l’open source médical est une idée qui fera son chemin

Dans les premiers jours du confinement le groupe Makers for Life émerge à l’initiative d’entrepreneurs du logiciel et de makers du pays Nantais. Très vite, en collaboration avec le CHU de Nantes, ils s’engagent dans la conception d’un respirateur open source, MakAir, un projet qui a pris depuis une dimension industrielle et internationale. Retour sur expérience avec Quention Adam, initiateur du projet.

Quentin Adam. Photo : © Johanne Auclair.

Quentin Adam dirige l’entreprise Clever Cloud à Nantes, une entreprise de logiciels offrant des solutions en automation TIC. Avec ses amis de Crisp, une autre entreprise dans le logiciel de la région, et Pierre-Antoine Gourraud, responsable de la « clinique de données » du CHU de Nantes, ils lancent le groupe « Makers for Life » qui se donne pour objectif la conception d’un respirateur open source qui va prendre le nom de MakAir. S’engage alors une véritable course d’efficacité qui les mène jusqu’à travailler avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’Agence d’Innovation de la Défense (AID). Quentin Adam, moteur du projet, répond aux questions de Makery.

Le projet MakAir a pris forme dès le début du confinement, pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte il a émergé ?

Fondamentalement c’est le discours de Macron du 16 mars, « Nous sommes en guerre », qui m’a motivé, qui m’a fait prendre conscience qu’il se passait quelque chose. Je suis entrepreneur et j’ai déjà beaucoup de travail habituellement, donc au départ, je n’étais pas spécialement à fond sur la question Covid. Mais comme mon amie est en médecine, je lui ai demandé de m’expliquer la problématique du virus. Elle m’explique le syndrome de détresse respiratoire, que ça peut empirer et qu’il va donc falloir mettre des personnes sous respirateur et qu’on va très vite être en saturation, car il n’y a pas suffisamment de respirateurs à disposition, que ce n’est pas quelque chose qu’on utilise souvent en temps normal, et quand on voit la manière de fabriquer les respirateurs, on se rend compte que cela va être très compliqué de mettre à l’échelle la production dans un temps très court, parce que les composants sont chers, parce que les choses ne sont pas pensées pour en fabriquer 200 par an, etc. Je me rends compte alors qu’il faut produire des respirateurs. Je téléphone à Emmanuel Feller qui travaille avec moi, à Baptiste Jamin et Valérian Saliou de Crisp, et à Pierre-Antoine Gourraud du CHU de Nantes, pour savoir si cela les intéresse de s’attaquer à la conception d’un respirateur.

Notre première tâche a été d’essayer de comprendre ce qu’il fallait faire, il existe en effet plein de respirateurs différents. Nous avons alors cherché des anesthésistes-réanimateurs pouvant nous expliquer les besoins vis-à-vis de ce genre de dispositifs. La plupart des anesthésistes ne se préoccupent pas de savoir comment le ventilateur a été construit, peu d’entre eux ont une vision industrielle de la machine et de son fonctionnement, ce qui compte c’est l’usage et les paramètres. Mais certains ont été particulièrement précieux. À partir de ces discussions, on a établi un cahier des charges et on a commencé à bricoler. Au début on faisait franchement un peu n’importe quoi. Mais bon, petit à petit on a commencé à définir notre système aéraulique (science et technique du traitement et de la distribution de l’air, NDLR), en faisant des points tous les soirs, puis, comme on concevait l’ensemble en open source, on a vite eu des gens à nous contacter pour nous donner des recommandations. Et là, notre seule réponse, c’était de leur dire : « Nous sommes loin d’être des spécialistes, vous pouvez nous aider ? ». Les personnes se sont ainsi de plus en plus engagées et c’est comme cela que nous avons pu aller chercher des grandes expertises.

Calibrage avec l’ASL 5000. Photo : © Gregory Thibord

Concrètement, comme le travail s’est organisé au début ?

Moi, à la base, je suis ingénieur software, j’ai des bases en ingénierie globale, physique, etc., mais ce sont des bases. Par exemple je suis incapable de construire la carte électronique de la MakAir. Ni même aucun de mes camarades du démarrage. D’où le besoin d’experts. On a adopté une approche maker ou d’ingénieur informatique, c’est-à-dire qu’au lieu de partir sur une machine hardware avec un peu de software dedans pour la piloter, on a conçu une machine software, réfléchi d’abord aux fonctions software, avant d’ajouter ensuite ce dont on avait besoin. Ce qui n’est pas du tout la méthode employée pour d’autres respirateurs. Donc, au début, on est parti comme tous les makers du monde, on a fait de l’Arduino, avec des servomoteurs défectueux, de l’impression 3D, etc., et les premières versions étaient terrifiantes, mais il fallait bien qu’on avance. De l’autre côté, on cherchait comment industrialiser et comment certifier, car un prototype ne sert à rien si on ne peut pas en produire plein, si on ne peut pas le certifier pour qu’un médecin puisse se mettre dessus. Dans cette quête j’ai fini par recevoir le coup de téléphone de Eric Huneker et de son associé Marc Julien, les patrons de l’entreprise médicale Diabeloop, qui nous ont proposé de nous aider sur la partie réglementaire. L’équipe s’est ainsi constituée, Pierre-Antoine Gourraud en relation avec les institutions, Diabeloop sur la partie réglementaire, mes camarades de départ sur la documentation et l’ingénierie, et moi sur la gestion générale. En une semaine nous étions une centaine, avec des rôles bien identifiés.

Quels écueils rencontrent un groupe de makers quand il devient une vraie « task-force » avec un objectif précis impliquant une industrialisation ?

On s’est rendu compte que notre vision de départ, du type « chaque hackerspace va pouvoir produire des MakAir », ne marchait pas, car ce que l’on certifie, ce n’est pas les plans, mais les processus industriels de production. De fait, la distribution de la production où chacun en produit trois n’est pas applicable, les machines ne seront pas normalisées. Ce qu’il est possible de faire, c’est d’en produire un, de travailler dessus et d’éventuellement l’améliorer, mais ensuite la production doit se faire dans un lieu industriel identifié et certifié, avec les normes ISO nécessaires, etc. Cela a été une grande déception pour moi et je pense pour beaucoup de makers. Du coup, on s’est tournés vers quelque chose de beaucoup plus industriel. Et si pour prototyper, l’impression 3D nous permettait d’être rapide, aujourd’hui dans la version industrielle il n’y a plus grand-chose imprimé en 3D. L’usinage va plus vite, est plus solide et coûte moins cher. Mais sans l’impression 3D tu n’as pas de MakAir, et ce qui est maker c’est la façon de réfléchir et d’aborder le dossier. Avec le prototypage en impression 3D, on gagne des milliers d’heures.

Assemblage de la MakAir dans la salle blanche du CEA. Photo © : Johanne Auclair.

L’impression 3D, c’est un peu la partie émergée de l’iceberg de l’action des makers dans la crise du coronavirus…

Le fait que l’impression 3D soit devenue rapidement accessible financièrement a créé ce que l’on a appelé les « makers ». Mais aujourd’hui une CNC, 5 axes sur AliExpress coûtent 3000 euros. Il y a encore quelques années c’était 1/2 million ! C’est aujourd’hui devenu accessible à une association de makers. Je trouve d’ailleurs que les hackerspaces ou makerspaces devraient aujourd’hui s’équiper de ce type de machine, car c’est un outil extraordinaire, extrêmement précis, capable de produire des pièces très rigides, contrairement à l’impression 3D où les plastiques sont souvent poreux, dégazent. Et dans notre cas précis, tu ne peux pas envisager l’usage de ces plastiques en intubation. Tu peux considérer le SLS, mais cela change complètement de gamme de prix. La machine HP Labs qu’on a utilisée au CEA coûte 1/2 million.

Très rapidement MakAir a fédéré et les soutiens industriels se sont multipliés, comment tout cela s’est-il activé ?

Pierre-Antoine Gourraud, un des co-fondateurs du projet, est professeur et praticien hospitalier au CHU de Nantes et co-responsable de la « clinique des données ». Il a tout de suite été notre lien avec le CHU et a impliqué une partie de ses collègues dans l’histoire. Ensuite j’ai appelé Francky Trichet, Vice-Président Innovation & Numérique & International à Nantes Métropole et Vice-Président au Numérique de l’Université de Nantes, car j’avais vu l’appel à projets de l’Agence d’Innovation de la Défense, pour lui expliquer qu’on devait répondre, car de nombreuses étapes, dont les essais cliniques risquaient de coûter cher. Ainsi, les équipes de Pierre-Antoine Gourraud et les équipes de l’université ont rempli l’appel à projets de manière très structurée. Ce qui nous a permis d’être sélectionnés.

La communauté maker aime bien souvent se construire comme une contre-culture. Nous pas. Pour moi c’est très bien de travailler avec l’armée, ce sont des gens efficaces, qui savent faire, et d’aller vers eux nous a permis de mener le projet à bien. Par exemple on cherchait un ASL 5000, ce fameux poumon artificiel dont on se sert pour calibrer les machines. Neuf cela coûte 55 000 euros, et même si tu as la somme, c’est difficile à trouver. Avec Éric et Marc, on s’est mis en ordre de bataille pour en trouver, on a appelé le distributeur français, etc., mais on savait discrètement qu’il y en avait un au CEA. Comme Diabeloop est une entreprise issue du CEA, Éric les a appelés. Il apprend alors qu’une demi-heure plus tôt, Jean Therme (Directeur délégué aux Énergies Renouvelables au CEA, et ancien Directeur de la Recherche Technologique, NDLR) a reçu un appel de Laurent Wauquiez demandant au CEA de se pencher sur le sujet des respirateurs. Il s’est donc décidé à nous aider et le CEA nous a envoyé l’ASL 5000 et a commencé à nous donner des coups de main, puis de plus en plus, jusqu’à ce qu’à un moment ce soit plus simple d’envoyer toute l’équipe au CEA, vu les essais qu’on allait avoir à réaliser.

Premiers essais. Photo : © Johanne Auclair

Il y a changement d’échelle…

Un truc important que j’ai envie de dire à la communauté maker : nous nous sommes appelés « Makers for Life », mais c’était une erreur. Parce qu’en fait, dans la communauté industrielle, les makers ce sont des bricoleurs du dimanche. Il faut absolument que les makers réalisent qu’ils ont eu parfois le mauvais discours vis-à-vis de l’industrie, un discours clivant, agressant des gens qui devraient en réalité être des alliés. Heureusement notre projet a été vu comme émanant des makers, mais comme étant devenu projet industriel, rien que par la manière dont l’équipe s’est constituée. Comme souvent dans un processus industriel, la plupart d’entre nous ne nous connaissions pas avant, on cherchait essentiellement des ingénieurs spécialisés dans chaque aspect. On a par exemple été rejoint un moment par l’électronicien qui fait le Carmat, le cœur artificiel. Ou encore par Clément à la mécanique, qui d’habitude fait des drones sous-marins pour l’armée. Et du coup, les profils makers, comme Emmanuel, Baptiste et Valérian par exemple, se sont rapidement éloignés de la conception pour se concentrer sur coordination du projet en s’appuyant sur leur polyvalence. On a aussi travaillé avec l’association PING, ils ont été très utiles et impliqués, ils nous ont fait de la découpe laser, ils nous ont aidés à retoucher des pièces en 3D, ils ont fait des impressions 3D.

Quels choix avez-vous dû prendre à partir du moment où vous avez travaillé avec l’armée et le CEA ?

Rapidement, nous avons été confrontés à la question du raccordement sur l’air médical des hôpitaux. Nous n’avons pas retenu cette piste, parce qu’après discussion avec les médecins militaires, ils nous ont fait comprendre que dans les endroits où ils allaient peut-être devoir intervenir il faudrait prendre des gymnases pour installer des hôpitaux de campagne. Il n’y aura pas d’air médical. Cela imposait au projet de concevoir notre propre banc de compression. C’est pour cela qu’il y a une turbine dans notre modèle. Pour l’optimisation on a fait tourner deux ASL 5000 et fait entrer les données dans une boucle d’optimisation en machine learning…

Arrivés au CEA on s’est mis à construire une ligne pilote. Et la partie approvisionnement était cruciale si on voulait industrialiser, il fallait par exemple parvenir à faire sortir des éléments de Chine, du thermoplastique Ultem médical, etc. Sandra et Morgane, issues de l’approvisionnement industriel, ont pris en charge le sujet et se sont chargées de martyriser les fournisseurs pour connaître les quantités à disposition, etc. En fonction des stocks disponibles, cela a guidé les choix de développement. C’est important de le comprendre, l’ingénierie n’a été qu’un des aspects du problème. La question des stocks a été cruciale, s’il n’y avait pas de stocks on ne pouvait évidemment pas demander à l’usine de redémarrer la production. On a par exemple dû contacter Thierry Breton (commissaire européen, chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace, NDLR), pour le convaincre de relancer une usine dans la Ruhr qui fait des moteurs ! On a eu des camions de supplies qui ont passé des frontières au plus dur du confinement et de la fermeture des pays, jusqu’à passer par des autorisations de l’Élysée ! Un délire absolu ! On avait même pour cela mis en place une cellule « relations aux institutionnels », qui leur fournissait des comptes-rendus synthétiques réguliers, des notes calibrées pour énarques.

L’intérieur de la MakAir. Photo : © Johanne Auclair.

Une première version était prête assez vite et a beaucoup fait parler d’elle dans la presse. Concrètement qu’est-ce que cela a signifié pour le projet ? Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Le 28 mars on présente une pré-soumission à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Le 3 avril on a branché la version 1 sur un cochon en sédation, notre premier test pré-clinique sur animal – après les tests avec ASL 5000. Le 9 avril la ligne production est lancée et on dépose auprès de l’ANSM la totalité de la documentation réglementaire. 60 à 70 machines ont été produites au CEA en avril. Et on se met à lancer immédiatement la V2, en disant qu’on peut l’améliorer, même si la V1 va déjà pouvoir sauver des gens : à ce moment-là on est persuadé que l’ANSM va répondre rapidement. Mais elle met 2 mois pour nous répondre, soit le délai légal… On reçoit donc leur réponse le 9 juin, uniquement pour la V1, alors qu’entre-temps on a terminé la V2 en mai, et développé une V3 encore meilleure sur les derniers jours de mai. Une V3 qu’on essaye maintenant de faire certifier directement et dont SEB assure aujourd’hui une cadence de production.

Aujourd’hui, le Centre de Promotion des Essais Cliniques du CHU Nantes a pris le relais sur la V1 et on mettra un patient sous respirateur fin juillet. Tout cela donne un temps trop long à notre goût, sans blâmer qui que ce soit en particulier on a quand même le sentiment d’être parfois victime d’une forme de bureaucratie… pas facile. Parfois ça se joue sur des choses très pratiques, par exemple, n’étant pas professeur des universités et praticien hospitalier (PU-PH), je n’étais par pas autorisé à être en copie des mails du CHU, pas évident d’être efficace dans ces conditions… En parallèle le volontarisme de certains pays pour engager un processus de certification d’urgence nous a étonnés, certains exemplaires sont d’ores et déjà à Madagascar pour engager les premiers tests. Nous nous sommes souvent demandé si le fait de construire un modèle très compétitif en prix face au fabriquant national a finalement été un handicap dans l’engagement de certaines parties prenantes… difficile d’y voir clair.

La MakAir Version 1. Photo : © Johanne Auclair

C’est cela qui est justement intéressant, favoriser l’accès aux soins par la réduction des coûts…

Encore une fois mon propos n’est pas de jeter la pierre à qui que ce soit, mais cela pose une question fondamentale sur la manière de penser la structuration de ces organisations. On a vu des gens qui ne voulaient pas s’engager dans la résolution de problèmes. Ils nous ont simplement ignorés. A contrario, du côté de l’armée par exemple on a bénéficié d’un engagement franc et direct, à un problème tu auras une réponse dans l’heure, positive ou négative, mais tu auras ta réponse, ce qui te permet d’avancer.

Quelles sont les applicabilités de la MakAir ?

La MakAir a des applicabilités pour la première ligne et les hôpitaux de campagne, on peut personnaliser le matériel de manière aussi à ce que les ingénieurs de l’armée puissent les comprendre et les réparer, avec la possibilité de reconfigurer à distance en fonction des problématiques. L’open source n’est pas qu’une histoire de coût, c’est surtout une histoire d’innovation. Le fait que tout le monde puisse collaborer ça change tout. Des médecins à qui on en a envoyé nous ont dit que cela faisait 15 ans qu’ils avaient un algorithme de gestion de la pression qu’ils ne pouvaient pas utiliser sur les machines fermées. Sur la MakAir c’est possible. Avec l’open source n’importe qui peut collaborer. C’est une rupture épistémologique. Et l’open source dans le médical c’est génial, le fait que les données soient ouvertes, que le code soit ouvert, que cela soit possible de l’améliorer c’est formidable.

Tu peux très bien faire tout ton développement en open source et en collaboratif et faire ensuite certifier le process industriel. Tu peux créer et faire travailler une équipe tout en ouvrant le développement à des améliorations et faire progresser la connaissance commune. Après les essais cliniques, on devra re-certifier. On a déjà engagé la commercialisation avec certains pays, mais pour le moment en France on est dépendant de la certification. Dans la V3 on a introduit un capitonnage silencieux et repensé la question multi-usages et les process aérauliques pour changer facilement les pièces et à bas coût, ce qui évite les process de lavage. On avance bien.

La série de MakAir au CEA. Photo : © Johanne Auclair

Quels souvenirs marquants conservez-vous de la période de développement durant le confinement ?

Je peux raconter quelques anecdotes. Quand tu fais des essais cliniques, tu as affaire à l’ANSM, mais aussi au CPP, Comité de protection des personnes au Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), qui juge l’éthique de tes essais cliniques. Il est composé de médecins et de philosophes. Le président du CCNE est le médecin-chercheur en immunologie Jean-Claude Ameisen, également philosophe et animateur de Sur les épaules de Darwin sur France Inter. Je me souviendrais toujours de Pierre-Antoine Gourraud, PU-PH, en train d’écrire des mails à 3h30 du matin, en les dictant à son téléphone tout en mangeant un peu de tartiflette, éreinté, avec une conjonctivite à l’œil, mais en réalité en train de dicter une dissertation de philosophie à son téléphone pour le CCNE. C’était surréaliste, tout le monde était à fond, mais exténué, les ingénieurs étaient à côté en train de manger en révisant les plans… Il faut comprendre que Pierre-Antoine et moi, nous passions notre temps en double ou triple appels dans la même pièce, et parfois on se remettait à discuter entre nous tout en discutant avec d’autres personnes au bout des lignes. Tout le monde a travaillé comme des fous, les ingénieurs, l’équipe presse, etc. Nous étions installés au co-working du Palace, dans une grande salle sans fenêtre, avec lumière artificielle, ce qui fait que nous perdions la notion du temps, nous ne dormions parfois que deux heures par nuit, et cela nous est arrivé de faire des nuits blanches sans nous en rendre compte.

Un autre moment de survoltage a été le premier assemblage des machines en salle blanche au CEA début avril. Le patron de la division électronique de toutes les salles blanches était là avec nous, il se demandait un peu ce qu’il faisait là, mais était très volontaire, et finalement on y a passé des heures, jusqu’au milieu de la nuit. Les premiers prototypes étaient en réglage et à un moment on se rend compte qu’il va falloir dévisser un truc. On lui demande s’il y a un tournevis, et évidemment dans une salle blanche de micro-électronique il n’y a pas de tournevis (rire). C’était surréaliste. Mais il faut dire que les équipes du CEA ont été extraordinaires, Jean Therme, Laurent Clavelier, etc. On a pu sortir toute la ligne pilote en salle blanche au CEA. Un autre moment vibrant est quand on a eu toute la presse nationale, il y avait une émulation incroyable dans toute l’équipe. La plupart des membres étaient impliqués dans des choses auxquelles ils n’avaient jamais été confrontés auparavant. C’était stimulant. Au CEA nous nous baladions avec des badges 24/7, et peu de gens au CEA ont accès à des badges 24/7 ! C’était justifié, vu que nous bossions la nuit. En tout cas ça a été un plaisir de bosser avec tous ces gens, on pense déjà à comment pérenniser ce genre de modèle et j’espère que l’open source médical est une idée qui fera son chemin.

Ewen Chardronnet
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le respirateur MakAir.

On a monté une « entreprise » départementale de visières en quatre jours !

Le Vaucluse, plus petit département de la région PACA, a démontré durant la crise de la Covid-19 qu’il regorgeait de makers à l’agilité surprenante. Bien épaulés par la préfecture, ils ont su produire près de 13 000 visières de protection (plus de 20 000 si l’on compte les initiatives individuelles). Rencontre avec Corentin Tavernier, à l’origine de cette chaîne de production avec Maguelone Merat, forgeuse numérique à La Fruitière Numérique à Lourmarin.

Deltalab, le fablab de Grillon, participe à la production de visières pour le personnel de santé des établissements du Vaucluse. Le modèle de visière a été élaboré par la Fruitière numérique, le fablab de Lourmarin, et adapté par Deltalab en fonction des matières premières reçues. Photo: D.R.

Ils ont 29 et 35 ans, sont animés du même esprit maker par fonction et/ou par passion, travaillent à une cinquantaine de kilomètres l’un de l’autre, mais ne se connaissaient pas jusqu’à la malheureuse période de crise de la Covid-19. Pourtant, ils sont l’un des soixante visages vauclusiens d’un même dynamisme à avoir massivement participé à la lutte contre l’épidémie en produisant des visières de protection sanitaire. Pendant que Maguelone Merat à La Fruitière Numérique de Lourmarin (village provençal à 40 kilomètres d’Aix en Provence) produisait et assemblait les visières, Corentin Tavernier, maker individuel et fondateur de La Bricothèque à Pernes-les-Fontaines (à 25 kilomètres d’Avignon), se démenait pour le bon fonctionnement d’une impressionnante chaîne logistique soutenue par la préfecture départementale. Grâce à elle et l’appui d’autres acteurs, ils peuvent aujourd’hui se satisfaire d’avoir fourni 13 000 unités aux personnels dans le besoin. Toujours à distance, dans l’attente d’un évènement qui réunirait ces makers vauclusiens, ils ont rouvert pour Makery la boîte de pandore « Makers vs Covid 84 ».

Comment ont débuté vos engagements respectifs dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19 ?

Maguelone Merat (MM) : À la Fruitière, une fois le confinement acté, nous sommes rentrés chez nous avec notre ordinateur et c’est de là que nous avons pu observer que les besoins en équipements sanitaires se faisaient de plus en plus pressants. En local, cela s’est traduit par de premières demandes de la part des hôpitaux de Pertuis, Aix-en-Provence et Marseille. Alors à la fin du mois de mars avec le fab manager Georges Bonicci, nous avons fouillé sur internet pour voir comment nous pouvions contribuer à certaines productions. Début du mois d’avril, notre engagement s’est ensuite fait en deux temps. D’abord j’ai créé moi-même un fichier pour une production de bandes flexibles qui servent de support à la plaque de rhodoïd, à partir d’un stock d’acrylique qu’on avait sous la main. On produisait alors 10 visières toutes les quinze minutes. Puis, n’ayant pas beaucoup de stock de matières, nous avons ensuite poursuivi avec du Priplak. Je découpais ces bandes à la découpe laser CO2 (environ 300 chaque matin) et ensuite nous faisions l’assemblage. Dans les deux cas, nos modèles ont été validés par l’Agence Régionale de Santé.

Corentin Tavernier (CT) : Mes deux projets de départ, c’était me reposer et profiter de ma famille, en tant que jeune papa. Étant marqueteur professionnel, j’avais toutefois pris chez moi du matériel pour poursuivre mon activité, c’est-à-dire une imprimante 3D et une fraiseuse numérique. Comme Maguelone, je voyais à la TV l’aggravation de la situation. À partir d’un prototype en polypropylène que j’avais fait moi-même, je me suis rapproché du groupe national « Makers contre le Covid » et je leur ai proposé de produire des masques. Ils m’ont répondu que c’était trop contraignant et qu’il valait mieux se tourner vers des visières. Je me suis donc engagé sur dix premiers jours de production seul de mon côté.

Corentin, comment votre initiative individuelle bascule-t-elle vers une chaîne de production départementale ?

CT : Au bout de dix jours, je me suis retrouvé avec un premier stock de visières que je ne pouvais pas livrer. Je me suis mis en contact avec d’autres personnes sur Facebook, pour créer le groupe « Makers contre le Covid 84 », où nous nous sommes retrouvés à une dizaine de makers individuels. Puis, j’ai décidé d’activer le réseau en sollicitant une connaissance, Adrien Morenas, député de la troisième circonscription du Vaucluse. Il a tout de suite été très intéressé pour nous aider dans la distribution, je pense que c’était le livreur le mieux payé de France (rires). Mais, il a lui aussi très vite réalisé qu’il fallait créer quelque chose de plus performant et a contacté Bertrand Gaume le préfet du Vaucluse.

La Fruitière Numérique (84) mobilisée sur la fabrication de visières pendant le confinement. Photo: © La Fruitière Numérique.

C’est donc grâce à cet effet boule de neige que votre chaîne de production a été si bien « huilée ». Pouvez-vous nous la décrire en détail ?

CT : Il y a eu en réalité plusieurs acteurs déterminants. Via la préfecture, nous avons eu l’avantage d’être encadrés par l’état et d’une certaine manière « protégés ». La CCI du Vaucluse, Vaucluse Provence Attractivité et l’UIMM se sont également engagés d’un point de vue financier, notamment dans l’achat de 95 kilos de bobines de PLA ou encore des élastiques. La préfecture nous a fourni du film transparent, l’ensemble des acteurs nous a donc beaucoup aidé pour l’équipement. Je pense également à l’entreprise Laser-System de Carpentras qui vend des machines de découpe laser et qui a pu mobiliser un très gros parc de machines. Mais la préfecture du Vaucluse a été un appui essentiel, parce qu’elle nous a dédié une équipe complète. Elle s’est très vite chargée de recenser les besoins avec l’Agence Régionale de Santé par exemple, de collecter l’ensemble de nos productions qu’elle centralisait dans un bâtiment à Avignon. Par ailleurs seize de ses chauffeurs étaient chargés de récupérer les productions directement auprès des makers ou des sous-préfectures et de les acheminer vers un entrepôt central à Avignon. C’est de là que toutes les visières partaient en fonction de l’urgence des besoins.

C’est dans ce cadre Maguelone que Corentin vous a sollicité, pouvez-vous nous décrire votre action en local ?

MM : Corentin nous a effectivement contactés au début du mois d’avril et on s’est mis en marche avec toute cette équipe institutionnelle. Ils nous ont aidés pour la matière première et un chauffeur passait pour récupérer nos productions. Corentin nous avait également fait distribuer des stocks de Priplack qui avait l’avantage d’être résistant, souple et léger. Dès lors, nous faisions de la découpe-laser le matin et l’après-midi Pauline Metton la directrice de la Fruitière, Georges et des élus du village, nous aidaient pour le montage. En trois semaines on a transmis 2200 visières à la préfecture.

CT : Bien entendu de mon côté, je ne gérais pas tout tout seul. J’avais avec moi Arnaud Lafage, un autre maker individuel qui était mon « bras droit ». Il était quant à lui chargé de prendre contact avec les makers, de les comptabiliser, de centraliser l’information. Il a œuvré notamment à la validation de nos trois modèles par l’ARS ; c’est-à-dire deux en impression 3D (un modèle Europe issu des modèles Prusa et un deuxième à clips qui venait de la communauté des makers) et le troisième celui de Maguelone. En bout de chaîne, Arnaud était à Avignon pour contrôler une dernière fois l’ensemble des visières avant qu’elles ne partent en distribution.

Bien sûr votre production ne se résume pas à la partie organisationnelle, mais a mobilisé un certain nombre d’acteurs clés, en premiers lieux les makers comme Maguelone et la Fruitière, mais aussi de nombreux acteurs de l’écosystème. Qui sont-ils ?

CT : Il faut bien sûr citer les makers dont Maguelone et moi-même faisons partie. Sur la page principale « Makers vs Covid 84 », il y avait 200 personnes, dont 60 makers. Ce nombre nous a d’ailleurs conduits à diviser la page en deux groupes : un groupe « préfecture » qui respectait le fonctionnement et bénéficiait d’un approvisionnement en matière et un groupe « maker libre » qui pouvaient diffuser comme ils le souhaitaient. Des fablabs ont été très actifs, je pense entre autres à La Fruitière ou à Delta Lab à Grillon, mais nous observions surtout le dynamisme de makers individuels.

MM : Nous n’avons pas évolué en vase clos. Nous étions en contact avec d’autres fablabs et entreprises, avec lesquels nous échangions nos fichiers. D’ailleurs nos supports de visières ont été conçus avec l’aide du fablab belge Fab-C à Charleroi. La commune de Lourmarin a été active sur le montage de visières, celle de Vaugines nous a fait des dons pour la matière première et on a fait un grand appel aux dons sur les feuilles transparentes. Comme nous avions aussi un certain nombre de demandes en direct des hôpitaux et de quelques particuliers comme les commerçants, nous étions au plus près des acteurs de notre territoire.

Visière produite dans le 84. Photo: © La Fruitière Numérique.

Concrètement, cette organisation a contribué à quels résultats ?

 

MM : Sur toute la période, nous avons produit 2950 visières à La Fruitière Numérique.

CT : Au plus fort de la période, on recensait 100 à 200 demandes de visières par jours. Au total, pour les makers du Vaucluse on a recensé 20 000 visières produites, dont 13 500 par le « canal » de la préfecture. On a aussi observé l’investissement du groupe « Makers contre le Covid » dans les autres groupes départementaux de la région PACA. Dans les Hautes-Alpes ils ont produit près de 4000 visières et près de 1000 dans les Alpes-Maritimes, selon les derniers chiffres actualisés, il y en a donc certainement plus.

Quels regards portez-vous respectivement sur l’action de l’un et l’autre ?

MM : Quentin est une super rencontre, surtout quand on sait l’effort de coordination qu’il a entrepris. Par ailleurs, par son passé à La Bricothèque et son métier, il m’a inspiré d’intégrer un peu plus d’artisanat dans la Fruitière. Je crois que cet évènement nous apportera dans nos efforts de coordination, de mise en réseau. Au plus fort de l’urgence, il nous a boosté pour produire le plus possible.

CT : La Fruitière à l’image du Delta Lab était à fond dans le projet. Et à l’image de Maguelone, j’ai tout de suite senti un vrai esprit maker. Sans faire offense à d’autres, ils n’étaient pas ou moins « enquiquinés » par des soucis financiers, alors ils ont pu s’investir pleinement, ce qui a peut-être démontré une disproportion entre les fablabs au sein de notre territoire.

Toutefois, chacun à votre échelle, vous avez rencontré un certain nombre de défis et de difficultés, lesquelles ?

CT : De mon côté, le plus gros défi c’était la communication. Avec Arnaud, nous devions faire le lien entre un discours officiel et les makers. Le langage n’était pas forcément le même, donc le système était plus complexe, mais aussi plus protecteur. C’est dans ce cadre que l’on a également dû fixer certaines limites. Certains fablabs ne pouvaient ou ne voulaient engager aucune dépense, alors qu’on savait bien que tout le monde allait devoir s’investir. D’autres souhaitaient mettre en place des collectes de fonds, mais c’était impossible, car on aurait flirté avec l’illégal…

MM : Je suis d’accord, la communication a été le plus difficile. Pour l’anecdote, je me souviens d’une usagère mécontente qu’on ne lui donne pas une visière avec la languette rose (rires). Je me souviens également de réunions en visio, où en fonction des acteurs présents, on percevait bien certaines « guéguerres » politiques.

Comment se sont interrompues vos actions et quels changements percevez-vous depuis ?

CT : Nous avons tout arrêté deux semaines après le confinement, parce qu’il n’y avait plus vraiment de demande et tout le monde reprenait le travail. Je crois que nous mesurons l’impact de l’action des makers à l’engouement que cela suscite. Le prix d’une bobine de fil est passé de 18 à 25 euros, celui d’une imprimante 3D Under 3 de 165 à 250 euros et certains matériaux ont été en pénurie. Je crois que ce sont les signes d’une vraie dynamique.

MM : Nous avons arrêté mi-mai, parce que nous étions calés sur le planning de l’ARS. Au moment du déconfinement des particuliers nous ont quand même demandé des visières parce qu’ils croyaient que ça remplaçait le masque. On a alors choisi de la tarifer à un prix bas de 5 euros pour amortir un peu nos frais, mais comme nous ne voulions pas en faire un business et que les réglementations de l’état devenaient strictes en lien avec les normes AFNOR, on a préféré arrêter. Ce qui commence à changer c’est la vision qu’a la population de notre structure. Avant ça ils nous considéraient comme un service public, sauf que nous avons le statut de SPL c’est-à-dire qu’on fonctionne sur du droit privé, qu’on reçoit des aides de délégation de service public, mais nous ne sommes pas subventionnés nous sommes autonomes. On a un besoin de rentabilité, nous ne sommes pas un service de la mairie. Ça a joué en notre faveur, parce que les gens en s’intéressant plus à ce qu’on fait, semblent l’avoir compris.

Remerciements de soignantes. Photo: © La Fruitière Numérique.

Quels sont les points positifs que vous dégagez de cette action à moyen et long terme ?

MM : Notre image a évolué. Pour bon nombre de personnes un tiers-lieux c’est quelque chose de flou. Or, dans cette période nous avons montré que nous étions réactifs à partir du bricolage. En parallèle, cette période nous a permis de poser certaines de nos réflexions. Dans l’année nous sommes toujours à flux tendu et là nous avons pu réfléchir sur le sens que nous voulions donner à l’avenir à notre structure.

CT : C’est fou, mais nous avons presque monté une entreprise départementale en quatre jours ! Cela s’est fait parce qu’on avait des compétences communes et que les makers fonctionnent selon des mouvements horizontaux. Mais la vitesse a été spectaculaire. Nous étions une ferme décentralisée avec 60 personnes et des imprimantes 3D. De cette façon, on a appris que dans notre département, le réseau se structure très vite en chaîne de production.

Maguelone, que constatez-vous depuis la réouverture de la Fruitière Numérique ?

MM : L’activité redémarre progressivement. On a beaucoup de nouveaux co-workers, car beaucoup de gens étaient venus se confiner dans le Sud et restent en télétravail jusqu’à septembre, du coup ils cherchent un endroit pour travailler. Sur la partie lab, nous avons beaucoup de demandes sur des petits projets. On cherche aussi à s’adapter, car nous ne pouvons pas recevoir beaucoup de monde, alors des gens viennent faire des tournages chez nous, qu’ils rediffusent ensuite en streaming. Tout ça est rassurant, car cela montre que les gens ne sont pas bloqués et qu’on va pouvoir continuer d’exister.

Quel est l’avenir de votre réseau ?

CT : D’abord, nous n’avons pas fermé le groupe Facebook, au cas où… (sourire)

MM : Tout le monde est en phase de transition, donc le réseau est actuellement calme. On va faire un évènement pour tous se rencontrer et peut-être qu’il se poursuivra autour de nouveaux projets.

Cédric Cabanel
publié en partenariat avec Makery.info

Le groupe Facebook « Makers contre le Covid 84 ».

La Fruitière Numérique et La Bricothèque.

Petite histoire de La Fruitière Numérique et de La Bricothèque

La Fruitière Numérique et La Bricothèque sont deux des nombreux tiers-lieux présents en région PACA et dans le département du Vaucluse. La première fondée en 2014 doit son nom à son passé de coopérative agricole. « Historiquement, ce lieu est une ancienne coopérative agricole fruitière, qui tenait une importance majeure dans le village, puisque bon nombre d’habitants y avaient déjà travaillé.

En 2011, le bâtiment a été racheté par la commune parce que la mairie ne voulait pas le laisser aux mains des promoteurs immobiliers » raconte Pauline Metton. Alors, selon la volonté du maire de l’époque Blaise Diagne, qui voulait désaisonnaliser Lourmarin, est née en 2015 la Fruitière Numérique, devenue SPL en 2016. Elle oriente ses activités en plusieurs parties ; la partie fablab, la partie Espace Public Numérique (EPN), la mise à disposition de résidence d’artistes, des activités d’exposition scientifiques ou artistiques, l’organisation de séminaires dans l’espace multifonctionnel de diffusion numérique et enfin un espace de coworking rattaché à l’EPN.

Quant à La Bricothèque, le fablab est né en 2019 à Pernes-les-Fontaines, ville de métiers d’art depuis 1999, statut qui se traduit par un vrai investissement de la municipalité en leur faveur. Une grande vingtaine d’artisans travaillent donc dans la ville dont certains permettent à certains métiers rares de survivre. « Nous avons créé le fablab pour regrouper les compétences présentes en local, il a donc une orientation sur l’artisanat d’art » raconte Corentin Tavernier un des initiateurs du fablab, depuis, un peu plus éloigné du lieu.

L’apparition de La Bricothèque comme d’autres fablabs montre la fertilité du Vaucluse en termes de tiers-lieux. Mais ces dernières années on a pu observer (se reporter au travail de thèse de l’auteur de cet article qui consacre un large chapitre sur les fablabs de la région, NDLR) une forte dynamique de création comme de disparition de structures, ce qui souligne aussi leurs fragilités.

Un effort d’agilité, de dialogue et de faire ensemble

Antoine Ruiz-Scorletti, 28 ans, est maker avant tout ! Mais il est également le fab manager du Roselab, le fablab de La Cité à Toulouse, mais aussi un des coordinateurs du RedLab, le réseau des fablabs & Assimilés d’Occitanie, et administrateur référent communication du Réseau Français des Fablabs.

Artilect et Airbus ont produit plus de 50 000 masques chirurgicaux pour le CHU de Toulouse. Photo : © Artilect

Quel rôle a joué votre fablab pendant la crise, et plus largement les fablabs et collectifs de makers dans votre région ?

Dès le début de la crise, les membres de notre réseau se sont immédiatement mobilisés pour répondre à l’urgence sanitaire, éducative et sociale provoquée par le Covid-19. Nous avons mené de nombreuses actions collectives grâce à un dispositif de fabrication distribuée à l’échelle régionale. Les premières actions ont été instinctives, notre objectif était d’aider par ce que l’on sait faire : faire ensemble, rapidement et efficacement.

Réunions hebdomadaires, partage de modèle de visières ou de masques, structuration logistique et légale, communication, création commune de prototypes, rapprochement avec les groupes d’entraide makers, les différentes organisations (RFFLabs, France Tiers-Lieux, les CCI, les mairies…). En quelques jours, on était opérationnel pour répondre ensemble aux besoins et produire des solutions (100 000 visières et 50 000 masques distribués).

Nous avons également développé des prototypes de masques FFP2, des nouveaux modèles de visières, des tests d’objets sanitaires tels que les respirateurs. Enfin, nous avons aussi développé des actions de médiation numérique en soutenant la MakerCrew en créant très rapidement un évènement distribué les Apéro[Ma]kers ou encore le Minitel du Faire (application de ressourcerie avec 600 utilisateurs quotidiens). Notre effort a été intense pour répondre à tous les enjeux de la crise.

Prototype de masque FFP2 entre le Roselab (fablab), Makers&Co (collectif de makers professionnels), EmotionTech (entreprise d’imprimante 3D) et Mask Attack (groupe d’entraide sur la couture). Photo : © Makers&Co

Comment s’est articulé le lien entre réseaux de proximité, réseaux régionaux de fablabs et les réseaux nationaux (RFFLabs, France Tiers-Lieux…) ? En quoi ces interactions de réseaux ont-elles nourri l’action en local ?

Nous avons fonctionné sur un système à échelle et très « fabrégion » : produire localement et être globalement connecté. Chaque fablab s’est concentré sur les besoins et les acteurs les plus proches de son territoire puis s’est connecté à l’échelle de la ville ou du département avec un lien fort avec l’ensemble de la région par le biais du RedLab et au national via le RFFLabs.

J’ai participé à une partie de la communication du RFFLabs ce qui été primordial, car les makers étaient dans l’attente de relais. Nous avons également pris part à l’ensemble des réunions, enquêtes, sondages demandés par France Tiers-Lieux. Bénédictes Amigues, de Createch ou Mentzo de Winter de Labsud ont, par exemple, assuré ce suivi pour le RedLab avec un lien important avec les actions nationales.

Enfin, il y a eu une longue phase de médiation avec les makers indépendants, les entreprises du territoire ou les collectivités. Ces différentes actions et surtout cette mise à échelle ont été nécessaires et bénéfiques pour l’ensemble de nos membres. Ces actions ont été possibles, car un réseau distribué était déjà présent sur place. On se connaissait, on faisait ensemble et on savait pourquoi nous faisions. Le mouvement maker n’a jamais été aussi beau et vrai.

Avez-vous développé des collaborations avec le tissu industriel de votre région ?

Immédiatement, nous avons travaillé avec le tissu économique et industriel de notre région de différentes façons. Des entreprises comme EmotionTech (commercialisation d’imprimantes 3D en kit à visée pédagogique) et LaserSystem (spécialisé dans la vente de découpe laser et fraiseuse numérique), déjà membres du réseau ont tout de suite rejoint la mobilisation en participant aux échanges ou en produisant.

Il y a eu également des liens immédiats et de l’entraide avec des fablabs d’entreprise comme Airbus, Thales ou Expleo. Airbus avec le fablab toulousain Artilect et l’aide de couturiers et couturières a produit en série un masque chirurgical pour le CHU de Toulouse à la suite d’un hackathon. Notre contribution a été de reconnecter le tissu industriel avec les besoins du territoire. Vers la fin de la mobilisation, des industriels se sont mis à faire de la visière ou des masques en grande série, il a donc fallu les aider sur les fichiers et surtout réorienter les besoins vers eux.

Les bénévoles du fablab de Nîmes réunis autour de la production du jour (15 mai 2020). Photo : © Olivier Loynet

Quels ont été les défis logistiques et matériels auxquels vous avez été confrontés ?

Nous avons fait encore une fois ce que l’on sait faire : connecter et faire ensemble. Création d’un tableur partagé pour suivre les actions, création de fichiers d’attestation, commandes groupées… Par le biais du réseau, il a été facile de mutualiser les besoins et les ressources.

Nous avons répondu en commun à l’appel de la Fondation Orange et ainsi pu obtenir les fonds pour acheter le matériel nécessaire. Des dons nous sont également parvenus : RS Components a envoyé plus de 200 filaments plastiques pour le réseau et Toulouse Métropole a offert 10 000 transparents que nous avons distribué aux membres du réseau toulousain et aux makers indépendants.

Niveau logistique, pour nous soutenir, la région Occitanie a commandé plus de 11 000 visières. Nous avons répondu à cette demande tous ensemble et sur tout le territoire avec deux pôles de redistribution : Toulouse et Montpellier. En une semaine, nous avons fait toutes les démarches légales, distribué la commande et récupéré la production pour être livrés. Le dispositif FabRégion était là.

Quel dialogue avec les pouvoirs publics sur votre territoire ? Comment la collectivité est-elle intervenue ?

Nous avons répondu aux besoins des collectivités à travers des collaborations avec des équipements métropolitains ou municipaux dotés de fablabs comme IN’ESS à Narbonne ou La Bobine au sein de l’Innoparc à Auch qui ont produit des milliers de masques pour leurs communautés de communes.

Nous avons surtout pu compter sur les collectivités pour nous épauler dans des aspects légaux et logistiques : comment ré-ouvrir nos lieux, comment faire en toute sécurité pendant la production solidaire, réponses groupées à des besoins locaux… On a toutefois aussi compris que notre travail de sensibilisation et de compréhension du mouvement maker était à poursuivre avec les collectivités afin de poursuivre cet effort d’agilité, de dialogue et de faire ensemble.

Le F@bRiquet, fablab de l’association Planète Sciences Occitanie, transformé en chaîne d’assemblage et de conditionnement. Photo : © F@briquet

Depuis quand votre fablab est-il rouvert ? Quelles incidences sur vos activités (vis-à-vis des publics, des partenaires, des productions) et votre économie ?

La plupart de nos espaces ont rouvert dès que c’était possible, avec toute la difficulté des mesures sanitaires. On ressent tous que la vision des publics et des partenaires a changé. Nous avons encore une fois mutualisé nos informations pour ouvrir et surtout partager nos expériences. Nous avons démontré la force, l’impact et la nécessité du mouvement maker pour la fabrication de cette nouvelle société plus résiliente et intelligente.

Quelles perspectives de collaboration pour les membres du réseau RedLab ?

Le réseau était déjà là avant la crise, nous allons donc simplement poursuivre nos actions et faire ensemble. Nous avons l’objectif de continuer la consolidation de ce dispositif concret de FabRégion, mais aussi de FabDépartement ou de FabCity. Sur un cas concret, nous avons démontré que nous pouvions créer en très peu de temps une fabrication locale, distribuée et connectée. Les chantiers et domaines d’application sont nombreux, ils vont passer par une plus grande intégration au réseau des acteurs du faire, mais aussi des évènements, des rencontres, des projets communs… continuer à mailler intelligemment et efficacement le territoire. Pour faire simple, notre avenir c’est de continuer à faire ensemble la société d’aujourd’hui et de demain par de la connexion, du partage et de l’innovation collaborative et durable.

Catherine Lenoble
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le RedLab, le réseau des fablabs & Assimilés d’Occitanie.

des makers en première ligne

Au plus fort de la lutte contre la pandémie de la Covid-19, une task-force de makers régionaux a produit près de 5000 visières de protection et autres matériels à usage sanitaire ou grand public. La cellule collaborative «Alternatives Technologiques» associant plusieurs acteurs des Hauts-de-France autour du CHU de Lille a même reconnu le mouvement avant que celui-ci ne s’éteigne. Plongée au cœur de la task-force lilloise et des autres initiatives régionales.

En Hauts-de-France, il a presque suffi d’un mail pour voir naître 4692 visières et autres matériels médicaux ou à usage du grand public. « Le Professeur Odou directeur du département Pharmacie au CHU de Lille a demandé à notre responsable d’unité à l’INSERM si les différents départements de technologie de l’Université, des grandes écoles d’ingénieur de la métropole pourraient produire des copies par impression 3D ou autres techniques, des circuits de respirateur », nous raconte un mois après la fin des opérations, Pascal Deleporte ingénieur de recherche à l’INSERM. Pour planifier et organiser les actions et ainsi répondre à la demande du département de Pharmacie du CHU de Lille, une première réunion téléphonique a été organisée le 23 mars dernier entre de multiples acteurs académiques et scientifiques locaux. En a découlé la nécessité de structurer l’opération sur une interface numérique pour mettre en contact les personnes compétentes et leur permettre d’échanger quasiment en temps réel, ce que Jean-François Witz, chercheur CNRS en poste au LaMcube (Université de Lille, CNRS, Centrale Lille), a pris en main à titre bénévole et de façon collaborative. Objectif : rendre plus efficace la communauté naissante, auto-proclamée task-force, dans l’aide aux hôpitaux.

Pendant un mois et demi se sont ainsi multipliés les échanges entre des chercheurs de plusieurs grandes écoles et laboratoires comme Centrale Lille, l’INSERM, Polytech Lille, l’YNCREA, l’ISEN, des makers et des entreprises partenaires, afin de répondre au fil de l’eau aux demandes des services de santé en tension sur des Dispositifs Médicaux (respirateurs, masques, visières, etc.). En effet, le CHU de Lille a très vite dû solliciter de l’aide en local pour la production de masques en tissu, demande à laquelle ont répondu pas moins de 7700 couturiers et couturières de la métropole lilloise. Puis, le 1er Avril, d’après France 3 Hauts-de-France, ce même CHU ne disposait plus que de quatre jours de stocks sur les surblouses, essentielles à la prise en charge des patients, rééditant ainsi son appel à solidarité. La task-force de makers a répondu à l’appel, et compte tenu des mesures de confinement rendant impossible les réunions en présentiel, a choisi l’application RIOT pour rendre plus efficace la coordination entre acteurs. Celle-ci se base sur le protocole de communication Matrix et à partir d’un mode open-source permet de réunir en un même lieu virtuel une communauté pour travailler et/ou échanger. Visite guidée dans l’organisation d’une micro-société éphémère « made-in RIOT », compartimentée en plusieurs salons thématiques et chez ses homologues aux quatre coins de la région.

Extraits de conversations salon RIOT « Hauts-de-France Impression 3D Recensement des forces de production, 15 et 16 Avril 2020. Copie d’écran. D.R.

L’organisation informelle des salons RIOT

Mi-mars, la demande du département Pharmacie du CHU de Lille en circuits de respirateurs a d’abord ouvert dans un premier salon RIOT un débat sur des prototypes de toute sorte. La task-force a dû relever un premier défi de taille, celui de mutualiser la masse de connaissances techniques de chacun des acteurs et de la confronter aux exigences pointues du monde médical, surchargé de patients atteints de la Covid-19. Progressivement, apparaît un énoncé complexe à résoudre dans les délais très courts d’une gestion de crise : comprendre la spécificité des pièces demandées et les normes sanitaires qui s’y réfèrent ; évaluer la disponibilité des machines et des matières premières pour la production ; mobiliser la logistique que demande cette tâche d’une ampleur colossale. Deux premiers réseaux se forment alors autour du Centre Hospitalier Universitaire de Lille et du Centre Hospitalier de Roubaix pour valider les premiers prototypes des makers, avant production en grande série.

En parallèle, les demandes se multiplient et de façon de plus en plus rapprochée à partir de la fin du premier mois de l’épidémie. La task-force choisit alors l’option de cloisonner l’interface RIOT en plusieurs salons dédiés à des produits spécifiques. Elle opte dans certains cas pour une répartition des étapes de production entre différents acteurs afin de gagner en efficacité et d’aboutir à un assemblage final et à un contrôle qualité. Ce choix s’avère payant d’autant plus que les besoins des hôpitaux avec la diffusion du virus de la Covid-19 se diversifient et deviennent exponentiels. Respirateurs, visières, bidon de stockage des solutions hydroalcooliques sont ainsi au programme des premières phases de mobilisation, alors qu’en parallèle la communauté de makers du RIOT s’agrandit, arrivant au plus fort de la lutte contre la pandémie du SARS-CoV-2 à environ une centaine de personnes.

Des clusters éphémères en période de confinement : quelles échelles de mobilisation ?

Progressivement, et alors que les premiers prototypes aboutissent à des productions concrètes (à partir de début avril), les différents salons RIOT désignent de façon informelle certains émissaires pour discuter en direct avec le CHU de Lille et d’autres demandeurs régionaux ou belges. Une chaîne logistique allant du producteur vers le « consommateur » s’est ainsi formalisée. La force de production a d’abord reposé sur le fablab de Centrale Lille et le Fabricarium de Polytech Lille, ainsi que d’autres écoles d’ingénieurs de l’agglomération lilloise.

Puis, les capacités productives et les matières premières venant très vite à manquer, elle s’est enrichie de la mobilisation de certains industriels et fournisseurs inactifs en raison du confinement. Des entreprises telles que Décathlon, Dagoma, Renault, le TechShop de Leroy Merlin, et des fournisseurs de matières comme Solvay, Plasticem, ElanPlast, Formlabs ou encore Lattice Medical, ont surfé sur la mobilisation des makers et ont joué un rôle essentiel. Ces clusters éphémères ont vite étendu leurs ramifications à la Belgique où des rapprochements ont eu lieu avec les Universités de Mons et de Louvain-la-Neuve.

Pas moins d’une trentaine de services hospitaliers, d’EPHAD et d’établissements hospitaliers privés ont ainsi été achalandés en matériel. Le département de Pharmacie du CHU de Lille a pris en charge la partie avale de la chaîne de solidarité : centralisation et stérilisation des produits, puis redistribution en fonction des priorités territoriales afin de mieux répondre aux besoins. Néanmoins, d’autres réseaux de makers ont livré des visières de protection au plus proche des besoins locaux, quadrillant ainsi un territoire régional trop vaste pour être approvisionnés depuis la métropole lilloise. « En plus de l’activité du RIOT, de nombreux makers ont été au front à partir des réseaux sociaux notamment. Je pense à « Makers du 59, Makers contre le Covid 59-62 ou encore Visière Solidaire par exemple, sans compter certaines entreprises » poursuit Pascal Deleporte.

En effet, les exemples ne manquent pas, liées ou non aux dynamiques du RIOT. D’Accante à Boulogne-sur-Mer sur les visières de protection à Lattice Medical à Lille sur les ventilateurs, en passant par Dagoma à Roubaix sur les attaches frontales des visières, Machines 3D à Valenciennes et ses diviseurs de flux, le 3DFT Lab à Bailleul sur des prototypages de petite série ou encore l’IUT QLIO de Béthune, toute la région a saisi l’enjeu de l’urgence sanitaire. Le TechShop de Lille a même produit 15 000 visières au plus fort de la période. Et les associations ne sont pas en reste ; Art&Fact Dunkerque a produit pas moins de 1000 visières de protections tandis que Le P’Tit labo 3D d’Uxem a fédéré un groupe Facebook de 130 membres intitulé Les Visières solidaires de Dunkerque et collecté via une cagnotte 5516€ pour la production de visières.

Alternatives Technologiques, 5000 unités, puis le coup d’arrêt

Sur le RIOT, avec la progression des phases de production et de distribution, les makers ont rencontré plusieurs problématiques. Ils ont dû négocier avec les fournisseurs les prix des matières premières pour produire à prix coûtant et ne pas tirer de bénéfices du projet. Les Fablabs n’étant pas capables de produire en masse, ils se sont rapprochés d’entreprises prêtes à mobiliser leurs forces de production pour répondre à la crise sanitaire. Afin d’identifier le plus rapidement possible les besoins sur les différents territoires, les makers du RIOT ont également mis des entreprises d’insertion dans la boucle pour la logistique. Enfin, la question du financement de ces activités a commencé à se poser, ce qui a nécessité des demandes de subvention auprès de la puissance publique et de l’Union Européenne.

Début avril, pour repenser une organisation informelle devenue trop complexe, le CHU a annoncé dans un communiqué de presse la création de la cellule Alternatives Technologiques « dans un contexte de tension d’approvisionnement avec un risque de pénurie nationale de certains équipements et dispositifs médicaux indispensables à la prise en charge des patients en assistance respiratoire […] et dans le but de garantir une prise en charge des patients COVID en anticipant ses besoins ». Par cette reconnaissance officielle, la task-force d’action des makers régionaux a gagné en visibilité, en coordination avec le CHU de Lille, l’Université de Lille, l’INSERM, le CNRS, l’Institut Pasteur de Lille, le Centre Inria Lille et Centrale Lille. Elle s’est traduite notamment par l’industrialisation de visières de protections.

Un autre document, issu d’un des salons RIOT a recensé l’ensemble des forces de production associées à la task-force de makers et fait état d’une livraison d’au moins 4692 visières. Ce même document comptabilise aussi dix-huit producteurs (laboratoires de recherche, industriels, fablabs, makers isolés), qui, avec un parc de 90 imprimantes 3D de type FDM, ont eu une capacité de production de 500 pièces par jour, « sachant que tous nos efforts n’y sont pas répertoriés de façon exhaustive », précise Jean-François Witz de Centrale Lille. Ces multiples efforts répondent aussi à une longue liste de demandeurs dans le besoin sur l’ensemble de la région Haut-de-France, dont un certain nombre n’ont probablement pas eu le temps d’être livrés par les makers. En effet, à partir du 13 mai dernier, des normes AFNOR et une circulaire de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) ont engendré une interruption brutale de l’action des makers des salons RIOT. « La production de visières via l’injection classique a perduré. En revanche, la régulation sur l’impression 3D publiée par l’ANSM ne nous a pas permis de poursuivre la majorité de nos actions.

Cela a également correspondu à une période où le CHU de Lille n’était plus en tension », concède Jean-François Witz. « À ce moment-là, les masques et les visières commençaient aussi à moins manquer, donc il y avait moins de raison de continuer, même si certains groupes de makers en dehors du RIOT ont poursuivi leurs actions, notamment vers l’international », poursuit Pascal Deleporte. Bon nombre de makers, dont certains du groupe RIOT, imputent la conclusion brutale de leurs activités à l’État et aux risques de poursuite encourus en cas de concurrence déloyale, de travail déguisé et du non-respect des normes techniques en vigueur. Pourtant, la réalité est un peu différente. Selon la DGE (Voir article site internet 20 Minutes du 19 Mai 2020), l’État n’a pas classé en concurrence déloyale la vente à prix coûtant des visières et celles-ci pouvaient encore être mises sur le marché, même non conformes à une norme sanitaire, à la condition qu’aucune mention ne puisse laisser entendre qu’elle servirait de protection contre la Covid-19 ou tout autre agent biologique. L’arrêt de certaines mobilisations de makers serait donc plus dû à des contraintes techniques qu’à des contraintes institutionnelles.

Un groupe de recherche européen investit le thème des makers de l’après-Covid

Ainsi, par son caractère spontané, sa capacité de mobilisation et la plasticité de son organisation, la réponse de la task-force à la crise de la Covid-19 a ouvert toute une série d’interrogations concernant l’organisation future du système productif et la place qu’y occuperont les ateliers de fabrication numérique. En effet, toute trace de cette cellule Alternatives Technologiques de coordination entre le CHU, les chercheurs et les makers a disparu d’internet, alors qu’une autre task-force, ici la Task-force Recherche autour du CHU et des laboratoires en recherche biomédicale, a accru sa visibilité institutionnelle. Ce qui pose question en termes de reconnaissance par l’Etat des efforts déployés par les makers, les écoles ingénieurs et des entreprises dans l’urgence de la réponse déployée à apporter au manque de masques et autres fournitures pour les établissements de santé et de soin.

Par ailleurs, cet exemple illustre comment les acteurs qui ne travaillent pas dans des structures d’innovation formalisées, telles que les Pôles de compétitivité peuvent contourner la complexité administrative habituelle pour se mobiliser et construire un système productif éphémère qui répond à cette urgence. Enfin, qu’au nom de l’efficience de la production/distribution et de la qualité des produits, makers et entreprises peuvent travailler ensemble, au-delà des habituels conflits d’intérêts et de valeurs entre ces deux mondes (open source versus propriété intellectuelle, quasi-don versus profit).

C’est d’ailleurs autour de ces réflexions que s’est ouvert le projet européen INTERREG FabricAr3v (prononcez « fabrique à rêves »). Pendant trois ans, des chercheurs belges et français, vont travailler sur une technologie disruptive d’impression de pièces métalliques et s’intéresser au rôle que pourrait avoir la création d’une imprimante 3D low-cost sur le tissu économique transfrontalier. Ils mobiliseront dans les prochains mois toute une série d’outils pour interroger l’évolution du système productif, le rôle des fablabs et les questions de propriété intellectuelle. En outre, plusieurs acteurs des salons RIOT sont impliqués dans la proposition de projet Contrat de Plan Etat Région TechSanté, qui pourrait formaliser les clusters éphémères qui ont émergé autour des salons RIOT. De quoi faire perdurer en région Haut-de-France l’esprit de la task-force des makers ?

Cédric Cabanel
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le programme INTERREG FabricAr3v mené avec le soutien du Fonds européen de développement régional

En Europe, l’Italie a été le premier pays à être durement touché par la pandémie. De ce fait la mobilisation des makers italiens a montré la voie pour leurs homologues du monde entier. Retour sur l’expérience italienne du fablab Opendot de Milan, spécialisé en santé ouverte.

L’Italie a été une des nations les plus frappées par l’épidémie. Pendant des semaines, le nombre de décès et de personnes contaminées n’a cessé de croître, sans trêve, surtout au nord du pays, en Lombardie et en Vénétie en particulier. Les systèmes sanitaires de ces régions – qui étaient considérés comme les plus efficients de la Péninsule – ont été mis à genoux. Les magasins des hôpitaux se sont vidés rapidement, les équipements de protection individuelle (EPI) sont vite devenus ressource rare comme, également, des pièces essentielles au fonctionnement des respirateurs, des CPAP, etc.

Une situation critique s’est vérifiée à l’hôpital de Chiari où les valves Venturi nécessaires au mélange de l’oxygène et de l’air avaient toutes été utilisées et où l’entreprise qui les produisait ne réussissait plus à les fournir à temps. Cristian Fracassi et son équipe de l’entreprise Isinnova ont alors apporté une petite imprimante à l’hôpital, ont redéfini la forme de la pièce, l’ont imprimée et testée en un temps record. Mais les imprimantes économiques à dépôt de fil fondu (DFF) ne pouvaient garantir ni la précision ni la stérilisation des pièces et, après les premiers tests, il a été convenu d’opter pour des pièces fabriquées à partir de frittage de poudres.

Ce premier cas unifiait la mobilisation généreuse du cœur, du cerveau technologique et une bonne dose de courage – une expérience de la sorte n’avait jamais été tentée dans de telles conditions. La nouvelle fit le tour du monde ! Cependant, vu le caractère délicat du projet, les fichiers n’ont jamais été rendus publics et Fracassi lui-même déconseille de produire des solutions similaires avec des technologies non professionnelles. Il souligne, à cet égard, que cette expérience n’a pu être tentée qu’en raison de la nécessité de faire face à une situation d’urgence et que le produit industriel est toujours la solution à adopter… s’il est disponible.

Isinnova propose dès la mi-mars un adaptateur pour convertir les masques de plongée. Photo: DR.

C’est justement grâce à la résonance que ce projet a eu que cette équipe a été contactée par Renato Favero, médecin et ancien directeur de l’hôpital de Gardone Valtrompia afin de partager une idée qui pouvait aider à surmonter le manque temporaire de masques pour la ventilation non-invasive CPAP : modifier les masques de plongée sous-marine en utilisant des adaptateurs imprimables en 3D, des modèles rendus open source et publiés sur le site d’Isinnova.

Vu la simplicité et l’efficacité de ce projet, l’idée se diffuse rapidement : quelques makers commencent à contacter les hôpitaux les plus proches ou où travaille quelqu’un qu’ils connaissent, se rendant ainsi disponibles. Dans d’autres cas, se sont les hôpitaux eux-mêmes qui demandent de l’aide. Ces requêtes changent très vite d’échelle et la nécessité de la coopération devient évidente pour réussir à répondre à temps à la crise.

La première arrive de Brescia : 500 adaptateurs sont demandés et Isinnova, associé à un fablab de Brescia, lance un appel sur Facebook. Le post est du 22 mars ; aujourd’hui il compte 640 commentaires et 3441 partages. En l’espace de 24 heures, le nombre d’adaptateurs requis sera atteint et même dépassé !

Cependant, un problème demeure : comment vérifier la qualité des pièces, éviter la surproduction et gérer les expéditions en plein confinement ? Quoi qu’il en soit, ce premier cas met en lumière et la volonté du monde des makers de fournir leur aide et la complexité de coordonner un groupe dispersé de personnes.

Malgré quelques difficultés, la première expérience de production distribuée fonctionne au-delà des espérances. Des projets internationaux visant à trouver des solutions pour améliorer la sécurité des personnels sanitaires et de celles/ceux qui sont obligés de continuer à travailler pendant la crise sanitaire commencent ainsi à circuler.

Adaptateur pour masque de plongée conçu par le Studio 5T. Photo: DR.

Coordonner les actions

Pour produire et distribuer dans le cadre de ces projets (presque tous sur la base du volontariat), des groupes locaux de coordination naissent ou se mobilisent ; il s’agit pratiquement toujours de communautés qui existent déjà, de groupes de personnes qui se connaissent ou de réseaux de labs habitués à coopérer.

Les premiers réseaux qui se forment sont régionaux et réussissent à répondre localement aux nécessités qui émergent. Ils sont typologiquement variés bien qu’ils partagent essentiellement le même objectif. Makers Sicilia, par exemple, est le réseau qui connecte les makers siciliens. Il naît pour coordonner la riposte à la situation d’urgence créée par la Covid-19 en Sicile et réunit des fablabs, entreprises innovantes, incubateurs d’entreprises et individus makers.

Depuis sa fondation, fin mars 2020, le groupe se réunit en ligne de manière régulière pour partager des informations, examiner les expériences en cours dans les hôpitaux locaux, avoir des retours sur les projets déjà testés localement, des informations sur les certifications et les réquisits légaux nécessaires. Les membres du réseau partagent toutes les informations sur les projets réalisés localement et ont également participé à l’achat de matériels.

Un autre réseau actif dans le sud de l’Italie est Officine Mediterranee. Il opère transversalement dans différentes régions, mais avec toujours le même objectif et la même structure : il s’agit d’un réseau de makers, fablabs, associations et petites entreprises actives dans le secteur de la production numérique dans les régions Basilicate, Pouilles et Campanie.

Alessandro Bolettieri, responsable de la communication de Officine Mediterranee raconte : « Le groupe a commencé en répondant à la demande de 500 visières de protection faciale émise par le numéro téléphonique de coordination des Urgences (118) de la Région Basilicate. En environ 40 jours, il a réussi à en produire et distribuer plus de 2000, ainsi que plus de 50 valves Charlotte, des supports protège-oreilles pour les élastiques des masques et 20 boîtes d’intubation, en collaboration avec l’Open Design School de Matera. »

Ce réseau peut compter sur environ 50 personnes, makers et autres professionnels qui ont participé à la coordination et à la communication. Le travail du groupe est raconté dans une série d’interventions de ses membres regroupées dans un « DailyDiary » que l’on peut voir ici.

Makers en école

Rétrospectivement le cas des projets conduits par Indire (L’Istituto Nazionale di Documentazione, Innovazione e Ricerca Educativa) est particulièrement intéressant. Cet institut historique compte plus de 90 ans d’activité dans le secteur scolaire et éducatif. Il a commencé depuis quelques années à étudier la relation entre l’école et le making, notamment avec le projet Maker@Scuola.

Après avoir développé avec des médecins un modèle de visière de protection adapté à leurs nécessités, le projet a vite pris deux chemins différents, peu empruntés au tout début de la situation d’urgence : d’un côté, une collaboration a été forgée avec une grande entreprise pour la production industrielle sur large échelle et, de l’autre, le projet est devenu partie intégrante de la formation en simulation d’entreprise pour les lycées technologiques et techniques.

Un dernier cas est celui de la Vénétie : en 2015, suite à un concours lancé par la Région, 18 fablabs ont été financés, créant ainsi le noyau de départ d’un réseau régional. Cinq ans plus tard, quelques labs n’existent plus et de nouveau se sont ajoutés au réseau. La Région a relevé sur le site de l’Innovation lab les principales activités et les contributions potentielles que ces fablabs pouvaient offrir en sus des contributions de makers, passionnés et entreprises rassemblés par la même volonté d’aider.

Boîte d’intubation conçue par le Fablab Napoli et l’hôpital Fatebenefratelli. Photo: DR.

Coordonner nationalement

Le travail effectué au niveau régional et local a ainsi ouvert la voie à une coordination nationale. À quelques jours de distance, trois initiatives différentes voient le jour avec des objectifs similaires et complémentaires.

D’une collaboration entre Maker faire Rome – the European Edition et l’IRIM, l’institut italien de robotique et machines intelligentes naît Tech for Care. Cette plateforme n’est pas seulement un lieu de partage de projets ; elle est surtout conçue pour accueillir, d’une part les besoins des personnels qui sont en première ligne et, d’autre part, les propositions de solutions qui naissent de la communauté maker, des start-ups et des instituts de recherche liés aux deux fondateurs du projet.

Opendot, le fablab que je coordonne, travaille dans le secteur des soins et de la santé. C’est pour cela que nous avons été impliqués depuis le début dans la mise en œuvre du projet. Tech for Care a également été présenté pendant la Virtually Maker Faire d’il y a quelques semaines.

Parmi les projets publiés, certains proviennent directement des partenaires. IRIM, par exemple, a développé un robot pour la téléprésence facilement réalisable en utilisant des pièces achetables en ligne ou que l’on peut produire en imprimante 3D. Le projet est entièrement open source et est publié en ligne.

Un autre projet de coordination au plan national est Air Factories. Comme c’est indiqué sur le site, Air Factories est « une fabrique organisée […] pour la réalisation de composants et prototypes utiles pour faire face à l’urgence sanitaire ». Le projet naît à Messine (Sicile) grâce au travail de la faculté d’ingénierie, d’Innesta, de SmartME.io et de Neural, mais il a accueilli des requêtes et des volontaires de partout en Sicile, offrant la possibilité à tous de demander le don de solutions et/ou de se proposer comme bénévole.

Une autre riposte, en provenance « de la base » cette fois, est celle proposée par Make in Italy, association née en 2014 pour permettre des initiatives de recherches et de coordination liées à la culture de la fabrication numérique et du making. Bien que peu active ces dernières années, l’urgence que nous devions affronter a remobilisé le groupe animateur qui a concentré les forces de l’association sur la coordination de l’offre et de la demande : en peu de jours, 500 contacts entre makers, petits laboratoires, start-ups et fablabs ont été recueillis. Sur le site de l’association, il est possible de voir une liste de projets produits et donnés qui, à ce jour, dépasse 25 000 pièces.

Tech for Care et Make in Italy ont mis en commun une sélection de projets open source publiés sur Careables.org, une plateforme développée dans le cadre du projet européen H2020 « Made 4 You », auquel notre fablab est associé. L’objectif est précisément de trouver, recueillir et partager des solutions open source et facilement reproductibles dans le secteur des soins et de la santé. Avoir une base de projets à partager a permis une collaboration beaucoup plus facile entre les deux plateformes. Tous les projets sont disponibles sur cette base de données.

Les makers d’entreprise

La riposte du mouvement maker en Italie ne s’est cependant pas limitée à la merveilleuse collaboration volontaire entre des centaines de makers et les fablabs. En Italie, de nombreuses entreprises sont étroitement connectées au mouvement makers et, on peut même dire que dans certains cas, ces entreprises ont aidé ce mouvement à naître.

Un premier exemple évident est celui d’Arduino. Non seulement le premier fablab en Italie a émergé grâce à eux (j’ai commencé en 2011 comme coordinateur de ce premier laboratoire à Turin), mais clairement, depuis sa création, Arduino a été le cœur technologique de très nombreux projets auto-construits.

Les solutions trouvées durant l’actuelle crise sanitaire le démontrent, si c’était nécessaire. Alessandro Ranellucci et David Cuartielles, cofondateurs d’Arduino, ont organisé une journée de débats et de présentation des idées sur lesquelles les personnes travaillaient pour riposter à la Covid-19. Les vidéos de l’évènement sont encore disponibles su la page d’Arduino.

Filo Alfa est un des principaux producteurs italiens de filaments pour imprimantes. Grâce à une de leurs initiatives appelée « la bobina sospesa », ils ont recueilli et donné du matériel d’impression pour soutenir les trois plateformes nationales évoquées plus haut.

L’impression 3D a été prédominante du fait de sa flexibilité et de sa diffusion capillaire sur tout le territoire. Elle a permis à beaucoup de contribuer activement. Dans cette période, une des plus grandes entreprises d’imprimantes 3D à filaments, WASP, a fortement contribué au mouvement de mobilisation.

Avec Alessandro Zomparelli, personne connue du monde de la modélisation paramétrique sur Blender, ils ont développé un plug-in pour façonner et imprimer des masques sur mesure auxquels ajouter ensuite le matériel filtrant. Plug-in, tutoriel et documentation sont disponibles sur le site de WASP.

FiloAlfa. Photo: DR.

Quels enseignements tirer ?

Ce furent donc des mois d’excitation et de peur, de volonté de contribuer et de frustration due aux limites de ce qu’il était possible de faire, d’enthousiasme en raison de la riposte généreuse de la part de beaucoup de personnes et de tristesse aussi à cause de ce qui continuait à arriver.

On a parlé des makers comme Plan C, comme solution temporaire, en attendant que l’industrie se réorganise, et il semble effectivement qu’une bonne partie des stratégies de financement européen à la recherche aille dans le soutien au secteur industriel. J’aimerais cependant penser que ce qui s’est passé ces derniers mois soit une clé de voûte, un bêta-test de ce que pourrait être le rôle de communautés d’innovateurs équipés de technologies.

Beaucoup soutiennent que cette crise a bien plus accéléré la transformation numérique que toutes les politiques développées pendant ces dernières années. Je crois qu’elle a aussi démontré la valeur de celles et ceux qui conçoivent et pratiquent l’innovation avec celles et ceux qui en ont besoin. Quand il y a cinq ans nous avons commencé à parler de comment la fabrication numérique peut aider la santé, cela semblait être une préoccupation marginale. Quand il y a trois ans nous avons commencé à travailler avec des médecins et des hôpitaux, cela semblait infaisable.

Les derniers exemples que je voudrais citer sont justement ceux qui pourraient perdurer quand – espérons-le rapidement – cette situation surréelle dans laquelle nous vivons sera derrière nous. Précisément à cause de l’urgence, des studios d’expertise, fablabs, petites entreprises et start-ups ont été contactés par différents hôpitaux pour développer ensemble de nouvelles solutions.

Le Fablab Napoli a commencé à collaborer avec l’hôpital Buon Consiglio Fatebenefratelli pour réaliser quelques dispositifs d’intubation. Comme cela arrive souvent, les modèles disponibles ne répondaient pas exactement aux nécessités de l’hôpital et des médecins, dont le directeur du département de Médecine Générale Fontanella, ont commencé à concevoir les variantes nécessaires.

Vu les potentialités, le projet a changé d’échelle et a impliqué d’autres entités, dont le centre de recherche de ENEA à Portici. Un résultat encore plus intéressant est que les hôpitaux qui l’ont adopté continuent aujourd’hui à l’utiliser et qu’il est devenu un instrument désormais courant pour les procédures d’intubation.

À Rome, le studio 5T a commencé à collaborer avec les hôpitaux dès le début de la crise, notamment avec l’hôpital Spallanzani, l’hôpital Pertini et le Policlinico Umberto I. Lors d’une première rencontre, le studio a offert de produire des visières de protection faciale, mais le modèle existant ne correspondait pas à la demande des médecins.

Mais comme à Naples, les médecins ont compris les potentialités de la fabrication numérique en constatant la rapidité et la flexibilité du processus. Grâce à l’encadrement et à la collaboration fournis, leur rôle s’est transformé de celui d’utilisateurs à celui de concepteurs de solutions. Ces mois de coopération ont permis de concevoir d’autres projets, dont beaucoup sont encore en phase de développement. Certains d’entre eux sont visibles sur la page du studio.

Ici à Milan, nous continuons à collaborer avec des hôpitaux locaux (4 en particulier jusqu’à présent) et avec des médecins et thérapeutes qui y travaillent. Nous avons commencé à concevoir avec eux des projets et les résultats aussi sont visibles : une fois que les personnes ont compris les potentialités, elles deviennent plus proactives, constructives et indépendantes.

L’un de ces médecins-innovateurs, un réanimateur, a imprimé plus de 200 protections pour les oreilles pour ses collègues, a testé des vannes Venturi pour en vérifier la sûreté et a imprimé différents modèles de masques pour en évaluer l’efficience et la commodité. Il a commencé il y a quelques années, a suivi la formation de base et nous avons réussi à développer un dispositif ensemble.

Nous voudrions que ces coopérations soient la règle et non l’exception, que les hôpitaux comprennent et se rappellent des potentialités de ce qu’ils ont vu pendant cette période. Peut-être qu’ainsi nous deviendrions capables de mieux réagir, plus rapidement, plus efficacement si jamais nous devions nous trouver de nouveau dans une situation similaire.

Enrico Bassi
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur Opendot à Milan.
Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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l’engagement solidaire

Avant même le début du confinement, à Mulhouse et Strasbourg, les services de soins sont surchargés, les besoins pour les soignants et les professions « au front » sont criants et les stocks d’équipements de protection individuelle arrivent à leur terme. Retour sur la mobilisation des fablabs, hackers et makers durant la crise sanitaire qui a particulièrement frappé le Grand Est.

 

La ferme d’impression 3D de Alchimies Groupe à Dieuze (57) pendant le confinement. Photo: © Alchimies

C’est dans ce contexte – des métropoles alsaciennes devenues des clusters de contamination – que s’installe très rapidement une production locale de visières de protection, avec un effort conjoint sinon coordonné des fablabs et des mouvements de makers indépendants, structurés eux autour de groupes sur les réseaux sociaux.

Le 14 mars, alors que le confinement n’est pas encore déclaré, les premiers dons de matériel de protection sont faits, à la fois de la part des makers de Visière Solidaire 68 et des groupes de couture solidaire (masques  en tissu), d’abord aux personnels soignants des hôpitaux de Mulhouse et Strasbourg.

Le 20 mars, dans un contexte de plus en plus tendu, une demande d’embouts de respirateurs du CHU de Strasbourg arrive via le Réseau Français des Fablabs. Il faut trouver une capacité de production locale : c’est le tout nouveau collectif Boucliers Fablab, coordonné par Anne-Catherine Klarer de La Cab’Anne des créateurs (tiers-lieux d’artisanat à Schiltigheim) qui répondra présent.

Initialement prévu à Strasbourg du 20 au 22 mars le Hacking Health Camp sur l’innovation en santé s’est finalement tenu virtuellement les 29, 30 et 31 mai.

Confinement jour 2 : hackathon santé

Boucliers Fablabs est issu d’un hackathon organisé au lendemain du confinement – à partir du 17 mars – par le collectif strasbourgeois du Hacking Health Camp et qui a rassemblé près d’un millier de volontaires jusqu’au 10 avril. Hacking Health Camp est un événement de Health Factory, une organisation constituée de professionnels et innovateurs de la santé qui organisent régulièrement des hackathons autour de questions médicales et paramédicales.

Au bout de 54 heures d’ateliers, un projet émerge, celui de « Boucliers Fablab » (visière se dit « shield » en anglais, bouclier, NDLR), un collectif de fablabs constitué autour de la production de visières et d’équipements médicaux (comme des embouts de respirateurs par exemple). Parmi les autres projets, on peut citer « Instant Visio », une solution de visioconférence à l’ergonomie très simple destinée à garder le contact avec les personnes âgées, en maison de retraite ou isolées chez elles.

Le projet Boucliers Fablab trouvera un rebond à Illkirch, où le Fablab Manipulse, piloté par Farid Maniani, rassemble 34 makers et investit la salle du Pigeon Club pour lancer les fabrications de visières. La production des visières est également assurée par deux industriels : Alchimies (Dieuze, Moselle) et PIM Industrie (Marckolsheim, Bas-Rhin).

Une coordination régionale sous l’impulsion du RFF-Labs

Dans la foulée de ces premières demandes, le Réseau Français des Fablabs prend l’initiative d’installer des coordinations régionales de l’effort de production, ouvertes à la fois aux labs adhérents du réseau et à ceux qui ne le sont pas. Un groupe de pilotage national assure le lien avec la Direction Générale de la Santé, l’AFNOR, le mouvement des makers indépendants, et un(e) référent(e) par région est nommé(e). Pour le Grand Est, c’est Jérôme Tricomi, coordinateur de la Piscine à Maxéville près de Nancy, qui prend le rôle de référent.

Dans un souci de proximité avec les territoires, des référents départementaux sont sollicités, en s’appuyant sur les labs les plus actifs et habitués au travail de réseau. Tous les départements ne pourront pas être couverts ; dans les Ardennes et l’Aube, il nous sera impossible d’identifier une « tête » départementale. Un groupe de messagerie se met en place, qui permettra tout du long aux huit têtes de réseaux départementales d’échanger, de faire circuler les informations, de partager les bonnes pratiques, et de faire collectif.

Centralisation des commandes de visières à Technistub, atelier-laboratoire associatif à Mulhouse. Photo: DR

Sortir les imprimantes 3D de leurs réserves

La même semaine, avec le soutien de Lila Merabet, conseillère régionale, et de Caroline Porot, conseillère numérique, une partie du fonds d’aide aux associations de la région est ouvert aux fablabs producteurs de visières ainsi qu’aux makers indépendants constitués en association. Toujours sous leur impulsion, des imprimantes sont également sorties des réserves de certains lycées et collectivités et mises à disposition des fablabs. Plusieurs fablabs feront le choix de centraliser les commandes et les demandes de subvention et de redistribuer les matières premières aux makers indépendants ; cette pratique perdurera tout au long de l’opération.

Quelques jours plus tard, le 31 mars, les fablabs et les groupes de makers indépendants seront référencés sur la plateforme Plus Forts Grand Est, une initiative de la Région Grand Est avec l’ambition de centraliser les demandes et de mettre en lien besoins et capacités de production. La machine est lancée… Lorsque la production s’arrête, fin mai, c’est près de 50 000 visières anti-projection qui auront été fabriquées par les fablabs de la région, ainsi que des équipements médicaux, attaches de masques, ouvre-portes, etc. Le mouvement des couturières solidaires, quant à lui, a produit près de 100 000 masques en tissu pour la région.

Relocalisation de la production

À Nancy, du 8 au 10 avril, un e-hackathon est organisé par Paddock / A-Venture, Grand Nancy Innovation et l’ENSGSI. Dix équipes planchent sur des projets pour penser la ville d’après. Un des projets les plus marquants est un prototype de masque « D-FFP » porté par Alchimies Groupe, qui était déjà en lien avec le Hacking Health Camp de Strasbourg.

Exemple type de la relocalisation de la production adossée à la fabrication additive, Alchimies Groupe, spécialisé dans l’impression 3D, la conception d’imprimantes sur mesure et l’accompagnement de projets, est installé dans une toute petite ville du sud-Moselle : Dieuze. Ayant réinvesti une friche industrielle, ils s’associent avec une mercerie locale, les 3 Petits Points, laquelle fournira les élastiques montés sur les visières de protection fabriquées par le groupe.

On peut également noter l’engagement du Nybi (Nancy) et de Technistub (Mulhouse) dans OXIMETRE, projet de sondes oxymétriques (mesure du taux d’oxygène dans le sang) en réseau avec la Machinerie à Amiens et l’Electrolab à Nanterre : « Le but de ce projet est de rassembler sur un même écran la vision synthétique de toutes les sondes oxymétriques, et ainsi permettre de détecter (chez les patients traités du Covid-19) une aggravation le plus tôt possible ».

Une force d’innovation et de fabrication distribuée à encourager

La mobilisation des fablabs et des makers indépendants a permis, dans un premier temps, aux professions les plus exposées (soignants, forces de l’ordre, travaux publics…), puis aux petits commerçants, de bénéficier de protections sanitaires supplémentaires dans l’exercice de leurs fonctions. Si l’industrie a pris le relais au bout de quelques mois, c’est la force d’innovation et de fabrication décentralisée que représente le mouvement maker qui a rendu possible une réponse quasi-immédiate.

À l’avenir, préserver et assurer le développement des mouvements makers, en s’appuyant sur les fablabs, est non seulement la garantie d’une capacité de production adaptable et réactive à l’échelle locale, mais également l’opportunité pour l’écosystème industriel régional de s’appuyer sur le potentiel d’innovation et de recherche que représentent les labs.

Mais surtout, c’est une démonstration de ce que peuvent accomplir quelques centaines de femmes et d’hommes animés par des valeurs de solidarité ; la fatigue a été au rendez-vous et ils et elles sont nombreux et nombreuses à avoir dépensé leur énergie sans compter, et pourtant, lorsque fin mai, nous nous sommes retrouvés en visio pour un apéro et « débriefer », ce sont les sourires et la satisfaction d’avoir agi au service d’autrui que nous avons partagé.

Jérôme Tricomi pour le collectif Fablabs Grand Est
publié en partenariat avec Makery.info

Le collectif : La Piscine (54); Nybi (54), SBC Tech (51) et 3D-Morphoz (51) ; Technistub (68), Boucliers Fablab (67) ; Graoulab (57) ; Saint-Dizier Fablab (52) ; Numéripôle (55) ; NanoDigital (88).

ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire

Le Réseau Bretagne Solidaire, le Réseau Français des Fablabs et le Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest s’associent avec les mondes de la santé, de la recherche et de l’entreprise pour doter les fablabs africains en machines et consommables. L’objectif : fabriquer sur place les dispositifs de protection, prévention et détection de la Covid-19. Tour d’horizon.

Makers Nord Sud contre le coronavirus. Photo: © Blolab – Bénin.

Devant la pandémie mondiale de Covid-19, chaque pays fait face à des besoins en masques et visières de protection, respirateurs, lits, personnels formés à la réanimation, en particulier les pays d’Afrique de l’Ouest, déjà sous-dotés en infrastructures et matériel sanitaire.

Pour répondre aux besoins, les makers africains se mobilisent déjà pour apporter des solutions simples, peu coûteuses et efficaces dans la détection, le traitement et la prévention de la Covid-19. L’initiative “Makers Nord Sud contre le coronavirus” conjugue les capacités des réseaux Bretagne Solidaire, Réseau Français des Fablabs et Réseau Francophones des Fablabs d’Afrique de l’Ouest pour une mise en capacité des fablabs locaux afin de soutenir les systèmes de santé par une production locale durable de dispositifs sanitaires, tout en soutenant les actions globales des fablabs africains.

Création du ReFFAO en 2018. Source ReFFAO.org. Photo: D.R.

Un réseau dynamique de fablabs en Afrique de l’Ouest francophone

Ils et elles s’appellent Ahmadou, Diarra, Gildas, Modou, Ghislain, Marie ou Medard. Ils sont au Sénégal, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Fasso, au Mali, au Bénin, et dans toute la Communauté Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CDEAO).

Ces hommes et ces femmes font partie d’un des plus gros réseaux continentaux de fablabs dans l’hémisphère sud : le ReFFAO, Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest, fondé en 2018, et organisateur chaque année de Make Africa à Cotonou au Bénin.

Vingt-sept fablabs coopèrent maintenant dans une dizaine de pays avec la particularité de composer et de réinterpréter localement la manière de faire et de partager des solutions de terrain. Adaptées aux contraintes locales, elles sont empreintes de la richesse des diversités culturelles, mais aussi guidées par le sens de leur action.

Avec le projet Hub Cité, le travail de l’anthropologue et architecte Sénamé Koffi Agbodjinou, fondateur de L’Africaine d’architecture et des WoeLabs au Togo, se situe ainsi aux antipodes de l’approche des smart cities européennes et intègre low-techs et participation. Le projet est ainsi plus près des principes d’autonomie productive locale défendus par le réseau des fab cities. Pour exemple, les lave-mains anti-coronavirus (comme le Dane Corona du Senfablab) sont mécaniques et conçus pour des lieux publics extérieurs, loin des distributeurs incorporant de l’électronique ou des prototypes pour salle de bain individuelle.

La prise en compte des enjeux d’égalité (sexe, handicap, accès, etc.), d’éducation/formation et de l’urgence climatique est également au cœur des préoccupations. Cela va jusqu’à la recomposition d’ordinateurs (Jerry DIT), le croisement entre création et fabrication numérique dans l’art-thérapie pour aider des victimes de guerre et de violences à se reconstruire (Yop Crealab, Côte d’Ivoire), ou l’éducation des enfants exploités sur les sites d’orpaillage (Wakatlab, Burkina Fasso).

Carte des fablabs en Afrique de l’Ouest. Photo: © Armelle Chaplin/Martin Lozivit – Metropolitiques.eu

Une mobilisation de terrain engagée dès le mois de mars

 

À ce jour, plus de 6000 visières ont été imprimées et montées au profit des hôpitaux et centres de santé, plus de 200 systèmes de lavage de mains automatique à partir de matériels recyclés. Six respirateurs artificiels développés, plus de 9000 masques alternatifs cousus et distribués ; des distributeurs automatiques de gel désinfectant collectifs en lieux publics ont été conçus et installés. De nombreux exemples sont disponibles sur la page COVID 19 du réseau africain. Mais la reconnaissance institutionnelle, les stocks de matériaux (on ne produit pas de filament pour imprimantes 3D dans la CDEAO !) et l’équipement sur place restent loin des nécessités liées aux enjeux démographiques.

Une alliance vertueuse d’acteurs issue du cœur de crise du coronavirus

Depuis trois ans, des actions communes sont réalisées au travers d’un triangle partenarial croisant le ReFFAO, le Réseau Français des Fablabs, et Tiers-lieux Edu. Après Fair Langue, opération impressionnante croisant fablabs et pédagogie avec le réseau Tiers-Lieux Edu, et l’arrêt du projet “Je fabrique mon matériel pédagogique” prévu en main 2020 du fait de la crise sanitaire, le projet Makers Nord sud contre le coronavirus rassemble aujourd’hui de nouveaux acteurs remarquables par leurs différences et complémentarités. En effet les partenaires historiques ont rencontré en cœur de crise du coronavirus de nouvelles forces partageant le désir de solutions croisant communs, santé et fabrication distribuée.

Au cœur du projet, opère une organisation ancienne, peu familière du monde des « makers », mais réunissant plus de 40 associations solidaires nord-sud connaissant la réalité, le terrain, les villes et les campagnes d’Afrique et d’Asie : le Réseau Bretagne Solidaire. À son actif : des dizaines de projets de coopération, une connaissance des milieux diplomatiques, des appels à projets et un pragmatisme de terrain. Le connecteur entre ces mondes est Martin Lozivit, un géographe ayant travaillé deux ans à Cotonou, mais aussi fréquentant le Low Tech Lab, et administrateur du Réseau Bretagne Solidaire. Il était (avec Hugues Aubin (RFFlabs) et le Woelab (Togo) – ndlr) à Make Africa 2019 pour parler fablabs et villes durables.

Respirateur artificiel créé par ENCI, Ecoteclab, M.Akakpo ; TIDD – Togo. Photo: © reffao.org

D’autres acteurs d’envergure se positionnent désormais comme moteurs dans la dynamique en proposant leurs ressources : Just One Giant Lab et ses 5000 développeurs pour l’organisation de communautés de recherche et de conception ouverte ; l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec Roman Khonsari, Philippe Cochin, architectes du projet Covid3d pour la partie de mise en relation avec le milieu médical et la validation scientifique des prototypes. Ils sont les chevilles ouvrières de la première ferme d’imprimantes 3D professionnelle installée à Cochin-Port-Royal durant le confinement en France (20 000 objets fabriqués, dont des dispositifs médicaux utilisés sur le terrain).

Ahmadou Diallo, de la African Airbus Community, un réseau informel et puissant de bonnes volontés maillant le grand continent pour soutenir des projets humanistes, apporte le soutien de milliers d’ingénieux(ses) et ingénieur(e)s. Il ne s’agit pas là d’argent, mais de mise en relation de compétences multiples, de possibilités d’usiner des pièces rares ou chères. Cette communauté aujourd’hui appuyée par le Conseil Présidentiel pour l’Afrique partage contacts, ouvre des portes, et porte elle-même le projet SN3DCOVID19 sur Dakar, un collectif citoyen réunissant une dizaine d’organisations sénégalaises (startups, associations, écoles, universités) pour s’entraider et collaborer dans la lutte contre la Covid-19.

Le Labsud, fablab de Montpellier, offre lui ses plateformes numériques pour travailler, et son carnet d’adresses dans le monde médical et à la région Occitanie. Indiens Dans la Ville, fondateur de l’Atelier commun à Rennes, apporte sa connaissance du surcyclage plastique. Les Rennais de My Human Kit, pionnier international dans le croisement makers et santé avec Nicolas Huchet, sont évidemment de la partie. Le projet associe donc réseaux francophones de fablabs (240 lieux dans 11 pays au total), professionnels de la santé, plateformes de développement open-source collaboratives, acteurs de la solidarité internationale, makers-artistes et entreprise industrielle.

African Airbus Community. Photo: © Ahmadou Diallo

Équiper pour soigner, surcycler le plastique pour alimenter la fabrication locale

Deux grandes actions sont programmées par l’initiative Makers Nord Sud contre le coronavirus. La première vise le soutien en équipement de 10 fablabs dans 8 pays de la CDEAO, pour épauler les fabrications et prototypages en cours. Une liste détaillée de matériels (machines, composants, électronique) a été établie à cet effet après un appel aux fablabs ouest-africains. Une cartographie conçue avec Thomas Sanz, chercheur membre de l’association Vulca et bénévole au Réseau Français des Fablabs, permet également de recouper les lieux de soins avec les fablabs et makerspaces. Elle démontre la proximité entre besoin et réponse ultra-locale, car de nombreux fablabs sont situés à côté d’hôpitaux, certains leur fournissant déjà du matériel.

La deuxième action consiste dans le montage, avec l’appui d’Indiens Dans la Ville (Rennes) d’une machine Precious Plastic à Cotonou (Bénin). Cette machine permet la transformation de déchets plastiques notamment pour l’impression 3D, le moulage. Pendant la crise épidémique, l’association Indiens Dans la Ville, mobilisée aux côtés des couturières masquées, a finalisé une étape technique décisive : le contrôle et la maîtrise du diamètre du filament pour imprimantes 3D fabriqué avec des déchets plastiques. Cet outillage (lui-même open-source évidemment) pourra être adapté aux contraintes locales et permettra de ne pas dépendre d’importations de bobines plastiques pour l’impression 3D, et de tester la fabrication, à proximité de lieux de soins et des publics, à la fois des consommables et des objets tels que les supports de visières, les appui-portes, etc.

Precious Plastic Rennes. Photo: © IDLV

Un financement de 175 000 € pour un programme sur 8 pays d’Afrique de l’Ouest

L’objectif de tous les partenaires est de convaincre de grands acteurs légitimes tels que l’Organisation Internationale de la Francophonie (engagée dans de nombreux projets de solidarité Covid-19), l’Agence Française de Développement et toutes les bonnes volontés de soutenir financièrement ce projet, puis, si nécessaire, d’actionner tout complément tel qu’un financement participatif, pour croiser l’énergie des makers africains avec les besoins des établissements de soin et des populations.

Depuis le mois de mai, l’initiative multiplie les contacts avec de nombreuses organisations bienveillantes et concernées  : Institut de Recherche pour le Développement avec son programme de recherche-action en appui à la riposte africaine à l’épidémie de Covid-19 (ARIACOV), ambassades, Organisation Internationale de la Francophonie, Fondation de France, Régions et territoires (Occitanie, Bretagne, Rennes…).

Le projet vise un déploiement avant fin 2020, et bien entendu une extension dans le temps et dans l’espace, pour faire santé autrement, dans un modèle au final assez proche de l’idéal de la Fab City Foundation : partage et création planétaire de solutions dans le bien commun de l’humanité, et fabrication légale et distribuée par les acteurs locaux.

Banque de solutions open source pour la santé d’OSMS. Source OSMS – 15/06/2020. Photo: D.R.

La santé ouverte comme horizon

Ces collaborations improbables se sont tissées en cœur de crise pandémique pour explorer des chemins nouveaux. L’une d’entre elles a permis de faire fonctionner une boucle complète d’innovation ouverte dans le registre des dispositifs médicaux open source. Il s’agit du projet appelé « open santé » par le Réseau Français des Fablabs, et qui a réuni à la fois JOGL, le groupe discord Entraide Covid-19, l’AP-HP, le Réseau Français des Fablabs, Fab and Co, les groupes facebook Makers contre covid, et “Visière solidaire”, le groupe rassemblé par la youtubeuse Héliox et la plateforme Covid3d.fr, Covid-initiatives, le médialab de Makery, etc.

Le principe consiste à inventer une boucle continue capable d’intégrer des inventeurs de solutions et de plans pour répondre à des besoins dans le registre de la santé, en incorporant tri des modèles fabricables, prototypage rapide, validation médicale, publication et dissémination sur internet adaptés à quatre types de fabrication (particuliers, fablabs, entreprises, industriels), fabrication et utilisation légale. Elle a été présentée le 11 juin à la fin d’une émission spéciale de Make Magazine.

Makers Nord Sud contre le coronavirus veut développer ce modèle avec les fablabs, les acteurs du soin et les autorités des pays d’Afrique de l’Ouest et des pays du sud, pour démontrer un processus rendant légale la fabrication sur place d’objets de diagnostic, de prévention et de soin dont les plans sont en open source. Ceci change complètement la donne quand on connaît la part de l’amortissement de la recherche & développement et de la normalisation dans le coût des dispositifs médicaux, ainsi que les problèmes de réparabilité des dispositifs importés (jusqu’à 80% pour une prothèse par exemple).

Processus cadre d’open-santé. Photo: © Hugues Aubin – Sabine Zadrosynski.

Un enjeu mondial, des projets intercontinentaux

Déterminée à ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire et à en permettre une fabrication distribuée, la toute nouvelle plateforme américaine Open Source Medical Supplies, née de l’alliance des makers pendant la crise du coronavirus aux États-Unis et désormais appuyée par la Food and Drug Administration (FDA), déploie actuellement un projet similaire dans le monde entier, et notamment sur l’Afrique anglophone. Rencontrée dans le cadre du montage du projet francophone, elle propose avec Translation Commons l’aide de 600 traducteurs et un guide des aides médicales open source réalisé outre-Atlantique. Le recoupement des deux projets (Makers Nord Sud et OSMS), issus de l’invention de circuits nouveaux dans des cadres légaux dérogatoires pendant la crise, adresse désormais potentiellement une cinquantaine de pays.

La santé ouverte va-t-elle prendre son essor ? 

À l’heure où l’on parle de formules de vaccins open source pour la Covid (par exemple avec Open Source Pharma Foundation en Inde et en France), la santé ouverte porte l’espoir d’une redistribution planétaire des cartes en incarnant une santé participative et surtout distribuée. Elle tente maintenant de tirer le meilleur des dispositifs de crise pour inventer non seulement des objets, mais aussi un environnement systémique qui change la donne, la santé, et déplace une partie de la valeur économique dans les pays concernés. Un espoir qui concerne, au-delà du coronavirus, des centaines de millions de personnes dans le monde.

Hugues Aubin
publié en partenariat avec Makery.info

Contact Makers Nord Sud: contact@makersnordsud.org

Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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Co-fondateur de Makerspace Madrid, Cesar Garcia Saez anime également La Hora Maker, une chaîne YouTube suivie par plus de 5000 makers en Espagne. Pour Makery, il revient sur la mobilisation des makers espagnols en soutien des soignants et des personnels exposés lors de la pandémie de Covid-19.

Le personnel médical des hôpitaux Terrasa portant des visières produites par le Tinkerers Fablab Casteldefels. Photo: D.R.

L’Espagne a été l’un des premiers pays européens touchés par le virus SRAS-CoV-2, juste après l’Italie. Le 14 mars, le gouvernement espagnol a déclaré l’état d’urgence et imposé un confinement national. Au cours des trois mois qui ont suivi, des équipes de makers espagnols, montées pour l’occasion ou déjà existantes, se sont organisées et ont travaillé à distance pour répondre à la crise.

Avant le confinement

Au cours des semaines précédant l’état d’urgence en Espagne, les nouvelles en provenance d’Italie et de Chine ont souligné le besoin urgent de respirateurs pour traiter les patients dans les unités de soins intensifs. Sans mesure corrective, la nature exponentielle de la contagion menaçait de provoquer un pic de demandes pour ces dispositifs, et de nombreux décès potentiels.

Réalisant la nature critique du problème, plusieurs groupes à travers le monde ont commencé à travailler sur des solutions open source. En réponse à l’appel de Colin Keogh à développer un respirateur Open Source sur Twitter le 11 mars, un groupe dédié a été créé sur Telegram, parallèlement au groupe existant sur Facebook, afin de réunir spécifiquement les makers espagnols qui préféraient collaborer par l’application de messagerie.

Dans le même temps, Jorge Barrero, directeur de la Fondation COTEC pour l’innovation, a appelé plusieurs membres de son réseau (dont l’auteur de cet article) à évaluer la faisabilité d’un respirateur peu coûteux imprimé en 3D. Après avoir reçu des réactions positives de plusieurs sources, en plus des nouvelles concernant un « petit » groupe de makers s’attaquant au problème, une initiative est née : A.I.RE (Ayuda Innovadora a la Respiración / Aide innovante pour la respiration), un groupe WhatsApp pour mettre en relation toute personne capable et désireuse d’aider : médecins, entreprises, makers, innovateurs, etc.

Comme pour le « petit » groupe de makers – Coronavirus Makers – l’initiative s’est répandue comme une traînée de poudre dans la communauté des makers espagnols. Le week-end précédant le confinement, le groupe Telegram est passé à 1 000 membres en moins de 48 heures. Deux semaines plus tard, il est passé à 16 500 membres ! Mais comment s’organise une communauté de milliers de membres ?

Des bénévoles assemblent des visières au Fab Lab Sant Cugat. Photo: D.R.

Tendances émergentes en période d’incertitude

Une fois que le groupe a commencé à se développer, le nombre de messages quotidiens a explosé. Il était donc de plus en plus difficile de communiquer efficacement, car certains sujets étaient abordés de manière répétitive, à l’infini. Il était vraiment difficile de savoir exactement ce dont on avait besoin à un moment donné. Mais bientôt, plusieurs groupes de travail se sont mis en place pour créer leurs propres canaux, invitant les personnes intéressées par leur sujet spécifique à les rejoindre.

De nombreux médecins et enthousiastes ont également été invités à se joindre à la conversation sur Telegram, mais les groupes pouvaient être assez bruyants et déroutants pour des personnes nouvelles sur la plateforme. David Cuartielles, co-fondateur d’Arduino, a créé un forum spécifique (Foro A.I.RE) pour une conversation plus lente, distillant les faits les plus pertinents sur le sujet. Le Foro A.I.RE a attiré quelque 4 000 personnes au cours du premier mois, qui ont partagé des articles, des nouvelles et même des modèles de référence pour les ventilateurs.

Sur Telegram, le nombre de sujets se développait de manière organique, même si les respirateurs restaient en tête de liste. L’équipe de Reesistencia a annoncé qu’elle allait commencer à travailler sur un respirateur open-source basé sur une valve de type Jackson Rees (d’où le nom « Rees-istencia »). Le 16 mars, ils ont partagé la conception initiale du Reespirator 23, qui comprenait une grande pièce imprimée en 3D pour presser la valve. Ils ont lancé un appel aux makers pour commencer le long processus d’impression de ces pièces.

Cet appel a donné naissance à de nouvelles chaînes régionales pour Coronavirus Makers, qui s’efforcent de produire les pièces localement. Comme la plupart des composants de la conception initiale étaient open source et basés sur des cartes Arduino largement disponibles, l’idée initiale était de produire les ventilateurs de manière distribuée, près des hôpitaux qui en avaient besoin.

Un autre sujet prioritaire sur les chaînes était l’équipement de protection individuelle, le besoin urgent d’EPI étant rapidement apparu comme l’un des plus grands défis de l’Espagne. Alors que la propagation du Covid-19 atteignait de nouveaux sommets, les nouvelles ont rapporté que l’Espagne était le pays où le nombre d’infections parmi les personnels soignants était le plus élevé. Les makers ont immédiatement commencé à travailler sur toutes sortes de lunettes de protection, de masques et sur les modèles de visières.

Le 16 mars, une publication dans le forum a fourni les preuves scientifiques sur l’utilisation des visières pour prolonger la durée de vie des masques et empêcher les grosses gouttelettes d’atteindre les protections en tissu et les yeux du personnel médical. À Oviedo, l’équipe de Reesistencia avait terminé le prototype et attendait un simulateur de poumon pour commencer à tester. Les makers désiraient aider à l’impression en 3D des pièces, que ce soit pour le respirateur ou tout autre projet.

Plusieurs makers ont commencé à créer et à partager des modèles de visières dans les groupes Telegram. Ces visières ont été imprimées par des makers dans toute l’Espagne et données aux voisins qui travaillaient dans les hôpitaux. Cet acte de générosité a permis des boucles de rétroaction extrêmement rapides. Les infirmières et les médecins les utilisaient pendant la journée et proposaient ensuite des idées pour les améliorer et les rendre plus confortables.

À la fin de la semaine, chaque région d’Espagne comptait un grand nombre de makers produisant des visières et les livrant aux hôpitaux. Vu le volume important de ce matériel de fortune utilisé dans les hôpitaux, certains ont commencé à se poser des questions sur la qualité des matériaux utilisés, les normes, la sécurité, etc. Désormais soumis à un nouvel examen, les groupes locaux ont demandé la validation de leurs autorités respectives.

Certaines régions, comme les Canaries, ont autorisé les visières, suivant en cela les procédures standard de sécurité au travail, jusqu’à ce que d’autres pièces certifiées soient disponibles. Madrid a d’abord autorisé l’utilisation de visières imprimées en 3D le 24 mars, mais est ensuite inexplicablement revenu sur sa décision le 28 mars. Ce revirement a déclenché une énorme controverse, car aucun matériel de remplacement n’était disponible pour le personnel médical. Comment les autorités locales pourraient-elles préférer que les médecins et les infirmières continuent à travailler sans protection plutôt que d’autoriser les pièces imprimées en 3D, ne serait-ce que temporairement ?

Heureusement, dans d’autres régions comme la Navarre, le gouvernement local a contacté directement le groupe de makers et a même proposé d’aider à l’approvisionnement et à la distribution. Valence a suivi le mouvement en autorisant un modèle spécifique imprimé en 3D. Pendant tout ce temps, le réseau Coronavirus Makers a réagi de manière organique, s’adaptant à l’évolution des conditions pour continuer à soutenir le personnel médical et les autres collectifs dans le besoin.

Par exemple, le 30 mars, le gouvernement espagnol a interrompu toute activité des travailleurs non essentiels, afin d’empêcher tout mouvement supplémentaire pendant les vacances de Pâques. Cette mesure a imposé une pression supplémentaire aux fournisseurs de matières premières et de moyens de transport alternatifs. Une semaine, les visières étaient livrées par des bénévoles, la semaine suivante, ce pouvait être par des chauffeurs de taxi, et pendant le confinement le plus extrême, même les policiers et les militaires participaient au réseau de distribution !

À la fin de la première vague, le 10 juin, environ un million de visières avaient été produites et distribuées en Espagne par des makers bénévoles dans tout le pays. Une conception finale a été approuvée au niveau national, tant pour l’impression 3D que pour le moulage par injection, afin que chacun puisse produire une visière imprimée en 3D open-source et certifiée dans toutes les régions.

Les équipes locales de la Protection Civile et de la Croix-Rouge soutiennent la distribution des visières du Fablab Cuenca. Photo: D.R.

Fablabs, makerspaces et autres collectifs préexistants

Mais quelle est la relation entre le réseau Coronavirus Makers et les autres groupes et espaces de fabrication qui existaient avant la pandémie ? Bien que les situations soient différentes selon les régions, la plupart des fablabs, makerspaces et autres institutions ont été extrêmement actives dans la lutte contre la pandémie et ont contribué à l’approvisionnement des besoins locaux.

Fablab Cuenca et Fablab Mallorca ont participé en tant que coordinateurs locaux pour les groupes Coronavirus Makers dans leurs régions, en soutenant d’autres makers et en aidant à la logistique et à l’équipement. Fablab Bilbao et Fablab Leon ont produit de nouveaux modèles de visières à l’aide de découpeuses laser, complétant ainsi la production des groupes de makers locaux par des milliers d’unités supplémentaires. Fablab Xtrene (Almendralejo), Tinkerers Fablab (Castelldefels) et Fablab Sevilla ont répondu aux besoins grâce à leurs réseaux préexistants.

Des collectifs de makers tels que la Sevilla Maker Society ont également produit des EPI, en faisant appel à des partenaires inhabituels tels que le Betis Football Club pour aider à la distribution. Makespace Madrid a travaillé sur un respirateur open source, tout en fournissant des EPI à ses voisins. Dans certains cas particuliers, les fablabs au sein de grandes institutions telles que les universités n’ont pas pu utiliser les espaces, en raison de la réglementation locale et de l’obligation de rester à la maison. Leurs membres ont généralement consacré leur temps et leurs réseaux personnels au soutien des groupes locaux de lutte contre le coronavirus.

La communication entre tous ces espaces a été possible dès le début grâce aux canaux de communication préexistants. Grâce au groupe WhatsApp partagé pour le CREFAB, le Réseau Espagnol de Création et de Fabrication Numériques a partagé des nouvelles, organisé les besoins locaux, les meilleures pratiques, etc. D’autres organisations de fabrication numérique telles que Ayudame 3D et FabDeFab ont cessé leurs activités régulières pour aider à la production d’EPI, travaillant avec leurs partenaires et bénévoles, soutenant la cause, tout en conservant leur propre identité/marque.

Fablab Mallorca, centre de distribution régional, inondé de visières produites par des makers bénévoles. Photo: D.R.

Après trois mois de confinement

Au cours des trois derniers mois, Coronavirus Makers a évolué pour s’adapter aux besoins et a ensuite produit de nombreux autres types d’EPI. L’un des plus populaires est le « salvaorejas » (protège-oreilles), une pièce plate qui fixe les sangles derrière la tête plutôt qu’autour des oreilles lorsqu’un masque est porté pendant une période prolongée. Coronavirus Makers dispose également d’une grosse équipe dédiée au textile, qui travaille de manière éthique avec des ateliers et des petits magasins pour produire des EPI et créer des designs open source pour des masques de bricolage appelés +K rilla et +K Origami. Un groupe distribué produit des masques de qualité ICU en utilisant du silicone moulé par injection.

D’autres groupes ont créé des logiciels tels que des applications mobiles pour gérer la logistique des livraisons ou pour encourager des habitudes saines, comme Higiene Covid-19, promue par le gouvernement équatorien. L’Espagne devrait mettre fin à l’état d’urgence le 21 juin. Depuis la fin mai, la demande d’EPI a chuté et la plupart des gens reprennent leur travail habituel et/ou aident d’autres personnes dans leur quartier ou dans d’autres pays. Plus de 15 groupes de makers luttant contre le coronavirus dans d’autres pays, pour la plupart hispanophones, tentent actuellement de reproduire certains de ces procédés pour lutter contre le Covid-19 en Amérique latine.

Que sont devenus les respirateurs open source ?

Alors que l’Espagne a connu un nombre sans précédent de projets visant à mettre en place des alternatives open source et à faible coût pour aider les personnes gravement malades à respirer, le principal problème avec un si grand nombre de respirateurs/ventilateurs était que les étapes d’approbation, les exigences, etc., n’étaient pas clairement définies. Certains pays, comme le Royaume-Uni, ont publié un document avec des exigences claires, tandis que les États-Unis ont publié des directives spéciales avec des exigences de la FDA moins strictes pour l’approbation. En Espagne, en revanche, il n’existait pas de dispositions spéciales de ce type, de sorte que chaque équipe travaillant sur un ventilateur/respirateur était pratiquement seule.

Fin mars, A.I.RE, par l’intermédiaire de la Fondation COTEC, a réussi à organiser un appel d’offres ouvert avec les responsables du processus de certification de l’Agence espagnole des médicaments et des produits de santé (AEMPS). Au cours de cet appel, 115 personnes représentant plus de 35 projets ont pu poser des questions sur le processus de certification. Toutes ces informations ont ensuite été publiées pour guider officiellement le processus de développement. Une vidéoconférence récapitulative sur la certification des ventilateurs avec l’AEMPS et plusieurs équipes fut organisée.

Pour qu’un prototype soit approuvé pour un essai clinique, il devait passer des tests avec un simulateur pulmonaire, des essais sur des animaux en détresse respiratoire sévère et par la conformité électromagnétique. Une fois examiné, il devait recevoir le sceau d’approbation final du comité d’éthique de l’hôpital. Il pourrait alors être utilisé, si et seulement si aucun autre respirateur certifié n’était disponible pour le patient (lire cet article sur le blog Arduino Blog pour plus de détails).

En vertu de ces règles, sept prototypes ont réussi à passer tous les tests dans les deux semaines qui ont suivi. Plusieurs de ces équipes comprenaient des membres de grandes entreprises et/ou de centres de recherche, ayant une expertise dans la certification d’équipements cliniques. D’autres, en revanche, issus du monde des makers/designers, ont réussi à faire approuver et même fabriquer leur produit par de grandes entreprises, proposant des versions appropriables par les makers comme l’OxyGEN.

Alors que la création d’un ventilateur/respirateur à partir de zéro est une tâche herculéenne, une masse critique d’individus a rejoint cette course contre la montre. En moins d’un mois, l’Espagne est passée de zéro ventilateur/respirateur disponible à plusieurs appareils prêts à l’emploi. À la fin de ce processus, l’impact du confinement avait réduit le nombre de patients sous soins intensifs. Les deux seules entreprises produisant des ventilateurs/respirateurs certifiés ont décuplé leur production au cours du mois dernier, avec le soutien du ministère de l’Industrie, de sorte qu’il y a eu beaucoup moins de besoins en respirateurs DIY/maker. Reesistencia Team a réussi des essais de son appareil avec des animaux, mais à ce jour, aucune version approuvée par l’AEMPS n’a été rendue publique.

Dans la tradition de l’open source, certains des projets ont bifurqué ou fusionné. Par exemple, le 24 avril, Reespirator 2020 était annoncé comme un fork du Reespirator 23 de la Reesistencia Team. Dans ce référentiel, ils expliquaient que, même si aucun de ces ventilateurs/respirateurs n’était fabriqué en masse en Espagne, ils prévoient de continuer à les développer au profit d’autres pays dans le besoin.

Premier prototype du respirateur ReesistenciaTeam. Photo: D.R.

Autres initiatives espagnoles

Au cours de ces trois derniers mois, les makers en Espagne ont pris contact avec d’innombrables entreprises, institutions et personnes partageant les mêmes objectifs. Ayuda Digital COVID (anciennement connue sous le nom de TIC para Bien), a apporté son expertise en matière de technologies de l’information pour aider à créer des éléments de l’infrastructure numérique. Frena La Curva (infléchir la courbe) s’est concentré sur les aspects sociaux, en connectant les offres et les demandes des communautés mal desservies. European Cluster Alliance a connecté les initiatives espagnoles à un réseau paneuropéen plus vaste, favorisant la pollinisation croisée des idées entre pairs européens. COVIDWarriors a facilité la mise en réseau avec des objectifs communs et a fourni à plusieurs hôpitaux des robots open source pour les essais cliniques. Le partage d’un objectif commun a permis une collaboration à plusieurs échelles, à des vitesses qui étaient impensables il y a quelques mois !

Gratitude finale

Tout le travail réalisé par les initiatives des makers espagnols n’aurait pas été possible sans le soutien de centaines d’entreprises et de personnes qui ont fourni des matières premières, des moyens de transport et d’autres éléments pour canaliser cette solidarité maker. Remerciements spéciaux à tout le personnel médical : médecins, infirmières et tous ceux qui ont participé à l’atténuation des graves conséquences de la pandémie de Covid-19 !

Cesar Garcia Saez
publié en partenariat avec Makery.info

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Appel initial aux makers sur Twitter

Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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l’initiative en Nouvelle-Aquitaine qui révèle le potentiel transformateur des tiers-lieux

Lucile Aigron, gérante de La coopérative Tiers-Lieux, nous présente HomeMade, un projet collectif inédit pour maintenir les coopérations entre makers, fablabs, tiers-lieux et milieux médico-sociaux en Région Nouvelle-Aquitaine et analyser la filière des fablabs et son potentiel de transformation des territoires.

Sew&Laine a créé un réseau de production responsable, solidaire et désireux de valoriser les savoirs-faire des couturiers indépendants. Photo: © Sew&Laine

Engagée depuis dix ans auprès des tiers-lieux, Lucile Aigron fait partie des acteurs clés sur son territoire ayant contribué à faire (re)connaître ces nouvelles organisations de travail. Entre 2010 et 2016, de la possibilité de travailler autrement, près de chez soi, et ce quel que soit le secteur d’activités (tertiaire, artisanal, agricole), ont émergé de nombreux tiers-lieux, d’abord sur des bases bénévoles. L’emploi s’est ensuite développé et de nouveaux métiers sont apparus et apparaissent encore. L’animation de réseau et la professionnalisation du secteur (à travers la co-production d’une formation « piloter un tiers-lieux ») sont aujourd’hui les activités principales de La coopérative Tiers-Lieux, couplées à un « laboratoire » sur les nouvelles organisations au travail.

Avec une centaine de sociétaires partie prenante de cette Société Coopérative d’Intérêt Collectif (tiers-lieux, fablabs, coopératives, groupements d’employeurs, centres de médiation scientifique, réseau des offices de tourisme), La coopérative des Tiers-Lieux s’assure d’accueillir des lieux et des discussions suffisamment diversifiées pour décloisonner et faire en sorte que les tiers-lieux soient toujours en questionnement sur des sujets d’intérêt général.

Comment La coopérative Tiers-Lieux et ses sociétaires se sont-ils mobilisés pendant la crise sanitaire ?

Lucile Aigron : On s’est mobilisés en tant que tête de réseau pour soutenir les tiers-lieux pendant la crise, identifier rapidement les difficultés rencontrées, faire l’interface avec la région. On a vu des lieux se ré-inventer complètement pendant cette période, certains se sont retrouvés à l’arrêt, d’autres se sont mobilisés sur des ressources en lignes éducatives, de l’accès à du matériel pour des collégiens, de la distribution alimentaire et aussi sur de la production de visières.

En lien avec des fablabs pendant la crise, ils nous ont fait part de leur engagement dans cette production solidaire que nous avons considéré comme un vrai « sacrifice ». D’abord, les investissements matériels ont été réalisés « de leur poche », puis vu le volume, leur structure n’allait pas tenir le choc de cet engagement. En l’absence de réactions de l’État dans cette situation d’urgence, nous avons interpellé la Région Nouvelle-Aquitaine en faisant le pari que l’échelle régionale se révélerait le bon échelon pour leur venir en aide.

Distribution « du producteur à votre assiette » par les membres bénévoles du tiers-lieu Graine de Coop dans le nord-Gironde. Photo: © Graine de Coop

Aujourd’hui vous lancez HomeMade avec un consortium de 33 acteurs et le soutien de la région Nouvelle Aquitaine, comment ce projet est-il né ?

Le déclic, c’est la tribune du 9 avril publiée sur Makery et les appels en parallèle des fabmanageurs du réseau. J’ai eu un soutien appuyé d’Eugénie Michardière (service Numérique à la Région) avec qui je travaille depuis dix ans. Je l’ai appelé un jeudi à 18h, elle m’a rappelé le vendredi à 9h pour me faire part de la mise en place d’un Appel à Manifestation d’Intérêt exceptionnel lié au Covid. Une réactivité et un engagement que nous souhaitons saluer collectivement au nom de l’ensemble des membres du consortium.

Le soutien des élus a été très fort également. Ensuite, nous avons fait chacune de la médiation : elle a interfacé côté Région trois services (Santé, ESS, Numérique) qui cofinancent ce programme et a coordonné les discussions avec les agents et les élus. De mon côté, j’ai fait l’interface avec les 33 structures (soit près de 2000 personnes mobilisées).

Nous avons construit le projet ensemble en deux semaines. C’était assez inédit : nous avons écrit un dossier sur la base d’un appel à projet en cours d’élaboration et nous avons présenté le dossier devant les trois élus en visioconférence. Nous avons vraiment été dans la co-construction avec la Région et les membres du consortium. Finalement c’était l’occasion de se demander, avec tous les acteurs de l’ESS présents sur le territoire, s’il n’y avait pas là une filière de production locale / régionale, à inventer et accompagner notamment avec les chantiers d’insertion et les entreprises adaptées.

Pouvez-vous nous présenter le consortium et la démarche ?

Dans le consortium, il y a une vingtaine de fablabs, six réseaux de couturières, dix têtes de réseaux (La coopérative Tiers-Lieux, Sew&Laine, Réseau Français des Fablabs, Hub Hubert, Naos, Le 400, La Proue, Les Usines, INAE, UNEA), trois chantiers d’insertion, deux laboratoires de recherche, deux CCSTI (les centres de culture scientifique Cap Sciences à Bordeaux et Lacq Odyssée à Mourenx) et un groupement d’intérêt public, le living lab Autonom’Lab.

Le projet s’est fait tellement vite, nous savons que le consortium n’est pas exhaustif dans les initiatives qui ont été réalisées. L’enjeu de la première tranche de travail est de recenser ces initiatives pour que nous puissions les prendre en compte et les soutenir. Autrement dit, la moitié du financement de la région va constituer un fonds d’indemnités, nous allons inventer notre système de mutuelle pour indemniser les collectifs et les lieux qui se sont mobilisés sur la fabrication de masques et de visières.

Pour cofinancer le programme, nous avons fait remonter les productions de tous les membres, visières et masques en tissu, pour établir une assiette budgétaire et faire remonter une part d’autofinancement. Nous sommes partis sur un coût éthique de 1 € pour un masque en tissu fait par des bénévoles ou 3 € par des couturières professionnelles et de 3,50 € pour la visière, de sa fabrication à sa distribution. Plusieurs structures cofinancent (Le Hub Hubert, des fondations (Orange, Vinci), les cagnottes citoyennes) et rentrent dans ce montage financier. Cela nous permet de valoriser un cofinancement Région sur la base d’un budget participatif citoyen pour atteindre un budget global de 870 000 euros, la Région Nouvelle-Aquitaine contribuant à hauteur de 60%.

Eugénie Da Rocha, directrice de Sew&Laine, tiers-lieu des cultures textiles engagées. Photo: © Sew & Laine

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les ateliers de co-création que vous souhaitez mettre en place avec les équipes et usagers des établissements médico-sociaux, les makers et designers, les collectivités et les industriels ?

Une fois passée la crise, nous avions envie de revenir auprès des acteurs de la santé avec qui nous avons développé une relation singulière et étudier le rôle des fablabs sur d’autres solutions auxquelles nous n’avons pas pu penser pendant cette phase d’urgence. Si nous nous posons demain ensemble, est-ce que nous pouvons être utiles sur d’autres problématiques ?

Ces ateliers de co-création vont s’élaborer sur la base d’un travail de repérage et d’identification des problématiques en amont, avant de se retrouver tous ensemble physiquement 2-3 jours consécutifs. On pense à des formats immersifs de développement type hackathon pour trouver des solutions ensemble, en faisant intervenir des établissements médico-sociaux, des ergothérapeutes, le réseau des entreprises adaptées pour se questionner autour du handicap et de l’adaptabilité, etc. On envisagerait trois ateliers de co-création sur les trois ex-régions (Limousin, Poitou-Charentes, Aquitaine).

Le projet a déjà démarré, à 9 mois, il vise l’analyse de l’émergence de la filière fablabs et son potentiel de transformation à l’échelle régionale, quelles sont vos hypothèses aujourd’hui ?

Nous avons deux laboratoires de recherche landais qui nous ont rejoints : le laboratoire transdisciplinaire APESA composé d’un économiste spécialisé en économie de la soutenabilité, une chercheuse en géographie humaine, un chercheur en processus d’organisations et un ethnologue ainsi que la plate-forme R&D Canoe. L’idée est de caractériser ce mouvement en terme de sociologie, de composition et d’identifier les leviers de motivation qui ont permis cet élan collectif, et voir dans quelles mesures plus tard, comment continuer sans dénaturer la motivation originelle et améliorer les configurations des réalisations.

Plus globalement, nous allons interroger toutes les difficultés que cela a pu représenter pour les collectifs au niveau réglementaire, juridique, certification… Cette complexité – à savoir si on a bien fait ? Si on ne va pas être attaqué ? – ça interroge beaucoup sur le rôle de la fabrication citoyenne. Est-ce que l’on est toujours sur des solutions de réparation ou est-ce que l’on intègre davantage ces modes de production demain ? Comment prendre en compte ou contourner les difficultés que nous avons pu identifier ?

Dans une logique prospective, si on pense relocalisation de la production, est-ce que le travail de chaîne est absolument nécessaire ou, au contraire, est-ce que l’on ne peut pas se réinventer ? Les fablabs ont beaucoup revendiqué que ce n’était pas leur vocation de produire toute l’année des masques et des visières, qu’ils avaient été là en phase d’urgence, de prototypage, de recherche et développement et c’est cela qui les intéressaient. Pourquoi ne pas passer la main sur des chantiers d’insertion ou des entreprises adaptées ?

Encourager les fablabs à transmettre davantage ces compétences techniques, électroniques, ces savoir-faire artisanaux, à une majorité de gens dans une logique d’émancipation et de capabilité ? Est-ce que cela veut dire remodéliser l’industrie en privilégiant des petites unités de production aux grosses industries ? Il y a plein d’hypothèses et surtout il y a plein de projections sur les fablabs. Nous devons réussir à nous positionner, que les lieux puissent trouver leurs propres mots. Il n’y a pas une identité propre à tout ce réseau, il y a des identités et il faut arriver à les exprimer, à les prendre en compte pour la suite.

Remerciement aux tiers-lieux et fablabs mobilisés dans la production de visières en Nouvelle-Aquitaine. Photo: © La coopérative Tiers-Lieux

En initiant HomeMade, c’est à la fois inspirant pour les makers, les fablabs, le milieu médico-social, et c’est aussi un signal fort envoyé aux décideurs publics en donnant l’exemple d’un projet co-construit qui hybride des modèles d’organisation à la fois dominants et émergents … quel message souhaitez-vous adresser aux uns et aux autres ?

Nous sommes au début de la crise, c’est important de pouvoir repérer par la suite les signaux faibles et reconnaître les élans de solidarité pour préserver la cohésion sociale. Donc mon message serait de prendre soin de mettre de nouvelles lunettes et regarder ce qui se passe sur son territoire. Ce n’est pas parce c’est isolé et très petit que ça n’a pas de valeur. Finalement les tiers-lieux transforment la façon dont nous pouvons penser le travail, la production, la consommation. C’est bien parce que nous sommes plusieurs à le faire de manière hyperlocale qu’à un moment donné ça infuse profondément. C’est quand l’infusion démarre que le potentiel de transformation des tiers-lieux se révèle.

Catherine Lenoble
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur La coopérative Tiers-lieux.

à l’abordage de la Covid-19 en Guadeloupe

Le Fablab de Jarry, premier hackerspace des Antilles situé en Guadeloupe, dans les DOM, existe depuis 2013. Il fonctionne avec ses fonds propres. Capt’n Kurt, fab-manager bénévole raconte l’expérience du Fablab de Larry : « Personne ne donne son prénom ou son nom chez nous, et la légende raconte que le Capt’n Kurt n’a pas d’âge ! ». Le Fablab de Jarry s’est engagé dès le début du confinement dans la fabrication d’un respirateur open source, puis dans le matériel pour protéger les personnels soignants et exposés. Entretien avec Capt’n Kurt.

Le bus pirate du Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Quel type matériel avez-vous produit ? Qu’est-ce qui vous a encouragé à entreprendre cette action ? Et à vous engager dans cette action ?

On prône l’autogestion et autosuffisance, un peu à la manière de vrais « Pirates des Caraïbes, version technologie » et une vingtaine de personnes sont sur le pont de manière quotidienne. Nous sommes une quarantaine de personnes. Nous étions dans les premiers à avoir travaillé sur du matériel Covid, avant même le confinement. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles idées d’innovation. On essaie d’être à l’affût de ce qu’il se passe et d’anticiper les besoins de demain. On a tout de suite commencé à se dire « qu’est-ce qu’on pourrait faire pour aider ».

Ce qui nous intéresse le plus c’est la technique : on a tout de suite commencé à dessiner et à créer un respirateur d’urgence, présenté finalement au CHU de Point-à-Pitre. Ensuite on a aussi suivi le mouvement et on est devenu point central pour les Antilles (voir sur Facebook) en structurant le mouvement makers ici en Guadeloupe, mais aussi en Martinique et en Guyane. Nous avons aussi conçu et réalisé des visières et grabbers imprimées et découpées sur nos machines et mis en relation les couturières locales avec des fournisseurs de matière première.

Eléments du respirateur prototype conçu par le Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Avez-vous donné ou vendu votre matériel ?

On a commencé par équiper les soignants gratuitement. Une personne de l’île a monté une cagnotte Leetchi en proposant 8000 € pour faire des visières, mais on a refusé, car ce n’est pas dans les habitudes des pirates de prendre aux pauvres pour donner aux pauvres. C’est une entreprise de l’île qui avait une machine de découpe numérique qui a récupéré la cagnotte au final.

Nous, on a fait nos visières gratuitement, mais on n’avait pas du stock infini, et on a été confronté au manque de matières premières. On a alors vendu des visières aux communes et cet argent a permis de continuer à distribuer des visières gratuitement aux soignants. Le fablab n’a pas vocation à faire du commerce, et nous avons donc redirigé les demandes d’entreprises privées vers un partenaire qui possède une société capable de leur fabriquer nos modèles de visières. Cette société donne maintenant au lab du temps-machine en échange.

Visières construites au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Comment avez-vous pris contact avec les entités locales (entreprises, commerces, hôpitaux) si vous l’avez fait ?

Nous avons reçu une demande du CHU pour savoir s’il était possible d’imprimer des valves Charlotte et on leur en a imprimé différents modèles. On a produit des prototypes, mais il n’y a pas eu d’utilisation ici en Guadeloupe puisque la pandémie n’a pas été aussi forte que ce qui était prévu. On s’était organisés pour être prêts à imprimer les valves Charlotte. On avait prévu que le plastique d’impression pourrait nous servir à autre chose que des visières et ces dernières on a dès le début préféré les découper dans du plexiglas. Il nous restait donc de quoi imprimer et on a même songé à travailler avec du plastique de récupération !

Comment vous êtes-vous organisés pour trouver les bons designs ?

On a tenu à faire nos propres modèles, car on a une contrainte supplémentaire par rapport à d’autres makers – on a une expérience différente, habitué à anticiper le moment où il y aurait une crise de matières premières (car on connaît bien ici), donc on a essayé de faire nos designs avec des modèles qui ne consommaient pas trop de plastique. Ça nous a permis d’obtenir de gros gains sur l’optimisation de matières. Dans une plaque de 2 m², on découpe 100 visières. Ça nous a sauvé la mise, car il y a une pénurie de plexiglas totale en Guadeloupe et l’approvisionnement prend de 2 à 3 semaines. Au pire, on sait où trouver en masse du plexiglas de récupération.

Exemple de matériel conçu au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Qu’est-ce que vous a appris cette expérience ?

Cette expérience est en droite ligne avec l’idée de ce qui m’a motivé à fonder le hackerspace des Antilles au départ – faire un bus « pirate » de technophiles passionnés, sans intérêt économique.

Il y a encore beaucoup de choses à faire pour changer le monde, mais cette histoire à permis d’apercevoir des alternatives. Dans une telle situation, on aurait du faire des hackathons intensifs pour répondre aux appels à projet organisés par le Ministère de la Défense, et trouver des solutions face à l’extrême urgence.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

L’organisation était rendue difficile du fait du confinement : chaque membre produisait des visières chez lui et un des membres avait une autorisation pour aller les chercher. Pour le respirateur, un des membres est dans la maintenance industrielle. Ce qui a aidé. Nous avons vu sur internet qu’une société avait modifié des appareils d’assistance contre l’apnée du sommeil pour en faire des respirateurs d’urgence.

Nous avons pris contact, et on a réussi à obtenir les informations techniques qui ont permis de présenter ce projet à l’hôpital de Pointe à Pitre. Oubliant les problèmes d’homologation, de responsabilité, etc. Ce respirateur a finalement été présenté aux urgentistes locaux, mais il était hors de question de le brancher sur quelqu’un. Notre but premier c’était le côté pédagogique de la chose et de montrer qu’en étant à 8000 km, sans moyens, on arrive à faire de grandes choses.

Etude pour un prototypage de respirateur au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Quelles actions à faire demain pour les makers ?

Pour le mouvement maker, on a été très bon sur nos fonds propres, alors imaginez ce que ce serait demain avec des vrais moyens ? Sans aller jusqu’à avoir un ministre des makers au gouvernement, il suffirait peut-être que « l’esprit maker » soit adopté par nos politiques pour qu’on arrête de penser qu’ils ne servent à rien.

Quelles valeurs ? Pour quelle société demain ?

Revendiquer le statut de pirates des Caraïbes ! Penser différemment, et agir ! Dans un fablab, on doit oser, on doit faire des choses ! Prise de conscience globale, maintenant !

Myriam Hammad
publié en partenariat avec Makery.info

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