Derrick Giscloux

Envisager la création et production dans une optique philosophique et politique, c’est depuis sa création, le but de CreArtCom, compagnie/studio de création singulière qui opère au cœur de Lyon. À travers des expositions, des festivals, des conférences et des workshops, CreArtCom propose une réflexion sur le thème omniprésent de la Singularité (apparition d’une intelligence artificielle dans les décennies à venir, NDR), du partage, du hacking, de la culture du libre et de la création artistique contemporaine dans sa plus totale modernité. Rencontre avec son fondateur, Derrick Giscloux.

Utopia, la cité qui bouge, CreArtCom / Creative Art Company. Scénographie pour le festival Electrochoc #9

Utopia, la cité qui bouge, CreArtCom / Creative Art Company. Scénographie pour le festival Electrochoc #9, Bourgoin-Jallieu, Isère, 2014. Photo: © David Strickler.

Derrick, tu es à l’origine de Creartcom (Creative Art Company). Peux-tu revenir sur l’historique de cette structure, sa naissance, ses buts, ses fonctions ?
CreArtCom est une compagnie artistique et un studio de création. Notre médialab (studio de création en arts et technologies) est situé à Lyon (Pôle-ALTNET) et une seconde antenne est envisagée en 2017 à Saint-Étienne. La création artistique est le cœur de métier. Nous créons et produisons des œuvres numériques, sujets de réflexions sur l’impact des technologies sur l’homme contemporain, le corps humain, le corps social, la cité. Ma plus proche collaboratrice, Lise Bousch (également ma compagne) est anciennement chargée de production de l’Opéra de Lyon. Cela élève notre niveau d’exigence et de savoir-faire en termes de production. Ensemble, et avec une équipe étendue, nous avons mené, entre autres, la direction, l’écriture et la production pour plusieurs éditions du festival Electrochoc entre 2012 et 2014, avec notablement une exposition d’art robotique et des choix de performances utilisant des IHM [Interactions Homme-Machine]. Progressivement les œuvres de CreArtCom sont de plus en plus ambitieuses. Pour 2017, l’équipe de CreArtCom conçoit une œuvre interactive basée sur un robot original (non anthropomorphique), conçu en partenariat avec des écoles spécialisées, des start’up et un Labex [Laboratoire d’Excellence, NDR].

Tu es aussi directeur artistique, musicien, concepteur, programmeur informatique et plus encore. Peux-tu présenter ton parcours ?
Depuis 2006, je travaille sur des projets très variés, en direction artistique, en écriture, en conception et en studio sur la réalisation. Je suis un artiste hybride et je contribue à des réalisations en art interactif orienté spectacle vivant et auprès d’artistes contemporains. Cela m’a permis de participer à quelques beaux projets : l’inauguration de la Tour Oxygène (deuxième building lyonnais), la création et l’enregistrement comme guitariste d’un opéra contemporain avec l’Ircam (Les Nègres de Michaël Lévinas sur le livret de Jean Genet), l’inauguration de la réouverture d’un grand cinéma lyonnais d’art et d’essai (Le Comoedia), la participation à la création du Big Bang Numérique d’Enghien-les-Bains (BBNE). Sans oublier le répertoire d’art interactif imaginé et produit avec CreArtCom. Durant deux saisons, j’ai écrit le projet arts numériques du festival Electrochoc (l’édition 8 Rendez-Vous en Territoires Infinis et l’édition 9 Utopia).

Quelles sont les raisons de cette pluridisciplinarité ? Goût ou nécessité ?
J’ai toujours suivi les courants d’avant-garde. Musicien, je touchais déjà à tous les styles et dans toutes les situations, sur scène, en studio, en solo, avec des orchestres, derrière mes guitares électriques, Midi, augmentées ou simplement acoustiques. Aujourd’hui peu importe que cela soit du design sonore, des dispositifs de lumière ou des scénographies interactives, je conçois, réalise et produis les œuvres qui m’intéressent et uniquement celles-ci. Pour cela, je tiens à remettre en question les systèmes établis. Je déteste le conformisme et le conservatisme. J’affectionne la rigueur et l’engagement, la créativité et l’effort d’où ma triple accointance pour les mondes artistiques, scientifiques et sociétaux. C’est ce positionnement qui m’a conduit à monter une entité telle que CreArtCom, mais aussi à fonder ALTNET.

Hackerspace, CreArtCom / pole ALTNET

Hackerspace, CreArtCom / pole ALTNET. Photo: D.R.

Peux-tu nous en dire plus sur Altnet justement ?
Le Pôle-ALTNET abrite une galerie d’art, un hackerspace, un medialab et une boutique d’informatique libre. Ce lieu est autogéré, c’est une fabrique indépendante consacrée à la culture numérique et qui accueille une communauté hétérogène : une vingtaine d’associations et d’entreprises et de nombreux porteurs indépendants de projets innovants, culturels, artistiques liés au numérique. Il s’est progressivement constitué un public diversifié autour d’un programme de rencontres variées : des expositions d’art numérique, des workshops, etc. Nous avons eu la chance de recevoir des personnalités comme Mitch Altman (TV-be-Gone, Drawdio), Mathieu Rivier et sa table tactile à facette, Lionel Stocard et ses mécanos mobiles, ou encore Arnaud Pottier (Golem). Enfin nous menons un cycle de rencontres nommées Les Dossiers de l’Écran, dédiées à l’impact des technologies sur la société, en partenariat avec l’association transhumaniste Technoprog, le Parti Pirate, Illyse (FAI associatif) et d’autres. Chaque conférence est consacrée à un sujet contemporain touchant au numérique et à la civilisation suivie d’un débat entre participants.

Tu le disais, Altnet abrite également un hackerspace. À quoi sert-il ? Qu’y fait-on ?
C’est le premier hackerspace de Lyon. Nous l’avons fondé en communauté. Le LOL — acronyme de Laboratoire Ouvert Lyonnais et palindrome de Lyon Open Lab — est un lieu de rencontre entre informatique, sciences et techniques. Tous types de profils d’adhérents y passent : étudiants, ingénieurs ou informaticiens en poste, chercheurs, et des hackers. Globalement la fonction d’ALTNET est de mettre le numérique au service des droits individuels et de l’intérêt général, de contribuer à une véritable culture du numérique sur le territoire. Les propriétaires de nos locaux ont été eux-mêmes impliqués au commencement de la démocratisation de l’informatique domestique dans la création d’entreprises de vente et services informatiques. Le cadre des propositions au public sous-tend une économie contributive. C’est une économie de la collaboration et du partage qui fait exister une programmation. Parmi quelques démonstrations de cette philosophie, nous proposons un Internet distribué par un FAI associatif (iLLYSE), et un hotspot WiFi qui est accessible sans mot de passe. La culture libre c’est l’avenir.

La philosophie de CreArtCom, concrètement, c’est quoi ?
En tant qu’artiste, je m’inspire des problématiques qui impliquent différents scénarios d’avenir déjà décrit depuis longtemps par les auteurs de science-fiction. Je fonde également mon œuvre sur ce champ. La cybernétique nous apprend que le tout surpasse l’ensemble de ses parties, que l’homme est plus performant que ses organes pris séparément, ou qu’un ordinateur possède des propriétés supérieures à la somme de ses composants. Si l’on comprend qu’un réseau d’ordinateurs aussi étendu, pénétrant et puissant que l’Internet implique, à terme, la naissance d’un organisme que nous n’imaginons pas encore, on peut comprendre alors que c’est à travers son rapport à lui-même et à son prochain que l’homme va fonder sa capacité de persistance. En somme la survie de l’homme face au cauchemar démiurgique qu’il est en train de réaliser dépendra de son empathie envers son environnement, et pas de son économie ou son niveau technologique.

propos recueillis par Maxence Grugier
publié dans MCD #79, « Nouveaux récits du climat », sept.-nov. 2015

> http://www.creartcom.eu/
> http://derrickgiscloux.free.fr/

Première foire allemande dédiée aux arts médiatiques dirigée par Annette Doms, Unpainted regroupe les galeries internationales soutenant les artistes aux technologies de leur temps. Au même moment, le Lenbachhaus consacre une exposition à Gerhart Richter intégrant, lui aussi, le médium numérique dans sa pratique artistique.

Addie Wagenknecht, Asymmetric Love, 2013. Photo: D.R. / Courtesy XPO Gallery.

À la DAM Gallery de Berlin
Il y a, tout près de l’entrée de l’exposition se tenant au Postpalast de Munich, cette œuvre livresque d’une blancheur absolue qui nous questionne : Forgot your password ? Réalisée par l’artiste allemand Aram Bartholl s’appropriant les cultures numériques depuis le milieu des années 2000, elle est présentée par Wolf Lieser de la DAM Gallery de Berlin. Les huit volumes qui la composent révèlent 4,7 millions des 6.458.020 de mots de passe qu’un groupe de hackers russes auraient extirpés des serveurs de LinkedIn en 2012. Une part non négligeable de ce trophée ayant fini par émerger sur la toile, Aram Bartholl s’en est saisi pour imprimer les codes d’accès que le public peut scruter en se posant une autre question : mon secret est-il révélé ?. Cette œuvre symbolise parfaitement l’ère post-digital dans laquelle nous sommes entrés, quand le numérique est partout, y compris dans les objets inanimés et jusqu’au sein du marché de l’art, une étape nécessaire à la reconnaissance du médium numérique dans l’art contemporain. C’en est fini des débats sans issue relatifs la pérennité des œuvres de médias variables. Elles sont là, en galerie, et les collectionneurs peaufinant leurs profils LinkedIn aussi.

Aram, Bartholl, Forgot Your Password?, 2013. Photo: D.R. / Agoasi. Courtesy DAM Gallery.

Sur le stand de Cimatics Agency
Nicolas Wierinck, fondateur de Cimatics Bruxelles, a décidé de consacrer un solo show à Frederik de Wilde. On se souvient de cet artiste belge clamant sa création du noir le plus noir du monde au retour d’une résidence passée à la Rice University de Houston réputée pour ses recherches en nanotechnologies. Le petit carré d’un noir composé de nanotubes de carbone absorbant tout particulièrement la lumière et rebaptisé Hostage en 2010 lui autorisant ce geste artistique à la radicalité comparable à celle d’Yves Klein protégeant son International Klein Blue en 1960. Mais déjà, en 2010, Frederik de Wilde projetait la production de sculptures recouvertes partiellement ou totalement par son noir si particulier ! Et c’est chose faite, car la valise intitulée NASABlck-Crcl #1 qui est exposée à Munich semble littéralement trouée en sa partie centrale par le disque de nanotubes de carbone qui a été produit en collaboration avec la NASA. Cet objet évoque aussi la boîte-en-valise de Marcel Duchamp, en cela qu’elle représente l’artiste et son concept, sans omettre la part de ready-made inhérente au noir que l’artiste belge s’approprie. Duchamp nous rappelant que l’on prend note de la présence d’un ready-made plutôt que de le contempler, comme on prend acte de l’absence apparente de matière là où un noir sans reflet aucun recouvre NASABlck-Crcl #1.

Frederik de Wilde, NASABlck-Crcl #1, 2013. Photo: D.R. / Courtesy Cimatics Agency.

Galerie Charlot
Les œuvres de Christa Sommerer, Laurent Mignonneau et Jacques Perconte se partagent l’espace dédié à la galerie Charlot que dirige Valérie Hasson-Benillouche. On y découvre notamment une vidéo générative de Jacques Perconte ayant préalablement filmé un plan-séquence avant d’en traiter les algorithmes de compression avec une extrême précision. Au nord-est de l’île de Madère, du sommet des falaises, on peut apercevoir à une centaine de mètres de la côte un rocher bercé par les vagues […] L’océan n’a jamais de cesse de renouveler ses caresses salées, nous dit-il, alors que toutes les particules de l’image se renouvèlent sans jamais se répéter. Ses paysages filmiques, l’artiste français les envisage d’une manière résolument picturale. Des applications qu’il expérimente, il ne retient que les approximations. Pourtant, il n’y a pas plus d’accidents dans ses films qu’il n’y en a dans les peintures de Jackson Pollock. Tout nous apparaît contrôlé bien que rien n’ait été véritablement prévu. Avant une exposition, il arrive même à l’artiste de modifier quelque peu ses « réglages », comme pour mieux s’adapter au contexte, préservant ainsi les spectateurs de toute forme de répétition. La structure même des caresses prodiguées au rocher de Madère par les vagues se renouvelant plus encore.

Jacques Perconte, Santa Maria Madalena Rocha (Madeira), 2013. Photo: D.R. / Courtesy Galerie Charlot.

XPO Gallery
Philippe Riss, de la XPO, a lui aussi fait le voyage depuis Paris pour soutenir ses artistes, dont l’Américaine Addie Wagenknecht qu’il vient tout juste d’intégrer dans sa galerie. Celle-ci est à l’origine du lustre qui est suspendu au-dessus de nos têtes et attire notre attention, car des caméras de vidéosurveillance ont pris la place des ampoules ou chandelles. Cette œuvre, en édition de deux avec épreuve d’artiste et intitulée Asymmetric Love, est en tout point semblable à celles qui ont été acquises par deux collectionneurs durant la première vente d’art numérique organisée en octobre dernier chez Phillips, New York. Le monde change et le marché s’adapte ! Mais il est aussi intéressant de remarquer que cette œuvre cristallise parfaitement les étranges relations qu’entretient l’art au pouvoir. Les lustres de nos institutions symbolisant parfaitement le pouvoir que l’artiste dénonce dans l’usage des caméras qui nous surveillent. Ajoutons à cela que cette sculpture à l’ère du numérique et des réseaux évoquant les assemblages de téléviseurs de Nam June Paik des années soixante, nous est présentée dans un contexte marchand où la collection est aussi l’expression artistique d’une douce puissance ! L’œuvre d’Addie Wagenknecht, bien au-delà de son évidente plasticité, est plus complexe qu’il n’y paraît.

Laurent Bolognini, F Vecteur II, 2013. Photo: D.R. / Courtesy Louise Alexander.

Louise Alexander
Frédéric Arnal, qui dirige la galerie Louise Alexander entre Paris et la Sardaigne, a assemblé quelques pièces de Laurent Bolognini, Miguel Chevalier, Pascal Haudressy, Sabine Pigalle et Jay Shinn. Laurent Bolognini a étudié la photographie pour enfin travailler la lumière appareillée de moteurs. Ses recherches s’inscrivent donc dans la continuité des pratiques cinétiques et lumineuses qui ont émergé au début des années soixante. Et ses œuvres, qui souvent se ressemblent, sont pourtant très différentes les unes des autres. On y voit parfois la représentation d’infimes particules, parfois l’évocation de lointaines étoiles. L’extrême vitesse des moteurs aidant, se sont des dessins qui impriment nos rétines. Les spectacles de Laurent Bolognini émergent de l’invisible en tirant parti de la limite de notre vision, de sa relative imperfection qui sied toutefois aux cinéastes. Les circonvolutions de lumière étant aussi lisses que celles d’électrons ou de lunes. Ce sont en effet de petites expériences de laboratoire que l’artiste réalise dans les espaces de galeries ou musées, entre l’art et les sciences ! Car si l’art numérique est une tendance, c’est aussi une composante du corpus des relations art/science qui se cristallisait déjà dans les courants humanistes florentins de la Renaissance.

Pascal Haudressy, Saint François, 2012. Photo: D.R. / Courtesy Louise Alexander.

Pascal Haudressy
Des deux pièces d’une même série de Pascal Haudressy, l’une revisite l’histoire de l’art en évoquant le Saint François en méditation du Caravage alors que l’autre, représentant un cœur battant, emprunte davantage à l’esthétique de l’imagerie médicale contemporaine qui succède aux planches anatomiques d’antan. Le Saint François, dans sa fixité, est toutefois animé d’infimes vibrations comme le cœur de Somewhere we will Meet Again par l’instabilité des myriades de segments de droites qui en composent les contours. Il y a une forte unité de style entre ces deux images convoquant, l’une l’art et l’autre la science. Les vibrations qui les animent figurant parfaitement l’énergie inhérente à toutes les formes de vies, aussi éphémères soient-elles. Ce qui nous ramène au sujet originel du Saint François tenant dans sa main droite le crâne qui symbolise la vanité de nos existences terrestres. Et c’est en usant de micro mouvements que l’artiste met en scène cette vanité dans ce qui pourrait s’apparenter à la visualisation artistique de données corporelles.

Quayola, Captive (1), 2013. Photo: D.R. / Courtesy Bitform Gallery.

Bitform Gallery
Le solo show de la Bitform Gallery de New York dirigée par Steven Sacks permet de découvrir la série in progress des œuvres de Quayola rendant hommage au style non-finito de Michel Ange. Les modèles en trois dimensions des Captives, dans l’image, sont révélés par les fluctuations d’un marbre fluidifié par les algorithmes. Une documentation vidéo donne à voir le travail du robot industriel qui libère les prisonniers de leurs blocs de polystyrène. Et Quayola de citer le maître : Dans chaque bloc de marbre, je vois une statue aussi nettement que si elle était là, devant moi, façonnée et parfaite dans l’attitude et le geste. Je n’ai qu’à abattre les parois grossières qui emprisonnent cette adorable apparition pour la révéler au regard des autres et au mien, Michel Ange (1501). C’est ainsi que l’artiste italien vivant et travaillant à Londres a « renseigné » la machine afin qu’elle abatte des parois grossières, enseignant d’innombrables pliures à son bras mécanique. La précision du bras de la machine étant comparable à celle de la main de Michel Ange alors que l’esthétique des polygones préservés trahit l’usage, par Quayola, des technologies numériques avec lesquelles il a coutume de revisiter l’histoire de l’art.

Gerhard Richter, Strip, 2012. Photo: D.R.

Gerhard Richter
Quittons enfin le Postpalast pour se rendre au Musée du Lenbachhaus où se tient une exposition de Gerhard Richter. Et c’est dans les étages qu’une œuvre de la série Strip s’offre à nos regards en quête de précision. Les lignes horizontales qui la composent pourraient s’étendre à l’infini. S’en approcher consiste à en découvrir d’autres. Mais il faudrait avoir la vision préservée d’un enfant et la patience acquise par l’adulte pour toutes les observer. Sans omettre que cette série compte aujourd’hui près de 80 œuvres. Il s’agit de tirages numériques qui proviennent tous de la même peinture datant de 1990 : Abstraktes Bild (724-4). L’artiste allemand, dont on sait la grande diversité des styles, a divisé cette même peinture verticalement, encore et encore, jusqu’à n’en obtenir que des bandes de pixels qu’il a étirés par la suite. Gerhard Richter, après cinquante années de carrière artistique, n’a pas hésité à se saisir des technologies numériques afin d’aller plus en avant dans ses expérimentations se situant précisément entre le pictural et le photographique. Le fait que l’un des artistes contemporains parmi les plus cotés du marché exploite le médium numérique ne peut qu’encourager les initiatives comme celle d’Annette Doms, fondatrice d’Unpainted, la première foire d’art médiatique en Allemagne.

Dominique Moulon
MCD HS#10 v.2, octobre 2014 (non publié)

rencontres art-politique

En avril auront lieu les premières Rencontres art-politique organisées par Gongle, groupe d’expérimentations sociales et théâtrales basé à Montreuil… rue de la Révolution ! Fondé en 2006, ce collectif, qui rassemble aussi bien des artistes que des sportifs, des chômeurs et des chercheurs, se donne comme objectif de repenser les fonctions et les modes de fabrication du théâtre sur le mode du partage, et d’en faire un espace de confrontation et de dialogue autour des activités, des productions et des aspirations des différents acteurs de nos sociétés.

Ces rencontres, européennes et itinérantes, rassembleront des artistes, chercheurs et groupes politiques grecs, espagnols, portugais, estoniens et français; dont STÜ (Agence de productions de danse), Kolektiva Omonia (collectif d’artistes et d’opérateurs culturels), Democracia (artistes visuels), Intersecciones, Rossana Torrès (documentariste), Sincope (collectif d’artistes et d’habitant). Cet évènement s’organisera autour de visites de lieux, de débats et de workshops en Ile-de-France; à Montreuil sur un terrain de football et ensuite au Centre Dramatique National, à Paris au CentQuatre, au Domaine de Chamarande, ainsi qu’à Saint-Ouen à Mains d’Œuvre. L’objectif étant d’ouvrir un espace de travail sur les relations entre les milieux de l’art et de la politique, en s’appuyant sur les expériences des participants.
Dans sa déclaration d’intention, le collectif Gongle souligne que les milieux de l’art et de la politique entretiennent des liens étroits; les arts constituant un véhicule privilégié pour diffuser différentes formes de vie et de pensée. La politique est le terrain d’agencement, précaire et mouvant, de ces formes de vie et de pensée. Mais les relations entre artistes et politiques se réduisent parfois à des cooptations ou des rejets. Ces situations d’asservissement ou de rupture contribuent à freiner considérablement la prise en charge des crises sociales et écologiques. Il nous paraît donc important d’imaginer d’autres types de collaboration.
L’organisation de ces Rencontres art-politique revient à Nil Dinç, comédienne de formation, metteuse en scène au sein du groupe Gongle, dont le cursus — Université Paris VIII St-Denis, Art de la scène, doublé d’un master à Science-Po au sein du SPEAP, le laboratoire d’expérimentation en art et politique dirigé par Bruno Latour — la place à la confluence exacte de cette problématique. Entretien.

Rencontres Art-Sport, 2013.

Rencontres Art-Sport, 2013. Photo: D.R.

Sous quels angles allez-vous traiter cette thématique Art-Politique au travers des conférences et workshops qui seront proposés lors de ces Rencontres ?
Concernant le déroulé des Rencontres, elles seront axées chaque jour autour d’une thématique. Cela va commencer par lutte et occupation, à Montreuil, autour du terrain de foot André Blain qui a été occupé par Les Sorins : près de 300 squatteurs qui s’étaient fait expulser et ont campé sur ce terrain de foot pendant des mois [cf. http://collectifdessorins.over-blog.com/]. L’idée étant susciter une rencontre entre Les Sorins et les footballeurs, de relier ça avec d’autres occupations — notamment celles menées par la Coordination des Intermittents et Précaires, et celle du théâtre Ebros à Athènes, en Grèce, que la municipalité avait voulu vendre — et de montrer comment toutes ces dynamiques de luttes et d’occupations passent par une réappropriation des biens, etc.
Ensuite, la problématique Cohabitation et négociation territoriale sera abordée au Domaine de Chamarande, où COAL (Coalition pour l’art et le développement durable) organise, par ailleurs, des événements liés à la question de l’écologie politique. Nous poursuivrons après avec les corps de l’assemblée en nous intéressant à la Nef curiale du CentQuatre, aux divers publics qui s’y trouvent et s’y côtoient, à leurs différentes activités et esthétiques aussi. Cela nous a paru être une base intéressante pour penser la question de l’assemblée politique dans la diversité, telle qu’elle devrait être, alors que dans l’Hémicycle le corps politique est nivellé et stéréotypé. Il y aura aussi une journée sur le thème du théâtre de la négociation, en s’interrogeant sur la possibilité et les protocoles pour faire bouger les choses (la négociation est ce moment où cela peut avancer) et l’idée que les arrangements avec lesquels on arrive à stabiliser le social sont précaires, que les modus vivendi doivent être tout le temps re-négociés…
À Mains D’Œuvres, et avec le collectif Red Star Bauer, il sera question de L’implication citoyenne des groupes culturels, artistiques et sportifs. Il s’agira, notamment, de voir comment cette implication agit au niveau du territoire et comment cela rentre en relation avec la politique institutionnelle. Ces Rencontres se termineront par un banquet, en invitant tout le monde à venir partager les réflexions qui ont été menées durant ces journées qui seront rythmées par divers échanges (expressions corporelles, prises de paroles, etc.); c’est-à-dire qui ne seront pas figées dans une posture de discours magistral, mais portées avant tout par une démarche collective et artistique.

Rencontres Art-Politique

Rencontres Art-Politique. Photo: D.R.

Comment définissez-vous les articulations et interrogations qui lient l’art et la politique ?
Tout d’abord, notre propos est de dire que les milieux de l’art et de la politique entretiennent soit des relations de cooptation, soit des rapports de rejet. Il nous semble donc qu’il y a des nouveaux liens à inventer, à créer. Il y a une urgence à trouver de nouvelles formes politiques pour répondre aux problèmes économiques, écologiques, sociologiques actuels. Et dans cette refonte nécessaire, on ne peut pas faire l’économie d’une collaboration entre artistes et politiques.
Nous avons une définition large de la politique. Ainsi dans ces Rencontres, au niveau des participants politiques, nous englobons sous cette définition tout groupe organisé, conscient de son organisation et qui entre dans un rapport public au travers de son organisation. Cela va donc de représentants de la politique institutionnelle à des leaders d’organisations sportives, en passant par des hackers et divers activistes impliqués notamment dans des mouvements du type Occupy et Indignés.
Par ailleurs, en tant que metteuse en scène, je m’intéresse beaucoup au champ social. C’est un domaine où l’on peut puiser énormément de ressources, que ce soit sur les formes organisationnelles ou sur le plan esthétique. Ce serait une gageure de considérer que l’art n’est pas un champ social, qu’il serait hors du questionnement politique, qu’il pourrait s’en abstraire. L’art est en lien avec d’autres milieux, l’art existe dans la société : il est donc important que les artistes s’interrogent sur leur place au sein de la société.
Ainsi, par exemple, le théâtre est une micro-société qui travaille, à petite échelle, à représenter des collectifs. Et de fait, cela peut être un espace d’expérimentation sociale. La manière dont on va travailler, ce que l’on va montrer et représenter peut agir comme un laboratoire, dans un champ très délimité, mais qui est diffusé, qui circule, et qui peut provoquer des choses très fortes dans le public.
Il y a des hiérarchies sociales, économiques, et les formes culturelles sont liées à ces hiérarchies. Le théâtre est souvent considéré comme « élitiste », mais il peut aussi interroger la manière dont ces hiérarchies conditionnent l’appréhension des formes culturelles et peut intervenir en allant à la rencontre de différents publics (les supporters de foot, dans notre cas) et représenter aussi ces différents milieux pour les connecter entre eux, provoquer de nouvelles formes de dialogue et d’organisation sociale.
Enfin, il y a aussi une articulation très spécifique entre les milieux de l’art et de la politique. Singulièrement en France où nous avons un art très institutionnalisé, ce qui conditionne énormément les formats de création. Pour notre part, nous travaillons au niveau européen, avec l’Estonie, la Grèce, etc., donc nous pouvons voir comment fonctionne la production artistique dans des contextes complètement différents. Mais aussi en Turquie, dans une situation très dure de censure d’État. De fait, il y a un lien d’assujettissement de l’art à la politique. Il est donc très important de trouver des espaces pour réfléchir à cela, pour voir comment fabriquer d’autres rapports de force.

Democracia, We protect you from yourselves. Campagne de presse publiée dans la Tribune de Lyon

Democracia, We protect you from yourselves. Campagne de presse publiée dans la Tribune de Lyon n. 387, du 15/05/2013. Photo: D.R.

Cette institutionnalisation a-t-elle une incidence sur les artistes ? Est-ce que c’est un facteur pénalisant ?
Les hiérarchies sociales, dont on parlait plus haut, pèsent sur le milieu de l’art et freinent énormément les échanges des idées, etc. Alors que dans d’autres contextes, où l’art et les artistes sont obligés de se constituer, comme en Turquie, contre l’État, c’est peut-être paradoxalement plus facile de s’affirmer et de fonctionner car c’est la société civile qui prend le relais, qui s’implique sur un projet et prend tout en charge. Comme nous avons pu le constater sur place, la manière dont les réseaux issus de la société civile opèrent — même si nous avons bien conscience, dans ce cas, que c’est aussi plus facile d’être un jeune artiste étranger qu’un jeune artiste local — est beaucoup plus ouverte, efficace et rapide.
Tandis qu’en France, l’institutionnalisation fabrique des situations où les gens ont un pouvoir de sélection, mais pas un pouvoir de décision ! Du coup, nous avons l’impression d’être mis à distance et on perd beaucoup de temps à devoir attendre un « oui » ou un « non » prononcé on ne sait pas trop où, ni par qui… Ce qui est délégué à l’État par la société civile est aussi une perte de pouvoir de la société civile. Reste que cette structure institutionnelle permet au milieu artistique de se développer, même si c’est un petit monde assez étriqué, et aux artistes d’être finalement assez nombreux, ce qui n’est pas le cas en Turquie (pour continuer la comparaison).

Comparé aux années 70s qui furent assez flamboyantes politiquement, assiste t-on à une rupture ou une continuité en terme d’engagement, après quelques décennies (80/90s) plutôt atones sur ce plan ?
Je pense que la manière de poser les questions politiques a complètement changé, c’est certain. Il y avait aussi, dans les années 60/70s, une présence très forte de la gauche, de l’extrême gauche et de la mouvance anarchiste dans le milieu de l’art. La politisation était effectivement très présente. De nos jours, l’art reste politisé, mais dans un contexte social beaucoup plus conservateur, réactionnaire. Il y a aussi une transformation des formes d’engagement, et plus largement des formes sociétales : les nouvelles générations ne vont pas s’investir dans des mouvements et partis politiques ou des luttes sociales avec la même intensité que les générations précédentes. Ce qui n’empêche pas, comme je peux le constater, une réflexion et action assez profonde dans les milieux militants, activistes, où les gens vont chercher à se réapproprier le quotidien, à initier des choses à leur échelle, etc.
Mais nous ne sommes pas — nous ne sommes plus — dans une période où il y a un consensus fort sur le fait qu’il faut transformer la société. Nous sommes dans un contexte où il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ! C’est tellement c’est ancré, cela semble inéluctable… Cependant, beaucoup de personnes veulent faire des choses, essaient de faire que les choses changent. Et la fonction de l’art — d’un art concerné par les questions sociales et qui se pense comme force de propositions — c’est d’attirer l’attention sur des pratiques qui ont une portée politique, sans toujours être pour autant revendiquées comme telles, de les montrer et de les accompagner.
Il ne s’agit pas de fomenter la révolution, mais de souligner ce que sont les leviers de transformation, de montrer ce qui est en germe. Du coup, pour ma part, ce qui m’intéresse dans la production artistique, ce n’est pas forcément les œuvres les plus revendicatrices, dénonciatrices des vices du système marchand, — ce que l’on pense être un art « engagé » — et qui peuvent, de fait, être des œuvres « noires » car elles décrivent une société catastrophique, une humanité pernicieuse, etc. Ce qui me paraît plus pertinent, ce sont les artistes qui vont, encore une fois, souligner des potentiels, chercher des solutions, montrer des initiatives.

Milieux. Photo: D.R.

Peut-on voir une convergence ou une connivence entre les démarches politico-artistiques et d’autres luttes, d’autres formes, terrains et actions politiques plus « directs » ?
Oui, on le voit par exemple en France avec la Coordination des Intermittents et Précaires qui, en partant du spectacle vivant, a élargi son action à d’autres formes de précarité et qui est justement une force de proposition importante. C’est, encore une fois, une manière de dire que, en tant qu’artistes, nous ne sommes pas exclus de la question sociale. Pour notre part, comme évoqué plus haut, nous nous sommes aussi intéressés au milieu du football, aux ultras et à des groupes de supporters très engagés qui se sont, par exemple, investis dans le mouvement contre le CPE ou la réforme de la retraite.
Je rappelle que ce sont les supporters de foot qui ont allumé l’étincelle et apporté leur soutien logistique (mobilisation de masse, sécurité des foules, combats avec les flics, etc.) à l’occupation de la place Taskim à Istanbul, en Turquie, suite à l’évacuation de Gezi Park; de même au début pour la place Tahir au Caire, en Égypte. Le potentiel politique de tels groupes nous intéresse beaucoup. Et c’est aussi le reflet d’une alliance, d’une convergence de luttes. Pour en revenir à Istanbul, on a vu émerger des artistes comme figures de cette contestation, je pense notamment à celui que l’on a surnommé « l’homme debout », un performeur qui a initié une forme de protestation inédite [rester debout passivement pour manifester son refus]. Dans ce genre de contexte social qui peut prendre de l’ampleur et devenir assez insurrectionnel, les artistes ont évidemment un rôle actif à jouer très important.

propos recueillis par Laurent Diouf
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

 

> http://gongle.fr/

Au début de l’été 2014, des artistes français ont lancé sur Facebook un groupe de réflexion sur « l’économie solidaire de l’art », visant à améliorer la situation économique des artistes plasticiens en France. En septembre, la page réunissait plus de 2200 personnes (artistes, critiques et journalistes, commissaires, professionnels, associations…). Depuis, un site web a pris le relais qui structure et présente les propositions. Nous publions le manifeste du projet.

Zones, © Pierre Beloüin.

À l’origine et au centre d’une économie de l’art qui donne lieu à une intense activité, les artistes plasticiens et certaines professions artistiques indépendantes travaillent paradoxalement, pour la plupart d’entre eux, dans une grande précarité. Les logiques d’excellence qui régissent légitimement le monde de l’art ne justifient ni le travail gratuit de ses acteurs, ni les décalages exponentiels entre la production des œuvres et la distribution de la valeur qui en résulte.

Le groupe Économie solidaire de l’art (1) vise à discuter et proposer des dispositifs permettant d’améliorer significativement cette situation, à destination des artistes et des professionnels indépendants du secteur, en impliquant l’ensemble des acteurs concernés, privés et publics.

En parallèle des réflexions et mouvements menés autour du régime des intermittents du spectacle, qui questionnent plus généralement les conditions de l’emploi partiel et notamment dans la culture, les artistes plasticiens n’ont pour leur part jamais ouvert à grande échelle un débat sur les conditions de leur rémunération et de leur exercice.

Nous pensons aujourd’hui possible de dépasser l’individualisme et l’isolement qui prévalent souvent dans ces professions, pour inventer de nouveaux dispositifs solidaires de soutien de l’art contemporain. Le débat est ouvert. Ce groupe invite le plus largement possible les artistes et professionnels de l’art à y participer, en vue de premières rencontres de travail à venir.

Objectifs et inspirations
L’objectif de ces propositions est à la fois éthique et économique. Elles visent à soutenir les artistes plasticiens professionnels (tous médiums, hors spectacle vivant) et les professionnels indépendants de l’art (commissaires, critiques, graphistes indépendants), soit les deux types d’acteurs les plus fragilisés par le système actuel.

Le projet s’inspire aussi d’exemples existants. Au Canada, la charte CARFAC-RAAV garantit les rémunérations minimales des artistes pour toute intervention depuis 1968 (2). Le label britannique Paying Artists (3) et le projet américain Wage For Work (4) militent dans ce sens.

En France, on se réfèrera à l’étude Observation participative et partagée des arts visuels en Pays de la Loire (5), publiée dans le cadre de la Conférence régionale consultative de la culture en 2013, qui aborde les mêmes problématiques. Les réflexions déjà menées par les organisations telles que le Cipac ou la Fraap pourraient contribuer à ce projet. Enfin (dans des contextes différents), les logiques de soutien mises en œuvre par le CNC et le CNL ont contribué de manière décisive au développement économique des filières du cinéma et du livre.

Photo: D.R.

Un projet en trois volets
> 1. Création d’une charte de rémunération minimale pour toute intervention artistique en France et garantissant le respect du droit de représentation, lorsque le bénévolat n’est pas initié par les artistes eux-mêmes. On visera également à instaurer un pourcentage pour l’artiste à chaque vente et revente en galeries, ainsi qu’une majoration du pourcentage de droit de suite pour les artistes vivants.

> 2. Instauration d’une représentation des artistes dans toutes les commissions de bourse, à parts égales avec les financeurs et des professionnels de l’art (critiques, galeristes, curateurs) lorsque ce n’est pas déjà le cas.

>2. Création d’un fonds de soutien. Un pourcentage obligatoire, réduit, mais constant, de toutes les opérations et productions artistiques en France serait consacré au développement de l’art contemporain : productions, ateliers d’artistes, soutien des artistes et professionnels les plus précaires, renforcement des retraites.
On entend par opérations : les créations, productions, ventes privées en galeries et salles de ventes, foires, productions, billetteries, musées, vente d’images, reproduction d’œuvres auprès des banques d’images privées et publiques, etc.

Le revenu des artistes eux-mêmes y contribuerait, dans l’esprit d’un dispositif de solidarité.
 On considèrerait que seraient éligibles à ce dispositif tous ceux qui ont la création artistique pour activité principale (affiliés et assujettis à la Maison des artistes, Sécurité sociale et à l’Agessa) et qui ne sont pas salariés, ainsi que les artistes enseignants, préférentiellement s’ils sont vacataires.

Moyens
La conception économique de ces dispositifs doit intégrer une notion de variabilité qui permettrait une mise en application progressive.
Le fonds de soutien accompagnerait notamment les artistes et professionnels indépendants dont le ratio revenus / charges serait inférieur à un certain seuil, l’aide étant dégressive. Les aides seraient proportionnelles aux recettes du fonds afin que le dispositif ne soit jamais déficitaire. Un pourcentage serait attribué à la caisse de retraite complémentaire afin de revaloriser le point.

La mise en œuvre d’un tel dispositif nécessiterait la création d’une instance professionnelle représentative (ou son adossement à une structure existante), chargée de diffuser, convaincre et négocier auprès des différents acteurs privés et publics de l’économie de l’art en France. L’incitation à participer au fonds de soutien pourrait éventuellement s’effectuer par le biais d’une défiscalisation et d’une fondation, exactement comme le mécénat.

Perspectives
Nous proposons l’organisation d’une rencontre publique qui permettra de donner la parole à des acteurs concernés et/ou spécialistes de ces questions (artistes, structures, associations, économistes, chercheurs, journalistes, etc.), invités à contribuer au projet.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le projet d’une rencontre publique du groupe Économie solidaire de l’art à la Gaîté lyrique, pour le lancement de ce numéro de MCD, est bien avancé… Les actes de cette rencontre seraient publiés. On visera ensuite la création d’une association, ou l’adossement à une structure existante.

Économie solidaire de l’art
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

> http://www.economiesolidairedelart.net/

(1) Fondé par Pierre Beloüin, Carole Douillard, Thierry Fournier et Nicolas Ledoux.
(2) La charte canadienne CARCC : www.carcc.ca/documents/PDFfre.pdf
(3) Paying Artists (UK) : www.payingartists.org.uk
(4) Wage For Work (USA) : www.wageforwork.com
(5) Étude CRCC Pays de la Loire : http://bit.ly/1rT0OHR

Interview de Gerfried Stocker

En 1991, Gerfried Stocker, artiste des médias et ingénieur en télécommunications fonde x-space, une équipe destinée à mener des projets pluridisciplinaires et produire des installations et des performances qui incluent des éléments d’interaction, de robotique et de télécommunication. Depuis 1995, Gerfried Stocker officie en tant que directeur artistique d’Ars Electronica, l’organisation fondée en 1979 à Linz, en Autriche qui organise le festival du même nom dédié à l’art, la technologie et la société. À partir de 1995/96, il dirige l’équipe d’artistes et de techniciens qui développent les stratégies d’exposition innovatrices de l’Ars Electronica Center et installent sur les lieux un département de recherche et de développement, l’Ars Electronica Futurelab. C’est également lui qui conçoit et met en place la série d’expositions internationales présentées depuis 2004 par Ars Electronica et, à partir de 2005, le projet et le repositionnement thématique de l’Ars Electronica Center dans sa nouvelle version agrandie.

Un éclairage utilisant une technologie de pointe illumine l'enveloppe de verre d'une surface d'environ 5100 M2 autour de l'Ars Electronica Center. Les bandes de LED montées au dos des 1100 plaques de verre disposées sur la façade sont programmables séparément. La luminosité et le mélange de couleurs peuvent être réglées.

Un éclairage utilisant une technologie de pointe illumine l’enveloppe de verre d’une surface d’environ 5100 M2 autour de l’Ars Electronica Center. Les bandes de LED montées au dos des 1100 plaques de verre disposées sur la façade sont programmables séparément. La luminosité et le mélange de couleurs peuvent être réglées. Au total il y a environ 40000 diodes, une sur 4 émet une lumière rouge, verte, bleue ou blanche. Lors d’une opération nocturne ordinaire, 3 à 5 kilowatts suffisent à produire des effets spéciaux innovants. Photo: © Nicolas Ferrando, Lois Lammerhuber

Marco Mancuso: Le Festival Ars Electronica est né en 1979 pour présenter et observer l’impact croissant des technologies sur l’art contemporain et la société dans son ensemble  — le Prix décerné à l’issue du concours mettant l’excellence à l’honneur. Le Centre en tant que lieu d’art et le FutureLab en tant que département de R&D, soutenu par un ensemble des partenaires technologiques privés ayant investi dans le projet, ont vu le jour peu de temps après. D’un point de vue historique, pourquoi tout cela est-il arrivé et comment cela s’est-il développé ? Ars Electronica semble avoir amorcé une véritable révolution au niveau de la production d’art et de culture. Il existait alors dans le monde très peu d’exemples comparables, capables d’échanges et d’exploration de l’art et de la culture des médias jusque là délaissés. Comment ce processus s’est-il articulé et quelles sont les difficultés auxquelles vous vous êtes confronté ?
Gerfried Stocker: En 1979, le Festival for Art, Technology and Society (festival pour l’art, la technologie et la société) a été fondé en écho au Linzer Klangwolke (Son de Nuage). Le Prix Ars Electronica est né en 1987. À la fin des années 1970, il était crucial que la ville de Linz se réinvente. Dominée par la croissance rapide de l’industrie métallurgique, suite à la Seconde Guerre mondiale, Linz manquait d’infrastructure culturelle et n’était connue qu’en tant que ville industrielle polluée. À cette époque, il est devenu évident que le futur de la ville ne reposerait pas sur la transformation du fer en acier.
C’est à ce moment que le directeur de la chaîne de télévision locale, associé à un artiste et à un scientifique, s’est mis à penser au festival, animé par la conviction que l’ordinateur allait vite devenir bien plus qu’un simple instrument technique — il allait non seulement être une force motrice pour les nouvelles technologies et les nouvelles économies, mais allait aussi avoir un impact colossal sur la culture et la société tout entière. C’était visionnaire, compte tenu de l’époque à laquelle Ars Electronica a été fondé. Ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’ils ont compris qu’un festival et un colloque sophistiqués ne suffisaient pas, mais qu’il fallait également produire quelque chose qui puisse toucher tout le monde.
À partir de ce moment, c’est devenu notre principe directeur : regarder les sujets et les développements qui définissent notre avenir, essayer de les comprendre grâce à des artistes et des scientifiques venus des quatre coins du monde et communiquer le tout au public. Au fil des ans, nous avons mis en place une chaîne d’activités très solide — avec le Festival (et en particulier le Prix) comme source d’inspiration et d’idées; le Centre comme plateforme dédiée à l’éducation où les gens peuvent découvrir les thèmes et les technologies de l’avenir d’une manière très participative et créative; et le FutureLab, groupe de réflexion et melting-pot réservé aux créatifs, aux artistes, aux techniciens, aux développeurs, etc. — qui permettent au public d’utiliser toutes ces contributions et toute cette expérience pour générer de nouvelles idées et de nouveaux prototypes. En parallèle, nous possédons une section qui organise des expositions à travers le monde et la section Ars Electronica Solutions où nous transformons toutes ces idées créatives en produits destinés au marché.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, l’intégration de l’art, de la technologie et la société dépasse un simple usage plaisant de ces termes, il s’agit vraiment d’un principe directeur dans notre travail, toujours plus à même d’affronter les enjeux et les mutations de notre époque axée sur la technologie. Le seul élément sous-jacent à toutes ces activités est le point de vue et la manière artistique d’aborder les questions. Cela nous oblige à rester très proches des besoins des gens, à ne jamais perdre de vue l’importance du développement de la technologie en fonction des utilisateurs. Nous sommes ainsi beaucoup mieux préparés à affronter les aspects négatifs de l’évolution actuelle.

Project Genesis – l'une des expositions à l'Ars Electronica Center – se déploie sur deux étages du bâtiment. Les œuvres sont regroupées en quatre ensembles thématiques: Biomédias, Hybrides Synthétiques, Ethiques de la Génétique et Science Citoyenne.

Project Genesis – l’une des expositions à l’Ars Electronica Center – se déploie sur deux étages du bâtiment. Les œuvres sont regroupées en quatre ensembles thématiques: Biomédias, Hybrides Synthétiques, Ethiques de la Génétique et Science Citoyenne. Photo: © Tom Mesic.

MM: Ars Electronica est un projet financé à la fois par des aides publiques (Upper Austria, ministères Autrichiens) et des partenaires privé, comme nous pouvons le constater sur la page dédiée à ce sujet sur le site Internet. Si l’on part de la vaste quantité d’écrits et d’expériences répertoriées qui traitent des   Industries Créatives, il parait aujourd’hui évident que les industries du vingt-et-unième siècle dépendront de plus en plus de la production de savoirs par le biais de la créativité et de l’innovation (Landry, Charles; Bianchini, Franco, 1995, The Creative City, Demos). Ce qui reste à éclaircir — sans doute parce que c’est moins direct — c’est la raison pour laquelle les industries privées investissent dans un centre comme Ars Electronica, ce qu’ils y cherchent, au fond, et quel est le retour sur investissement potentiel (si on le souhaite, on peut aussi parler de retour conceptuel ou de retour en arrière). En d’autres termes, quel modèle économique — culturel — de production pourrait finalement être appliqué à une plus petite échelle?
GS: S’il vous plaît ne pensez pas que je suis impoli ou arrogant (j’essaie juste d’être clair et honnête), mais je dois dire qu’il est ridicule d’attendre une réponse à CETTE QUESTION en quelques lignes. Je pourrais rajouter à la pile de ces déclarations vides de sens qui ont déjà considérablement entamé la crédibilité des industries créatives. Il nous a fallu de nombreuses années pour développer cette pratique et il faudrait des heures pour en parler de manière suffisamment approfondie. C’est un écosystème très complexe et multi-couches qu’il faut maintenir pour solidifier un partenariat et une collaboration qui fonctionnent de manière durable entre ces domaines et leurs acteurs. Au final, la raison pour laquelle les entreprises travaillent avec nous (il ne s’agit pas de sponsoring mais de travail commun et de co-développement), c’est que, sur la base de nos 35 ans d’expérience, nous avons trouvé quelques outils permettant de faciliter ou de modérer cet échange.

MM: À l’Ars Electonica Centre vous travaillez sur la présentation de formes d’art liminaires et expressives : de la biotechnologie au génie génétique, de la robotique aux prothèses, de l’interactivité à la neurologie ou encore des technologies de l’environnement à biologie de synthèse. Pensez-vous que des territoires spécifiques à la production de l’art des médias proche des investissements industriels vont voir le jour ? Là encore, comment l’activité des expositions de l’Ars Electronica Center est-elle liée aux stratégies et aux financements de vos partenaires industriels?
GS: Jusqu’ici nous n’avons jamais choisi de thématiques pour un festival ou des expositions en fonction de l’investissement de telle ou telle entreprise. L’un des facteurs de notre succès (ou peut-être de la survie d’Ars Electronica), c’est que nous avons toujours été une institution culturelle gérée par la ville de Linz. Cela signifie que nous disposons toujours du financement nécessaire aux activités et responsabilités de base. Bien entendu, nous pourrions considérablement étendre notre gamme d’activités et accroître notre impact par le biais de collaborations avec le secteur privé, mais il serait toujours possible de survivre sans eux en nous cantonnant à nos activités principales. Par contre, nous ne pourrions en aucun cas survivre très longtemps si notre but ultime visait l’argent fourni par l’industrie parce que, dans ce cas, nous perdrions notre force et notre crédibilité et donc l’accès à des personnes créatives et à leurs idées… il faut comprendre le tout comme un écosystème et non comme un modèle d’affaires !!!

Les essaims des quadcoptères de l'Ars Electronica Futurelab ont été la principale attraction au Voestalpine Klangwolke de 2012. Un public de 90 000 personnes a pu assister à un record du monde: la première formation en vol de 49 quadcoptères.

Les essaims des quadcoptères de l’Ars Electronica Futurelab ont été la principale attraction au Voestalpine Klangwolke de 2012. Un public de 90 000 personnes a pu assister à un record du monde: la première formation en vol de 49 quadcoptères. Les quadcoptères ont également fait leur apparence à Londres, Bergen, Ljubljana, Brisbane et Umea. Par ailleurs, ils sont capables de former des fresques de lumière.
Photo: © Gregor Hartl Fotografie

MM: S’agissant de l’Ars Electronica Futurelab, le Labo travaille sur des domaines de recherche comme l’Esthétique Fonctionnelle, l’Écologie d’Interaction, l’Esthétique de l’Information, la Technologie Persuasive, la Robotinité (en anglais, le terme  »robotinity » est inspiré par  »humanity » NdT.) et le formidable Catalyseur de Créativité. En quoi estimez-vous que ces domaines présentent un potentiel à la fois du point de vue artistique et de l’angle commercial lié à la recherche et aux technologies ? Pensez-vous que ces questions feront un jour de partie notre quotidien, que les artistes des médias s’y référeront et qu’elles engendreront une culture productive et une valeur artistique pour être finalement récompensées par un Prix Ars Electronica ?
GS: Oui bien sûr, ces choses-là font déjà partie intégrante de notre vie, de la culture et de la société. Ce n’est qu’en les approchant par le biais de stratégies comme la créativité catalytique que nous pourrons les aborder correctement. Pensez à la différence entre Robotique et « Robotinité », il ne s’agit pas simplement d’un jeu de langage, mais d’une tout autre approche qui permet d’appréhender les enjeux et les changements.

MM: L’Ars Electronica Residency est un Réseau d’excellence qui comprend des organisations partenaires comme des institutions d’études supérieures, des musées, des organisations culturelles, des centre de ressources R&D du secteur public, mais aussi des initiatives et des entreprises privées. Vous déclarez qu’il s’agit du désir de mener un programme de résidence d’artiste ou de chercheur, chacun se concentrant sur un domaine spécifique pour lequel le partenaire respectif possède une expertise unique. Pourriez-vous donner un exemple concret de la façon dont un projet spécifique est né, d’où l’idée de départ est venue (des écoles, des organismes culturels ou d’initiatives privées), le fonctionnement du processus, comment les étudiants/les écoles/ les artistes/les entreprises ont été mis en relation ? Pensez-vous que la création d’une œuvre d’art, la valeur de la recherche sur une technologie donnée et la communication y afférant puissent rester totalement libres et indépendants de toute pression des entreprises et des investisseurs privés ? Comment Ars Electronica pourrait éviter un éventuel processus de transformation des arts des médias visant à plaire au grand public/au marché ?
GS: Ici encore, je me permets de rappeler qu’il s’agit d’un écosystème ! Pour retirer des bénéfices de la créativité sans l’exploiter, vous devez travailler comme un cultivateur, si vous ne nourrissez pas votre terre, vous ne récolterez rien. Le réseau d’artistes-en-résidence est une stratégie qui consiste à remettre de la matière fertile dans le réservoir de créativité. C’est une façon extraordinaire de relier les individus et les institutions porteurs d’idées similaires, de rapprocher les techniciens et les artistes, etc, etc. Quant à la stratégie pour éviter de se vendre, là encore, j’utiliserai l’analogie avec les cultivateurs. Il est normal de vendre le fruit de sa récolte, mais si vous vendez votre terre au lieu des produits qu’elle permet de faire pousser grâce à votre expertise, alors vous devenez un agent immobilier et toutes vos compétences, votre expérience et votre culture disparaissent.

 

interview par Marco Mancuso
carte blanche / Digicult
publié dans MCD #74, « Art / Industrie », juin / août 2014

 

> https://www.aec.at/news/

Créativité Numérique Participative

/ Mon nom ? Jean Leccia. Ma fonction ? Directeur du développement de l’association émaho et responsable des antennes Ile-de-France et Corse.

 Après avoir travaillé pendant près de 7 ans pour un label de musiques électroniques parisien, j’ai créé et dirigé, de 2004 à 2007, mon propre label à Bastia, Montera Music. À l’époque, nous proposions déjà au jeune public de s’initier à la Musique assistée par ordinateur (MAO) encadrée par des artistes du label.

Un de ces artistes, Fabien Fabre (9th Cloud) décide ensuite de créer une entité associative à Marseille avec un autre artiste Jonathan Gowthorpe (Vompleud) afin de structurer des activités d’atelier de transmission du savoir à destination des publics dits prioritaires de la politique de la ville. Notre première action s’est faite à Bastia avec la direction du renouvellement urbain et de la cohésion sociale dans les quartiers prioritaires du centre ancien et des quartiers sud. C’est ainsi que trois semaines d’initiation à la MAO ont pu être mises en place tout au long de l’année.

 Parallèlement, d’autres actions se sont déployées en PACA dans les centres sociaux et IME.

Les premières actions ont été soutenues par les collectivités de Corse et de PACA, par la Fondation de France et par la Caisse des Dépôts et consignations. Pour sa création, l’association a aussi profité du soutien du dispositif Défi jeune et de la couveuse CADO située à la Friche Belle de Mai. Soutenus par plusieurs partenaires, nous avons pu mettre en place en Corse, en PACA et en Ile-de-France différents ateliers en diversifiant les pratiques : MAO, VJing, dessins animés, Beat Box Visuel, ré-interprétation photographique, petits reporters…

L’implantation dans les territoires est vite devenue une évidence. Nous nous sommes donc organisés afin de mettre en place des projets d’ancrages territoriaux s’adaptant aux besoins des quartiers et apportant à ses jeunes habitants la découverte de nouvelles pratiques numériques créatives. Un projet par région : Cliques Numériques en Ile de France, 1x1x1 en PACA et Bastia Ville Digitale en Corse.

Cliques Numériques. Photo: D.R.

// Plus encore qu’un besoin du public, c’est bien l’artiste et sa volonté de transmettre qui est à l’origine de cette histoire. De par son activité et son titre, l’artiste crée des œuvres destinées à un public. La transmission de ces œuvres au public qui la reçoit est un moment crucial dans le cheminement de l’artiste. Un moment de lien, de partage et parfois même de communion. Si nos artistes ont souhaité pousser davantage la relation qui les lie au public c’est parce qu’ils portent en eux cette qualité de transmission, parce qu’une démarche créative est de fait individuel, mais destiné avant tout au collectif.

Par ailleurs, de par leur statut particulier, les artistes sont plus disponibles pour exercer cette autre activité et en ont pour certains le besoin. Je pense que la conjugaison de ce besoin avec la demande des jeunes en termes d’apprentissage a été un déclencheur important dans leurs rencontres, puis dans l’histoire d’Emaho. Créer une structure associative allant dans ce sens devenait impératif et permettait de jouer un rôle de filtre permettant de sélectionner des artistes ayant une vision pédagogique de leur art et comprenant l’intérêt social de le transmettre.

Création numérique et lien social vont de pair. Toute création numérique n’est possible que par le lien qui se tisse entre un artiste et des participants, entre les participants eux-mêmes et entre le collectif ainsi formé par les participants et le public lors des restitutions. 

Aujourd’hui, le développement important des pratiques de créations numériques, rendu possible par des outils de plus en plus accessibles, a permis de mettre en place ces moments de rencontres et de créations participatives.

À divers niveaux, nos actions créatives, citoyennes et sociales permettent une appropriation des outils technologiques. L’enjeu est de faire en sorte que les participants amateurs soient totalement partie prenante de la création. Pour les y aider, l’association ouvre des espaces qui leur sont totalement dédiés et où ils peuvent échanger, comprendre et s’initier aux outils numériques, développer des capacités d’écoute, d’expression, de sens critique et de responsabilité face aux choix à réaliser pour la réussite du projet collectif.

Notre approche par la création collective favorise l’expression et la réalisation personnelle, ainsi que la confiance en soi tout en demandant un travail de groupe, collaboratif, impliquant dialogue, échange et concessions. Le groupe et l’individu se lient dans des démarches de création amenant à la conception d’une œuvre musicale, photographique, vidéo… de son écriture à sa diffusion. Lors de la diffusion, le collectif partage son œuvre avec un public. L’occasion, une fois de plus, de partager, d’échanger et de parfaire le lien social développé tout au long des actions.

Citadelle Sonore. Photo: D.R.

/// Nous travaillons principalement sur deux axes : l’initiation et la formation dans le cadre d’ateliers participatifs, et les mises en situation dans le cadre de nos projets d’immersion. 

Les ateliers participatifs prennent des formes différentes suivant les publics. Ils sont parfois très courts (quelques heures) lorsqu’on parle d’initiation et plus longs (plusieurs jours) lorsqu’on se projette vers de la formation. 

Nos projets d’immersion eux, amènent les participants à intégrer un projet de sa conception jusqu’à sa finalisation.

C’est dans cette logique que dans le projet 1x1x1, trois groupes d’horizons divers (personnes au RSA, usagers de centres sociaux et élèves d’une école de musique) ont pensé et réalisé un spectacle vivant mêlant art numérique, inventions sonores et prestations scéniques. Cette création a été orchestrée par Franck 2 Louise et encadrée par des artistes professionnels. Une belle rencontre entre artistes amateurs, artistes professionnels, novices et bientôt… avec le public.

 Nous retrouvons aussi cette dynamique dans le projet Bastia Digitale Académie, où 30 jeunes d’horizons sociaux variés doivent écrire, réaliser, produire et enregistrer, en 10 jours d’immersion totale, une émission de télévision qui sera retransmise sur France 3. Cette expérience est rendue possible grâce à l’encadrement de professionnels de l’audiovisuel et à la vision d’artistes réalisateurs, décorateurs, monteurs, etc.

Toutes ces actions, qu’elles soient dans le cadre d’ateliers participatifs ou des projets d’immersions, rassemblent artistes professionnels et amateurs autour d’une volonté commune de création artistique. Cette approche transversale, véritable ADN du projet associatif, replace l’outil numérique en tant qu’outil d’expression créative dans des contextes aussi variés que la création d’entreprises, l’emploi, la dynamique de territoire, l’insertion, l’innovation ou encore l’orientation des jeunes.

L’un des projets phares de l’association et qui illustre parfaitement cette dynamique « création numérique/lien social » dont nous parlons, est sans conteste, Bastia Ville Digitale. Projet d’ancrage territorial significatif, il regroupe chaque année sur 2 semaines, des ateliers d’initiation à destination de près de 500 collégiens (les Cliques Numériques), la création participative d’une émission de télévision par 30 jeunes (Bastia Digitale Académie), des rencontres entre les jeunes et les professionnels du numérique (l’Agora Numérique), des soirées festives (Citadelle Sonore et Apéros Digitaux).

La production de cette manifestation passe par un travail de collaboration construit avec des structures directement impliquées dans l’action sociale comme la Mission Locale, le CRIJ, le Pôle emploi, l’Agence de Développement Economique de la Corse, la Direction du Renouvellement Urbain et de la Cohésion Sociale de la ville de Bastia et bon nombre d’associations locales. Cette émulation est un vecteur de lien social qui commence bien en amont de la production de la manifestation pour se poursuivre jusqu’à l’édition de l’année suivante.

Citadelle Sonore. Photo: D.R.

//// L’idée première de notre démarche était de faire profiter du savoir de nos artistes à des jeunes ayant des difficultés sociales pour accéder aux pratiques de création numérique. Pour que la création numérique et le lien social puissent se « plugger » entre eux parfaitement, il y a nécessairement tout un processus, un cheminement que le collectif et l’artiste doivent trouver et éprouver. Les échanges humains qui s’opèrent lors de ces rencontres sont à double sens. Le jeune participant s’enrichissant de ces découvertes et l’artiste de l’intuition créative du participant. Et au-delà de la rencontre « Participant/Artiste », il s’opère très souvent des rencontres entre les participants eux-mêmes.

Rencontres parfois inter-générationnelles, mélangeant aussi bien les niveaux de savoir que les niveaux sociaux. Ces moments sont des moments uniques ou toutes ces barrières tombent pour laisser place à un objectif : apprendre à créer.

 Ainsi, je dirais que les spectateurs que nous devenons devant ces rencontres, ce processus, nous a amenés à définitivement faire de cette dynamique une finalité. 

Cette dynamique s’inscrit dans tous les projets que nous mettons en place. Elle est notre point de départ et notre fil conducteur pour la conception de nos projets.

réponses de Jean Leccia
Directeur du développement de l’association émaho
et responsable des antennes Ile-de-France et Corse
publié dans MCD #72, « Création numérique & lien social », oct. / déc. 2013

Émaho > http://emaho.fr/
Bastia Ville Digitale > https://www.ville-digitale.com/

Kër Thiossane, villa pour l’art et le multimédia au Sénégal, se définit comme un espace culturel dédié à l’expérimentation artistique et sociale. En wolof, « kër » signifie la maison et « thiossane » la culture traditionnelle sénégalaise. Ce lieu de recherche, de résidence, de création et de formation encourage l’intégration du multimédia dans les pratiques artistiques et créatives traditionnelles, et soutient le croisement des disciplines.

Mosaïque alternative réalisée à Kër Thiossane. Par Mushana Ali et Kan-si, détail. 2012. Photo : © Antoine Louisgrand / Kër Thiossane.

Kër Thiossane a débuté ses activités à Dakar en 2002. En 2003, grâce au soutien de la fondation canadienne Daniel Langlois pour l’art, la science et les nouvelles technologies, l’association ouvre un espace public numérique afin d’offrir aux Sénégalais un lieu de partage et de réflexion autour de l’art et des technologies numériques, en proposant résidences, formations, rencontres et ateliers. Il s’agit du premier laboratoire pédagogique artistique et transdisciplinaire lié aux pratiques numériques et aux nouveaux outils de communication en Afrique de l’Ouest.

En 2008, est créée la première édition du festival Afropixel sur les logiciels libres liés aux pratiques citoyennes des pays du « Sud ». En 2012, la 3ème édition s’est déroulée autour des Biens Communs, abordés via l’angle des technologies numériques et de la création artistique en Afrique. Depuis ses débuts, Kër Thiossane développe les échanges et les collaborations avec des structures du continent africain et tisse aussi des liens avec d’autres continents, dans une perspective Sud-Sud.

Atelier Demodrama Faces réalisé avec l’Ambassade d’Espagne au Sénégal. 2011. Photo : © Kër Thiossane.

Ainsi sont mis en œuvre des projets internationaux de coopération, tels que Rose des Vents Numérique. Développé de 2010 à 2012, avec le soutien du fonds ACP Cultures de l’Union Européenne et de nombreux partenaires, ce projet a eu pour objectif de développer la coopération artistique numérique et partager des connaissances techniques, culturelles et artistiques, entre le Sénégal, le Mali, l’Afrique du Sud et les Caraïbes.

Mené en partenariat avec notamment le Collectif Yeta au Mali, Trinity Session en Afrique du Sud, l’OMDAC en Martinique, ou encore le CRAS (Centre de Ressources Art Sensitif, Mains d’Œuvres) en France, Rose des Vents Numérique s’est articulé autour de différentes actions phares : les festivals Afropixel (Dakar, mai 2010) et Pixelini (Bamako, octobre 2011); plusieurs formations autour des logiciels libres; six résidences croisées d’artistes d’Afrique et des Caraïbes; la participation au 8ème Forum des Arts Numériques de Martinique (OMDAC); et la création de Ci*Diguente.

Valise pédagogique développée à Kër Thiossane dans le cadre du projet Rose des Vents Numérique. 2010. Photo : © Kër Thiossane.

Car à l’issue de Rose des Vents Numérique, il était nécessaire de créer et entretenir un espace de partage et d’échanges entre les acteurs impliqués, afin de permettre à la dynamique de réseau mise en œuvre de perdurer et de s’élargir. Ainsi est née Ci*Diguente, en wolof « au milieu des choses », « dans un entre-deux », qui fait écho à cet espace de rencontre entre les continents, les disciplines et les savoirs. Cette plate-forme de ressources est principalement dédiée aux artistes et acteurs de l’art numérique en Afrique et Caraïbes, et est aussi ouverte à tous; les ressources sont librement disponibles dans le respect de la licence Creative Commons et chacun peut y proposer ses articles en créant son propre compte.

Marion Louisgrand, initiatrice de Kër Thiossane, ajoute: en Afrique, à l’exception de l’Afrique du Sud, la création numérique est un courant encore nouveau, où les manifestations et expositions qui y sont consacrées sont encore rares ; les structures et écoles susceptibles d’accompagner les artistes africains et capables d’accueillir des expositions sont peu nombreuses.

Si produire ou exposer les œuvres multimédias nécessite la mise en œuvre de moyens matériels pointus, et donc onéreux, Kër Thiossane et les acteurs de son réseau ont pris le parti de développer sur leurs territoires des projets privilégiant les « basses technologies », le « faites-le vous-même », mettant l’accent sur la relation entre création, recherche et espace public.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

 

> www.ker-thiossane.org

Rencontres d’Arts Visuels de Yaoundé

Serge Olivier Fokoua, directeur des RAVY, cerne ainsi son événement : jusqu’où peut aller l’art en train de se faire? Quelle est la part de l’Afrique dans ce rendez-vous de l’art actuel? L’un des objectifs de ces Rencontres est de permettre des échanges entre artistes d’ici et d’ailleurs. Créer un réseau dynamique de partage des savoirs et des compétences.

Em’kal Eyongakpa. Installation vidéo. RAVY 2012. Photo : © Les Palettes du Kamer.

Les Rencontres d’Arts Visuels de Yaoundé (RAVY), nées en avril 2008, ont présenté leur 3ème édition en 2012. Elles sont organisées par Les Palettes du Kamer, une association d’artistes plasticiens camerounais fondée en 2004.

La mission des RAVY est de promouvoir l’art contemporain, au Cameroun et en Afrique, en s’entourant de créateurs émergents et confirmés, d’artistes de nombreuses nationalités et disciplines (peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, performeurs, etc.), dont la démarche artistique est innovante. À travers des expositions, performances, colloques, ateliers et conférences, il s’agit de faire venir l’art à la rencontre du public. Le festival permet au public de Yaoundé d’appréhender de nouveaux discours sur la société moderne, des thématiques engagées, subtiles ou poétiques.

Marcio Carvalho (Portugal). Performance et installation vidéo. RAVY 2012. Photo : © Jean-Marc Gayman.

Suite à l’atelier organisé par Em’kal Eyongakpa (1) avec 7 artistes multimédias, à l’Institut Français de Yaoundé, un projet collectif sur le thème « Couloirs » a été présenté au festival RAVY. Des postures, attitudes et comportements urbains ont été filmés puis juxtaposés pour être projetés sur des écrans disposés dans un espace. Lors du vernissage, un récital de poésie a accompagné cette installation.

Les RAVY sont financées par les cotisations des membres de l’Association, ont le soutien du Ministère camerounais de la Culture, d’organisations internationales et de fondations privées. Ce festival s’appuie aussi sur un réseau de structures locales et internationales. Le choix des artistes se fait via des commissaires partenaires, en collaboration avec des festivals et centres d’art, tels que le CRANE_Centre de ressources, au Château de Chevigny (Côte d’Or, France).

Serge Olivier Fokoua. Photo : D.R.

Or, selon Serge Olivier Fokoua, les RAVY s’inscrivent dans un contexte très difficile, où les arts visuels occupent une place secondaire dans la fourchette des disciplines artistiques, tant pour le public que pour les institutions nationales. Les artistes africains avec lesquels nous travaillons sont des passionnés, mais les résultats sont souvent lents. C’est dans le désir de booster ce secteur créatif que nous avons voulu créer des plates-formes d’expression et de promotion des arts visuels. Dans l’art numérique, beaucoup d’artistes manquent cruellement de matériel adéquat pour pouvoir exprimer ce qu’ils ont au fond d’eux. Et quand il leur arrive de réaliser des projets, les occasions de les montrer sont rares.

Aussi, le projet RAVY se positionne-t-il comme une vitrine pour redonner du vent à ce secteur de l’art qui bat de l’aile. Cette opération, aux effets multiplicateurs, permet non seulement de dénicher des artistes talentueux, mais aussi d’assurer leur promotion de manière durable à travers le tissu relationnel d’ici et d’ailleurs que sont galeries, centres d’art, foires, ateliers ou résidences.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.ravyfestival.org

Inter-Créativités Urbaines

Né grâce à un projet européen à la Ville de Bruxelles qui désirait réaffecter la Gare de Bruxelles-Chapelles à un projet (multi)culturel proche du citoyen, Recyclart a développé, depuis 1998, une série d’initiatives qui en font un des laboratoires artistiques les plus intéressants de la capitale. Nous avons rencontré Marc Jacobs, directeur artistique, qui anime depuis neuf ans, avec une petite équipe militante, cet espace de passage unique où les flux de la ville rencontrent ceux de la création musicale, plastique, architecturale… avec le souci d’allier proximité et créativité au cœur de l’euro cité.

Quelles sont, selon vous, les particularités du projet Recyclart, lieu pluridisciplinaire qui échappe aux catégories traditionnelles ?
Je pense que le projet Recyclart répond aux décloisonnements actuels des pratiques, des disciplines, des publics aussi. Tout en étant attaché à ces « entre deux », on se pose nous-mêmes aussi régulièrement cette question sur notre identité… Recyclart se positionne comme un lieu pour les musiques actuelles, pour les formes hybrides en art plastique et audio-visuel, une plate-forme de réflexion autour de l’architecture, l’espace public et l’urbanité, et un engagement socio-artistique mobilisant un public plutôt de quartier autour de la photographie. Nous faisons aussi office de modérateurs entre le souterrain et l’institutionnel, l’artistique et le social, les formes d’expression expérimentales et populaires. Recyclart incarne aussi un réel projet bruxellois, ancré dans la ville et bi-communautaire francophone/flamand.

Que signifient les « cultures urbaines » pour vous ? Comment l’appréhendez-vous dans les activités de Recyclart ?
On ne peut être plus urbain qu’à Recyclart ! Une gare toujours en fonction, située dans une rupture urbaine qu’elle a créée sur la jonction Nord-Midi qui traverse le pentagone bruxellois… Nous sommes géographiquement situés à la frontière d’un ancien quartier populaire de Bruxelles, les Marolles et à un jet de pierre de la Grand-Place, haut lieu de tourisme du centre-ville. Avec tout ce qui croise notre chemin : demandes de soutien et de résidence pour les projets d’artistes, les curieux qui s’interrogent sur nos activités dans ce lieu incongru, des touristes japonais perdus en quête des horaires des trains, des clochards en manque d’affection, des jeunes vandales, les tags incessants… mais aussi notre voisinage direct (une école catholique, des fonctionnaires clients de notre bar-resto, Les Brigittines – Centre de la voix et du mouvement). La notion de « culture urbaine » me paraît encore assez vague. En musique, par exemple, quelles sont celles qui n’ont pas été d’une manière ou d’une autre influencées par la ville dans toutes ses dimensions ? (…) En ce qui concerne notre approche photographique, nous incitons les habitants du quartier à créer un archivage de leur quotidien et de leur quartier. Les préoccupations urbanistiques qui nous animent sont nées des aberrations architecturales bruxelloises du passé, mais aussi du présent, qui empêchent toujours la ville d’évoluer vers une réflexion urbaine plus « citizen-friendly ».

Vous avez lancé des séries thématiques dans votre programmation qui donne la part belle aux découvertes croisées et aux têtes chercheuses musicales actuelles…
Les cycles permettent de fidéliser un public et de faire découvrir de nouveaux artistes, ou des artistes méconnus. D’une manière générale, j’ai toujours posé ma programmation en « alternative » à ce qui se passait — ou ne se passait pas — à Bruxelles. Plusieurs cycles ont été lancés : Haunted folklore est une série de concerts / confrontations explorant le folklore musical hanté ou habité; qu’il soit ancien, traditionnel, expérimental ou actuel. Musiques organiques à la croisée de musiques électroniques, parsemées parfois de projections, d’installations ou de performances. La salle est aménagée avec des petites tables dans un esprit proche d’un cabaret. Nous avons accueilli des artistes tels que le duo psychobilly canadien Hank & Lily, le maestro free Evan Parker, le saxo-poète Ted Milton, le duo AGF/Delay, l’électro-post-folk britannique Leafcutter John, la Brésilienne Cibelle ou encore le combo norvégien Huntsville, le tout pouvant s’accompagner de projections et d’expositions. Dans le cycle Yeah!, qui se présentait sous la forme de concerts avec DJ’s, nous avons désiré offrir un bel écrin à des groupes de rock ou de punk actuel, tout en considérant les influences électroniques, tout simplement parce qu’il n’y avait rien dans le genre à Bruxelles ! Le contexte était résolument festif, dur et dansant. On a pu y voir des artistes tels que le duo belge The Acid Mercenaries, le groupe français Poni Hoax, les Anglais d’Adult ou encore le new-yorkais DJ/Rupture. Récemment, nous avons développé quelques soirées/concerts sous l’appellation No Kraut, partant de ce terme — assez vague — du krautrock pour aller vers l’électro-disco-psyché (Emperor Machine), la pop (Fujiya & Miyagi) ou un kraut plus récent avec des valeurs sûres, tels Burnt Friedman & Jaki Liebezeit, le légendaire batteur de Can.

propos recueillis par Philippe Franck
MCD #51, mars-avril 2009

Site: https://recyclart.be/