retour sur la 13e édition

Le véritable coup d’envoi de la 13ème édition de la Fête de l’Anim, qui s’est tenue du 31 mars au 2 avril, a eu lieu le vendredi soir place de l’Opéra à Lille. Devant un public renouvelé tout au long de la soirée, des clowns et tout un bestiaire s’agitaient sur la façade néo-classique du bâtiment. Le thème du cirque choisi pour ce mapping, diffusé en boucle jusqu’à minuit, se prêtait bien à toute une série de tableaux animés et colorés sur la pierre et les colonnes de l’édifice. On saluera la prouesse étant donné le timing : seulement 4 jours pour finaliser cette création qui a réuni une cinquantaine d’étudiants sous la houlette de Samy Barras, Ludovic Burcyzkowski et Tamas Zador.

Le vidéo-mapping est désormais une pratique artistique reconnue, présente dans de nombreux événements et festivals. Mais se pose la question : en quoi le vidéo-mapping entre-t-il dans le champ de l’écriture du film d’animation ? Pour essayer d’y répondre, une table ronde organisée en collaboration avec la NEF (Nouvelles Écritures pour le Film d’animation) réunissait des artistes, chercheurs et réalisateurs (Marie-Anne Fontenier, Mo Assem, Ludovic Burcyzkowski, Sébastien Denis, Domenico Spano, Maxime Thiébault). L’occasion de mettre en perspective les ressorts de ce type de création, d’en souligner certaines filiations historiques (voire pré-technologiques), d’en montrer les évolutions, de s’interroger sur la problématique du cadre et du support de diffusion qui caractérise le vidéo-mapping.

Table ronde « Vidéo mapping » en collaboration avec la NEF animation, à l’Hybride à Lille. Photo: D.R.

En ouverture, d’autres rencontres permettaient de comprendre le protocole et les techniques de création, les réalisations et les projets de quatre studios européens : Outro, Nexus, Talking Animals et nWave, qui œuvrent chacun dans des styles bien différents. Ce Focus Visual Design était organisé au sein de la Serre Numérique à Valenciennes — pépinière d’entreprises qui héberge aussi 3 écoles spécialisées dans l’animation, le jeu vidéo et le design industriel (Supinfocom, Supinfogame et l’ISD, Institut Supérieur de Design). Moins technique, mais d’autant plus passionnantes, les Masterclasses offraient également un moment de rencontre privilégié avec des réalisateurs de renom, comme Michael Dudok de Wit — dont le film La Tortue rouge était projeté à la Maison Folie Moulins. Une histoire de solitude, d’oubli et de prison à ciel ouvert, dans un lieu vide : celle d’un naufragé sur île déserte qui trouve sa robinsonne en la personne d’une tortue qui se métamorphose en nymphe… Primée notamment à Cannes (prix spécial dans le cadre d’Un Certain Regard), La Tortue rouge repose sur un dessin et de l’animation classique, et une narration qui fait l’économie de tout dialogue.

Réalisateur phare de l’animation made in France, Jean-François Laguionie a conçu ses premiers courts métrages (La demoiselle et le Violoncelliste, Une bome par hasard…) avec l’aide de Paul Grimault (Le Roi et l’oiseau). Parue en 1979, La Traversée de l’Atlantique à la rame remporte plusieurs prix, dont la Palme d’or du court métrage à Cannes. Il a ensuite créé son propre studio, puis une société de création et production, La Fabrique, pour accompagner la réalisation de son premier long métrage, Gwen, le livre des sables. À l’occasion de la masterclasse qui lui était réservée, Jean-François Laguionie est revenu sur la genèse de son dernier long métrage en date, Louise en hiver, paru en 2016, et qui a bien sûr fait l’objet d’une projection lors de la Fête de l’Anim. C’est l’histoire d’une grand-mère oubliée dans une station balnéaire « fantôme », qui égrène ses souvenirs avec un chien comme seul compagnon qui lui donne la réplique en attendant le retour de la saison à venir avec ses plaisanciers et le train qu’elle a loupé… À ce propos, Jean-François Laguionie évoque sa mère comme source d’inspiration, même si ce récit intimiste n’est pas autobiographique. Il nous parle aussi de sa méthode de travail : les repérages pour les décors sur des lieux où il allait en vacances enfant, les dessins préparatoires, l’animatique qui servira ensuite de « chemin de fer » pour la mise en place de l’animation, le son et la musique, l’importance de la production, etc.

L’exposition conçue autour du studio d’animation Train Train était également très intéressante du point de vue de la conception de l’animation. Structurée autour des points clefs de la réalisation (storyboard, animatique, compositing, layout), cette expo nous donnait à voir de nombreux dessins, maquettes et extraits de films qui témoignaient aussi de la diversité des univers qui ont surgi de ce studio lillois. Un best-of de courts métrages — parmi lesquels Paix sur terre de Christophe Gérard, Sumo de Laurène Braibant, La Ferté, un cercueil de béton de Christine Tournadere & Gabriel Jacquet — exprimait une diversité des approches, du graphisme et de la narration. Ces différentes esthétiques et thématiques montraient, si besoin était, que l’animation n’est pas destinée uniquement à un jeune public, bien que nombre de productions restent orientées en ce sens. Et même dans ce domaine, beaucoup de choses de reste à faire : les ateliers pour enfants, expositions et projections que proposait la Fête de l’Anim montraient là aussi des créations singulières, bien loin des standards des programmes jeunesse et des chaînes dédiées.

Mais s’il fallait se convaincre du foisonnement créatif dont fait preuve l’animation en général, il suffisait de regarder les dizaines de films de fin d’études proposés dans le cadre du Best-of de plusieurs écoles d’animations européennes et asiatiques. Une collection impressionnante de courts métrages qui font appel à une multitude de techniques pour des rendus graphiques foisonnants. Impossible d’en isoler quelques-uns, ce n’était pas un concours et ce serait bien évidemment réducteur. Chaque petit film est un monde en soit — souvent un monde parallèle — qui déploie sa propre imagerie. Poétiques, comiques, érotiques ou satiriques : tous ces films sont comme un kaléidoscope de la création contemporaine où pointent déjà les grands réalisateurs de demain.

Si le format court domine la sélection du festival, quelques longs métrages étaient aussi projetés; dont certains inédits en salle comme The Anthem of the heart (en VF, Jun, La voix du cœur) de Tatsuyuki Nagai, qui fait preuve d’un peu trop de « sentimentalisme » à notre goût; en particulier à cause de la bande-son (violon, clavier, vocalises…) qui surligne une histoire déjà bien plombée (une lycéenne, accusée par ses parents d’être à l’origine de leur divorce, crée un réseau avec des congénères victimes, comme elle, de troubles émotionnels…). À rebours, Seoul Station du réalisateur coréen Yeon Sang-Ho ne fait pas de quartier si l’on ose dire : c’est une sombre et prenante histoire de zombies qui « préfigure » (un prequel, donc) son film Dernier train pour Busan sorti l’été dernier. On notera qu’il est assez rare qu’un réalisateur aborde aussi bien la fiction classique (en prises de vue réelles) que l’animation : Yeon Sang-Ho est également l’auteur de The King of Pigs paru en DVD et VOD l’hiver dernier et il travaille actuellement aux dernières touches de The Fake, son prochain film d’animation. Pour en revenir à Seoul Station, on signalera également que c’est une des rares réalisations à avoir une dimension socio-politique forte (les SDF victimes de préjugés, l’aveuglement totalitaire de l’état de siège, etc.).

Mais le long métrage le plus déjanté — et donc, celui que l’on plébiciste —était assurément Nerdland de Chris Prynoski. On y suit les tribulations passablement trash d’Elliot et John, un scénariste et comédien autoproclamés qui partent à l’assaut d’Hollywood en espérant accéder à la célébrité à laquelle ils rêvent pour leur trentième anniversaire. Après un premier plan voué à l’échec vu leur pedigree, ces loosers magnifiques enchaînent les combines et situations toutes plus foireuses les unes que les autres. Le tout dans une ambiance bien borderline et très colorée. Précision importante, le scénario de Nerdland a écrit par Andrew Kevin Walker (Seven, Sleepy Hollow). Pas sûr qu’il sorte un jour en salle : on ne peut que remercier l’équipe de la Fête de l’Anim pour cette initiative.

Laurent Diouf

> www.fete-anim.com

 

Le Vide Et La Lumière

Les installations d’Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand ont pris possession du Lieu Unique à Nantes. C’est leur première exposition personnelle en France. Et c’est un évènement en soit. Intitulée Le vide et la lumière, cette rétrospective est enrichie de deux créations. Si le public connaît déjà bien les œuvres de ce duo qui a eu l’occasion de présenter son travail en France lors des festivals Exit et VIA, par exemple, cette mise en perspective permet de mieux cerner leur démarche qui allie art et science.

Lorsque l’on pénètre dans la grande salle du Lieu Unique, il faut quelques instants avant que nos yeux s’habituent à l’obscurité. Au bout d’un moment, on distingue des dispositifs aux reflets bleutés qui brillent dans le noir, telles des bouées lumineuses vers lesquelles on se dirige comme aimanté. Au-dessus de nous flotte un maillage qui nous évoque la représentation géométrique de l’espace et de ses courbures sous l’effet d’anomalies gravitationnelles. Cet habillage est déployé par Cocky Eek et Theun Karelse, qui signent la scénographie de cette exposition, et renforce une sensation d’immersion, de plénitude.

En jouant sur les mots, comme nous le fait remarquer Evelina Domnitch, l’intitulé de l’exposition peut aussi renvoyer à une autre proposition : la vie de la lumière. Ou plutôt les manifestations de la vie au travers du cosmos, des interactions entre les lois et phénomènes physiques qui traversent l’univers et leurs répercussions sur l’organisation du vivant.

Une pièce comme Luminiferous Drift — réalisée en collaboration avec Jean-Marc Chomaz et Erik Werner, ainsi que Richard Chartier (label-manager de LINE) pour la bande-son — évoque ainsi les premières étapes de l’origine de la vie, lorsque les premières briques, les enzymes, baignent dans une soupe originelle et que le processus de photosynthèse se met en place sous l’effet conjugué de la lumière, de décharges électriques et d’échanges d’énergie.

Créée pour l’exposition, Ion Hole est une installation utilisant des spores lycopodes qui lévitent et s’agrègent pour former une sorte de cristal, dit de Coulomb, en vertu des lois de l’électrodynamique. Dans ce dispositif, ces spores sont soumises à des impulsions électriques et sont animées d’un mouvement de va-et-vient semblable à celui d’une respiration. Un laser scintillant permet de voir l’organisation de leur mouvement, un peu à la manière d’un stroboscope qui permet figer et découper toutes les phases de ces oscillations.

On a coutume de remarquer que la science dure manque de « magie », mais Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand réenchantent le monde de la physique des particules et de la biochimie « simplement » en faisant sortir les mystères cosmologiques et quantiques des laboratoires, en révélant (au sens photographique) les forces invisibles qui agissent sur l’infiniment petit comme l’infiniment grand au travers d’installations et performances qui nous hypnotisent.

Actuellement basés aux Pays-Bas, c’est une démarche qu’ils mènent depuis leur rencontre aux États-Unis, en 1998. Diplômée en philosophie (option phénoménologie), Evelina Domnitch est née à Minsk en 1972. Originaire de Saint Petersbourg où il a vu le jour en 1974, Dmitry Gelfand a pour sa part un BFA (Bachelor of Fine Arts) en cinéma/vidéo obtenu à l’Université de New York en 1996. Leurs installations, qui puisent directement à la source des recherches scientifiques, auprès d’instituts universitaires réputés, ont été plusieurs fois primées notamment à Ars Electronica et au Japan Media Arts Festival.

Si la lumière est centrale dans leur processus de création, l’élément liquide est également prépondérant. Ainsi en est-il de l’installation Hydrogeny qui offre la visualisation des réactions de l’hydrogène au contact d’une électrode et d’un rayon laser dans un aquarium rempli d’eau déminéralisée. Sous l’effet de cette électrolyse, des milliers de petites bulles remontent très lentement à la surface, traçant des volutes irisées et colorées comme des bulles de savon. Celles-ci sont visibles en coupe, comme un film au ralenti, au travers un raie de lumière qui balaye et découpe avec la précision d’un scalpel ces réactions chimiques.

De même avec Implosion Chamber, où ce sont cette fois des ultra-sons toujours combinés à un laser qui provoquent une réaction gazeuse qui brille de mille feux. Comme son titre l’indique, cette installation donne à voir les implosions d’une myriade de micro-bulles. On a l’impression d’observer une réaction nucléaire au fond d’une piscine de refroidissement. Et si l’eau agit comme révélateur des expériences, comme nous le fait remarquer Evelina Domnitch, la lumière, les champs électromagnétiques et le vide cosmique peuvent être aussi être considérer comme des flux, des fluides, qui se propagent sous forme d’ondes comme le théorisait déjà au XIXe siècle le physicien écossais James Clerk Maxwell.

Le souffle, l’éther, est encore un autre élément de cette mécanique des fluides. Avec Photonic Wind, Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand utilisent le phénomène de photophorèse pour animer, sous les impulsions bleutées d’un laser, de la poussière de diamant piégée dans une chambre à vide. Une illustration de ce qui se passe à l’échelle cosmique avec le « vent photonique »; ce tourbillon de poussière interstellaire mu par la lumière des étoiles et qui est à l’origine de la formation des planètes. Soit dit en passant, on retrouve le vent photonique comme système de propulsion possible pour des voyages aux tréfonds de l’espace tant dans la science-fiction qu’auprès de scientifiques illuminés…

L’air est également un des moteurs de Force Field. Cette performance, présentée ici dans sa version installation-vidéo spécialement créée pour cette exposition, permet au visiteur d’éprouver presque physiquement les champs de force cosmique à échelle réduite et d’un point de vue allégorique, bien évidemment. Concrètement, le spectateur passe sa tête dans un dôme en tissu (Non-locality) et visionne des gouttelettes en suspension qui interagissent, s’assemblent et se dissolvent, au gré d’une onde sonore. Avec l’effet grossissant de la projection, les mouvements générés évoquent ceux des corps célestes. Une sensation d’air pulsé et de résonnance renforçant cette mise en immersion.

Dans la lignée de cette exposition qui se prolonge jusqu’au 8 janvier, Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand participent à deux autres évènements qui reflètent également leur intérêt pour ces phénomènes cosmiques, et singulièrement la gravité. D’une part une exposition intitulée No Such Thing As Gravity qui se tient au FACT (Foundation for Art and Creative Technology), à Liverpool en Angleterre jusqu’au 5 février 2017, où ils présentent une pièce qui aurait pu figurer au Lieu Unique (Quantum Lattice). D’autre part, un projet de résidence autour du LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory). Piloté par le MIT et le Caltech, ce laboratoire est chargé de détecter les ondes gravitationnelles cosmiques (et leurs variations) telles que les avait prédits Einstein.

Mais le mieux, plutôt que de gloser sur les ressorts scientifiques parfois ardus de ces propositions artistiques, c’est de se confronter simplement aux œuvres, d’en éprouver l’esthétique et de développer ainsi notre propre « version » de la réalité, comme nous y invite Evelina Domnitch.

Laurent Diouf

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand, Le vide et la lumière, exposition jusqu’au 8 janvier 2017, entrée libre, Le Lieu Unique, Nantes. Infos: www.lelieuunique.com/site/2016/10/21/le-vide-et-la-lumiere/
Photos: © Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand

festival des arts multimédia

La douzième édition de Gamerz — festival des arts multimédia basé à Aix-en-Provence et porté par l’association M2F / Lab Gamerz — vient de se refermer le dimanche 13 novembre après dix jours d’expositions, performances, ateliers et rencontres. Cette année, cette manifestation se distribuait essentiellement autour de deux parcours d’expositions : Univers Simulés (à la Fondation Vasarely avec Ewen Chardronnet en commissaire invité) et D. Générer (dans différents lieux, sous la direction artistique de Quentin Destieu). Pour l’essentiel symptomatique des utopies et dystopies liées aux nouvelles technologies émergentes depuis la seconde moitié du XXe siècle (cybernétique, conquête spatiale, robotique, etc.), les pièces, installations et projets proposés développaient des esthétiques, mondes et chimères questionnant notre société désormais gouvernée par des algorithmes et en proie à l’obsolescence programmée. Retour d’horizon…

Symbole s’il en est de cette gouvernance mathématique, les robots-traders qui pilotent à vitesse folle les marchés boursiers sont une source d’inspiration pour le collectif RYBN qui ne cesse de dénoncer l’absurdité des ressorts de cette économie-monde au travers d’ADMXI. Un « vrai-faux » logiciel de trading dont les ressorts algorithmiques reposent sur des prémisses ésotériques (l’harmonie des sphères, un thème astral ou des figures de la géomancie, par exemple…). Mais une fois introduits dans le circuit spéculatif de la finance, ces automates informatiques fonctionnent comme leurs homologues qui obéissent à l’orthodoxie capitaliste !

Contrôler les flux, être informé en temps réel de tous les paramètres socio-économiques et décider ainsi en toute majesté : poussé à son comble, ce regard panoptique doublé d’une volonté de puissance ne peut qu’engendrer un monstre informatique. Même avec les meilleures intentions du monde. Un tel projet, fou, fut pourtant mis sur pied par Stafford Beer durant le gouvernement Allende au Chili. Nom de code de ce Big Brother chilien : Cybersyn ou le Projet Synco… Nous sommes au début des années 70s. L’informatique est plus que rudimentaire, surtout vue l’objectif. Il faut une armée d’opératrices pour traiter les télex. Et la salle de contrôle ressemble furieusement au poste de pilotage de l’Enterprise du capitaine Kirk…

Cybersyn ne sera pratiquement pas opérationnel, sauf lors d’une grève des camionneurs. La dictature de Pinochet mettra fin de manière sanglante à ce système. Regina de Miguel a exhumé des archives de ce projet méconnu pour en faire un montage vidéo sur une bande-son signée Lucrecia Dalt (Una historia nunca contada desde abajo). Sur ce principe, elle propose aussi un autre film en forme de narration spéculative autour de l’écologie et de la recherche scientifique, alternants paysages gelés, archives photo de travaux scientifiques et rotations d’antennes radar sur une bande-son post-indus conçue par Jonathan Saldanha (Nouvelle Science Vague Fiction).

Regina de Miguel reviendra sur sa démarche lors d’une conférence-débat où se produisait également Konrad Becker en marge de Painted By Numbers, son installation réalisée conjointement avec Felix Stalder. Soit une série d’extraits d’interviews de scientifiques et activistes dont les paroles s’entrechoquent comme une partie de ping-pong par écrans interposés. Sur l’estrade et en solo, Konrad Becker s’est lancé dans un long monologue, sur un débit saccadé et une succession d’images presque samplées, pour nous faire partager les analyses politico-culturelles à propos des dangereuses limites de la culture digitale. Un écho « live & direct » des propos que ce vétéran de indus-noise-experimental propage au sein de son World-Information Institute depuis des lustres.

La conquête spatiale était également au programme avec les « agents non-humains » Špela Petrič, Miha Turšič, Dunja Zupančič et Dragan Živadin qui ont développé des installations assez minimalistes autour de Voyager; matérialisant le trajet, la position, etc. de la sonde par des lumières, sons et aplats de couleurs. À ce jour, c’est l’engin d’origine terrestre le plus éloigné de notre système solaire, photographié une dernière fois il y a près de 15 ans à longue distance. Actuellement, Voyager 1 se trouve à 136,63 UA (i.e. 20,43 milliards de km). Sa sœur jumelle Voyager 2 à « seulement » 112,64 UA sur une ellipse différente. Toutes deux emportent un disque d’or avec des messages sonores (grâce à Carl Sagan qui avait déjà apposé la fameuse plaque avec le salut terrien à destination d’extraterrestre sur Pioneer 10 et 11 parties 5 ans avant Voyager)…

Changement de registre avec Walking Cube, la nouvelle structure évolutive de 1024 architecture (aka François Wunschel & Pier Schneider + Jason Cook pour ce projet spécifique). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un cube tubulaire dont l’agencement se module grâce à un dispositif pneumatique. Agité de spasmes mécaniques, le cube semble ainsi danser de manière chaotique, comme un robot maladroit.

Autre structure métallique évoquant cette fois les robots-insectes tueurs du film Runaway, L’Évadé du futur : le Chimères Orchestra conçu par le collectif Reso-nance. Accrochées à la charpente métallique de la salle principale de Seconde Nature, ces espèces de fourmis géantes frappent le support sur lequel elles sont suspendues, créant ainsi une sorte de symphonie percussive assez étrange. Au sol tournoyaient les pâles d’une sorte de gros ventilateur. Ce Rotor est l’œuvre — pas très convaincante, faute de lisibité de l’intention (i.e. la sonification de données anémométrique) — de Lucien Gaudion.

Nous avons eu également l’impression d’être devant des insectes, devant une fourmilière, face à Refunct Modular : en fait, il s’agit de vieux appareils dont les mécanismes ont été désossés et mis à nu par Benjamin Gaulon. Tout en cliquetis et clignotements, cet alignement de cartes-mères, transistors, diodes, petits haut-parleurs, se donne à voir également comme une « fresque multimédia ». Un principe d’alignement reprit pour KindleGlitched : une série de liseuses Kindle défectueuses que Benjamin Gaulon a récupéré et qui n’affichent désormais plus que des images « dé-générées », accidentées (glitch)…

Le détournement était aussi à l’ordre du jour avec Alexis Malbert alias Tapetronic qui customise des K7, les transformant en autant de petits gadgets ludiques avec lesquels on peut scratcher. Et plus si affinités (cf. la Vibro cassex…). Une pratique de détournement simple, low-tech, qu’il était possible de partager et d’expérimenter lors d’un atelier dédié.

Toujours sur le plan du détournement, d’image et de communication cette fois, France Cadet « exhibait » son gynoïde virtuel… En d’autres termes, un androïde féminin en 3D se jouant de la publicité d’Aubade : HoloLeçon n°32. Au passage, on regrettera que cette modélisation ne bénéficie pas d’une plus grande exposition (au sens strict), que ces animations soient présentées dans un plus grand format. Dans le même espace, Paul Destieu proposait également une animation 3D où s’agitaient des baguettes suspendues, symbolisant les Mouvements pour batterie, d’après Himéra. Avatar des « concrétions » qu’il réalise par ailleurs. Mais pour des raisons presque indépendantes de notre volonté, on ne peut s’empêcher de penser à une séquence de Fantasia (Disney, 1940…).

Le projet le plus farfelu et inquiétant à la fois revenant à Olivier Morvan qui, au travers d’une accumulation d’objets, de sons, de musique et d’un film, nous transporte dans La maison tentaculaire de Sarah Winchester… L’histoire est vraie et cela rend encore plus saisissant cette proposition. Après la disparition d’êtres chers, l’héritière des célèbres marchands de mort (la fameuse carabine) verse dans le spiritisme, pratique en vogue à la fin du XIXe siècle, et consulte un médium qui, nous dit la légende, lui conseille de faire quelque chose pour toutes les âmes en peine qui ont été tuées par… une Winchester ! Cela fait du monde…

Pour ce faire, elle entreprend donc la construction d’une maison à San José, en Californie. Les travaux débutent en 1884. Ils ne s’arrêteront qu’en 1922, au décès de sa propriétaire. Entre-temps, pendant 38 ans donc, guidée par des esprits pas toujours bienveillants, Sarah multiplia les plans, les innovations high-tech pour l’époque (ascenseur, chauffage central, toilettes, etc.), les pièces (au total, 160 dont 40 chambres !), les bizarreries architecturales (escalier menant au plafond, placards sans fonds, fenêtres ouvertes sur le sol, etc.) et bien sûr les références au nombre 13…

Laurent Diouf

> http://www.festival-gamerz.com

Porté par l’association TNTB, le festival d’arts numériques DataBit.Me a clôturé sa 6ème édition en ce début novembre sur de nombreuses performances, dans un joyeux capharnaüm high-tech. Seul évènement de ce type sur la ville d’Arles, DataBit.Me est tout à la fois un lieu de rencontres, d’expositions, de live-sets, mais aussi de pratiques et d’expérimentations.

Centré sur la technologie et ses codes (au propre comme au figuré), ou plus exactement sur la mise en question des techniques du numérique et du digital, DataBit.Me consacre une large part de sa programmation à des ateliers animés par des « musiciens-bidouilleurs » et des « artistes-geeks », et à la restitution de projets développés dans le cadre de résidences (dont certaines en partenariat avec le Zinc à Marseille).

Pour cette édition 2016, le mot d’ordre était « énergie ». Énergie fossile, énergie nucléaire, énergie renouvelable… Cette thématique entre, évidemment, en résonnance avec la problématique du réchauffement climatique et des conséquences socio-économiques que cela induit. L’idéal pour questionner la technologie, la détourner, tenter des alternatives low-tech, tester des prototypes « sous tension » …

Symbolant cette démarche en lien avec ce thème, Le Cénographe présentait à la Galerie Huit une vidéo rétrospective de l’électrification du territoire, de l’immédiat après-guerre à la nucléarisation des années 70s, au travers d’extraits de vieux films institutionnels. Une propagande pour le tout électrique orchestrée par EDF qui souligne, en creux, l’engrenage infernal de cette dépendance énergétique.

Pour visionner ce montage, le spectateur était invité à pédaler sur vélo d’appartement trafiqué, le Cycloproj’, qui fournit ainsi une partie de l’énergie pour piloter cette « vidéo-installation interactive ». La vitesse et le rétro-pédalage permettant aussi de moduler le déroulé des images, même si ce n’est pas forcément le but premier. La bande-son électronique pouvant être « customisée » par des percus rudimentaires; un rondin de bois mis à disposition du public.

Le camp de base du festival était établi à la Bourse du Travail d’Arles. C’est là qu’a eu lieu l’essentiel des interventions et restitutions des résidences. Celle de Marcel-li Antúnez Roca, lors de la soirée de clôture, nous a littéralement embarquée. Sous forme de « conférence performée », après avoir retracé son parcours, cet artiste qui a fait ses premières armes au sein de La Fura dels Baus s’est mué en conteur 2.0, brodant tout un délire autour de la théorie de la transpermie (des spores sont à l’origine de la vie sur terre, et l’humanité est promise elle-même, à terme, à repartir dans les étoiles…).

Harnaché dans une armature métallique aux multiples ramifications et dispositifs qui le transforme à moitié en cyborg (en jupette, qui plus est ;), Marcel-li Antúnez Roca commande ainsi des dessins, animations et incrustations dans le décor en carton d’une histoire peuplée d’un étrange bestiaire. Une histoire abracadabrantesque, et parfois un peu scato, qui réveille en chacun de nous le rêveur aux étoiles qui sommeille… Sachant qu’il s’agit d’un work in progress, que la forme définitive de cette histoire n’est pas encore fixée.

Concernant le volet musical du festival, on zappe sans regret les formations embourbées dans un style régressif et potache) — que ce soit version elektro synth-pop ou punk-rock métallo (pour schématiser) — limite hors sujet à notre avis. Question de génération sans doute… Bololipsum, par contre, nous a pleinement convaincus. Recyclant habilement vieux claviers, consoles et autres Dictée Magique, ce musicien-hacker échappé du circuit bending délivre de la « toy music » du meilleur effet, c’est-à-dire qui allie les sonorités 8-bit à un canevas rythmique bien groovy.

Dans un registre différent, plus sombre et chaotique, il faut aussi citer les explorations « vidéo-graphiques » de Zofie Taeuber et Miyö van Stenis. Sans oublier le trio infernal Trioskyzophony qui se démarque nettement de ce qui se fait habituellement dans le genre human beatbox, en tout cas lors de leurs performances improvisées pour DataBit.Me, où ils ont prouvé à de nombreuses reprises que cet exercice de style maniant effets de voix et machines (loops, etc.) peut s’avérer bien deep et hypnotique, hors des chemins balisés du hip-hop.

La suite, l’année prochaine… En attendant, on ne peut que saluer la pugnacité de David Lepolard et son équipe pour ce travail de « passeur numérique » sur l’agglomération d’Arles. En espérant que le festival DataBit.Me puisse gagner dans un futur proche l’ampleur qu’il mérite.

Laurent Diouf

> http://www.databit.me

tapis rouge pour le cinéma immersif

Après ce que l’on a appelé les « nouvelles images », après la période vidéo puis les captations via les portables, après la 3D qui ressuscite tous les 10 ans sous l’impulsion de progrès techniques, c’est donc au tour de la réalité virtuelle de redéfinir notre champ de vision et au-delà l’exercice de notre expérience… Si des manifestations sont consacrées à la VR, ou viennent se greffées sur des événements existants, il n’y a avait pas à ce jour de festival de cinéma entièrement dédié à la réalité virtuelle. C’est désormais le cas, à l’initiative du Forum des Images à Paris, avec le Paris Virtual Film Festival dont la première édition s’est tenue en juin dernier.

I, Philip de Pierre Zandrowicz. Capture d’écran. Photo: D.R.

Sur la quinzaine de films en VR qui sont présentés dans le cadre du Paris Virtual Film Festival, nous en avons « testés » deux. D’une part Notes On Blindness: Into Darkness, d’Arnaud Colinart, Amaury La Burthe, Peter Middleton et James Spinney, qui nous plonge dans l’univers d’une personne au champ de vision restreint. Étrange sensation de spatialisation quasi à l’infinie renforcée par une sonorisation binaurale… Plongée et déambulation dans un parc que l’on devine sous des contours noirs et bleutés, et dans laquelle évoluent les silhouettes furtives de passants et d’animaux. En fait, cette « demi-teinte » s’explique par le fait que ce film nous fait ressentir ce qu’a éprouvé John Hull, un professeur de théologie australien de l’université de Birmingham, lorsqu’il fut victime d’une cécité progressive. En universitaire accompli, un peu à la manière du regretté Oliver Sacks pour son cancer oculaire (cf. L’Œil de l’esprit), il a consigné méthodiquement son ressenti et les effets de cet irréversible fondu au noir… C’est cette « documentation » qui sert de base à la construction de cette singulière immersion.

Autre expérience avec I, Philip de Pierre Zandrowicz (co-produit par Okio-Studio, Saint George et Arte). Au début, il y a des matières, des volumes, des formes géométriques qui succèdent à des motifs spiralés intersidéraux… En soit, tout cela nous une procure sensation assez intense de vertige. Puis l’image se stabilise sur des machines, genre salle de serveurs, et un laboratoire… On tourne la tête pour explorer l’endroit et on sursaute littéralement : sur notre droite, deux personnes nous interpellent… Peu à peu, nous prenons conscience que nous incarnons un robot humanoïde dont la mémoire contient les souvenirs implantés de Philip K. Dick… Quelques instants plus tard, après une autre translation limite psychédélique, on se retrouve dans un amphi, au centre de tous les regards et interrogations… Plus que « l’effet de profondeur », c’est bien cette présence, cette sensation d’être « réellement » immergé dans — et d’être acteur de — la scène, qui nous a le plus impressionné. Comme nous le faisait remarquer Michael Swierczynski, directeur du développement numérique du Forum des images et du Paris Virtual Film Festival, I, Philip est ce qui se rapproche le plus d’un film de fiction dans cette sélection.

La Péri, de Balthazar Auxietre. Capture d’écran. Photo: D.R.

Dans La Péri, une fiction de Balthazar Auxietre, on va encore un peu plus loin dans l’immersion puisque l’on interagit et entame un ballet avec une danseuse ! À l’affiche, il y avait aussi quelques expériences documentaires, comme Across The Line de Nonny de la Peña, Brad Lichtenstein et Jeff Fitzsimmons sur la question de l’avortement aux États-Unis en nous plongeant au cœur des actions, détestables, des activistes qui menacent les centres médicaux. The Enemy réalisé par Camera Lucida et présenté en séance spéciale, qui nous fait « rencontrer », en face à face, deux soldats ennemis — en l’occurrence de Tsahal et du Hamas — et nous permet d’écouter leurs motivations, leurs doutes, etc. Autre schéma de confrontation extrême avec DMZ, de Hayoun Kwon sur la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées. Avec The Ark de Kel O’Neill et Eline Jongsma, nous quittons les frasques humaines, mais pas leurs conséquences, pour être amenés au plus près d’un rhinocéros blanc. Une espèce en voie d’extinction, il n’y aurait plus que 3 survivants de cette espèce… La sélection comptait aussi des films d’animation : Invasion! de Eric Darnell, une histoire de gentils aliens et de petits lapins qui leurs résistent, et The Rose And I de Eugene Chung, Jimmy Maidens et Alex Woo; une libre interprétation du Petit Prince. Les plus de 16 ans pourront « fusionner » avec les personnages dont les corps nus s’entrelacent formant presque un kaléidoscope sous la caméra de Michel Reilhac, Viens !

Ces exemples, pris sur la quinzaine de films sélectionnés pour cette première édition du festival, témoignent de la diversité des réalisations en VR. Et surtout, selon les mots de Michael Swierczynski, du champ du possible qui s’ouvre. Alors que la 3D ajoutait une couche supplémentaire à un film existant, mais dans lequel on restait toujours spectateur et éloigné, poursuit-il lors de notre entretien, là, avec la réalité virtuelle, nous avons franchi le cap. Nous sommes immergés dans une expérience. Nous sommes dans le film. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons repensé notre scénographie (de fait, il ne peut s’agir d’une salle de cinéma) et que nous avons organisé aussi des rencontres, des débats — notamment sur la question de la narration et de l’écriture propre à la réalité virtuelle, ainsi que sur la production et la diffusion — des ateliers et un workshop avec une quinzaine d’apprentis réalisateurs encadrés par des professionnels. Ils ont été invités à créer une mini-histoire en VR à partir d’archives mises à disposition. Le VR Lab, animé par Michel Reilhac, étant un lieu d’échange et de confrontation aux techniques de la réalité virtuelle entre réalisateurs, auteurs, producteurs…

DMZ, de Hayoun Kwon. Capture d’écran. Photo: D.R.

Mais comme le souligne également Michael Swierczynski, il était essentiel pour le Forum des Images de se positionner sur la VR en restant ouvert au grand public : nous ne souhaitions pas faire un salon ou un marché réservé aux professionnels. (…) Mais il fallait que ce festival soit 100% dédié à la réalité virtuelle et que ce soit sous l’angle cinéphile. C’est donc vraiment un festival de films, avec une vraie sélection. Nous sommes bien dans l’artistique et non pas dans le technologique. Et si les films proposés sont, d’une manière générale, d’un format court — en moyenne 10/15 minutes, 20 pour les plus longs, 30 pour un documentaire si on ouvre toutes les portes, comme le précise Michael Swierczynski — nul doute que dans un proche avenir, évolution technologique aidant (poids du casque, vitesse d’affichage, effet de nausée, etc.), la durée des films devrait également évoluer. En attendant, la VR permet aussi de re-questionner la mission du Forum des Images (la notion de lieu, d’espace et de temps pour le public, de production, etc.), comme nous le confie Michael Swierczynski. En tout état de cause, le Paris Virtual Film Festival n’est pas un coup d’essai, ni un effet de mode, mais bien une manifestation pérenne. Et la deuxième édition, dont la date n’est pas encore fixée, sera sans aucun doute plus étoffée et plus internationale. Enfin, pour Michael Swierczynski, dans le prolongement des workshops, l’idée serait d’installer des rendez-vous récurrents pour garder ce lien, hors festival, avec cette nouvelle forme de création cinématographique. Rendez-vous est pris.

 

Laurent Diouf
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

cultures électroniques & arts numériques

Porté par Stereolux, plateforme dédiée à la diffusion, au soutien à la création et à l’accompagnement des musiques actuelles et des arts numériques, le festival nantais Scopitone affichait cette année sa 15ème édition ! Une édition structurée autour d’ateliers, de tables rondes, de nuits électro (Helena Hauff, Agoria, Lindstrøm, The Field, etc.) et d’un parcours d’exposition singulier.

Une exposition jalonnée de créations exclusives et/ou de premières présentations françaises pour de nombreuses pièces disséminées dans plusieurs lieux. À commencer par La Fabrique de Stereolux, Trempolino et Les Nefs à côté des fameuses Machines sur l’Île de Nantes, zone toujours en plein (ré)aménagement, ainsi que le Readi (Lab et École de Design), la Cale 2 Créateurs, le Ferrailleur et Le Jardin des Berges. Le festival a également investi d’autres endroits emblématiques de Nantes, comme le Château des Ducs de Bretagne, le Manoir de Procé, Le Lieu Unique et la Tour de Bretagne, par exemple.

De l’ensemble de l’exposition se dégage une cohérence, marquée la philosophie « art / science » de cette édition avec des œuvres qui jouent sur la lumière, les données et la perception visuelle. Une unité renforcée également par le son : la plupart des installations et performances proposées déploient une « bande-son » percluse de craquements électrostatiques et de bourdonnements d’infra-basses… Mais la thématique première est bien celle du traitement et de la mise en forme de l’information, de La matérialité des données. Comment les traduire et les rendent visibles ? Comment les gérer et se les réapproprier ? Tel était le champ de questionnement d’une conférence passionnante, qui s’est d’ailleurs prolongée au-delà de l’horaire prévu le jeudi, en prolongement de workshops.

Dans cet esprit, parmi les œuvres exposées, Kinetica conçue par Martial Geoffre-Rouland incarnait parfaitement cette matérialisation en temps réel du monde de flux et d’interconnexions dans lequel nous vivons désormais. Réalisée avec le soutien nécessaire d’Orange puisque cette installation cinétique repose sur la visualisation des données (localisation, déambulation et d’activités dans la ville) transmises par les smartphones et restituer ici sous forme d’un panneau composé de dizaine de disques (6×12) pivotants selon les impulsions reçues. Une barre LED au milieu de chaque disque, à la couleur spécifique selon l’activité, permettant de se situer sur cet échiquier numérique après avoir téléchargé l’application adéquate.

Le mouvement des Clones de Félix Luque Sánchez est, par contre, initié par un algorithme programmé de manière aléatoire et chaotique. Une routine qui anime deux pendules montés chacun sur ce qui s’apparente au bras d’une table traçante. En équilibre instable, on assiste aux efforts (pas toujours désespérés) des balanciers pour se maintenir à niveau; ce qui les faits aussi ressembler à des athlètes s’échinant sur barres parallèles… Allié à Iñigo Bilbao, Félix Luque Sánchez propose aussi une autre installation « plurimédia » : Memory Lane. On y observe sur écran, comme au travers d’un miroir grossissant et déformant, les fragments d’une roche dont le relief à la fois étrange et aride évoque une planète lointaine…

C’est par contre à un astre plus familier, en l’occurrence la lune et ses croissants, que nous fait penser Diapositive 1.2 réalisé par Children of the Light (i.e. le duo Christopher Gabriel & Arnout Hulskamp). Cette autre installation cinétique se présente comme un immense pendule cerclé de LEDs qui pivote lentement et s’électrise parfois brutalement d’une lumière à la blancheur froide, déchirant le noir sidéral dans lequel il est suspendu. Daito Manabe et Motoi Ishibashi utilisent eux aussi des LEDs pour transfigurer le spectre lumineux, faire apparaître des fréquences (et donc des couleurs) habituellement invisibles. Pour les visualiser, il faut là aussi charger une petite appli qui génère un filtre révélant d’autres dimensions, formes et couleurs qui se cachent dans les ombres — la pièce s’intitule rate-shadow — d’une succession d’objets et d’artefacts disposés sur des présentoirs.

Mais la pièce maîtresse de ce parcours d’exposition est installée dans une des salles du Château des ducs de Bretagne. Elle résulte d’une collaboration entre Ryoichi Kurokawa et l’astrophysicien Vincent Minier. Intitulée Unfold, il s’agit d’une « mise en scène » des données recueillies par le télescope spatial Herschel sur la formation des étoiles. De cet amas stellaire brut, Ryoichi Kurokawa a fait une représentation géométrique et sonore projetée sur 3 panneaux englobants notre champ de vision. Le résultat n’est pas sans rappeler Ryoji Ikeda par ses lignes de fuite et son electronic-noise, ses soubresauts épileptiques et son foisonnement de particules… L’idéal étant de s’allonger sous l’épicentre de la projection, une petite estrade étant prévue à cet effet, pour pleinement s’immerger dans cette fresque cosmique.

Il est toujours question de lumière et d’espace, mais cette fois de manière beaucoup plus délimitée, contrainte, avec constrained curface. Une autre installation de Ryoichi Kurokawa composée de deux écrans inclinés, disposés en décalé. Tout ce passe à leur point d’intersection, comme un effet miroir. Les couleurs obéissent à un nuancier synchronisé, là aussi, avec de l’electronic-noise. Changement d’ambiance et de propos avec Rekion Voice de Katsuki Nogami. En entrant dans cette troisième salle du château, nous avons l’impression de pénétrer dans une basse-cour. Sauf que ce ne sont pas des volatiles qui émettent des piaillements, mais des petits « robots » bricolés et fixés sur des supports. Les sons qu’ils émettent sont en fait le bruit amplifié des petits moteurs qui les animent en fonction du mouvement du public. Il y en a une dizaine environ, dont un à l’entrée, en sentinelle, qui donne l’impression de prévenir ses congénères de notre visite…

Cela dit, il n’y a pas que des artistes confirmés au programme de cette expo. Scopitone a réservé une visibilité à deux créations lauréates d’un appel à projets Arts & Technologies lancé par Elektroni[k] (then goto festival Maintenant…). On découvre ainsi Uluce du collectif Recif : une structure de toile tendue de 13 faces. Mi-sculpture interactive, mi-instrument, le public est invité à toucher les surfaces qui réagissent et activent un jeu de lumière et de sons. Les autres lauréats sont Paul Bouisset et Eugénie Lacombre qui présente _Logik, une interface qui permet d’agencer et moduler des formes en rotation sur écran.

Les lives A/V lors de la soirée d’ouverture s’inscrivent également dans ce « grand jeu » de lumières, sons et données. Si l’arrière-plan de Ljøs du collectif fuse* n’est pas sans évoquer les cieux étoilés, la performance de la cordiste Elena Annovi en interaction avec cette trame audio-visuelle donne une tout autre dimension à ce type de performance, ou plutôt redonne son sens premier au mot « performance ». Plus humain évidemment, ce genre de live-act pourrait aussi s’apparenter à ce que l’on nomme le nouveau cirque, en plus high-tech…

Par contraste, Matthew Biederman & Pierce Warnecke apparaissent beaucoup plus conventionnels, réduisant leur set à une sur-multiplication de combinaisons de formes géométriques basiques sur un jeu de couleur là aussi réduit (bleu et rouge pour l’essentiel). Délaissant ce genre d’arithmétique sonore et visuelle pour des formes plus organiques et des sonorités vaporeuses presque ambient, Paul Jebanasam & Tarik Barri nous ont vraiment séduits avec leur Continuum. En clôture, c’est un autre type de performance avec sons circulaires et lumières synchronisées qui est attendue, celle de Gwyneth Wentink, Wounter Snoei et Arnout Hulskamp (de Children of the Light) : In Code. Soit une variation électroacoustique (harpe) et électronique autour de IN C de Terry Riley. À l’heure où ce premier bilan de l’édition 2016 de Scopitone est mis en ligne, il vous reste le temps d’y assister !

Laurent Diouf

Infos: www.stereolux.org/scopitone-2016
Photos: D.R.

retour sur le Festival Accès)s( #15

Expos, conférences, performances, musiques : la quinzième édition du Festival Accès)s( s’est structurée autour de l’imagerie aérienne et de la dernière technologie en date qui renouvelle la vue d’en haut, du ciel : le drone.

L’Oiseau de feu
Une phobie de l’avion nous empêchant de prendre l’air, sauf nécessité transatlantique, c’est donc en train que nous nous sommes rendu à Pau pour assister au Festival Accès)s(. Ironie amusante… La vue du ciel nous cause un stress important. Pas au point de mordre une hôtesse de l’air, mais suffisamment pour avoir des crampes d’estomac, parfois quelques jours avant le décollage (le must en matière d’appréhension), et de devenir verdâtre en dévisageant les passagers au moment de l’embarquement (alors, c’est avec gens-là que nous allons mourir…). Une peur insidieuse qui s’est affirmée au fil du temps, sans facteur déclenchant, ni autre justificatif que celui de finir crucifié sur le divan des héritiers de Freud ou de Lacan (ne soyons pas sectaires). Et pourtant, comme le faisait remarquer Jean-Philippe Renoult — à l’origine avec Dinah Bird de l’installation sonore interactive A.V.I.O.N. — un crash n’est pas, administrativement parlant, synonyme de centaines de morts carbonisés. Ce terme s’applique avant tout à de la casse qui cloue l’avion au sol.

Si les accidents graves demeurent rares donc, les incidents matériels sont en revanche plus nombreux, comme en témoignent les annotations reportées sur les strips des contrôleurs aériens. On en a un aperçu en regardant ces dizaines de bristols rectangulaires agencés dans le couloir du Bel Ordinaire, l’espace qui accueille l’exposition Vu Du Ciel organisée par Agnès de Cayeux — commissaire invitée par Pauline Chasseriaud, directrice du Festival Accès)s(. Ils servent en quelque sorte de « balises » pour l’installation A.V.I.O.N qui « joue » sur, de et avec des sons collectés (communications, ambiance d’aéroport, bruits de moteurs, etc.) et diffusés par le biais d’enceintes directives infra-soniques. Une mise en onde en trois mouvements : vol, brouillage et crash suite au hacking possible des systèmes de navigation (c’est très rassurant… ;). Muni d’une « radio dynamo » (i.e. avec manivelle) retransmettant cette dramaturgie sonore, le public est invité à « parasiter » l’espace d’exposition.

Bluebird
De part et d’autre de ce couloir est proposé d’autres installations, pièces et créations. Divisée en deux sections, Oh my drone ! et Du ciel de nos écrans, l’exposition Vu Du Ciel offre ainsi une vision directe, médiane, imprimée, projetée ou scénarisée du vieux rêve de l’humanité, le désir de voler, aujourd’hui pleinement réalisé, si ce n’est sublimé, par les machines (avions, drones, simulateurs, etc.). Du regard affranchi de la pesanteur. Vu du ciel, donc. Avec d’étonnantes « perspectives ». Ainsi, si le risque aviaire est pleinement identifié et anticipé pour les aéroplanes, qui aurait pensé que la narcolepsie pouvait être fatale aux navettes spatiales…? C’est pourtant l’idée que développe Dorothée Smith au travers de son projet transdisciplinaire (film, performance, photos, installation) TRAUM (Le cas Y). Tout comme A.V.I.O.N. de Jean-Philippe Renoult & Dinah Bird, cette fiction astronautique évolutive est une création qui fait suite a une résidence au sein de l’Aéroclub du Béarn.

Depuis quelques années, et singulièrement depuis la guerre sans fin au Proche-Orient, les avions sans pilote ont colonisé notre imaginaire et, au sens strict cette fois, renouvellé notre vision du monde. Nul ne sait encore ce qu’il adviendra de ce regard cartographique mortifère, mais d’autres approches, ludiques et artistiques, restent possibles. À l’instar de Mária Júdová & Andrej Boleslavsky et leur Composition for a drone dont la partition dépend des points de localisation de l’engin dans un espace donné. Et des architectes Gramazio & Kohler qui, avec l’ingénieur Raffaello D’Andrea, extrapolent des usages probables (livraison, etc.) via leur projet Flight Assembled Architecture où des drones autonomes — ouvriers dociles —obéissent à un programme pour ériger une tour comme un jeu de construction.

Icare
Ce futur incertain contraste avec un passé que l’on peut contempler également dans cette exposition. Une collection de consoles et vieux ordinateurs retrace l’histoire (si ce n’est la pré-histoire) des simulateurs de vol. Dans le genre madeleine, le bruit du clavier de l’Apple IIe nous fait voyager dans le temps. On replonge à l’orée des années 80s. En 1983 très précisément. Pas d’Internet, ni de portable. Des disquettes grand format (floppy). Un écran noir avec des filets verts. Et notre imagination sans limites qui fait le reste. Se concrétisent alors labyrinthes suintants et tavernes louches (Bard’s Tale) et, dans le cas qui nous intéresse, des vols de nuit au-dessus de paysages verdoyants comme des terrains de golf (Flight Simulator II). La suite, comme on peut le voir (« vu d’en haut », « vue embarquée », etc.), s’écrit en couleur, avec des manettes sophistiquées et un rendu plus réaliste au fil de l’évolution des consoles (Atari, Nintendo, etc.).

On mesure le progrès technologique, le gap, en 30 ans, avec Empty Room de Christine Webster. Encore au stade du développement, ce dispositif immerge le « spectateur-joueur » dans un environnement 3D assez géométrique et une bande-son electro-acoustique également « tri-dimensionnelle », grâce à un casque de réalité virtuelle. Expérience unique de déambulation sans contrainte physique… sauf pour les binocleux ! Christine Webster a également conçu l’environnement sonore de Beyond_Bitmaps. Une installation réalisée par Laura Mannelli, architecte atopique et artiste scénographe. Inspirée par le roman Snow Crash de Neal Stephenson (édité en français sous le titre Le Samouraï virtuel), Laura Manelli met en scène Hiro, un personnage modélisé avec l’aide de Frederick Thompson, que l’on peut observer en se penchant au-dessus d’une l’armature grésillante dans ses efforts et sa gestuelle scintillante pour s’évader de son métavers d’un noir intersidéral.

L’oiseau blanc
Maintenue jusqu’en décembre au Bel Ordinaire (espace d’art contemporain), d’autres propositions sont à découvrir dans cette exposition qui matérialise en partie le dossier thématique réalisé par Agnès de Cayeux et Marie Lechner pour MCD #78, La conjuration des drones — ce numéro ayant fait l’objet d’une rencontre-signature à la Librairie L’Escampette dans le cadre du festival. Une série de workshops mobilisant les étudiants de l’ESA (École Supérieure d’Art des Pyrénées) poursuit également l’exploration de cette thématique au travers de nombreuses créations (vidéos, sculptures, installation, etc.). La restitution mi-novembre de ces ateliers donnant lieu à une autre exposition en parallèle, baptisée Un autre point de vue. Et durant le festival, c’est toute une série de conférences et performances qui ont illustré et analysé cette redéfinition du regard et de l’imaginaire au contact des technologies de l’aéronautique. Comme un fil rouge entre les différents lieux du festival, Maëlla-Mickaëlle M., aérienne sur ses rollers, l’oreille collée à un transistor ou virevoltante autour d’un dôme géodésique, livre une performance allégorique (La jeune femme, le dôme et le drone). Hortense Gauthier — à qui sera confiée avec Philippe Boisnard la prochaine édition du festival autour du thème de la frontière — proposait une Poésie du drone dont les éléments (lecture de textes, marquages au sol et bande-son post-industrielle) contrastaient avec le classicisme des peintures accrochées dans le patio intérieur du Musée des Beaux-arts de Pau.

Les conférences se sont déroulées à la Médiathèque André Labarrère. Animées par Philippe Di Folco, écrivain, enseignant et scénariste, ces rencontres ont vu les intervenants se succéder devant une assistance studieuse. Laura Mannelli est revenue sur la notion d’architecture atopique, où se mêlent expérimentation et rétro-prospective. Guillaume Bourgois et Dorothée Smith ont questionné cette révolution de l’image et des prises de vue aérienne dans le cinéma (de Chris Marker à la série Homeland, en passant La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog). Pas de doute, l’effondrement des mondes étoilés se fera… Olivier Grapenne a abordé l’épineuse question des Machines autonomes. Et Jean-Philippe Renoult au travers d’une séance d’écoute a mis en perspective l’histoire bourdonnante de la drone music; d’Éliane Radigue à Sunn O))), en passant par Ravi Shankar ou John CalePlus tard en soirée, avec une hauteur de vue remarquable, Jean-Philippe a tenté d’évangéliser les masses en passant, notamment, Strauss (Johann, pas Richard) « rechapé » par le turntabiliste Christian Marclay, dans son DJ-set promis, de fait, à un crash prématuré…

Fais comme l’oiseau…
Ce n’est que le lendemain, lors de la soirée d’anniversaire du samedi, que la musique a régné en maître. Au programme, Felix Kubin à qui est revenu la lourde tâche d’ouvrir les hostilités avec ses morceaux d’elektro-pop-synthétique, conçus comme de petites mécaniques de précision et souvent agrémentés de vidéos. À sa suite, le duo Ninos du Brasil a galvanisé le public avec son mélange de percussions brésiliennes et de « technoise » roborative. En comparaison, Syracuse (Antoine Kogut & Isabelle Maître) paraissait un peu fade; les vocaux et certaines envolées mélodiques atténuant l’impact de leur set aux accents house acidulée et pop psychée. Pour finir, décollage vertical avec DJ Marcelle. Personnage haut en couleur qui n’est pas sans évoquer pour les plus vieux d’entre nous feu Lisa N’Eliaz, mais dans un registre sonore plus bigarré. Musique africaine, techno asymétrique et drum-n-bass : la sélection aux enchaînements parfois un peu rugueux de DJ Marcelle est unique en son genre…

Épilogue en fin de matinée avec un focus sur le pigeon-voyageur en compagnie de Philippe Guilhempourqué, Président du Club de colombophilie de Pau, venu à l’invitation de Marie Lechner parler de sa passion aux festivaliers, avant de procéder à un lâcher de pigeons à l’heure du brunch. Inattendues, mais pertinentes retrouvailles avec l’intelligence du vivant après la froideur des machines. La solution est d’ailleurs peut-être, pour les mécanismes, dans une imitation du vol battu (i.e. avec battement d’ailes) comme le propose l’étonnant Bionic Bird conçu par Edwin van Ruymbeke. Héritier des petits jouets mécaniques mus par des élastiques, ce mini-drone en forme de petit oiseau noir est le contre-exemple absolu des drones militarisés dévoreurs d’hommes et d’énergie… D’un poids plume (évidemment), il se pilote via un smartphone et se recharge sur une borne en forme d’œuf…

Laurent Diouf

Infos: http://acces-s.org
Photos: D.R. / Festival Accès)s(

art, innovation et cultures numériques

Retour sur la troisième édition du Mirage Festival qui s’est déroulée du 25 février au 1er mars dernier à Lyon. Avec une fréquentation en hausse (7000 visiteurs contre 4500 pour la précédente), la manifestation a prouvé que l’union de propositions innovantes autour d’une volonté fédératrice des acteurs des arts numériques — mais aussi d’une ouverture au grand public — était le bon choix. Une édition réussie donc, subrepticement tournée cette année vers cette « archéologie des médias » dont nous vous parlions dans le numéro 75 de MCD, et qui mixait durant cinq jours technologies high-tech et inspirations low-tech dans un même élan créatif.

Ann-Katrin Krenz & Michael Burk, Kepler’s Dream. Photo: © Maxence Grugier.

Où en sont les arts numériques aujourd’hui ? Vaste question, à laquelle répondait en partie la troisième édition du festival Mirage de Lyon. Les arts numériques en question, prit dans la globalité de leur histoire désormais pérenne prétendent incarner un champ de transgression, d’unification, d’échange et d’hybridation aux propositions quasi infinies, rendues possibles par l’élan technique (voir « techniciste ») de nos sociétés, transformant l’artiste en ingénieur, le créateur en technicien (et inversement !). Bref, ils représentent un bouleversement de tous les codes communément acceptés comme étant ceux du monde de l’art. Ou bien, tout simplement, n’est-ce pas l’aboutissement de l’acte artistique d’aujourd’hui ? En phase avec les évolutions techniques et cognitives de notre temps. Des questions qui étaient justement au cœur de cette édition du festival Mirage, avec ses constants croisements de techniques et d’époques, ses pôles de réflexions aussi (*), dans une ville marquée d’histoire et concentrant de nombreuses volontés, de non moins nombreux acteurs et de multiples lieux aptes à accueillir le fruit de ces recherches.

Mirage en mode nomade
Initié depuis trois ans maintenant par l’Association Dolus et Dolus (Simon Parlange, Jean-Emmanuel Rosnet), le festival Mirage vivait cette année son baptême du feu. Une troisième édition charnière donc, qui installe l’évènement dans la cartographie des propositions culturelles lyonnaises et marque le passage d’un festival « d’initiés » à celui de rendez-vous incontournable des amateurs d’art, d’innovation et de cultures numériques, puisque tel est son intitulé. Un festival qui s’inscrit également dans une mosaïque de lieux, plus par nécessité que par réel choix, mais qui se fait aussi l’écho de la diversité des lieux impliqués dans ses démarches novatrices. Ainsi, nous pouvions découvrir et participer aux œuvres présentées cette année un peu partout sur les pentes de la Croix-Rousse dans le premier arrondissement, dans différentes galeries ou lieux d’exposition.

Le tissu lyonnais en la matière étant exceptionnellement étendu, des performances, Think-Tank et Tech-Tank, mais aussi concerts et installations étaient présentées aux Subsistances (Lyon 1), à Pôle Pixel et au Club du Transbordeur (Villeurbanne), ainsi qu’au Sucre (Lyon 2). Des lieux que les Lyonnais connaissent déjà comme étant les places fortes de la diffusion culturelle. Un symbole pour commencer : le vernissage de la manifestation investissait le Réfectoire Baroque du Musée des Beaux-Arts de Lyon, dont les hauts-reliefs stuqués de Guillaume Simon (1671-1708) se virent ranimés par Folds et Stain, les installations vidéo-morphiques et troublantes de l’artiste Berlinois Robert Seidel !

Arnaud Potier, Golem. Photo: © Arnaud Potier.

To the future…
Il est toujours difficile de témoigner de l’effervescence d’un festival et de donner une vue d’ensemble d’un évènement par essence hétérogène. S’il fallait un thème unificateur, nous pourrions parler de l’omniprésence du croisement des démarches et des époques faisant se percuter ancien et moderne. Qu’il s’agisse de Kepler’s Dream, l’installation des Allemands Ann-Katrin Krenz et Michael Burk à la galerie Sunset (QG du festival) : un savant mélange de haute-technologie (le cœur de cette pièce étant réalisé en impression 3D) et d’esthétique steampunk, ou bien du Timée de Guillaume Marmin et Philippe Gordiani présentée à la Galerie Terremer, et de Golem (Arnaud Pottier – BK / Digital art company) à l’Espace Altnet, tous se réfèrent au passé, à l’histoire (du monde, des idées, de l’art). Quand Kepler’s Dream s’inspire des théories de l’astrophysicien du même nom, Timée, œuvre immersive faites d’images et sons, puise son essence dans l’harmonie de Platon, tandis que Golem, sculpture augmentée, évoque le concept de « l’inquiétante étrangeté ».

… and back
De leur côté, Marcelo Valentes et Julien Grosjean proposaient deux œuvres complémentaires utilisant d’anciennes technologies audios (platines vinyles pour l’un, magnétophone pour l’autre). Stroboscopia était le prétexte d’une histoire du Brésil revisitée à base de disques « customisés », de collages et brisures sur des platines équipées de microscopiques caméras numériques. Tandis La Chambre Rouge, installation participative visuellement attractive, mêlait machines archaïques (micro, Revox) pour un commentaire sur l’évanescence du son et l’histoire des archives sonores. Histoire toujours, grande et petite, celle du cinéma et celle de l’univers, avec Big Bang Remanence de Joris Guibert et Projectors de Martin Messier, deux artistes/bricoleurs passés maîtres de la manipulation analogico-numérique. Le Français a raconté la naissance du monde, trafiquant en direct l’énergie pure du bruit blanc généré par d’antiques téléviseurs, tandis que le Canadien se livra à une performance physique et technique époustouflante, mêlant installation, vidéo et musique électroacoustique à partir de vieux projecteurs Super 8 augmentés.

Julien Grosjean, La Chambre rouge. Photo: © Maxence Grugier.

Du côté de l’innovation…
L’innovation et la réflexion prospective (ou introspective) avaient, bien évidemment, également sa place dans le cadre de cette manifestation lyonnaise. Avec l’installation participative Screencatcher de Justine Emard, plasticienne férue de nouvelles technologies, nous avons pu tester les possibilités de la réalité augmentée, technique appelée à être largement utilisée dans le champ de la création numérique du futur. Idem pour LPT1 de Hugo Passaquin qui offrait au public la possibilité de participer activement à l’élaboration d’une œuvre numérique en temps réel grâce à ses smartphones. Au Lavoir Public, les curieux ont pu également découvrir Hyperlight de Thomas Pachoud. Une œuvre immersive et performative en constante évolution qui unit danse (interprétée par Thalia Ziliotis), musique (David Guerra) et technologies lasers.

De la musique, il y eut aussi durant tout le festival. Tout d’abord avec les performances Live AV du Franco-Américain Pierce Warnecke, et celle du Français Franck Vigroux à la Salle Garcin. Deux moments forts, mettant à mal le corps et l’esprit, sous l’effet d’une peur panique de la désorientation visuelle et sonore tout d’abord (Warnecke), puis sous le choc de la noise industrielle corrosive et puissante (Vigroux). Ensuite, ce furent les prestations du duo Sidekick (transfuge du trio lyonnais Palma Sound System) au Lavoir, et celles des labels 50 Weapons et Creme Organisation au Sucre. Pour conclure, le Mirage se déplaçait au Transbordeur en invitant Fulgent, producteur lyonnais dont la techno à la fois mélodique et abrasive a ravi les fans, et Kangding Ray, artiste français signé sur le label Raster Noton (Alva Noto, Frank Bretschneider) désormais installé à Berlin. Parfait mélange d’énergie et de (retro)futurisme noir à la Blade Runner, leur musique était le point d’orgue (électronique) d’une semaine riche en propositions.

Maxence Grugier
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

Site: www.miragefestival.com

(*) À noter l’élaboration cette année du Mirage Open Creative Forum, co-organisée avec AADN, journée de réflexion et temps d’échange créatifs autour de l’avenir des arts numériques.

post-audio

Retour sur la 16ème édition du festival Elektra marqué, cette année, par le lancement de la première Biennale Internationnale d’Art Sonore. Placée sous le signe du « post-audio », la programmation interroge l’influence du sonore sur notre psyché, explore les différents phénomènes d’écoute, propose de nouvelles modalités d’interrelation entre le son et l’image au travers de rencontres, expositions et performances.

Cod.Act, Nyloïd. Photo: © Gridspace.

Le festival Elektra, qui se déroule à Montréal à la mi-mai, s’est ouvert cette année avec une table ronde en compagnie de [The User] et des auteurs de la monographie qui leur est consacrée. Les installations sonores de Thomas McIntosh et Emmanuel Madan illustrent le questionnement multiple du « post-audio ». Un questionnement reconduit ensuite avec Resonant Architecture du collectif Art Of Failure, représenté par Nicolas Maigret. Une projection vidéo où se succèdent friches industrielles, jungles urbaines et paysages dévastés qui servent, au sens strict, de caisse de résonnance à des objets architecturaux atypiques.

Une « mise en vibration » qui atteint son paroxysme avec une installation monumentale qui se dresse au milieu de nulle part, tel un gigantesque totem chargé de piéger des sons. À la suite de cette présentation, place à l’inauguration de la Biennale Internationnale d’Art Sonore au Musée d’Art Contemporain de Montréal, avec la nouvelle installation performative de Cod.Act. Baptisée Nyloïd, impressionnante par sa taille, il s’agit d’une sorte de tripode constitué de tubulures souples en nylon. Soumis à des contraintes mécaniques, l’alien s’agite, se tord en émettant des borborygmes, comme pris de convulsions devant un public craintif.

Dans une ambiance plus feutrée et studieuse, le Marché International d’Art Numérique initié par Elektra rassemble des professionnels (artistes, festivals, revues, médialabs, commissaires…). L’occasion pendant 2 après-midis passés au Centre Phi de croiser des expériences. De mesurer également l’importance du contexte socio-culturel et économique dans lequel peuvent s’ancrer des initiatives; notamment pour les pays du Sud. Ainsi, par exemple, le SESC (Service Social du Commerce), une institution privée brésilienne qui œuvre dans le domaine des services, de l’éducation et de la santé, mais qui a également un Département consacré aux Arts visuels et numériques, et peut réunir un public bigarré dans un quartier qui se met à vibrer sur du mapping et de la drum-n-bass !

Alex Augier, oqpo_oooo. Photo: © Gridspace.

La rencontre avec les chercheurs, artistes et étudiants affiliés à l’Hexagram-UQAM (le centre de recherche en arts médiatiques de l’Université du Québec à Montréal) était également propice à l’échange d’impressions avec la découverte de works in progress dans le domaine des dispositifs scéniques, des vêtements connectés… Outre quelques présentations et expositions satellites, Elektra proposait aussi, de manière plus inattendue, un aperçu des ateliers créatifs-pédagogiques à destination des enfants avec la contribution d’Herman Kolgen dans une performance audio-visuelle aux allures de fête de fin d’école !

Plus adulte, si ce n’est cérébral, l’exercice d’écoute proposé par Nicolas Bernier avec un dispositif très simple (oscillateur, diapason, haut-parleur), qui repose sur le télescopage d’oscillations générées par deux sources, électronique et analogique (Frequencies (friction). Autre installation audiovisuelle et multicanal jalonnant un des lieux investis par Elektra, Topologies de Quayola qui opère une réinterprétation géométrique des peintures classiques de Velasquez et Tiepolo, les transformant ainsi en une sorte d’origami en mouvement qui semble conçu avec du papier froissé. Il y a aussi Temporeal, l’étrange installation cinétique de Maxime Damecour, qui nous force à observer de près un filament presque fluorescent qui réagit aux basses fréquences.

Concernant les lives, tout a démarré avec 2 sets immersifs sous le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). C’est un peu comme la Géode : les images recouvrent complètement notre champ de vision. Allonger, le voyage astral commence avec des rectangles colorés que Paul Prudence enchaîne à des effets tunnel sur une bande-son à la fois planante et coupante (Lumophore II). À sa suite, le collectif turc Ouchhh exploite le même principe, mais avec des textures en noir et blanc plus travaillées, plus complexes, évoluant au gré de patterns électroniques sculptées au scalpel (Homeomorphism, suivi de Solenoid). Un moment fort du festival.

Alva Noto & Byetone + Atsuhiro Ito, Diamond Version. Photo: © Gridspace.

Les autres lives se sont déroulés à l’Usine-C. Sur l’ensemble de la programmation, nous retiendrons l’étonnant jonglage avec des projecteurs de Martin Messier (Projectors), la leçon de DJing avec des toupies lumineuses de Myriam Bleau (Soft Revolvers) produisant des sonorités ondulantes qu’il vaut mieux écouter sans avoir mangé gras avant… On retrouve Paul Prudence, en 2D cette fois (Cyclone II). Dans un registre plus « techno-tronique », Alex Augier s’est imposé avec ses compositions très « mathématiques » prolongées par des lignes de fuites projetées sur une structure cubique (oqpo_oooo). Hors de ce dispositif, on observe une proximité d’intention de sonorités avec le set « algorithmique » de Julien Bayle (ALPHA). Par contre, Franck Bretschneider, accompagné de Perce Warnecke pour les visuels, nous a laissés pantois : trop décousu, trop brut, trop improvisé, trop « free » par rapport à son album éponyme paru sur Raster Noton (Sinn+Form); en dehors d’un moment calme au milieu de ce fatras sonore, sous forme d’une boucle mélodique.

Nous avons préféré, de loin, ses acolytes Olaf Bender (Byetone) et Carsten Nicolai (Alva Noto) qui clôturaient les sessions le samedi soir. Ils ont livré un set cinglant, doté d’une force brute et d’un volume conséquent. Le tandem était épaulé par Atsuhiro Ito qui jouait de l’optron. Un instrument qu’il a inventé, qui ressemble à un néon perclus de capteurs avec lequel il se livre à des solos plein de luminescences et de stridences. Un peu plus tard dans la nuit, les derniers festivaliers encore valides après ces 4 jours intenses ont rejoint Alain Thibault, directeur d’Elektra, et son équipe pour un dernier set dans un bar-club (le Datcha, rue Laurier Ouest pour les connaisseurs). Rendez-vous est pris pour l’année prochaine…;)

Laurent Diouf
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015

> http://elektrafestival.ca

Ten Years After

Au fil des ans Electron a su conserver son ambiance conviviale et sa programmation éclectique, se préservant ainsi de la démesure de certains évènements qui n’ont plus qu’une vision comptable comme raison d’être… C’est ainsi que le Festival des cultures électroniques de Genève a franchi avec panache le cap des 10 ans d’existence en mars dernier; marquant à la fois la fin d’un cycle et le point de départ de nouvelles aventures…

Sascha Funke @ Electron 2013. Photo: D.R. / Electron Festival

Par une sorte de mise en abîme, cette édition 2013 accueillait le fameux label Kompakt qui célèbre pour sa part son 20ème anniversaire en sur-multipliant sa présence dans de nombreux clubs et festivals around the world. Cette étape genevoise proposant d’entrée de jeu, le jeudi soir, un plateau de choix avec Mohn, Sascha Funke et sa deep-tech à la fois charpentée et saccadée, ronde et cliquetante, Justus Köhncke imposant du chant en rupture de tonalité avec l’attente du public, Saschienne et Gui Boratto en point d’orgue. Rappelons le pour les béotiens (il y en a toujours qui traînent…), Kompakt a été créé à Cologne par Michael Mayer, Jürgen Paape et Wolfgang Voigt (alias Gas) sur les cendres d’un magasin de disque (Delirium) et a su popularisé la minimal-techno et les interludes « pop-ambient » chers à la scène allemande. Outre ses activités de booking et de distribution quasi-hégémonique en la matière, l’enseigne a conservé une section dédiée à la vente (physique et en ligne). Il était donc logique de recréer pour l’occasion un « fac-similé » du magasin avec la quasi-totalité des références du label disponible en vinyl et/ou CD, dans l’enceinte de L’Usine (le Centre Autogéré qui fait office de vaisseau-mère pour le festival). Une initiative qui nous a permis d’admirer une mosaïque de pochettes dans un décor à l’allemande (i.e. plutôt roots et rough, éloigné de tout design high-tech…) en écoutant les dernières productions tout en sirotant une bière gracieusement offerte par les tauliers…!

Calyx & Teebee @ Electron 2013. Photo: © Jeremy Hofmeister / courtesy Electron Festival

S’étant attardé aux premiers sets de la soirée Kompakt, on entreprend tardivement de se diriger vers La Gravière — épicentre du versant « bass-music » de la programmation d’Electron 2013 — où le Trojan Sound System à poser ses caissons. La route nous semble longue et hasardeuse pour des raisons indépendantes de notre volonté… Pris d’un doute, on cherche en vain quelques silhouettes dans la pénombre. En toute autre ville, ce périple le long d’un chemin sombre et escarpé en bordure de l’Arve (affluent du Rhône) se révèlerait un brin anxiogène. Mais c’est oublié que l’on est à Genève… Pas de (kernel) panique. On fini par voir se profiler une ombre mouvante : c’est une charmante pitchoune en vélo nous confirme que, oui, c’est bien par là que ça se passe… Une dizaine de mètres plus loin, les premières pulsations d’une basse pachydermique dissipent nos dernières appréhensions. Nous pénétrons ensuite dans la petite salle aux murs suintants, en priant pour ne pas être victime d’un décollement de la plèvre tant les fréquences distillées par les murs d’enceintes sont à couper le souffle. Mais hélas, trois fois hélas, nous arrivons trop tard pour cette entreprise de dubisation massive, lointaine dérivée de l’antique label Trojan… D’autres formations ont pris le relais. Nous reviendrons néanmoins rôder sur les lieux les jours suivants pour écouter notamment OBF + Mungo’s HiFi et surtout The Bug — aka Kevin Martin — en compagnie de Daddy Freddy pour un set de combat (sono à décorner un bœuf et déco camouflage tendance free party…).

Deepchild @ Electron 2013. Photo: © Thiago Lemos / courtesy Electron Festival

D’autres figures de légende étaient également conviées pour cette cuvée 2013 : à l’instar de plusieurs festivals, depuis quelques saisons Electron réveille la fibre des défuntes années 80s… Ainsi Daniel Miller, fondateur du label Mute, a assuré une sélection techno-pop-synth bien actuelle, tandis que le duo Kas Product, de nouveau en selle avec un son plus ample et rond, a rejoué ses titres-phares (« One of a kind », « Never come back », « So young but so cold », « Loony-Bin », etc.) devant un public transgénérationnel… En comité plus restreint, Genesis P-Orridge (Psychic TV, etc.) — qui après avoir ressemblé à une vieille Anglaise indigne a désormais des allures de Bavaroise fatiguée — parle de son amour disparu dont on n’est vraiment pas sûr qu’il/elle se remettra un jour… Une conférence placée sous le signe de la pandrogénie et agrémentée de visuels qui ne nous épargnent rien des boucheries successives que ce couple infernal s’est infligées. Intitulé S/He is (still) her/e : the pandrogeny project of Breyer P-Orridge, cette « explication de texte » s’avère être un excellent complément au film de Marie Losier, The Ballad Of Genesis and Lady Jaye. Quelques heures plus tard, malgré un rhume carabiné, Genesis P-Orridge monte sur scène en compagnie de son fidèle servant Bryin Dall à la guitare et aux machines pour des lectures de textes sur fond noisy, ravivant son projet Thee Majesty.

Mad Codiouf @ Electron 2013. Photo: © Matheline Marmy / courtesy Electron Festival

Autre conférence à laquelle nous avons assistée, celle de Mandrax. Pionnier de la scène house, revenu en Helvétie après un long exil new-yorkais à l’orée des années 90, il prouve que musique électronique est aussi « une histoire suisse »… Diffusant en préambule le morceau précurseur, si ce n’est visionnaire, de Manuel Göttsching, « E2-E4 » pour hypnotiser son auditoire, il démêle de manière très pédagogique l’écheveau des influences, courants et artistes qui ont forgé la techno et consorts, tout en pointant le contexte social dans lequel ils ont émergé. Après ce cours magistral, rien de tel qu’une pause dans le Chill-Out. Un espace conçu comme une installation, à la fois lieu de relaxation, d’écoute et de performance (matelas, visuels et cristaux compris), assurant la continuité du festival (24/24h) au moment où les autres salles fermaient. Proposé en référence aux chill-out des raves, ces espaces intemporels et surtout hors rythmiques qui ne subsistent plus que dans les rassemblements de la mouvance trance, cet endroit hébergeait une exposition qui rassemblait, entre autres, des œuvres de Sylvie Fleury et Jacques Perconte, ainsi que des archives des Merry Pranksters (prototype absolu des travellers…). L’écrin idéal pour écouter Sogar et sa musique minimaliste et cérébrale.

Mimetic @ Electron 2013. Photo: © Jeremy Hofmeister / courtesy Electron Festival

On regrette d’ailleurs que la part des musiques post-industrielles et expérimentales soit moins conséquente qu’à l’époque où Electron réquisitionnait le Théâtre de l’Alhambra niché au pied de la vieille ville. Il est vrai que l’équipe du festival s’occupe aussi de Présences Électroniques Genève, version suisse du festival parisien de l’INA-GRM qui concentre toutes ces autres facettes de la musique électroniques. Qu’importe, en ce week-end pascal notre soif de décibels est plus forte. Nous délaissons un peu les propositions péri-musicales (danse, ateliers, projections et dégustations), pour nous concentrer sur les multiples lives et DJ-sets à l’affiche de la programmation pléthorique. Parmi les nombreux intervenants, nous retiendrons en particulier le marathon de Theo Parrish, les extravagances sonores de Murcof, le classicisme de Rubin Steiner et LFO en version 2.0. très abrasif. Pour le versant techno : Derrick Carter, Attaque, Anja Schneider et Deepchild, roboratif et efficace. Plus transversal : Tiga, Kenny Dope plutôt old school et brouillon, Mimetic avec un live elektro-breakbeat très acéré. Au rayon drum-n-bass, citons TC dont on regrettera l’omniprésence du MC; tout comme pour le tandem Calix & Teebee et Loadstar — bien qu’un ton en dessous. Enfin, dans un genre voisin, aux consonances dubstep clairement revendiqué, on préférera Shackleton et, palme d’or, Mala In Cuba dont la combinaison breakbeat & bass / percus latino est vraiment détonante. La suite dans quelques mois…

Laurent Diouf
publié dans MCD HS#08, cultures numériques live, octobre 2013