœur de crise pandémique pour explorer des chemins nouveaux. L’une d’entre elles a permis de faire fonctionner une boucle complète d’innovation ouverte dans le registre des dispositifs médicaux open source. Il s’agit du projet appelé « open santé » par le Réseau Français des Fablabs, et qui a réuni à la fois JOGL, le groupe discord Entraide Covid-19, l’AP-HP, le Réseau Français des Fablabs, Fab and Co, les groupes facebook Makers contre covid, et “Visière solidaire”, le groupe rassemblé par la youtubeuse Héliox et la plateforme Covid3d.fr, Covid-initiatives, le médialab de Makery, etc.

Le principe consiste à inventer une boucle continue capable d’intégrer des inventeurs de solutions et de plans pour répondre à des besoins dans le registre de la santé, en incorporant tri des modèles fabricables, prototypage rapide, validation médicale, publication et dissémination sur internet adaptés à quatre types de fabrication (particuliers, fablabs, entreprises, industriels), fabrication et utilisation légale. Elle a été présentée le 11 juin à la fin d’une émission spéciale de Make Magazine.

Makers Nord Sud contre le coronavirus veut développer ce modèle avec les fablabs, les acteurs du soin et les autorités des pays d’Afrique de l’Ouest et des pays du sud, pour démontrer un processus rendant légale la fabrication sur place d’objets de diagnostic, de prévention et de soin dont les plans sont en open source. Ceci change complètement la donne quand on connaît la part de l’amortissement de la recherche & développement et de la normalisation dans le coût des dispositifs médicaux, ainsi que les problèmes de réparabilité des dispositifs importés (jusqu’à 80% pour une prothèse par exemple).

Processus cadre d’open-santé. Photo: © Hugues Aubin – Sabine Zadrosynski.

Un enjeu mondial, des projets intercontinentaux

Déterminée à ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire et à en permettre une fabrication distribuée, la toute nouvelle plateforme américaine Open Source Medical Supplies, née de l’alliance des makers pendant la crise du coronavirus aux États-Unis et désormais appuyée par la Food and Drug Administration (FDA), déploie actuellement un projet similaire dans le monde entier, et notamment sur l’Afrique anglophone. Rencontrée dans le cadre du montage du projet francophone, elle propose avec Translation Commons l’aide de 600 traducteurs et un guide des aides médicales open source réalisé outre-Atlantique. Le recoupement des deux projets (Makers Nord Sud et OSMS), issus de l’invention de circuits nouveaux dans des cadres légaux dérogatoires pendant la crise, adresse désormais potentiellement une cinquantaine de pays.

La santé ouverte va-t-elle prendre son essor ? 

À l’heure où l’on parle de formules de vaccins open source pour la Covid (par exemple avec Open Source Pharma Foundation en Inde et en France), la santé ouverte porte l’espoir d’une redistribution planétaire des cartes en incarnant une santé participative et surtout distribuée. Elle tente maintenant de tirer le meilleur des dispositifs de crise pour inventer non seulement des objets, mais aussi un environnement systémique qui change la donne, la santé, et déplace une partie de la valeur économique dans les pays concernés. Un espoir qui concerne, au-delà du coronavirus, des centaines de millions de personnes dans le monde.

Hugues Aubin
publié en partenariat avec Makery.info

Contact Makers Nord Sud: contact@makersnordsud.org

Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

> english version / version anglaise

Africa is/in The Future veut être une invitation à valoriser le continent africain dans une perspective nouvelle. C’est la quatrième édition de ce rendez-vous annuel qui propose au travers de performances, projections, concerts, rencontres et ateliers de voir le futur comme une allégorie politique, pour revisiter l’histoire de la diaspora africaine et redéfinir, par la même occasion, le devenir de nos sociétés où l’identité n’est pas fixe mais en mouvement permanent. Avec comme focus pour cette année, Migrer / Tout-Monde, le lieu d’une appartenance collective…

Visuel: © Williams Chechet

L’Afrique conjuguée au futur donc avec des récits qui spéculent sur l’avenir, qui déplient les possibles enfouis dans le présent et cristallisent les formes que pourrait prendre l’avenir. En rendant ainsi sensibles des peurs et des espérances collectives, ils sont toujours — à leur façon — politique. Ainsi, le projet de la science-fiction africaine pourrait bien être de réhabiliter les dimensions proscrites et rendues taboues par les gouvernements coloniaux que sont les croyances et savoirs occultes, les mythes fondateurs

Autre grand axe de cet événement : les pratiques numériques. Comme partout ailleurs, le numérique touche, transforme et révolutionne tout (ou presque) sur le continent africain. Et le domaine artistique n’est pas en reste. Bien que les arts numériques contemporains africains demeurent assez méconnus et sous-représentés tant au niveau local qu’à l’échelle mondiale, la création numérique en Afrique fait son chemin. Il s’agit donc de s’interroger sur les perspectives pour les artistes et l’art numérique en Afrique… Seront aussi abordées, les musiques hybrides, les pratiques numériques, les genres, les féminismes et les analyses et réflexions socio-économiques, politiques et technologiques.

> du 27 au 30 novembre, Bruxelles (Belgique)
> https://www.pointculture.be/

(Maroc / France)

Arthur Zerktouni est un artiste plasticien, qui, à travers ses installations, évoque le numérique sans nécessairement l’utiliser. Il ne fait pas le choix d’un média spécifique, car selon lui tout support est bon à prendre tant qu’il répond au discours de l’installation.

Composition n°1. Arthur Zerktouni. Installation mix-médias (fils de coton et lumière noire). Résidence à l’Octroi de Tours. 2011. Production: Mode d’Emploi, Tours. Photo: © Ann Schomburg.

Dans sa pratique plastique, Arthur aborde le temps, l’espace et tout ce qui y est lié (la mémoire, l’infini, etc.), car ces thèmes sont universels mais relatifs et jouent sur la perception. Il aime laisser à ses travaux la liberté d’une polysémie. L’artiste utilise le fil de coton, le tube, et l’eau qui le fascine, car derrière son apparente simplicité se cache une complexité physique.

Selon Arthur, le numérique marque un tournant dans l’histoire de l’art et de l’Homme, il modifie notre rapport au monde, au support et à l’échange, et offre un nouveau vocabulaire esthétique et conceptuel à la création artistique, qui transcende notre époque. Ce médium renoue selon lui avec une certaine idée d’un art logique, mathématique. Le numérique se place également dans l’immatérialité, il métamorphose et permet de lier les différents éléments d’une installation.

Arthur Zerktouni, né à Casablanca en 1983, travaille en France. Diplômé des Beaux-arts de Bourges en 2005, il s’est intéressé à l’art conceptuel, au minimalisme et à la création sonore. À Taïpei (Taïwan), il réalise une performance sonore lors du Laking Sound Festival et, au Guandu Museum of Fine Arts, expose la vidéo de son collectif META. Lors de City Sonic 2009 (Mons, Belgique), il expose des sculptures sonores. La même année, ses recherches plastiques sur la relation entre le son et les autres médias, et l’installation 7etc, réalisée avec Nikolas Chasser-Skilbeck (City Sonic, 2010) lui valent son diplôme national supérieur d’expression plastique.

Composition n°3. Arthur Zerktouni. Installation mix-médias (fils de coton, lumière noire, moteur). Exposition Objets-Son au Palais Abdellia (La Marsa, Tunisie), E-FEST 2012. Photo: © KRN.

Ce sont ensuite, au Studio National du Fresnoy (Tourcoing), l’installation Danaé, réflexions sur l’autonomie de l’objet artistique; les installations Thésée et Ariane, qui interrogent les figurations du labyrinthe, à l’Octroi de Tours en 2011; et In Memoriam en 2012 (Panorama 14, Le Fresnoy). Selon Arthur, le numérique devrait se développer en Afrique sans avoir à copier l’Occident. Il pense que les artistes africains doivent s’emparer de cet outil et l’utiliser d’une façon nouvelle, car les possibilités sont infinies. Et si les conditions ne sont pas toujours simples, il aime à penser que la contrainte technique pousse l’humain à développer de nouvelles solutions, de nouvelles propositions.

In Memoriam est une installation interactive, une expérience entre soi et son image, qui évoque le temps qui coule et l’impossibilité de le saisir. Le son léger d’une chute d’eau remplit un espace sombre. En avançant vers l’origine de la source sonore, le spectateur voit apparaître sa silhouette évidée et fantomatique à la surface d’une multitude de filets d’eau qui forment un écran, au centre d’une structure monolithique noire. Au début, simple brume lumineuse, la silhouette s’agrandit au fur et à mesure de l’avancée du spectateur, jusqu’à le dépasser lorsque ce dernier est proche de l’eau. Si plusieurs personnes font face à l’installation, leurs silhouettes, à différentes échelles, se chevauchent, se mélangent et se redessinent. Au moindre contact avec le spectateur, l’image s’écoule, elle chute comme si elle était devenue prisonnière du flux, et elle disparaît. J’essaie de trouver une forme de beauté au risible, au vain. C’est une façon de voir le monde.

In Memoriam. Arthur Zerktouni. Installation (projection vidéo interactive sur une chute d’eau). Mix-médias. Programmation informatique: Nicolas Verhaeghe. Production: Le Fresnoy, 2012. Photo: © Nikolas Chasser-Skilbeck.

Composition est une série, entamée à l’Octroi de Tours en 2011, suite à diverses expérimentations sur l’espace, le temps et le son. Avec du fil de coton blanc suspendu dans l’espace, de manière à créer un quadrillage géométrique, et de la lumière noire, Arthur crée un dispositif où le spectateur, plongé dans l’obscurité, a une sensation de vertige. Puis il décide de figurer dans l’espace les fréquences visibles sur sa table de montage : comment l’écriture du sonore peut-elle prendre la forme de ce qu’elle décrit ?

Arthur décide de jouer aussi sur la perspective du lieu en offrant un point de vue vers l’infini. À l’occasion de l’exposition Objets-Son (E-FEST, 2012), l’artiste fait bouger très lentement ses fils de coton dans l’espace, à l’aide d’un petit moteur, en suivant une perspective centrale. Puis, il place un micro piezzo sur le moteur et ralentit le bruit que ce dernier produit ; le son obtenu est alors diffusé dans l’espace.

La tautologie et la logique ont toujours dirigé ma production artistique et je me demandais: Quel instrument de musique contient, dans sa propre mécanique, la partition qu’il joue? Ainsi, l’installation est-elle à appréhender comme une grande boîte à musique, une sculpture qui, en abordant divers thèmes (esthétique numérique, mathématiques, logique), garde en elle les moyens propres de son autonomie.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.arthurzerktouni.net

(Afrique du Sud)

James Webb présente depuis 2001, à la fois des installations à grande échelle pour des galeries et musées, et des interventions impromptues dans des lieux publics. Son œuvre explore la nature de la foi et la dynamique de la communication au sein de notre monde contemporain, utilisant souvent l’exotisme, le détournement et l’humour pour servir son propos.

James Webb. Photo: © Adrienne van Eeden-Wharton.

Né en 1975 à Kimberley (Afrique du Sud), il vit et travaille au Cap. Webb est un artiste conceptuel qui explore un grand nombre de médias, tels que le son, la vidéo, la lumière et le texte, et ses œuvres se déclinent sous forme d’installations, interventions, diffusions et performances. Il a travaillé sur des environnements sonores et vidéo multicanaux, des enseignes au néon, la transmission radiophonique, ou encore des plantes envahissantes, des textes de musée détournés et diverses sculptures traditionnelles ou modernes mises en situation dans ses installations.

Mais l’artiste précise : je me penche en premier lieu sur les idées et je cherche ensuite l’outil le plus apte à exprimer celles-ci. Toutefois, il aime à penser qu’il est pratiquement impossible d’occulter le son, même s’il n’est qu’un médium parmi d’autres : on peut fermer les yeux mais pas les oreilles. Le son transporte beaucoup plus d’informations que les gens ne le pensent. C’est subtil, érotique et incompris.

Dès mon plus jeune âge, j’ai fait des expériences avec des magnétophones et des radios et  puisque l’invention découle de la nécessité, j’ai intégré les outils numériques dans ma vie quotidienne et professionnelle au fur et à mesure qu’ils devenaient disponibles.

James Webb décline ses œuvres en cours : There’s No Place Called Home et Prayer, qu’il veut inspirées par les villes et les contextes dans lesquels elles sont montrées. Il développe également une série sur les thèmes de la mythologie (ancienne et moderne) et notre rapport à la perte de foi dans diverses philosophies, institutions et idéaux de la société contemporaine.

Prayer. James Webb. Enregistrements sonores de prières de toutes les religions à Johannesburg. Installation sonore. Johannesburg Art Gallery, 2012. Photo: © Anthea Pokroy. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Blank Projects.

En 2012, il a été invité à réaliser une exposition rétrospective à la Johannesburg Art Gallery. MMXII, dont il était le commissaire, se composait d’une constellation d’expositions indépendantes et convergentes produites pour le musée et qui passaient en revue sa pratique tout en ré-imaginant et remixant la collection de la Art Gallery. L’exposition montrait 15 de ses projets aux côtés de 15 œuvres issues de la collection, le tout présenté dans 9 salles intérieures et 3 espaces extérieurs.

Loin de l’envisager comme une « rétrospective », l’artiste a qualifié l’événement de « metrospective » afin d’interroger son propre chemin artistique dans toute sa complexité. Son fil d’Ariane : les idées. Ainsi que des techniques visant à soustraire certaines informations et matières de l’œuvre finale, afin de donner au public assez d’espace pour qu’il puisse s’impliquer dans la situation et s’approprier l’expérience.

There’s No Place Called Home : née en 2004, cette pièce, au dispositif délibérément modeste, présente dissimulés dans les arbres des haut-parleurs qui diffusent des chants d’oiseaux inconnus là où l’installation est présentée. Comme les oiseaux utilisent des vocalises pour attirer leurs partenaires et marquer leur territoire, l’introduction de cet élément sonore étranger dans un paysage local revêt à la fois un sens poétique et politique. Les sons diffusés ne sont pas traités, mais mixés avec une volonté de réalisme, et les spectateurs ne sont pas toujours conscients de ce détournement : parce que la pièce fait appel à des thématiques humaines telles que les migrations et les déplacements, mais le fait via les chants d’oiseaux, les éléments politiques subversifs de l’œuvre peuvent donner lieu à diverses interprétations.

Le Marché Oriental. James Webb. Installation vidéo. Blank Projects, 2009. Photo: © Paul Grose.

Dans Prayer, des extraits sonores de prières enregistrées dans chaque ville où ce travail est présenté, permet à l’artiste d’aborder les différentes religions de toutes les communautés de la ville. Pour l’artiste, c’est une façon amusante d’amener les gens à visiter l’exposition au fur et à mesure qu’ils deviennent des collaborateurs du projet. Il a créé des versions spécifiques dans les villes de Copenhague, Birmingham, Le Cap, et plus récemment Johannesburg, où il a enregistré plus de 100 prières de 75 confessions différentes.

À la lisière de l’art, une expérience qui tente de sonder l’usage des nouvelles technologies dans notre société, Spectre illustre la démarche de l’artiste vis-à-vis de l’art numérique. À la FNB Joburg Art Fair en 2011, il utilise un brouilleur de téléphonie mobile très puissant, capable de désactiver toute réception de téléphones portables dans un rayon de 20 mètres, et injecte ainsi de manière aléatoire des moments de « silence cellulaire ».

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.theotherjameswebb.com

(Bloemfontein, Afrique du Sud)

 L’allégorie versus le symbole; les idéologies sud-africaines sociales, politiques et privées; le paysage; la possession; spiritualité et technologie, sont les thèmes de prédilection de l’artiste Jaco Spies, sans négliger la critique de l’idéologie.

Jaco Spies. Photo: © Jaco Spies.

Jaco Spies est né en 1974 à Bloemfontein, où il vit et travaille depuis 2000. Il est artiste plasticien, professeur et maître de conférence en dessin et médias numériques dans la section Arts Plastiques de la University of the Free State (UFS, à Bloemfontein). Où il a étudié les Beaux-arts, avec une spécialisation en dessin et en histoire de l’art. Son projet de dernière année de licence d’art consistait principalement à intégrer gravure et peinture à des livres d’artistes auto-reliés, en explorant les influences de la technologie sur la spiritualité.

Jaco participe à de nombreuses expositions et est, en 2007, le premier artiste de l’UFS à remporter le prix d’excellence du concours de l’Atelier ABSA. Depuis 2003, sa pratique artistique est axée sur l’exploration métaphorique critique des idéologies nationales, sociales et personnelles par la représentation du paysage et la cartographie (en particulier les processus d’acquisition, mise en valeur, dispersion, remembrement des terres). Bien que la plupart de ses travaux récents soient numériques (animation, vidéo, interactivité, Internet, presse), il travaille aussi sur des supports traditionnels et son œuvre est présente dans diverses collections. Il a également participé à l’exposition Internet Art in the Global South, réalisée par Tegan Bristow pour la Joburg Art Fair, en 2009.

Dissemination. Jaco Spies. 2009. Capture d’écran. Dessin interactif sur Internet. Dimension variable, temps infini. Photo: D.R. (fichier numérique original).

Les questions relatives à l’existence – en termes d’expérience personnelle et collective – alimentent souvent ma pratique artistique. Même si ce sujet peut sembler très vaste, je me préoccupe particulièrement de notre besoin de transcendance et de salut, et de la façon dont ces deux éléments sont recherchés à travers l’idéologie et son antithèse.

Je ne me suis jamais senti à l’aise avec quelque idéologie que ce soit. Pour moi, elles pointent toujours du doigt le mensonge. Cependant, je perçois de plus en plus l’idéologie comme inhérente à la nature humaine. Quelque chose à quoi on ne peut échapper. Je recherche en permanence des façons « autres » d’être créatif. Peut-être que je m’ennuie vite lorsque j’agis de manière répétitive. Être créatif dans le domaine du numérique permet de nombreuses variations dans les productions, idées et événements créatifs. J’aime cela, car ça me donne une immense liberté. C’est le contraire d’une recherche idéologique, d’une méthode ou philosophie appliquée à l’art.

Jaco pense que l’art numérique se développera en Afrique d’une manière radicalement différente des économies du monde premier. Selon lui, c’est évident, car l’étendue du tissage de la technologie numérique dans l’existence humaine normale y diffère radicalement. Cependant, ceci créera, en Afrique, l’opportunité de voies exceptionnelles de création artistique numérique: peut-être moins à la pointe du développement technologique, mais de manière plus intéressante au niveau créatif. Même les traditionalistes de la scène artistique sud-africaine commencent à voir le « mérite » de l’art numérique, tandis que les générations actuelles et futures d’étudiants en art vivent plus ou moins ce phénomène numérique comme une seconde nature. Jaco est optimiste quant aux perspectives qu’il offre.

The Realm of the Mothers. Jaco Spies. 2012. Capture d’écran. Œuvre en cours de réalisation. Installation vidéo. Dimensions variables. Photo: D.R. (fichier numérique original).

Jaco Spies travaille actuellement sur une œuvre de grande envergure, Le Royaume des mères, qui associe vidéo, animation numérique (dessin numérique et traditionnel), sculptures et son. Dans son thème, le travail traite des idéologies sociales et économiques dans un contexte à la fois contemporain et historique sud-africain, et de la manière dont celles-ci sont apparemment en contradiction avec l’éveil spirituel. Le titre fait référence à une scène du Faust de Goethe, où Faust descend dans le Royaume des mères pour atteindre la transcendance et le salut. Dans cette nouvelle œuvre, bon nombre de mes explorations dans les divers supports numériques et traditionnels (ou l’association des deux) se rejoignent et se manifestent comme quelque chose de nouveau. Par conséquent, sur le plan formel je pense que, dans ce travail, je suis parvenu à quelque chose que je recherchais par l’expérimentation. Sur le plan conceptuel, cette œuvre reflète aussi de manière évidente mes principaux thèmes de prédilection.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

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