Aurae est une « exposition-expérience » de Sabrina Ratté qui réunie une série d’installations usant de projections vidéo, d’animations, d’impressions, de photogrammétries, de sculptures et de dispositifs spatiaux.

Artiste canadienne basée entre Montréal et Marseille, Sabrina Ratté s’intéresse aux multiples possibilités de l’image numérique, de la vidéo analogique à l’animation 3D en passant par la photographie, l’impression, la sculpture, la réalité virtuelle ou encore l’installation vidéo.

Cette exposition se présente comme un grand ensemble d’architectures immersives et de paysages habités par une matière visuelle en mouvement, interrogeant la séparation physique entre deux réalités.

Ces œuvres sont empreintes de poésie et de science-fiction. Sabrina Ratté propose de redonner du relief aux images, de leur restituer une aura nouvelle à l’ère des technologies, et de les augmenter jusqu’à en faire des “unités d’ambiances” à explorer physiquement.

> du 17 mars au 10 juillet, Gaîté Lyrique, Paris
> https://gaite-lyrique.net/

Première édition d’un nouveau format d’événement consacré aux arts nouveaux-médias, Media Arts for Good se clôture ce vendredi 28 juin après deux semaines de parcours suivis par les différents publics et partenaires de l’association MCD. 

Exposition Media Arts for Good, visite d’une équipe de Cap Digital, partenaire de MAG

Media Arts for Good est né de la volonté d’initier des publics isolés ou éloignés de l’emploi aux enjeux sociétaux du numérique par la découverte de travaux artistiques et projets entrepreneuriaux qui viennent nourrir les réflexions engagées sur ces sujets. Ainsi ce sont 10 parcours qui ont été proposés à autant de groupes, élaborés selon les caractéristiques et besoins de chacun, et en partenariat avec des acteurs de l’innovation sociale et numérique (Cap Digital, Forum des Images, Les Canaux).

Exposition Media Arts for Good, groupe accompagné par Emmaüs Solidarité.

Chaque parcours avait pour étape commune la visite de l’exposition Media Arts for Good, installée dans le 10e arrondissement de Paris et co-produite par l’association MCD et ArtJaws, acteur dédié à la promotion d’artistes spécialisés Art/Tech. Réunissant le travail d’artistes-intervenants MCD (Cristina Hoffmann, Julien Levesque) aux côtés de celui d’artistes internationaux (José Carlos Casado, Maja Smrekar, Mariano Sardón), l’exposition proposait d’appréhender la diversité des liens existants entre l’art et le numérique, et des façons dont ces artistes invitent, singulièrement, à questionner la place et le rôle du numérique au regard de l’évolution de nos sociétés et des interactions qui les animent. 

Forte de son succès, l’exposition, initialement programmée du 17 au 21 juin, s’est prolongée d’une semaine afin d’accueillir davantage de bénéficiaires et partenaires des actions MCD. Au total, ce sont environ 120 personnes de 11 à 90 ans qui ont bénéficié d’une visite guidée, dont la médiation s’est progressivement enrichie des échanges que les oeuvres ont occasionnés. 

Parmi les publics invités, on comptait des jeunes pré-ados de l’atelier EnReportagePermanent – premiers visiteurs de l’exposition accompagnés par la Directrice de MCD, Anne-Cécile Worms, qu’ils ont interviewés pour l’occasion – des jeunes collégiens de La Grange aux Belles qui ont poursuivis le parcours au Forum des Images pour participer à NewImages, festival sur la réalité virtuelle, mais aussi des personnes suivies par Emmaüs Solidarités, partenaire de l’association, ou encore les senior·e·s de l’atelier HyperLadies et ceux·celles du laboratoire de création du Centre des Arts d’Enghien-les-Bains réuni·e·s pour la première fois autour d’un atelier spécial de création animé par l’artiste Cristina Hofmann. 

Les Canaux, jeune de l’atelier EnReportagePermanent.
Festival NewImages 2019, élève du collège La Grange aux Belles.

Media Arts for Good se clôture à l’occasion d’un événement Cap Digital, partenaire avec lequel débutaient les premiers parcours MAG le 13 et 14 juin dernier, alors que MCD accompagnait 4 groupes de bénéficiaires (des personnes suivies par Emmaüs Solidarité, des jeunes du parcours Numerik’Up de Colombbus, un groupe d’apprenant·e·s de chez Simplon, ainsi qu’un groupe d’apprenant·e·s de la formation “Fabrication Numérique » co-produite par MCD et l’Institut-Mines-Télécom) pour profiter de visites guidées et sur-mesure du festival Futur.e.s 2019.  

Festival Futur.e.s 2019, apprenant·e·s du parcours Numerik’Up par Colombbus.

Fukushima, quatre ans après

Bouleversée par la catastrophe de Fukushima, Keiko Courdy a réalisé le film et webdocumentaire Au-delà du nuage °Yonaoshi 3.11. Elle prépare actuellement un nouveau documentaire sur les liquidateurs de la centrale et un long-métrage de fiction dans les zones interdites.

Tu as une histoire personnelle avec le Japon, peux-tu nous détailler les différentes raisons qui t’ont fait consacrer l’essentiel de ton travail ces dernières années à la catastrophe de Fukushima ?
Souvent, les désirs de création naissent de grands chocs émotionnels. J’ai vécu longtemps au Japon. J’aime le Japon. Depuis mes années d’étudiante à Tokyo dans les années 1990, j’attendais le méga-séisme annoncé de tous les scientifiques. Un choc gigantesque s’est produit le 11 mars 2011 à 14h46 : une triple catastrophe à la fois naturelle et technologique (séisme, tsunami, accident nucléaire). J’étais à Paris lorsqu’a eu lieu le tremblement de terre. De magnitude 9.0, il était si puissant qu’il a modifié l’axe de la terre. J’étais bouleversée. Mon instinct me disait de partir immédiatement. J’ai acheté un billet d’avion et je suis partie le long de la côte sinistrée avec ma caméra. Cela a été ma première réponse à la catastrophe. En plus de la dévastation du tsunami, il y avait cette chose invisible que je connaissais mal : un accident nucléaire majeur de niveau 7.

À la centrale de Fukushima Daiichi, trois coeurs de réacteur étaient entrés en fusion presque simultanément. Au début, les médias n’en parlaient pas. Les informations étaient opaques. On ne savait pas très bien comment départager le vrai du faux. La tension était extrême. Tout pouvait arriver. L’évacuation générale de Tokyo venait d’être évitée. Les gens étaient laissés à eux-mêmes, et devaient faire des choix essentiels de vie tous seuls. Pour essayer de comprendre, j’ai sillonné les zones. J’ai rencontré de nombreux habitants, femmes, enfants, médecins.

Pendant un an et demi, j’ai aussi rencontré des personnalités célèbres engagées : écrivains, spécialistes du nucléaire, ingénieurs, artistes, architectes, ancien premier ministre pendant la crise. J’en ai fait un film et un webdocumentaire, Au-delà du nuage °Yonaoshi 3.11 (1). Je me demandais comment on pouvait se relever d’un tel traumatisme, et si cette remise à zéro pouvait être l’occasion de penser différemment le monde. Les Japonais ont quelque chose d’important à nous apprendre de leur expérience. Je rêvais de reconstruire des mondes nouveaux sur les ruines balayées de l’ancien. Je voulais participer, agir sur le monde, témoigner de ce qui se passait.

Hirono, Zone interdite, stockage de terre contaminée.

Hirono, Zone interdite, stockage de terre contaminée. Photo: © Keiko Courdy, 2014.

Tu travailles sur plusieurs films, quelles évolutions as-tu constaté ces derniers temps sur le secteur de Fukushima ? Comment cela a fait évoluer ta manière de raconter l’après-catastrophe ?
Aujourd’hui, bientôt 5 ans après, rien n’est réglé. Plus de 150.000 personnes ont quitté leur foyer et vivent encore dans des logements temporaires. À Fukushima, dans les villes proches de la centrale, tout paraît banal, normal, mais tout est étrange, anormal. L’invisible domine. La radioactivité ne se voit pas, ne se sent pas. On ne peut qu’en chercher
les manifestations visibles dans les taux affichés par le compteur Geiger, dans les problèmes de thyroïde des enfants, dans les plaines de sacs noirs de terre contaminée et les villes-fantômes. Les grands travaux de décontamination sont terminés et le gouvernement pousse les gens à retourner chez eux, mais peu viennent se réinstaller.

D’un côté le gouvernement cherche à effacer le plus rapidement possible les traces du désastre en préparant l’accueil des JO de Tokyo de 2020 pour relancer l’économie, et de l’autre côté se trouve la réalité d’un monstre radioactif avec des accidents qui se succèdent sur le chantier. Je sillonne la région depuis plusieurs années, et une chose me frappe sans cesse : l’étonnante juxtaposition de l’ordinaire et de l’extraordinaire. Fukushima est
un espace où l’invisible règne en maître. Comment donner à voir ces mondes cachés est un défi. La nature qui a repris ses droits dans la zone interdite me fascine.

L’univers des liquidateurs n’a encore jamais été montré. Je prépare un nouveau documentaire sur le sujet. 7000 hommes roulent chaque matin sur la route nationale 6 vers la centrale. Le film va à leur rencontre sur leur lieu de travail et dans l’intimité des endroits où ils logent. J’ai aussi commencé à écrire un road-movie dans les zones sur le thème de l’oubli et la mémoire. La fiction permet de toucher le sujet avec sensibilité et d’apporter un regard décalé. Au-delà du tabou nucléaire, les gens en ont assez d’entendre parler de la catastrophe de Fukushima au Japon. La fiction permet en cela de continuer à parler des zones différemment, de manière poétique.

Ouvrier de décontamination, site de Tomioka.

Ouvrier de décontamination, site de Tomioka. Photo: © Keiko Courdy, 2014.

Tu as constaté lors de tes derniers séjours un développement du tourisme autour de la catastrophe toujours en cours, cela t’a inspiré un nouveau projet et une narration spécifique. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
C’est à force de me questionner sur ma propre position d’étrangère qui traversait ces zones que j’en suis venue à réfléchir au thème du tourisme noir (dark tourism). Évidemment, je viens pour aider, pour témoigner, mais qu’est-ce que j’apporte vraiment ? Pourquoi est-ce que je vais là-bas ? N’est-ce pas du voyeurisme ? Quel risque est-ce que je suis prête à prendre ? Et à faire prendre à mon équipe ? Voyager dans ces zones est une manière de réfléchir à notre engagement dans le monde.

J’ai imaginé un webdocumentaire sous forme de cityguide interactif sur les zones proches de la centrale. Nous le développons avec Jérôme Sullerot, co-fondateur de Pika Pika Films (2). C’est un guide touristique qui montre un point limite de fin de civilisation.
 Les informations données sont vraies et pratiques. Nous proposons une véritable expérience en laissant les internautes libres d’organiser leur visite. Ils peuvent aussi suivre nos parcours proposés, sachant qu’un dosimètre personnel les informe en temps réel de leur cumul de radioactivité selon les lieux qu’ils vont visiter et le temps qu’ils y passent.

La rubrique Ma santé leur permet de comprendre les implications directes sur la santé grâce aux témoignages de spécialistes. Les gens qui voyagent dans ces zones viennent voir des traces du désastre. Le voyeurisme est un danger, mais je conçois aussi ces visites comme une manière de garder la mémoire. Les gens sur place sont souvent touchés qu’on vienne s’intéresser à eux, et contents qu’on ne les oublie pas. Lorsqu’on va sur le site d’une catastrophe, il est important de toujours prendre la mesure du drame qui a touché les gens et la région afin de les respecter et créer une véritable rencontre, en empathie. Le danger, dans le cadre de certains voyages organisés est de partir là-bas pour simplement se conforter des ravages faits par l’industrie nucléaire, et stigmatiser les gens, sans chercher vraiment à les comprendre.

Cette catastrophe technologique et humaine est une plongée dans le temps. La particularité d’un accident nucléaire, contrairement à l’explosion d’une usine chimique, est qu’il dure sur plusieurs générations. Il entraîne des conséquences dans le temps non encore mesurables. Personne ne sait qui seront les prochains touchés, ni à quel degré. La seule certitude est que la catastrophe de Fukushima n’est pas terminée, elle vient juste de commencer. Un ingénieur nucléaire m’expliquait la chose suivante : la vie biologique n’est apparue sur terre que lorsque la radioactivité a disparu de la surface. En recréant de la radioactivité, nous fabriquons les conditions de notre propre destruction. L’homme aspire au bien, pourtant il s’autodétruit. Alors je continue. Je n’en ai pas terminé avec Fukushima.

propos recueillis par Ewen Chardronnet
publié dans MCD #79, « Nouveaux récits du climat », sept.-nov. 2015

Keïko Courdy écrit, réalise, et produit des films, et installations numériques entre la France et le Japon. Docteur de l’Université de Tokyo, elle a enseigné les performances nouveaux médias à l’Université d’Art et de Design de Kyoto. Elle est co-fondatrice de Pika Pika Films à Paris.

(1) www.yonaoshi311.com
(2) www.pikapikafilms.com

MQM-107E, U.S. Air Force. Photo: © Master Sgt. Michael Ammons.

mobilité ubiquité rapidité
le regard se fait vertical
légèreté invisibilité furtivité
le regard se fait panoramique
plus ce qu’il y a devant est invisible,
plus nous développons des machines de vision
le regard se fait mosaïque
J’étais dans mon jardin en train de ramasser des branches et des feuilles quand tout à coup j’ai entendu un bruit derrière moi
une technologie de vision qui remporte un succès grandissant
c’est parce que les hommes ne voient pas au-delà de leur corps
car l’horizon est toujours trop lointain
car leur vision est parcellaire
define, measure, analyse, improve, control
moins nous y voyons,
plus notre regard se fera précis
c’est parce que les hommes ne voient pas au-delà de leur corps
qu’ils ont inventé des machines de vision
qu’ils ont inventé les caméras
qu’ils ont inventé des satellites
qu’ils ont inventé des drones
des engins volants téléguidés ont été repérés à plusieurs reprises à divers endroits de la capitale la semaine dernière
extension maximale de la vision
extension maximale du périmètre de la visée
les drones ont été inventés pour élargir la vision qui se transforme en visée
Comme chez la mouche, nous mesurons la vitesse de passage d’un élément du décor d’un pixel à l’autre
define, measure, analyse, improve, control
l’espace du regard crée de larges panoramas des mosaïques variables des verticalités
le regard traverse l’espace synchronise le temps de l’action et de la vision
l’espace est traversé de toute part
par ces regards
mobiles, rapides et invisibles
et j’ai vu cet objet étrange tomber sur la pelouse, à quelques centimètres de moi
Est-ce un jeu ?
Des repérages pour une action future ?

un champ un territoire une zone
un champ de vision
le lointain ne nous attend plus, nous le faisons apparaître
nous le faisons se dérouler et s’actualiser
un vol en immersion
le champ de vision est un champ de bataille
Les autorités doivent à présent déterminer si tous les signalements correspondent à de réels vols de drones
une zone d’intervention
un champ de bataille activé par les mouvements de la caméra
notre champ de vision se déroule indéfiniment à l’horizon
un territoire en vue
Au départ de notre entreprise, une passion : celle de l’image… de la belle image cadrée et précise.
le volume du ciel sa vitesse
le défilement du paysage
la mesure du flux optique
l’étendue et sa vitesse
un nouvel agencement de l’horizon
des accéléromètres souvent placés avec d’autres capteurs dans une centrale inertielle, explique le scientifique
les variations de contraste
le volume du ciel
l’avancement l’altitude le tangage
la dérive latérale le lacet le roulis
Attention il s’agit de ne pas confondre le territoire avec la carte, dit le général
point of interest
la suppression de l’angle mort par la multiplication des focales
Le jour où on pourra trouver, et on trouvera, ceux qui s’amusent à ça, il y aura des sanctions, déclare le porte-parole du gouvernement
le panorama sans fin du ciel ouvert
Est-ce un jeu ?
Des repérages pour une action future ?

une cible est une cible
une cible est une silhouette, une tête,
deux bras, deux jambes
une cible peut être debout, peut être allongée, peut être cachée
sur les forums de dronistes, les échanges vont bon train. On cherche qui a pu faire ça, presque plus que la police
une cible n’a pas de visage
une cible doit être débusquée
une cible doit être visible
point of interest
qu’est-ce qui rend visible une cible ?
une cible n’est pas une femme, n’est pas un homme, n’est pas un enfant
nous sommes les coordonnées sans visage
une cible est une cible
c’est un point dans la multitude, un point qui bouge, qu’il faut suivre et tracer
qu’est-ce que la cible rend visible ?
J’ai eu très peur sur le coup et j’ai appelé le voisin pour qu’il vienne voir. Lui non plus ne savait pas ce dont il s’agissait
c’est un point au loin, dont il faut se rapprocher
faire de la cible un point, précis,
dans l’espace
faire le point sur la cible
l’identifier la désigner la pointer
un nouvel agencement de l’horizon
une cible est une cible
une cible est une identité sans profondeur une donnée
c’est un point mobile, qu’il faut fixer
et éliminer
nous sommes les coordonnées sans visage
nous voulons tout voir tout survoler
nous voulons ouvrir des fenêtres dans la surface du ciel transpercer l’espace de notre regard embrassant l’horizon et ouvrir ouvrir
nous voulons être en plein ciel vraiment en plein dedans planant mobile perdre notre regard en plein ciel
dissoudre notre vision jusqu’à l’horizon courbe du globe s’étalant sous le ciel immense à parcourir de notre regard en mouvement à parcourir de notre pupille ailée et électronique
nous voulons tout voir
nous voulons planer
nous avons des yeux multiples mobiles et perçants
nous voulons embrasser tout le ciel tout l’horizon de notre œil panoramique nous voulons de vastes panoramas mobiles dans le ciel tout le ciel nous voulons planer mobile vers l’horizon étendu nous voulons un vaste ciel élargi un horizon extra-large et ultra-étendu
plonger notre vision dans l’étendu panoramique du ciel nous voulons élargir l’horizon de notre visée étendre le ciel de notre vision vaste et mouvement
nous voulons tout voir
nous voulons planer
nous voulons de grands mouvements de caméra, de larges plans dynamiques à 360 degrés nous voulons de belles visions précises et éclatantes nous voulons voir la Terre à 150km/heure nous voulons des plongées soudaines dans des canyons des zooms vers les falaises au-dessus de la mer nous voulons balayer le champ d’un désert remonter à flanc de montagne dévaler les pentes des fleuves frôler les immenses tours… nous avons des yeux multiples mobiles et perçants
tout regarder, tout voir et planer
il nous faut un plus large ciel un ciel encore plus large plus vaste à notre regard un ciel à embrasser totalement de notre pupille un ciel à remplir de notre œil renversant
notre œil totalement dans ce ciel ne cessant d’emplir nos yeux écarquillés et nos yeux totalement écarquillés dans le ciel totalement ouvert dans l’horizon étendu et le paysage s’étalant se déroulant totalement sous nos yeux et le ciel emplissant nos vastes yeux ouverts
nous voulons tout voir tout survoler
nous voulons ouvrir des fenêtres dans la surface du ciel ouvrir de nos yeux survolant et planer
et nous avons tant d’images dans nos yeux tant d’images mobiles de plongées vertigineuses de travellings volants de panoramiques fluides
tant d’images en mouvement dans le ciel de nos crânes
des images téléguidables
des prises de vues programmables
des optiques furtives et infaillibles
tant d’images dans nos yeux
nous avons des yeux perçants
des yeux multiples mobiles et perçants

Hortense Gauthier
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

Hortense Gauthier est écrivaine et performeuse. Certains artistes font voler leurs machines et filment ainsi, d’autres les combattent de jets de pierre, d’autres encore les dessinent à terre. Hortense Gauthier choisit de s’infiltrer furtivement dans l’information, les forums de discussion et ce flux de nouvelles images visées du ciel de nos machines. Sa réponse est une première performance poétique créée le 5 mars 2015 lors d’une résidence artistique à VIDÉOFORMES (Clermont-Ferrand).

interview de Marc Dusseiller

Séance de travail / Lab. Photo: © Hackteria. > www.hackteria.org

Pourriez-vous me parler de l’histoire d’Hackteria et de la manière dont elle a évolué au fil des ans ?
Nous nous sommes rencontrés tous les trois à Madrid à l’occasion d’un grand workshop, organisé par le Medialab Prado et qui s’appelait « Interactivos?09: Garage Science », sur la manière dont l’open source et l’approche scientifique citoyenne peuvent changer la société. Au cours de ce workshop, nous avons conclu que nous avions besoin d’une organisation et d’activités aptes à combler l’écart entre les pratiques populaires du bio-art et l’approche scientifique émergente du DIYbio/citoyen. Yashas a par la suite trouvé ce drôle de nom : Hackteria. Nous avons organisé le premier workshop Hackteria à Berlin sur la façon d’utiliser la microscopie DIY (à faire soi-même) pour des interfaces sonores. En 2010, HackteriaLab a lancé une série de rencontres entre experts, pour évaluer ce qui a été accompli et initier de nouvelles collaborations. En ce moment, à Lucerne, Urs Gaudenz travaille en étroite collaboration avec SGMK sur de nouveaux workshops relatifs aux infrastructures de laboratoire. Ensuite, il y aura Brian Degger qui a co-fondé un hackerspace à Newcastle comprenant de nombreuses expériences bio-ludiques, puis Rudiger Trojok, un geek DIYbio allemand qui viendra en avance à Copenhague pour préparer des workshops dans le hackerspace local, BiologiGaragen. Enfin, il y aura Denisa Kera, qui est en train d’initier une sorte de collaboration entre Brmlab, un hackerspace basé à Prague, et le hackerspace de Singapour.

Pourquoi Hackteria attache tellement d’importance au monde extérieur aux laboratoires ?
Au lieu d’avoir un seul laboratoire scientifique citoyen, conçu comme un hackerspace typique, nous avons développé une stratégie de laboratoires mobiles qui peuvent être installés et transportés partout dans le monde: dans des ateliers d’artistes, des centres d’art, ou des lieux inattendus comme la jungle ou même des rues d’Indonésie où nous avons d’ores et déjà réalisé et développé quelques expériences scientifiques. Les laboratoires mobiles nous aident à comprendre la manière dont ces technologies du futur vont interagir et influencer notre pratique et notre vie quotidienne dans des contextes très variés. La plupart des travaux d’Hackteria sont axés sur les processus et sont en mode ouvert. Nous aimons improviser dans de nouveaux lieux et avec de nouvelles personnes, ce qui a débouché souvent sur des projets créatifs et inattendus. Faire de la « science » et expérimenter avec des technologies à la manière DIY, en pleine rue, dans des centres d’art ou d’autres lieux nous aide à appréhender les défis, les limites et la façon de créer des outils et des processus qui permettent à plus de gens de profiter de la recherche et de bidouiller grâce à un savoir « expert ».

Pourriez-vous décrire quelques-uns des projets récents d’Hackteria qui incarnent ce type de vision et de pratique ?
Plus d’une douzaine de personnes contribuent à notre wiki en décrivant leurs projets en cours de production. En ce moment, il y a plus de 45 projets, allant d’instructions simples sur la façon de construire une infrastructure de laboratoire jusqu’à des descriptions plus sophistiquées de protocoles de laboratoire sur les méthodes de travail appliquées aux différents systèmes vivants. Vous pouvez y apprendre quelques techniques DIY de base pour cultiver des bactéries et des algues ou bien démarrer votre projet personnel de microscopie avec un simple jeu d’instructions pour transformer une webcam ou un appareil photo Eye Playstation3 bon marché en microscope bricolé. Le projet de microscopie est non-seulement très populaire, mais aussi très utile pour les amateurs de science, les artistes, mais aussi les habitants de pays en voie de développement qui ont un accès limité au matériel de laboratoire coûteux. Le projet de microscopie est également un bon exemple de la façon dont nous travaillons, nous aimons pirater l’électronique et les outils grand public pour les utiliser différemment. Nous transformons ces symboles de notre asservissement à l’industrie des médias en matériel de laboratoire émancipateur, permettant à chacun de découvrir et d’observer la nature et en particulier le monde des micro-organismes.

Ars Daphnia Circus. Photo: © Hackteria. > www.hackteria.org

Dans quelle mesure avez-vous constaté le développement d’autres thèmes et pratiques au cours de ces années ?
Nous avons entamé d’autres projets en bio-électronique mais nous comptons également poursuivre notre travail sur la microscopie DIY et la biologie synthétique. Nous aimerions faire des expériences avec des biocarburants et à cet effet nous construisons, grâce à Arduino, un bioréacteur qui servira à cultiver des algues. Beaucoup de nos membres restent très engagés dans la fermentation de vins et divers projets relevant du jardinage. Le projet de microscopie évoluera probablement vers des tentatives d’impression 3D de champignons ou de bactéries à l’aide d’une bio-imprimante. Les outils de laboratoire, tels que les incubateurs, les pipettes ou les centrifugeuses sont encore au cœur de nos activités, parce qu’il me semble essentiel de pouvoir mettre en place un laboratoire où que l’on se trouve. Au cours de l’année dernière, j’ai construit des kits simples pour « lab-in-a-box », une valise portable de biohacker. En Janvier dernier, en Indonésie nous avons même transformé une camionnette ambulante de vente de nourriture en un biolab semi-fonctionnel, avec lequel nous avons réalisé des expériences scientifiques simples qui utilisaient des microscopes, la stérilisation, mais aussi des expériences de gastronomie moléculaire, comme la sphérification.

Pourriez-vous expliquer ce qu’est l’art biologique en Open Source et en quoi il se rapporte à la biologie DIY ?
Qu’il s’agisse d’un wiki ou d’un workshop, cela n’a pas vraiment d’importance, ce qui compte c’est de permettre aux personnes de collaborer et de partager des connaissances et des instructions. L’Art Biologique en Open Source permet aux gens d’effectuer des protocoles scientifiques complexes sans l’appui d’une institution officielle. Nous croyons qu’il est important de rendre davantage de personnes confiantes lorsqu’elles sont amenées à travailler sur des systèmes vivants pour faire émerger de nouvelles idées créatives. Lorsque cela s’applique à la science et à l’art, un nouveau type de participation du public et de compréhension de ces deux domaines peuvent ainsi voir le jour. Actuellement, les artistes partagent peu d’informations précises sur le processus de fabrication de leurs pièces. Ils pensent volontiers que la documentation de leur mode opératoire n’est pas importante et que le rôle du public est d’être simple spectateur, consommateur passif et admirateur de leurs œuvres. À cet égard, les soi-disant bioartistes rappellent ces scientifiques qui construisent leurs tours d’ivoire. Nous trouvons que c’est archaïque et déplacé, car cela donne la fausse impression que la science et l’art sont pratiqués par quelques experts et membres d’une élite qui décident de notre avenir. Notre approche est radicale, nous souhaitons que tout le monde soit activement impliqué dans l’avenir de la biologie et de la science et que les amateurs, les bidouilleurs et les hackers aient un accès équitable aux outils de « production » d’art et de science.

Pourquoi est-il important de combler le fossé entre artistes et scientifiques et comment ceci est-il lié aux débats sur la relation entre experts et amateurs ?
Je m’intéresse beaucoup à l’amélioration de la communication scientifique et à la participation du public aux sciences de la vie. Je voudrais voir apparaître une démocratisation de la science qui fasse directement appel aux citoyens au lieu d’abandonner le débat à quelques ONGs, à des médias ou des professionnels de la communication scientifique qui, en tant que porte-paroles, édulcorent leur opinion. Mon espoir est qu’en permettant à davantage de gens de faire de la science dans leurs garages, leurs cuisines et leurs salles de bains, et en permettant à davantage d’artistes, de designers et de passionnés de travailler tout simplement sur divers projets scientifiques, nous pourrons aboutir à ce que le public maîtrise la culture scientifique et rende démocratiques les décisions sur les cellules souches embryonnaires, les OGM, les nanotechnologies, etc.

Maja Spela Incubator. Photo: © Hackteria. > www.hackteria.org

Quel est votre rapport à la scène du DIYbio ? Sur quel type de projets avez-vous collaboré et en quoi êtes-vous différents ?
Hackteria a rejoint le mouvement mondial du DIYbio dès le départ et nos activités ont toujours été menées de front. Il y a deux ans, alors que DIYbio.org débutait à peine, j’ai rencontré Mac Cowell, le fondateur du mouvement, et je l’ai invité à l’une de nos universités d’été. Nous collaborons et nous nous entraidons assez fréquemment. La différence réside peut-être en ce que DIYbio.org ressemble davantage à une liste de diffusion dotée de nombreuses fonctions alors que nous sommes avant tout un wiki qui dispense des conseils pratiques pour fabriquer des choses, mais nous organisons aussi de nombreux workshops et événements, ce qui intéresse moins le noyau dur du mouvement DIYbio. Par ailleurs, ils sont beaucoup plus tournés vers la science et l’aspect commercial alors que nous travaillons plutôt avec des artistes, des designers et même des philosophes. Les ressources éducatives et le wiki d’Hackteria sont essentiels pour aider les artistes et les designers à gagner en confiance pour pouvoir ensuite rejoindre une liste de diffusion liée aux sciences, poser des questions plus pertinentes et communiquer avec des scientifiques. La relation entre Hackteria et DIYbio crée cette belle synergie et la possibilité de soutenir des collaborations uniques.

Pourriez-vous expliquer votre vision de la relation idéale entre scientifiques professionnels et scientifiques citoyens ?
Lorsque j’ai rendu visite pour la première fois à Yashas, en Inde, j’ai réalisé à quel point le travail DIYbio que nous faisions dans les pays en développement est important. Le matériel scientifique y est trop cher et les publications scientifiques quasiment inaccessibles. Le wiki Hackteria permet aux étudiants de ces pays d’acquérir des compétences en matière de recherche grâce aux quelques outils DIY que nous avons développés (et nous développons constamment de nouveaux outils). Beaucoup de nos membres sont en fait des scientifiques professionnels qui ont pris le défi du DIYbio au sérieux. Ils prennent du plaisir à développer des instructions et des outils destinés à ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas de moyens suffisants ou d’accès à un espace laboratoire professionnel. Les outils DIYbio n’aboutiront sans doute jamais à une recherche de pointe, mais ils jouent un rôle essentiel dans la formation de scientifiques et finalement de tous ceux qui essaient de comprendre ce qui se passe dans les laboratoires scientifiques professionnels. Les protocoles et les outils DIYbio sont des moyens d’émancipation pour la science, un genre de liberté individuelle et même le droit de développer sa propre relation aux connaissances scientifiques et d’essayer de nouvelles choses pour pouvoir se forger une opinion éclairée sur ces questions. Le fait de pirater et de fabriquer des outils bon marché pour commencer son propre laboratoire et son infrastructure a pour but de démocratiser la science en ce sens. Une opportunité est ainsi créée pour les pays en voie de développement d’améliorer leur enseignement des sciences et de la recherche adapté à leur besoin, et non pas à quelques chroniques pour initiés dans les pages d’une revue occidentale de toute façon inaccessible.

Quelles sont les personnes qui participent à vos ateliers ?
Cela dépend du lieu et de la situation géographique. Si c’est un festival d’arts des médias, la majorité des participants sont des artistes « tournés vers la technologie et les sciences” et quelques ingénieurs qui travaillent sur un projet artistique, mais surtout ceux qui n’ont pas beaucoup d’expérience en matière de biologie, de sorte qu’ils cherchent à apprendre et découvrir des choses nouvelles dans un environnement convivial. Nous travaillons aussi parfois avec des enfants. En Inde ou en Indonésie, nous avons également réussi à attirer les villageois et les communautés locales et nous travaillons régulièrement avec des organisations locales de ces pays dont les objectifs sont similaires. En Indonésie, il existe des organisations telles que HONF (House of Natural Fiber) et Lifepatch.org qui travaillent souvent avec des agriculteurs locaux et utilisent certaines méthodes d’Hackteria, comme notre microscope bricolé à partir d’une webcam ou des protocoles destinés à la fabrication de vin et d’engrais. Yashas travaille également en collaboration avec des villageois indiens en enseignant la manipulation génétique et la biologie synthétique à l’aide de bandes dessinées qui s’adressent au grand public.

Plant Smela. Photo: © Hackteria. > www.hackteria.org

Parlez-nous de vos projets personnels avec Hackteria…
Ces deux dernières années, j’ai beaucoup travaillé en Slovénie sur les nanotechnologies et la biologie, avec Kapelica Gallery, une institution de premier plan, à la croisée de l’art et de la science. Nous avons commencé avec le projet NanoSmano en 2010, un laboratoire participatif invitant le public à des expériences avec les nanotechnologies et leur potentiel esthétique. Pendant deux semaines, un petit groupe d’experts scientifiques et d’artistes ont travaillé sur le développement de prototypes de nanotechnologie et le laboratoire a été ouvert au public. Avec Kapelica nous prévoyons également une série de workshops avec des enfants et nous mettons en place un laboratoire mobile. Je suis également actif en Indonésie où, au cours des trois dernières années, j’ai organisé des workshops sur la microscopie DIY, la fermentation, la sensibilisation des écoles locales à la science, mais aussi des événements avec la scène artistique florissante, mêlant science et VJing. En même temps, un nouveau projet appelé Lifepatch.org a été lancé. C’est une initiative citoyenne d’art, de science et de technologie dotée d’un wiki très semblable au nôtre, mais rédigé en indonésien; ainsi nous coopérons sur de nombreux projets. Il est très gratifiant de voir la manière dont le réseau se propage, d’assister à sa mutation et son interaction à travers le monde.

Quel est votre point de vue sur l’avenir de la science citoyenne ?
Mon espoir est que si plus de gens fabriquent eux-mêmes des choses, en ayant une expérience directe et quotidienne des protocoles scientifiques, nous pourrons démystifier la science et ouvrir l’ensemble du processus de décision à davantage de personnes et d’opinions. Je pense que c’est la société du futur, celle dans laquelle je souhaite vivre, un endroit où des bricoleurs et des citoyens ordinaires pourront trouver de nouvelles utilisations et des fonctions inattendues à des technologies et des connaissances scientifiques, les pirater et les adapter à leurs rêves et à leurs vies sans attendre qu’une grande entreprise ou qu’un gouvernement décide de ce qui est bon ou sûr pour eux. Parce que je travaille aussi en tant qu’éducateur, j’ai l’occasion de voir comment l’attitude à l’égard des changements scientifiques se transforme par le biais de l’expérience directe. Je pense que les institutions scientifiques devraient consacrer plus d’argent à enseigner la pratique de la science et ouvrir leurs laboratoires au public, au lieu de payer des spécialistes en communication scientifique pour mener des campagnes de relations publiques qui ne font qu’amplifier les soupçons à leur encontre.

propos recueillis par Sara Tocchetti
publié dans MCD #68, « La culture du libre », sept. / nov. 2012

Hackteria est un réseau de personnes qui pratiquent la biologie DIY axé sur l’art, le design et la coopération interdisciplinaire. Le réseau a été fondé en 2009 par Yashas Shetty, Andy Gracie et Marc Dusseiller et comprend maintenant non seulement des scientifiques, des ingénieurs et des artistes, comme on peut s’y attendre, mais aussi des philosophes, des entrepreneurs et même des gourmets et des chefs. Hackteria opère à l’échelle mondiale sur une plate-forme Internet et un wiki dédiés au partage des connaissances, permettant à quiconque d’apprendre, mais aussi de tester différentes façons de pirater des systèmes vivants. Hackteria ne repose pas sur un espace physique et son objectif est de permettre à des artistes, des scientifiques et des hackers de collaborer et d’essayer différentes techniques de biohacking et de bio-art en dehors des laboratoires officiels et des institutions d’art, quasiment n’importe où dans le monde. Site: www.hackteria.org