Une brève histoire de la sousveillance

La sousveillance est une riposte à la surveillance. Comme son préfixe l’indique, la surveillance est surplombante, étatique et désormais presque omniprésente. À l’inverse, la sousveillance vient d’en bas, en réaction à ce contrôle social généralisé, pour en dévoiler et dénoncer les excès. C’est Steve Mann, professeur en sciences appliquées à l’université de Toronto, connu pour avoir ses lunettes de réalité augmentée vissées en permanence, qui a développé ce concept de sousveillance. En France, c’est Olivier Aïm, théoricien des médias, qui a popularisé ce qui s’appelle, de l’autre côté de l’Atlantique, les « surveillance studies ». Dans sa nouvelle publication, Jean-Paul Fourmentraux, socio-anthropologue, professeur à l’Université Aix-Marseille et critique d’art, analyse la manière dont s’exerce la sousveillance, cet « œil du contre-pouvoir », dans les pratiques et créations numériques.

Antoine d’Agata, Virus. Photo: D.R.

La notion de surveillance étatique n’est pas récente. Elle traduit « la volonté de puissance » des gouvernements sur leurs citoyens, ce désir de tout observer, tout contrôler, tout ficher… Mais depuis quelques années, singulièrement en France, l’étau s’est resserré. Plusieurs facteurs ont renforcé cette détermination à surveiller et punir… Des lois votées en contrecoup des attentats jusqu’aux récentes législations s’inscrivant dans le cadre de la « sécurité globale », en passant par les contraintes sanitaires prises lors de la pandémie du Covid, désormais c’est tout un ensemble de mesures liberticides qui mettent à mal les droits fondamentaux et la vie privée. Si une telle surveillance est désormais possible, c’est bien sûr grâce aux technologies de plus en plus intrusives : vidéosurveillance, dataveillance, drones, biométrie, géolocalisation, puces RFID, etc. Et nous sommes tous, ou presque, complices de ce qui s’avère être aussi une « auto-surveillance » par le biais des téléphones portables, d’Internet, des réseaux sociaux…

Pour autant, cette prolifération des technologies d’observation et d’information est aussi un atout. Si chacun peut être observé et contrôlé, chacun peut aussi « surveiller les surveillants ». Œil pour œil, regard contre regard… En clair, le regard peut toujours se retourner et devenir un opérateur de contre-pouvoir. La sousveillance est bien une contre-surveillance qui consiste à mettre en lumière et donc à rendre visibles les stratégies occultes des plateformes numériques, [des entreprises] et des États qui procèdent de la violation et de l’instrumentalisation des images et données. En première ligne, on trouve des collectifs et associations citoyennes (Technopolice.fr, La Quadrature du Net, Copwatch, etc.).

Samuel Bianchini, niform. Photo: D.R.

Même si ce n’est pas le sujet du livre, dans cette lutte contre la techno-surveillance, Jean-Paul Fourmentraux signale aussi des réactions plus offensives comme l’obfuscation. Ce « barbarisme », qui resurgit dans le langage informatique pour désigner des processus de camouflage, tire ses racines au XVIIIe siècle du verbe « dissimuler » avant un glissement sémantique vers l’idée de « s’offusquer » : l’obfuscation renvoie aux tactiques visant à limiter ou contrecarrer le poids du profilage et de l’algorithmisation des individus. Prenant à rebours l’asymétrie des procédures de capture des données, elle fait office d’arme des faibles. […] L’obfuscation opère comme une ruse qui consiste à produire délibérément de fausses informations, dans le but de noyer les données existantes dans une série de contre-informations fallacieuses, désordonnées, ambiguës

Cette tactique peut également procéder au sabotage des instruments de surveillance ou de collecte et de traitement des données personnelles. Des actions plus directes, qui ne sont pas sans rappeler les riches heures de l’autonomie… On peut en mesurer les impacts en consultant certaines revues de presse militantes. Dans cette guerre sociale et technologique de basse intensité, les artistes occupent une position médiane. L’art joue ici un rôle singulier, en tant que producteur de formes et d’outils pratiques et réflexifs. La sousveillance y est mise en œuvre comme une tactique de résistance au sens de Michel de Certeau. […] La pratique artistique ré-ouvre les boîtes noires, défait les dispositifs de la surveillance subie, les braconne et construit en retour des dispositifs de surveillance inversée. […] L’enjeu d’un art de la sousveillance revient à dévoiler comment les « machines de vision » contemporaines perçoivent le monde au travers de catégories qu’on leur a inculquées. Et par conséquent, comment les images qui en résultent révèlent des formes de pouvoir qu’elles sont destinées à reproduire et à améliorer.

Forensic Architecture, The killing of Zineb Redouane. Photo: D.R.

À mi-chemin entre discipline de recherche artistique et forme d’action politique, le collectif Forensic Architecture recueille et analyse des données, des vidéos et autres schémas balistiques avant de les interpréter et mobiliser dans le cadre d’une contre-expertise technico-légale qui se présente sous forme de modélisation 3D. Leurs investigations permettent de faire la lumière sur des affaires controversées qui échappent aux expertises traditionnelles ou donnent lieu à des jugements et résolutions souvent partiels et opaques (attentats, crimes d’État, violences policières, etc.). Parmi leurs contre-enquêtes, on mentionnera celles concernant Adama Traoré ou Zineb Redouane — 80 ans, morte « en marge » de l’acte III des Gilets Jaunes à Marseille en 2018, suite au tir d’une grenade lacrymogène au moment où elle fermait la fenêtre de son appartement. Mais Forensic Architecture ne se limite pas à ces cas d’études « made in France ». Le collectif œuvre également sur le plan international (l’explosion du port de Beyrouth, les brutalités policières lors des manifestations Black Lives Matter aux États-Unis, les migrants en Méditerranée, le conflit israélo-palestinien, la guerre en Ukraine, etc.) et trans-temporel (The Nebelivka Hypothesis, les crimes coloniaux allemands en Namibie en 1904-1908, etc.).

Parmi les artistes qui ont les violences policières dans leur viseur, le hacker et « artiviste » italien Paolo Cirio s’inscrit pleinement dans une démarche technocritique, à la croisée de l’art et du militantisme citoyen. Entre street-art et net-art, il pratique aussi bien l’affichage sauvage, en placardant des photos de policiers entourés d’un cadre rouge à la manière du processus de recherche et d’identification algorithmique des visages, que le piratage et détournement de données (Face to Facebook, Street Ghosts, Loophole For All). Mais c’est avec son installation Capture qu’il a focalisé l’attention en 2020. Il s’agit d’une série photo de 150 visages de policiers (1000 pour la version vidéo) choisis parmi 4000. Des visages capturés lors de manifestations. Regards menaçants ou furtifs, sourires crispés ou grimaçants… Tout, dans ces clichés, transpire la haine, la peur et la violence qui ont marqué les mouvements sociaux depuis la Loi travail, en passant par les Gilets Jaunes et dernièrement la Réforme des retraites.

Paolo Cirio, Capture. Photo: D.R.

Présentée sans problème à Vienne, Turin et Berlin, cette installation s’est par contre attiré les foudres du Ministère de l’Intérieur français lors de sa présentation à Tourcoing, au Fresnoy, dans le cadre d’une exposition collective. Capture a été censurée avant même d’être montrée au public… À la place de ce panorama, une palissade bleue sur laquelle sur laquelle est inscrit en gros caractères « La Honte ! », traduisant le sentiment des élèves et professeurs de ce Studio national des arts contemporains. Le problème, au-delà des regards et rictus inquiétants, tient au fait que Paolo Cirio a fait le choix de montrer les visages potentiellement identifiables. Pour dénoncer les violences policières, d’autres artistes ont opté pour une approche moins frontale en floutant les visages des forces de l’ordre ou en effaçant les silhouettes des victimes : Bettie Nin (Les Disparus), Thierry Fournier (La Main invisible), Benjamin Gaulon (FaceGlitch). À l’inverse, avec niform, Samuel Bianchini confronte le spectateur à un cordon de CRS. Floue au départ, lorsqu’on s’en rapproche l’image-vidéo se métamorphose en représentation d’un danger imminent : une expérience à vivre pour les personnes n’ayant jamais mis les pieds dans le cortège de tête, par exemple…

C’est un autre type d’expérience qu’à vécu Antoine d’Agata lors du confinement suite au Covid-19 (Virus, La Vie Nue). Ce photographe a entrepris d’ausculter les empreintes et les stigmates sociaux et politiques de la pandémie, montrant la transformation de Paris, aux rues désertées de ses habitants, uniquement occupées par les marginaux (toxicos, prostituées, SDF, etc.) et les travailleurs de l’ombre (éboueurs, livreurs, etc.). Pour ce projet, il s’est équipé d’une caméra thermique afin de capter et d’enregistrer des « traces » de cet épisode viral qui métamorphose la ville en un curieux théâtre d’âmes errantes, de têtes baissées et de corps fuyants. […] Le photographe choisit par conséquent de détourner cette technologie de repérage et de contrôle, un outil de surveillance initialement conçu pour un usage militaire et guerrier, qu’il manipule à contre-emploi, à l’inverse d’une quête de localisation ou d’identification.

Jean-Paul Fourmentraux attire aussi notre attention sur Éléonore Weber qui « recycle » également des images de caméras thermiques. Dans son documentaire, Il n’y aura plus de nuit, cette auteure et réalisatrice, qui a par ailleurs étudié la philosophie politique à l’EHESS, met en exergue des images capturées par des hélicoptères de combat et des drones militaires. Une démarche également adoptée par Trevor Paglen (Untitled (Reaper Drone)), Omer Fast (5000 Feet In The Best) et James Bridle (Watching The Watchers). Nous avons commencé à nous familiariser avec ce type de prises de vue lors des guerres qui ont ravagé l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie et, dernièrement, l’Ukraine. « Familiariser » n’est toutefois pas le mot tant nous sommes à chaque fois saisis d’effroi à la vue des petites silhouettes qui, de haut, se détachent comme des fourmis avant de disparaître dans un nuage de poussière, quand ce n’est pas l’image vidéo qui est brutalement interrompue une fois la cible atteinte. Sans parler des propos tenus par les « tueurs à distance » qui ne semblent pas mesurer la réalité où ils exercent leur « art », incapables de distinguer un paysan qui porte un râteau sur l’épaule, d’un combattant avec une kalachnikov

Celui qui filme est celui qui tue… Cette vision lointaine du théâtre des opérations via des écrans entraîne une déréalisation de la guerre mue par plusieurs objectifs : déresponsabiliser les assaillants, déculpabiliser les citoyens et surtout protéger les États et leurs armées. Pour Grégoire Chamayou, avec cette distanciation, l’éthique du combat se déplace, pour devenir une éthique de la mise à mort, une nécroéthique, qui utilise les principes du jus in bello pour les convertir en critères pertinents du meurtre acceptable. Une éthique de bourreaux ou d’exécuteurs, mais plus de combattants. In fine, pour Éléonore Weber, il s’agit justement de prendre une certaine distance vis-à-vis de ces images meurtrières, afin de les restituer au régime visuel. Autrement dit, il s’agit d’instruire le regard à d’autres fins qu’à celle du conflit armé. Tel est peut-être l’acte de résistance que propose son film documentaire : un retournement du regard.

Laurent Diouf

Jean-Paul Fourmentraux, Sousveillance : L’œil du contre-pouvoir (Les Presses du Réel, 2023)
> https://www.lespressesdureel.com/

Les aventures musicales de l’afrofuturisme

L’afrofuturisme est une bannière qui réunit plusieurs courants musicaux. Jazz, funk, afrobeat, hip-hop, rap, breakbeat, electro, techno… Soit les multiples facettes de la « musique black » moderne, même si ce terme est beaucoup trop réducteur. L’afrofuturisme n’est pas une musique noire, mais une musique du futur faite avec des machines par des musiciens noirs.

En fait, l’afrofuturisme déborde largement ce cadre musical. C’est un ensemble culturel, urbain et pluridisciplinaire, qui fait appel autant à la mythologie qu’à la bande dessinée, à la philosophie qu’à l’informatique, à la science-fiction qu’aux diasporas africaines, à la vidéo qu’aux fictions spéculatives… L’édition 2022 du Carnegie Hall’s citywide festival à New York rendait compte de cette effervescence.

Le Britannique d’origine ghanéenne Kodwo Eshun, journaliste, cinéaste et enseignant, a écrit un ouvrage de référence sur l’afrofuturisme, Plus brillant que le soleil : aventures en fiction sonore. Paru en 1998, ce livre vient enfin d’être traduit en français pour le compte des Éditions de la Philharmonie. La tâche fut ardue tant le style, heurté, s’apparente à un jeu d’écriture expérimentale où un flow de mots s’entrechoquent. Chose rare, à la mesure de la difficulté du texte, c’est la traductrice Claire Martinet qui en signe la préface.

Avec ses néologismes liés, si ce n’est rythmés, par une syntaxe disloquée, la lecture de ce livre s’apparente à un mix truffé de breakbeats et de samples. Il en reprend les codes. Kodwo Eshun truffe également son récit de références à Virilio, Baudrillard, Canguilhem, Deleuze, Foucault, Mumford, Nietzsche, Reich, Sartre… sans oublier Burroughs, Arthaud, W.E.B. Du Bois, Fanon, Paul Gilroy, Donna Haraway, Mark Dery et, pour la science-fiction, Ballard, Clarke, Delany, Dick, Gibson, Haldeman, Sterling…

Bien vite, donc, en entamant la lecture de cet ouvrage, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une simple narration, pas de l’histoire linéaire d’un genre musical, mais le récit du mouvement (au sens mécanique) d’une « musique machine », d’une « musique alien ». Une Futurythmachine. Presque une mythologie du futur donc, dont les bardes s’appellent Sun Ra, Coltrane, Miles Davis, Herbie Hancock, Parliament, Public Ennemy, Dr. Octagon, Tricky, Scientist, Lee Perry, Underground Resistance, Phuture, Ultramagnetic MC’s, Goldie, 4 Hero… Au fil des pages, on a l’impression de réécouter en accéléré la bande-son des 40 dernières années : jazz « fission », dub, hip-hop, techno, drum-n-bass…

De fait, l’afrofuturisme est avant tout une musique qui allie technique et informatique. Une musique « futuriste », car c’est une musique de rupture, pétrie d’accidents, de scratchs, d’électroniques, d’échos, de mixes, de samples, etc. Les platines et tables de mixage formant une « terre neuve », selon l’expression de Lee Perry. Les sampleurs et logiciels de séquençage dessinant une « constellation de systèmes » dans laquelle navigue le producteur. L’afrofuturisme est une musique de contre-coup qui se déploie au fil de perturbations sonores… Et les phases de ce discontinum sont autant de chapitres du livre : afrodélie, skratchadélie, sampladélie, psychédélie, octophrénie, mixadélie

Ainsi, avec le dub nous rentrons dans un monde d’échos. Et au premier écho, l’écoute doit changer complètement. Il faut que l’oreille se lance à la poursuite du son. […] Impossible de rattraper la pulsation, les traînes sonores qui prennent un virage et s’évanouissent au bout d’un couloir. De King Tubby à Basic Channel, la cymbale est toujours hors de portée, toujours sur le point de basculer aux confins de la perception. Là où devrait se trouver le rythme, il y a de l’espace, et vice versa.

Outre l’écho d’autres perturbations, comme la distorsion, font aussi basculer la musique dans une autre dimension. La musique du futur est agravitaire, transcendante, en parfaite conjonction avec la désincarnation numérique en ligne. Les machines, du sampleur au vocodeur, ont bien changé la nature de la musique, réalisant le souhait d’Edgar Varèse cité par Kodwo Eshun : j’ai besoin d’un moyen d’expression entièrement nouveau, une machine à produire des sons (non pas à reproduire des sons).

En bonus, on découvre un entretien qui s’impose comme une véritable explication de texte. Remisant son langage cryptographique, Kodwo Eshun confirme en termes simples l’objectif de son livre : renverser les récits traditionnels sur la Musique noire. Et en révèle les éléments clés : McLuhan et Ballard. Concernant la notion d’afrofuturisme, il rappelle que c’est Mark Dery (l’auteur de Vitesse virtuelle : la cyberculture aujourd’hui) qui en est à l’origine. Mais c’est le journaliste Mark Sinker qui a creusé le sujet, à la suite de l’écrivain et musicien afro-américain Greg Tate qui s’intéressait à la science-fiction noire et à la musique black.

Plus brillant que le soleil est donc une analyse des visions du futur dans la musique, de Sun Ra à 4 Hero. L’un des fils rouges est la science du breakbeat. Dans ce grand bouleversement sonore, la sampladélie ouvre un continuum entre le son visuel et le son audio. Kodwo Eshun observe par ailleurs que les films d’action occupent la même strate que la skratchadélie. Ce sont les mêmes vélocités, les mêmes vecteurs, les mêmes sons. L’afrofuturisme est-il postmoderne ? La réponse de Kodwo Eshun est cinglante : Le postmodernisme ne veut rien dire en musique. Ça ne veut rien dire du tout. Ça ne veut plus rien dire depuis 1968 au moins, quand les premières versions ont commencé à sortir de Jamaïque…

Kodwo Eshun, Plus brillant que le soleil : aventures en fiction sonore (Éditions de la Philharmonie / collection La rue musicale, 2023)
Infos > https://philharmoniedeparis.fr

art et hacktivisme technocritique

Dès son origine, l’art numérique est un art du piratage basé sur des pratiques de détournement, d’arraisonnement de la vidéo, de l’électronique, de l’informatique, d’Internet… Au départ objet, les nouvelles technologies sont bien vite devenues sujet d’expériences artistiques. Désormais, avec l’omniprésence des techniques de traçage qui caractérisent notre société de « surveillance globale », l’artiste du numérique retrouve un engagement qui se traduit notamment par un « hacktivisme technocritique », par une certaine forme de désobéissance numérique. Jean-Paul Fourmentraux, socio-anthropologue et critique d’art, nous offre un panorama de ces dissidences au travers de son nouvel ouvrage.

Trevor Paglen, They Took The Faces. Photo: D.R.

L’acte de résistance contre les techniques est aussi vieux que l’exploitation qu’elles induisent. Mais les technologies du numérique déploient justement de nouvelles formes d’exploitation, de manière souvent plus insidieuses, auxquelles nous souscrivons dans une sorte de  « servitude volontaire ». Le marché fonctionne désormais grâce à un système de « surveillance généralisée ». Pris dans sa nasse, nous sommes contraints de fournir nos données personnelles sous peine d’être hors jeu du circuit de communication et consommation. Le marketing numérique, passant du mot d’ordre au mot de passe, est peut-être en passe de devenir le principal instrument du contrôle social. Ce « capitalisme de surveillance », qui s’épanouit avec le concours actif d’un Léviathan 2.0, est d’autant plus pernicieux que nous vivons dans une société où triomphe l’exposition de soi sur les réseaux sociaux.

L’enjeu est donc de reprendre la main sur les objets communicants et connectés, de critiquer la politique d’innovation qui les accompagnent,  de retrouver un peu de l’utopie libertaire du début d’Internet, d’inverser le regard en surveillant les surveillants, de dérégler les algorithmes, de désosser les machines, de désacraliser la technique… Sur cette ligne de front, Jean-Paul Fourmentraux distingue différentes pratiques — sous-veillance, médias tactiques, design spéculatif, statactivisme et archéologie des médias — incarnées par Trevor Paglen, Paolo Cirio, Julien Prévieux, Benjamin Gaulon, Christophe Bruno, Samuel Bianchini, Bill Vorn, le collectif Disnovation.org et le duo HeHe.

Bill Vorn, Copacana Sex Machine. Photo: D.R.

Ces démarches artistiques se présentent essentiellement sur un mode ludique tout en portant une force qui met en œuvre le public (le sens public, l’espace public) et vise l’instauration d’une forme politique. C’est ici que la désobéissance prend corps, non pas comme une posture, mais à travers des dispositifs et des pratiques, des objets et des tours de main. Cela témoigne autant d’un art de faire (Michel de Certeau) que d’un art de la critique. Comme le souligne Jean-Paul Fourmentraux citant McLuhan, l’art vu comme contre milieu ou antidote devient plus que jamais un moyen de former la perception et le jugement. En s’affirmant comme tel, en prenant soin de ne plus séparer l’œuvre et l’enquête, cet art de la désobéissance s’attache à faire de l’écosystème numérique un « problème public », au sens du philosophe John Dewey, selon lequel l’art, comme expérience, est en effet toujours transactionnel, contextuel (situationnel), spatio-temporel, qualitatif, narratif, etc.

Ainsi, Trevor Plagen qui fait inlassablement œuvre de « divulgation », révélant l’existence des infrastructures et machineries occultes de la surveillance de masse mise en place par l’état américain (stations d’écoute, drones, satellites-espions, reconnaissance faciale…), pointant au passage un changement de paradigme : avec l’Intelligence Artificielle, à la question du progrès technique se superpose désormais le problème du progrès des machines (par) elles-mêmes.

Paolo Cirio, Capture. Photo : © Collectif l’Œil

Pour Paolo Cirio ce sont les « machines à gouverner » qu’il convient de démasquer pour se protéger de leurs excès coercitifs et liberticides. Comme le précise Jean-Paul Fourmentraux, il déploie une écologie de sous- veillance visant à détourner les instruments de la surveillance panoptique exercée par les détenteurs du pouvoir – la police, le gouvernement, le renseignement, les GAFA, etc. Le paradoxe étant que ces institutions, tout en revendiquant des lois de gouvernance et d’information transparentes, veillent à masquer ou dissimuler leurs propres instruments de surveillance ainsi que l’étendue et la nature du traitement des données qu’ils collectent. On rappellera sa récente installation Capture — un panorama de visages de policiers faisant écho à la loi de Surveillance Globale — censurée en France sur ordre du ministère de l’Intérieur…

On se souvient de l’ironie mordante des Lettres de non-motivation de Julien Prévieux et de son inventaire des gestes à venir (i.e. brevetés alors même que les objets auxquels ils sont censés correspondre n’existent pas encore). Julien Prévieux est aussi un adepte du « retour à l’envoyeur » et son « art du grain de sable » s’applique aussi à la gouvernance par les nombres. Le statactivisme s’apparente davantage à la pratique du judo : prolongeant le mouvement de l’adversaire afin de détourner sa force et de la lui renvoyer en pleine face. Il s’agit de faire de la statistique – instrument du gouvernement des grands nombres – une arme critique.

Jean-Paul Fourmentraux met également en avant Christophe Bruno, qui subvertit notamment les protocoles de recherche et de référencement de Google. Benjamin Gaulon (alias Recyclism) qui travaille sur l’obsolescence programmée, mettant à nu et recyclant les composants d’appareils « obsolètes », à la limite d’une autopsie électronique… Le collectif Disnovation.org (où figure Nicolas Maigret) qui expérimente les dysfonctionnements, déployant différentes méthodologies – de la profanation au sabotage – mettant à l’épreuve la construction interne des objets techniques et l’architecture des réseaux, […] apprenant à (ré)ouvrir les « boîtes noires » technologiques qui parasitent le quotidien des usagers du numérique (algorithmes de recommandation, assistants vocaux, systèmes GPS, etc.) et prônant une forme de décroissance technologique (cf. Post Growth)

Samuel Bianchini qui conçoit des images interactives, mettant le spectateur dans la boucle pour mieux le confronter aux rouages des machines de vision dans des mises en scène qui confinent parfois au rituel. Entre art, science et ingénierie, Bill Vorn — dont on connaît les créatures robotiques (Inferno, Hysterical Machines, Rotoscopic Machines, Copacabana Machine Sex) conçues avec Louis-Philippe Demers — qui interroge les processus cybernétiques et les dilemmes de la vie artificielle, jusqu’à envisager le possible déraillement des machines et robots depuis le terrain de la psychologie comportementale. Enfin, le duo HeHe (Helen Evans & Heiko Hansen) qui participe également à cette divulgation des choses cachées, celles de l’arrière-monde technologique, en l’occurrence les séquelles écologiques mises en lumière lors de sculptures environnementales éphémères (Champs d’Ozone, Toy emissions, Man Made Clouds, Nuage vert).

Laurent Diouf

Jean-Paul Fourmentraux, antiDATA la désobéissance numérique : art et hacktivisme technocritique (Les Presses du Réel, coll. Perceptions)
> https://www.lespressesdureel.com

Le philosophe Günther Anders a été le premier à penser la fin des temps, ou plutôt « le temps de la fin » qui commence dans l’immédiat après guerre, avec l’ère atomique nous condamnant à voir l’humanité sous le prisme de la catastrophe ultime, de l’anéantissement.

Mais avant que les mille soleils d’Hiroshima et Nagasaki irradient sa pensée, Günther Anders s’est tout d’abord intéressé à l’univers musical. De ce premier parcours philosophique, il ne reste qu’un projet de thèse inachevée ainsi que quelques articles et interventions rassemblés dans un recueil préfacé par Jean-Luc Nancy et édité il y a peu par la Philharmonie de Paris.

Pour comprendre pourquoi Günther Anders a abandonné cette voie, il faut revenir dans les années 20 en Allemagne. Il passe son doctorat sous la direction de Husserl et continue ensuite ses études avec Heidegger. À cette époque, il rencontre Hannah Arendt qui sera sa première épouse. L’avenir semble tout tracé et il entame des travaux visant une habilitation, soit le titre de professeur, à l’Université de Francfort. Mais la machine se grippe. Un membre du jury — un certain Theodor W. Adorno… — émet des réserves qui lui valent un refus.

La voie universitaire lui étant désormais fermée, celui qui s’appelle encore Günther Siegmund Stern se tourne alors vers la presse. C’est Berthold Brecht qui lui met le pied à l’étrier. Il écrit dans un journal à Vienne, en Autriche. Son rédacteur en chef lui demande de prendre un pseudo. Ce sera Anders (« l’Autre » — autrement en allemand). En parallèle, sous son vrai nom, il continue d’écrire des textes philosophiques.

Les années 30 arrivent. Le bruit de bottes se rapproche. Il transite à Paris où il retrouve son cousin… Walter Benjamin, et rencontre Stefan Zweig. Avant qu’il ne soit trop tard, il finit par s’exiler aux États-Unis où il côtoie notamment Herbert Marcuse. Il ne rentre en Autriche qu’en 1950. Les temps ont dramatiquement changé. Sa pensée aussi. Il y a eu une cassure et un gap… Günther Anders appelle cela la « volte ».

Après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale et l’abîme ouvert par les armes nucléaires, Günther Anders bascule donc dans un questionnement plus « existentiel » (si l’on ose dire) ; allant jusqu’à renier ses travaux sur la musique bien que ce domaine l’attire toujours comme l’attestent les articles qu’il écrira plus tard.

Ce sont des textes « sociologiques » plus factuels, comparés au manuscrit de sa thèse rejetée qui nous plonge dans les arcanes de la philosophie (Schopenhauer, Nietzsche, Hegel, Kant, Fichte, Cassirer, Schelling…) et de la musique classique (de Berlioz et du « barbare de Bayreuth » aka Wagner à Debussy…).

Mais reprenons le fil de sa pensée première en nous interrogeant sur ce que peut être la musique, comme objet et champ de réflexion, pour un phénomélogue. Appréhendée au plus près de sa manifestation, comme phénomène et comme expérience pour la conscience, la musique se distingue avant tout par le rapport au temps spécifique qu’elle introduit pour l’individu qui écoute. La musique crée une bulle, une enclave dans le continuum de la vie humaine. Ses formes, ses mouvements sont anhistoriques. En d’autres termes, le temps musical n’est pas un temps historique.

De même, la musique a beau déclencher un mouvement dans l’espace : danse, marche, etc., posséder son espace propre, ayant une voluminosité, une épaisseur, une ténuité, une hauteur et une profondeur, être capable d’absorber notre espace réel, de l’abolir ou de le remplir — elle n’a pourtant rien à voir avec l’espace comme système de coexistence juxtaposée. Certes elle s’inscrit indéniablement « dans » l’espace […], mais elle est à la fois nulle part et partout où on l’entend […] et ne trouve jamais son unité dans une limitation spatiale.

Cette autonomie particulière de la musique qui crée sa propre temporalité et spatialité amène Günther Anders à penser avant l’heure l’écoute nomade. Bien que les techniques et moyens de diffusion de l’époque n’offrent pas encore une nomadisation comme on la connaît actuellement. C’est la radio qui lui permet de penser ce nouveau rapport au son qui conjugue déambulation et immersion.

Seule la radio abolit radicalement la neutralité spatiale qui convient à la musique. On sort de chez soi, en ayant encore dans l’oreille la musique du haut-parleur, on est en elle — elle n’est nulle part. On fait dix pas, et la même musique s’élève de chez le voisin. Or, comme ici aussi il y a de la musique, cette dernière est ici et là, plantée dans l’espace comme le seraient deux piquets.

Autre « anticipation » qui découle directement du rapport spatio-temporel induit par la musique, les systèmes d’écoute en stéréo et la spatialisation du son. Günther Anders s’intéresse au « stéréoscope acoustique » qui correspond au dispositif de visualisation dédoublé d’images qui donne une impression de profondeur, de réel, de 3D là aussi avant l’heure. Mais il ne conçoit ce volume, cette épaisseur, cette dimension immersive, qui peut aussi s’obtenir par une diffusion simultanée sur deux radios, plus pour des oeuvres musicales du XIXe siècle, lourdement orchestrées, que pour les fugues de Bach…

Selon la formule de Günther Anders, la musique est une situation insulaire. Mais c’est aussi, en jouant sur les mots, un archipel qu’il n’est pas toujours facile d’explorer, dès lors que nous sommes reclus sur notre île… Le texte le plus parlant à cet égard est celui où Günther Anders soumet littéralement à la question un « musicien exotique » (c’est sa propre expression qui reflète bien son époque…) ; en l’occurrence un musicien indien du nom de Dilip Kumar Roy.

Celui-ci lui rétorque d’emblée : vous ne voulez pas savoir ce que je sais de votre musique, mais comment je l’entends… Et de poursuivre : ce qui m’a d’abord déconcerté, c’est que dans votre musique savante, les tons étaient toujours isolés, jamais mariés. Le passage d’un do à un do dièse, même legato, restait toujours un passage, jamais un ton ne naissait de l’autre sans solution de continuité.

Notre matériau primaire est tout autre : certes nous avons aussi des gammes, avec des tons précis, rationnellement espacés les uns des autres ; mais ces tons distincts ne sont pourtant que des nœuds sur une corde. Or, chez vous, je ne vois que les nœuds ; où est passée la corde ? Où sont passées les transitions continues d’un ton à l’autre ?

Plus loin, Dilip Kumar Roy souligne d’autres particularismes. Votre musique — si l’on met à part les récitatifs et les cadences — se limite en effet à des possibilités extrêmement simples. Vous n’allez presque jamais au-delà du système quaternaire… Mais il souligne aussi, en retour, la différence ou plutôt la divergence qu’il existe sur la notion, plus exactement le cadre dans lequel un musicien joue une pièce.

Dans la tradition indienne une œuvre n’est ni déjà là sous [sa] forme, ni entièrement inventée. Le musicien indien ne la compose pas complètement, et ne la reproduit pas non plus complètement. À l’opposé, ces « alternatives » n’existent pas pour un musicien occidental. En tant qu’interprète, il est confronté à la notion d’œuvre d’art identique. En tant que compositeur, par contre, il peut explorer tous les possibles ; ouvrant ainsi à une « évolution musicale » constante, là où la musique indienne reste prisonnière, même dans l’improvisation, d’une trame de fond indépassable.

Günther Anders s’intéressant à la musique instrumentale (classique), on se prend à rêver à ce qu’il aurait pu penser des musiques électroniques actuelles dans toutes leurs diversités. Peut-être en aurait-il tiré de nouvelles approches, une autre phénoménologie de l’écoute qu’il esquisse également dans un des textes présentés… À l’inverse, peut-être aurait-il été dérouté par l’ambient ou le dub (au hasard, as usual…).

Possible, car s’il reste à l’écoute des nouvelles formes d’expressions musicales qui émergent après-guerre, dont la musique sérielle, le jazz, la musique électroacoustique avec Stockhausen, en revanche, comme le note Reinhard Ellensohn dans la postface, il semble perdre pied (sans mauvais jeu de mots…) à l’écoute de Boulez : même moi, je n’y comprends plus rien

Laurent Diouf

Günther Anders, Phénoménologie de l’écoute (éditions Philharmonie de Paris / coll. La Rue Musicale, septembre 2020)

> https://librairie.philharmoniedeparis.fr/

Médium, infra-médium, média, intermédia, transmédia, multimédia, cross-média, post-média… Ces multiples glissements sémantiques recouvrent moins une réalité plurielle qu’une pluralité conceptuelle. Tentative d’éclaircissement avec l’ouvrage collectif Art, Medium, Media dirigé par Pascal Krajewski, au travers d’une douzaine de contributions signées notamment par Lev Manovich ou John Barber, et dont la plupart ont précédemment publié dans la revue en ligne l’Appareil.

Si les termes « médium » et « média » nous ramènent inexorablement aux thèses de McLuhan, il convient néanmoins de s’en éloigner un peu pour appréhender la portée de ces termes appliqués à l’art à l’ère du numérique. Comme le souligne Pascal Krajewski dans son texte introductif, si l’informatique a accouché de la notion de multimédia, c’est peut-être qu’elle est moins un nouveau médium qu’un « infra-médium », sur lequel les autres peuvent se greffer et apparaître presque tels qu’en eux-mêmes. Toute l’ambiguïté vient de ce que l’on projette dans cette terminologie : l’irruption des nouvelles technologies dans l’art a produit l’avènement d’un « art des nouveaux média(s) », à l’appellation aussi discutable qu’étonnante. Sont concernés a priori les arts usant de l’électronique (puis de l’informatique), d’Internet et des interfaces interactives, pour produire des œuvres d’un nouveau genre. S’il s’agit vraiment de l’art d’un seul nouveau médium — celui du numérique — pourquoi le qualifier d’un pluriel nébuleux (« les nouveaux médias ») ?

Pour John Barber cette « polysémie » résulte d’une multiplicité d’objets ou d’actes désignés qui varie, en plus, selon la source, le vecteur ou l’émetteur : un médium est un canal de production/transmission de contenu culturel et d’information. Au pluriel, nous pourrions parler de « médiums », mais on emploiera plus couramment le terme « média ». Ce passage au pluriel donne une tout autre ampleur à l’objet en question […] Pour les universitaires et les critiques culturels, le terme « médium », toujours pris comme substantif, pourrait encore signifier une prothèse, un appendice, une extension du sensorium humain comme dans la célèbre citation du théoricien de la communication Canadien Marshall McLuhan : « le médium est le massage [message] ». Il voulait signifier par là que la technologie façonne la sensibilité humaine. Pour les artistes, le nom « médium » peut aussi bien désigner un volume à la surface duquel ils peuvent concevoir, créer et critiquer l’autonomie et la pureté de l’art, que le matériau ou la forme d’une expression artistique. Si un artiste utilise plusieurs médiums en même temps, les oeuvres d’art qui en résultent sont dites « multimédia ».

Si, comme le souligne Pascal Krajewski, cette terminologie trouve son point de départ avec Clement Greenberg qui a popularisé l’idée de « médium » dans le champ de la critique d’art et plus globalement de l’esthétique en 1940, à ce modernisme auquel était appliqué cette formulation a succédé ensuite l’usage d’un « volapük » pétri de néologismes et d’anglicismes dont use et abuse le microcosme du monde numérique (artistes, journalistes, curateurs…). Sans parler, pour les francophones, de l’écueil d’une traduction littérale : une difficulté supplémentaire tient à l’importance et à la spécificité de la terminologie anglo-saxonne. Car l’anglais ne connaît que le couple medium/media (singulier/pluriel), pour évoquer tout ce qui touche à la transmission d’un contenu – de sorte que la télévision est un médium pour le locuteur anglais, tandis qu’elle est un média pour le locuteur français. L’emprise de l’anglo-saxon étant particulièrement prégnante dans les industries culturelles comme dans le numérique, l’incompatibilité terminologique entre notre approche et la leur sera particulièrement épineuse…

Pour élargir ce point de vue, certains intervenants remontent aux temps pré-numériques pour développer leurs analyses : Giuseppe Di Liberti esquisse une préhistoire du médium chez Diderot et Danielle Lories invoque Kant. Tandis que d’autres contributeurs s’appuient sur des pratiques plus contemporaines et diverses, et pas forcément hig-tech : le dessin pour Lucien Massaert, la BD pour Pascal Krajewski, le dessin animé pour Jean-Baptiste Massuet, la radio pour John Barber… Ou bien encore les fictions, Strange Days, la réalité virtuelle, les jeux vidéo et, plus surprenant, les collages audiovisuels des Residents ou d’EBN (Emergency Broadcast Network) pour Jay David Bolter et Richard Grusin qui développent la notion de remédiation : toute médiation est remédiation parce que chaque acte de médiation dépend d’autres actes de médiation. Continuellement, les média se commentent, se reproduisent, se remplacent entre eux, et ce processus est inhérent aux média.

Pour Lev Manovich, cette problématique s’enracine dans le « surgissement » de la technologisation de la culture. Dans le dernier tiers du XXe siècle, divers développements culturels et technologiques ont conjointement vidé de son sens l’un des concepts clés de l’art moderne – celui de médium. […] Une autre mutation du concept de médium est survenue lorsque de nouvelles formes culturelles fondées sur les technologies récentes ont progressivement pris place à côté de l’ancienne typologie des médiums artistiques. La bascule étant complète dès lors que les critères d’unicité et/ou de rareté, point aveugle d’une œuvre d’art, se sont retrouvés enchâssés dans un contexte technique autorisant la reproductibilité à l’infini. Lorsque les artistes commencèrent à utiliser les technologies des médias de masse pour faire de l’art, l’économie du système artistique leur prescrivait de créer des éditions limitées, mais en utilisant à présent des technologies conçues pour la reproduction de masse, et ce de façon tout à fait contradictoire (ainsi, en visitant un musée d’art contemporain, vous pouvez trouver des objets conceptuellement paradoxaux tels qu’une « cassette vidéo, éditée à 6 exemplaires » ou un « DVD, édité à 3 exemplaires »). Peu à peu, ces lignes de partage sociologiques entre les différents mécanismes de distribution, renforçant les autres fractures sociologiques déjà mentionnées, devinrent des critères prépondérants pour distinguer différents médiums, plus que les anciennes distinctions construites sur le matériau utilisé ou sur les conditions de réception. En bref, la sociologie et l’économie prirent le pas sur l’esthétique.

Pour Lev Manovich, ce ne sont là que quelques exemples des limites du concept traditionnel de médium dans notre culture post-numérique (ou post-Internet). Et pourtant, malgré l’insuffisance évidente de la notion de médium pour décrire les réalités culturelle et artistique contemporaines, celle-ci persiste. Pour contrer cette inertie conceptuelle, il souhaite jeter les bases d’un nouveau système théorique apte à remplacer le vieux discours des médiums en proposant une description plus adéquate de la culture postnumérique, post-Internet. La solution pour sortir de cette impasse sémantique c’est, peut-être, de remplacer la notion de médium par de nouveaux concepts issus de l’informatique et de la culture d’Internet. Ces concepts pouvant être utilisés à la fois littéralement (dans le cas effectif de la communication par ordinateur), mais aussi métaphoriquement, dans un sens élargi (dans le cadre de la culture pré-informatique).

Laurent Diouf

Art, Médium, Média, sous la direction de Pascal Krajewski (L’Harmattan / coll. Esthétiques, 2018)

> http://www.editions-harmattan.fr/

À l’été dernier, nous vous parlions des mondes virtuels de Pia MYvroLD, à propos de la deuxième « version » de son exposition interactive à la Vitenfabrikken de Sandnes en Norvège : Art Avatar 2. À l’automne 2017, c’est à Paris, à la Galerie Lélia Mordoch tout au long du mois d’octobre, que l’on retrouve cette artiste pionnière des arts multimédias.

Intitulée Transforming Venus, cette nouvelle exposition permet d’apprécier les différentes facettes de son travail : peintures 3D, sculptures intelligentes (smart sculptures), installations vidéos, performance de réalité virtuelle… Formes ondoyantes aux reflets de mercures, assemblages électroniques, créatures aux couleurs changeantes en lévitation…

Un livre — édité en parallèle par la Galerie Lélia Mordoch avec des textes signés par Christine Buci-Gluckmann, philosophe et professeure d’esthétique — remet en perspective la démarche de Pia MYrvoLD qui, depuis les années 80/90s, n’a cessé d’explorer les supports, domaines et technologies (peinture, sculpture, architecture, mode, danse, vidéo, systèmes d’interface) dans ses œuvres multiples guidées par le mouvement, la connection et l’interaction.

Une exploration esthétique qui se prolonge dans le virtuel, ouvrant la porte à de nouvelles formes d’exposition muséale ainsi qu’à une redéfinition du rôle du public le processus créatif. Pour Pia MYrvoLD, le symbole de cette révolution est la figure ancestrale de la Vénus, source d’inspiration primordiale que l’on retrouve métamorphosée dans ses créations.

Pia MYrvoLD, Transforming Venus (100 pages, édité par la Galerie Lélia Mordoch)
> www.leliamordochgalerie.com
> www.pia-myrvold.com

piamyrvold_venus2

Les jeux vidéos, accusés de tous les maux il y a encore quelques années (désormais ce sont les réseaux sociaux qui servent de paratonnerre…), font l’objet de multiples études sous l’impulsion d’une nouvelle génération de chercheurs en sciences humaines. À la suite des pionniers de l’OMNSH (Obersvatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines) et de philosophe comme Mathieu Triclot (Philosophie des jeux vidéos), Julie Ruocco s’interroge sur notre subjectivité esthétique à l’épreuve du jeu vidéo

Aujourd’hui, les jeux vidéos pèsent plus lourd que l’industrie du cinéma, ce qui a considérablement changé le regard des puissances économiques et politiques sur ces nouveaux divertissements. C’est d’ailleurs par rapport au cinéma que se posent la singularité et le rapport à la modernité des jeux vidéos. Là où le cinéma enregistrait le monde pour le soustraire à sa propre déliquescence, le jeu vidéo crée des formes sans qu’aucune matérialité contingente ne leur préexiste. Cet acheminement des formes vers une existence autonome ne pouvait se faire que par le nouvel instrument de la modernité : l’ordinateur (p.64). Le tout en inversant le rapport à « la machine numérique » : les jeux vidéo réinventent des affects de vitalité et une méta-sensibilité au cœur du dispositif informatique censé les dompter (p.188).

Julie Ruocco opte pour une appréhension globale du jeu vidéo, pour en saisir les spécificités. Elle appréhende le jeu vidéo comme une expérience réifiée (le jeu vidéo est une expérience vendue comme marchandise, Mathieu Triclot), un tissu d’expériences irréductibles à leur support extérieur (p.22), une expérience vidéo-ludique qui se transcende dans un appel au code qui se fait l’écho ondoyant de notre conscience et qui « raisonne » sur les parois de l’univers virtuel. C’est cette dialectique entre servitude et anarchie qui unit le joueur au dispositif. Elle fait apparaître la double tension entre l’injonction et la multiplicité des possibles (p.169).

Partant de ce postulat, Julie Ruocco pose le questionnement suivant : Dans quelle mesure l’expérience qui se déploie entre la subjectivité du joueur et la structure numérique du médium peut être qualifiée d’artistique ? Quelles sont les propriétés du jeu vidéo qui font de cette tension une expérience esthétique unique ? Les spécialités de l’engagement vidéo-ludique ont-elles des conséquences sur la subjectivité moderne et notre rapport à l’art ? (p. 34). On observe tout d’abord que la finalité du jeu est dans la perte (p.45), tel un lapsus intrinsèque… En d’autres termes selon Mathieu Tricolt, l’expérience de l’arcade se cristallise dans l’instant qui précède la chute, le vertige ultime, l’acmé avant le Game over fatal (p.45).

Mais ce vertige change de nature, de plan plus exactement, lorsque les jeux quittent les bars et les salles pour conquérir les salons grâce aux consoles. Avec les jeux de plateformes, à commencer par celle de l’emblématique plombier Mario, on peut (en théorie du moins) aller au bout d’une structure narrative simple et explorer différents tableaux d’un univers où le regard se distille dans chaque pixel et où le mouvement se redouble d’onomatopées électroniques (p.53). Ensuite, avec l’arrivée de mondes plus développés, type GTA par exemple, l’exploration prend cette fois des allures de dérives situationnistes; l’option multi-joueur (MMORPG) ouvrant la porte à une guerre sans fin… Sachant que, dans ce type de jeu vidéo, la mort est omniprésente mais jamais définitive, elle devient un principe ludique alors qu’au cinéma ou au théâtre elle était la marque de la fatalité irrévocable (p.107).

Au fil du temps, les jeux vidéo ont vu leur graphisme évoluer jusqu’à singer le cinéma, y compris au niveau de leurs univers de plus en plus scénarisés, mais le mode d’immersion qui en résulte diffère singulièrement de celui du 7ème art. À cette magnétisation collective et anonyme, le jeu vidéo oppose un écran individuel qui s’intègre à l’espace domestique (p.92). De plus, si la fiction cinématographique s’éprouve dans la dispersion des sens et l’engourdissement de la conscience, le jeu vidéo nécessite une concentration optimale. En cela, ses modalités d’engagement diffèrent fondamentalement des autres expériences esthétiques narrativisées (p.93). […] Le surinvestissement de la perception qui caractérise l’état vidéo-ludique s’oppose donc au somnambulisme halluciné du spectateur; principalement parce qu’il substitue la question de la contemplation à celle de l’action (p.95).

Le jeu vidéo inaugure bien un rapport à soi inédit au travers des sollicitations multiples et incessantes qu’il provoque, à rebours de la contemplativité d’autres activités de divertissement comme le cinéma. À travers le gameplay, ses répétitions, le type d’émotion et la posture cognitive qu’il suscite, les jeux vidéo ont engendré un nouveau rapport à notre subjectivité (p.150). C’est dans cette sollicitation incessante que se situe la singularité du jeu vidéo. La racine radicale de la rupture avec les autres média réside dans l’engagement interactif qui se noue entre le code et notre subjectivité. Que ce soit à travers le regard performatif du joueur ou de la dialectique qu’il doit perpétuellement entretenir avec le système, l’engagement vidéo-ludique se caractérise par un état de surinvestissement cognitif et émotionnel capable de reconfigurer un espace intermédiaire inédit, modulé par une perpétuelle négociation entre notre subjectivité externalisée par la modélisation numérique et les injonctions des algorithmes (p.115).

Laurent Diouf

Julie Ruocco, Et si jouer était un art ? Notre subjectivité esthétique à l’épreuve du jeu vidéo (L’Harmattan, Ouverture Philosophique, 2016)

MNÉMOSYNE

François Boutonnet — docteur en cinéma et chercheur à l’ESVA (École Supérieure d’AudioVisuel, université de Toulouse) — s’interroge sur les arts de la mémoire, sur la manière et les artefacts que l’homme a déployés pour graver ses connaissances, s’en souvenir et les transmettre. Tout un protocole et des techniques qui s’apparentent à un « art global » dont les principes résonnent avec ceux de la création multimédia contemporaine.

Alors que nous sommes de plus en plus « assistés » (smartphone, etc.) et que nos mémoires flash sont désormais soudées, difficile d’imaginer comment les sociétés « pré-technologiques » organisaient la transmission du savoir avant même l’invention de l’écriture. Seuls des moyens mnémotechniques permettaient d’apprendre, de conserver et de restituer les connaissances religieuses, culturelles et scientifiques. Avoir vu un griot (un vrai, pas un joueur de kora pour touristes en charter…), en donne vague idée : souvenir d’un vieil homme assis en tailleur dans la pénombre d’une pièce sans fenêtre, les yeux mi-clos, dodelinant de la tête, qui entame le récit des origines pendant des heures et des heures, fruit d’un apprentissage de toute une vie… Sa technique de mémorisation passe par le chant, mais aussi par des images et des associations d’idées. C’est à cette pensée « visuelle », en images », mais au travers du prisme et de la culture occidentale, que s’intéresse François Boutonnet.

La Grèce étant l’abscisse et l’ordonnée de l’Occident, son étude part de l’Antiquité, du mythe de Mnémosyne — la déesse de la mémoire, fille de Gaia et d’Ouranos. En préambule, François Boutonnet nous rappelle que la mémoire n’est pas seulement archive et agrégat, elle est aussi instrument d’invention et de méditation. C’est bien une pensée en acte. Un média (comme support de connaissance) et aussi un multi-média dans son apprentissage et sa structuration, dans sa distribution liée à l’espace, au lieu, au mouvement et à l’image, dans ses principes d’association et de répétition, dans son protocole de fixation et révélation (au sens photographique) de la connaissance.

Avec les Grecs apparaissent des lieux dédiés à la mémoire. L’apprentissage se fait en mouvement, la fixation se fait par déambulation, selon un ordre pré-établi. Le lieu se donne comme support, les images comme écriture, la déambulation comme lecture. La figure du labyrinthe deviendra centrale dans les dispositifs de mémorisation, comme processus dialectique… Par la suite, de la Grèce au Moyen-Âge, les chemins initiatiques, les jardins ordonnés et les palais de mémoire seront les lieux ordonnancés où s’exerce la mémoire. Et dont les principes sont encore actifs à l’ère numérique. Les dispositifs nés il y a deux millénaires trouvent aujourd’hui avec Internet des développements dont la diversité et l’ampleur sont sans commune mesure avec les techniques des mnémonistes de l’Antiquité. Ce sont pourtant les mêmes principes qui sont mis en oeuvre : principes d’ordonnancement, parcours répétitif, lien image-langage (p.114).

De ce point de vue, les arts de la mémoire préfigurent bien l’arrivée des images en mouvement — de l’image-mouvement — et, au-delà, de la modernité numérique où les idées, sentiments et rapports au monde s’expriment de plus en plus par des visuels (smileys, selfies, etc.). Un état de fait qui ouvre, plus tard, sur d’autres questionnements : à la mise en mouvement des images, répond la mise en question des lieux (p.64). De même pour l’espace considéré comme produit d’une activité mentale, lieu des possibilités virtuelles de déplacement, tant dans les arts numériques de ce début du XXIe siècle que dans les scénographies médiévales.

À chaque époque les couplages lieux-pensée-image ont bouleversé le statut des lieux et des images. Le XVIIe siècle de Giordano Bruno représente certainement une sorte de climax dans ces interactions, avant que la Réforme et la montée en puissance de l’imprimerie n’ouvrent une longue parenthèse d’obscurité pour les arts de la mémoire (p.69). Après l’écriture, qui opère donc un changement de paradigme pour la mémorisation, le retour à la primauté de l’image (animée ou non) signe une nouvelle ère régie par des principes immémoriaux; l’art numérique obéissant à ces mêmes lois, ou plutôt retrouvant ces lois de manière inconsciente, non intentionnelle, en privilégiant de nouveau les interactions entre audio et visuel.

L’invention de l’imprimerie était venue interrompre, à la Renaissance, le recours à la mémoire en imposant de nouvelles règles à la communication : fixité des contenus, mise en lumière de l’auteur, passivité du lecteur. Ces règles ont largement dominé pendant trois siècles le livre, mais aussi le théâtre, la peinture, les arts graphiques, la musique, la photographie… et le cinéma. Ces règles sont aujourd’hui pulvérisées par les technologies numériques, qui ferment la parenthèse d’exclusivité Gutenberg, et replacent les Palais de Mémoire dans le jeu de la communication (p.93).

Laurent Diouf

François Boutonnet, Mnémosyne. Une histoire des arts de la mémoire de l’Antiquité à la création multimédia contemporaine (Dis Voir, 2013)

mnemosyne

TECHNOMEDIA

Les blogs et réseaux sociaux sont un formidable terrain d’expérience pour les sciences humaines. Un laboratoire où les cobayes consentants — mais pas toujours « conscients » — se laisse observer en temps réel… On se souvient notamment de l’étude de la philosophe Anne Cauquelin sur l’exposition de soi sur Internet (du journal intime aux webcams). Pour sa part, Anne Petiau s’intéresse à cette « manifestation » en auscultant les tribus adolescentes.

Docteure en sociologie, chargée de recherche à l’ITSRS (Institut de Travail Social et de Recherches Sociales) et toujours associée au CEAQ (Centre d’Étude sur l’Actuel et le Quotidien basé à Paris V et placé sous l’égide de Michel Maffesoli), Anne Petiau fait partie de la « génération techno » qui a placé cette révolution musicale au centre de bons nombres de ses travaux. Pour cette étude, elle en exhume un ultime avatar: la tektonik; que l’on espère aujourd’hui définitivement enterrée…

Mais l’ampleur du phénomène chez les adolescents au mitan des années 2000 en fait un objet d’étude idéal. On y trouve, cristallisés, tous les éléments qui concourent habituellement à affirmer l’identité culturelle et sociale de l’individu en cette période cruciale de l’existence : lieux, mode, musique, danse, affinités électives, etc. En cela, tout est conforme à l’expression de la culture juvénile telle qu’elle s’exprime en Occident depuis le surgissement du rock… La différence étant dans la modalité de cette expression. Par rapport à leurs aînés, cette génération est plus dans l’overground, la monstration que dans la dissimulation, l’underground. Plus narcissique ?

La question est effectivement posée par Anne Petiau. La réponse est — partiellement — à aller chercher dans du côté d’Internet. Le web 2.0 et, désormais, les smartphones signent la fin des « médias de masse » classiques en ouvrant l’avènement du « média des masses » ou de la « communication de masse individuelle » qui exacerbe aussi le désir de starification. C’est dans « les mailles du réseau » que se jouent aussi des processus plus contemporain, une redéfinition des frontières entre espace privé et espace public Les jeunes ne sont pas les seuls à y être confrontés, mais ces enjeux sont sans aucun doute plus aigus à ce moment de la construction identitaire…

Anne Petiau, Technomedia – jeunes, musique et blogosphère (éditions Seteun, 2011).
Infos: www.seteun.net

CAPTURE

Installations interactives, génératives et sonores… Photographies, sculptures, performances internet et vidéo… C’est une monographie des créations de GRÉGORY CHATONSKY que viennent de publier les Éditions HYX. Préfacé par Michael Joyce, pionnier de la littérature hypertextuelle, ce livre inventorie minutieusement chaque œuvre, offrant un descriptif précis en notifiant, par exemple, le minutage et logiciels employés s’il y a lieu.

Rassemblées sous la thème de la Capture, s’étageant pour la plupart sur la décennie qui vient de s’écouler, les pièces sont rassemblées sous 4 catégories : Dislocation, Flußgeist, Variations & Variables et Fictions. Ces chapitres s’ouvrent sur des textes signés par Nathalie Leleu, Jay Murphy, Pau Waelder et Violaine Boutet de Monvel. Des textes touffus et denses qui analysent au plus près les procédés mis en œuvre par Grégory Chatonsky. Ainsi que les résonnances de ses créations avec le temps qui passe, qui « casse » : les notions de flux et d’incident — Grégory Chatonsky étant co-fondateur de la plate-forme artistique expérimentale Incident.net avec Karen Dermineur — sont au cœur de son travail.

Mêlant le réel et le fictif, le virtuel et le matériel, ses œuvres s’enracinent dans le monde (Traces of conspiracy, Memory Landscape, La révolution a eu lieu à New York, The World Report, Incident of the Last century 1999 Sampling Sarajevo) tout en laissant une part de rêve (Netsleeping, Seule); ou plutôt de rêvenence, pour reprendre le terme employé par Michael Joyce en référence aux déambulations cyber-spectrales proposées avec Reynald Drouhin (Revenances).

Grégory Chatonsky, Capture (Éditions HYX / collection O(x), édition bilingue français / anglais, 2011)
Site: http://gregory.incident.net/Infos: www.editions-hyx.com