bestiaire utopique

À mi-chemin entre robotique low-tech et sculpture sonore, le collectif Tout reste à faire (Mathieu Desailly, Vincent Gadras, David Chalmin) propose un étrange bestiaire. Des insectes géants composés à partir d’éléments de vieux instruments de musique (accordéon, harmonium, clavecin, ukulélé…) qui sont recyclés et réagencés. anima(ex)musica réunit une dizaine de créatures : sauterelle, méloé, scolopendre, cigale, doryphore, cloporte, punaise, scarabée…

Ces créatures mécaniques, qui présentent un aspect steampunk avéré, sont rendues mobiles et animées. Leurs mouvements imitent la discrétion des insectes et se présentent sous forme de micro-déplacements, de vibrations, d’ondulations… Chacune fait l’objet d’une composition musicale dont l’orchestration renvoie aux instruments ayant servi à sa fabrication. Chaque spécimen est doté d’une partition. Leur chant est déclenché par l’intrusion des spectateurs dans son espace et contribue à l’inquiétante étrangeté de la rencontre.

Alors que leur modèle dans la nature sont minuscules, ces reproductions mécaniques surprennent aussi par leurs dimensions. Citant Darwin, le collectif insiste sur ce point : s’il était possible d’imaginer un mâle Chalcosoma avec son armure de bronze poli et ses encornures complexes qui aurait la taille d’un cheval ou simplement celle d’un chien, il deviendrait l’un des animaux les plus impressionnants de la planète.

Cela fait maintenant près de dix ans que ce projet a été initié. Le bestiaire s’est agrandit progressivement. Il est présenté aux Champs Libres à Rennes selon une scénographie qui évoque les alvéoles d’une ruche. Cela permet de présenter trois points de vue différents de l’exposition à savoir : une vision dite souterraine, une vision au sol et une vision aérienne, reproduisant ainsi les trois niveaux possibles des biotopes propres aux insectes. Dernier né, un grillon sera finalisé durant le temps de cet événement, au cours de 3 séances d’atelier. Visible gratuitement jusqu’au 3 septembre, anima(ex)musica sera ensuite présentée à la Cité de la Musique – Philharmonie à Paris jusqu’au début de l’année prochaine.

anima(ex)musica
> du 14 avril au 3 septembre, Les Champs Libres, Rennes
> https://www.toutresteafaire.com/
> https://www.leschampslibres.fr/

Les aventures musicales de l’afrofuturisme

L’afrofuturisme est une bannière qui réunit plusieurs courants musicaux. Jazz, funk, afrobeat, hip-hop, rap, breakbeat, electro, techno… Soit les multiples facettes de la « musique black » moderne, même si ce terme est beaucoup trop réducteur. L’afrofuturisme n’est pas une musique noire, mais une musique du futur faite avec des machines par des musiciens noirs.

En fait, l’afrofuturisme déborde largement ce cadre musical. C’est un ensemble culturel, urbain et pluridisciplinaire, qui fait appel autant à la mythologie qu’à la bande dessinée, à la philosophie qu’à l’informatique, à la science-fiction qu’aux diasporas africaines, à la vidéo qu’aux fictions spéculatives… L’édition 2022 du Carnegie Hall’s citywide festival à New York rendait compte de cette effervescence.

Le Britannique d’origine ghanéenne Kodwo Eshun, journaliste, cinéaste et enseignant, a écrit un ouvrage de référence sur l’afrofuturisme, Plus brillant que le soleil : aventures en fiction sonore. Paru en 1998, ce livre vient enfin d’être traduit en français pour le compte des Éditions de la Philharmonie. La tâche fut ardue tant le style, heurté, s’apparente à un jeu d’écriture expérimentale où un flow de mots s’entrechoquent. Chose rare, à la mesure de la difficulté du texte, c’est la traductrice Claire Martinet qui en signe la préface.

Avec ses néologismes liés, si ce n’est rythmés, par une syntaxe disloquée, la lecture de ce livre s’apparente à un mix truffé de breakbeats et de samples. Il en reprend les codes. Kodwo Eshun truffe également son récit de références à Virilio, Baudrillard, Canguilhem, Deleuze, Foucault, Mumford, Nietzsche, Reich, Sartre… sans oublier Burroughs, Arthaud, W.E.B. Du Bois, Fanon, Paul Gilroy, Donna Haraway, Mark Dery et, pour la science-fiction, Ballard, Clarke, Delany, Dick, Gibson, Haldeman, Sterling…

Bien vite, donc, en entamant la lecture de cet ouvrage, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une simple narration, pas de l’histoire linéaire d’un genre musical, mais le récit du mouvement (au sens mécanique) d’une « musique machine », d’une « musique alien ». Une Futurythmachine. Presque une mythologie du futur donc, dont les bardes s’appellent Sun Ra, Coltrane, Miles Davis, Herbie Hancock, Parliament, Public Ennemy, Dr. Octagon, Tricky, Scientist, Lee Perry, Underground Resistance, Phuture, Ultramagnetic MC’s, Goldie, 4 Hero… Au fil des pages, on a l’impression de réécouter en accéléré la bande-son des 40 dernières années : jazz « fission », dub, hip-hop, techno, drum-n-bass…

De fait, l’afrofuturisme est avant tout une musique qui allie technique et informatique. Une musique « futuriste », car c’est une musique de rupture, pétrie d’accidents, de scratchs, d’électroniques, d’échos, de mixes, de samples, etc. Les platines et tables de mixage formant une « terre neuve », selon l’expression de Lee Perry. Les sampleurs et logiciels de séquençage dessinant une « constellation de systèmes » dans laquelle navigue le producteur. L’afrofuturisme est une musique de contre-coup qui se déploie au fil de perturbations sonores… Et les phases de ce discontinum sont autant de chapitres du livre : afrodélie, skratchadélie, sampladélie, psychédélie, octophrénie, mixadélie

Ainsi, avec le dub nous rentrons dans un monde d’échos. Et au premier écho, l’écoute doit changer complètement. Il faut que l’oreille se lance à la poursuite du son. […] Impossible de rattraper la pulsation, les traînes sonores qui prennent un virage et s’évanouissent au bout d’un couloir. De King Tubby à Basic Channel, la cymbale est toujours hors de portée, toujours sur le point de basculer aux confins de la perception. Là où devrait se trouver le rythme, il y a de l’espace, et vice versa.

Outre l’écho d’autres perturbations, comme la distorsion, font aussi basculer la musique dans une autre dimension. La musique du futur est agravitaire, transcendante, en parfaite conjonction avec la désincarnation numérique en ligne. Les machines, du sampleur au vocodeur, ont bien changé la nature de la musique, réalisant le souhait d’Edgar Varèse cité par Kodwo Eshun : j’ai besoin d’un moyen d’expression entièrement nouveau, une machine à produire des sons (non pas à reproduire des sons).

En bonus, on découvre un entretien qui s’impose comme une véritable explication de texte. Remisant son langage cryptographique, Kodwo Eshun confirme en termes simples l’objectif de son livre : renverser les récits traditionnels sur la Musique noire. Et en révèle les éléments clés : McLuhan et Ballard. Concernant la notion d’afrofuturisme, il rappelle que c’est Mark Dery (l’auteur de Vitesse virtuelle : la cyberculture aujourd’hui) qui en est à l’origine. Mais c’est le journaliste Mark Sinker qui a creusé le sujet, à la suite de l’écrivain et musicien afro-américain Greg Tate qui s’intéressait à la science-fiction noire et à la musique black.

Plus brillant que le soleil est donc une analyse des visions du futur dans la musique, de Sun Ra à 4 Hero. L’un des fils rouges est la science du breakbeat. Dans ce grand bouleversement sonore, la sampladélie ouvre un continuum entre le son visuel et le son audio. Kodwo Eshun observe par ailleurs que les films d’action occupent la même strate que la skratchadélie. Ce sont les mêmes vélocités, les mêmes vecteurs, les mêmes sons. L’afrofuturisme est-il postmoderne ? La réponse de Kodwo Eshun est cinglante : Le postmodernisme ne veut rien dire en musique. Ça ne veut rien dire du tout. Ça ne veut plus rien dire depuis 1968 au moins, quand les premières versions ont commencé à sortir de Jamaïque…

Kodwo Eshun, Plus brillant que le soleil : aventures en fiction sonore (Éditions de la Philharmonie / collection La rue musicale, 2023)
Infos > https://philharmoniedeparis.fr

Useful Fictions.3 Symbiose(s

L’École des Arts Décoratifs (EnsAD), Polytechnique et la Fondation Daniel & Nina Carasso sont à l’origine de la Chaire arts & sciences qui propose la biennale Useful Fictions — en partenariat avec Hexagram, SIANA, Télécom Paris, UQAM École de Design, Factory (Arts Sciences Citoyens), Le Théâtre de la Ville. Un appel à candidatures est lancé afin de permettre à une trentaine de personnes d’intégrer les Labs Thématiques qui rythmeront cet événement. 

La Chaire arts & sciences a pour vocation de faire dialoguer enjeux citoyens, monde universitaire et pratiques artistiques, pour explorer l’interdépendance à nos environnements vivants et technologiques.

Cette troisième édition de Useful Fictions se propose d’explorer le potentiel des imaginaires symbiotiques en concevant des variations technologiques et biologiques sur le thème du commun, afin d’appréhender ce qui se joue dans les interstices et le pouvoir de transformation de l’intelligence collective.

Useful Fictions se tiendra fin juin sur le campus de l’Institut Polytechnique à Palaiseau et sera suivi d’un week-end d’exposition-restitution les 1er et 2 juillet au Théâtre de la Ville à Paris (actuellement à l’Espace Pierre Cardin). L’appel à candidatures pour cette école d’été est ouvert à toute personne motivée et curieuse, sans condition d’âge ni de diplôme.

Au total, une trentaine de candidats seront retenus pour s’investir pendant une semaine dans l’un des 6 laboratoires de recherche-création encadrée par des artistes, designers et scientifique. Dans un esprit DIY, les candidats seront invités à réaliser un dispositif, une forme artistique hybride ou un prototype autour d’objets connectés, du phytomorphisme, de l’artificialité réactive, du machine learning, de l’aléatoire, de l’éphémère ou bien encore du wokisme…

Useful Fictions.3 Symbiose(s)
École d’été arts-design-sciences
Candidature > formulaire
Date limite de candidature > 17 avril à midi
Résidence du 26 au 30 juin, IP Paris – Palaiseau
Exposition-Restitution les 1er et 2 juillet, Théâtre de la Ville
Contact > chaireartsetsciences@gmail.com
Information > https://chaire-arts-sciences.org

Séquence #5 : arts sonores

Visualiser le son est une exposition collective (sons, vidéos, art génératif, installations interactives, projections, rencontres) qui présente différentes approches quant à ces connexions, et cela à travers différentes perspectives : les partitions graphiques de Chiyoko Szlavnics et Clara de Asís ouvrent la porte vers une conception plus ample et visuelle de l’écriture musicale.

Les vidéos de Simon Girard et Julien Haguenauer, ainsi que les données sonifiées et mises en vidéo par le duo britannique Semiconductor, nous montrent comment les images et les sons peuvent être traités et générés d’une même manière. Les images fixes de Sigolène Valax et Sabina Covarrubias proposent des musiques dont la sonorité est perçue en tant que couleur et forme, tandis que l’art génératif de Guillaume Loizillon révèle le champ des possibles de l’univers du web.

Enfin, l’interactivité et la gestuelle sont mis en évidence dans les travaux de Basile Chassaing et la pièce que [Federico Rodriguez-Jiménez] propose : les capteurs de mouvement ou de son permettant au spectateur de voir le sonore en tant que geste ou en tant qu’image en temps réel. Visualiser le son ouvre une réflexion autour des possibles zones de brouillage entre le son et l’image.

En répondant à l’écriture traditionnelle du phénomène sonore, cette exposition enquête sur l’écriture musicale elle-même et pointe vers de nouvelles directions concernant la notation des mondes sonores contemporains. […] Et s’il est question, dans l’exposition Visualiser le son, de données qui génèrent indifféremment des sons ou des images, d’outils technologiques qui réinventent l’écriture musicale, la programmation cinéma qui l’accompagne dresse quant à elle un panorama des relations entre « audio » et « visuel »…

> du 10 mars au 13 août, Le Lavoir Numérique, Gentilly
> https://lavoirnumerique.grandorlyseinebievre.fr/

La 38e édition de Vidéoformes, le festival international d’arts hybrides et numériques de Clermont-Ferrand, aura lieu du 16 mars au 02 avril et affiche un programme très riche.

Dédié à des créations hybrides, c’est-à-dire mêlant art et science, cet événement invite à parcourir les multiples détournements de jeux vidéo, à aborder les questions environnementales, la perception et la représentation du corps, du paysage, la couleur et des esthétiques culturelles différentes au travers d’expositions, performances, projections et rencontres.

Le festival proposera notamment une sélection de films et d’expériences en réalité virtuelle. Dont I-Real, un projet de réalité mixte qui mélange jeu de plateau et VR conçu par Marc Veyrat en collaboration avec des laboratoires universitaires. Et Inside A Circle Of Dreams, une vidéo 360° des Residents qui utilise des images stéréoscopiques tournées lors du festival Litquake en 2018 à San Francisco.

Des prix seront décernés par des jurys (professionnel, étudiant, SCAM) pour distinguer des vidéos internationales et expérimentales. Des journées de rencontres professionnelles — Actes numériques #4 — confronteront les points de vues des artistes, commissaires, producteurs, diffuseurs, formateurs, enseignants, étudiants…

Soit trois tables rondes qui ponctuent des présentations d’œuvres et d’artistes autour de thématiques choisies : Entre peau et pixels, le corps s’hybride (avec l’artiste Úrsula San Cristóbal et Davide Mastrangelo, directeur artistique du festival IBRIDA), Méta-vidéo, métaverse : l’arrière-boutique du monde… (avec le collectif d’artistes Total Refusal et Hokyung Moon, commissaire d’exposition du Seoul International NewMedia Festival), L’œuvre en soi-même : l’art au cœur d’un monde sans lumière ? (avec l’artiste Agnès Guillaume et Abir Boukhari, directrice artistique du projet AllArtNow).

En parallèle aura lieu Vaudou guéris (sage), une rencontre sous l’égide de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) réunissant Clémentine Raineau, anthropologue, et Henri Tauliaut, artiste techno-performer et enseignant-chercheur.

Des performances AV viendront rythmer le week-end d’ouverture, le 17 et 18 mars, avec DATUM CUT (alias Maxime Corbeil-Perron) qui viendra présenter en première mondiale inex.materia. Une célébration onirique de l’impermanence et de l’obsolescence nourrie par les coupes anarchitecturales, l’archéologie des médias, le cinéma expérimental et l’art vidéo.

Avec Untitled, Rafaël livrera une performance live-cinéma, qui manipule du son et de l’image en direct, basée sur le récent triptyque audiovisuel éponyme. Dans un autre registre, le live-mix vidéo de DZRDR devrait être plus percutant…

Une exposition, éclatée dans près d’une dizaine de lieux (9 pour être précis), nous permettra d’apprécier les installations audio-visuelles d’Anne-Sarah Le Meur (DixVerts), Ursula San Cristobal (Tejer un cuerpo), Total Refusal (Hardly Working), Shunsuke François Nanjo (The Infinite Landscape), Henri Tauliaut (Water Divinity Game), Gary Hill (Afterwards), Mariana Carranza (Ephemeral Angels), Agnès Guillaume (You said Love is Eternity)…

Une exposition collection, Vidéo Art Academy, proposera une sélection de vidéos issues des travaux d’établissements d’enseignement supérieur qui relèvent du champ de l’art vidéo et des arts numériques. Des ateliers d’initiation à la réalité augmentée seront ouverts au public.

Les visiteurs seront également mis à contribution pour l’installation interactive de Mariana Carranza, Forest Stillness. Ce dispositif offre la possibilité de faire pousser des arbres de manière contemplative, d’observer leur croissance avec une économie de gestes… Cette contribution sera validée par des NFT.

Vidéoformes 2023
> du 16 mars au 02 avril, Clermont-Ferrand
> https://festival2023.videoformes.com/