Durant un mois, à partir du mercredi 9 novembre, le Labo Arts & Techs de Stereolux organise un Cycle thématique autour des Enjeux environnementaux des arts numériques. Au programme, une série de tables rondes sur le low-tech, l’éco-conception des arts numériques et la responsabilité du numérique et de la création artistique.

Le monde du numérique a semblé pendant longtemps épargné par les questions environnementales, apparaissant même pendant un temps comme étant une panacée en ce domaine face aux industries et entreprises de l’Ancien Monde… Mais la prise de conscience actuelle de l’urgence et de la globalité du problème du changement climatique oblige le secteur du numérique à faire en quelque sorte aussi son « auto-critique » et à réfléchir sur de nouvelles manières de créer, de montrer, de s’engager. Qui plus est, ce défi est devenu au fil des dernières années une véritable source d’inspiration pour les acteurs et créateurs du numérique.

Face à ce défi, les pistes et les questions multiples. Elles seront l’objet des discussions de ces tables rondes proposées tout au long de ce cycle. Les interrogations sur la réduction des impacts du numérique, par exemple, sont devenues fondamentales. Cela passe par un changement de paradigme dans notre manière de penser, de concevoir et d’utiliser le numérique, pour tendre vers une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte des effets qu’il génère. S’il devient ainsi nécessaire d’inventer de nouvelles manières de faire, la mise en place de nouveaux imaginaires et sensibiliser les acteur(ice)s du secteur et utilisateur(ice)s est également un enjeu important.

La réduction de l’impact environnemental du secteur des arts numériques, que ce soit au niveau des œuvres, mais aussi au niveau des structures de diffusion et de production, sera au centre de ces débats. Le fait que la notion d’éco-conception, traditionnellement appliquée dans un contexte industriel, s’invite dans ce débat est révélateur d’une vision nouvelle, d’une autre « manière de faire ». Désormais, pour les démarches artistiques aussi il faut identifier les impacts environnementaux générés par les différentes étapes de création, de production, de diffusion et de conservation d’une œuvre, puis mettre en place des actions permettant de les diminuer, sans perdre de vue l’intention artistique initiale. Et dans le domaine des arts numériques, cette démarche croise à la fois des problématiques communes à d’autres domaines artistiques (choix de conception et de matériaux par exemple), mais aussi des enjeux plus particuliers, notamment au niveau des technologies numériques utilisées ou de modes de production, de diffusion et de conservation souvent spécifiques.

Dans ce contexte, la démarche low-tech est sans doute pionnière. Portée par de nombreux artistes s’inscrivant dans une approche critique des technologies numériques, souhaitant réduire l’impact environnemental et social de leurs projets, ou explorant les enjeux artistiques et esthétiques d’objets électroniques de première génération, moins complexes, et mêlant récupération, bricolage et recyclage. Cette démarche low-tech s’inscrit dans le contexte d’une prise de conscience sur l’impact environnemental et social des technologies numériques et semble pouvoir être une réponse possible aux problématiques qu’elles soulèvent. On notera toutefois que dans les pays de l’Hémisphère Sud, le low-tech est une réalité tangible depuis des décennies, non par choix ou prise de conscience tardive, mais simplement par nécessité…

Enfin, un workshop sur 3 jours, du mercredi 16 au vendredi 18 novembre, animé par les artistes Selma Lepart et Nathalie Guimbretière, sera consacré au low-tech et à la soft robotic. Ouvert à tous et singulièrement aux makers, designers, technicien(ne)s et artistes, cet atelier a pour objectif d’ouvrir de nouveaux champs exploratoires. Dans ce cadre, les participant(e)s seront amené(e)s à découvrir la robotique créative, à expérimenter et à créer des objets et des dispositifs à partir d’éléments souples et déformables (comme des éléments pneumatiques, de pliage mobile, etc.), mais aussi à partir de matériaux responsifs (par exemple les métaux à mémoire de forme).

Cycle thématique : enjeux environnementaux des arts numériques
Du 9 novembre au 8 décembre, Stereolux, Nantes
> https://www.stereolux.org/

Art & Recherche Biomédicale

L’exposition Plus Que Vivant qui structurait le festival Open Source Body a été l’occasion de découvrir une dizaine d’installations qui interrogent le vivant par le biais de la santé et de la recherche médicale. Les artistes qui étaient réunis pour cet évènement proposé par Art2M/Makery/MCD et la Cité internationale des arts sont impliqués dans le projet ART4MED (Art meets Health and Biomedical research) co-financé par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.

Cette thématique spéculative autour des biotechnologies n’était pas sans évoquer l’âge d’or de la science-fiction. Comment ne pas penser au meilleur des mondes d’Aldous Huxley, où les êtres humains sont conçus à la chaîne en laboratoire, en étant confrontés à UNBORN0x9… Cette installation de Shu Lea Cheang et Ewen Chardronnet, où l’on distingue un nouveau-né dans une sorte de couveuse ovoïde (sur)veillée par un bras robotisé, pose la question du développement des fœtus hors du corps, dans des utérus artificiels, et du devenir cyborg de la parentalité…

Unborn0x9, de Shu Lea Cheang, Ewen Chardronnet et le collectif Future Baby Production. Photo: © Quentin Chevrier

Le corps et ses ressources, parfois insoupçonnées, sont à la fois source d’inspiration, matériaux et données brutes pour ces explorations artistiques qui agissent aussi comme des alertes. Proche du milieu des biohackers, l’artiste-performeuse Maya Minder proposait Green Open Food evolution. Une réflexion autour de la consommation des algues, si prisées au Japon notamment, ainsi qu’une expérience communautaire autour de la nourriture. Un dîner performatif où le design à une importance centrale. Pour reprendre la formule consacrée, nous sommes ce que nous mangeons et l’on peut aussi s’interroger sur l’évolution et les transformations de nos organismes selon nos régimes alimentaires.

Avec Tiny Minning, Martin Howse présentait une sorte d’auto-exploitation des corps pour en extraire des minerais et terres rares… Cette initiative est suivie depuis 2019 par une communauté informelle de chimistes, géologues, artistes et médecins « alternatifs ». Ce projet pour le moins étonnant reste purement fictionnel. Il ne s’agit pas de mettre en œuvre de tels protocoles en direction du grand public, mais de se livrer à une spéculation et d’expérimenter des pistes en résonnance avec la problématique de l’exploration et du pillage des ressources minières.

Helena Nikonole & Lucy Ojomoko travaillent plus en surface, si l’on ose dire… Leur projet Quorum Sensing : skin flora signal system passe par des modifications génétiques de la peau humaine. L’idée est de pouvoir détecter des maladies grâce aux odeurs émises par les bactéries du microbiome cutané qui joueraient ainsi le rôle d’un signal d’alarme. À noter que dans ce processus, les odeurs produites ne sont pas forcément mauvaises, comme dans la vraie vie, mais peuvent revêtir des senteurs florales par exemple… Helena Nikonole & Lucy Ojomoko ont matérialisé et testé ce projet via un dispositif d’odorat biomorphique relié à des récipients en verre par des tubulures souples en plastique. Le public est invité à renifler délicatement les diverses exhalaisons ainsi (re)créées.

Quorum Sensing, de Helena Nikonole and Lucy Ojomoko, lors du vernissage. Photo: © Quentin Chevrier

Avec M/Other : arts of repair, Edna Bonhomme, Nazila Kivi, Jette Hye Jin Mortensen & Luiza Prado ont choisi d’opérer sur les âmes plus que sur les corps. Mis en scène dans une salle abandonnée d’un hôpital psychiatrique (toujours en activité), cette installation collective et multifacettes vise à explorer les possibilités de réinvestir les espaces de guérison institutionnels et met exergue les inégalités en matière de santé et de la violence raciale dans les antécédents médicaux.

M/other: the arts of repair / Jette Hye Jan Mortensen. Photo: © Quentin Chevrier

Enfin, l’approche politique était assurée par Estelle Benazet Heugenhauser & Cindy Coutant aka L4bouche. Leur installation Jupiter Space se présente comme une fresque avec des collages, dessins, photos et fragments de textes signés, par exemple et au hasard, par Ulrike Meinhof… La source de cette installation qui s’érige contre la domination masculiniste et le contrôle des corps est un texte de la chercheuse Zoë Sofia — à laquelle Donna Haraway doit beaucoup — publié dans les années 80 dans la revue Diacritics. Intitulé Exterminer les fœtus : avortement, désarmement, sexo-sémiotique de l’extra-terrestre, ce manifeste a été traduit justement par L4bouche et vient juste de paraître en français aux éditions Excès.

Jupiter Space, de Cindy Coutant & Estelle Benazet (l4bouche). Photo: D.R.

À l’occasion d’une précédente « monstration » de cette installation, à la galerie Les Limbes à Saint-Étienne en 2021, Jacopo Rasmi (maître de conférences en arts visuels et études italiennes à l’Université Jean Monnet) analysait avec précision cette galaxie sidérale et sidérante d’une domination masculiniste qui façonne les imaginaires, les outils et les désirs au détriment autant des corps féminins que des milieux terrestres (lisez Lundi.AM !).

Festival Open Source Body, édition 2022
Exposition Plus Que Vivant : quand l’art rencontre la santé et la recherche médicale
> https://www.opensourcebody.eu/