Objet : Re : questions pour entretien
Date : samedi 3 décembre 2011 00:43
De : Jean-Pierre Balpe <xxx@xxx>
À : emmanuel guez <xxx@xxx>

Jean-Pierre Balpe ou les Lettres Dérangées, 2005. Photo: D.R.

Vous êtes l’un des pionniers de la littérature électronique mondiale. Elle demeure encore aujourd’hui peu connue du grand public. Pourquoi ?
La littérature n’existe pas vraiment en dehors des institutions qui la commercialisent, la vulgarisent, l’enseignent, la défendent, la promeuvent, etc. Or la littérature électronique est, sur ce plan, orpheline puisqu’elle n’entre pas dans les circuits institutionnels traditionnels. La montée en puissance des tablettes de lecture aurait pu faire évoluer cette situation, si ce n’est qu’elles ont été prises en main par les institutions du livre de façon d’ailleurs presque caricaturale puisqu’un acheteur de tablette Amazon, par exemple, ne peut commander que sur Amazon. Or ces institutions, toutes dirigées par des personnels de formation classique, non seulement ne savent pas que faire avec la littérature électronique mais, de plus, ne savent même pas qu’elle existe. De toute façon, le « grand public » ne s’intéresse qu’à la mauvaise littérature, celle qui se vend et obéit aux critères de sélection des institutions littéraires en place. Mais au fond, peu importe…

Concernant l’écriture générative, où se situe le travail de l’écrivain ? Au niveau du code informatique ? Dans ce cas, ne s’agit-il pas plus d’une rhétorique que d’une poétique ?
Aussi automatisée qu’elle soit, il n’y a pas de littérature sans écrivain, c’est-à-dire sans auteur fixant les règles, définissant les univers et pilotant la programmation. Seulement le travail de cet écrivain est alors autre, il est ce que j’appelle un « méta-auteur », un auteur analysant ses désirs d’écriture pour en créer des modèles et les faire exploiter par un ordinateur. Je ne vois pas en quoi cela concerne une différence « rhétorique-poétique », ces deux composantes, s’il y a réellement une différence, n’ont jusque-là servi qu’à essayer d’analyser les textes en dégageant des concepts relativement abstraits. Or la programmation des textes ne s’appuie pas du tout sur ces approches qui se sont révélées non-pragmatiques. Par exemple, la notion de « métaphore » permet de décrire des manipulations dans la langue des textes, mais elle ne dit en rien comment programmer ces manipulations car elle est de niveau trop générale et non opératoire. La générativité de textes doit s’appuyer sur d’autres approches radicalement différentes. De même, la notion de grammaire, qui semble si importante dans la description des langues, ne permet en rien une approche programmatique. Quant au travail du code, il ne représente qu’un niveau de l’approche programmatique qui est, en fait, indépendante de tel ou tel langage de programmation. Le code est un outil contraignant, mais il n’entre que pour une faible part dans la conception de la modélisation du texte.

Poèmes de Marc Hodges à Gilberte. Traitement numérique des images de Jean-Blaise Évequoz : Gilberte. Générateur automatique : Jean-Pierre Balpe. Photo: D.R.

Écrire à partir de générateur, n’est-ce pas reconnaître implicitement que les supports d’écriture et les machines d’écritures déterminent les contenus ?
Il y a TOUJOURS eu une relation entre les technologies de l’écriture et les contenus : la poésie orale n’est pas la poésie écrite, la littérature antérieure au livre n’obéit pas aux mêmes critères que celle du livre et la relative normalisation des formats de livre influe fortement sur leurs contenus. Donc, écrire avec un générateur ne fait qu’obéir à cette règle générale et le but essentiel n’est pas de la mettre en évidence même si, évidemment, c’est aussi le cas.

Des étudiants du MIT ont récemment mis au point le SCIgen, un générateur destiné à produire des articles qui répondent aux appels à communications scientifiques, dans l’esprit de l’affaire Sokal. Avez-vous été attiré par l’art du faux et de la mystification, une pratique très présente sur l’Internet ?
Non, ce n’est pas ce qui m’intéresse…

Quand vous écrivez un blog, dans le cadre d’une hyperfiction (La Disparition du Général Proust), n’êtes-vous pas auteur et personnage à la fois ?
L’hyperfiction est à destination de l’espace web où se déroulent sans cesse des jeux de cache et d’exhibitionnisme, les uns n’étant pas contradictoires des autres. Il me semble donc intéressant de jouer cette corde là en utilisant toutes les possibilités techniques du web : personnages ayant leurs propres pages Facebook ou leurs blogs, renvois constant des uns aux autres, jeux sur les biographies réelles ou fictives, jeu avec la publicité, renvois à d’autres sites externes à l’hyperfiction, recours aux images réelles ou modifiées, etc. Je suis donc auteur de l’ensemble du dispositif et un des personnages possibles à mon nom, ce qui ne veut pas dire que ce soit vraiment moi. Pas plus, dans ce cas que l’investissement personnel que chaque auteur « classique » dépose dans ses personnages (Flaubert, Mme Bovary, c’est moi…, etc.). Je joue sans cesse sur la notion d’identité telle que rendue opératoire par Internet. On sait que Facebook essaie de lutter contre les fausses identités, qu’il n’y parvient pas et que cependant il archive toutes les données. Il serait intéressant de savoir quel pourcentage de ces données est fictif. Je pense que les « jeux de rôle » y occupent une grande place.

Dans La Disparition du Général Proust, vous avez demandé à un certain nombre d’artistes d’intervenir (Nicolas Frespech, Grégory Chatonsky…). Accueillez-vous aussi des écrits d’internautes qui vous sont inconnus ?
Il y a de tout dans cette hyperfiction qui essaie d’imaginer modestement une littérature propre à l’espace chaotique et multipolaire d’internet, y compris l’accueil de propositions extérieures volontaires ou involontaires. Les poèmes de Marc Hodges à Gilberte, par exemple sont réalisés à partir de dessins de Jean-Blaise Évequoz qui subissent des traitements informatiques dont il n’est pas le maître. À partir du moment où vous déposez quoi que ce soit sur Internet, ce dépôt devient un objet commun soumis à une forme d’intelligence, de créativité collective. C’est bien pour cela que la notion de « propriété » n’y est pas adéquate.

Poèmes de Marc Hodges à Gilberte. Traitement numérique des images de Jean-Blaise Évequoz : Gilberte. Générateur automatique : Jean-Pierre Balpe. Photo: D.R.

Ne craignez-vous pas que ces blogs disparaissent avec les sociétés qui supportent leur hébergement ? Quelles solutions avez-vous adopté pour la conservation de vos textes ?
Nous sommes mortels et je n’ai pas la prétention de croire que mes élucubrations littéraires ne le soient pas. D’ailleurs certains des sites que j’avais créés ont déjà disparu, on trouve des traces de ces disparitions dans d’autres. Disparaître sur Internet est étrange car ce qui a disparu sur tel site peut, on ne sait comment, se retrouver sur d’autres. J’ai déjà fait plusieurs fois cette constatation en ce qui me concerne. Je suis profondément matérialiste et, si la générativité m’intéresse, c’est pour la possibilité d’éternité particulière qu’elle permet. Mes générateurs devraient continuer à produire au-delà de ma mort si quelqu’un les active quelque part. Je n’ai donc cherché aucune solution à l’archivage de mes textes qui est moins important que l’archivage des générateurs. Mais je sais, par ailleurs que l’I.N.A et la B.N.F archivent en continu un certain nombre de sites. Peut-être suis-je dans ceux-là…

Des publicités y apparaissent, est-ce que cela vous dérange ?
Elles font partie de cet espace et j’ai donc aussi le droit de jouer avec elles.

Avec Grégory Chatonsky, vous projetez de créer un générateur dramatique qui donnerait des consignes aux acteurs. Quelle forme prendra ce générateur ? Sera-t-il plus auteur ou plus metteur en scène…?
Pourquoi voulez-vous assigner des rôles précis ? L’intérêt du modèle informatique est justement de pouvoir mixer, transformer, déplacer les rôles. J’ai déjà fait ce genre de spectacle à la Maison de la Poésie en 2010 ou antérieurement avec la compagnie de danse Palindrome. Ce qui m’intéresse dans ce cas, c’est de voir comment il est possible de faire jouer l’ambiguïté acteur-auteur-ordinateur. Donc le générateur sera tout à la fois…

Vous accordez-vous avec ceux qui soutiennent que l’Internet produira autant de bouleversements littéraires et artistiques (je pense notamment aux arts de la scène) que l’invention de l’imprimerie ?
Oui, bien sûr… et nous n’en sommes qu’aux débuts.

Emmanuel Guez
publié dans MCD #66, « Machines d’écritures », mars / mai 2012

en français, et quelques autres aussi…

Les livres de Katherine Hayles ne sont pas traduits en français. Comme d’ailleurs ceux de Jay Bolter, Friedrich Kittler, Mark Hansen et bien d’autres. Certes l’anglais est la langue dominante de la communauté scientifique internationale, mais il existe aussi en France une tradition qui veut qu’une pensée étrangère ne soit vraiment mise en débat que lorsque son auteur a été traduit.

Talan Memmott, Lexia to Perplexia, 2000. Photo: D.R.

Certes, il y a des passeurs, ces chercheurs qui dans les questions qu’ils abordent citent aussi leurs sources et ne craignent pas de rendre explicites des points de désaccord. Si les livres de Katherine Hayles n’ont pas encore été traduits, cela tient sans doute à l’oblitération dont la théorie des médias, et en particulier la pensée de McLuhan, a été victime depuis les années 1970. On se souvient des mots très durs de François Châtelet, qui était alors un philosophe qui comptait au sein des jeux des savoirs et des pouvoirs, à l’égard des livres du théoricien de Toronto. En retour, combien de penseurs français ont été plus ou moins contraints à un exil, physique sinon intellectuel !

Materiality of the artefact can no longer be positioned as a subspecialty within literary studies ; it must be central, for without it we have little hope of forging a robust and nuanced account of how literature is changing under the impact of information technologies. Cette phrase, on la trouve dans Writing Machines, page 19. Ce livre atypique, dans ses prises de position et dans sa forme (il a été conçu avec la designer Anne Burdick), paraît en 2002. Comme dans ses autres ouvrages, notamment My Mother was a Computer, Kate Hayles y conduit une réflexion théorique universitaire en y intégrant une autobiographie fictive. Les écritures sont en pleine mutation, qu’il s’agisse des supports avec lesquels on écrit ou de la manière dont on écrit. C’est d’ailleurs lié. Elle n’est pas la seule à le dire, mais elle est une des rares universitaires à mettre en œuvre ce qu’elle pense en l’inscrivant dans la matérialité de ses propres textes. À la manière d’un McLuhan en somme, qui a écrit certains de ses livres comme un designer. Writing Machines est donc un livre qui joue sur la forme autant que sur le fond. Polices, tailles, mise en page, tout dans ce livre transpire l’ordinateur.

Il faut dire qu’il y est question de la littérature électronique, ou plutôt des écritures littéraires du point de vue de l’environnement numérique. Cela concerne aussi bien les écritures hypertexuelles (comme Lexia to Perplexia de Talan Memmott) — des textes qui ne se lisent qu’avec des machines et qui ne prennent sens qu’avec elles — que des romans imprimés jouant avec les matérialités de l’écrit (tels que House of Leaves — La Maison des Feuilles — de Mark Danielewski). Il y a sans doute plus qu’un effet de l’environnement numérique dans La Maison des Feuilles, dans la mesure où toute une tradition nord-américaine, de B.S. Johnson (Alberto Angelo) à aujourd’hui Adam Levin (Les Instructions) en passant par Douglas Coupland (Microserfs) ou Jonathan Safran Foer (Hayles analysera son roman Extrêmement fort et incroyablement près), interroge la technologie d’inscription de l’écriture. Ces technotextes, pour reprendre le concept forgé par Hayles, cette attention portée à la matérialité de l’écrit, de la lettre et de son inscription jusqu’aux « trous » du texte, ne s’inscrivent-ils pas aussi dans une culture liés aux Pères Pèlerins, comme le suggère le chercheur Mathieu Duplay, lesquels retrouvaient ainsi une approche talmudique du texte ? Aussi sans doute n’est-ce pas un hasard si la littérature électronique et les écritures du réseau ont pris un tel essor aux États-Unis, car pour relier la signification à sa matérialité, il fallait aussi que cela soit une manière d’écrire, de lire et de partager le texte.

Talan Memmott, Lexia to Perplexia, 2000. Photo: D.R.

Mais revenons à l’auteure de Writing Machines. La force des analyses de Katherine Hayles est de dépasser la question des conditions ou déterminations techniques matérielles du texte en interrogeant leurs relations au corps. On lui doit en 2008 un article intitulé « Hyper and Deep Attention : The Generational Divide in Cognitive Modes », qu’elle évoque aussi dans son précieux ouvrage Electronic Literature. Constatant qu’elle ne pouvait plus demander à ses étudiants de lire un roman entier et qu’elle était contrainte d’étudier avec eux des histoires courtes, Hayles attire l’attention des chercheurs sur celle des lecteurs. En gros, votre capacité d’attention n’est pas la même selon que vous ayez joué au jeu vidéo ou lu Tolstoï. D’où la nécessité de distinguer l’attention profonde (la capacité de lire un Tolstoï de manière continue) de l’hyper attention (la capacité de comprendre un algorithme ou d’être multi-tâches). On assiste aujourd’hui à un tournant générationnel qui nous fait passer de l’une à l’autre. Loin de penser qu’il s’agit d’une régression, Hayles y voit un élément parmi d’autres qui rend compte des mutations des formes de l’écrit, dont la littérature hypertextuelle électronique est notamment mais pas exclusivement l’une des formes.

L’ère est-elle alors à la post-humanité (et, par conséquent, au post-humanisme) ? Nous sommes seulement des êtres vivants, répond Hayles, et ceux-ci se définissent par rapport à leur environnement. Ainsi, la technologie n’est ni seulement une extension du corps (impliquant une amputation perceptive nécessitant alors une remédiation) comme chez McLuhan et les mcluhaniens (Jay Bolter, Richard Grusin), ni seulement ce par quoi le corps, construit par un réseau de discours, prend conscience de ses possibilités (Friedrich Kittler). La technologie doit être aussi « incorporée » (par le corps, donc) pour acquérir un sens. En d’autres termes, il n’y a pas de déterminisme entre la technologie et le corps, mais un va-et-vient entre les représentations, leurs significations, et les possibilités de percevoir et d’agir. Le post-humanisme est une construction que l’on doit à l’entrelacement de l’histoire de la cybernétique, de l’informatique, de la littérature et des représentations du corps. Quant à nous (le corps, l’écrit et la technologie), nous mutons.

Emmanuel Guez
publié dans MCD #66, « Machines d’écritures », mars / mai 2012

Katherine Hayles, How we became Posthuman : virtual bodies in cybernetics, literature and informatics (University Of Chicago Press, 1999)

Le plus beau, c’était le sentiment de puissance que ça me donnait. La technologie travaillait pour moi ; elle me servait et me protégeait. Elle ne m’espionnait pas. Voilà pourquoi j’adore la technologie : utilisée à bon escient, elle peut vous procurer pouvoir et intimité. Cory Doctorow, Little Brother (trad. française, éditions Pocket Jeunesse, 2012).

Hasan Elahi, Tracking Transience. Photo: © Hasan Elahi.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le fichage des populations occidentales s’est accéléré avec comme argument récurrent de les protéger contre la menace terroriste. C’est dans cet état d’esprit de peur généralisée que depuis cinq ans, les principaux États européens, servis par les technologies de reconnaissance automatisée de l’image faciale, procèdent à un nouveau fichage des images du visage. C’est dire si les notices anthropométriques de Bertillon redeviennent à la mode ! Au final, c’est une triple identification que proposent les démocraties occidentales : empreintes tactiles, empreintes génétiques, empreintes faciales. Ainsi richement dotés, les États possèdent désormais un pouvoir d’identification jamais atteint. Pour les artistes qui s’intéressent à ces choses-là, à l’écriture technocratique et paranoïde des individus ramenés à des fiches chiffrées est opposable une contre-écriture artistique. Influencés par la culture du hack (1), ces derniers utilisent désormais les mêmes moyens. Dans ce contexte particulier, c’est alors pour les artistes soit 0% intimité, soit 100% caché. La dialectique du pouvoir et de l’intimité ne tolère pas le juste milieu.

100% caché
Tout le monde sait que, depuis cinq ou six ans, demander une pièce d’identité en Europe exige que l’on joigne des photos d’identité réalisée selon un certain nombre de critères. Le but est qu’elles soient lisibles par les logiciels de reconnaissance faciale.

Comme contre-écriture à l’écriture étatique du visage, le collectif Ztohoven a réalisé une œuvre étonnante : Citoyen K. (2), un titre en référence à Kafka pour le délire et à Orson Welles pour son objet : pouvoir et identité ! Tout a commencé par un premier « coup » à la Welles justement ! Les Ztohoven piratèrent la météo à la TV qu’ils remplacèrent par une image d’explosion nucléaire. Effets garantis. Pour cela, les Ztohoven furent pistés, traqués et arrêtés une première fois grâce aux fichiers sécurisés de l’État tchèque. En réponse, le collectif a fabriqué par morphing douze photos d’identités fictives, chacune d’elle résultant du mélange des visages de deux personnes bien réelles. La photo ressemblait donc aussi bien à l’un qu’à l’autre visage. Ces photos ont servi à demander des papiers d’identité, lesquels, une fois obtenus sans problème, ont pu être utilisés par deux personnes différentes…

Les Ztohoven ne se gênèrent d’ailleurs pas pour le faire puisque, munis de ces papiers, ils voyagèrent jusqu’en Chine, votèrent aux élections européennes et se marièrent (le vrai marié étant en réalité témoin de son propre mariage !). En 2010, Ztohoven fera de ces douze pièces d’identité une exposition qui vaudra à ses membres une arrestation par la police tchèque et un nouveau procès. La démocratie « Photoshop », retouchant à tour de bras les images des mannequins et des hommes politiques, ne supporte visiblement pas le morphing artistique. L’ironie du sort, c’est qu’avec ce dernier coup pendable à la YesMen, les Ztohoven sont en grande partie sortis de leur cachette.

Hasan Elahi, Tracking Transience. Photo: © Hasan Elahi.

Zéro intimité
L’artiste Hasan Elahi a, quant à lui, préféré ne pas se cacher. Avant le 11 septembre 2001, il était surtout connu des commissaires d’exposition et des critiques d’art. Après les attentats, suite à une dénonciation calomnieuse, il obtient d’être connu des services de renseignement américains.

Arrestation et inscription sur la liste des présumés terroristes en prime. Il est alors surveillé en permanence. Pas facile de déjouer la NSA ou la CIA. Après tout, s’ils veulent savoir, offrons-leur tout ce qu’ils veulent et même plus encore, telle est l’idée du projet Tracking Transience (3). Tout, absolument tout, des lieux où ils se trouvent (indiqués grâce à un plan et une position géolocalisée sur son site), de ce qu’il mange, des toilettes où il se rend, ils sauront tout de la vie d’Hasan Elahi. De quoi satisfaire la volonté de savoir du gouvernement américain. Ainsi Hasan Elahi se raconte et se contre-écrit.

Car aujourd’hui nous nous racontons avec nos ordinateurs. Dès lors, ou bien nous les laissons nous raconter, ou bien nous nous en emparons en pleine conscience. De 2000 à 2003, à l’occasion d’une commande par le Walker Art Institute, le collectif 0100101110101101.ORG (Eva et Franco Mattes) livrait au public le contenu entier de leur ordinateur (jusqu’aux mails). Le projet s’appelait Life Sharing. Dans un second projet, en 2002, intitulé Vopos (4) par référence au nom de la police de RDA, les deux mêmes artistes communiquaient aux internautes leur position géographique quotidienne grâce à un dispositif GPS. Pour le caractériser, ils qualifièrent le projet de système d’auto-surveillance pour une transparence numérique complète. Un projet prophétique !

Charlotte Norton-Noudelman & Emmanuel Guez
publié dans MCD #66, « Machines d’écritures », mars / mai 2012

Hasan Elahi, Tracking Transience. Photo: © Hasan Elahi.

(1) En 2008, en plein débat sur le fichage biométrique, le CCC (Chaos Computer Club) a publié les empreintes digitales de Wolfgang Schäuble, alors ministre de l’Intérieur en Allemagne. La méthode utilisée avait été publiée par le CCCBerlin quatre ans auparavant : ftp://ftp.ccc.de/documentation/Fingerabdruck_Hack/fingerabdruck.mpg

(2) > www.ztohoven.com/obcan.html

(3) > http://trackingtransience.net/

(4) http://0100101110101101.org/home/vopos/index.html

Trois pages de php, une vingtaine d’ordinateurs connectés, autant de personnes écrivent pendant 30 minutes ensemble en ajoutant en effaçant trois textes. Ainsi l’artiste du réseau Annie Abrahams présenta-t-elle en 2009 à la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon trois expérimentations d’écriture partagée.

sonde 01#09 – Les matérialités de l’écrit, Annie Abrahams. Photo: © Marie-Laure Cazin.

Les spectateurs présents assistèrent alors à un phénomène étrange : l’acte d’écriture auquel ils participaient était devenu un combat. Le texte final était destiné à être lu. Dès lors, pour être lu, il fallait jouer des coudes, en modifiant, en effaçant la parole de l’autre, en écrivant plus vite et plus longtemps que l’autre, en saisissant le kairos, ce moment opportun grâce auquel un vainqueur finit par s’imposer.

Comme souvent, les dispositifs et protocoles d’Annie Abrahams font écrire la folie. « Fait écrire », car depuis quelques années, les machines d’écriture d’Annie Abrahams n’écrivent pas, elles font écrire. Annie Abrahams est une artiste du réseau depuis 15 ans. Ses œuvres de littérature numérique et de net art (Being Human, 1997-2007) parlaient déjà du rapport douloureux du corps à la machine. Depuis 2007, Annie Abrahams propose des performances en ligne impliquant la figure de l’autre. Pour interroger la solitude.

Car il ne va pas de soi que l’interconnexion des machines ait supprimé la solitude. Bien au contraire. Les relations humaines se construisent par l’attention portée à l’autre, à ses gestes, à ses rythmes, à son visage, et non par ce qu’il veut bien nous raconter ou nous montrer par l’intermédiaire du réseau.
Aux protocoles extrêmement précis et répétés, impliquant des personnalités fort diverses, les performances en ligne d’Annie Abrahams, tels que The Big Kiss (2007), Huis Clos No exit (2009), Angry Women (2011), ne cèdent rien aux utopies d’une société qui serait pacifiée et heureuse par le simple jeu des machines. Annie Abrahams commence par le commencement, c’est-à-dire par les relations intersubjectives – les affects et les affections auraient dit Spinoza –, bref par l’éthique, pour mieux retrouver la politique.

Emmanuel Guez
publié dans MCD #66, « Machines d’écritures », mars / mai 2012

Espaces Soniques

À City Sonic, l’art sonore renvoie invariablement aux espaces de diffusion parsemant la ville de Mons qui l‘accueille. Un rapport indéfectible à l’espace public renforcé par le choix des artistes invités à sa huitième édition, qui s’intègre dans une action de programmation ludique et pédagogique, et où l’idée de réseau garde toute sa prévalence.

Spectres sonores
Habituel parent pauvre des connections entre pratiques artistiques et espace public, le son a trouvé à Mons, en Belgique, un véritable havre d’expression. C’est dans le cadre du festival City Sonic, tenu cette année du 27 août au 12 septembre, que ce rapport entre l’urbain et le sonore se tisse depuis huit ans dans la capitale du Borinage. Une approche à l’expressivité douce, qui s’accommode de cet environnement architectural historique, intriqué et tranquille, renforçant ainsi la subtilité informelle de spectres sonores s’emparant de lieux insolites comme autant de véritables terrains de jeux et d’espaces d’expérimentations idoines.
Une fois encore, c’est à un véritable parcours au cœur de la ville que Transcultures et Philippe Franck, organisateur de l’évènement, invitent le public. Et une fois encore, la Machine à Eau, le site des Anciens Abattoirs ou encore la Salle Saint-Georges – Grand’ Place sont mis à contribution pour accueillir salons d’écoute, performances et installations concoctés par une trentaine d’invités internationaux.

Le son, outil d’un rapport à l’espace
Parmi eux, on note cette année notamment les présences de Diane Landry, de Laura Colmenares et Todor Todoroff, des collectifs MU et Lab[au], du laboratoire de recherche en art sonore Locus Sonus. Des artistes aux pratiques tournant autour d’incursions multidisciplinaires variées (musiques actuelles, arts visuels, arts numériques, création radiophonique…), mais où le son et sa capacité d’occupation, de structuration ou de restitution d’un espace donné constituent un fil conducteur partagé.
Les architectes sonores de Lab[au] utilisent ainsi ce rapport entre le son et l’espace pour contribuer à la configuration de projets urbanistiques (l’installation cybernétique et interactive Binary Waves, panneaux pivotants et lumineux posés sur les bords du canal de Saint-Denis en 2008) ou de réalisations plus intérieures (Framework 5x5X5 et ses modules cinétiques)
Porteur du projet Sound Delta en 2008 — des péniches itinérantes transformées en studio de studios sonores mobiles sur le Danube et le Rhin — et soutien du festival Filmer la Musique à Paris, le collectif Mu joue aussi sur ce travail de remodelage d’une identité sonore en constante gestation.

Field spatialization
Avec des artistes-chercheurs comme Julien Clauss, Anne Roquigny ou Jérôme Joy, le laboratoire Locus Sonus travaille sur les espaces sonores et la field spatialization, la spatialisation sonore combinant l’articulation des espaces locaux et distants. Un principe actif où le transport des sons et des ambiances passe par une combinaison de dispositifs de streaming en direct via Internet, de véritables webcams sonores induisant ces environnements sensoriels à l’affût de leurs propres variations.
Quant à la Québécoise Diane Landry, ces « œuvres mouvelles », qu’elles prennent la forme d’installations, de sculptures ou de performances, utilisent le son comme outil évident de falsification et de transformation d’objets de notre quotidien. Comme en témoignait encore récemment son installation sonore avec automatisation Chevalier De La Réalisation Infinie, réalisée à partir de bouteilles en plastique.

Le réseau et la nouvelle étape brusseloise
Mais surtout, City Sonic a choisi pour son édition 2010 de s’inscrire davantage dans une logique de partenariat et de réseau. Cette année, la manifestation est en effet le volet belge de Diagonales : son, vibration et musique dans la collection du Centre National des Arts Plastiques, un parcours itinérant d’expositions en France, en Belgique et au Luxembourg. Un axe convergent symbolisé dans la grande halle du site des Abattoirs à Mons par la jonction entre la culture pop-rock, le son et les arts plastiques, avec les interventions du platiniste Christian Marclay, du plasticien Steven Parrino, de l’artiste multimédia Malachi Farrel ou encore de la vidéaste post-pop Pipilotti Rist.
Une réflexion élargie qui a permis à City Sonic de trouver son prolongement à Bruxelles dans le cadre de Sonopoetics : de la parole à l’image, de la poésie au son, du 3 au 18 septembre 2010, à l’Institut Supérieur du Langage Plastique (ISELP). Une exposition d’oeuvres plastiques et graphiques liées à la poésie sonore, assortie de conférences, projections et performances, où des pièces de Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Maurice Lemaître, pour les Français, et de John Giorno ou Brion Gysin pour le volet beat anglo-saxon sont particulièrement mises en avant. Un sens de l’ouverture qui s’inscrit bien dans le fil éclairé et vulgarisateur tiré par City Sonic.

Laurent Catala
MCD #60, juillet-aout 2010

Site: http://citysonic.be/

Inter-Créativités Urbaines

Né grâce à un projet européen à la Ville de Bruxelles qui désirait réaffecter la Gare de Bruxelles-Chapelles à un projet (multi)culturel proche du citoyen, Recyclart a développé, depuis 1998, une série d’initiatives qui en font un des laboratoires artistiques les plus intéressants de la capitale. Nous avons rencontré Marc Jacobs, directeur artistique, qui anime depuis neuf ans, avec une petite équipe militante, cet espace de passage unique où les flux de la ville rencontrent ceux de la création musicale, plastique, architecturale… avec le souci d’allier proximité et créativité au cœur de l’euro cité.

Quelles sont, selon vous, les particularités du projet Recyclart, lieu pluridisciplinaire qui échappe aux catégories traditionnelles ?
Je pense que le projet Recyclart répond aux décloisonnements actuels des pratiques, des disciplines, des publics aussi. Tout en étant attaché à ces « entre deux », on se pose nous-mêmes aussi régulièrement cette question sur notre identité… Recyclart se positionne comme un lieu pour les musiques actuelles, pour les formes hybrides en art plastique et audio-visuel, une plate-forme de réflexion autour de l’architecture, l’espace public et l’urbanité, et un engagement socio-artistique mobilisant un public plutôt de quartier autour de la photographie. Nous faisons aussi office de modérateurs entre le souterrain et l’institutionnel, l’artistique et le social, les formes d’expression expérimentales et populaires. Recyclart incarne aussi un réel projet bruxellois, ancré dans la ville et bi-communautaire francophone/flamand.

Que signifient les « cultures urbaines » pour vous ? Comment l’appréhendez-vous dans les activités de Recyclart ?
On ne peut être plus urbain qu’à Recyclart ! Une gare toujours en fonction, située dans une rupture urbaine qu’elle a créée sur la jonction Nord-Midi qui traverse le pentagone bruxellois… Nous sommes géographiquement situés à la frontière d’un ancien quartier populaire de Bruxelles, les Marolles et à un jet de pierre de la Grand-Place, haut lieu de tourisme du centre-ville. Avec tout ce qui croise notre chemin : demandes de soutien et de résidence pour les projets d’artistes, les curieux qui s’interrogent sur nos activités dans ce lieu incongru, des touristes japonais perdus en quête des horaires des trains, des clochards en manque d’affection, des jeunes vandales, les tags incessants… mais aussi notre voisinage direct (une école catholique, des fonctionnaires clients de notre bar-resto, Les Brigittines – Centre de la voix et du mouvement). La notion de « culture urbaine » me paraît encore assez vague. En musique, par exemple, quelles sont celles qui n’ont pas été d’une manière ou d’une autre influencées par la ville dans toutes ses dimensions ? (…) En ce qui concerne notre approche photographique, nous incitons les habitants du quartier à créer un archivage de leur quotidien et de leur quartier. Les préoccupations urbanistiques qui nous animent sont nées des aberrations architecturales bruxelloises du passé, mais aussi du présent, qui empêchent toujours la ville d’évoluer vers une réflexion urbaine plus « citizen-friendly ».

Vous avez lancé des séries thématiques dans votre programmation qui donne la part belle aux découvertes croisées et aux têtes chercheuses musicales actuelles…
Les cycles permettent de fidéliser un public et de faire découvrir de nouveaux artistes, ou des artistes méconnus. D’une manière générale, j’ai toujours posé ma programmation en « alternative » à ce qui se passait — ou ne se passait pas — à Bruxelles. Plusieurs cycles ont été lancés : Haunted folklore est une série de concerts / confrontations explorant le folklore musical hanté ou habité; qu’il soit ancien, traditionnel, expérimental ou actuel. Musiques organiques à la croisée de musiques électroniques, parsemées parfois de projections, d’installations ou de performances. La salle est aménagée avec des petites tables dans un esprit proche d’un cabaret. Nous avons accueilli des artistes tels que le duo psychobilly canadien Hank & Lily, le maestro free Evan Parker, le saxo-poète Ted Milton, le duo AGF/Delay, l’électro-post-folk britannique Leafcutter John, la Brésilienne Cibelle ou encore le combo norvégien Huntsville, le tout pouvant s’accompagner de projections et d’expositions. Dans le cycle Yeah!, qui se présentait sous la forme de concerts avec DJ’s, nous avons désiré offrir un bel écrin à des groupes de rock ou de punk actuel, tout en considérant les influences électroniques, tout simplement parce qu’il n’y avait rien dans le genre à Bruxelles ! Le contexte était résolument festif, dur et dansant. On a pu y voir des artistes tels que le duo belge The Acid Mercenaries, le groupe français Poni Hoax, les Anglais d’Adult ou encore le new-yorkais DJ/Rupture. Récemment, nous avons développé quelques soirées/concerts sous l’appellation No Kraut, partant de ce terme — assez vague — du krautrock pour aller vers l’électro-disco-psyché (Emperor Machine), la pop (Fujiya & Miyagi) ou un kraut plus récent avec des valeurs sûres, tels Burnt Friedman & Jaki Liebezeit, le légendaire batteur de Can.

propos recueillis par Philippe Franck
MCD #51, mars-avril 2009

Site: https://recyclart.be/

festival électro-corsaire

Dissémination et contamination sont les mamelles des arts numériques, déclare joyeusement Philippe Franck, directeur de Transcultures qui organise Les Transnumériques. Son ambition est de créer un archipel de brûlots créatifs, un festival corsaire au service d’une logique à long terme.

Plateforme à géométrie variable réunissant des opérateurs culturels, des laboratoires universitaires, des associations et des institutions, Les Transnumériques sont le résultat multi local (et multimodal) d’une volonté de collaboration transfrontalière et de faire du lien entre les collectifs, les espaces artistiques, les villes, les artistes et les publics autour des arts numériques. L’union fait la force, sourit Philippe Franck en allusion à la devise de son pays fracturé, la Belgique. Mais derrière la boutade, sa volonté est bien là, dans le réticulaire, la coopération et le long terme.

Pour lui, Les Transnumériques, nées en 2005, se doivent de représenter ce qui correspond aux pratiques du futur immédiat, d’intégrer les facettes de ces réalités mutantes aux programmations. Il était urgent d’apporter une scène naturelle aux arts numériques, de proposer des contextes différents selon les spécificités et les éclairages, ce qu’un point fixe ne peut faire, estime-t-il. Allant des racines des arts numériques, à la multiplication actuelle des angles de vue tout en prenant bien garde d’éviter les lieux communs, ce festival, formateur et médiateur dans l’esprit et dans l’acte de la programmation, réconcilie institutionnel et underground. Le projet est ambitieux.

Une édition 2008 multi délocalisée
Cette troisième édition du festival a lieu depuis le 25 septembre jusqu’au 13 décembre, en France et en Belgique (Paris, Bruxelles, Mons, Lille). Elle est articulée autour d’un ensemble de manifestations soit coproduites pour l’occasion, soit reprises dans la plateforme festivalière. De fait, Les Transnumériques 2008 proposent des éclairages différents selon les villes qu’elles habitent.

En région parisienne, c’était le corps numérique, du 24 septembre au 3 octobre, au Centre Wallonie-Bruxelles, à la Maison des Arts de Créteil (installation audio-vidéo de Luc Ferrari, Cycle des souvenirs / Exploitation des concepts) et avec des relais partenariaux à la Maison des Métallos (carte blanche au festival Elektra), au Centre des Arts d’Enghien (expo Body>Sata>Space), au Théâtre de l’Agora à Evry (avec l’événement Circuit éclectique-Phénomènes) ainsi que d’autres lieux parisiens investis par le festival complice de musiques contemporaines et électroniques Spectrum XXI.

À Mons, l’émergent et l’expérimental côtoient le festif. Les Transnumériques y réunissent, du 6 au 10 novembre, deux lieux récents le Frigo (espace polyvalent sur le site des Abattoirs) investis de plus en plus régulièrement par Transcultures, et le mixomedia (nouvelle galerie dédiée à la « culture underground ») mais aussi la médiathèque et le Théâtre Royal. La programmation mêle des présentations de nouveaux projets (« démo party »), de festivals et structures (avec un focus sur le Québec numérique, un des fils rouges de cette édition partenaire d’Elektra et de la SAT à Montréal avec laquelle d’autres échanges et résidences sont prévus) invités à des performances audio-visuelles, des sets live ou « smart DJs » et des installations numériques de jeunes artistes.

À Bruxelles, ce sont les nouvelles formes d’écritures performatives qui sont convoquées. Avec La Bellone, du 1er au 5 décembre, des performances et projections de collectifs « indisciplinaires » (Le laboratoire mobile, METAmorphoZ, Rhizome…) et artistes énergiquement frondeurs (Antoine Defoort, Lucille Calmel…) qui interrogent sans complexe la question de l’écriture et de la scène à l’ère digitale avec là aussi une trans party (avec Club Claudine) colorée en guise d’épilogue hédoniste.

Le 6 décembre, à  l’Institut Supérieur d’Etude du Langage Plastique, ce sont les images numériques qui sont à l’honneur  avec des conférences sur les mondes virtuels et une sélection du festival Elektra, des audio-vidéos de Régis Cotentin, Antonin de Bemels et Christophe Bailleau proposés par 68 Septante que l’on retrouve aussi couronné de sets AV au Palais des Beaux-Arts de Lille le 13 décembre pour une soirée Bruxelles-Montréal en final de cette troisième édition. Pour l’avenir, d’autres alliances devraient apporter de nouvelles ramifications nomades tant à la manifestation trans-festivalière qu’à la plate-forme dont elle est l’émanation bouillonnante…

Philippe Baudelot
MCD #49, nov-déc. 2008

Site: http://transnumeriques.be/

Dirigée par Philippe Franck, Transcultures est une association interdisciplinaire fondée à Bruxelles en 1996 et installée depuis 2008 sur le site des Abattoirs à Mons (Belgique) pour y développer un Centre des cultures électroniques et sonores. Transcultures s’attache plus spécialement à explorer les diverses relations art/société/nouvelles technologies à partir d’une vision transversale alliant étroitement les volets création/production/réflexion/médiation/diffusion. Transcultures pilote Les Transnumériques, ainsi que le festival des arts sonores City Sonics et publie également des CDs, DVDs, objets hybrides sur les enjeux interdisciplinaires contemporains, des arts numériques et sonores avec divers partenaires belges (Sub Rosa, La Lettre Volée…) et internationaux. Transcultures est également un membre actif du RAN, Réseau des Arts Numériques initié par le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains. Infos: http://transcultures.be/

Interview de Philippe Franck, directeur artistique du festival

Comment est né le festival et quelle est sa philosophie ?
City Sonics est né en 2003 de la volonté de l’association Transcultures et de la Ville de Mons de créer une grande manifestation estivale pour les arts sonores (aujourd’hui encore unique en Belgique francophone). City Sonics ouvre toutes les portes de la création (installations, environnements, performances, ateliers, création radiophonique…) avec le souci principal de renouveler le plaisir d’une écoute active, de susciter un dialogue intime entre les lieux d’accueil patrimoniaux ou insolites, les interventions artistiques et les publics…

Votre meilleur souvenir ?
Entendre le célèbre cri de Tarzan — un projet du plasticien-performer Emilio Lopez Menchero présenté en 2003 — résonner à la place du tocsin de l’Hôtel de Ville et voir le visage étonné et amusé des citadins, qui me demandent encore s’ils vont ré-entendre
ce crieur des temps modernes, prouvant, si besoin est, la puissance de l’image sonore.

Votre pire souvenir ?
Le matin du vernissage de la 1ère édition, le visage et les oreilles obstinément fermés d’un employé communal à moitié saoul qui refuse de nous donner accès à l’électricité dans un jardin où nous présentions des installations, retardant le vernissage de plusieurs heures, avant que l’adjoint au Maire ne débloque cette situation absurde (du plaisir des interventions in situ dans l’espace public !)…

Quelles sont les caractéristiques de la prochaine édition ?
L’amplification du réseau Émergences Sonores, une installation / création du grand minimaliste américain Tony Conrad ou encore, Bat Sounds, inspiré par les chauves-souris du compositeur Jean-Paul Dessy… L’édition 2008 renforcera sans doute l’aspect « déambulation » entre les sites du parcours (notamment via une création de Pierre Alféri), mais aussi entre les villes associées (Mons, Maubeuge, Lille).

Comment voyez-vous l’avenir du festival ?
Outre ses collaborations internationales avec d’autres festivals, City Sonics compte développer, à Mons, un programme à l’année d’expositions, rencontres, performances et résidences d’artistes — avec le CeCN (Centre des Écritures Contemporaines et Numériques), Musiques Nouvelles, la Ville de Mons — ainsi que des collaborations transfrontalières (avec Le Manège, Scène Nationale de Maubeuge, le Studio des Arts Contemporains Le Fresnoy, le Palais des Beaux-Arts de Lille…).

MCD, Guide des Festivals Numériques
musique – art – multimédia, 2007-2008

Site: http://citysonic.be/