Perspectives of AI in the Visual Arts

Pour marquer son ouverture, le centre Diriyah Art Futures de Riyadh, en Arabie Saoudite, propose une exposition qui offre un vaste panorama sur l’art numérique : Art Must Be Artificial, perspectives of AI in the Visual arts.

Edmond Couchot & Michel Bret, Les Pissenlits, 1990. Courtesy of Diriyah Art Futures.

Une nouvelle ère
Cet événement a été organisé par Jérôme Neutres ; commissaire d’expositions, auteur, ex-directeur chargé de la stratégie et du développement pour la Réunion des musées Nationaux-Grand Palais et ancien directeur exécutif du Musée du Luxembourg à Paris. Réunissant une trentaine d’œuvres de pionniers, d’artistes reconnus et de créateurs émergents, cette exposition se distribue sur quatre axes qui mettent en valeur des approches et techniques spécifiques.

Privilégiant un parcours pluriel, plutôt que la linéarité d’un historique, l’exposition nous rappelle que l’art numérique est inséparable de la révolution informatique qui s’est déployée dès les années 60. Au-delà, comme le souligne Jérôme Neutres, c’est aussi l’exploration d’une transformation socio-culturelle profonde, où les artistes ne sont pas seulement des créateurs, mais les architectes d’une nouvelle ère numérique.

Alan Rath, Again, 2017. Courtesy of Diriyah Art Futures.

Lignes de code…
La première étape de cette exposition est placée sous le signe du codage : The invention of a coding palette. La création à l’ère numérique se fait à l’aune de la géométrie et des mathématiques. Mais la programmation informatique et les machines peuvent aussi « dialoguer » ou, du moins, faire écho aux pratiques artistiques plus classiques (peinture, sculpture, etc.). En témoigne, sur le parvis du Diriyah Art Futures, Hercules and Nessus #A_01 de Davide Quayola. Cette sculpture massive et inachevée, exécutée par un bras robotisé dans un bloc de marbre gris, s’inscrit en référence aux sculptures non finito de Michel-Ange. Plus loin, les robots de Leonel Moura sont aussi à l’œuvre… Ils réalisent in situ, de façon presque autonome, des tracés sans fin (011120). On peut aussi admirer sa série de sculptures torsadées qui trônent en extérieur (Arabia Green, Arabia Red, Arabia Blue…).

Dans cette première section, on trouve également quelques-unes des premières œuvres graphiques réalisées par ordinateur dans les années 60-70. Frieder Nake (Walk Through Rathe), Vera Molnar (2 Colonnes, Trapez Series, (Des)Ordres et Hommage à Monet), Manfred Mohr (P-038-II). Avec son installation spécialement créée pour le Diriyah Art Futures, Peter Kogler nous plonge littéralement dans un tourbillon de « formes déformées », au sein d’un grand espace entièrement recouvert de carrés tridimensionnels vert et blanc (Untitled). L’illusion d’optique et l’impression de dérèglement des sens sont saisissantes. Un QR code permet de faire apparaître un insecte virtuel dans cet espace.

Peter Kogler, Untitled, 2023. © Courtesy of Diriyah Art Futures

Poétique de l’algorithme
Cette deuxième partie de l’exposition insiste sur la, ou plutôt, les dimensions presque infinies des installations et pièces générées par des algorithmes : Algorithmic poetry to question of infinity. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’algèbre (al-jabr) et la notion de suite algorithmique doivent beaucoup au mathématicien perse Al-Khwârizmî… On y retrouve bien évidemment Ryoji Ikeda avec une déclinaison de data.tron [WUXGA version]. Ces entrecroisements de lignes et de chiffres sur fond d’electronic noise contrastent avec le « naturalisme » dont peut faire preuve Miguel Chevalier avec ses fleurs fractalisées (Extra Natural, Fractal Flowers).

En extérieur, Miguel Chevalier propose aussi en projection sur l’une des façades du Diriyah Art Futures des motifs kaléidoscopiques évoquant des arabesques géométriques (Digital Zellig). On peut faire l’expérience de son univers pixelisé au Grand Palais Immersif à Paris jusqu’au 6 avril 2025. Leo Villareal (Floating Bodies), Laila Shereen Sakr alias VJ Um Amel (Rosetta Stones Resurrected), Nasser Alshemimry (Digital Anemone), Daniel Rozin et son miroir mécanique coloré (RGB Peg Mirrror) ainsi que les maelströms de Refik Anadol (Machine Hallucination NYC Fluid Dreams A) complètent cet aperçu. À cela s’ajoutent deux installations, l’une cinétique, l’autre robotique : Piano Flexionante 8 d’Elias Crespin (prototype de L’Onde du Midi installée au Musée du Louvre) et l’étrange ballet des « oiseaux » noirs d’Alan Rath (Again).

Miguel Chevalier, Digital Zelliges, 2022. © Courtesy of Diriyah Art Futures

Nature et artifice
Le troisième temps de cette exposition revient sur la question de la nature et du paysage : A Digital oasis: organic artworks for an artificial nature. On sait à quel point ce sujet est central dans l’histoire de l’art. Là aussi, il est intéressant de voir comment ce thème est traité et réinterprété dans l’art numérique. On mesure le chemin parcouru avec la pièce iconique d’Edmond Couchot & Michel Bret datant déjà de 1990 : Les Pissenlits. Ce dispositif interactif qui permet aux spectateurs de souffler pour disperser les spores des pissenlits sur écran fonctionne toujours, techniquement bien sûr, mais aussi et surtout artistiquement. Plus réalistes, les tulipes générées par Anna Ridler via un programme d’IA semblent paradoxalement inertes (Mosaic Virus, 2019).

Pour les représentations de paysages, on se perd dans les multiples détails des vidéos 4K de Yang Yongliang qui, de loin, paraissent statiques, immuables (The Wave, The Departure). Haythem Zakaria propose aussi une installation vidéo 4K en noir et blanc (Interstices Opus III), concluant un travail de réflexion sur le paysage qu’il a entamé en 2015. Les captations ont été faites en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Elles montrent différents plans de l’Atlas qui traverse ces 3 pays. Sur ces vues viennent se greffer des traits et carrés qui trahissent volontairement une manipulation de l’image pour mieux souligner la profondeur de ce massif mythique. En haut des marches conduisant à la terrasse qui coiffe une partie du Diriyah Art Futures flotte une représentation LED du « drapeau » de fumée noire de John Gerrard qui symbolise l’exploitation sans fin du pétrole (Western Flags).

Refik Anadol, Machine Hallucinations – NYC Fluid Dreams A, 2019. Courtesy of Diriyah Art Futures.

L’œil du cyclone
La quatrième et dernière partie de l’exposition focalise sur l’Intelligence Artificielle : Every AI has its look. On y découvre beaucoup de portraits morcelés, fragmentés, désormais si courants à l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, au travers de l’installation d’Eyad Maghazil qui a collecté et mis en forme des centaines d’heures de petites vidéos (Stream). Avec sa série IconGif, Xu Wenkai — alias Aaajiao, artiste, activiste et blogueur — opère un retour vers le futur avec ses images très pixelisées reproduites sur écran, où se dessinent des portraits de personnages qui semblent être échappés d’un manga…

Avec ses portraits recomposés sur trois écrans, mélangeant plusieurs bouches et regards sous le « contrôle » d’un algorithme dédié (machine learning), Daniah Al-Salah nous soumet à une injonction : Smile Please! Les techniques de reconnaissance faciale sont aussi une source d’inspiration pour concevoir des portraits à l’ère numérique. Charles Sandison joue avec ces technologies pour créer des visages fantômes, des regards « imaginés » à partir d’une base de données (The Reader 1). Une installation vidéo qui donne tout son sens au titre de cette exposition — Art Must Be Artificial, Perspectives of AI in the Visual Arts — visible jusqu’en février prochain.

Laurent Diouf

> exposition Art Must Be Artificial : Perspectives of AI in the Visual Arts
> du 26 novembre 2024 au 15 février 2025
> Diriyah Art Futures, Riyadh (Arabie Saoudite)
> https://daf.moc.gov.sa/en

مركز الدرعية لفنون المستقبل

Naissance d’un centre d’art

Lieu d’exposition, de création et d’information situé à Riyadh, Diriyah Art Futures est une nouvelle pièce sur l’échiquier mondial de l’art numérique. Une pièce maîtresse. C’est le premier espace de ce genre au Moyen-Orient et, par extension, pour l’Afrique du Nord. Portée par la Commission des Musées et le Ministère de la Culture d’Arabie Saoudite, cette institution vient tout juste d’être inaugurée avec une première exposition offrant un panorama complet de la création artistique à l’heure des nouveaux médias et du numérique.

Diriyah Art Futures
Comme son nom l’indique, ce centre d’art est localisé en périphérie immédiate de Riyadh à Diriyah, littéralement « la cité de la terre ». C’est là où se situait l’ancienne capitale du premier État saoudien. Ce site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Loin des tours de verre miroir et d’acier de la skyline de la capitale du royaume saoudien, ce quartier baigne dans une terre ocre. Le complexe de bâtiments qui constitue le Diriyah Art Futures (DAF) arbore des façades de la même couleur. La lumière, naturelle et/ou artificielle, marque la différenciation des espaces.

Conçu par l’architecte Amedeo Schiattarella et l’équipe de son cabinet, ce complexe se distribue sur cinq bâtiments imbriqués et développe une surface totale de 6650 m2. Le choix des matériaux, les lignes brisées de ses murs, les traits qui rappellent les strates du terrain : tout concourt à inscrire cet édifice au plus près de ce quartier historique, comme un gigantesque morceau de pierre sorti du sol. Ainsi que le souligne Amedeo Schiattarella, c’est une architecture qui part du lieu. Sans exubérance extérieure, les bâtiments du complexe sont « introvertis », tournés vers l’intérieur et en relation avec la topographie, en dialogue avec l’environnement local et sa tradition, mais aussi porteurs d’une vision d’avenir, de modernité.

Diriyah Art Futures © Schiattarella Associati / Hassan Ali Al-Shatti

Un lieu hybride
Le Diriyah Art Futures est placé sous la direction de Haytham Nawar (artiste, universitaire et fondateur du festival Cairotronica). Il est entouré notamment d’Irini Papadimitriou, directrice des expositions, et Tegan Bristow, directrice en charge du programme éducatif. Le Diriyah Art Futures est un lieu hybride dédié aux croisements entre art, science et nouvelles technologies. Ce n’est pas une galerie, ni un musée. Ce n’est pas non plus une école ou un ensemble d’ateliers. Mais c’est un peu tout cela réuni. C’est aussi un lieu d’échange et d’information qui a également une mission de formation, de production et de promotion envers des artistes en devenir.

Le public y trouvera une librairie et une bibliothèque spécialisée, connectée à d’autres institutions du même genre à travers le monde, ainsi qu’un café-restaurant, et pourra aussi assister à des conférences, des master-classes, des performances, des projections, etc. Plateforme dynamique et ouverte, l’espace d’exposition se distribue sur deux étages. Si la programmation sera résolument internationale, avec trois expositions prévues par an, l’accent sera néanmoins mis sur les artistes saoudiens, ainsi que ceux des pays du Golfe, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, dont le travail reste souvent méconnu dans le circuit de l’art numérique.

Diriyah Art Futures. Leonel Moura, Arabia series, 2021. © Schiattarella Associati / Hassan Ali Al-Shatti

Un pôle d’émergence
Robotique, réalité virtuelle, animation 3D, biotechnologie, installations immersives, art sonore, intelligence artificielle… Le Diriyah Art Futures est doté d’ateliers et de laboratoires qui permettent d’imaginer et de créer des œuvres futuristes. Cet objectif s’incarne au travers d’un programme intitulé Emerging New Media Artists. Développée en collaboration avec Le Fresnoy (Studio National des Arts Contemporains de Tourcoing), cette initiative offre l’accès à un équipement de pointe, un accompagnement sous forme d’un mentorat et un financement pour concevoir des créations multidisciplinaires innovantes. Dans ce contexte, Diriyah Art Futures fonctionne un peu comme un incubateur.

Cela s’adresse à des artistes émergents qui sont pris en charge pendant un an. À terme ils seront 25, mais la première promotion compte une douzaine de candidats choisis sur dossier à l’issue d’une sélection opérée par un jury. Ils sont originaires d’Égypte, du Maroc, de Tunisie, du Liban, d’Arabie Saoudite ainsi que d’Afrique du Sud, du Royaume-Uni et de Corée. Ce programme comporte une partie théorique et une partie pratique, en lien avec des thèmes d’actualité (climat, migration, etc.). L’enseignement est dispensé par des professeurs invités et des artistes confirmés qui jouent un rôle de mentor. Les œuvres produites dans le cadre de ce programme seront promues et distribuées par le biais de partenariats passés avec des musées et des festivals internationaux. Un nouvel appel à candidatures sera lancé début 2025.

Diriyah Art Futures © Schiattarella Associati / Hassan Ali Al-Shatti

Fenêtre sur cour…
Le Diriyah Art Futures propose également deux programmes de résidences de trois mois, ouvertes à quatre artistes et quatre enseignants-chercheurs reconnus. Lors de leur séjour, ils bénéficient des équipements du centre, du soutien d’un spécialiste dédié auprès d’un laboratoire et atelier (robotique, motion capture, production vidéo, studio d’enregistrement, etc.) et d’un financement. L’objectif est de mener à bien un projet à l’intersection de l’art, de la science et de la technologie, qui soit à la fois en résonnance avec les aspects socio-culturels de la région et les grands questionnements qui traversent le monde actuel.

Au travers de cette expérience créative, il s’agit de repousser les limites des nouveaux médias et de l’art numérique en apportant de nouvelles perspectives et des approches critiques. En retour, cette résidence offre également aux artistes et enseignants-chercheurs une reconnaissance et un engagement plus large. Là aussi les travaux développés durant ces Mazra’ah Media Art Residencies — dont le nom se réfère aux terres agricoles qui subsistent en contrebas du complexe — seront présentés dans le cadre d’expositions ou évolueront vers des publications scientifiques grâce au soutien du DAF et de son réseau de partenariats. La première session de ces résidences se déroulera de février à avril 2025.

Laurent Diouf

> Diriyah Art Futures, Riyadh (Arabie Saoudite)
> https://daf.moc.gov.sa/en

La question de la conservation et la sauvegarde des œuvres numériques est désormais mieux prise en compte par les fondations, galeries et musées. Esprits de Paris, l’installation sonore de Mike Kelley (plasticien disparu en 2012) et Scanner (Robin Rimbaud), vient ainsi de faire l’objet d’une importante restauration menée par le Centre Pompidou.

Initialement produite et présentée en 2002 pour l’exposition Sonic Process : une nouvelle géographie des sons, cette installation mêle surveillance vidéo, déambulation urbaine, images captées à la caméra thermique dans des night-clubs, à une mystérieuse composition électronique traversée de pics, de ressacs et de stases où s’expriment les « fantômes » qui hantent la technologie elle-même.

Entre field recordings, electronic noise et captations dans des lieux parisiens chargés d’histoire, ce dispositif singulier se distribue sur douze écrans enchâssés dans une structure en bois construite sur-mesure et rend aussi hommage aux pionniers des EVP (Electronic Voice Phenomena) ; à commencer par Konstantin Raudive. L’installation sera visible et audible jusqu’à la fermeture du Centre Pompidou, en mars 2025, pour des travaux de rénovation qui vont durer jusqu’en 2030.

> Mike Kelley & Scanner (Robin Rimbaud), Esprits de Paris, installation sonore
> du 03 décembre au 15 mars, Centre Pompidou (niveau 4, salle 22), Paris
> https://www.centrepompidou.fr/

Biennale des imaginaires numériques

Expositions, installations, performances, ateliers et tables rondes… Chroniques, la Biennale des imaginaires numériques a pris son envol début novembre dans le Grand Sud, entre Marseille, Aix-en-Provence, Avignon, Istres et Châteauneuf-le-Rouge, et poursuit sa course jusqu’au 19 janvier 2025.

Line Katcho & France Jobin, De-Construct. Photo: D.R.

Cet événement a débuté à Marseille par de nombreuses performances audiovisuelles — dont celles de Line Katcho & France Jobin (De-Construct), Martin Messier (1 Drop 100 Years) — ainsi que des installations sonores et cinétiques (Primum Mobile de Simon Laroche), une expérience participative décalée et immersive d’Adelin Schweitzer (Le test Sutherland) et une autre expérience qui visait à soumettre, de manière passive et en aveugle, une personne à des ondes sonores générant en retour des mouvements et sensations divers (Transvision de Gaëtan Parseihian & Lucien Gaudion)…

Comme lors de la précédente édition, des installations sonores, lumineuses, interactives ou participatives ont marqué également le lancement de la biennale à Aix-en-Provence, dans l’espace public : Lux domus de Josep Poblet, Écrin de 1024 Architecture, Faces d’Iregular… Certaines de ces œuvres in situ seront visibles plusieurs semaines, comme Épique : l’intriguant triptyque vidéo de Maximilian Oprishka

Maximilian Oprishka, Épique… Photo: D.R.

Au long cours, durant toute la biennale, des expositions collectives sont proposées à la Friche Belle de Mai à Marseille. Regroupant une douzaine de vidéos, d’installations et de dispositifs interactifs, PIB – Plaisir Intérieur Brut explore la marchandisation du désir à l’ère numérique. Les œuvres d’Anne Fehres & Luke Conroy, Ugo Arsac, Donatien Aubert, Teun Vonk, Dries Depoorter, Severi Aaltonen, Telemagic, Nina Gazaniol Vérité, Filip Custic, Marit Westerhuis, Chloé Rutzerveld & Rik Van Veldhuizen & Adriaan Van Veldhuizen et Jeanne Susplugas mettent ainsi en lumière les paradoxes de notre époque…

Donatien Daubert, L’Héritage de Bentham. Photo: D.R.

Un parcours intitulé Derniers Délices, en référence au Jardin des délices de Jérôme Bosch, propose des installations immersives conçues par Smack (Speculum) et Claudie Gagnon (Ainsi passe la gloire du monde). L’exposition collective Nouveaux environnements : approcher l’intouchable regroupe des œuvres de modélisation 3D et réalité virtuelle conçues par des artistes québécois (Baron Lanteigne, Caroline Gagné, François Quévillon, Laurent Lévesque & Olivier Henley, Olivia McGilchrist et Sabrina Ratté). À leurs paysages énigmatiques se rajoute Ito Meikyū de Boris Labbé. Une création qui revisite, à la manière d’une fresque en VR, une partie de l’histoire de l’art et de la littérature japonaise.

Dans les derniers jours et en clôture, c’est-à-dire mi-janvier, le public pourra expérimenter de nouvelles formes de récit grâce à La Tisseuse d’histoires du collectif Hypnoscope. Une œuvre hybride et participative qui fusionne spectacle vivant, musique live, réalité virtuelle et création cinématographique. Autre œuvre hybride : Mire de Jasmine Morand (Cie Prototype Status). C’est à la fois une installation kaléidoscopique et une performance chorégraphique qui transfigurent les corps nus des danseurs évoluant dans cette drôle de « machine de vision ».

Adrien M & Claire B, En Amour. Photo: D.R.

Les spectateurs pourront aussi interagir au sein de l’installation immersive d’Adrien M & Claire B (En Amour). Un live A/V de Sébastien Robert & Mark IJzerman sur la thématique des fonds marins, des cétacés qui y vivent et de l’exploitation des ressources minières qui menace cet éco-système (Another Deep) doit également ponctuer cette biennale. La fin, la vraie, celle de la vie comme de la fête, sera « palpable » pendant 15 minutes : l’installation / performance de Studio Martyr propose de s’immerger dans une fête en 3D peuplée de spectres et de vivre, en accéléré et en VR, toutes les étapes du deuil (Disco Funeral VR)…

> Chroniques, biennale des imaginaires numériques
> du 07 novembre au 19 janvier, Marseille, Aix-en-Provence, Avignon, Istres, Châteauneuf-le-Rouge
> https://chroniques-biennale.org/

En collaboration et co-production avec l’Observatoire de l’Espace du CNES, jusqu’au début janvier 2025, le Centre des Arts d’Enghien propose une exposition qui regroupe des vidéos, photographies, installations et dessins numériques mis en relation avec des objets témoins de l’histoire de l’aventure spatiale (instruments techniques, archives graphiques, documents audiovisuels).

Antoine Belot, Un ballon qui dérive se fiche de savoir l’heure qu’il est. Photo: D.R.

Si les scientifiques cherchent à décrypter l’Espace, les artistes cherchent à montrer comment l’Espace renouvelle notre imaginaire. Le parcours de cette exposition est divisé en trois parties. Dans la première, les œuvres sont créées à partir d’images d’archives qui sont détournées et transformées. Antoine Belot s’est saisi de films retraçant les premiers lancements de ballons stratosphériques et la naissance du projet Éole (Un ballon qui dérive se fiche de savoir l’heure qu’il est).

Au travers de son installation CSG, Bertrand Dezoteux utilise des archives visuelles de la construction du Centre spatial guyanais pour créer des environnements 3D (photo et vidéo) créant ainsi une ville nouvelle, fictive, dans laquelle le visiteur est invité à déambuler.

À la frontière de la vidéo contemporaine, du cinéma expérimental et de la recherche plastique, Post-Machine d’Olivier Perriquet donne une autonomie troublante aux plans d’objets de l’aventure spatiale (fusées, satellites, véhicules, sondes spatiales, etc.) qui semblent ainsi répondre à une forme de déterminisme…

Justine Emard, In Præsentia. Photo: D.R.

Sensible à l’esthétique des dessins techniques, des équipements, mais aussi des discours qui forment le décorum des débuts de l’aventure spatiale française, Erwan Venn propose une exploitation ornementale et domestique des archives du projet Diamant, le premier lanceur de satellites français, qui se déploie comme les motifs d’un papier peint (À la conquête de l’Espace !).

La deuxième partie de l’exposition est axée autour des véhicules, des animaux et de l’intelligence artificielle employés dans l’exploration spatiale. Grâce au deep learning, toujours à partir d’images d’archives, Véronique Béland a ainsi entraîné une intelligence artificielle pour qu’elle construise une nouvelle génération d’engins spatiaux sans intervention humaine (En sortie, le scientifique de l’espace : point sur la conception).

Plasticienne et vidéaste, Justine Emard montre un singe qui observe des images d’expériences scientifiques : premiers vols en impesanteur réalisés par d’autres singes, météorite flottant à bord de la Station spatiale internationale et vues de la Lune captées par des sondes d’exploration. Dans cette mise en abîme, les gestes et réactions de l’animal devant les images projetées guident le récit du film (In Præsentia).

Eduardo Kac, Télescope intérieur. Phto: D.R.

La série de dessins de Romain Sein, Éphéméride, reprend les angles de vue classiques de la communication scientifique pour construire un récit où ce n’est pas l’observation humaine qui est au centre, mais bien l’action des objets spatiaux (le télescope Hubble qui observe la comète Neowise, une sonde qui rencontre un astéroïde, les traces du rover Curiosity visibles sur Mars).

La troisième et dernière partie de l’exposition réunit des œuvres pensées et créées en rapport avec les spécificités de l’espace, en particulier l’absence de pesanteur. Artiste multimédia et performeur, Renaud Auguste-Dormeuil a réalisé une installation vidéo immersive qui adopte cinq points de vue différents et convoque les sensations de désorientation éprouvées lors des phases successives d’impesanteur et d’hypergravité. Les images ont été tournées à bord de l’Airbus Zero-G qui réalise des vols paraboliques reproduisant un état de micropesanteur.

Baptisée Télescope intérieur, la sculpture de papier d’Eduardo Kac paraît, au premier abord, éloignée de ce contexte. Pourtant elle a flotté à l’intérieur de la Station spatiale internationale lors de la mission spatiale Proxima de l’Agence spatiale européenne en 2016. Elle a été aussi l’objet d’une performance réalisée, in situ, par Thomas Pesquet. Sa forme laisse apparaître le mot « MOI » et évoque aussi une silhouette humaine au cordon ombilical coupé, symbole de l’émancipation de nos limites gravitationnelles…

> exposition Encoder l’Espace
> du 19 septembre au 05 janvier, Centre des Arts, Enghein
> https://www.cda95.fr/

Loops of the Loom

Malgré la généralisation du sans-fil, le câblage est encore très présent pour alimenter, recharger ou connecter les nombreux appareils que nous utilisons au quotidien. Avec les câbles audio, les fils électriques sont les plus répandus. C’est ce type de câbles qu’utilise Cécile Babiole dans une série d’œuvres présentées à l’issue d’une résidence au LABgamerz dans l’exposition Loops of the Loom, à Aix-en-Provence au Musée des tapisseries jusqu’en janvier prochain.

L’intitulé et le lieu trahissent l’intention de Cécile Babiole : se servir de câbles électriques de différentes couleurs pour faire du tissage. L’entrecroisement de ces fils se répète de manière algorithmique pour former un motif selon un « pattern » préétabli ». Couplés à des cartes-sons, des amplificateurs et des haut-parleurs, les câbles transmettent des signaux audio, des boucles (loops) basées sur les motifs de chacun de ces tissages.

Cécile Babiole se sert de ces dessins et entrelacements de couleurs comme d’une partition de séquences rythmiques, dont chaque point (croisement d’un fil de chaîne et d’un fil de trame) forme une unité temporelle de base, comme le pas d’un séquenceur. La suite spatiale des motifs visuels devient l’enchaînement temporel des motifs sonores. Les séquences rythmiques sont entièrement réalisées à partir d’échantillons de sa voix… Il n’est pas anodin de rappeler que les métiers à tisser de type Jacquard, apparus au début du XVIIIe siècle, sont les premières machines programmées avec des cartes perforées, tout comme les pianos mécaniques et certains automates.

En parallèle, Cécile Babiole a conçu Radio TXT : une installation radio avec une antenne tissée. Diffusé dans la salle d’exposition, ce dispositif retransmet un programme spécial d’une dizaine de minutes sur la bande FM via un petit émetteur. On y entend de courts récits et anecdotes sur différents thèmes en rapport avec le textile comme le langage, le genre, l’informatique, l’histoire de l’art et la typographie.

On découvre aussi la vidéo d’une performance : Tisser la terrain de football. Pourquoi « la » terrain ? Parce que Cécile Babiole fait acte d’appropriation symbolique d’un espace public très majoritairement fréquenté par des utilisateurs masculins. Munie d’un capteur GPS, elle a arpenté un terrain de football en long et en large afin de dessiner virtuellement des lignes figurant la chaîne et la trame d’un textile imaginaire à la taille du terrain. Le tracé de ses déambulations est affiché en vidéo sur un fond de carte issu du projet de cartographie collaborative OpenStreetMap.

Active dès les années 80, Cécile Babiole est une artiste qui a abordé musique électronique, performance, animation 3D, installation, vidéo, art numérique. Ses travaux récents s’intéressent à la langue (écrite et orale), à sa transmission, ses dysfonctionnements, sa lecture, sa traduction, ses manipulations algorithmiques. Avec Anne Laforet, elle est également co-fondatrice du collectif Roberte la Rousse, groupe cyberféministe qui travaille sur la thématique « langue, genre et technologie » sous la forme de performances et de publications. Cécile Babiole est par ailleurs membre du collectif d’artistes-commissaires Le sans titre et, également, commissaire d’exposition indépendante.

> exposition Loops of the Loom
> du 12 octobre au 19 janvier, Musée des tapisseries, Aix-en-Provence
> https://babiole.net/projects

The ocean-space-ocean edition

More-Than-Planet : Ocean-Space-Ocean est un colloque art & science à l’initiative de Makery et d’Art2M sur la thématique des océans et de la biodiversité marine. Cet évènement est co-organisé par Le Cube Garges et l’École des Arts Décoratifs dans le cadre du symposium international sur les arts électroniques ISEA2023.

Cette année, le mot d’ordre d’ISEA est Symbiosis. La symbiose étant une notion polysémique permettant d’explorer, de façon transversale et interdisciplinaire, les mutations et transformations en cours à l’ère du numérique, d’interroger le sens supposé donné au progrès, surtout dans le contexte environnemental et sanitaire actuel et d’imaginer des futurs possibles et viables pour notre planète et nos écosystèmes.

Projet européen, More-Than-Planet (2022-2025) se déploie en partenariat avec Waag, Ars Electronica, Northern Photographic Center, ART2M/Makery, Leonardo/Olats et Zavod Projekt Atol et souhaite réexaminer la façon dont les gens comprennent et imaginent l’environnement au niveau de la planète comme un tout conceptuel. Cette crise de l’imaginaire planétaire est ainsi abordée en collaboration avec des artistes, des penseurs critiques et divers experts d’institutions culturelles, environnementales et spatiales.

Avec pour objectif de développer la conscience sociétale des urgences environnementales, à travers de nouveaux récits environnementaux dans les espaces culturels et publics ainsi que dans des zones critiques spécifiques ; contribuer à l’alphabétisation culturelle et environnementale européenne avec l’imaginaire planétaire comparé ; développer des approches d’innovation collaboratives et axées sur l’art avec des outils critiques et créatifs pour résoudre les problèmes environnementaux d’aujourd’hui ; développer une voie vers le cadre des activités culturelles européennes dans l’espace extra-atmosphérique (ECOSA).

Pour le colloque More-than-Planet : Ocean-Space-Ocean, Makery réunira artistes et chercheurs pour s’interroger sur le rôle des océans dans les équilibres planétaires et sur les perspectives offertes par la biodiversité marine dans la transition écologique. Distribuées sur 2 jours, les 16 et 17 mai à Paris, ces rencontres seront animées par Ewen Chardronnet, Carine Le Malet, Rob La Frenais, Pauline Briand, Miha Turšič et Marko Peljhan — et feront intervenir des artistes, collectifs, historiens d’art et chercheurs : Gabriel Gee (Teti group), Maya Minder, Sébastien Dutreuil, Alice Pallot, Anthea Oestreicher, Hideo Iwasaki, Anne-Marie Maes, Elena Cirkovic, Bureau d’études, Territorial Agency, Disnovation.org et Federico Franciamore.

More-than-Planet : Ocean-Space-Ocean
> 16 et 17 mai, 14h00 / 19h00, Délégation générale Wallonie Bruxelles, 274 bd Saint-Germain, Paris
> entrée libre sur réservation
> https://www.more-than-planet.eu

La notion de « code » est centrale aussi bien pour le vivant que pour le mécanique. Et les pratiques artistiques sont également soumises à sa loi. Plus largement, cette confrontation permet de nourrir le questionnement sans fin sur les défis civilisationnels qui se posent actuellement.

Éric Vernhes Horizon négatif. Photo : © Jean-Christophe Lett.

code quantum

L’exposition Code Is Law, visible sur rendez-vous au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, témoigne de ces interrogations au travers d’une dizaine d’œuvres rassemblées par Carine Le Malet — responsable de la programmation pour la Scène de recherche de l’ENS Paris Saclay, ancienne directrice de la programmation et de la création pour Le Cube – Centre de création numérique (2001-2020) — et Jean-Luc Soret — curateur indépendant, ancien responsable des projets nouveaux médias de la Maison Européenne de la Photographie (1999 – 2019), cofondateur du Festival @rt Outsiders (2000-2011).

Cet événement reprend le titre du célèbre article de Lawrence Lessig où ce juriste nous mettait en garde contre l’apparition d’un nouveau pouvoir « immatériel », mais tentaculaire et surpuissant : le code qui régit le cyberespace. Le code qui se déploie sans contre-pouvoir, qui n’obéit à aucun gouvernement. Le code qui fait loi, donc, autorisant ou non l’accès à l’information, rendant l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre…

Mais le code est aussi un levier qui soulève de nombreuses questions anthropologiques, esthétiques, socio-culturelles, politiques et philosophiques par rapport à l’omniprésence computationnelle… Un questionnement qui se fait ici par le biais de la distanciation artistique et poétique, au travers de démarches et créations transversales proposées par des artistes belges et internationaux qui résident tous à Bruxelles ou en Wallonie. Ce regard critique sur l’inéluctable transformation sociale, numérique et écologique, à la fois pleine d’espoir et de menaces, que nous subissons, reste néanmoins « bienveillant » (symbiocène), par opposition à une vision plus anxiogène (anthropocène).

Natalia De Mello, Machins Machines. Photo : © Jean-Christophe Lett.

machins machines

La musique obéit aussi à un code, ou plutôt à des codes, des gammes, des tonalités, etc. En formalisant des bruits sur le modèle de la musique, c’est-à-dire en les alignant sur une partition, Natalia de Mello a réalisé une sorte de fresque murale (Machins Machines). Un travail de marquerie qui laisse entrevoir, de près, des icônes et des fragments d’interface de logiciels. Le dispositif repose sur des boîtes suspendues comme des notes sur une portée stylisée. À l’intérieur, des petites enceintes qui diffusent des bruits de notre environnement quotidien. Dans un autre genre, AMI (2003-2005), la deuxième proposition de cette artiste, fait appel au sentiment d’empathie envers les machines, robots ou gadgets électroniques. Lointain héritage du Tamagochi tourné en dérision, l’effigie d’un homme se dresse comme une statue grecque affublée d’artefacts à des endroits choisis de son corps (visage, nombril, sexe, pieds…) pour contrôler ses réactions.

Mais lorsque l’on pense code au quotidien, on pense avant tout aux algorithmes du plus célèbre des moteurs de recherche qui nous livre des réponses orientées en fonction de notre profil et des datas collectées « à l’insu de notre plein gré ». En particulier si l’on utilise le raccourci, J’ai De La Chance. Pour mettre en exergue le « décor truqué » de Google, François de Coninck a opté pour une représentation à rebours des codes numériques. Il a en effet confié des captures d’écran des suggestions de recherche à Damien De Lepeleire qui les a reproduites sous forme d’aquarelles, avec une calligraphie presque enfantine et parfois des effets de délavés.

Il est également question de data avec Laura Colmenares Guerra qui nous offre un aperçu de son travail d’alerte sur la déforestation amazonienne et les problèmes socio-environnementaux qui minent cette partie du monde avec deux sculptures (sur une série de treize). Grâce à une imprimante 3D qui fonctionne avec de l’argile, elle réalise une matérialisation des données (topographiques, hydrographiques, etc.) et de leurs tracés, reflétant ainsi à un instant « t » l’état de deux sous-régions de l’Amazonie (Rios / Caqueta (Japura) & Juruá).

Laura Colmenares Guerra, Rios / Caqueta (Japura) & Juruá. Photo : © Jean-Christophe Lett.

mécaniques poétiques

Le code ultime se cache sans doute au cœur de nos cellules, enfoui dans notre ADN, dont les 4 éléments de base — thymine, adénine, guanine, cytosine (TAGC) — offrent un nombre presque infini de combinaisons. Cette loi s’applique à tout le vivant. Outre nos cousins chimpanzés avec qui nous partageons le plus de gènes, cela nous rend proches également d’un champignon ou d’un arbre. Ce qui permet à Antoine Bertin de s’amuser avec l’ADN de plantes et d’être humain pour composer de petites ritournelles à « deux mains » sur un piano mécanique qui laisse entrevoir ses entrailles (Species Counterpoint).

Deux mélodies se superposent, c’est un contrepoint. Puisque l’ADN est constitué d’une double hélice, Antoine Bertin met en parallèle les données biologiques issues des matières animales et végétales dont est constitué le piano (pour la main gauche) avec celles d’un humain (pour la main droite). Un processus de « sonification » transforme les données (l’ADN) en son (la musique). Le résultat est modulé selon des gènes qui articulent des fonctions primaires (respirer, ressentir, manger, se défendre, déféquer, se reproduire, dormir, mourir). Soit huit mouvements pour une symphonie hybride. Esthétiquement, ce piano trafiqué aux allures steampunk évoquera pour certains les mécaniques poétiques d’Ez3kiel conçus par Yann Nguema.

Autre pièce maîtresse de cette exposition : Spectrogrammes de Claire William. Si le métier à tisser est vieux comme le monde, celui perfectionné à Lyon par Jacquard au début du 19e siècle est considéré comme la toute première machine computationnelle dans la mesure où il utilisait des cartes perforées pour fonctionner, comme les orgues de Barbarie et les pianos mécaniques justement.

Pour son installation, Claire William a détourné un modèle beaucoup plus récent, en l’occurrence une machine à tricoter des années 70/80 sur laquelle elle a greffé un appareillage électronique qui capte les flux électromagnétiques environnants. Les ondes sont converties en signaux binaires pour « téléguider » le tricot. Il en résulte un entrelacs de mailles dont les motifs indiquent la signature électromagnétique du lieu. À noter que d’autres sources peuvent être aussi utilisées.

Antoine Bertin, Species Counterpoint. Photo : © Jean-Christophe Lett.

paysages géométriques

Changement de dimension avec Éric Vernhes. On replonge dans le monde des écrans avec des phrases simples, transcodées, transformées en idéogrammes dépouillés et abstraits. Inspiré par un poète japonais du 17e siècle, cette graphie évolutive très épurée est présentée dans de petits tableaux encadrés (Bashô). Éric Vernhes présente aussi des paysages géométriques générés aléatoirement. Le spectateur peut les moduler par sa présence ou par des gestes en se rapprochant de la caméra synchronisée sur chaque écran.

Ce dispositif emprunte son intitulé au titre d’un des ouvrages de Paul Virilio, Horizon Négatif. Disparu en 2018, le philosophe-architecte-urbaniste, grand prêtre de « la catastrophe qui arrive », a été traumatisé par la guerre et ses bombardements qu’il a subis enfant. Ce n’est pas un hasard si son premier ouvrage porte le titre fracassant de Bunker archéologie. Son analyse du monde moderne sous les prismes de la vitesse, de l’espace, des écrans, du cybermonde, de l’accident, reste fondamentale.

L’interaction est également au centre des projets d’Alex Verhaest. D’une part avec Sisyphean Games – Ad Homine. Un ensemble de jeux vidéo vintage qu’elle a détourné jusqu’à l’absurde, laissant le joueur hors boucle puisque ses mouvements sont vains : il n’a plus prise sur le scénario du jeu qui se répète à l’infini, le condamnant à un éternel recommencement comme Sisyphe. D’autre part — et surtout — avec Temps Morts / Idle Times qui se présente, au premier regard comme un « tableau-vidéo ». Les teintes et le rendu restent proches de la peinture bien qu’il s’agisse d’une projection sur écran géant. Un groupe de personnages est disposé autour d’une table, de face, symétriquement comme dans la Céne. Ils portent le deuil d’un père disparu, suicidé ou assassiné.

Imperceptiblement quelques détails nous intriguent. L’immobilité apparente est troublée par des mouvements (un clignement d’œil, le vol d’un papillon…), rappelant certaines œuvres de Bill Viola par exemple. Plus étrange encore, les personnages sont dédoublés. Ils cohabitent avec leurs clones, un peu plus âgés, comme échappés d’une autre dimension temporelle. On pourrait s’éterniser, se laisser hypnotiser par cette étrangeté. Mais nous avons la possibilité d’appeler un personnage ! Lorsque l’on compose un numéro donné, une sonnerie retentit « dans » le tableau. Le personnage central, un dénommé Peter, actionne son portable et une discussion s’engage entre les membres de cette drôle de famille…

archéologie du corps calculé

On revient au plus près du corps et du code avec deux performances programmées début mars, en clôture de l’exposition, si les conditions le permettent. Au travers d’une conférence performée, Jacques André mettra en exergue la rationalisation de nos corps bardés de plus en plus de capteurs et d’objets connectés qui nous auscultent en permanence, nous exhortant à une normalité clinique, à une auto-évaluation quasi permanente, à une compétition anatomique qui ne laisse presque plus de place à l’hédonisme (Mes Organes, Mes Datas).

Cette réification étant désormais bien installée et les technologies ayant évoluées, Jacques André se livre, au sens strict, à une véritable archéologie du corps calculé. Si le corps semble plus libre chez Jonathan Schatz, il s’exprime néanmoins dans un cadre plus contraint, plus numérique. Dialoguant avec un environnement qui mêle éléments visuels et sonores de facture très minimaliste, que l’on doit à Yannick Jacquet et Thomas Vaquié, cette œuvre chorégraphique d’une durée d’une vingtaine de minutes est une réinterprétation « codée » de musique et danse traditionnelle japonaise (Minakami).

Laurent Diouf

Code Is Law, exposition collective avec Jacques André, Antoine Bertin, Laura Colmenares Guerra, François De Coninck & Damien De Lepeleire, Natalia De Mello, Jonathan Schatz, Alex Verhaest, Eric Vernhes, Claire Williams.

> sur rendez-vous jusqu’au 28 février, au Centre Wallonie-Bruxelles, 127-129 rue Saint-Martin, Paris.
Performances de Jacques André (Mes Organes Mes Datas) et Jonathan Schatz (Minakam), le samedi 6 mars (sous réserve des contraintes sanitaires)

> https://www.cwb.fr/agenda/code-is-law-exposition-collective

Biennale des Imaginaires Numériques

Report, annulation, dématérialisation… Pas facile de maintenir la programmation d’un événement compte tenu des incertitudes et contraintes de la crise sanitaire actuelle. Et pourtant, contre vents et marées diront certains, Chroniques, la Biennale des Imaginaires Numériques, ouvre bel et bien ses portes le 15 décembre à Aix et Marseille, jour du déconfinement annoncé. Petit survol des expositions proposées.

Portée par Seconde Nature et Zinc, Chroniques devait initialement se tenir mi-novembre. Ironie de l’histoire, alors que les circonstances actuelles renforcent le sentiment de finitude (épidémie, climat) et d’effondrement (de l’économie de marché, de la démocratie représentative, etc.), la thématique de cette édition 2020 s’articule autour de la notion d’Éternité…  Pour l’essentiel, la Biennale des Imaginaires Numériques est axée autour d’expositions, mais la programmation compte aussi quelques événements en ligne : rencontres professionnelles en partenariat avec l’Institut français, masterclasse avec Joanie Lemercier et Juliette Bibasse.

Parmi les expositions, on citera Ghost In The Machine, qui réuni des œuvres évoquant les échos de la mort (spiritisme, etc.) au travers des techniques de communication. Ainsi, en s’intéressant aux ondes électromagnétiques, Véronique Béland fait aussi revivre le télégraphe comme porte pour communiquer avec l’au-delà avec son installation générative, Haunted Telegraph. Dans un autre genre, Thierry Fournier propose Grave, une installation vidéo qui dévoile une pierre tombale dont les inscriptions se réécrivent ad vitam æternam

Si les fantômes sont dans la machine, il n’y a pas de raison que Dieu n’y soit pas aussi un peu pour quelque chose. Une deuxième expo en forme de « spin off », intitulée God From The Machine, propose quatre œuvres narratives, des films VR ou en réalité augmentée construite sur une hybridation des conventions cinématographiques et des mécanismes du jeu vidéo. Quatre créations signées Charles Ayats, Jan Kounen & Sabrina Calvo (7 Lives), Huang Wei-Hsuan (Modernological Urbanscape), Alain Damasio, Charles Ayats, Franck Weber & Frédéric Deslias (MOA), Singing Chen (Afterimage For Tomorrow).

Ensemble, ils racontent une odyssée contemporaine entre monde réel et virtuel, entre monde des vivants et des morts, entre monde présent et futur où nos souvenirs peuvent être téléchargés, ou encore dans une ville en 2046 sous la loi d’une surveillance et d’un marketing sans limites. Entre happening politique et projet transdisciplinaire, Post Growth du collectif Disnovation.org (feat. Baruch Gottlieb, Clémence Seurat, Julien Maudet & Pauline Briand) met l’accent sur l’impasse dans laquelle est coincée notre société de consommation et invite à explorer des prototypes de jeux stratégiques pour se décoloniser des doctrines de la croissance économique, à découvrir des voi-x-es alternatives, et à appréhender les conséquences radicales d’un modèle économique reconnecté avec les sources d’énergie élémentaires…

La thématique centrale de cette édition est répartie sur deux expositions : Avons-nous le temps pour l’éternité ? et Que voulons-nous faire pousser sur les ruines ? Un questionnement mis en forme au travers de nombreuses installations. Notamment celles d’Antoine Schmitt (Prévisible – Hétérotopies #2), Felix Luque Sanchez (Perpétuité I), Rocio Berenguer (Lithosys) et Eva Medin (Le Monde après la pluie) co-produites par Chroniques dans le cadre de cette biennale. Ces créations explorent nos réactions face à la bascule technologique et climatique que nous éprouvons et les spéculations sur « le monde d’après » : Comment allons-nous coexister entre vivants et non vivants ?  Comment allons-nous pouvoir vivre et nous adapter face à ces mutations ?

En parallèle, quelques expositions solos et autres monographies sont consacrées à Félicie d’Estienne d’Orves, Laurent Pernot et Jeanne Susplugas. Des événements associés où figurent Jacques Perconte et A.I.L.O. (Géométrie Spatiale) viennent également compléter cette programmation qui trouvera son acmé lors d’un week-end de clôture (du 14 au 17 janvier 2021) avec des performances (Coexistence de Rocio Berenguer, Krasis d’Alexandra Radulescu & Annabelle Playe), projections (Cycle de Nohlab) et installations (ÜBM Junior de Michaël Cros).

Chroniques, Biennale des Imaginaires Numériques
Aix-en-Provence et Marseille, jusqu’au 17 janvier, 20 février et 7 mars (selon les expositions)
Infos : https://chroniques.org/

Monter et maintenir un événement par les temps qui courent tient du tour de force. Une prouesse réalisée, malgré les contraintes sanitaires que nous subissons tous, par l’équipe du Lab GAMERZ et de M2F Création qui propose trois jours d’exposition, d’ateliers, de concerts, de tables rondes et de performances sous la bannière Digital Dérives.

Inévitablement, le mot « dérive » fait penser aux situationnistes et à leur maître à penser, Guy Debord, cité en exergue de l’édito présentant cette manifestation prévue les 29, 30 et 31 octobre à Aix-en-Provence. Une dérive, donc, est une sorte d’errance dont les seules balises sont le hasard des rencontres, l’émotion des ambiances urbaines, l’expérience physique de la psychogéographie…

Concernant l’exposition Digital Dérives, ce principe s’applique à un parcours qui nous invite à découvrir des œuvres nous confrontant souvent de manière inédite, critique ou troublante aux technologies emblématiques de notre siècle. À commencer par les jeux vidéos au cœur de la performance Lipstrike de Chloé Desmoineaux qui « torpille » les violences sexistes du fameux FPS Counter-Strike « armée » de rouge à lèvres… Roberte La Rousse — pseudo qui regroupe l’artiste Cécile Babiole, la chercheuse Anne Laforet et la comédienne Coraline Cauchi — aborde aussi la question du genre au travers de la manière dont sont rédigées certaines biographies sur Wikipedia (Wikifémia – Révisions).

Il suffit d’une présentation décalée, d’un détournement ou d’une mise en abîme, pour amplifier l’obsolescence d’un objet technologique. Comme une « mise sous cloche », par exemple. Antonin Fourneau le démontre de manière dépouillée, mais efficace, en nous montrant les mouvements frénétiques d’un joystick en roue libre, pourrait-on dire ; c’est-à-dire sans être relié à un ordi, simplement « exposer » dans un cube de plexiglas (Ghostpad).

C’est ce que propose aussi Quentin Destieu avec Bobinât. Enchâssé dans des fils de cuivre, un vieux Mac sous vitrine diffuse de la musique aux sons distordus, comme son écran, sous l’effet cette bobine aux effets électromagnétiques bien connus. Avec Sylvain Huguet, ce sont les écrits numériques de toutes sortes (textes, tickets de caisse, poésie, billets de train, etc.) qui subissent aussi des « diffractions », qui se superposent, s’emmêlent, se transforment, s’évanouissent (Tout s’efface. Rien n’est immuable)…

Le collectif Disnovation.org (feat. Maria Roszkowska, Nicolas Maigret et Baruch Gottlieb) réalise des profilages numériques révélant l’envers des géants du web en retournant les algorithmes que ces entreprises développent pour cataloguer chacun d’entre nous (Profiling The Profilers). NAO (Naoyuki Tanaka) entraîne le public (restreint) dans un univers à la fois codifié et numérisé du kung-fu avec sa performance Venomous Master.

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, dont on ne compte plus le nombre de collaborations, ont balayé une large partie du spectre des « dérives » de notre époque : automatisation du traitement des produits, du vivant et des données, images virales, collecte des données et géolocalisation, mythologie des infrastructures modernes… Pour Digital Dérives, ils s’attaquent à la religion du travail au travers d’une installation vidéo (Institut de néoténie pour la fin du travail). Entre Le Monde vert de Brian Aldiss et Brazil de Terry Gilliam, ils mettent en scène des employés de bureau en proie à des tâches sans fin et sans but, prisonnier dans leur open-spaces progressivement envahit de végétation, cherchant en vain à échapper à leur sort par des dérivatifs et jeux régressifs.

Digital Dérives, du 29 au 31 octobre, Patio du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.
Entrée libre, jauge limitée, port du masque obligatoire, fermeture à 20h00.
> www.digital-derives.com