Le titre de cette double exposition consacrant l’artiste Boris Labbé est emprunté à Henri Michaux. Animation, installation vidéo, scénographie, mapping… Les œuvres présentées à l’Espace culturel départemental – 21 bis Mirabeau (jusqu’au 20 février 2022) et au Musée des Tapisseries à Aix-en-Provence (à partir du 3 décembre 2021 jusqu’au 6 mars 2022) constituent une véritable monographie.

Cette célébration est proposée à l’initiative de Seconde Nature et Zinc, sous la bannière de Chroniques, la biennale des Imaginaires Numériques dont la troisième édition se tiendra du 10 novembre 2022 au 23 janvier 2023 autour de la thématique de la nuit. Boris Labbé était au programme de l’édition 2020 de Chroniques avec La Chute; un film précédemment sélectionné dans le cadre de la Semaine de la Critique du festival de Cannes 2018.

Né en 1987 à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), Boris Labbé est passé par l’École des Beaux-arts de Tarbes (ESACT) puis par l’École d’animation d’Angoulême. On ne sera donc pas surpris de retrouver ces deux fillière (dessin traditionnel et cinéma d’animation) dans son travail. Une hybridation que l’on voit à l’œuvre dans les vidéos et installations présentées dans cet « infini turbulent », qui témoignent d’une bonne décennie de pratique et d’expérimentations alliant techniques numériques, images animées et références plus classique à la peinture et au dessin.

C’est le cas notamment pour Il(s) tourne(nt) en rond (2010) et Kyrielle (2011). Deux œuvres d’animation présentées au 21 bis Mirabeau qui sont imprégnées de la peinture des primitifs flamands et des codes des classiques du cinéma d’animation expérimental : l’envahissement de l’espace par les personnages, la métamorphose, une narration en boucle.

Pour son exposition à l’espace culturel départemental – 21, bis Mirabeau, Boris Labbé propose un parcours qui présente deux de ses premières œuvres d’animation, Il(s) tourne(nt) en rond (2010) et Kyrielle (2011). Ces œuvres de “jeunesse” révèlent les thématiques et obsessions de l’auteur, développées par la suite : le goût pour la peinture des primitifs flamands, mais également une filiation à peine dissimulée avec des classiques du cinéma d’animation expérimental, l’envahissement de l’espace par les personnages, la métamorphose, une narration en boucle.

Dans la galerie gothique du Musée des Tapisseries, Boris Labbé propose une recréation du travail de scénographie réalisé pour le chorégraphe Angelin Preljocaj en 2020 : Le Lac des Cygnes. L’installation vidéo, réagencée, retravaillée, re-sonorisée, ne garde du titre original que la première partie : Le Lac (2020). Les vidéos montrent les éléments primordiaux (l’eau, la fumée, les nuages, les oiseaux, la forêt, l’architecture, une usine…) qui sont en tension permanente les uns par rapport aux autres.

D’autres travaux et vidéos s’inspirent des danses et chants traditionnels des Aïnous, peuple oublié du Nord du Japon (la série Sirki, 2020), des mouvements et glissements de terrain à l’origine de la formation des montagnes (Orogenesis, 2016), d’un organisme qui ne trouve jamais sa forme finale, mais qui cherche toujours à se renouveler, faisant ainsi référence explicitement à Deleuze et Guattari (Rhizome, 2015). À visionner en méditant sur cette citation d’Henri Michaux  : On est entré dans une zone de chocs. Phénomène des foules, mais infimes, infiniment houleuses. Les yeux fermés, on a des visions intérieures.

Boris Labbé, L’Infini turbulent, exposition – monographie à Aix-en-Provence
> 21 bis Mirabeau – Espace culturel départemental, jusqu’au 20 février 2022
> Musée des Tapisseries, jusqu’au 6 mars 2022.
> Église de la Madeleine, mapping projeté sur la façade tous les jours de 18h à 21h, jusqu’au 24 décembre 2021

> https://www.borislabbe.com/
> https://chroniques.org/event/linfini-turbulent-boris-labbe/

Art, Open Heath & Radical Care

Open Source Body est un festival transdisciplinaire organisé tous les deux ans par le medialab Makery.info afin de favoriser les rencontres et les collaborations entre artistes et professionnels de la santé et de la recherche biomédicale.  

De cette confrontation entre l’univers médical et artistique naît un questionnement multiple : Comment l’art peut-il soulever des questions d’équité dans l’accès aux soins ? Comment répondre à l’exclusion des groupes marginalisés des soins de santé ? Comment favoriser des soins radicaux en ces temps de pandémie ?

En mai 2021, du 20 au 23, Open Source Body s’associe à la Cité Internationale des Arts et au tiers-lieu Volumes Paris pour 3 jours de conférences, discussions, ateliers et performances. Le festival s’organise également dans le contexte d’ART4MED.EU —programme Europe Créative de l’Union Européenne coordonné par le medialab Makery.

ART4MED mène des résidences d’artistes dans des institutions biomédicales. Open Source Body permettra aux structures partenaires du medialab Makery — Waag, Labae, Kersnikova, Bioart Society — de présenter l’état de développement de leurs résidences.

Au programme, parmi les participants et intervenants, l’artiste suisse Maya Minder qui développe le projet Green Open Food Evolution — narration spéculative autour de l’idée de « devenir Homo Photosyntheticus » — ainsi qu’une recherche artistique sur les algues alimentaires, le microbiote humain et les symbioses animal-plante dans le cadre d’une résidence ArtExplora à la Cité Internationale des Arts. Maya Minder proposera une série d’interventions et d’invitations avec le collectif Suisse Badlab Project.

La cinéaste suisse Sandra Bühler autour des paroles de scientifiques collectées lors de la phase de recherche du projet Green Open Food Evolution, en partenariat avec l’initiative Roscosmoe menée par Ewen Chardronnet et le laboratoire M3 de la Station Biologique de Roscoff (CNRS – Sorbonne Universités) ; la chercheuse Myra Chavez de l’Institut d’Anatomie de Berne et le réseau Hackteria d’art biologique open source.

Le chercheur et commissaire d’exposition Jens Hauser viendra proposer une lecture des axes de recherche à partir de ses travaux sur la symbolique de la couleur verte dans nos sociétés contemporaines et sur la microperformativité non humaine. Benoit Piéron et Nathalie Harb investiront la Petite Galerie de la Cité Internationale des Arts et proposeront aux participants de rentrer avec eux dans un décor de textile saponifié.

Annabel Guérédrat proposera une communication sur son travail de bruja dans le contexte de la prolifération des algues sargasses aux Antilles. Une conférence, suivie d’une discussion, abordera la controverse des perturbateurs endocriniens et environnements toxiques à travers une rencontre entre le collectif d’artistes Aliens in Green et l’anthropologue Mariana Rios Sandoval (CNRS).

La notion de « radical care », selon une perspective latino-américaine, féministe et post-coloniale, sera développée suivant une conférence et discussion avec la curatrice Natasa Petresin, l’anthropologue Elimia Sanabria (CNRS) et les artistes Paloma Ayala (Badlab project), Luiza Prado et Aniara Rodado. Le collectif espagnol Quimera Rosa viendra clore les deux jours de symposium à la Cité Internationale des Arts par une communication autour de leur projet Trans*Plant : ma maladie est une création artistique.

Le samedi 22 mai, le festival investira dès l’après-midi le tiers-lieu Volumes Lab / Oasis21 et son Foodlab avec deux ateliers (sur inscription) menés par Maya Minder et le collectif BadLab de Zurich. La journée se terminera par un buffet proposé par le Foodlab et une intervention du musicien slovène Janus A. Luznar qui proposera une performance audio-visuelle à partir de son rythme cardiaque.

> Open Source Body, du 20 au 22 mai, Cité Internationale des Arts et Volumes Lab, Paris.

> Infos

Itinérance créative avec Cristina Hoffmann

Synonyme de rêverie ou de folie, de mouvement hydraulique ou d’errance animale, « divagation » est un mot riche de sens.  Appliqué à la démarche artistique actuelle de Cristina Hoffmann, ce terme renvoie à un projet nomade qui sort du cadre, des cadres habituels de la création, de l’interaction et de l’exposition.

« Le Département de la divagation », auquel MCD est associé en tant que partenaire, marque le début d’un nouveau cycle dans le cheminement de Cristina Hoffmann, artiste pluridisciplinaire, ingénieure de formation et designer dans une vie antérieure. C’est bien un « cycle » comme on peut en parler à propos de certaines œuvres protéiformes de science-fiction, tant ce projet se présente sous de nombreuses facettes, toujours en mouvement et en cours d’élaboration.

Les points d’entrée dans ce projet labyrinthique, rhizomatique, sont le dessin et l’écriture. Des tracés quasi quotidiens, presque rituels, influencés par le lieu, le moment, les réactions du public, l’état d’esprit de l’artiste. Ce sont aussi les premières pierres d’une base de données qui doit nourrir un dispositif d’Intelligence Artificielle. En enregistrant les traits de ses dessins sous forme vectorielle et non pas simplement les pixels désincarnés, couplés à des phrases poétiques, Cristina Hoffmann met en place un protocole de création future, ou plutôt de co-création future, dans laquelle l’IA est un assistant (et non pas un artiste 2.0).

Le Département de la divagation se déploie en une arborescence sur laquelle se distribuent différentes sections de ce projet où se mêlent constamment recherche et création, expérimentation et participation. Ainsi, la « section des divagations mystérieuses », moins cryptique que ne le laisse supposer son intitulé, permet de rassembler diverses créations (dessins, écriture, etc.), que celles-ci soient réalisées en solitaire ou en interaction avec un public, et d’établir un protocole d’action concerté.

Celle des « divagations partagées » se rapporte aux moments et aux lieux où l’artiste développe sa création sous le regard et au contact du public. Un public qui, en retour, est invité à explorer ce travail de façon collective et participative. Dans la « section des divagations articulées », ce sont les métamorphoses des productions « brutes », issues des autres sections, qui sont mises en avant en vue d’aboutir à des pièces finies (i.e. aptes à être installées, montrées, performées, vendues, etc.).

Les « divagations artificielles » se rapportent à des collaborations avec des ingénieurs et chercheurs pour une approche plus technique, afin de comprendre le mécanisme de certains dispositifs et technologies, d’en tester les limites, de jouer de leurs dysfonctionnements, etc. La « section des divagations elliptiques », plus introspective, renvoie à des lectures et des analyses du travail d’artiste — ici centré sur la synergie image / pensée — en complicité avec la philosophe Manuela de Barros (Université Paris 8). Pas de conférence au sens strict, mais l’essai d’une autre forme de présentation et de dialogue, plus proche de la performance.

Pas d’atelier non plus, mais un « laboratoire d’expérimentation collective ». En clair, il ne s’agit pas pour Cristina Hoffmann de se transformer en animatrice ou médiatrice, mais de donner accès son univers, à son processus de création (étape en général occultée), directement et horizontalement, sans hiérarchie et avec bienveillance. Ces rencontres ouvertes avec le public trouvent donc leur acmé dans le « Laboratoire de divagation » qui permet de faire co-exister plusieurs sections, notamment « partagées » et « articulées », et aussi d’expérimenter sur les possibilités et formes d’exposition. Ici, c’est donc le principe de création qui fait œuvre et qui est exposé.

Le projet de Cristina Hoffmann est enchâssé dans « le grand jeu » d’exploration du territoire placé sous l’égide de la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs du 11ème arrondissement de Paris, qui a lieu jusqu’en septembre prochain. Il s’offre en parallèle à d’autres artistes (Benoît Labourdette, cinéaste ; Louise Emö, autrice et metteuse en scène ; Cyril Leclerc, artiste son et lumière ; Willy Pierre-Joseph, artiste du mouvement) et entre en résonnance avec la thématique de l’édition 2021 de cette initiative : Connexion, ou comment penser cette question de l’influence réciproque entre le numérique et les interactions humaines.

De fait, Cristina Hoffmann est « inter-connectée » à plusieurs lieux et publics (dont les seniors grâce au partenariat avec MCD). Outre la MPAA Breguet, Cristina Hoffmann, artiste en résidence de création depuis 2019 au Centre des arts d’Enghien-les-Bains achève actuellement un temps de travail après 1 mois de résidence, lequel sera renouvelé pour une nouvelle période de 3 semaines en mai/juin. Elle investira alors les espaces d’exposition pour y présenter l’avancement de ses recherches actuelles, mais aussi un ensemble d’installations issues de précédentes réflexions, mêlant la question de la perception et de la lumière. Un « Séminaire de la divagation », organisé sur 3 jours avec des étudiants de Paris-Nanterre / École Universitaire de Recherche ArTeC étant au programme. Une série de « Laboratoires de la divagation » aura lieu au Palais de la Femme, puis à la Gaîté Lyrique et à la Maison des Métallos. D’autres rendez-vous, certains en ligne, se succèderont jusqu’à la rentrée.

Infos
> http://cristinahoffmann.com/
> https://www.instagram.com/cristina.hoffmann/
> https://www.mpaa.fr/faire-jouer-territoire
> https://www.cda95.fr/fr/cristina-hoffmann

Le Département de la Divagation, en partenariat avec le Centre des arts d’Enghien-les-Bains, l’Eur ArTeC, l’Université Paris 8, l’Université Paris Nanterre, La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs, Le Palais de la Femme, La Maison des Métallos, le festival MIX UP, l’association MCD, le SAMUSOCIAL, le Centre social le Picoulet, le Centre Social Autremonde, le Centre Social Solidarité Roquette, la Mairie de Paris, la Mairie du 10ème et du 11ème, et la Mairie d’Enghien-les-Bains.

Un consortium pour favoriser l’interdisciplinarité entre art et science médicale

Open-source et pratiques artistiques expérimentales… La conjonction de ces deux tendances touche aussi le domaine médical ; en particulier sous l’influence des hackers et autres makers… Dans le sillage de cette nouvelle alliance, un cortège de questions sur l’appartenance du corps face à la toute-puissance des laboratoires pharmaceutiques et à la collecte administrative des données. Une problématique qui résonne étrangement dans le contexte de la pandémie actuelle.

Le projet ART4MED a pour objectif de rapprocher la recherche biomédicale et les artistes qui explorent ces questions d’accès aux soins, de droit corporel et individuel, de désacralisation de la science et, comme toujours, de détournement des technologies. Co-financé par le programme Creative Europe de l’Union européenne, cordonné par Art2M / Makery, ce consortium regroupe cinq structures partenaires : Bioart Society, Kersnikova, Laboratory for Aesthetics and Ecology, Waag Society.

L’objectif se décline également en cinq points : construire une coopération transnationale interdisciplinaire ; ouvrir de nouveaux champs d’expérimentation et de création ; permettre la fertilisation croisée et le partage des connaissances, des technologies, des compétences et des expériences ; produire des ressources ouvertes et transférables pour mieux comprendre les processus de co-création entre l’art, la science et la technologie ; susciter l’intérêt du public et le sensibiliser au rôle des artistes dans l’ouverture de réflexions disruptives

Au programme des résidences accueillant 5 projets d’artistes : Xeno-Optimizations for Arctic Survival (Emilia Tikka), The Art of Repair (Edna Bonhomme & Luiza Prado), Quorum Sensing: Skin Flora Signal System (Helena Nikonole & Lucy Ojomoko), Xenological Preterrelations (Adriana Knouf), UNBORN0X9 (Shu Lea Cheang). Ainsi que des symposiums, ateliers, expositions, interventions en ligne… Cette initiative sera couronnée par une publication et un festival à Paris en 2022.

> https://art4med.eu/

Monter et maintenir un événement par les temps qui courent tient du tour de force. Une prouesse réalisée, malgré les contraintes sanitaires que nous subissons tous, par l’équipe du Lab GAMERZ et de M2F Création qui propose trois jours d’exposition, d’ateliers, de concerts, de tables rondes et de performances sous la bannière Digital Dérives.

Inévitablement, le mot « dérive » fait penser aux situationnistes et à leur maître à penser, Guy Debord, cité en exergue de l’édito présentant cette manifestation prévue les 29, 30 et 31 octobre à Aix-en-Provence. Une dérive, donc, est une sorte d’errance dont les seules balises sont le hasard des rencontres, l’émotion des ambiances urbaines, l’expérience physique de la psychogéographie…

Concernant l’exposition Digital Dérives, ce principe s’applique à un parcours qui nous invite à découvrir des œuvres nous confrontant souvent de manière inédite, critique ou troublante aux technologies emblématiques de notre siècle. À commencer par les jeux vidéos au cœur de la performance Lipstrike de Chloé Desmoineaux qui « torpille » les violences sexistes du fameux FPS Counter-Strike « armée » de rouge à lèvres… Roberte La Rousse — pseudo qui regroupe l’artiste Cécile Babiole, la chercheuse Anne Laforet et la comédienne Coraline Cauchi — aborde aussi la question du genre au travers de la manière dont sont rédigées certaines biographies sur Wikipedia (Wikifémia – Révisions).

Il suffit d’une présentation décalée, d’un détournement ou d’une mise en abîme, pour amplifier l’obsolescence d’un objet technologique. Comme une « mise sous cloche », par exemple. Antonin Fourneau le démontre de manière dépouillée, mais efficace, en nous montrant les mouvements frénétiques d’un joystick en roue libre, pourrait-on dire ; c’est-à-dire sans être relié à un ordi, simplement « exposer » dans un cube de plexiglas (Ghostpad).

C’est ce que propose aussi Quentin Destieu avec Bobinât. Enchâssé dans des fils de cuivre, un vieux Mac sous vitrine diffuse de la musique aux sons distordus, comme son écran, sous l’effet cette bobine aux effets électromagnétiques bien connus. Avec Sylvain Huguet, ce sont les écrits numériques de toutes sortes (textes, tickets de caisse, poésie, billets de train, etc.) qui subissent aussi des « diffractions », qui se superposent, s’emmêlent, se transforment, s’évanouissent (Tout s’efface. Rien n’est immuable)…

Le collectif Disnovation.org (feat. Maria Roszkowska, Nicolas Maigret et Baruch Gottlieb) réalise des profilages numériques révélant l’envers des géants du web en retournant les algorithmes que ces entreprises développent pour cataloguer chacun d’entre nous (Profiling The Profilers). NAO (Naoyuki Tanaka) entraîne le public (restreint) dans un univers à la fois codifié et numérisé du kung-fu avec sa performance Venomous Master.

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, dont on ne compte plus le nombre de collaborations, ont balayé une large partie du spectre des « dérives » de notre époque : automatisation du traitement des produits, du vivant et des données, images virales, collecte des données et géolocalisation, mythologie des infrastructures modernes… Pour Digital Dérives, ils s’attaquent à la religion du travail au travers d’une installation vidéo (Institut de néoténie pour la fin du travail). Entre Le Monde vert de Brian Aldiss et Brazil de Terry Gilliam, ils mettent en scène des employés de bureau en proie à des tâches sans fin et sans but, prisonnier dans leur open-spaces progressivement envahit de végétation, cherchant en vain à échapper à leur sort par des dérivatifs et jeux régressifs.

Digital Dérives, du 29 au 31 octobre, Patio du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.
Entrée libre, jauge limitée, port du masque obligatoire, fermeture à 20h00.
> www.digital-derives.com

l’art du ressenti

Covid oblige, ISEA2020, initialement prévu en mai à Montréal dans le cadre du Printemps Numérique, se tiendra finalement du 13 au 18 octobre sur le réseau. Pour l’occasion, le 26ème Symposium International sur l’Art Électronique se réinvente autour d’une thématique singulière : Why Sentience?

Loin d’être une contrainte, cette édition en ligne d’ISEA2020 permet au contraire de multiplier intervenants et participants, de réaffirmer le caractère international de cette structure (anciennement Inter-Society for the Electronic Arts), de tisser des interactions et discussions avec un public encore plus large. Rappelons que cette organisation à but non lucratif fondée aux Pays-Bas en 1990 a pour vocation de favoriser le dialogue art / science. Cet événement est une vitrine des productions créatives appliquant les nouvelles technologies dans l’art électronique, l’interactivité et les médias numériques. Basée à l’Université de Brighton en Angleterre, ISEA s’était déjà déroulée à Montréal en 1995. Une édition a eu lieu à Paris en 2000. D’autres à Singapour, Sydney, Dubaï, Hong Kong, Durban…

Photo © Jeremy Segal

L’année dernière à Gwangju, en Corée du Sud, le thème choisi était celui de la lumière éternelle (Lux Æterna). Cette année, les créations, débats et propositions tourneront autour du mot composite « Sentience ». Ce terme est une contraction de ressentir-sentir-créer du sens. Concept oublié des philosophes des Lumières et d’une partie des philosophies orientales, ce mot désigne aujourd’hui tout ce qui se rapporte au ressenti du vécu, aux épreuves d’une expérience subjective. On perçoit tout ce que cela implique quant aux spéculations sur la conscience animale, par exemple… Dans le cadre d’ISEA2020, l’accent est mis sur sept axes.

Maria Molokova, Optical Hearing 2019. Photo © Ksenia Fedorova

De fait, le premier questionnement sera justement consacré à l’animalité. Le deuxième champ de questions concernera le monde écosophique, c’est-à-dire l’écologie au sens large (climatique, mentale, etc.). À l’aube de l’intelligence artificielle et de la robotique généralisée, le troisième s’intéressera au monde des machines. Le quatrième répondra à un positionnement militant en prise avec l’actualité brûlante sur les notions de « race », de « genre », de « normes »… Le cinquième questionnera la matière ; celle des corps comme celle des circuits imprimés. Le sixième fera place à la critique techno-politique (surveillance, racisme, militarisation, contrôle, inégalités, néolibéralisme…). Le dernier axe engagera une réflexion prospective planétaire autour des défis sociaux (local/global, flux migratoires, etc.).

Photo © Patricia Olynyk

On le devine à l’énoncé de ce programme, la résurgence du concept de sentience en ce début du 21e siècle est pertinente pour appréhender la période charnière qui est la nôtre de manière pluridisciplinaire ; c’est-à-dire dans l’art et le design récents, les études médiatiques, les études scientifiques et technologiques, la philosophie, l’anthropologie, l’histoire des sciences et le monde des sciences naturelles – notamment la biologie, les neurosciences et l’informatique. Concrètement, cette question centrale du ressenti au-delà, avec et autour du corps humain se retrouve amplifiée par la pandémie, comme le souligne les organisateurs d’ISEA2020. Et les propositions artistiques et technologiques présentées dans cet événement, si elles ne permettent pas toutes de répondre concrètement et immédiatement aux défis qui sont désormais les nôtres, ouvrent des pistes et permettent d’entrevoir l’éventuel monde d’après…

Photo © Jonathan Parsons

Parmi les débats annoncés, on notera des discussions axées autour de la réévalutation du travail des femmes au travers d’instruments de musique fabriqués avec des objets domestiques sous la direction de Douglas Brock, sur la prise en compte des objectifs, désirs et perceptions visuelles inter-espèces et non-humaines par Carlos Castellanos, Elizabeth Demaray, Ken Rinaldo et Amy Youngs, sur les notions de création, comportement et d’imagination dans le processus d’apprentissage automatique (machine learning) par Stephen Kelly, Sofian Audry, Ben Bogart, Stephanie Dinkins et Suzanne Kite, sur la Terre, le ciel et l’espace extra-atmosphérique par Kathy High, Kira O’Reilly et Marie-Pier Boucher…

Photo © Jonathan Parsons

Concernant les artistes, signalons la télé-présence de Larbitssisters, David Garneau, Suzanne Kite, Marco Barotti, Quentin Vercetty, Scott Benesiinaabandan… Au total, en plus de nombreuses conférences, ateliers et présentations de projets, ce sont pas moins de 80 œuvres et performances conçues par 105 artistes locaux et internationaux qui seront accessibles en ligne, à la fois sur la plateforme d’ISEA2020 et un site dédié pour chaque proposition, moyennant un forfait sous forme de passe qui donne aussi un accès complet à MTL, la Semaine Numérique de Montréal.

Laurent Diouf

ISEA2020, conférences, expositions, ateliers, performances, présentations
26ème Symposium International sur l’Art Électronique,
édition en ligne, du 13 au 18 octobre
> https://isea2020.isea-international.org/fr/

Cosmogonie

Cette 8ème édition du festival Mirage dédié à l’art, à l’innovation et aux cultures numériques, est placée sous le signe de la Cosmogonie. Derrière ce terme, que l’on raccorde plus volontiers à la conception de l’univers des civilisations disparues, se cache une programmation qui fait la part belle à l’imaginaire spatial et à notre futur proche au travers d’un parcours d’exposition, des rencontres et des performances.

Flavien Théry, Jean-Pierre contemplant le trou noir. Photo: D.R.

En phase avec cette thématique, parmi les artistes invités cette année, on retrouve Flavien Théry qui nous propose d’écouter les étoiles au travers de son installation Messenger, de faire une exploration sonore de la surface martienne à défaut de pouvoir y aller physiquement (Sound reveries of trips we won’t go), mais aussi de « voir » un trou noir sous la forme d’une tapisserie stéréoscopique en écho à la première représentation informatique de cet objet céleste énigmatique réalisé par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet (Jean-Pierre contemplant le trou noir).

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand sont aussi fascinés par les trous noirs. Avec Orbiheron, ils recréent un vortex en jouant sur des effets d’optiques dans un bassin rempli d’eau, matérialisant ainsi les aberrations lumineuses et physiques observables aux abords de ces monstres cosmiques. Le duo d’artistes présente également Hydrogeny, une installation qui déploie les volutes des irisations colorées de l’hydrogène grâce à un système d’électrolyse.

Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand, Orbiheron. Photo: D.R.

Avec Soleil Noir, Barthélemy Antoine-Loeff rend visibles les éruptions solaires dont les panaches débordent la circonférence de notre astre, masqué par un cache. Mais c’est aussi une « allégorie énergétique » qui pointe la démesure des ressources dont nous avons désormais besoin pour alimenter nos serveurs et autres data centers. Le collectif Berlinois Quadrature est également à l’écoute de l’espace avec une mécanique disposée en arc de cercle qui retrace, en temps réel via une antenne, les vibrations des confins de l’univers (Noise Signal Silence)

La réalité virtuelle est également au programme avec des projections comme Nachtspiel de Robert Müller & Christophe Merkle, Fluido.obj de Joaquina Salgado, Quantum de Kylan Luginbühl, et Cosmorider de Pierre-Emmanuel Le Goff : cinq petites minutes intenses qui permettent de vivre l’expérience de l’aventure spatiale de Thomas Pesquet. À noter un bel aperçu de nombreuses œuvres réalisées par des étudiants issus d’écoles de design. En parallèle, des « ateliers vidéo & cratères d’impact », une visite commentée et le spectacle interactif, entre théâtre et jeu vidéo, librement inspiré du roman Loterie solaire de Philip K. Dick, de Mathilde Gentil (GOSH Cie), témoignent d’une ouverture en direction d’un public familial.

Laboratoire de rencontres, le Mirage Creative+ regroupe une série de conférences et tables rondes. Ainsi, le rendez-vous de l’Institut Français met son expertise au service des artistes et acteurs du numérique qui souhaitent lancer ou renforcer leurs présences et perspectives à l’étranger en les aidant à mieux comprendre les étapes d’un développement d’activité à l’échelle internationale. Des discussions réuniront notamment Tom Higham (directeur créatif de Mediale), Kristina Mairere (productrice des expositions Ars Electronica), Cléo Sallis-Parchet (coordinatrice InterAccess) et Luis Fernandez (curateur Gnration) qui partageront leurs expériences et exposeront leurs projets. En correspondance avec la thématique de cette édition, un débat art / science intitulé Quitter la planète bleue ?, modéré par Maxence Grugier, fera intervenir Annick Bureaud (Léonardo OLATS), Barthélemey Antoine-Loeff, Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand et Simon Meyer (Planétarium) sur l’espace infini de l’horizon spatial en art.

À ne pas manquer deux performances audio-visuelles le vendredi 13 (ta ta tam…). D’une part Sédiments de Pierce Warnecke & Clément Édouard. Une proposition qui combine l’image, le son — dense et vibratile — et le minéral. Rarement utilisées dans ce genre de dispositifs, des pierres sont soumises à des impulsions lumineuses et aux oscillations de hauts parleurs tandis que leurs images fragmentées nous arrivent par flashs. D’autre part, MA de Maxime Houot (Collectif Coin) qui orchestre un véritable ballet de projecteurs. Leurs rayons lumineux dessinant des entrecroisements qui se détachent dans le noir et dont le mouvement est souligné par des nappes inquiétantes et quelques bleeps…

En clôture du festival, on se laissera porter jusqu’au petit matin par les excursions rythmiques de Somaticae, les ambiances disloquées, à la fois tribales et expérimentales de Zoë McPherson dans la lignée de son tout nouvel album States Of Fugue, les dérives dub-indus / dark-ambient d’Ossia, et le dancehall trafiqué de Warzou…

Laurent Diouf

Mirage Festival, 8e édition, Cosmogonie, du 11 au 15 mars, Les Subsistances, Lyon
> https://www.miragefestival.com/

Digital / Alter

Après des préliminaires à Marseille, via une exposition monographique de Paul Destieu en septembre, le Festival des arts multimédia Gamerz va prendre son envol le 13 novembre à Aix-en-Provence. Au programme des expositions, performances, ateliers et conférences qui s’étalent sur une dizaine de jours.

PAMAL_Group (feat. Jacques-Elie Chabert et Camille Philibert), 3615 Love. Photo : D.R.

À la suite de « Digital Defiance » et « Digital Animisme », cette quinzième édition est structurée autour de « Digital Alter » : l’exposition centrale à la Fondation Vasarely qui propose des ensembles monographiques questionnant, comme son titre l’indique, l’altérité à l’ère du digital. Comme il est précisé dans la déclaration d’intention, les artistes présentés se tournent vers « l’Autre » afin de dépasser l’individualisme, l’autoreprésentation et le narcissisme valorisés par les technologies numériques et les modèles de la communication « télématique » ou actuelle.

Une proposition pouvant aussi se résumer à cette interrogation : et si l’enjeu technologique n’était pas tant celui de la connaissance et du pouvoir, mais avant tout celui du désir et du rapport à l’autre ? Dans ce jeu de miroir brisé par les nouvelles technologies, la figure de l’androïde reflète peut-être le mieux ce rapport trouble à l’autre. En présentant diverses versions d’avatars mécanisés ou bio-modifiés, du cyborg aux nouveaux animaux de compagnie électronique en passant par des représentations de clonage, France Cadet nous apporte une réponse dystopique.

Fabrice Métais — qui s’intéresse notamment aux propriétés constituantes ou intrigantes des technologies audio mobiles — opte pour une approche presque métaphysique de ce rapport à l’autre. Son regard est à déchiffrer sous forme d’énigme dans ses créations (L’Intrigue). Il entamera aussi un dialogue avec le philosophe Jean-Michel Salankis lors d’une conférence (Art, technique, matière et idée).

Olivier Morvan qui nous avait justement intrigués lors de l’édition 2016 de Gamerz avec La Maison Tentaculaire — projet et installation protéiforme autour de la fameuse maison de l’héritière Sarah Winchester — nous entraînera dans son univers parallèle composé d’une multitude de petites usines à fictions qui jouent sur paradoxalement sur l’absence (Meme).

Dans une démarche d’archéologie des médias, le collectif PAMAL_group (issu du Preservation & Art – Media Archaeology Lab de l’École Supérieure d’Art d’Avignon) nous invite à un voyage rétrofuturiste autour du Minitel dont le réseau s’est définitivement éteint en juin 2012 (3615 Love). Des œuvres de Julius von Bismarck, Jon Rafman et Antonio Roberts complètent ce panorama de l’altérité digitale.

Manuel Braun & Antonin Fourneau, Egregor. Photo: D.R.

D’autres œuvres jalonnent cette édition, notamment à l’Office de tourisme avec les dispositifs ludiques de Manu Braun & Antonin Fourneau (Egregor 8) ainsi que Robin Moretti en collaboration avec Leslie Astier et Théo Goedert que l’on retrouvera aussi dans le cadre d’un workshop (Métalepse, La Chair du jeu-vidéo).

Enfin, concernant les performances, le programme se partage essentiellement entre art sonore et musiques expérimentales, bruitistes, électroniques et post-industrielles… En premier lieu, nous sommes curieux du Feedback acoustique de Virgile Abela. Un dispositif qui repose sur un pendule type Foucault dont la lente oscillation ponctuée de quelques rotations génère une modulation traduisant les effets de la gravité. Cette installation a été conçue en coordination avec la plateforme MAS (Laboratoire de mécanique acoustique du CNRS).

En tête-à-tête avec Stéphane Cousot, eRikM entamera une improvisation à partir de flux sonores et visuels récupérés en temps réel sur Internet. Il en résultera une « composition indéterminée », assez heurtée et cinglante (Zome). Inspirés par Deleuze, François Parra & Fabrice Cesario (alias PACE) pousseront dans leurs retranchements des machines habituellement dédiées à la communication pour produire un langage dans lequel ils abandonnent temporairement le sens pour entrer dans le son (Le Chant des machines).

Enfin, le collectif chdh (Nicolas Montgermont & Cyrille Henry) se basera sur les « bruits » de l’image vidéo pour une performance AV conçue comme une expérience synesthésique. À l’écran, un magma de pixels — qui n’est pas sans rappeler la neige des écrans cathodiques — d’où émergent des formes, des motifs, des structures aléatoires, sur fond d’electronic-noise très abrasive (Deciban).

Laurent Diouf

Festival Gamerz — Digital / Alter
> du 13 au 24 novembre, Aix-en-Provence
> http://www.festival-gamerz.com/

festival des arts numériques

La 14e édition du festival Gamerz investit la Fondation Vasarely, l’École supérieure d’art et la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence ainsi que la Galerie des Grands Bains-Douches à Marseille, du 8 novembre au 15 décembre prochain. En coordination avec Chroniques — biennale des imaginaires numériques, qui officie sur les mêmes terres et à la même période —, Gamerz propose des expositions, performances, DJ-sets, ateliers et conférences.

Cette année, l’exposition collective se déploie autour d’une thématique commune avec le festival DataBit.me : Digitale défiance. Les artistes Julien Clauss, Caroline Delieutraz, Harm van den Dorpel, ErikM et Géraud Soulhiol proposent, chacun à leur manière, une sorte de critique de la technologie, tels des lanceurs d’alerte. Un regard qui s’inscrit dans l’héritage de penseurs comme Ellul ou Virilio (récemment disparu), contre le mythe du progrès technique, de la glorification de la croissance, de l’innovation sans fin, du culte de la vitesse… Le numérique décuplant ces symptômes de la catastrophe qui vient. Les œuvres présentées illustrent cette problématique liée aux usages sociaux des nouvelles technologies, à la nécessité de reconsidérer l’imaginaire qui préside et accompagne la technique à l’ère du numérique et la culture du digital. Avec une focalisation sur l’image et le son. Et quelques expériences distilleries atypiques (Vincent A., Pat Lubin & Shoï Extrasystole, Alambic Sonore)

L’image, tout d’abord. Internet est le grand pourvoyeur d’images, fixes et animées, qui servent désormais de matériaux artistiques à part entière. Ainsi, Géraud Soulhiol utilise des clichés de Google Earth dont il projette des fragments, nous donnant l’impression de voir le monde par un trou de serrure avec sa série Le Hublot ou d’expérimenter des paysages morcelés (Territoires recomposés). Harm van den Dorpel fait également son marché sur Internet où il glane des photos de personnes franchement HS après des soirées que l’on imagine mémorables (du moins, pour les témoins qui les ont immortalisés). Assez éloigné de l’épure graphique et algorithmique dont il fait preuve habituellement, grâce à un petit protocole d’animation, il nous donne l’impression que ces corps gisants dans des postures improbables sont en séance de lévitation (Resurrections). Caroline Delieutraz déstructure également des images présentées sous la forme d’un puzzle en relief, en bois découpé, sur plusieurs strates, avec des pièces manquantes (Les Vagues); évoquant des tableaux d’un autre siècle (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater, basé sur l’étude d’une partie du désert égyptien via Google Earth par un scientifique italien qui a ainsi pu identifier un cratère creusé par une météorique).

Le son, ensuite, avec eRikM. Éminemment connu dans le circuit des musiques expérimentales, bruitistes et improvisées, il propose un objet sonore baptisé La Borne. Cet artefact qui ressemble un peu à une urne funéraire repose sur un dispositif constitué de 16 codes joués de manière aléatoire. Mêlant collage sonore et symbolisme du langage, cette réalisation est basée sur les éléments de code utilisé par les soldats amérindiens Choctaw pour l’Armée américaine à la fin de la Première Guerre mondiale. À noter que ce principe, rendant quasiment indéchiffrable le code pour d’autres nations (en premier lieu l’Allemagne), fut repris lors de la 2e Guerre mondiale et inspira le film de John Woo avec Nicolas Cage, Windtalkers, les messagers du vent.

Avec sa Salle de brouillage, Julien Clauss met en scène le spectre sonore radiophonique. Combinant une trentaine d’émetteurs/récepteurs bricolés, plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles tirés au cordeau, calés sur des fréquences différentes (de 87 à 108 MHz), cette installation balaye la bande FM (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.), offrant une bande-son modulable, si l’on ose dire, puisque les visiteurs peuvent s’amuser à explorer ce chant des signes à l’aide de radio mises à disposition. Ce dispositif fera aussi l’objet d’une performance, Agrégation de porteuses dans l’Ultrakurzwellen. On retrouvera Julien Clauss dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé L’Homme orbital; auquel participeront également France Cadet, Ewen Chardronnet, Colette Tron et Jean Cristofol qui interviendront sur les aspects théoriques et pratiques du numérique, en confrontant l’expérience de structures et événements ancrés dans la région PACA (Chroniques, Gamerz, ESAAix, Alphabetville).

L’autre grande expo, monographique cette fois, se déroulera à la Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine à Marseille. Sous la bannière Master/Slave — qui évoque pour notre part les temps héroïques des jumpers qui servaient à indexer les disques durs sous interface IDE & Co… — Quentin Destieu (artiste et directeur du festival) y présentera un large panorama de ses créations dans le cadre de son doctorat. Parmi les nombreuses pièces, signalons Maraboutage 3D, soit des poupées vaudou hérissées d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis. Un retour de bâton pour celui qui, après s’être arrogé les fruits du développement de l’imprimante 3D par la communauté open-source, les a brevetés et cadenassés pour en faire l’exploitation commerciale.

Dans un autre genre, À cœur ouvert donne à voir, à taille humaine, les entrailles du premier micro-processeur. Condensé technologique qui annonce la micro-informatique grand public, le Intel 4004 (c’est son nom d’origine) reposait sur une architecture de 4 bits, une fréquence de 740 kHz et était doté d’une mémoire morte de 256 octets… Mais sa principale caractéristique est d’avoir été dessiné entièrement à la main. Ensuite, contrainte de la miniaturisation oblige, les machines ont pris le relais pour le tracé des ramifications du système de transistors. C’est ce réseau des commutations que donne à voir À cœur ouvert.

Quentin Destieu se livre aussi à des opérations de détournement et recyclage de nos appareils électriques et électroniques, les transformant en outils primitifs après avoir fondu leurs composants et métaux (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Au rayon des artefacts improbables, il a conçu une Machine 2 Fish, petit robot motorisé sur roue qui transporte un aquarium selon un itinéraire qui varie au gré des mouvements d’un poisson rouge… Sans oublier La brosse à dents qui chante l’Internationale (profitons-en pour rappeler au passage qu’il existe aussi une Internationale Noire — i.e. anarchiste — que l’on entonne malheureusement moins fréquemment…).

Laurent Diouf

Gamerz 2018, 14e édition, du 08 novembre au 15 décembre, Aix-en-Provence + Marseille
> http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/

automata

Bientôt 20 ans, 19 pour être précis : le festival Elektra affiche l’insolence de la jeunesse en célébrant cette année le corps. Corps électrifié, mécanisé, augmenté, connecté… Empruntant son intitulé Automata – Chante le corps électrique au poète Walt Whitman, cette édition 2018 se tiendra du 26 juin au 1er juillet à Montréal (Canada / Québec). Chaque soir, le public sera amené à découvrir des performances A/V, en première mondiale et nord-américaine pour la plupart.

On retrouvera notamment avec plaisir la nouvelle performance des frères Décosterd alias Cod.Act, πTon. Dans la lignée de leurs précédentes créations, il s’agit d’une structure mécanique et ondulante ressemblant cette fois à un énorme lombric qui semble échappé d’un monde extraterrestre et avec qui un personnage équipé d’un attirail que ne renierait pas le capitaine Nemo entame un dialogue ponctué de borborygmes et d’étranges incantations.

Autres retrouvailles : Alex Augier, pour l’occasion en compagnie de l’artiste visuelle Alba G. Corral. Musicien électronique adepte des performances AV, Alex Augier proposera end(O). Une œuvre poétique et immersive spécialement conçue pour le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). Jouant inlassablement avec les mots, l’écriture et la lecture qu’il déconstruit et reconstruit, Anne-James Chaton sera aussi du rendez-vous avec Some Songs.

Dans l’esprit de ses pairs japonais (Ryoji Ikeda, Ryoichi Kurokawa, etc.), muni de data gloves couplés à huit synthétiseurs audiovisuels, Chikashi Miyama tracera des lignes et des courbes atomisées qui ressemblent aux visualisations en noir et blanc des accélérateurs de particules (Trajectories). À découvrir, dans un autre registre, NSDOS, qui allie tatouage et musique électronique (Tattoo Hacking)

Outre quelques événements et expositions satellites, les 28 et 29 juin aura lieu en parallèle à Elektra la 12e édition du MIAN. Ce Marché International d’Art Numérique plutôt à destination des professionnels (producteurs, curateurs, galeristes, journalistes, directeurs de festivals, etc.), mais ouvert au public, sera l’occasion d’interventions et de conférences entre les artistes et les différentes acteurs du secteur, de présentations de nouveaux projets et de réflexions autour des arts visuels et des nouvelles technologies, de tables rondes sur le devenir de l’art numérique.

Enfin, également dans le prolongement du festival et de sa thématique corporelle, à partir du 29 juin jusqu’au 5 août, aura lieu la 4e édition de la BIAN (Biennale Internationale d’Art Numérique). C’est dans ce cadre que sera proposée Automata, l’exposition phare d’Elektra 2018 qui sera pilotée par Peter Weibel, directeur du ZKM (le célèbre centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe), en tant que commissaire invité.

Au programme de cette exposition, on découvrira des œuvres qui combinent projection vidéo et dispositif robotique, expérience immersive et réalité virtuelle, sculpture numérique et installation multimédia. Les fameux bras robotiques de l’industrie automobile étant emblématiques de ce détournement artistique.

C’est le cas de l’installation Over the Air de TeamVOID & Cho Young Kak qui propose un « tracé » indexé selon les données des indices de la qualité de l’air. Version futuriste, mais un futur pas forcément radieux malgré des intentions louables (soulager les contraintes chronophages de la garde d’un enfant), Addie Wagenknecht propose d’utiliser ce genre d’infatigable prothèse mécanique pour bercer un landau (Optimization of Parenting, Part 2).

L’autre axe de cette exposition tourne autour de l’art du portrait. Une antienne artistique qui voit sa pratique renouvelée et surtout transfigurée grâce aux possibilités qu’offrent, par exemple, les capteurs pour brosser un portrait pixellisé en temps réel. Une expérience que pourront tester les spectateurs au travers de trois installations interactives : Portrait on the fly de Christa Sommerrer & Laurent Mignonneau, Darwinian rotating lines mirror ainsi que Wooden mirror de Daniel Rozin.

Laurent Diouf

Elektra, Festival international d’art numérique, du 26 juin au 1er juillet, Montréal
BIAN, Biennale Internationale d’Art Numérique, du 29 juin au 5 août, Montréal
MIAN, Marché International d’Art Numérique, du 28 au 29 juin, Montréal
> https://www.elektrafestival.ca/

Elektra 2018