sur la terre comme au ciel

C’est une nouvelle descente aux enfers que nous proposent les artistes multi-médias Gast Bouschet & Nadine Hilbert. Vidéo en noir et blanc, musique crissante et entêtante, décor évanescent : une partie du Centre des Arts d’Enghien est ainsi le terrain d’expérience d’une étrange ré-interprétation de l’œuvre de Dante. Gast Bouschet & Nadine Hilbert ont opté pour le froid et le sombre, plutôt que le feu et le rougeoiement des abîmes infernaux : leur pièce maîtresse, Cocytus Defrosted qui offre succession d’images spectrales, est allégorie du neuvième cercle de l’Enfer de Dante; celui où les damnés sont emprisonnés dans la glace…

À l’étage, Laura Mannelli, architecte et artiste, complète cette exposition avec une série d’installations et une déambulation virtuelle. Les différents cercles et paliers de la Divine Comédie étant déjà des métavers… Co-réalisé avec Frederick Thompson (Revv Studio) et Gérard Hourbette (récemment disparu, co-fondateur du combo Art Zoyd), Near Dante Experience est donc un projet immersif qui « mixe » la Divine Comédie et les manifestations de ce qu’il est convenu d’appeler les expériences de mort imminente (en anglais, near death experience). Laissez votre corps derrière vous et laissez vous guider par la lumière au bout du tunnel…

Laurent Diouf

As Above So Below / sur la terre comme au ciel : exposition avec Gast Bouschet & Nadine Hilbert + Laura Mannelli, Centre des Arts d’Enghien, jusqu’au 30 décembre
> http://www.cda95.fr/fr/content/above-so-below-sur-la-terre-comme-au-ciel

ceci n’est pas une exposition…

À proprement parler, comme le proclame de manière intempestive le panneau d’infos à l’entrée de la Fondation EDF, il ne s’agit pas d’une exposition, même si c’est le terme employé. Au travers des pièces rassemblées par Fabrice Bousteau, La Belle Vie Numérique est en fait une illustration de la manière dont le numérique bouleverse notre vie quotidienne. Et de ce que ce bouleversement induit au niveau des pratiques artistiques, en terme de champ d’investigation, d’outils, de supports et de normes esthétiques.

Marie-Julie Bourgeois, Tempo II. Photo: D.R.

Pour autant, on reconnaît quelques œuvres emblématiques pour qui s’intéressent à l’art numérique. À commencer par Tempo II de Marie-Julie Bourgeois qui sert de signalétique à cette manifestation. Cette version 2 proposée sous forme de triptyque reprend son principe d’origine : une mosaïque d’écrans branchés sur des webcams qui laissent entrevoir des fragments de ciel en temps réel. Au total, 270 petites fenêtres bleutées qui clignotent au gré des nuages, des fuseaux horaires et de la rotation terrestre, avec un habillage sonore qui fluctue toutes les 4 minutes, au rythme des mises à jour de ces images.

Autres pièces significatives, les dispositifs hybrides de Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt, alias Scenocosme, mêlant le végétal au digital. Dans ce cadre, on redécouvre Akousmaflore. Un jardin suspendu et interactif : les visiteurs étant invités à toucher les feuilles qui réagissent en émettant des sons modulés selon l’intensité des caresses prodiguées. Basé aussi sur ce principe du toucher lié aux variations des courants électrostatiques corporels, le couple d’artistes présente également une pièce de leur série Matières Sensibles : une fine planche dont on peut jouer comme d’une harpe en laissant glisser nos doigts sur les nervures du bois.

Mais nombre d’installations pointent les travers des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et des réseaux sociaux, du narcissisme puéril des utilisateurs, les abus, jusqu’à l’absurdité, de la géolocalisation, du partage et de l’exploitation des données personnelles, des protocoles d’accès… Ainsi Aram Bartholl et ses séries Are You Human? et Select All Squares qui parodient les codes Captcha et grilles d’images qui se multiplient pour accéder à un site et/ou confirmer l’envoi d’un message. Entre topographie composite et cartes postales dématérialisées, Julien Levesque puise, comme son titre l’indique, dans Google Street View pour sa série Street Views Patchwork.

Le selfie — ou l’égoportrait selon la terminologie de nos cousins québécois — est mis à l’index avec Encoreunestp, via des miroirs qui s’offrent comme une mise en abîme. Carla Gannis en propose une version colorée et augmentée (The Selfie Drawings). Elle met également en scène, façon Jérôme Bosch, les émoticônes dont on parsème nos posts (The Garden of Emoji Delights). En forme de performance, Amalia Ulman développe une fiction en prenant comme support Instagram, avant d’être célébrée à la Tate Modern (Excellences & Perfections)… Mwood utilise pour sa part l’application de streaming vidéo Periscope, dont on a mesuré l’impact en France lors du mouvement contre la Loi Travail en 2016, via une installation où il projette une sorte de mini-zapping sur d’antiques ordinateurs (Fifteen Seconds of Fame).

Mais par rapport à la philosophie affichée de cette « non exposition », c’est sans aucun doute le projet Rembrandt.2016 qui pose le mieux cette problématique de l’art confronté à la révolution du numérique. En 2016 donc, sous l’égide de Microsoft, des ingénieurs mettent au point une sorte de monographie informatique des peintures Rembrandt. Position des yeux, expressions du visage, apparence vestimentaire, etc. Toutes les données sont recoupées pour établir, sans jeu de mots, une sorte de portrait-robot. Conforme aux canons de Rembrandt, il en ressort le portrait d’un homme blanc âgé de 30 à 40 ans, de face, tourné vers la droite, dans un costume noir, portant un chapeau et une fraise… La réalisation de ce faux, baptisé The Next Rembrandt, a été confié a une imprimante 3D pour parfaire le rendu, la trame et la matière de la toile (le mouvement des coups de pinceau, l’épaisseur de la peinture, la superposition des glacis). L’effet est saisisant, tout comme les perspectives ouvertes par cette démarche transgressive.

Laurent Diouf

La Belle Vie Numérique, entrée libre, jusqu’au 18 mars 2018, Fondation EDF, Paris.
> https://fondation.edf.com/fr/expositions/la-belle-vie

la révolution pour la musique contemporaine

C’est la présence d’Alex Augier, à l’affiche du Grand Soir Numérique, qui nous a décidés de sortir de notre tanière pour assister aux concerts donnés à la Philharmonie dans le cadre de la biennale Nemo le 26 janvier dernier. Nous avions découvert oqpo_oooo, sa précédente performance A/V, lors du festival Elektra à Montréal en 2016. Campé au milieu d’un dispositif assez simple (une structure tubulaire et de la toile) qui forme une sorte de cube 3D, Alex Augier dispensait de la « techno-tronique » assez cinglante et articulée autour de motifs géométriques synchronisés sur les fréquences et la rythmique.

Sa nouvelle performance baptisée _nybble_ (soit le terme anglais pour désigner un demi-octet équivalent à 4 bits) reprend ce principe. Mais cette fois le cube semble un peu plus ouvert, un peu plus transparent; de fait Alex Augier semble moins enfermé dans cette structure. Les visuels sont moins compacts également. Les tracés ressemblent plus à des explosions de particules qu’à des perspectives rectilignes. Et sa musique se fait plus « brute », si ce n’est brutale. Ses fulgurances electronic-noise ricochent d’un canal à un autre, de même que les projections vidéos passent d’un écran à un autre.

Changement de décor avec Nicolas Crosse. Il fait face à un batteur, un pianiste et un violoncelliste. Les premières mesures laissent penser à la simple interprétation d’une pièce « classique ». La scène est vide de tout dispositif. Mais bien vite la gestuelle saccadée laisse transparaître un tout autre scénario. Nicolas Crosse est équipé de capteur, tout comme les musiciens. Ces capteurs permettent de générer et séquencer des sons en temps réel. Gestes répétitifs, chaotiques ou au contraire affûtés comme un rasoir : l’attaque des mouvements détermine la tonalité et la sonorité des samples. Un « duel » s’engage entre les protagonistes. Le télescopage de sonorités acoustiques et électroniques va crescendo. Le tout avec humour ! Une composante plutôt rare dans le domaine. Le titre de cette pièce écrite par Alexander Schubert n’en est que plus significatif : Serious smile.

On esquisse quelques sourires également lorsque l’on voit apparaître les raquettes stylisées de l’antique jeu vidéo Pong sur écran. Curieux et amusant « cross over » entre quelques bruits cartoonesques, une projection vidéo azimutée et une bonne vingtaine de musiciens classiques (hautbois, clarinette, contrebasse, violon, etc.). Nous sommes cette fois en compagnie de l’Ensemble InterContemporain placé sous la direction de Vimbayi Kaziboni. Osons une parenthèse et chromatisons notre propos, le fait qu’une personne née au Zimbabwe, partageant ses activités entre l’Europe et les États-Unis, dirige une telle formation nous réjouis profondément. C’est aussi rare que l’humour dans ce milieu justement… Baptisée Any Road, cette pièce créée par Daniele Ghisi, avec Boris Labbé pour les visuels, est la transposition d’un projet avorté qui devait justement combiner jeu vidéo et création musicale.

Par contre, nous restons septique sur la pertinence du deuxième set mené par l’Ensemble InterContemporain. Non que les qualités du pianiste Dimitri Vassilakis soient en cause, mais simplement parce que ce concerto de Rene Glerup n’a strictement rien d’électronique et, de fait, est en contradiction avec l’intention même de cette soirée : souligner que la révolution numérique n’a pas épargné la musique contemporaine, conjuguer l’image et le son, croiser les pratiques et les technologies pour développer de nouvelles esthétiques sonores.

Après cette « sortie de route », on se retrouve de nouveau en terrain conquis avec de l’electronica noisy et des visuels vidéo. En l’occurrence, un maelstrom rougeoyant, dense et grésillant conçu par Tarik Barri. Le son, « drone post-indus noise » (pour résumer), est assuré par Paul Jebanasam qui donne aussi dans le dubstep sous le pseudo de Jabba pour le projet Moving Ninja signé sur Tectonic. Intitulé Continuum, cette performance A/V se veut une exploration en trois temps de la vie, la puissance et l’énergie de l’univers… Plus prosaïquement, c’est aussi un très bon album éponyme, ambient-experimental de 3 plages aux titres pour le moins alambiqués, paru en 2016 sur Subtext; label cofondé par Paul Jebanasam avec James Ginzburg (30Hz, Emptyset) et Roly Porter (Vex’d).

Laurent Diouf

Grand Soir Numérique, le 26/01/18, Philharmonie, Paris.
> https://www.biennalenemo.fr/2017/08/04/grand-soir-numerique/

 

Art Jaws Media Art fair

Variation a refermé ses portes. L’heure est donc au bilan pour l’édition 2017 de cette foire-exposition consacrée à « l’art des nouveaux médias » (media art fair) qui s’est tenue à la Galerie de la Cité internationale des arts à Paris fin novembre, sur les quais près de l’Hôtel de Ville.

Les œuvres présentées témoignaient d’un large éventail de ces pratiques artisques liées notamment aux technologies de l’information et ce que l’on nomme, par extension, l’art numérique. Comme le soulignait dans son édito Dominique Moulon, commissaire de l’exposition, ces pièces étaient proposées à travers une scénographie ouverte et propice aux dialogues improbables. Une quarantaine d’artistes voyaient ainsi leurs œuvres réparties sur les différents plateaux de la galerie.

Au détour d’installations, de dispositifs vidéos ou de reproductions photographiques, on reconnaissait une des « mosaïques temporelles » colorées du collectif LAb[au] (chronoPrints, 2009), presque déjà un « classique »; contraste absolu par rapport aux troublants amalgames de visages et lambeaux de corps générés par Grégory Chatonsky (Perfect Skin II, 2015).

Samuel Bianchini, Enseigne [tapuscript], 2012. Photo: D.R.

Les messages lumineux de Samuel Bianchini (Enseigne [tapuscript], 2012) et Fabien Léaustic (Hello World, 2016) bousculaient le sens des mots; de même que Thierry Fournier qui joue sur l’injonction paradoxale du secret à l’heure de la surexposition sur les réseaux (Hide Me, 2017). Esmeralda Kosmatopulos jongle également avec les mots, les symboles, les signes comme l’arobase ou le dièse (#Untitled, 2013), les gestes et autres Climax (2016) attachés aux smartphones et réseaux sociaux.

Objet emblématique de notre époque, le smartphone a induit toute une série de gestuelles propre aux écrans tactiles. Des gestes que l’industrie n’a pas manqué de breveter dans une logique mercantile. À rebours, Myriam Thyes sublime la beauté du geste qui s’apparente à une caresse envers les machines (Smart Pantheon, 2016). Benjamin Gaulon alias Recyclism explose, littéralement, la représentation de soi à travers les écrans brisés des téléphones portables; proposant ainsi une sorte d’auto-portrait de l’utilisateur en gueule cassée (Broken Portraits, 2016-2017).

Félicie d’Estienne d’Orves, Cosmographies, 2016. Photo: D.R.

Changement d’environnement avec les « produits dérivés » (broderies, recherches au sol) d’Eduardo Kac; variations justement autour de l’origami 3D conçu, et réalisé en collaboration avec l’astronaute Thomas Pesquet, comme une œuvre flottante en apesanteur pour la station spatiale (Téléscope Intérieur, 2016). On citera aussi les « blocs mémoire » de Lopez Soliman qui fige dans le marbre la silhouette agrandie de cartes SD (File Genenis n.2, 2016-2017).

Dans ce dialogue improvisé, aux faisceaux laser lancés dans le ciel par Félicie d’Estienne d’Orves (Cosmographies, 2016) répondait l’étrange monolithe transpercé et brillant comme un miroir métallique aux reflets bleutés de Martin Bricelj Baraga. Baptisé Cyanometer, ce dispositif s’inspire du cyanomètre, un instrument pour mesurer la couleur du ciel développé par Horace-Bénédict de Saussure au 18e siècle. Martin Bricelj Baraga en propose une version 2.0, avec écran LCD, dans une esthétique très dépouillée, qui inclut également d’autres paramètres et mesures comme celle de la pollution.

Martin Bricelj Baraga, Cyanometer. Photo: D.R.

En s’emparant des textes de William Burroughs, Pascal Dombis prolonge l’expérience du cut-up en croisant datas et algorithmes (The Limits of Control (B7), 2016). Pe Lang conçoit des objets animés. Certains alignent des anneaux ondulants sur des filins. Ils peuvent se déployer sur des panneaux de plusieurs mètres. Plus modeste en taille, celui présenté dans le cadre de Variation évoquait un boulier parcouru d’ondes magnétiques (Moving Objects, n.1751-1752). Charles Carmignac a réalisé un étrange artefact aux allures de créature aquatique avec un simple un voile de couleur turquoise en suspension dans un tube de verre (In Vitro Blue, 2016).

Enfin, dans un recoin de la galerie, on tombe nez-à-nez avec un mobile composé de tubulures et de miroirs qui tournoient. La pièce détonne parmi les autres œuvres exposées. Ses formes évoquent les années soixante. C’est le cas (Chronos X, 1969). Mais cette sculpture fait preuve d’une étonnante modernité. Temporalité, spatialité, mobilité, interactivité, lumino-dynamisme… C’est la marque de Nicolas Schöffer, pionnier de l’art cinétique et cybernétique, artiste visionnaire disparu en 1992 dont on n’a pas fini de (re)découvrir les champs d’activité. En marge, dans le cadre de la Digital Week, il était possible de visiter son atelier parisien. L’endroit semble figé dans le temps, le comble pour une œuvre en mouvement ! Sa compagne assurait la visite, partageant avec rigueur son érudition pour transmettre la mémoire d’une démarche artistique singulière, « multimédia » avant l’heure.

Nicolas Schöffer, Chronos X, 1969. Photo: D.R.

En parallèle, on pouvait aussi se replonger dans l’histoire récente de cette convergence des arts et des technologies qui s’est cristallisée dans les années soixante. Intitulé L’Origine du Monde (Numérique), cet aperçu photographique de projets et événements précurseurs — l’Art and Technology Program du County Museum of Art de Los Angeles en 1966 qui mettait en contact des artistes avec des grands groupes industriels; les performances 9 Evenings: Theatre and Engineering à l’origine du groupe Experiments in Art and Technology à New York en 1966 avec notamment John Cage; et l’exposition Cybernetic Serendipity organisée à l’Institute of Contemporary Arts de Londres en 1968 — permet aussi de relativiser la portée innovatrice de certaines œuvres contemporaines…

Laurent Diouf

Photos: D.R. / Variation
> http://variation.paris/

festival des arts multimédia

Le coup d’envoi de l’édition 2017 de Gamerz a été donné vendredi 3 novembre, avec l’inauguration de l’exposition phare du festival à la Fondation Vasarely. La thématique pour cette 13ème édition est axée autour de la part sombre, et parfois occulte, des nouvelles technologies. L’exposition se donnant pour objectif de mettre en avant des créations artistiques actuelles, dans lesquelles les artistes questionnent nos différents modes d’interactions avec les machines à travers le spectre de l’ésotérisme. Parmi les pièces proposées, nombreuses sont celles qui empruntent les codes d’un certain animisme-digital.

Parmi les œuvres exposées qui flirtent avec ce nouvel âge de l’ésotérisme, on retiendra notamment l’inventaire cartographique de Suzanne Treister qui retrace les nombreuses ramifications des différents mouvements et théories de la contre-culture; des anarcho-primitivismes au transhumanisme, de Thoreau à Adorno, du CLODO (Comité pour la liquidation ou la destruction des ordinateurs; actif sur Paris et Toulouse entre 1980 et 1983) à Unabomber. Intitulée Hexen 2.0, cette taxinomie illustrée par des arcanes du tarot au crayonné très riche pointe également les soubassements idéologiques, cryptiques et souvent délirants, du complexe militaro-industriel.

Suzanne Treister, Hexen 2.0. Photo: D.R.

Avec Alphaloop, retrouvant les utopies des 60s qui ont irriguées la Silicon Valley, Adelin Schweitzer « ré-enchante » l’usage du téléphone via une intervention immersive et déambulatoire où les participants munis de casque VR sont invités à se laisser guider par un shaman moderne et à appréhender le réel transfiguré comme sous l’effet de psychotropes… Présentée sous forme d’une restitution vidéo organisée à la manière d’un totem, avec encens, pentagrammes vidéographiques et devices obsolètes en offrandes, cette installation nous donnait aussi un aperçu de la première performance de ce type réalisée quelques semaines plus tôt.

Adelin Schweitzer, Alphaloop. Photo: D.R.

Inversement, avec Sketches towards an Earth Computer, Martin Howse propose, au sens strict, une œuvre en prise sur le terrain. Son installation est en fait une sorte une carte-mère de quelque mètres carrés qui utilise à la fois des éléments métalliques, électroniques et surtout organiques (terreau, champignons). Les réactions chimiques liées à ces composants, ainsi que les variations de lumières et d’humidité, génèrent des feedbacks qui opèrent comme un véritable code informatique « chtonien », évoluant au fil de ces paramètres.

Martin Howse , Sketches towards an Earth Computer. Photo: D.R.

Luce Moreau est également attachée à la terre, à la nature. Cette plasticienne travaille en « jouant » avec des insectes (des chenilles processionnaires qui tournent sans fin sur un anneau de Moebius). Et des abeilles auxquelles elle soumet des formes pour modeler les rayons de leurs ruches; reprenant par exemple l’ossature du fameux Phalanstère de Charles Fourier, qui se voit ainsi reproduit comme une maquette en cire d’abeille. Une démarche à mettre en perspective avec d’autres artistes et collectifs qui mettent également les abeilles a contribution en détournant leur construction à des fins artistiques comme le BULB (Brussels Urban Bee Laboratory), Ann Kristine Aanonsen, Sabino Guiso, Ren Ri, Stanislaw Brach…

Luce Moreau, Les Palais. Photo: D.R.

À l’opposé, Émilien Leroy focalise sur les friches industrielles du Nord de la France. Collection et accumulation de vieilles boîtes à outils métalliques colorées et de masques de soudure aux allures africaines : ses installations à la Arman témoignent de la mémoire sociale et ouvrière de L’Usine des Dunes près de Dunkerque. On le retrouve plus tard lors de la soirée d’ouverture, sous le pseudo de Feromil, affublé d’un vieux masque à gaz qui lui donne des allures d’alien ou de liquidateur de Tchernobyl, pour un set « electro-magnétique » plein de larsens et de sonorités abrasives générées par un détecteur de métaux.

Feromil. Photo: D.R.

Glitch, electronic-noise et cyber-breakbeats étaient également au programme de cette soirée qui s’est ouverte sur Attack me please at 2.432 GHz, la symphonie audiovisuelle pour lignes de code, bugs et hautes fréquences de Benjamin Cadon (par ailleurs directeur artistique de Labomedia). À la suite, avec son Radioscape, Nicolas Montgermont a balayé les ondes radio de 3GHz to 30kHz. Chaque bande de fréquences étant visualisée et signalée selon leurs utilisations (Marine, Satellite, TV, FM, etc.). Il est à noter que ce voyage dans le spectre sonore a aussi été matérialisé sur disque vinyle. En conclusion, le trop rare duo Servovale (Gregory Pignot & Alia Daval) avait ressorti leurs machines pour une performance A/V aux contours géométriques et aux rythmiques cinglantes baignant dans une ambiance post-industrielle.

Laurent Diouf

Gamerz, jusqu’au 12 novembre, Aix-en-Provence
> www.festival-gamerz.com

LE RÊVE DES FORMES
art, science, etc.

En 2007 Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains basé à Tourcoing, fêtait sa première décennie en proposant, notamment, une exposition au Grand Palais à Paris. Pour célébrer son vingtième anniversaire, cette structure créée et dirigée par Alain Fleischer se téléporte une nouvelle fois hors de ses murs, au Palais de Tokyo à Paris, pour présenter un vaste aperçu de créations artistiques en résonnance avec des questionnements scientifiques. Baptisée Le Rêve des formes, cette exposition est le temps fort de cette célébration qui compte par ailleurs d’autres événements et se prolongera jusqu’à la rentrée.

Katja Novitskova, Approximation V. Photo: D.R.

Mettant l’accent les différentes facettes de la conjonction art/science, Le Rêve des formes offre un très bon aperçu de créations faisant appel à l’univers de la 3D, la physique des particules, les mutations génétiques ou la robotique. Comme le souligne Alain Fleischer dans le texte introductif de cette exposition dont il est le commissaire avec Claire Moulène, ce qui est mis en valeur c’est une plasticité qui est aussi celle de la matière biologique, des vagues à la surface de l’océan, des laves volcaniques ou des galaxies dans le cosmos. On pourrait rajouter les circonvolutions de la botanique, du règne animal et du corps humain, tant cette manifestation focalise sur formes du vivant. De cette diversité formelle naît aussi la possibilité d’un regard trouble qui questionne l’évidence, d’une vision décentrée qui réinjecte de l’opacité…

Ce qui retient l’attention d’Alain Fleischer c’est justement les formes qu’on finit par ne plus voir et « le comment du pourquoi » de cette cécité. Comment une forme devient-elle énigmatique ? Où est la frontière entre forme, difforme et informe ? Les pièces proposées dans le cadre de cette exposition offrent plus une réponse en « forme » de rêves artistiques que des certitudes scientifiques, mais l’intention première est, tout simplement, de confronter des œuvres d’art contemporain à des objets formels, issus des domaines de la recherche scientifique, et qui peuvent être offerts à la contemplation à l’imagination, à la curiosité, au sens ludique du public traditionnel de l’art.

Concrètement, cette confrontation commence avec un ensemble d’éclairage suspendu comme on peut en voir dans une usine ou un hangar abandonné. Sauf qu’au lieu de la poussière et des insectes morts accumulés au fil du temps, ce sont des (fausses) grenouilles dont on aperçoit l’ombre par transparence. Fragment d’une installation de Dora Butor intitulée Adaptation of an Instrument, ce dispositif est censé réagir au passage des visiteurs grâce à un système régit par des réseaux neuronaux. En contrepoint, les agrandissements photographiques du génome d’Annick Lesne et Julien Mozziconacci (chercheurs en génie génétique, CNRS & UPMC) nous plongent dans les arcanes secrets du vivant. Même impression de transfiguration devant les macros de Gwendal Sartre où les détails d’une chevelure prennent l’allure de paysages dantesques (J’ai gravé dans ses cheveux).

Dora Butor, Adaptation of an Instrument. Photo: D.R.

Le végétal est aussi très présent parmi les pièces exposées. Marie-Jeanne Musiol photographie en quelque sorte l’aura des plantes et propose une série de clichés électromagnétiques (Nébuleuses végétales). Alain Fleischer, Anicka Yi et Spiros Hadjudjanos nous montrent des fleurs et cactus déformés, en mutation, dont la croissance désordonnée peut revêtir un aspect fantasmagorique, et même s’animer et se transformer en fauteuils, château, etc. Bertrand Dezoteux avec Super-règne, son film d’animation 3D dont les personnages sont inspirés à la fois de la lecture de L’Univers bactériel de la biologiste Lynn Margulis et des sculptures de Bruno Gironcoli, raconte les péripéties d’un livreur dans un monde science-fictionnesque peuplé de petits êtres démultipliés et de créatures bio-mécaniques improbables.

Le vent, l’eau, le sable — ou, pour résumer, la mécanique des fluides — sont source d’inspiration pour de nombreux artistes. À commencer par Hicham Berrada, Sylvain Courrech du Pont et Simon de Dreuille avec Infragilis qui met en œuvre une maquette dans laquelle sont dispersées de fines particules qui s’assemblent, composent et recomposent un désert en miniature dont on peut observer les variations en grand format sur une vidéoprojection. En modélisant le ressac de la mer sur des rochers, au travers de son installation algorithmique En recherchant la vague, Gaëtan Robillard illustre cette « géométrie des formes inhabituelles » (tribute to Maryam Mirzakhani…) renforcée par les propos de Bernard Stiegler diffusés en bande-son. Ryoichi Kurokawa fait également « danser » des particules en suspension, de manière saccadée et scandée par de l’electronica noisy pour son installation holographique, Mol. D’un abord moins évident — avec, au sens strict, un titre en trompe l’œil : La Clepsydre — l’installation vidéo cubique de Sylvie Chartrand finit par dévoiler de façon parcellaire les contours d’une silhouette humaine.

Au final, l’ensemble de ces créations présente des formes fluctuantes et surtout trompeuses comme les couleurs du caméléon de Katja Novitskova (Approximation V), emblème de cette exposition qui se poursuivra début septembre par une réflexion approfondie au Collège de France. Un colloque qui fera intervenir de nombreux philosophes (dont Georges Didi-Huberman), ainsi que des artistes et chercheurs. Les actes de ce colloque seront par ailleurs publiés dans la collection Le Genre Humain des Éditions du Seuil. Outre une rétrospective de films et vidéos qui témoigne des « utopies créatrices » soutenues par Le Fresnoy, d’autres temps forts viendront compléter cet anniversaire. Notamment à Rome à l’invitation de l’Académie de France, ainsi qu’à Buenos Aires et au Daegu Museum en Corée au l’exposition sera reprise avec le soutien l’Institut Français. Enfin, dans son fief à Tourcoing, l’équipe du Fresnoy pilotera la 19e édition du festival Panorama qui nous permettra une fois encore de découvrir des artistes émergents. Bon anniversaire, donc.

Laurent Diouf

Exposition Le Rêve Des Formes, art, science, etc. jusqu’au 10 septembre, au Palais de Tokyo, Paris. > http://www.palaisdetokyo.com/fr/evenement/le-reve-des-formes

Colloque Le Rêve Des Formes, les 5, 6 et 7 septembre, au Collège de France, Paris.

Festival Panorama 19, Rendez-vous annuel de la création, du 23 septembre au 31 décembre 2017, Tourcoing.

Le FresnoyStudio national des arts contemporains > www.lefresnoy.net

revesformes

les mondes virtuels de Pia MYrvoLD

Après avoir présenté ses œuvres interactives en 3D au Centre Pompidou à Paris en 2014, Pia MYrvoLD en propose une deuxième « version », reconfigurée, à la Vitenfabrikken de Sandnes en Norvège. Dans le hall de ce lieu dédié à l’art et à la science, dans un esprit proche de celui de La Villette, on retrouve Stargate. Une porte heptagonale où défilent en boucle des images de synthèse colorées. Mais tout se passe à l’étage, dans une salle obscure. La luminosité des écrans se détache dans la pénombre. Les couleurs éclatent. Les formes se démultiplient. Les avatars tournoient. Les dispositifs de contrôle nous attendent. Nous sommes au cœur de la machine…

Art Avatar 2 est plus qu’une exposition; ou plutôt ce n’est pas uniquement une exposition. Ici, il ne s’agit pas seulement de contempler les installations numériques de Pia MYrvoLD, mais littéralement de s’impliquer dans cet univers graphique au contour changeant. D’emblée, le visiteur est invité à participer à l’élaboration de ces créations évolutives. Le processus est simple : via une petite interface, en quelques clics et modifications de paramètres, on peut créer un avatar. De forme ovoïde, évoquant quelques créatures des abysses, doté d’excroissances tentaculaires ou de filaments réactifs, cet avatar rejoint ensuite une galerie d'(auto)portraits qui s’étoffe au fil des participants.

Première étape, en activant l’avatar via une carte à puce, on a la possibilité de danser avec notre double numérique. L’effet est saisissant. Dans un espace assez lounge, délimité par deux panneaux de projection vidéo, on se retrouve en face-à-face avec notre créature… Synchronisée sur nos mouvements, la « chose » s’anime, s’avance, pivote et ondule au gré de nos gesticulations. Une bande-son, également modulable selon les paramètres choisis, achève de nous embarquer vers le futur. Au passage, soulignons une fois encore le grand rôle que « joue » la musique, généralement post-industrielle, dans ce type d’installation. Que ce soit des loops ou des patterns plus séquencés, plus rythmés, ce n’est pas un simple habillage sonore, cela renforce le processus d’immersion. Un tapis de sol reprenant les motifs du décor 3D complète par ailleurs l’immersion dans ce monde virtuel, en jouant sur l’effet de continuité avec le monde réel.

Ensuite, dans un deuxième temps, à un autre endroit, les avatars viennent peupler une sorte de parc virtuel dans lequel on peut se télétransporter, se déplacer, se perdre… Au fur et à mesure de la durée de l’expo, cet espace miroir s’étoffe, passant d’un paysage assez vide à un décor augmenté, en évolution constante. Et l’on peut même y recroiser son propre avatar au détour d’une pérégrination… Même si ce n’est pas l’intention première, on ne peut s’empêcher de penser qu’un casque VR aurait permis de prolonger cette expérience unique en se plongeant complètement (définitivement ?) au sein de ce jardin d’Eden 2.0 qui évoque aussi quelques recoins oubliés de Second Life.

Reste que le fait de donner la possibilité au public de créer des avatars et de les intégrer dans une œuvre qui, de fait, devient « plurielle » dépasse, de loin, la simple interactivité que l’on retrouve généralement dans les créations artistiques de l’ère digitale. Pour désigner ce processus, au terme « co-création », on préféra toutefois parler de dialogue et d’horizontalité entre l’artiste et le « visiteur-créateur »… Un protocole qui correspond bien aux modalités de la révolution informatique qui va à l’encontre de toute verticalité, qui offre une échappatoire à esthétique surplombante de l’art « classique » que l’on ne peut que contempler.

Par ailleurs, et c’est également essentiel, les modalités de cette création/intervention des visiteurs ré-implique le mouvement et le corps, trop souvent « absents » dans la relation aux œuvres. De plus, cet aspect ludique et performatif gomme l’aspect narcissique que l’on pourrait penser être prégnant dans ce rapport à notre avatar. Mais plus que Narcisse, à la suite de la philosophe et professeure d’esthétique Christine Buci-Gluckmann, c’est la figure de Protée qui nous semble plus pertinente pour symboliser les créations de Pia MYrvoLD. Outre la danse pour laquelle cette divinité grecque est parfois associée, c’est surtout ses capacités à se métamorphoser à l’infini qui résonne au regard des formes et figures génératives qui occupent les écrans.

Une constance dans les créations de Pia MYrvoLD, comme on peut le constater au travers des autres œuvres réunies pour Art Avatar 2. C’est tout un bestiaire fluctuant et coloré, une galerie de formes mouvantes telles des créatures marines, des vers à soie enroulés dans leur fil, des grappes de mercure en suspension, des monstres aquatiques, des geysers qui explosent au ralenti ou entités extraterrestres qui lévitent sur les écrans agissant comme des miroirs démultipliés. Dans cette expérience visuelle sans cesse renouvelée, ces peintures et sculptures 3D conservent des rondeurs rassurantes, même si parfois quelques excroissances anguleuses et déplacements intempestifs peuvent paraître menaçants. La raison de cette « bienveillance » esthétique tient sans doute à la figure de la déesse-mère, aux Vénus chères à Pia MYrvoLD.

Conçu avec l’aide technique de Yann Minh (artiste cyberpunk et pionnier des métavers, cf. MCD #33 et MCD #59) et Éric Wenger (artiste programmeur et designer sonore), Art Avatar s’inscrit dans le parcours artistique de Pia MYrvoLD. Révélée dans les années 80/90s pour son approche pluridisciplinaire (vidéo, design, musique électronique, multimédia, vêtements connectés…), elle opte ensuite pour une approche plus poussée vers les techniques de l’animation 3D, de l’interactivité, de l’immersion. Et surtout du virtuel qu’elle considère, au-delà de la question des nouvelles technologiques, comme le schème, la condition sous-jacente de toutes créations et représentations mentales; qu’elles soient artistiques, politiques, sociales, religieuses…

Sans délaisser des réalisations qui jouent sur les matières et la lumière comme en témoigne notamment ses smart sculptures, Pia MYrvoLD va donc continuer d’explorer l’univers immatériel du virtuel et proposera d’autres déclinaisons d’Art Avatar qu’elle conçoit comme une série d’expositions évolutive naviguant entre réalité virtuelle, réalité augmentée et réalité mixte, et questionnant le monde réel. L’élément-clé de ce questionnement étant ce « miroir » où évoluent les avatars, véritable pont entre le monde réel et virtuel. Sachant qu’à l’avenir, d’autres environnements permettront encore d’enrichir et croiser les relations du public dans le virtuel.

En-dehors d’Art Avatar et de la série Métamorphoses du Virtuel dont elle est fondatrice et curatrice, et qui fut présentée à Venise en 2013 puis à Shangaïa en 2014, Pia MYrvoLD est aussi investie sur d’autres projets. En particulier SYN-ENERGIES, développé comme une série de sculptures monumentales intelligentes qui absorbent l’énergie grâce à une interaction éolienne, solaire, hydraulique ou humaine. Présentée lors de la conférence Art For Tomorrow, organisée par le New York Times à Doha en 2016, une étude initiale a été finalisée pour SUN TRUMPETS. Une installation de 200 m2 pour les musées du Qatar qui consiste en 12 tours générant de l’énergie pour alimenter les évènements artistiques autour des nouveaux médias.

WANDS, une autre série de sculptures intelligentes basées sur une première génération lancée en 2015 dans l’Atelier Nord ANX à Oslo, est actuellement en attente de partenariat. L’idée notamment étant de passer de l’immatériel au matériel pour l’art des nouveaux médias, de proposer des objets d’art « plug & play » pour des tablettes, et une architecture d’évènement basée sur de multiples paramètres de temps et d’interactions. En attendant, on pourra découvrir d’autres pièces et installations de Pia MYrvoLD à la galerie Lélia Mordoch à Paris — qui la représente aussi à Miami et doit publier un livre retraçant sa démarche artistique sur la décennie passée — à partir du 21 septembre, ainsi qu’en Norvège pour deux expositions personnelles à l’automne prochain.

Laurent Diouf

Photos: D.R.

exposition collective du réseau des villes créatives

Difficile de prédire l’avenir, d’imaginer ce que seront les villes de demain, même dans un futur proche, tant le numérique révolutionne sans cesse notre vie quotidienne. Il sera sans doute assez amusant de se livrer, dans quelques années, à une sorte de rétro-futurisme, comme on a pu le faire au tournant du millénaire à propos des visions antérieures de l’an 2000. En attendant, les philosophes, sociologues et urbanistes, notamment, essayent toujours d’élaborer des prospectives raisonnées. En parallèle, les artistes rendent visibles les imaginaires qui s’inscrivent autour de ces questions liées à la ville.

L’exposition Data City au CDA d’Enghein est intéressante sur ce plan, en ce qu’elle révèle au travers d’une dizaine d’œuvres et d’installations les mythes et non-dits de la re-construction numérique de la cité. Label et réseau promu par l’UNESCO pour des villes qui se projettent dans l’avenir sans perdre leur âme et en conservant les dimensions sociales, économiques et environnementales du développement durable, cette estampille « ville créative » a été décernée à Enghien-les-Bains en 2013, ainsi que huit autres cités : Austin (USA), Dakar (Sénégal), Gwangju (Corée), Linz (Autriche), Lyon (France), Sapporo (Japon), Tel-Aviv (Israël) et York (Royaume-Uni). L’exposition Data City regroupe des projets d’artistes portés par chacune de ces villes.

L’œuvre la plus « évidente » par rapport à cette thématique urbaine est Mini Voxels Light de Miguel Chevalier. Il s’agit de 5 colonnes noires, surmontées de lumières colorées à leur sommet, qui se dressent comme des « sentinelles », rappelant les silhouettes des tours des quartiers d’affaires et des centres-ville modernes. En parallèle, Miguel Chevalier propose une série de trois tableaux intitulés Meta-Polis. Mêlant schémas de circuit imprimé et lignes de fuite symbolisant le flux incessant des données, le graphisme fait aussi penser à la capture d’écran d’une carte interactive. Sin Do-Won a choisi la vision de ruines, contrastant avec la déambulation d’une petite fille, pour évoquer les soubresauts socio-politiques qui traversent et remodèlent chaque ville. Au travers de One Eye, une vidéo qui combine différentes incrustations géométriques et images d’archives, Sin Do-Won témoigne de la répression meurtrière qui s’est abattue sur la ville coréenne de Gwangju suite à des manifestations contre le régime militaire de Chun Doo-hwan.

Sin Do-Won, One Eye. Capture d’écran / Photo: D.R.

L’âme d’une ville est inséparable des éléments qui la composent et l’entoure. À commencer par l’eau; les fleuves ou la mer qui détermine la physionomie des villes portuaires. Avec son installation vidéo Liquid Landscape, le collectif Officina Mamiwata (Tiziana Manfredi & Marco Lena) symbolise ce flux qui entoure Dakar et, à quelques encablures, la fameuse île de Gorée, en projetant une succession d’images dédoublées où se devinent des visages qui s’affichent telles des icônes religieuses et la présence de la déesse aquatique Mame Coumba. Ran Slavin que l’on connaît pour son approche abstraite et expérimentale du son (notamment sur le label Crónica) a choisi la terre et les puissances chtoniennes dans une allégorie vidéo mettant en scène un jeune garçon revêtu d’un scaphandre qui explore les souterrains d’une cité imaginaire enfouie sous Jérusalem.

Officina Mamiwata (Tiziana Manfredi & Marco Lena), Liquid Landscape. Capture d’écran / Photo: D.R.

Sur la gauche, à l’entrée de la salle d’exposition, nous sommes écrasés par un immense écran sur lequel se matérialise un paysage pixelisé : Datum. Conçue par Norimichi Hirakawa, suite à une résidence au sein de l’Institut de Physique et Mathématique appliqué à l’Univers du Japon, cette œuvre connectée s’anime et se transforme en un champ de datas indescriptibles qui se renversent selon la perspective de vision que l’on se donne via une application dédiée. Également relié à une tablette ou un portable, les petits graphismes d’Adrien M & Claire B s’étoffent d’une pluie de petits signes cabalistiques et au final se transforment en un livre « augmenté » au titre étrange : La neige n’a pas de sens.

Norimichi Hirakawa, Datum. Capture d’écran / Photo: D.R.

Encore plus étrange visuellement, compte tenu de la thématique de l’expo qui plus est, l’installation presque monumentale de Studio Modo (Clay Odom + Sean O’Neill) ressemble à la carapace d’une créature vivant sur une planète lointaine… Baptisée Flowering Phantasm, cette armature est bardée de capteurs qui réagissent aux sons et à la lumière environnante. Le BBots d’Anne Roquigny semble également avoir été rapporté d’outre-espace de par son aspect métallique et anguleux. Cet artefact cache un programme spécifique qui va (re)chercher sur Internet des œuvres d’une douzaine d’artistes (feat. Yoshi Sodoeka, Isabelle Arvers, Philip Stearns…) mettant l’accent sur l’aspect néfaste de l’activité humaine sur l’éco-système, puis les projette sur écran.

Le dispositif ColliderCase conçu par Chris Walker Beng (Hons) & Adam Stanning repose aussi sur la projection d’objets qui se déplient façon origami. Ce cabinet de curiosité 2.0 est présenté dans un petit présentoir translucide sous vitre, selon un système optique empruntant au sextant et s’apparentant à l’holographie dans son rendu. Dans le genre, Draw:er, l’installation de Verena Mayrhofer détonne : c’est la reconstitution partielle d’une cuisine autrichienne du siècle dernier, avec deux chaises en bois travaillé et un petit meuble pour ranger des épices. Chaque tiroir étant dûment étiqueté (sel, curry, etc.). Lorsqu’on les ouvre, on peut entendre des voix qui livrent leurs impressions sur l’Autriche. En complément de toutes ces « collectes de données », le jeudi 1er juin, Dominique Moulon (enseignant, journaliste et curateur) a assuré une conférence autour de quelques mots clefs (protocole, archive, art & politique, art vidéo, nature, pixel, retranscription…) en liaison avec des pratiques artistiques et des œuvres faisant écho à celles présentées dans cette exposition.

Laurent Diouf

Data City, exposition collective du réseau des villes créatives, jusqu’au 13 juillet, Centre des Arts d’Enghein-les-Bains. > http://www.cda95.fr/

Incarnée par Sonic Protest, la formule la plus consistante d’un festival de musiques défricheuses modernes (entendez par là mêlant musiques noise, expérimentale, avant-garde, free-jazz, post-indus, post-techno, art sonore, etc..) a continué d’infuser dans nos oreilles à l’occasion d’une édition 2017 qui a mis la barre haute en termes de découvertes, de têtes d’affiche (in)attendues et de soirées plus judicieusement thématiques. Une équation qui fait des adeptes avec l’émergence dans la foulée de la première mouture du festival Frisson Acidulé d’Arrache-toi un Œil. La bande-son d’un printemps sonique parfait.

Festival itinérant – avec plusieurs dates en province – Sonic Protest 2017 a mis les bouchées doubles sur ses dates parisiennes, avec un florilège de propositions artistiques essaimant sur deux semaines de programmation. Si le cinéma (avec des films sur Nihilist Spasm Band ou Tony Conrad), l’art sonore (avec l’étrange performance à base d’objets hétéroclites de Pierre Berthet et Rie Nakajima, ou les installations plastiques musicales de Sarah Kenchington), voire même les performances théâtrales burlesques pour enfants (avec un étonnant Jean-Louis Costes) étaient de sortie, c’est tout de même la partie musicale qui restait le porte-voix le plus vociférant de la manifestation.

This Is Not This Heat @ Centquatre © Sonic Protest

Dans ce registre, Sonic protest impose sa patte, avec un mélange toujours aussi aiguisé d’artistes cultes plus ou moins (in)attendus et de soirées thématiques résonnant comme autant de niches impromptues. Dans le premier axe, le concert de This Is Not This Heat au Centquatre avait des allures de grand raout pour amateurs de free-rock seventies. Mais malgré de très bons moments (l’intensité foisonnante de « Testcard/Horizon Hold » et « Makeshift Swahili », les vibrations plus éthérées d’« Independence »), la nouvelle formation extensive mise sur pied par le duo de survivants du trio originel – le batteur Charles Hayward et le guitariste Charles Bullen – a trop joué la carte des arrangements et de la clarté pop, perdant ainsi en chemin la ligne originelle non-musicale et décousue : une manière de confirmer en tout cas que This Is Not Heat n’était en effet pas This Heat. Plus convaincant sur la durée, le concert de Nurse With Wound à l’église Saint-Merri, a bénéficié de surcroit d’un son optimum – pas toujours facile dans cette enceinte volumétrique difficile à sonoriser –, de superbes visuels projetés et de l’habile complémentarité unissant Peter Stapleton à son désormais très stable trio d’acolytes (Andrew Liles, Colin Potter et Matt Waldron, plus Quentin Rollet au saxo pour l’occasion).

Le résultat, une déferlante de collages post-ambient noyés dans une matrice free-jazz électronique et extatique, a été des plus brillants même si le final aurait mérité mieux que ce cut trop abrupt. Autres gros noms attendus, ceux de Rashad Becker et de Wolf Eyes. Nouvelle figure de l’ambient/electronica organique au sein du label Pan, le producteur allemand est resté fidèle aux Instants Chavirés à ses babillages électroniques très Bob Ostertag. Mais privé de ses effets spatialisés et acousmatiques, sa musique finissait par perdre un peu de sa chair. Toujours à Montreuil, mais du côté de la très belle salle de La Marbrerie, le trio américain emmené par le chanteur Nate Young a semblé cédé un peu à sa léthargie tellurique, trop replié sur son blues/noise erratique et torturé pour emballer un public pourtant conquis d’avance. Une alchimie plus recommandable sur disque –  le très bon Undertow récemment sorti sur leur nouveau label Lower Floor – que sur scène où on regrette parfois leur ancienne posture plus explosive.

Wolf Eyes @ La Marbrerie © Sonic Protest

Musiques brutes…et bancales !
Comme on peut l’attendre d’un festival défricheur, Sonic Protest 2017 a surtout réussi son coup du côté de ses plateaux annexes, plus tournés sur ces rencontres insolites dont Sonic protest a le secret. On a ainsi pu apprécier la rotation physique et électro-acoustique (23 minutes chacun) des musiciens expérimentaux estampillés par le label Art Kill Art (avec une mention spéciale aux performances de Yann Leguay, de Vincent Epplay et d’Arnaud Rivière, pour une conclusion sonique percussive !) à l’église Saint-Merri, les scénarios sonores iconoclastes réunissant au Générateur l’inclassable performer Ghédalia Tazartès et le plus technoïde Low Jack, ou, à la Marbrerie, les pulsations trance acoustiques à base de vielle à roue et de percussion de La Tène, et le free-noise jazzy post-Staer des Norvégiens de The Golden Oriola. Plus brutale, la prestation très réussie, mêlant hardcore et free-métal, des revenants américains de Flying Luttenbachers, emmenés par un Weasel Walter en grande forme derrière sa batterie, a tenu la dragée haute à celle non moins surprenante (quoique parfois un tantinet trop lyrique) des Indonésiens de Zoo, sorte de croisement entre MR Bungle, Ruins et un esprit gamelan trafiqué.

Outre ses élans de radicalité bien sentis, c’est pourtant la soirée dédiée aux pratiques musicales brutes (liant artistes et/ou publics en situation de handicap dans le cadre de deux journées de rencontres et de débats au Centre Barbara- Fleury Goutte D’Or) qui a réservé la meilleure surprise. Tout d’abord, par la performance touchante réunissant l’une des figures de l’art brut, André Robillard, au poète punk Alexis Le Forestier : une ligne post-punk, mélangeant comptines ubuesques et sonorités électriques très Bérurier Noir qui a déridé l’assistance. Ensuite et surtout, par le concert absolument magique des vétérans américains (ils existent depuis 1965 !) du Nihilist Spasm Band : une sorte de quintessence du psyché et du noise-rock originel ; un télescopage de Can, du Magic Band et de Mother of Invention, annonciateur de la no-wave et des collages d’un Peter Stapleton (Nurse With Wound) qui les a toujours vénérés. La liaison parfaite entre la musique brute … et bancale !

La Cabine @ Frisson Acidulé © Baptiste Le Quiniou

Frisson Acidulé fait son cirque électrique
Pas le temps de verser une larme pourtant, car le collectif de graphistes/rockers d’Arrache-Toi Un œil prenait immédiatement le relais pour la première édition de leur festival Frisson Acidulé, entre le FGO-Barbara et le très convivial Cirque Electrique de la Porte des Lilas. Trois jours d’irruption musicale bouillonnante où l’on a tout de même été un peu déçus par la première soirée – la plus métallique -, marquée par l’absence de Chaos Echoes, la prestation trop en surface de Monarch (moins de poses, plus de son SVP) et celle amusante, mais un peu téléphonée des Japonais de Birushanah, avec ces percussions métalliques venant relever un ersatz d’Acid Mother Temple. Heureusement, la journée du samedi a offert quelques très bons moments comme la performance kraut-free-jazz du trio Futuroscope ou le heavy psyché puissant des illuminés Terminal Cheesecake. Mention spéciale également à la plus calme journée de clôture du dimanche, où l’on a pu s’extasier sur les ciné-concerts addictifs de Jessica 93 (sur les deux chapitres finaux du Häxan de Benjamin Christensen), priser le dark/folk chamanique d’Ashotoreth (sur La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky), goûter aux bandes-son ambient de La Cabine sur fond de fêtes de monstres des traditions montagnardes européennes, ou se brûler les oreilles sur les arrangements telluriques d’Orval Carlos Sibelius (porté par les images volcaniques d’Haroun Tzaieff). À Paris, le  printemps sera sonique ou ne sera pas !

Laurent Catala

électronique 2017

L’édition 2017 de Présences électronique a débuté sur une « note » assez triste, avec un morceau de Mika Vainio, disparu prématurement quelques heures plus tôt. Il avait partagé l’affiche du festival en 2006, pour son célèbre projet Pan Sonic formé avec son complice Ilpo Väisänen, puis il était revenu en solo en 2009, programmé avec Philip Jeck, Erik-M & FM Einheit, KK.Null, David Toop, Pita…

Photo: © INA / Aude Paget.

Au croisement des musiques expérimentales et d’expérimentation, le festival Présences électronique porté par l’INA/GRM (Groupe de Recherches Musicales) rassemble aussi bien des artistes de la scène électroacoustique, adeptes d’une musique improvisée ou composée, écrite, « savante », que des musiciens issus de l’electronica « radicale » et post-industrielle, qui s’est affirmée en marge du circuit techno. Cette 13ème édition qui se déroulait une fois encore au Cent-Quatre en attendant de réintégrer les studios de Maison de la Radio ne dérogeait pas à cette règle en proposant à un public curieux et exigeant un panel d’artistes souvent méconnus.

C’est avec une courte pièce d’Ivo Malec joué par Daniel Teruggi, directeur du GRM, que le festival a donc vraiment commencé. Moins abrasif que Mika Vainio, ce premier mouvement de Triola ou Symphonie pour moi même (1978) est néanmoins chargé de bourdonnements, de uhulements synthétiques et de bruits parasites. Une pallette de sons assez large, restituée avec précision par l’acousmonium, le fameux dispositif sonore composé de nombreux haut-parleux qui permettent une écoute spatialisée. Plus lumineux, plus « symphonique » par son jeu de nappes, le morceau de Kara-Lis Coverdale contrastait ensuite avec cette effervescence bruitiste. La compositrice canadienne a sans aucun doute livré le concert le plus « accessible » de la soirée. On devrait la retrouver au programme du festival Mutek en août prochain.

Jana Winderen. Photo: © INA / Didier Allard.

Avec la performance de Thomas Ankersmit, retour à des sonorités bourdonnantes qui alternent basses et hautes fréquentes, laissant apparaître des moments d’apaisements entre deux stridences. La soirée se termine sur le grand bric-à-brac sonore dispensé par Cannibal, formation de circonstances réunissant le plasticien Cameron Jamie, Cary Loren (Destroy All Monster) et Denis Tyfus. Parfois brouillonne, leur prestation alignait les télescopages de sources, des boucles au lancement qui semblait aléatoire, des samples parfois improbables (Sorry angel…), des gargarismes et une rythmique en retrait qui a fini par émerger après de longues digressions guitaristiques…

Le lendemain, on retrouve cette sensation de cacophonie organisée avec L’ocelle Mare, le projet solo de Thomas Bonvalet (par ailleurs guitariste du duo post-rock expérimental Cheval de Frise). Objets, instruments acoustiques, corps, machines : Thomas Bonvalet livre une œuvre composite qui emprunte au « bruit-collage » et à la performance. Lui succèdant, Jana Winderen nous immergent avec ses field-recordings dans un univers sonore naturaliste et aquatique (cris d’oiseaux, ressac de l’océan, souffle du vent, etc). À la manière de Chris Watson qu’elle côtoie sur le label Touch, ses captations dessinent un paysage tout en étant offrant un dépaysement… Un moment de grâce avant de replonger dans des méandres plus bruitistes.

François Bayle. Photo: © INA / Didier Allard.

En début de soirée, François Bayle, ancien directeur du GRM, prend les commandes de l’acousmonium qu’il a conçu dans les années 70s comme un « orchestre de haut-parleurs » destiné à répondre aux exigences acoustique de la musique concrète, perfectionné au fil des années et de l’évolution des techniques de son. Comme on a pu s’en rendre compte lors de l’interprétation de La Fin du bruit, courte pièce de son répertoire où se répercute des sons granuleux ou grésillants et des voix transformées dont on ne (re)connaît pas l’origine, l’acousmonium permet d’en déployer toute la richesse sonore et de renforcer ainsi le plaisir de l’écoute.

Stephan Mathieu — dont le travail souvent collaboratif est inscrit depuis longtemps sur des plateformes comme Ritornell, 12k, Spekk, Line et désormais Schwebung, son propre label — avait choisi d’interpréter December 52, une pièce d’Earle Brown qui se caractérise notamment par sa partition graphique et une lattitude assez large dans son interprétation. Adepte de l’electronic-music plutôt glitch et expérimentale, il a délivré un set très ambient, mais avec un certain relief, doté d’un son ample avec du corps, très unitaire et non pas « fragmenté » comme la plupart des autres pièces proposées.


Stephan Matthieu. Photo: © INA / Didier Allard.

Changement d’ambiance avec l’arrivée de Hild Sofie Tafjord, musicienne accomplie qui évolue aussi au sein de nombreuses formations à géométrie variable (dont Zeitkrazer et le Trondheim Jazz Orchestra). Drôle d’impression en la voyant débarquer sur scène avec son cor d’harmonie (plus gros et complexe qu’un cor de chasse). Au début, on entend qu’un souffle « discontinu », presque asthmatique. Dans un second temps quelques sons cuivrés finissent par sortir de l’instrument rutilant et sont aussitôt retravaillés, « bidouillés », ce qui rend encore plus difficile à suivre sa proposition.

Passage de témoin ensuite avec le duo Demdike Stare qui concluait cette deuxième soirée avec un mix en hommage au GRM baptisé Cosmogony, initiallement prévu l’année dernière. Grand consommateur de vynils, Sean Canty et Miles Whittaker ont été jusqu’à presser quelques dubplates après avoir farfouillé dans les archives du GRM. Des galettes qu’ils combineront à d’autres raretés vyniliques piochés dans leur trésor personnel. Pour autant, les loops (parfois un peu trop flagrants) mêlés à quelques effets disloqués ne nous ont pas « ensorcellés », on attendait autre chose. Si la composante dark-drone était bien présente, il y manquait, à notre sens, la dimension « dub/breakbeat » qui ont fait leur réputation.

Leafcutter John. Photo: © INA / Aude Paget.

Dernier round le dimanche 16 avril, qui s’est ouvert avec Meryll Ampe. Si l’on parle souvent de « sculpture sonore » en commettant un abus de langage, force est de constater que ce n’est pas le cas avec cette artiste qui pratique à la fois la musique et la sculpture. Pour le festival, elle a conçu une pièce comme un jeu de construction, à partir d’enregistrements et traitements qui interagissent et délimitent un espace et une plastique sonore inédite. Leafcutter John est aussi, à sa manière, un sculpteur de sons. Mais c’est la lumière qui lui sert d’outil pour commander et moduler les éléments musicaux. Multipliant les sources lumineuses, de lampes-gadgets à une mini-boule à facette qu’il agite au-dessus d’une interface comme un pendule, il se révèle le plus inventif de cette programmation. Petite pause personnelle pour conjurer, le temps d’une manifestation, l’ordre noir qui nous menace, et nous revenons au Cent-Quatre pour la dernière session du festival.

Se saissant à son tour de l’acousmonium, François Bonnet (directeur artistique du festival et du GRM) nous fait découvrir un extrait de l’œuvre de James Tenney (1934-2006), pionnier de la musique électronique avec Max Mathews, qui prend une tonalité particulière sous l’effet de spatialisation. Ensuite Andrew Pekler, adepte du found-sounds et qui a renouvellé l’expérience du piano préparé à l’ère du téléphone portable, proposait une Description of an island, comme un reportage audio imaginaire. Cet aspect narratif était poussé à l’extrême avec Akira Rabelais qui, sur une musique ténue, nous contait l’histoire lancinante de La femme sans tête

Minibus Pimps. Photo: © INA / Jean-Baptiste Garcia

Le dernier set de cette édition revenait au combo Minibus Pimps, soit Helge Sten (alias Deathprod et Supersilent) et John Paul Jones (le bassiste de Led Zepellin qui a aussi produit, arrangé et joué avec La Fura Del Baus, Peter Gabriel, Brian Eno, Diamanda Galas, Sonic Youth…!). Comme on pouvait le pressentir, le duo nous a entraînés — et parfois perdu — dans un long corridor de « guitare noise » chargé d’effets, hésitant entre drone/indus et libre improvisation selon les aléas de leur performance. Rendez-vous l’année prochaine pour d’autres explorations sonores.

Laurent Diouf

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