En collaboration et co-production avec l’Observatoire de l’Espace du CNES, jusqu’au début janvier 2025, le Centre des Arts d’Enghien propose une exposition qui regroupe des vidéos, photographies, installations et dessins numériques mis en relation avec des objets témoins de l’histoire de l’aventure spatiale (instruments techniques, archives graphiques, documents audiovisuels).

Antoine Belot, Un ballon qui dérive se fiche de savoir l’heure qu’il est. Photo: D.R.

Si les scientifiques cherchent à décrypter l’Espace, les artistes cherchent à montrer comment l’Espace renouvelle notre imaginaire. Le parcours de cette exposition est divisé en trois parties. Dans la première, les œuvres sont créées à partir d’images d’archives qui sont détournées et transformées. Antoine Belot s’est saisi de films retraçant les premiers lancements de ballons stratosphériques et la naissance du projet Éole (Un ballon qui dérive se fiche de savoir l’heure qu’il est).

Au travers de son installation CSG, Bertrand Dezoteux utilise des archives visuelles de la construction du Centre spatial guyanais pour créer des environnements 3D (photo et vidéo) créant ainsi une ville nouvelle, fictive, dans laquelle le visiteur est invité à déambuler.

À la frontière de la vidéo contemporaine, du cinéma expérimental et de la recherche plastique, Post-Machine d’Olivier Perriquet donne une autonomie troublante aux plans d’objets de l’aventure spatiale (fusées, satellites, véhicules, sondes spatiales, etc.) qui semblent ainsi répondre à une forme de déterminisme…

Justine Emard, In Præsentia. Photo: D.R.

Sensible à l’esthétique des dessins techniques, des équipements, mais aussi des discours qui forment le décorum des débuts de l’aventure spatiale française, Erwan Venn propose une exploitation ornementale et domestique des archives du projet Diamant, le premier lanceur de satellites français, qui se déploie comme les motifs d’un papier peint (À la conquête de l’Espace !).

La deuxième partie de l’exposition est axée autour des véhicules, des animaux et de l’intelligence artificielle employés dans l’exploration spatiale. Grâce au deep learning, toujours à partir d’images d’archives, Véronique Béland a ainsi entraîné une intelligence artificielle pour qu’elle construise une nouvelle génération d’engins spatiaux sans intervention humaine (En sortie, le scientifique de l’espace : point sur la conception).

Plasticienne et vidéaste, Justine Emard montre un singe qui observe des images d’expériences scientifiques : premiers vols en impesanteur réalisés par d’autres singes, météorite flottant à bord de la Station spatiale internationale et vues de la Lune captées par des sondes d’exploration. Dans cette mise en abîme, les gestes et réactions de l’animal devant les images projetées guident le récit du film (In Præsentia).

Eduardo Kac, Télescope intérieur. Phto: D.R.

La série de dessins de Romain Sein, Éphéméride, reprend les angles de vue classiques de la communication scientifique pour construire un récit où ce n’est pas l’observation humaine qui est au centre, mais bien l’action des objets spatiaux (le télescope Hubble qui observe la comète Neowise, une sonde qui rencontre un astéroïde, les traces du rover Curiosity visibles sur Mars).

La troisième et dernière partie de l’exposition réunit des œuvres pensées et créées en rapport avec les spécificités de l’espace, en particulier l’absence de pesanteur. Artiste multimédia et performeur, Renaud Auguste-Dormeuil a réalisé une installation vidéo immersive qui adopte cinq points de vue différents et convoque les sensations de désorientation éprouvées lors des phases successives d’impesanteur et d’hypergravité. Les images ont été tournées à bord de l’Airbus Zero-G qui réalise des vols paraboliques reproduisant un état de micropesanteur.

Baptisée Télescope intérieur, la sculpture de papier d’Eduardo Kac paraît, au premier abord, éloignée de ce contexte. Pourtant elle a flotté à l’intérieur de la Station spatiale internationale lors de la mission spatiale Proxima de l’Agence spatiale européenne en 2016. Elle a été aussi l’objet d’une performance réalisée, in situ, par Thomas Pesquet. Sa forme laisse apparaître le mot « MOI » et évoque aussi une silhouette humaine au cordon ombilical coupé, symbole de l’émancipation de nos limites gravitationnelles…

> exposition Encoder l’Espace
> du 19 septembre au 05 janvier, Centre des Arts, Enghein
> https://www.cda95.fr/

Loops of the Loom

Malgré la généralisation du sans-fil, le câblage est encore très présent pour alimenter, recharger ou connecter les nombreux appareils que nous utilisons au quotidien. Avec les câbles audio, les fils électriques sont les plus répandus. C’est ce type de câbles qu’utilise Cécile Babiole dans une série d’œuvres présentées à l’issue d’une résidence au LABgamerz dans l’exposition Loops of the Loom, à Aix-en-Provence au Musée des tapisseries jusqu’en janvier prochain.

L’intitulé et le lieu trahissent l’intention de Cécile Babiole : se servir de câbles électriques de différentes couleurs pour faire du tissage. L’entrecroisement de ces fils se répète de manière algorithmique pour former un motif selon un « pattern » préétabli ». Couplés à des cartes-sons, des amplificateurs et des haut-parleurs, les câbles transmettent des signaux audio, des boucles (loops) basées sur les motifs de chacun de ces tissages.

Cécile Babiole se sert de ces dessins et entrelacements de couleurs comme d’une partition de séquences rythmiques, dont chaque point (croisement d’un fil de chaîne et d’un fil de trame) forme une unité temporelle de base, comme le pas d’un séquenceur. La suite spatiale des motifs visuels devient l’enchaînement temporel des motifs sonores. Les séquences rythmiques sont entièrement réalisées à partir d’échantillons de sa voix… Il n’est pas anodin de rappeler que les métiers à tisser de type Jacquard, apparus au début du XVIIIe siècle, sont les premières machines programmées avec des cartes perforées, tout comme les pianos mécaniques et certains automates.

En parallèle, Cécile Babiole a conçu Radio TXT : une installation radio avec une antenne tissée. Diffusé dans la salle d’exposition, ce dispositif retransmet un programme spécial d’une dizaine de minutes sur la bande FM via un petit émetteur. On y entend de courts récits et anecdotes sur différents thèmes en rapport avec le textile comme le langage, le genre, l’informatique, l’histoire de l’art et la typographie.

On découvre aussi la vidéo d’une performance : Tisser la terrain de football. Pourquoi « la » terrain ? Parce que Cécile Babiole fait acte d’appropriation symbolique d’un espace public très majoritairement fréquenté par des utilisateurs masculins. Munie d’un capteur GPS, elle a arpenté un terrain de football en long et en large afin de dessiner virtuellement des lignes figurant la chaîne et la trame d’un textile imaginaire à la taille du terrain. Le tracé de ses déambulations est affiché en vidéo sur un fond de carte issu du projet de cartographie collaborative OpenStreetMap.

Active dès les années 80, Cécile Babiole est une artiste qui a abordé musique électronique, performance, animation 3D, installation, vidéo, art numérique. Ses travaux récents s’intéressent à la langue (écrite et orale), à sa transmission, ses dysfonctionnements, sa lecture, sa traduction, ses manipulations algorithmiques. Avec Anne Laforet, elle est également co-fondatrice du collectif Roberte la Rousse, groupe cyberféministe qui travaille sur la thématique « langue, genre et technologie » sous la forme de performances et de publications. Cécile Babiole est par ailleurs membre du collectif d’artistes-commissaires Le sans titre et, également, commissaire d’exposition indépendante.

> exposition Loops of the Loom
> du 12 octobre au 19 janvier, Musée des tapisseries, Aix-en-Provence
> https://babiole.net/projects