et autres initiatives de makers à Lomé

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, seconde partie de sa correspondance depuis Lomé.

Isabelle Arvers (premier rang, au centre) à la Case des Daltons. Photo: D.R.

Les Woelabs lieux de démocratie technologique

L’interview de Sename Koffi, commissaire de l’exposition « Lomé + » chroniquée dans ma première correspondance m’a fait appréhender tout l’écosystème numérique togolais. En l’interviewant, je découvre les premiers fablabs créés à Lomé, mais aussi comment ces lieux sont devenus un tech hub et ont initié plusieurs générations de makers.

Le Woelab est un projet initié par Sename Koffi Agbodjinou en 2012 avec la création d’un premier espace, le Woelab Zéro, puis d’un second, le Woelab Prime en 2016. Dans l’idée de « mailler tout le territoire d’espaces d’innovation avec un réseau de lieux, en essayant d’avoir un lieu dans chaque quartier. Les deux lieux se situent à la frontière du Ghana, afin de transformer cette bande frontalière en un « smart territoire ». Woelab est l’équivalent Togolais du fablab, puisque « Woe » signifie « fais-le » en Ewé.

C’est un laboratoire pour faire des choses, un espace dédié au numérique, un lieu transversal. Avec des espaces de coworking proposant des services partagés (aide juridique, secrétariat, communauté, programme d’accompagnement des entrepreneurs, reprographie, comptabilité) ; un incubateur de start-up avec un accompagnement à la professionnalisation d’entreprise ; un lieu d’apprentissage des technologies et aujourd’hui un grenier urbain grâce à la start-up Urbanattic.

Sename m’explique que « c’est un projet qui a un peu déclenché la scène tech au Togo, on a créé le premier tech hub du pays et toutes les choses en lien avec le digital ont ensuite gravité autour. » En 8 ans, de très nombreuses personnes sont passées par les Woelabs, de nombreuses sociétés se sont créées. L’idée étant de former des personnes aux nouvelles technologies pour qu’elles puissent ensuite produire elles-mêmes leurs propres techno. « Dans la scène tech togolaise, 4 personnes sur 5 viennent de chez nous. » Le Woelab a d’ailleurs été sous le feu des projecteurs en 2013 pour avoir conçu la W.Afate, la toute première imprimante 3D créée à partir de déchets électroniques. Un projet qui avait été primé par la NASA dans le cadre de l’International Space Apps Challenge.

Quartier Woelab. Photo: D.R.

Les Woelabs sont des lieux majoritairement fréquentés par des jeunes, la moyenne d’âge allant de 13 à 19 ans. Le profil des jeunes n’est pas forcément « tech ». « L’engagement de ce lieu, poursuit Sename, est de prouver que n’importe qui, même quelqu’un qui n’a pas été à l’école, peut devenir une personne qui a complètement compris ce qu’est la culture digitale et est capable de faire des choses avec le numérique. Toute personne qui souhaite apprendre est la bienvenue, il n’y a aucun filtrage, aucune sélection. On se présente comme des espaces de démocratie technologique. »

Les labs sont en capacité d’accueillir chacun une trentaine de jeunes, donc chaque année une communauté se stabilise autour de 60 jeunes. En début d’année, il est demandé à chaque jeune ce qu’il ou elle aimerait réaliser et ils/elles vont ensuite pouvoir suivre les ateliers et différentes interventions de professionnels dans des domaines aussi variés que le dessin technique, la modélisation 3D, le code, le prototypage, etc. Chaque intervention étant destinée à accompagner le projet de chacun.e dans le cadre des WoecodeAcademy, « un programme d’activation junior ».

D’autres interventions sont proposées dans le cadre de la Woe Academy, une sorte d’université libre, ouverte au tout public, qui m’a permis de donner trois ateliers machinima en ligne via zoom à la communauté des Woelabs. Pour le dernier atelier, j’étais accompagnée par les jeunes de la Opencode Academy. 8 ans après sa création, avec près de 60 jeunes qui viennent tout au long de l’année, on peut imaginer le nombre de personnes que ces lieux ont pu toucher et faire évoluer.

Atelier machinima au Woelab. Photo: D.R.

Trouver des solutions pour l’environnement immédiat

C’est Mabizaa Badanaro, mathématicien et économiste de formation et « catalyseur » de la communauté web de tout cet écosystème, qui me reçoit au Woelab Zero et me rappelle les fondements du lieu :  « Avec les Woelabs on souhaite créer un modèle d’urbanisme participatif qui contribue à développer des services pour simplifier la vie des populations africaines : nourriture, éducation, mobilité, santé, environnement… en développant des solutions sur des problématiques concrètes. 3 personnes sur 5 en Afrique n’ont pas accès à internet. Aussi, ce que nous souhaitons avec Woelab, c’est combler ce fossé technologique. »

Trois projets en mode start-up sont actuellement accompagnés par Woelab. Tout d’abord, WoeBots, la start-up qui tire son nom de l’imprimante 3D inventée par Kodjo Afate Gnikou, la W.Afate. Imaginée pour donner la capacité au plus grand nombre de produire des objets en 3D et pouvoir ainsi sortir de « leur isolement technologique ». La W.Afate a été la première imprimante 3D réalisée à partir de déchets électroniques en Afrique, Kodjo a ensuite travaillé pour renforcer son imprimante, la rendre plus robuste et aujourd’hui la W.Afate n’est plus conçue à partir de déchets électroniques, mais à partir de composants, afin de pouvoir la produire en série. Actuellement, dans le but de démocratiser l’accès à la conception d’objets en 3D, l’idée est de donner à chaque école africaine une imprimante 3D et de former les professeurs puis les élèves, afin d’ apprendre à modéliser des objets puis à les imprimer.

Urbanattic. Photo: D.R.

Urbanattic est une plateforme en ligne qui gère des greniers urbains connectés, chargés de produire de l’alimentation bio dans Lomé et d’implanter des greniers dans chaque quartier afin de promouvoir l’agriculture bio, le circuit court et de prodiguer de la nourriture bio aux populations. « Vous valorisons aujourd’hui, autour des WoeLabs Zéro et Prime, cinq potagers issus de la transformation de dépotoirs sauvages. » L’autre mission d’Urbanattic est de former la population à l’agriculture et à l’alimentation responsables en ville, afin de créer d’autres greniers dans la ville et de transformer les habitudes de consommation : il y a des ateliers d’aquaponie, de confitures, de diététique, etc. Les potagers sont équipés de capteurs de taux d’humidité et bientôt seront aussi équipés de capteurs de pH.

Les objets connectés font aussi partie de SCoPE, « Sorting and Collecting Plastics for our Environment ». Une société dédiée au recyclage des déchets, créée afin de sensibiliser les gens à ne pas jeter partout leurs ordures. « On a construit des kits pour recevoir tous les produits recyclables. Nous développons actuellement un capteur capable d’indiquer quand le kit est rempli afin qu’il puisse être enlevé par l’équipe. Nous déposons ces kits chez les habitants et venons les relever lorsque ceux-ci sont pleins. » Les sacs qui réceptionnent tous les objets recyclables sont eux-mêmes conçus à partir de petits sacs plastiques recyclés. Des sacs que l’on voit partout dans les rues ou sur les rivières, car ce sont les sachets d’eau que les gens boivent au quotidien. De l’eau du robinet mise sous sachet plastique et ensuite rafraîchie.

Sename est le fondateur et le gestionnaire du lieu. Il forme les jeunes et auto-finance également entièrement les Woelabs. « D’abord au départ par pure radicalité, puis lorsqu’on s’est ouvert à des sponsors, les choses ont pris du temps et ne sont pas forcément venues. »

Le lavabo intelligent de Kokou Sitsope Sekpona. Photo: D.R.

Depuis d’autres incubateurs et makerspaces ont fleuri au Togo :

Tout d’abord l’Ecoteclab. Je rencontre Ousia A. Foli-Bebe, le fondateur d’Ecoteclab au Nunyalab, un nouvel incubateur et espace de coworking, mis en place par le gouvernement togolais pour accompagner le jeune entrepreneuriat. Ousia a étudié l’environnement et la qualité de vie, ainsi que les énergies renouvelables, dans le but de produire de la technologie pour le milieu agricole. « Premier problème, je n’avais pas de lieu qui pouvait m’accompagner pour produire les machines que j’imaginais, il n’y avait pas d’endroit où on pouvait faire ça. »

C’est dans cette recherche de lieux qu’il est passé par le Woelab, pendant 9 mois, entre 2013 et 2014. Mais les équipements manquaient pour son projet. C’est là qu’il a décidé de créer son propre makerspace. L’Ecoteclab a démarré en sept 2016, également sur une base d’autofinancement, sauf pour le lieu d’accueil, occupé à titre gracieux. Même les ateliers sont dispensés gratuitement. « On a pensé à donner des formations payantes, mais notre public n’en a pas les moyens, alors nous facturons des prestations payantes à des entreprises ou à des structures publiques. »

MoLab, un projet initié par l’ambassade américaine, mais qui se poursuit à présent de façon autonome, est un maker bus, alimenté en énergie solaire, conçu et à présent géré par Ecoteclab. Le Molab sillonne le pays pour donner des formations et des ateliers aux publics jeunes. Un bus conçu pour se déplacer dans les écoles et faire le lien entre connaissances théoriques et fabrication de prototypes, et faire découvrir les compétences que l’on peut développer avec le numérique.

« Notre but est d’inciter les jeunes à devenir des makers et des inventeurs. Pour y parvenir, on leur donne des exemples concrets d’innovateurs sur la scène togolaise : comme le Foufoumix. Une machine pour piler le foufou, le plat national togolais fabriqué à partir d’igname pilé, inventée par le Togolais Jules Minsob Logou il y a dix ans, après avoir observé les femmes de sa famille s’épuiser à la tâche. Souvent on va dans des villages où les écoles n’ont pas de bâtiments en dur, ça fait trois ans que le Molab circule, et ce, dans toutes les régions du Togo, même dans des endroits privés d’électricité. »

Ousia et ses visières. Photo: D.R.

La réponse des makers togolais à la Covid-19

Au début de la crise du Covid, Ousia s’est rapproché d’autres makers et en particulier du nouveau makerspace de l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Lomé et ils ont réfléchi à la manière de trouver des solutions à la pandémie. Ils ont d’abord commencé à produire des visières. Puis ils ont imaginé un respirateur. Ils ont alors créé un premier prototype, mais comme c’est un équipement médical il a fallu passer par toute une série de validations. « Pour nous, le plus important c’est que les gens comprennent ce que peuvent apporter les makers à la communauté. Quand on parle de robot, d’imprimantes 3D, les gens ne voient pas concrètement ce que l’on peut apporter, mais quand la crise est venue, les gens ont compris qu’on pouvait produire des choses localement, qu’on pouvait être utiles. »

Je retrouve Ousia à la Case des Daltons dans le cadre de Kantata, un projet de mémoire virtuelle de l’art vivant togolais initié lors du hackathon #touscontrecorona, une initiative privée qui a ensuite été portée par le gouvernement et la GIZ (l’agence de coopération internationale allemande pour le développement, NDLR). La Case se prépare en effet à accueillir un réseau local Raspberry Pi qui permettra aux artistes de se rencontrer afin de produire et de diffuser leurs contenus numériques.

Pour pouvoir respecter les gestes barrière, on nous incite à utiliser un lavabo mobile intégré à une poubelle jaune. Muni d’un capteur à infra-rouge, ce « lavabo intelligent » a été conçu chez lui par un jeune maker de 19 ans, étudiant en mécanique : Kokou Sitsope Sekpona. Il n’en est pas à sa première invention puisque il est en train de finaliser un générateur capable de fonctionner de manière autonome à l’énergie solaire, afin d’équiper en électricité les villages, même les plus reculés.

Les makers sont nombreux, le Togo peut s’en enorgueillir ! Je suis à présent sur le départ du Togo, dans l’attente de la réouverture de l’aéroport de Lomé, dans l’espoir de pouvoir reprendre mon tour du monde là où j’avais été arrêtée par la pandémie, avec si j’y parviens comme prochaine destination : le Kenya.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

Retrouvez la première partie de la correspondance d’Isabelle Arvers au Togo.

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

exposition digitale au Togo

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, correspondance en deux parties depuis Lomé.

Marché de Gbossimé. Photo: D.R.

En 20 ans de pratique de commissariat art et jeu vidéo, j’ai beaucoup travaillé en Europe, au Canada, aux États-Unis ou en Australie et la plupart du temps, j’ai présenté des œuvres ou des jeux provenant de pays occidentaux. C’est de ce constat qu’est né mon Tour du Monde Art et Jeu Vidéo, initié en juin 2019. De la nécessité de décentrer mon point de vue en tant que commissaire d’exposition et de dépasser les barrières de langage qui empêchent bien souvent la rencontre et la découverte avec des œuvres non traduites en anglais ou en français.

C’est pourquoi j’ai décidé de partir à la rencontre et d’interviewer des artistes et des game makers, mais aussi des activistes en me focalisant sur les pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle au monde et façonne notre manière de percevoir le réel. L’émancipation des femmes, des personnes transgenres et des populations issues de pays anciennement coloniaux est encore jeune et se révèle fragile. C’est pourquoi j’ai décidé de promouvoir et d’encourager les pratiques luttant contre les stéréotypes de genre, de sexualité, d’origine ethnique ou de représentation centrées sur l’Occident.

« Protégeons nous! », un machinima de Roger Agbadji. Photo: © Roger Agbadji

J’étais au Ghana en train de poursuivre mon tour du monde art et jeu vidéo lorsque la pandémie a poussé la plupart des états à fermer leurs frontières. J’avais le choix entre être rapatriée en France, ou rester en Afrique. J’ai alors fait le pari de rester et de passer au Togo, juste avant que le Ghana ne ferme ses frontières terrestres. Depuis le mois de mars, je réside à Lomé. Le Togo, quoi qu’assez peu touché par le Coronavirus a très rapidement imposé un couvre-feu de 20h à 6h du matin, fermé ses routes principales et ses frontières. Les écoles ont été fermées et le port du masque rendu obligatoire.

D’abord un peu dans l’expectative par rapport à mon tour du monde qui de fait, se trouvait à l’arrêt et perdait de son sens en temps de pandémie, je me suis tout doucement remise à réaliser des interviews d’acteurs et d’actrices du numérique ou du jeu vidéo, mais cette fois-ci en ligne. Cette nouvelle impulsion a été initiée par l’Institut français du Togo qui m’a commandé plusieurs portraits vidéo de game designers en Afrique. C’est ainsi que j’ai interviewé en ligne Sename Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue de formation, car j’avais entendu parler de l’exposition « Lomé + » dont il est le commissaire et d’un jeu en réalité augmentée conçu à cette occasion.

« LOMÉ + », une exposition digitale pour découvrir Lomé au passé, présent et au futur

« Lomé + » est une exposition qui devrait ouvrir prochainement ses portes au Palais de Lomé, la date de réouverture dépendant de l’évolution de la pandémie. C’est un projet digital pour présenter la ville de Lomé depuis ses origines, mais aussi pour donner une vison de ce que Lomé pourrait être demain. Dans « Lomé + », la section jeune public se présente sous la forme d’une installation immersive à l’intérieur d’une alcôve : la Grotte de Paul Ahyi. « Le plus grand artiste que ce pays ait jamais produit, auteur du monument sur la place de l’indépendance à Lomé, du drapeau togolais et d’œuvres qui ornent les hôtels les plus prestigieux de la ville. Il est donc possible de concevoir un parcours dans la ville pour suivre le travail de l’artiste et on en a fait un jeu pour les enfants. »

L’histoire du jeu tourne autour d’un amoureux de l’œuvre de Paul Ahyi, qui aime tellement son travail qu’il fait le tour de la ville pour voler un fragment de chacune de ses œuvres afin de reconstituer une mini exposition à l’intérieur d’une grotte. Au mur de la grotte sont accrochés les fragments de chacune des œuvres. Lorsque l’on rentre dans la grotte munie d’une tablette, on doit retrouver les fragments et les assembler avec les bonnes œuvres. Et quand on y parvient, l’œuvre elle-même apparaît en réalité augmentée sur l’écran. La grotte de Paul Ahyi a été réalisée avec Pierrick Chahbi qui a fondé Wakatoon, une start-up française qui transforme un coloriage en dessin animé et le Woelab.

« Le Baiser » de Paul Ahyi à l’Hôtel de la Paix à Lomé. Photo: D.R.

Dans le parcours de « Lomé + » on passe par le passé, le présent et le futur de la ville de Lomé au travers de QRode. Il n’y a aucun texte dans l’exposition, il est obligatoire d’avoir un téléphone. Lorsque l’on rentre dans l’exposition, la première œuvre est une installation de fibres végétales au sol, en alotime, l’arbre avec lequel on fait les cure-dents, et dont le nom a donné celui de la ville de Lomé. « On rentre dans l’expo et immédiatement on a l’impression de marcher dans une forêt. » Une commande faite à l’artiste Kokou Nouwavi, artiste plasticien et responsable de la Case des Daltons. Un lieu atypique à Lomé, où sont organisés des concerts, des expositions, des rencontres. Un lieu conçu comme un village, un village dans la ville. Parce que comme le dit souvent Sename, le village, ça marche, il y a une cohésion et une entraide qui n’existent pas dans la ville.

La case des Daltons. Photo: D.R.

Le présent est illustré par la fresque documentaire en 6 chapitres commandée à l’artiste réalisateur et rappeur Elom 20ce, Aux Impossibles Imminents. Chaque vidéo suit une des figures de la ville et nous raconte son histoire. « C’est un prétexte pour montrer la ville, l’expliquer et en faire connaître des aspects méconnus. La vidéo consacrée à l’artiste musicienne Kezita se passe beaucoup sur la plage et c’est une manière pour nous de parler de l’érosion côtière, des enfants de la rue, des femmes qui dorment sur la plage la nuit parce qu’elles viennent travailler depuis les villages et ne rentrent chez elles que le weekend.»

L’exposition se termine avec les photos de Silvia Rosi, photographe togolaise, basée à Londres, autour du « Sihin », le mot Ewe pour l’anneau de tissu que les femmes porteuses mettent sur leur tête afin de la protéger et de stabiliser la charge. « Ma grand-mère était vendeuse au marché d’Assigame à Lomé. Après avoir perdu la vue à la fin de la quarantaine, elle a été forcée de quitter le métier. J’adore regarder son Sihin », confie la photographe.

Lomé une cité féminine

Cela permet de parler des femmes, qui sont une des caractéristiques de la ville, car Lomé est une des seules villes en Afrique où il y a plus de femmes que d’hommes. La ville de Lomé a même été fondée par des femmes : les nanas Benz, ces femmes d’affaires togolaises qui ont fait fortune avec la distribution du Wax dans toute l’Afrique. Ces femmes ont joué un grand rôle à plusieurs moments de l’histoire de Lomé. « Une ville construite par les femmes, politiquement, économiquement… » rappelle Sename.

Séname présente aussi dans l’exposition une installation où il met en scène ce qu’il imagine pour le futur de la ville. « C’est une mise en espace de ce qu’on fait à Lomé avec les Woelabs. Notre tentative de bricoler la smart cité en créant des lieux d’innovation qui transforment la ville . » C’est sa première exposition en tant que commissaire qui lui a été commandée en raison de son engagement dans les Woelabs. Pour cette exposition, le Woelab a développé l’application de navigation dans l’exposition, ainsi que le jeu en Réalité Augmentée. Il s’avère, en effet, qu’en interviewant Sename, c’est tout l’éco-système numérique du Togo que je découvre.

Un écosystème fondé au départ sur une vision forte. Celle d’un territoire connecté, prenant le contre-pied de la smart cité traditionnelle qui se développe souvent dans une logique utilitariste, et en dépit des populations. Ici il s’agit au contraire de créer des espaces d’innovations à l’échelle des quartiers dans un esprit de « démocratie technologique ». Pour mieux appréhender le projet des Woelabs et entrer en contact avec l’éco-système numérique Togolais, en temps de coronavirus, je me suis rendue dans un des espaces, le Woelab 0, situé entre un marché et le ghetto, proche d’une déchetterie à ciel ouvert et en bordure de rails de chemin de fer. C’est mon immersion à l’intérieur des fablabs à Lomé que je vous ferai découvrir dans une seconde partie de cette chronique.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

En ces temps de déconfinement tous azimuts, l’association MCD produit deux stages de création numérique à destination des 11 / 17 ans accompagnés par les structures sociales de l’arrondissement. Produites grâce au soutien de la Mairie de Paris dans le cadre du dispositif Ville Vie Vacances et la Mairie du 10e arrondissement de Paris, en partenariat avec Emmaüs Solidarité et Colombbus, ces actions ont pour objectif de proposer des temps collectifs et présentiels au sein du 10e arrondissement de Paris.

 

Vélo Badaboum

Mené en partenariat avec Emmaüs Solidarité, Vélo Badaboum s’inscrit dans le prolongement des ateliers LabOTrucs de MCD animés par l’artiste-enseignant Julien Levesque. Ce stage propose une approche créative et ludique de fabrication additive et numérique, permettant aux participants d’appréhender la réparation et réutilisation d’objets et l’électronique de base (fonctionnement des capteurs et des moteurs…). Cette action s’est adressée à un groupe de 9 enfants accompagnés par les centres d’hébergement d’urgence d’Emmaüs Solidarité (Centre de Nancy, Centre Jouhaux, Centre Pereire). La réalisation issue de cet atelier vient compléter une collection d’objets, conçus et à venir, dans le cadre de la collaboration MCD/Emmaüs Solidarité, qui seront présentés lors d’un événement public à l’automne sous un format « kermesse » participative de la bidouille ! On ne vous en dit pas plus pour le moment !

Vélo Badaboum est un dispositif de course de vélos statiques, en équipe relai. Un compte-tours permet de gonfler un ballon selon la vitesse des coureurs. L’équipe avec le meilleur coup de pédale est la première a faire exploser son ballon !

PLAY 10

Produit par MCD en partenariat avec Colombbus, PLAY 10 propose aux enfants de s’approprier l’espace public en s’initiant aux techniques de reportage et de recherches documentaires, mises à profit dans la création de mini jeux vidéo. Le contenu de ce stage prend appui sur les expériences et dispositifs de médiation EnReportagePermanent (projet vidéo porté par SarahTaurinya aka Sarah Brown) et Declick (logiciel libre et plateforme d’apprentissage). L’action s’est tenue du 7 au 10 juillet, sur deux demies journées et 2 journées complètes. Nous y avons accueilli un groupe de 6 enfants accompagnés par le ClubTournesol sur la totalité de l’action, Ainsi qu’un groupe de 4 jeunes de l’Ajam sur une participation partielle.

Dans le cadre de ce stage un cours podcast sur l’histoire de lieux emblématique du 10e arrondissement a été enregistré avec les enfants participants, pour l’écouter c’est par ICI !

> Vélo Badaboum, les 6, 7 et 8 juillet de 14h00 à 17h00, au Transfo, 36 rue Jacques Louvel Tessier, 75010 Paris. Stage accessible sur inscription pour les jeunes de 11 à 17 ans accompagnés par Emmaus Solidarité.

> PLAY 10, du 7 au 10 juillet à Colombbus, 3 passage du Buisson Saint-Louis, 75010 Paris. Stage accessible sur inscription pour les jeunes de 11 à 17 ans accompagnés par des structures socio-culturelles du 10e arrondissement de Paris.

> Contact: coline@digitalmcd.com

retour sur Laval Virtual 2020

On vous l’avait annoncé il y a presque un mois déjà, le festival Laval Virtual s’est maintenu dans le virtuel, parachevant ainsi sa raison d’être. L’idée était de proposer autre chose que de simples diffusions et interventions plus ou moins heureuses sur les réseaux sociaux, dont on a été abreuvées jusqu’à la nausée durant le confinement…

Plus d’une semaine après la fin de cette édition 2020 très particulière, l’heure est donc au bilan. Et celui-ci est exceptionnel. Du 22 au 24 avril dernier, plus de 10000 avatars se sont retrouvés sur la plateforme dédiée pour participer à cet événement en assistant à des conférences, des rencontres professionnelles, des compétitions entre start-ups et à la remise des Awards couronnant des projets en VR. Rappelons aussi que l’exposition Corps Réel / Corps Virtuel regroupant une quinzaine d’œuvres reste visible dans l’Art&VR Gallery du RectoVRso jusqu’en vril 2010 !

Cet évènement fera date et, on l’espère, des émules enflammés… A priori, ce sera le cas pour l’édition 2020, du Burning Man également annulé pour cause de pandémie. Mais comme pour Laval Virtual, les festivaliers se retrouveront fin août sur une plateforme dédiée, baptisée Virtual Black Rock. Sans les contraintes physiques du désert du Nevada, ce grand carnaval freaks promet d’être encore plus délirant dans le multivers.

Cela prouve, si besoin était, qu’il y a bien de la vie dans le multiverse. De la mort aussi, comme on a pu en juger il y a peu avec la procession organisée par des joueurs de Final Fantasy XIV pour rendre hommage à une joueuse décédée des suites du coronavirus. Rompant avec l’action du jeu, les personnages des joueurs arborant des couleurs sombres et portant des ombrelles ont marché tranquillement de la cité d’Ul’dah jusqu’à l’Arbre Gardien, lieu symbole de ce monde virtuel s’il en est.

Laurent Diouf

Exposition Corps Réel / Corps Virtuel, jusqu’en avril 2021.
> https://rectovrso.laval-virtual.com/edition-virtuelle-2020/

Burning Man 2020, Virtual Black Rock
> https://burningman.typeform.com/to/aJQ7y9/

Biennale Nemo 2021

L’édition 2021 de Némo aura pour thème : Au-delà du réel ? Révéler l’invisible par l’art, la science et la technologie. La Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France poursuit ainsi son questionnement sur la création au regard des nouvelles technologies.

Comme le souligne la déclaration d’intention de cet événement, nombre d’artistes contemporains font œuvre de phénomènes astrophysiques, magnétiques, chimiques, nucléaires, mais aussi sociétaux, économiques, sociologiques par la manifestation de l’imperceptible et la production de nouvelles cartographies du « réel ». Se réinvente alors un art de l’infiniment petit ou de l’infiniment grand, celui qui tend l’oreille au bas bruit, aux signaux faibles et s’aventure en zones critiques. Celui qui s’augmente de géométries inédites, de datas satellitaires, d’analyse spectrale du son, de machine learning, de data-visualisation, de deep fake pour relire le réel (…). Au creux de l’invisible du monde réel jaillit alors l’inouï de nouvelles formes esthétiques, mais aussi une autre perception du monde qui nous entoure.

Si cette thématique vous inspire, vous avez jusqu’au 15 juin pour répondre à l’appel à projets international lancé par les organisateurs via un formulaire sur le site de la Biennale. Cela concerne aussi bien des installations d’art contemporain numérique, performances hybrides et musiques visuelles, que spectacles vivants utilisant les technologies numériques ou interrogeant notre société du tout numérique, projets « arts et sciences »Les projets peuvent être achevés et prêts à être diffusés, en cours de production, ou en pré-production. Ceux qui seront retenus bénéficieront d’une commande, d’une coproduction ou d’un achat de cession selon l’avancée de leurs productions et leurs possibilités de leur diffusion. À noter qu’une deuxième session aura lieu cet automne.

Infos: https://www.biennalenemo.fr/appel-a-projets-2021/

Recto VRso

Comme son nom l’indique, Laval Virtual est un festival basé en Mayenne, à Laval, qui est dédié à la réalité virtuelle et aux techniques immersives. C’est surtout, en cette année 2020 marquée par la pandémie du coronavirus Covid-19, un des rares festivals a être maintenu… virtuellement ! Signe des temps, le fameux Burning Man se déroulera aussi cette année dans les replis des multivers… Un mode opératoire qui s’impose, après coup, avec évidence. Si d’autres événements on choisi d’assurer une édition réduite sur les réseaux sociaux, comme Le Printemps de Bourges par exemple, Laval Virtual va au-delà en proposant une version complètement dématérialisée de sa programmation du 22 au 24 avril. Seul le parcours artistique qui était prévu dans différents lieux emblématiques de la ville a été annulé.

Pour faire vivre — et surtout pour vivre — cette manifestation à distance, les organisateurs ont créé une plateforme qui évoque Les Sims et les mondes désormais perdus de Second Life. Le protocole d’accès est simple. Sur inscription gratuite, les participants comme les festivaliers sont invités à télécharger une application qui permet de créer un avatar et ensuite de rejoindre, participer et réagir aux différentes propositions du festival ; que ce soit les conférences, la soirée de remise des Awards ou les rendez-vous d’affaires. Sans oublier les compétitions entre start-ups rassemblées sous l’intitulé ReVolution (la notion de compétition est-elle vraiment compatible avec l’idée de révolution, c’est aune autre question…). Cette saine émulation est divisée en trois catégories : #Startups (pour les start-ups technologiques), #Experiences (pour les studios de production qui ont créé un contenu cross-technologie) et #Research (pour les projets de recherche universitaire ou privée).

Concernant les conférenciers (chercheurs, créateurs, entrepreneurs, etc.), on note en particulier la présence de Suzanne Beer, Professeure de philosophie et enseignante en Arts Numériques à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée, qui vient juste de publier un essai intitulé Musées Virtuels et Réalités Muséales (L’Harmattan, mars 2020). La remise des awards qui distinguent des projets en réalité virtuelle ou augmentée, axés sur des problématiques industrielles, commerciales ou de formation, se tiendra également dans les mêmes conditions.

Sigrid Coggings, Serial portrait VR. Photo: D.R.

L’exposition Corps réel – Corps virtuel qui rassemble une quinzaine d’œuvres sera visible dans le labyrinthe d’une galerie tridimensionnelle. Sa version physique, IRL, est reportée à l’année prochaine. Et finalement ces circonstances donnent corps, si l’on ose dire, à la déclaration d’intention et aux interrogations portées par les artistes : Les paradoxes et les explorations propres au virtuel… Les disparitions imaginées du corps… La perception et les illusions multisensorielles… La place du corps au sein de la réalité virtuelle ou mixte ? Quelles hybridations possibles entre le corps réel et le corps virtuel ?

Mélodie Mousset & Eduardo Fouilloux, Jellyfish always cared. Photo: D.R.

Parmi les artistes de cette édition singulière, on mentionnera Isobel Knowles & Van Sowerwine et leur film à 360 degrés en stop-motion sur les tribulations d’un chauffeur de taxi émigré en Australie (Passenger), la compagnie K.Dance qui continue d’expérimenter de nouvelles pistes chorégraphiques (RCO remixed), Sigrid Coggings et ses portraits « modern style » (Serial portrait VR), Coco team et son univers aquatique (Sharky Sharky), Neon Minuit et sa constellation de points qui dessinent un monde en construction/déconstruction permanente (Heterotopia), Mélodie Mousset & Eduardo Fouilloux qui nous plongent dans les entrailles de l’inconscient en suivant les ondulations hypnotiques de méduses aux couleurs chatoyantes (Jellyfish always cared)…

Laurent Diouf

Laval Virtual, sur inscription gratuite, du 22 au 24 avril 2020
> https://www.laval-virtual.com/fr/accueil/
> https://rectovrso.laval-virtual.com/edition-virtuelle-2020/

Cosmogonie

Cette 8ème édition du festival Mirage dédié à l’art, à l’innovation et aux cultures numériques, est placée sous le signe de la Cosmogonie. Derrière ce terme, que l’on raccorde plus volontiers à la conception de l’univers des civilisations disparues, se cache une programmation qui fait la part belle à l’imaginaire spatial et à notre futur proche au travers d’un parcours d’exposition, des rencontres et des performances.

Flavien Théry, Jean-Pierre contemplant le trou noir. Photo: D.R.

En phase avec cette thématique, parmi les artistes invités cette année, on retrouve Flavien Théry qui nous propose d’écouter les étoiles au travers de son installation Messenger, de faire une exploration sonore de la surface martienne à défaut de pouvoir y aller physiquement (Sound reveries of trips we won’t go), mais aussi de « voir » un trou noir sous la forme d’une tapisserie stéréoscopique en écho à la première représentation informatique de cet objet céleste énigmatique réalisé par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet (Jean-Pierre contemplant le trou noir).

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand sont aussi fascinés par les trous noirs. Avec Orbiheron, ils recréent un vortex en jouant sur des effets d’optiques dans un bassin rempli d’eau, matérialisant ainsi les aberrations lumineuses et physiques observables aux abords de ces monstres cosmiques. Le duo d’artistes présente également Hydrogeny, une installation qui déploie les volutes des irisations colorées de l’hydrogène grâce à un système d’électrolyse.

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand, Orbiheron. Photo: D.R.

Avec Soleil Noir, Barthélemy Antoine-Loeff rend visibles les éruptions solaires dont les panaches débordent la circonférence de notre astre, masqué par un cache. Mais c’est aussi une « allégorie énergétique » qui pointe la démesure des ressources dont nous avons désormais besoin pour alimenter nos serveurs et autres data centers. Le collectif Berlinois Quadrature est également à l’écoute de l’espace avec une mécanique disposée en arc de cercle qui retrace, en temps réel via une antenne, les vibrations des confins de l’univers (Noise Signal Silence)

La réalité virtuelle est également au programme avec des projections comme Nachtspiel de Robert Müller & Christophe Merkle, Fluido.obj de Joaquina Salgado, Quantum de Kylan Luginbühl, et Cosmorider de Pierre-Emmanuel Le Goff : cinq petites minutes intenses qui permettent de vivre l’expérience de l’aventure spatiale de Thomas Pesquet. À noter un bel aperçu de nombreuses œuvres réalisées par des étudiants issus d’écoles de design. En parallèle, des « ateliers vidéo & cratères d’impact », une visite commentée et le spectacle interactif, entre théâtre et jeu vidéo, librement inspiré du roman Loterie solaire de Philip K. Dick, de Mathilde Gentil (GOSH Cie), témoignent d’une ouverture en direction d’un public familial.

Laboratoire de rencontres, le Mirage Creative+ regroupe une série de conférences et tables rondes. Ainsi, le rendez-vous de l’Institut Français met son expertise au service des artistes et acteurs du numérique qui souhaitent lancer ou renforcer leurs présences et perspectives à l’étranger en les aidant à mieux comprendre les étapes d’un développement d’activité à l’échelle internationale. Des discussions réuniront notamment Tom Higham (directeur créatif de Mediale), Kristina Mairere (productrice des expositions Ars Electronica), Cléo Sallis-Parchet (coordinatrice InterAccess) et Luis Fernandez (curateur Gnration) qui partageront leurs expériences et exposeront leurs projets. En correspondance avec la thématique de cette édition, un débat art / science intitulé Quitter la planète bleue ?, modéré par Maxence Grugier, fera intervenir Annick Bureaud (Léonardo OLATS), Barthélemey Antoine-Loeff, Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand et Simon Meyer (Planétarium) sur l’espace infini de l’horizon spatial en art.

À ne pas manquer deux performances audio-visuelles le vendredi 13 (ta ta tam…). D’une part Sédiments de Pierce Warnecke & Clément Édouard. Une proposition qui combine l’image, le son — dense et vibratile — et le minéral. Rarement utilisées dans ce genre de dispositifs, des pierres sont soumises à des impulsions lumineuses et aux oscillations de hauts parleurs tandis que leurs images fragmentées nous arrivent par flashs. D’autre part, MA de Maxime Houot (Collectif Coin) qui orchestre un véritable ballet de projecteurs. Leurs rayons lumineux dessinant des entrecroisements qui se détachent dans le noir et dont le mouvement est souligné par des nappes inquiétantes et quelques bleeps…

En clôture du festival, on se laissera porter jusqu’au petit matin par les excursions rythmiques de Somaticae, les ambiances disloquées, à la fois tribales et expérimentales de Zoë McPherson dans la lignée de son tout nouvel album States Of Fugue, les dérives dub-indus / dark-ambient d’Ossia, et le dancehall trafiqué de Warzou…

Laurent Diouf

Mirage Festival, 8e édition, Cosmogonie, du 11 au 15 mars, Les Subsistances, Lyon
> https://www.miragefestival.com/

Ce que les machines nous apprennent

Une révolution copernicienne… C’est ce à quoi nous invitent en substance les commissaires de l’exposition Human Learning, Alain Thibaut (Elektra) et Dominique Moulon. Avec un constat : depuis les années 50s avec l’émergence de la notion d’Intelligence Artificielle, jusqu’aux années 2000 avec le développement du deep learning, qui arrive après celui du machine learning dans les années 80s, nous nous rapprochons de la toute-puissance des machines promises à « penser » et à agir de manière autonome.

Nous n’y sommes pas encore, mais ce n’est plus de la science-fiction : c’est devenu un objectif tangible pour l’industrie dans de nombreux domaines. Sans verser prématurément dans une dystopie à la Terminator, on peut néanmoins considérer que le mal est fait… Et en retour, s’interroger sur ce que les machines peuvent désormais nous apprendre. Sur ce plan, les artistes (mais ce ne sont pas les seuls) ont appris à utiliser, à détourner, parfois à regarder agir ou à transfigurer les technologies du numérique. Démonstration au travers de cette exposition qui rassemble une quinzaine d’œuvres singulières.

Justine Emard, Soul Shift. Photo: D.R.

Le dialogue qui se développe entre robots humanoïdes sur écran géant est à cet égard assez troublant. Soul Shift (2019) de Justine Emard nous présente ainsi un monde où l’homme est hors boucle. Les machines se sont déjà affranchies de l’aventure humaine pour vivre selon leurs propres codes. Elles découvrent l’empathie et l’altérité « duplicable ». Nous ne pouvons que les regarder. Et apprendre justement… Autre histoire de robot, anthropomorphique, moins sophistiqué sur le plan technologique, mais tout aussi riche d’enseignements symboliques, avec les pérégrinations de Chun Hua Catherine Dong (In Transition, 2018). L’           artiste met en scène ce robot comme un compagnon de voyage au long cours en le photographiant dans des mises en scène étonnantes par leur banalité apparente (sur le bord d’une route, en haut d’une dune de sable, dans un champ…).

Louis-Philippe Rondeau, Liminal. Photo: D.R.

L’installation la plus ludique est sans conteste Liminal (2018) de Louis-Philippe Rondeau. C’est un arc métallique qui renferme un dispositif de caméra couplé à un effet déformant. Le visiteur est invité a passé sous cette arche et voit son image déformée qui défile sur écran, comme son double projeté dans une autre dimension. Samuel St-Aubin mise sur la précision des gestes mécaniques avec son installation robotique Prospérité (2017). Reprenant le principe d’une table traçante, ce dispositif ordonne inlassablement des grains de riz avec une perfection géométrique. Le spectateur observe patiemment l’alignement implacable de ces petits points blancs sur fond noir.

Samuel St-Aubin, Prospérité. Photo: D.R.

Matthew Biederman préfère les couleurs vives avec Interference (2018). Son installation lumineuse générative ressemble, de loin, à un entrecroisement de néons. Mais l’entrelacs des couleurs qui ondulent suggère un dispositif beaucoup plus complexe. Réalisée dans le cadre d’une résidence, cette œuvre s’inspire de l’expérience de la « double fente » que Thomas Young a menée en 1801 pour démontrer la nature ondulatoire de la lumière. Beaucoup de couleurs également dans Morphogenerator (2018), une autre installation vidéo, générative et multicanal, de Matthew Biederman qui se réfère ici aux travaux d’Alan Turing sur le phénomène de morphogénèse. Sur les écrans, les motifs colorés se mélangent comme sous l’effet d’un kaléidoscope et se combinent dans des articulations sans fin au pouvoir hypnotique.

Matthew Biederman, Interference. Photo: D.R.

Grégory Chatonsky s’appuie pour sa part sur les études d’Adam Schneider et William Domhoff. Ces chercheurs à l’Université de Californie ont consigné près de 20000 rêves en faisant appel à des témoignages. L’idée est d’associer ces récits à des images mises à disposition dans une base de données et dans laquelle une Intelligence Artificielle va puiser pour générer à son tour des rêves… L’installation The Dreaming Machine (2014-2019) en offrant une sorte de « précipité multimédia » d’où émergent sculptures et vidéos. D’autres illustrations de cet apprentissage par les machines sont également à découvrir au travers des œuvres de Xavier Snelgrove & Mattie Tesfaldet, Émilie Brout & Maxime Marion, Olivier Ratsi, Sabrina Ratté, David Rokeby, Skawennati, Douglas Coupland et Émilie Gervais.

Laurent Diouf

Human Learning, exposition jusqu’au 17 avril, Centre Culturel Canadien, Paris
> https://canada-culture.org/

Les intelligences simulées

Exposition dans le cadre de Mutations / Créations 4 (Centre Pompidou + Ircam). Mise en perspective des créations les plus contemporaines, innovations technologiques comme applications industrielles, dans une forme d’archéologie de l’intelligence artificielle, sur une période d’une cinquantaine d’années. Commissaire : Frédéric Migayrou, avec la collaboration de Camille Langlois. Déclaration d’intention :

Greg Dunn, Self Reflected, 2016. Photo : D.R.

À l’heure où l’intelligence artificielle s’étend à tous les domaines du monde contemporain, le Centre Pompidou propose pour la première fois, avec Neurones, les intelligences simulées, une mise en relation de ce phénomène avec l’histoire des neurosciences et de la neuro-computation.
L’exposition déploie cinq grands axes de recherche, chacun présenté et défini par des champs de références historiques sous forme de graphes permettant la mise en correspondance chronologique des innovations et des créations. Le parcours s’amorce avec les représentations et les images qui constituent l’imaginaire collectif de la vie cérébrale, en les opposant à la recherche dans le champ de l’imagerie numérique et à l’idée d’un cerveau artificiel.
Un deuxième chapitre met en exergue l’intérêt constant des fondateurs du domaine computationnel pour les jeux, jusqu’à l’expérience ultime de la confrontation homme / ordinateur à travers la défaite du joueur d’échecs Kasparov face au logiciel Deep Blue.
Plus loin, un cyber-zoo abrite les tortues électroniques de Walter Ross Ashby et de Grey Walter, la souris de Shannon et le renard électronique d’Albert Ducrocq, présentés comme les ancêtres des objets pilotes et de la voiture autonome. Une section est consacrée aux investigations neuroscientifiques, touchant aux fantasmes de la manipulation des consciences et de l’extension des capacités cognitives.
Enfin, la dernière partie s’intéresse au phénomène de Deep Learning, soit le traitement de très grandes quantités d’informations par de nouveaux types de réseaux neuronaux, en relation avec une archéologie des arbres et des schémas, des classifications ayant à toute époque organisé nos compréhensions du savoir et des connaissances.

> du 26 février au 20 avril, Centre Pompidou, Paris
> https://www.centrepompidou.fr/

Biennale Arts Sciences

Spectacles, conférences, ateliers, installations, lectures, déambulations, performances… La biennale Experimenta ouvre ses portes dans quelques heures à Grenoble pour une dizaine de jours consacrés à des créations et réflexions qui associent artistes, ingénieurs et scientifiques. Cette dixième édition explore le futur au travers de thématiques liées à l’intelligence artificielle (ou Informatique avancée, terme préféré par les organisateurs), à la virtualité et, bien sûr, à la science-fiction. Colloque sur le dérèglement climatique, journées d’informatique théâtrale, lectures immersives, jeu vidéo expérimental et installations interactives : aperçu d’une programmation transdisciplinaire.

Yann Nguema, Soleidoscope. Photo: D.R.

Parmi les nombreuses propositions artistiques de l’édition 2020 d’Experimenta, on retient notamment le projet P.R.I.S.M de Yann Nguema (Ezekiel) qui fait suite à des résidences à l’Atelier Arts Sciences. C’est une série de dispositifs qui « malmènent » des images en jouant sur des matières, sur la lumière et des phénomènes optiques. Le projet final en comptera huit. En attendant, trois installations interactives — Soleidoscope, Anato-Me, Starta — avec lesquelles le public peut « jouer » sont présentées à la biennale. Avec Tristan Ménez, et son installation cinétique Bloom, c’est l’eau qui est le matériau principal et le vecteur des sons et transformations visuelles. Le mécanisme rendu invisible par un système stroboscopique, le liquide semble alors comme suspendu dans le vide et oscille au gré des vibrations de basses et des modulations de nappes symphoniques.

De nouvelles techniques et procédés conçus pour le spectacle vivant seront aussi dévoilés. Comme des agrès électromagnétiques qui permettent de déjouer la gravité pour les acrobates du cirque contemporain à la recherche d’autres dimensions. Démonstration avec , une performance conçue et mise en scène par Simon Carrot. Dans un autre genre, Rocio Berenguer et son équipe utilise le champ magnétique comme fil conducteur pour sa fiction post-anthropocène déclinée en trois volets : spectacle de danse-théâtre (G5), performance (Cœxistence) et installation (Lithosys). Dans un futur proche, l’idée est donc de se servir du champ magnétique et des roches aimantées de la croûte terrestre pour établir une tentative de dialogue entre humains et non-humains (animaux, robots, plantes, intelligence artificielle…). Pour prolonger cette narration, chaque participant sera invité à coder et enregistrer son message sur de la magnétite. L’installation Lithosys, véritable système de communication inter-espèces / intra-vivants se chargeant de répercuter les missives sur le réseau magnétique terrestre.

Le dialogue entre machines, ou plus exactement entre petits modules cubiques, est à l’ordre du jour avec Reactive Matter de Scenocosme (Grégory Lasserre & Anaïs Met Den Ancxt). Un assemblage de 120 cubes aimantés, équipés de plusieurs capteurs gyroscopiques et de microphones qui leur permettent de réagir au toucher et au bruit, et de transmettre des données informatiques à leurs voisins. Enchâssés dans une enveloppe transparente qui se déploie comme un rhizome, ces Blinky Blocks émettent en retour de la lumière colorée et du son. On retrouvera aussi le bras robotique que Filipe Vilas-Boas a condamné, comme un enfant puni à l’école, à écrire indéfiniment la phrase « I must not hurt humans » (The Punishment)

Le studio Théoriz nous permettra de tester Unstable, une expérience en réalité virtuelle à vivre sur une balançoire… À expérimenter également, la re-lecture immersive, avec casque VR, d’Alice aux pays des merveilles par le collectif Or NOrmes (Lili Alix Wonderlands). Autre expérience troublante : Catched. Le spectateur contemplera son double numérique au travers d’un portrait re-dessiné par les données personnelles et les mots des échanges qu’il disperse sur les réseaux sociaux. Anna Ridler s’interrogera sur le Bitcoin et les modalités de spéculation autour de cette fameuse crypto-monnaie (Mosaic Virus). Mentionnons aussi le monologue immobile de Thierry Fournier ou les doutes existentiels d’une intelligence artificielle chargée de surveiller une plage (Penser voir)…

Ezra et la compagnie Organic Orchestra présenteront une performance poétique sonore et visuelle, ONIRI 2070. Une fiction itinérante autour d’un archipel fantastique, prétexte à un voyage sans cesse renouvelé où se mêlent atmosphères végétales, lumineuses ou glaciales et scènes de désert, de tempête ou d’abysses. Mêlant matière concrète et univers abstrait, la vidéo et la musique qui accompagnent ce récit sont réalisées en direct. Les objets, les machines et manipulations qui produisent la matière du spectacle sont exposés à la vue de tous. Avec une prouesse technique à la clef : le matériel du spectacle est compact, léger, transportable en vélo et doté d’un dispositif autonome qui doit permettre de jouer une heure, dans des endroits insolites sans dépasser 1kWh d’énergie.

Enfin, une dizaine de tables rondes nous invite phosphorer sur des sujets aussi variés que les « Algorythmes poétiques » (Quelle place accorder à l’expérience sensible, au rêve et à la poésie dans les outils informatiques ? Quelles nouvelles formes de narration permettent-ils d’inventer ?) ; le « Réchauffement artistique ! » (Comment création et production artistique tiennent compte des enjeux environnementaux ?) ; ou bien encore « Imaginaire des artistes et informatique avancée » (Longtemps protagoniste des ouvrages de science-fiction, tant dystopiques qu’utopiques, l’IA est depuis longtemps pensée par les artistes. Comment s’en emparent-ils ? Comment modifie-t-elle leur regard et façonne-t-elle leur travail ? Quelles nouvelles techniques, approches, outils, démarches artistiques en découlent ?). À noter quelques conférences sur lesquelles planera l’ombre de la science-fiction : « Souriez vous êtes filmés » (avec Alain Damasio + Félix Treguer / La Quadrature du Net), « S’organiser avec l’Intelligence Artificielle » (avec Catherine Dufour, Norbert Merjagnan).

Laurent Diouf

Experimenta, Biennale Arts Sciences du 11 au 21 février, Grenoble
> http://www.experimenta.fr