et autres initiatives de makers à Lomé

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, seconde partie de sa correspondance depuis Lomé.

Isabelle Arvers (premier rang, au centre) à la Case des Daltons. Photo: D.R.

Les Woelabs lieux de démocratie technologique

L’interview de Sename Koffi, commissaire de l’exposition « Lomé + » chroniquée dans ma première correspondance m’a fait appréhender tout l’écosystème numérique togolais. En l’interviewant, je découvre les premiers fablabs créés à Lomé, mais aussi comment ces lieux sont devenus un tech hub et ont initié plusieurs générations de makers.

Le Woelab est un projet initié par Sename Koffi Agbodjinou en 2012 avec la création d’un premier espace, le Woelab Zéro, puis d’un second, le Woelab Prime en 2016. Dans l’idée de « mailler tout le territoire d’espaces d’innovation avec un réseau de lieux, en essayant d’avoir un lieu dans chaque quartier. Les deux lieux se situent à la frontière du Ghana, afin de transformer cette bande frontalière en un « smart territoire ». Woelab est l’équivalent Togolais du fablab, puisque « Woe » signifie « fais-le » en Ewé.

C’est un laboratoire pour faire des choses, un espace dédié au numérique, un lieu transversal. Avec des espaces de coworking proposant des services partagés (aide juridique, secrétariat, communauté, programme d’accompagnement des entrepreneurs, reprographie, comptabilité) ; un incubateur de start-up avec un accompagnement à la professionnalisation d’entreprise ; un lieu d’apprentissage des technologies et aujourd’hui un grenier urbain grâce à la start-up Urbanattic.

Sename m’explique que « c’est un projet qui a un peu déclenché la scène tech au Togo, on a créé le premier tech hub du pays et toutes les choses en lien avec le digital ont ensuite gravité autour. » En 8 ans, de très nombreuses personnes sont passées par les Woelabs, de nombreuses sociétés se sont créées. L’idée étant de former des personnes aux nouvelles technologies pour qu’elles puissent ensuite produire elles-mêmes leurs propres techno. « Dans la scène tech togolaise, 4 personnes sur 5 viennent de chez nous. » Le Woelab a d’ailleurs été sous le feu des projecteurs en 2013 pour avoir conçu la W.Afate, la toute première imprimante 3D créée à partir de déchets électroniques. Un projet qui avait été primé par la NASA dans le cadre de l’International Space Apps Challenge.

Quartier Woelab. Photo: D.R.

Les Woelabs sont des lieux majoritairement fréquentés par des jeunes, la moyenne d’âge allant de 13 à 19 ans. Le profil des jeunes n’est pas forcément « tech ». « L’engagement de ce lieu, poursuit Sename, est de prouver que n’importe qui, même quelqu’un qui n’a pas été à l’école, peut devenir une personne qui a complètement compris ce qu’est la culture digitale et est capable de faire des choses avec le numérique. Toute personne qui souhaite apprendre est la bienvenue, il n’y a aucun filtrage, aucune sélection. On se présente comme des espaces de démocratie technologique. »

Les labs sont en capacité d’accueillir chacun une trentaine de jeunes, donc chaque année une communauté se stabilise autour de 60 jeunes. En début d’année, il est demandé à chaque jeune ce qu’il ou elle aimerait réaliser et ils/elles vont ensuite pouvoir suivre les ateliers et différentes interventions de professionnels dans des domaines aussi variés que le dessin technique, la modélisation 3D, le code, le prototypage, etc. Chaque intervention étant destinée à accompagner le projet de chacun.e dans le cadre des WoecodeAcademy, « un programme d’activation junior ».

D’autres interventions sont proposées dans le cadre de la Woe Academy, une sorte d’université libre, ouverte au tout public, qui m’a permis de donner trois ateliers machinima en ligne via zoom à la communauté des Woelabs. Pour le dernier atelier, j’étais accompagnée par les jeunes de la Opencode Academy. 8 ans après sa création, avec près de 60 jeunes qui viennent tout au long de l’année, on peut imaginer le nombre de personnes que ces lieux ont pu toucher et faire évoluer.

Atelier machinima au Woelab. Photo: D.R.

Trouver des solutions pour l’environnement immédiat

C’est Mabizaa Badanaro, mathématicien et économiste de formation et « catalyseur » de la communauté web de tout cet écosystème, qui me reçoit au Woelab Zero et me rappelle les fondements du lieu :  « Avec les Woelabs on souhaite créer un modèle d’urbanisme participatif qui contribue à développer des services pour simplifier la vie des populations africaines : nourriture, éducation, mobilité, santé, environnement… en développant des solutions sur des problématiques concrètes. 3 personnes sur 5 en Afrique n’ont pas accès à internet. Aussi, ce que nous souhaitons avec Woelab, c’est combler ce fossé technologique. »

Trois projets en mode start-up sont actuellement accompagnés par Woelab. Tout d’abord, WoeBots, la start-up qui tire son nom de l’imprimante 3D inventée par Kodjo Afate Gnikou, la W.Afate. Imaginée pour donner la capacité au plus grand nombre de produire des objets en 3D et pouvoir ainsi sortir de « leur isolement technologique ». La W.Afate a été la première imprimante 3D réalisée à partir de déchets électroniques en Afrique, Kodjo a ensuite travaillé pour renforcer son imprimante, la rendre plus robuste et aujourd’hui la W.Afate n’est plus conçue à partir de déchets électroniques, mais à partir de composants, afin de pouvoir la produire en série. Actuellement, dans le but de démocratiser l’accès à la conception d’objets en 3D, l’idée est de donner à chaque école africaine une imprimante 3D et de former les professeurs puis les élèves, afin d’ apprendre à modéliser des objets puis à les imprimer.

Urbanattic. Photo: D.R.

Urbanattic est une plateforme en ligne qui gère des greniers urbains connectés, chargés de produire de l’alimentation bio dans Lomé et d’implanter des greniers dans chaque quartier afin de promouvoir l’agriculture bio, le circuit court et de prodiguer de la nourriture bio aux populations. « Vous valorisons aujourd’hui, autour des WoeLabs Zéro et Prime, cinq potagers issus de la transformation de dépotoirs sauvages. » L’autre mission d’Urbanattic est de former la population à l’agriculture et à l’alimentation responsables en ville, afin de créer d’autres greniers dans la ville et de transformer les habitudes de consommation : il y a des ateliers d’aquaponie, de confitures, de diététique, etc. Les potagers sont équipés de capteurs de taux d’humidité et bientôt seront aussi équipés de capteurs de pH.

Les objets connectés font aussi partie de SCoPE, « Sorting and Collecting Plastics for our Environment ». Une société dédiée au recyclage des déchets, créée afin de sensibiliser les gens à ne pas jeter partout leurs ordures. « On a construit des kits pour recevoir tous les produits recyclables. Nous développons actuellement un capteur capable d’indiquer quand le kit est rempli afin qu’il puisse être enlevé par l’équipe. Nous déposons ces kits chez les habitants et venons les relever lorsque ceux-ci sont pleins. » Les sacs qui réceptionnent tous les objets recyclables sont eux-mêmes conçus à partir de petits sacs plastiques recyclés. Des sacs que l’on voit partout dans les rues ou sur les rivières, car ce sont les sachets d’eau que les gens boivent au quotidien. De l’eau du robinet mise sous sachet plastique et ensuite rafraîchie.

Sename est le fondateur et le gestionnaire du lieu. Il forme les jeunes et auto-finance également entièrement les Woelabs. « D’abord au départ par pure radicalité, puis lorsqu’on s’est ouvert à des sponsors, les choses ont pris du temps et ne sont pas forcément venues. »

Le lavabo intelligent de Kokou Sitsope Sekpona. Photo: D.R.

Depuis d’autres incubateurs et makerspaces ont fleuri au Togo :

Tout d’abord l’Ecoteclab. Je rencontre Ousia A. Foli-Bebe, le fondateur d’Ecoteclab au Nunyalab, un nouvel incubateur et espace de coworking, mis en place par le gouvernement togolais pour accompagner le jeune entrepreneuriat. Ousia a étudié l’environnement et la qualité de vie, ainsi que les énergies renouvelables, dans le but de produire de la technologie pour le milieu agricole. « Premier problème, je n’avais pas de lieu qui pouvait m’accompagner pour produire les machines que j’imaginais, il n’y avait pas d’endroit où on pouvait faire ça. »

C’est dans cette recherche de lieux qu’il est passé par le Woelab, pendant 9 mois, entre 2013 et 2014. Mais les équipements manquaient pour son projet. C’est là qu’il a décidé de créer son propre makerspace. L’Ecoteclab a démarré en sept 2016, également sur une base d’autofinancement, sauf pour le lieu d’accueil, occupé à titre gracieux. Même les ateliers sont dispensés gratuitement. « On a pensé à donner des formations payantes, mais notre public n’en a pas les moyens, alors nous facturons des prestations payantes à des entreprises ou à des structures publiques. »

MoLab, un projet initié par l’ambassade américaine, mais qui se poursuit à présent de façon autonome, est un maker bus, alimenté en énergie solaire, conçu et à présent géré par Ecoteclab. Le Molab sillonne le pays pour donner des formations et des ateliers aux publics jeunes. Un bus conçu pour se déplacer dans les écoles et faire le lien entre connaissances théoriques et fabrication de prototypes, et faire découvrir les compétences que l’on peut développer avec le numérique.

« Notre but est d’inciter les jeunes à devenir des makers et des inventeurs. Pour y parvenir, on leur donne des exemples concrets d’innovateurs sur la scène togolaise : comme le Foufoumix. Une machine pour piler le foufou, le plat national togolais fabriqué à partir d’igname pilé, inventée par le Togolais Jules Minsob Logou il y a dix ans, après avoir observé les femmes de sa famille s’épuiser à la tâche. Souvent on va dans des villages où les écoles n’ont pas de bâtiments en dur, ça fait trois ans que le Molab circule, et ce, dans toutes les régions du Togo, même dans des endroits privés d’électricité. »

Ousia et ses visières. Photo: D.R.

La réponse des makers togolais à la Covid-19

Au début de la crise du Covid, Ousia s’est rapproché d’autres makers et en particulier du nouveau makerspace de l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Lomé et ils ont réfléchi à la manière de trouver des solutions à la pandémie. Ils ont d’abord commencé à produire des visières. Puis ils ont imaginé un respirateur. Ils ont alors créé un premier prototype, mais comme c’est un équipement médical il a fallu passer par toute une série de validations. « Pour nous, le plus important c’est que les gens comprennent ce que peuvent apporter les makers à la communauté. Quand on parle de robot, d’imprimantes 3D, les gens ne voient pas concrètement ce que l’on peut apporter, mais quand la crise est venue, les gens ont compris qu’on pouvait produire des choses localement, qu’on pouvait être utiles. »

Je retrouve Ousia à la Case des Daltons dans le cadre de Kantata, un projet de mémoire virtuelle de l’art vivant togolais initié lors du hackathon #touscontrecorona, une initiative privée qui a ensuite été portée par le gouvernement et la GIZ (l’agence de coopération internationale allemande pour le développement, NDLR). La Case se prépare en effet à accueillir un réseau local Raspberry Pi qui permettra aux artistes de se rencontrer afin de produire et de diffuser leurs contenus numériques.

Pour pouvoir respecter les gestes barrière, on nous incite à utiliser un lavabo mobile intégré à une poubelle jaune. Muni d’un capteur à infra-rouge, ce « lavabo intelligent » a été conçu chez lui par un jeune maker de 19 ans, étudiant en mécanique : Kokou Sitsope Sekpona. Il n’en est pas à sa première invention puisque il est en train de finaliser un générateur capable de fonctionner de manière autonome à l’énergie solaire, afin d’équiper en électricité les villages, même les plus reculés.

Les makers sont nombreux, le Togo peut s’en enorgueillir ! Je suis à présent sur le départ du Togo, dans l’attente de la réouverture de l’aéroport de Lomé, dans l’espoir de pouvoir reprendre mon tour du monde là où j’avais été arrêtée par la pandémie, avec si j’y parviens comme prochaine destination : le Kenya.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

Retrouvez la première partie de la correspondance d’Isabelle Arvers au Togo.

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

l’open source médical est une idée qui fera son chemin

Dans les premiers jours du confinement le groupe Makers for Life émerge à l’initiative d’entrepreneurs du logiciel et de makers du pays Nantais. Très vite, en collaboration avec le CHU de Nantes, ils s’engagent dans la conception d’un respirateur open source, MakAir, un projet qui a pris depuis une dimension industrielle et internationale. Retour sur expérience avec Quention Adam, initiateur du projet.

Quentin Adam. Photo : © Johanne Auclair.

Quentin Adam dirige l’entreprise Clever Cloud à Nantes, une entreprise de logiciels offrant des solutions en automation TIC. Avec ses amis de Crisp, une autre entreprise dans le logiciel de la région, et Pierre-Antoine Gourraud, responsable de la « clinique de données » du CHU de Nantes, ils lancent le groupe « Makers for Life » qui se donne pour objectif la conception d’un respirateur open source qui va prendre le nom de MakAir. S’engage alors une véritable course d’efficacité qui les mène jusqu’à travailler avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’Agence d’Innovation de la Défense (AID). Quentin Adam, moteur du projet, répond aux questions de Makery.

Le projet MakAir a pris forme dès le début du confinement, pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte il a émergé ?

Fondamentalement c’est le discours de Macron du 16 mars, « Nous sommes en guerre », qui m’a motivé, qui m’a fait prendre conscience qu’il se passait quelque chose. Je suis entrepreneur et j’ai déjà beaucoup de travail habituellement, donc au départ, je n’étais pas spécialement à fond sur la question Covid. Mais comme mon amie est en médecine, je lui ai demandé de m’expliquer la problématique du virus. Elle m’explique le syndrome de détresse respiratoire, que ça peut empirer et qu’il va donc falloir mettre des personnes sous respirateur et qu’on va très vite être en saturation, car il n’y a pas suffisamment de respirateurs à disposition, que ce n’est pas quelque chose qu’on utilise souvent en temps normal, et quand on voit la manière de fabriquer les respirateurs, on se rend compte que cela va être très compliqué de mettre à l’échelle la production dans un temps très court, parce que les composants sont chers, parce que les choses ne sont pas pensées pour en fabriquer 200 par an, etc. Je me rends compte alors qu’il faut produire des respirateurs. Je téléphone à Emmanuel Feller qui travaille avec moi, à Baptiste Jamin et Valérian Saliou de Crisp, et à Pierre-Antoine Gourraud du CHU de Nantes, pour savoir si cela les intéresse de s’attaquer à la conception d’un respirateur.

Notre première tâche a été d’essayer de comprendre ce qu’il fallait faire, il existe en effet plein de respirateurs différents. Nous avons alors cherché des anesthésistes-réanimateurs pouvant nous expliquer les besoins vis-à-vis de ce genre de dispositifs. La plupart des anesthésistes ne se préoccupent pas de savoir comment le ventilateur a été construit, peu d’entre eux ont une vision industrielle de la machine et de son fonctionnement, ce qui compte c’est l’usage et les paramètres. Mais certains ont été particulièrement précieux. À partir de ces discussions, on a établi un cahier des charges et on a commencé à bricoler. Au début on faisait franchement un peu n’importe quoi. Mais bon, petit à petit on a commencé à définir notre système aéraulique (science et technique du traitement et de la distribution de l’air, NDLR), en faisant des points tous les soirs, puis, comme on concevait l’ensemble en open source, on a vite eu des gens à nous contacter pour nous donner des recommandations. Et là, notre seule réponse, c’était de leur dire : « Nous sommes loin d’être des spécialistes, vous pouvez nous aider ? ». Les personnes se sont ainsi de plus en plus engagées et c’est comme cela que nous avons pu aller chercher des grandes expertises.

Calibrage avec l’ASL 5000. Photo : © Gregory Thibord

Concrètement, comme le travail s’est organisé au début ?

Moi, à la base, je suis ingénieur software, j’ai des bases en ingénierie globale, physique, etc., mais ce sont des bases. Par exemple je suis incapable de construire la carte électronique de la MakAir. Ni même aucun de mes camarades du démarrage. D’où le besoin d’experts. On a adopté une approche maker ou d’ingénieur informatique, c’est-à-dire qu’au lieu de partir sur une machine hardware avec un peu de software dedans pour la piloter, on a conçu une machine software, réfléchi d’abord aux fonctions software, avant d’ajouter ensuite ce dont on avait besoin. Ce qui n’est pas du tout la méthode employée pour d’autres respirateurs. Donc, au début, on est parti comme tous les makers du monde, on a fait de l’Arduino, avec des servomoteurs défectueux, de l’impression 3D, etc., et les premières versions étaient terrifiantes, mais il fallait bien qu’on avance. De l’autre côté, on cherchait comment industrialiser et comment certifier, car un prototype ne sert à rien si on ne peut pas en produire plein, si on ne peut pas le certifier pour qu’un médecin puisse se mettre dessus. Dans cette quête j’ai fini par recevoir le coup de téléphone de Eric Huneker et de son associé Marc Julien, les patrons de l’entreprise médicale Diabeloop, qui nous ont proposé de nous aider sur la partie réglementaire. L’équipe s’est ainsi constituée, Pierre-Antoine Gourraud en relation avec les institutions, Diabeloop sur la partie réglementaire, mes camarades de départ sur la documentation et l’ingénierie, et moi sur la gestion générale. En une semaine nous étions une centaine, avec des rôles bien identifiés.

Quels écueils rencontrent un groupe de makers quand il devient une vraie « task-force » avec un objectif précis impliquant une industrialisation ?

On s’est rendu compte que notre vision de départ, du type « chaque hackerspace va pouvoir produire des MakAir », ne marchait pas, car ce que l’on certifie, ce n’est pas les plans, mais les processus industriels de production. De fait, la distribution de la production où chacun en produit trois n’est pas applicable, les machines ne seront pas normalisées. Ce qu’il est possible de faire, c’est d’en produire un, de travailler dessus et d’éventuellement l’améliorer, mais ensuite la production doit se faire dans un lieu industriel identifié et certifié, avec les normes ISO nécessaires, etc. Cela a été une grande déception pour moi et je pense pour beaucoup de makers. Du coup, on s’est tournés vers quelque chose de beaucoup plus industriel. Et si pour prototyper, l’impression 3D nous permettait d’être rapide, aujourd’hui dans la version industrielle il n’y a plus grand-chose imprimé en 3D. L’usinage va plus vite, est plus solide et coûte moins cher. Mais sans l’impression 3D tu n’as pas de MakAir, et ce qui est maker c’est la façon de réfléchir et d’aborder le dossier. Avec le prototypage en impression 3D, on gagne des milliers d’heures.

Assemblage de la MakAir dans la salle blanche du CEA. Photo © : Johanne Auclair.

L’impression 3D, c’est un peu la partie émergée de l’iceberg de l’action des makers dans la crise du coronavirus…

Le fait que l’impression 3D soit devenue rapidement accessible financièrement a créé ce que l’on a appelé les « makers ». Mais aujourd’hui une CNC, 5 axes sur AliExpress coûtent 3000 euros. Il y a encore quelques années c’était 1/2 million ! C’est aujourd’hui devenu accessible à une association de makers. Je trouve d’ailleurs que les hackerspaces ou makerspaces devraient aujourd’hui s’équiper de ce type de machine, car c’est un outil extraordinaire, extrêmement précis, capable de produire des pièces très rigides, contrairement à l’impression 3D où les plastiques sont souvent poreux, dégazent. Et dans notre cas précis, tu ne peux pas envisager l’usage de ces plastiques en intubation. Tu peux considérer le SLS, mais cela change complètement de gamme de prix. La machine HP Labs qu’on a utilisée au CEA coûte 1/2 million.

Très rapidement MakAir a fédéré et les soutiens industriels se sont multipliés, comment tout cela s’est-il activé ?

Pierre-Antoine Gourraud, un des co-fondateurs du projet, est professeur et praticien hospitalier au CHU de Nantes et co-responsable de la « clinique des données ». Il a tout de suite été notre lien avec le CHU et a impliqué une partie de ses collègues dans l’histoire. Ensuite j’ai appelé Francky Trichet, Vice-Président Innovation & Numérique & International à Nantes Métropole et Vice-Président au Numérique de l’Université de Nantes, car j’avais vu l’appel à projets de l’Agence d’Innovation de la Défense, pour lui expliquer qu’on devait répondre, car de nombreuses étapes, dont les essais cliniques risquaient de coûter cher. Ainsi, les équipes de Pierre-Antoine Gourraud et les équipes de l’université ont rempli l’appel à projets de manière très structurée. Ce qui nous a permis d’être sélectionnés.

La communauté maker aime bien souvent se construire comme une contre-culture. Nous pas. Pour moi c’est très bien de travailler avec l’armée, ce sont des gens efficaces, qui savent faire, et d’aller vers eux nous a permis de mener le projet à bien. Par exemple on cherchait un ASL 5000, ce fameux poumon artificiel dont on se sert pour calibrer les machines. Neuf cela coûte 55 000 euros, et même si tu as la somme, c’est difficile à trouver. Avec Éric et Marc, on s’est mis en ordre de bataille pour en trouver, on a appelé le distributeur français, etc., mais on savait discrètement qu’il y en avait un au CEA. Comme Diabeloop est une entreprise issue du CEA, Éric les a appelés. Il apprend alors qu’une demi-heure plus tôt, Jean Therme (Directeur délégué aux Énergies Renouvelables au CEA, et ancien Directeur de la Recherche Technologique, NDLR) a reçu un appel de Laurent Wauquiez demandant au CEA de se pencher sur le sujet des respirateurs. Il s’est donc décidé à nous aider et le CEA nous a envoyé l’ASL 5000 et a commencé à nous donner des coups de main, puis de plus en plus, jusqu’à ce qu’à un moment ce soit plus simple d’envoyer toute l’équipe au CEA, vu les essais qu’on allait avoir à réaliser.

Premiers essais. Photo : © Johanne Auclair

Il y a changement d’échelle…

Un truc important que j’ai envie de dire à la communauté maker : nous nous sommes appelés « Makers for Life », mais c’était une erreur. Parce qu’en fait, dans la communauté industrielle, les makers ce sont des bricoleurs du dimanche. Il faut absolument que les makers réalisent qu’ils ont eu parfois le mauvais discours vis-à-vis de l’industrie, un discours clivant, agressant des gens qui devraient en réalité être des alliés. Heureusement notre projet a été vu comme émanant des makers, mais comme étant devenu projet industriel, rien que par la manière dont l’équipe s’est constituée. Comme souvent dans un processus industriel, la plupart d’entre nous ne nous connaissions pas avant, on cherchait essentiellement des ingénieurs spécialisés dans chaque aspect. On a par exemple été rejoint un moment par l’électronicien qui fait le Carmat, le cœur artificiel. Ou encore par Clément à la mécanique, qui d’habitude fait des drones sous-marins pour l’armée. Et du coup, les profils makers, comme Emmanuel, Baptiste et Valérian par exemple, se sont rapidement éloignés de la conception pour se concentrer sur coordination du projet en s’appuyant sur leur polyvalence. On a aussi travaillé avec l’association PING, ils ont été très utiles et impliqués, ils nous ont fait de la découpe laser, ils nous ont aidés à retoucher des pièces en 3D, ils ont fait des impressions 3D.

Quels choix avez-vous dû prendre à partir du moment où vous avez travaillé avec l’armée et le CEA ?

Rapidement, nous avons été confrontés à la question du raccordement sur l’air médical des hôpitaux. Nous n’avons pas retenu cette piste, parce qu’après discussion avec les médecins militaires, ils nous ont fait comprendre que dans les endroits où ils allaient peut-être devoir intervenir il faudrait prendre des gymnases pour installer des hôpitaux de campagne. Il n’y aura pas d’air médical. Cela imposait au projet de concevoir notre propre banc de compression. C’est pour cela qu’il y a une turbine dans notre modèle. Pour l’optimisation on a fait tourner deux ASL 5000 et fait entrer les données dans une boucle d’optimisation en machine learning…

Arrivés au CEA on s’est mis à construire une ligne pilote. Et la partie approvisionnement était cruciale si on voulait industrialiser, il fallait par exemple parvenir à faire sortir des éléments de Chine, du thermoplastique Ultem médical, etc. Sandra et Morgane, issues de l’approvisionnement industriel, ont pris en charge le sujet et se sont chargées de martyriser les fournisseurs pour connaître les quantités à disposition, etc. En fonction des stocks disponibles, cela a guidé les choix de développement. C’est important de le comprendre, l’ingénierie n’a été qu’un des aspects du problème. La question des stocks a été cruciale, s’il n’y avait pas de stocks on ne pouvait évidemment pas demander à l’usine de redémarrer la production. On a par exemple dû contacter Thierry Breton (commissaire européen, chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace, NDLR), pour le convaincre de relancer une usine dans la Ruhr qui fait des moteurs ! On a eu des camions de supplies qui ont passé des frontières au plus dur du confinement et de la fermeture des pays, jusqu’à passer par des autorisations de l’Élysée ! Un délire absolu ! On avait même pour cela mis en place une cellule « relations aux institutionnels », qui leur fournissait des comptes-rendus synthétiques réguliers, des notes calibrées pour énarques.

L’intérieur de la MakAir. Photo : © Johanne Auclair.

Une première version était prête assez vite et a beaucoup fait parler d’elle dans la presse. Concrètement qu’est-ce que cela a signifié pour le projet ? Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Le 28 mars on présente une pré-soumission à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Le 3 avril on a branché la version 1 sur un cochon en sédation, notre premier test pré-clinique sur animal – après les tests avec ASL 5000. Le 9 avril la ligne production est lancée et on dépose auprès de l’ANSM la totalité de la documentation réglementaire. 60 à 70 machines ont été produites au CEA en avril. Et on se met à lancer immédiatement la V2, en disant qu’on peut l’améliorer, même si la V1 va déjà pouvoir sauver des gens : à ce moment-là on est persuadé que l’ANSM va répondre rapidement. Mais elle met 2 mois pour nous répondre, soit le délai légal… On reçoit donc leur réponse le 9 juin, uniquement pour la V1, alors qu’entre-temps on a terminé la V2 en mai, et développé une V3 encore meilleure sur les derniers jours de mai. Une V3 qu’on essaye maintenant de faire certifier directement et dont SEB assure aujourd’hui une cadence de production.

Aujourd’hui, le Centre de Promotion des Essais Cliniques du CHU Nantes a pris le relais sur la V1 et on mettra un patient sous respirateur fin juillet. Tout cela donne un temps trop long à notre goût, sans blâmer qui que ce soit en particulier on a quand même le sentiment d’être parfois victime d’une forme de bureaucratie… pas facile. Parfois ça se joue sur des choses très pratiques, par exemple, n’étant pas professeur des universités et praticien hospitalier (PU-PH), je n’étais par pas autorisé à être en copie des mails du CHU, pas évident d’être efficace dans ces conditions… En parallèle le volontarisme de certains pays pour engager un processus de certification d’urgence nous a étonnés, certains exemplaires sont d’ores et déjà à Madagascar pour engager les premiers tests. Nous nous sommes souvent demandé si le fait de construire un modèle très compétitif en prix face au fabriquant national a finalement été un handicap dans l’engagement de certaines parties prenantes… difficile d’y voir clair.

La MakAir Version 1. Photo : © Johanne Auclair

C’est cela qui est justement intéressant, favoriser l’accès aux soins par la réduction des coûts…

Encore une fois mon propos n’est pas de jeter la pierre à qui que ce soit, mais cela pose une question fondamentale sur la manière de penser la structuration de ces organisations. On a vu des gens qui ne voulaient pas s’engager dans la résolution de problèmes. Ils nous ont simplement ignorés. A contrario, du côté de l’armée par exemple on a bénéficié d’un engagement franc et direct, à un problème tu auras une réponse dans l’heure, positive ou négative, mais tu auras ta réponse, ce qui te permet d’avancer.

Quelles sont les applicabilités de la MakAir ?

La MakAir a des applicabilités pour la première ligne et les hôpitaux de campagne, on peut personnaliser le matériel de manière aussi à ce que les ingénieurs de l’armée puissent les comprendre et les réparer, avec la possibilité de reconfigurer à distance en fonction des problématiques. L’open source n’est pas qu’une histoire de coût, c’est surtout une histoire d’innovation. Le fait que tout le monde puisse collaborer ça change tout. Des médecins à qui on en a envoyé nous ont dit que cela faisait 15 ans qu’ils avaient un algorithme de gestion de la pression qu’ils ne pouvaient pas utiliser sur les machines fermées. Sur la MakAir c’est possible. Avec l’open source n’importe qui peut collaborer. C’est une rupture épistémologique. Et l’open source dans le médical c’est génial, le fait que les données soient ouvertes, que le code soit ouvert, que cela soit possible de l’améliorer c’est formidable.

Tu peux très bien faire tout ton développement en open source et en collaboratif et faire ensuite certifier le process industriel. Tu peux créer et faire travailler une équipe tout en ouvrant le développement à des améliorations et faire progresser la connaissance commune. Après les essais cliniques, on devra re-certifier. On a déjà engagé la commercialisation avec certains pays, mais pour le moment en France on est dépendant de la certification. Dans la V3 on a introduit un capitonnage silencieux et repensé la question multi-usages et les process aérauliques pour changer facilement les pièces et à bas coût, ce qui évite les process de lavage. On avance bien.

La série de MakAir au CEA. Photo : © Johanne Auclair

Quels souvenirs marquants conservez-vous de la période de développement durant le confinement ?

Je peux raconter quelques anecdotes. Quand tu fais des essais cliniques, tu as affaire à l’ANSM, mais aussi au CPP, Comité de protection des personnes au Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), qui juge l’éthique de tes essais cliniques. Il est composé de médecins et de philosophes. Le président du CCNE est le médecin-chercheur en immunologie Jean-Claude Ameisen, également philosophe et animateur de Sur les épaules de Darwin sur France Inter. Je me souviendrais toujours de Pierre-Antoine Gourraud, PU-PH, en train d’écrire des mails à 3h30 du matin, en les dictant à son téléphone tout en mangeant un peu de tartiflette, éreinté, avec une conjonctivite à l’œil, mais en réalité en train de dicter une dissertation de philosophie à son téléphone pour le CCNE. C’était surréaliste, tout le monde était à fond, mais exténué, les ingénieurs étaient à côté en train de manger en révisant les plans… Il faut comprendre que Pierre-Antoine et moi, nous passions notre temps en double ou triple appels dans la même pièce, et parfois on se remettait à discuter entre nous tout en discutant avec d’autres personnes au bout des lignes. Tout le monde a travaillé comme des fous, les ingénieurs, l’équipe presse, etc. Nous étions installés au co-working du Palace, dans une grande salle sans fenêtre, avec lumière artificielle, ce qui fait que nous perdions la notion du temps, nous ne dormions parfois que deux heures par nuit, et cela nous est arrivé de faire des nuits blanches sans nous en rendre compte.

Un autre moment de survoltage a été le premier assemblage des machines en salle blanche au CEA début avril. Le patron de la division électronique de toutes les salles blanches était là avec nous, il se demandait un peu ce qu’il faisait là, mais était très volontaire, et finalement on y a passé des heures, jusqu’au milieu de la nuit. Les premiers prototypes étaient en réglage et à un moment on se rend compte qu’il va falloir dévisser un truc. On lui demande s’il y a un tournevis, et évidemment dans une salle blanche de micro-électronique il n’y a pas de tournevis (rire). C’était surréaliste. Mais il faut dire que les équipes du CEA ont été extraordinaires, Jean Therme, Laurent Clavelier, etc. On a pu sortir toute la ligne pilote en salle blanche au CEA. Un autre moment vibrant est quand on a eu toute la presse nationale, il y avait une émulation incroyable dans toute l’équipe. La plupart des membres étaient impliqués dans des choses auxquelles ils n’avaient jamais été confrontés auparavant. C’était stimulant. Au CEA nous nous baladions avec des badges 24/7, et peu de gens au CEA ont accès à des badges 24/7 ! C’était justifié, vu que nous bossions la nuit. En tout cas ça a été un plaisir de bosser avec tous ces gens, on pense déjà à comment pérenniser ce genre de modèle et j’espère que l’open source médical est une idée qui fera son chemin.

Ewen Chardronnet
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le respirateur MakAir.

exposition digitale au Togo

Depuis un an Isabelle Arvers est engagée dans un tour du monde à la rencontre des pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales dans le domaine du jeu vidéo. Corée, Taïwan, Indonésie, Japon, Thaïlande, Inde, Brésil, Argentine, Colombie, Ghana… et puis mars et le confinement planétaire sont arrivés, au moment où Isabelle Arvers arrivait au Togo. Entre expérience de la pandémie et rencontres inattendues, correspondance en deux parties depuis Lomé.

Marché de Gbossimé. Photo: D.R.

En 20 ans de pratique de commissariat art et jeu vidéo, j’ai beaucoup travaillé en Europe, au Canada, aux États-Unis ou en Australie et la plupart du temps, j’ai présenté des œuvres ou des jeux provenant de pays occidentaux. C’est de ce constat qu’est né mon Tour du Monde Art et Jeu Vidéo, initié en juin 2019. De la nécessité de décentrer mon point de vue en tant que commissaire d’exposition et de dépasser les barrières de langage qui empêchent bien souvent la rencontre et la découverte avec des œuvres non traduites en anglais ou en français.

C’est pourquoi j’ai décidé de partir à la rencontre et d’interviewer des artistes et des game makers, mais aussi des activistes en me focalisant sur les pratiques de femmes, féministes, queer et décoloniales. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle au monde et façonne notre manière de percevoir le réel. L’émancipation des femmes, des personnes transgenres et des populations issues de pays anciennement coloniaux est encore jeune et se révèle fragile. C’est pourquoi j’ai décidé de promouvoir et d’encourager les pratiques luttant contre les stéréotypes de genre, de sexualité, d’origine ethnique ou de représentation centrées sur l’Occident.

« Protégeons nous! », un machinima de Roger Agbadji. Photo: © Roger Agbadji

J’étais au Ghana en train de poursuivre mon tour du monde art et jeu vidéo lorsque la pandémie a poussé la plupart des états à fermer leurs frontières. J’avais le choix entre être rapatriée en France, ou rester en Afrique. J’ai alors fait le pari de rester et de passer au Togo, juste avant que le Ghana ne ferme ses frontières terrestres. Depuis le mois de mars, je réside à Lomé. Le Togo, quoi qu’assez peu touché par le Coronavirus a très rapidement imposé un couvre-feu de 20h à 6h du matin, fermé ses routes principales et ses frontières. Les écoles ont été fermées et le port du masque rendu obligatoire.

D’abord un peu dans l’expectative par rapport à mon tour du monde qui de fait, se trouvait à l’arrêt et perdait de son sens en temps de pandémie, je me suis tout doucement remise à réaliser des interviews d’acteurs et d’actrices du numérique ou du jeu vidéo, mais cette fois-ci en ligne. Cette nouvelle impulsion a été initiée par l’Institut français du Togo qui m’a commandé plusieurs portraits vidéo de game designers en Afrique. C’est ainsi que j’ai interviewé en ligne Sename Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue de formation, car j’avais entendu parler de l’exposition « Lomé + » dont il est le commissaire et d’un jeu en réalité augmentée conçu à cette occasion.

« LOMÉ + », une exposition digitale pour découvrir Lomé au passé, présent et au futur

« Lomé + » est une exposition qui devrait ouvrir prochainement ses portes au Palais de Lomé, la date de réouverture dépendant de l’évolution de la pandémie. C’est un projet digital pour présenter la ville de Lomé depuis ses origines, mais aussi pour donner une vison de ce que Lomé pourrait être demain. Dans « Lomé + », la section jeune public se présente sous la forme d’une installation immersive à l’intérieur d’une alcôve : la Grotte de Paul Ahyi. « Le plus grand artiste que ce pays ait jamais produit, auteur du monument sur la place de l’indépendance à Lomé, du drapeau togolais et d’œuvres qui ornent les hôtels les plus prestigieux de la ville. Il est donc possible de concevoir un parcours dans la ville pour suivre le travail de l’artiste et on en a fait un jeu pour les enfants. »

L’histoire du jeu tourne autour d’un amoureux de l’œuvre de Paul Ahyi, qui aime tellement son travail qu’il fait le tour de la ville pour voler un fragment de chacune de ses œuvres afin de reconstituer une mini exposition à l’intérieur d’une grotte. Au mur de la grotte sont accrochés les fragments de chacune des œuvres. Lorsque l’on rentre dans la grotte munie d’une tablette, on doit retrouver les fragments et les assembler avec les bonnes œuvres. Et quand on y parvient, l’œuvre elle-même apparaît en réalité augmentée sur l’écran. La grotte de Paul Ahyi a été réalisée avec Pierrick Chahbi qui a fondé Wakatoon, une start-up française qui transforme un coloriage en dessin animé et le Woelab.

« Le Baiser » de Paul Ahyi à l’Hôtel de la Paix à Lomé. Photo: D.R.

Dans le parcours de « Lomé + » on passe par le passé, le présent et le futur de la ville de Lomé au travers de QRode. Il n’y a aucun texte dans l’exposition, il est obligatoire d’avoir un téléphone. Lorsque l’on rentre dans l’exposition, la première œuvre est une installation de fibres végétales au sol, en alotime, l’arbre avec lequel on fait les cure-dents, et dont le nom a donné celui de la ville de Lomé. « On rentre dans l’expo et immédiatement on a l’impression de marcher dans une forêt. » Une commande faite à l’artiste Kokou Nouwavi, artiste plasticien et responsable de la Case des Daltons. Un lieu atypique à Lomé, où sont organisés des concerts, des expositions, des rencontres. Un lieu conçu comme un village, un village dans la ville. Parce que comme le dit souvent Sename, le village, ça marche, il y a une cohésion et une entraide qui n’existent pas dans la ville.

La case des Daltons. Photo: D.R.

Le présent est illustré par la fresque documentaire en 6 chapitres commandée à l’artiste réalisateur et rappeur Elom 20ce, Aux Impossibles Imminents. Chaque vidéo suit une des figures de la ville et nous raconte son histoire. « C’est un prétexte pour montrer la ville, l’expliquer et en faire connaître des aspects méconnus. La vidéo consacrée à l’artiste musicienne Kezita se passe beaucoup sur la plage et c’est une manière pour nous de parler de l’érosion côtière, des enfants de la rue, des femmes qui dorment sur la plage la nuit parce qu’elles viennent travailler depuis les villages et ne rentrent chez elles que le weekend.»

L’exposition se termine avec les photos de Silvia Rosi, photographe togolaise, basée à Londres, autour du « Sihin », le mot Ewe pour l’anneau de tissu que les femmes porteuses mettent sur leur tête afin de la protéger et de stabiliser la charge. « Ma grand-mère était vendeuse au marché d’Assigame à Lomé. Après avoir perdu la vue à la fin de la quarantaine, elle a été forcée de quitter le métier. J’adore regarder son Sihin », confie la photographe.

Lomé une cité féminine

Cela permet de parler des femmes, qui sont une des caractéristiques de la ville, car Lomé est une des seules villes en Afrique où il y a plus de femmes que d’hommes. La ville de Lomé a même été fondée par des femmes : les nanas Benz, ces femmes d’affaires togolaises qui ont fait fortune avec la distribution du Wax dans toute l’Afrique. Ces femmes ont joué un grand rôle à plusieurs moments de l’histoire de Lomé. « Une ville construite par les femmes, politiquement, économiquement… » rappelle Sename.

Séname présente aussi dans l’exposition une installation où il met en scène ce qu’il imagine pour le futur de la ville. « C’est une mise en espace de ce qu’on fait à Lomé avec les Woelabs. Notre tentative de bricoler la smart cité en créant des lieux d’innovation qui transforment la ville . » C’est sa première exposition en tant que commissaire qui lui a été commandée en raison de son engagement dans les Woelabs. Pour cette exposition, le Woelab a développé l’application de navigation dans l’exposition, ainsi que le jeu en Réalité Augmentée. Il s’avère, en effet, qu’en interviewant Sename, c’est tout l’éco-système numérique du Togo que je découvre.

Un écosystème fondé au départ sur une vision forte. Celle d’un territoire connecté, prenant le contre-pied de la smart cité traditionnelle qui se développe souvent dans une logique utilitariste, et en dépit des populations. Ici il s’agit au contraire de créer des espaces d’innovations à l’échelle des quartiers dans un esprit de « démocratie technologique ». Pour mieux appréhender le projet des Woelabs et entrer en contact avec l’éco-système numérique Togolais, en temps de coronavirus, je me suis rendue dans un des espaces, le Woelab 0, situé entre un marché et le ghetto, proche d’une déchetterie à ciel ouvert et en bordure de rails de chemin de fer. C’est mon immersion à l’intérieur des fablabs à Lomé que je vous ferai découvrir dans une seconde partie de cette chronique.

Isabelle Arvers
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le tour du monde art et jeu vidéo d’Isabelle Arvers.

On a monté une « entreprise » départementale de visières en quatre jours !

Le Vaucluse, plus petit département de la région PACA, a démontré durant la crise de la Covid-19 qu’il regorgeait de makers à l’agilité surprenante. Bien épaulés par la préfecture, ils ont su produire près de 13 000 visières de protection (plus de 20 000 si l’on compte les initiatives individuelles). Rencontre avec Corentin Tavernier, à l’origine de cette chaîne de production avec Maguelone Merat, forgeuse numérique à La Fruitière Numérique à Lourmarin.

Deltalab, le fablab de Grillon, participe à la production de visières pour le personnel de santé des établissements du Vaucluse. Le modèle de visière a été élaboré par la Fruitière numérique, le fablab de Lourmarin, et adapté par Deltalab en fonction des matières premières reçues. Photo: D.R.

Ils ont 29 et 35 ans, sont animés du même esprit maker par fonction et/ou par passion, travaillent à une cinquantaine de kilomètres l’un de l’autre, mais ne se connaissaient pas jusqu’à la malheureuse période de crise de la Covid-19. Pourtant, ils sont l’un des soixante visages vauclusiens d’un même dynamisme à avoir massivement participé à la lutte contre l’épidémie en produisant des visières de protection sanitaire. Pendant que Maguelone Merat à La Fruitière Numérique de Lourmarin (village provençal à 40 kilomètres d’Aix en Provence) produisait et assemblait les visières, Corentin Tavernier, maker individuel et fondateur de La Bricothèque à Pernes-les-Fontaines (à 25 kilomètres d’Avignon), se démenait pour le bon fonctionnement d’une impressionnante chaîne logistique soutenue par la préfecture départementale. Grâce à elle et l’appui d’autres acteurs, ils peuvent aujourd’hui se satisfaire d’avoir fourni 13 000 unités aux personnels dans le besoin. Toujours à distance, dans l’attente d’un évènement qui réunirait ces makers vauclusiens, ils ont rouvert pour Makery la boîte de pandore « Makers vs Covid 84 ».

Comment ont débuté vos engagements respectifs dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19 ?

Maguelone Merat (MM) : À la Fruitière, une fois le confinement acté, nous sommes rentrés chez nous avec notre ordinateur et c’est de là que nous avons pu observer que les besoins en équipements sanitaires se faisaient de plus en plus pressants. En local, cela s’est traduit par de premières demandes de la part des hôpitaux de Pertuis, Aix-en-Provence et Marseille. Alors à la fin du mois de mars avec le fab manager Georges Bonicci, nous avons fouillé sur internet pour voir comment nous pouvions contribuer à certaines productions. Début du mois d’avril, notre engagement s’est ensuite fait en deux temps. D’abord j’ai créé moi-même un fichier pour une production de bandes flexibles qui servent de support à la plaque de rhodoïd, à partir d’un stock d’acrylique qu’on avait sous la main. On produisait alors 10 visières toutes les quinze minutes. Puis, n’ayant pas beaucoup de stock de matières, nous avons ensuite poursuivi avec du Priplak. Je découpais ces bandes à la découpe laser CO2 (environ 300 chaque matin) et ensuite nous faisions l’assemblage. Dans les deux cas, nos modèles ont été validés par l’Agence Régionale de Santé.

Corentin Tavernier (CT) : Mes deux projets de départ, c’était me reposer et profiter de ma famille, en tant que jeune papa. Étant marqueteur professionnel, j’avais toutefois pris chez moi du matériel pour poursuivre mon activité, c’est-à-dire une imprimante 3D et une fraiseuse numérique. Comme Maguelone, je voyais à la TV l’aggravation de la situation. À partir d’un prototype en polypropylène que j’avais fait moi-même, je me suis rapproché du groupe national « Makers contre le Covid » et je leur ai proposé de produire des masques. Ils m’ont répondu que c’était trop contraignant et qu’il valait mieux se tourner vers des visières. Je me suis donc engagé sur dix premiers jours de production seul de mon côté.

Corentin, comment votre initiative individuelle bascule-t-elle vers une chaîne de production départementale ?

CT : Au bout de dix jours, je me suis retrouvé avec un premier stock de visières que je ne pouvais pas livrer. Je me suis mis en contact avec d’autres personnes sur Facebook, pour créer le groupe « Makers contre le Covid 84 », où nous nous sommes retrouvés à une dizaine de makers individuels. Puis, j’ai décidé d’activer le réseau en sollicitant une connaissance, Adrien Morenas, député de la troisième circonscription du Vaucluse. Il a tout de suite été très intéressé pour nous aider dans la distribution, je pense que c’était le livreur le mieux payé de France (rires). Mais, il a lui aussi très vite réalisé qu’il fallait créer quelque chose de plus performant et a contacté Bertrand Gaume le préfet du Vaucluse.

La Fruitière Numérique (84) mobilisée sur la fabrication de visières pendant le confinement. Photo: © La Fruitière Numérique.

C’est donc grâce à cet effet boule de neige que votre chaîne de production a été si bien « huilée ». Pouvez-vous nous la décrire en détail ?

CT : Il y a eu en réalité plusieurs acteurs déterminants. Via la préfecture, nous avons eu l’avantage d’être encadrés par l’état et d’une certaine manière « protégés ». La CCI du Vaucluse, Vaucluse Provence Attractivité et l’UIMM se sont également engagés d’un point de vue financier, notamment dans l’achat de 95 kilos de bobines de PLA ou encore des élastiques. La préfecture nous a fourni du film transparent, l’ensemble des acteurs nous a donc beaucoup aidé pour l’équipement. Je pense également à l’entreprise Laser-System de Carpentras qui vend des machines de découpe laser et qui a pu mobiliser un très gros parc de machines. Mais la préfecture du Vaucluse a été un appui essentiel, parce qu’elle nous a dédié une équipe complète. Elle s’est très vite chargée de recenser les besoins avec l’Agence Régionale de Santé par exemple, de collecter l’ensemble de nos productions qu’elle centralisait dans un bâtiment à Avignon. Par ailleurs seize de ses chauffeurs étaient chargés de récupérer les productions directement auprès des makers ou des sous-préfectures et de les acheminer vers un entrepôt central à Avignon. C’est de là que toutes les visières partaient en fonction de l’urgence des besoins.

C’est dans ce cadre Maguelone que Corentin vous a sollicité, pouvez-vous nous décrire votre action en local ?

MM : Corentin nous a effectivement contactés au début du mois d’avril et on s’est mis en marche avec toute cette équipe institutionnelle. Ils nous ont aidés pour la matière première et un chauffeur passait pour récupérer nos productions. Corentin nous avait également fait distribuer des stocks de Priplack qui avait l’avantage d’être résistant, souple et léger. Dès lors, nous faisions de la découpe-laser le matin et l’après-midi Pauline Metton la directrice de la Fruitière, Georges et des élus du village, nous aidaient pour le montage. En trois semaines on a transmis 2200 visières à la préfecture.

CT : Bien entendu de mon côté, je ne gérais pas tout tout seul. J’avais avec moi Arnaud Lafage, un autre maker individuel qui était mon « bras droit ». Il était quant à lui chargé de prendre contact avec les makers, de les comptabiliser, de centraliser l’information. Il a œuvré notamment à la validation de nos trois modèles par l’ARS ; c’est-à-dire deux en impression 3D (un modèle Europe issu des modèles Prusa et un deuxième à clips qui venait de la communauté des makers) et le troisième celui de Maguelone. En bout de chaîne, Arnaud était à Avignon pour contrôler une dernière fois l’ensemble des visières avant qu’elles ne partent en distribution.

Bien sûr votre production ne se résume pas à la partie organisationnelle, mais a mobilisé un certain nombre d’acteurs clés, en premiers lieux les makers comme Maguelone et la Fruitière, mais aussi de nombreux acteurs de l’écosystème. Qui sont-ils ?

CT : Il faut bien sûr citer les makers dont Maguelone et moi-même faisons partie. Sur la page principale « Makers vs Covid 84 », il y avait 200 personnes, dont 60 makers. Ce nombre nous a d’ailleurs conduits à diviser la page en deux groupes : un groupe « préfecture » qui respectait le fonctionnement et bénéficiait d’un approvisionnement en matière et un groupe « maker libre » qui pouvaient diffuser comme ils le souhaitaient. Des fablabs ont été très actifs, je pense entre autres à La Fruitière ou à Delta Lab à Grillon, mais nous observions surtout le dynamisme de makers individuels.

MM : Nous n’avons pas évolué en vase clos. Nous étions en contact avec d’autres fablabs et entreprises, avec lesquels nous échangions nos fichiers. D’ailleurs nos supports de visières ont été conçus avec l’aide du fablab belge Fab-C à Charleroi. La commune de Lourmarin a été active sur le montage de visières, celle de Vaugines nous a fait des dons pour la matière première et on a fait un grand appel aux dons sur les feuilles transparentes. Comme nous avions aussi un certain nombre de demandes en direct des hôpitaux et de quelques particuliers comme les commerçants, nous étions au plus près des acteurs de notre territoire.

Visière produite dans le 84. Photo: © La Fruitière Numérique.

Concrètement, cette organisation a contribué à quels résultats ?

 

MM : Sur toute la période, nous avons produit 2950 visières à La Fruitière Numérique.

CT : Au plus fort de la période, on recensait 100 à 200 demandes de visières par jours. Au total, pour les makers du Vaucluse on a recensé 20 000 visières produites, dont 13 500 par le « canal » de la préfecture. On a aussi observé l’investissement du groupe « Makers contre le Covid » dans les autres groupes départementaux de la région PACA. Dans les Hautes-Alpes ils ont produit près de 4000 visières et près de 1000 dans les Alpes-Maritimes, selon les derniers chiffres actualisés, il y en a donc certainement plus.

Quels regards portez-vous respectivement sur l’action de l’un et l’autre ?

MM : Quentin est une super rencontre, surtout quand on sait l’effort de coordination qu’il a entrepris. Par ailleurs, par son passé à La Bricothèque et son métier, il m’a inspiré d’intégrer un peu plus d’artisanat dans la Fruitière. Je crois que cet évènement nous apportera dans nos efforts de coordination, de mise en réseau. Au plus fort de l’urgence, il nous a boosté pour produire le plus possible.

CT : La Fruitière à l’image du Delta Lab était à fond dans le projet. Et à l’image de Maguelone, j’ai tout de suite senti un vrai esprit maker. Sans faire offense à d’autres, ils n’étaient pas ou moins « enquiquinés » par des soucis financiers, alors ils ont pu s’investir pleinement, ce qui a peut-être démontré une disproportion entre les fablabs au sein de notre territoire.

Toutefois, chacun à votre échelle, vous avez rencontré un certain nombre de défis et de difficultés, lesquelles ?

CT : De mon côté, le plus gros défi c’était la communication. Avec Arnaud, nous devions faire le lien entre un discours officiel et les makers. Le langage n’était pas forcément le même, donc le système était plus complexe, mais aussi plus protecteur. C’est dans ce cadre que l’on a également dû fixer certaines limites. Certains fablabs ne pouvaient ou ne voulaient engager aucune dépense, alors qu’on savait bien que tout le monde allait devoir s’investir. D’autres souhaitaient mettre en place des collectes de fonds, mais c’était impossible, car on aurait flirté avec l’illégal…

MM : Je suis d’accord, la communication a été le plus difficile. Pour l’anecdote, je me souviens d’une usagère mécontente qu’on ne lui donne pas une visière avec la languette rose (rires). Je me souviens également de réunions en visio, où en fonction des acteurs présents, on percevait bien certaines « guéguerres » politiques.

Comment se sont interrompues vos actions et quels changements percevez-vous depuis ?

CT : Nous avons tout arrêté deux semaines après le confinement, parce qu’il n’y avait plus vraiment de demande et tout le monde reprenait le travail. Je crois que nous mesurons l’impact de l’action des makers à l’engouement que cela suscite. Le prix d’une bobine de fil est passé de 18 à 25 euros, celui d’une imprimante 3D Under 3 de 165 à 250 euros et certains matériaux ont été en pénurie. Je crois que ce sont les signes d’une vraie dynamique.

MM : Nous avons arrêté mi-mai, parce que nous étions calés sur le planning de l’ARS. Au moment du déconfinement des particuliers nous ont quand même demandé des visières parce qu’ils croyaient que ça remplaçait le masque. On a alors choisi de la tarifer à un prix bas de 5 euros pour amortir un peu nos frais, mais comme nous ne voulions pas en faire un business et que les réglementations de l’état devenaient strictes en lien avec les normes AFNOR, on a préféré arrêter. Ce qui commence à changer c’est la vision qu’a la population de notre structure. Avant ça ils nous considéraient comme un service public, sauf que nous avons le statut de SPL c’est-à-dire qu’on fonctionne sur du droit privé, qu’on reçoit des aides de délégation de service public, mais nous ne sommes pas subventionnés nous sommes autonomes. On a un besoin de rentabilité, nous ne sommes pas un service de la mairie. Ça a joué en notre faveur, parce que les gens en s’intéressant plus à ce qu’on fait, semblent l’avoir compris.

Remerciements de soignantes. Photo: © La Fruitière Numérique.

Quels sont les points positifs que vous dégagez de cette action à moyen et long terme ?

MM : Notre image a évolué. Pour bon nombre de personnes un tiers-lieux c’est quelque chose de flou. Or, dans cette période nous avons montré que nous étions réactifs à partir du bricolage. En parallèle, cette période nous a permis de poser certaines de nos réflexions. Dans l’année nous sommes toujours à flux tendu et là nous avons pu réfléchir sur le sens que nous voulions donner à l’avenir à notre structure.

CT : C’est fou, mais nous avons presque monté une entreprise départementale en quatre jours ! Cela s’est fait parce qu’on avait des compétences communes et que les makers fonctionnent selon des mouvements horizontaux. Mais la vitesse a été spectaculaire. Nous étions une ferme décentralisée avec 60 personnes et des imprimantes 3D. De cette façon, on a appris que dans notre département, le réseau se structure très vite en chaîne de production.

Maguelone, que constatez-vous depuis la réouverture de la Fruitière Numérique ?

MM : L’activité redémarre progressivement. On a beaucoup de nouveaux co-workers, car beaucoup de gens étaient venus se confiner dans le Sud et restent en télétravail jusqu’à septembre, du coup ils cherchent un endroit pour travailler. Sur la partie lab, nous avons beaucoup de demandes sur des petits projets. On cherche aussi à s’adapter, car nous ne pouvons pas recevoir beaucoup de monde, alors des gens viennent faire des tournages chez nous, qu’ils rediffusent ensuite en streaming. Tout ça est rassurant, car cela montre que les gens ne sont pas bloqués et qu’on va pouvoir continuer d’exister.

Quel est l’avenir de votre réseau ?

CT : D’abord, nous n’avons pas fermé le groupe Facebook, au cas où… (sourire)

MM : Tout le monde est en phase de transition, donc le réseau est actuellement calme. On va faire un évènement pour tous se rencontrer et peut-être qu’il se poursuivra autour de nouveaux projets.

Cédric Cabanel
publié en partenariat avec Makery.info

Le groupe Facebook « Makers contre le Covid 84 ».

La Fruitière Numérique et La Bricothèque.

Petite histoire de La Fruitière Numérique et de La Bricothèque

La Fruitière Numérique et La Bricothèque sont deux des nombreux tiers-lieux présents en région PACA et dans le département du Vaucluse. La première fondée en 2014 doit son nom à son passé de coopérative agricole. « Historiquement, ce lieu est une ancienne coopérative agricole fruitière, qui tenait une importance majeure dans le village, puisque bon nombre d’habitants y avaient déjà travaillé.

En 2011, le bâtiment a été racheté par la commune parce que la mairie ne voulait pas le laisser aux mains des promoteurs immobiliers » raconte Pauline Metton. Alors, selon la volonté du maire de l’époque Blaise Diagne, qui voulait désaisonnaliser Lourmarin, est née en 2015 la Fruitière Numérique, devenue SPL en 2016. Elle oriente ses activités en plusieurs parties ; la partie fablab, la partie Espace Public Numérique (EPN), la mise à disposition de résidence d’artistes, des activités d’exposition scientifiques ou artistiques, l’organisation de séminaires dans l’espace multifonctionnel de diffusion numérique et enfin un espace de coworking rattaché à l’EPN.

Quant à La Bricothèque, le fablab est né en 2019 à Pernes-les-Fontaines, ville de métiers d’art depuis 1999, statut qui se traduit par un vrai investissement de la municipalité en leur faveur. Une grande vingtaine d’artisans travaillent donc dans la ville dont certains permettent à certains métiers rares de survivre. « Nous avons créé le fablab pour regrouper les compétences présentes en local, il a donc une orientation sur l’artisanat d’art » raconte Corentin Tavernier un des initiateurs du fablab, depuis, un peu plus éloigné du lieu.

L’apparition de La Bricothèque comme d’autres fablabs montre la fertilité du Vaucluse en termes de tiers-lieux. Mais ces dernières années on a pu observer (se reporter au travail de thèse de l’auteur de cet article qui consacre un large chapitre sur les fablabs de la région, NDLR) une forte dynamique de création comme de disparition de structures, ce qui souligne aussi leurs fragilités.

Un effort d’agilité, de dialogue et de faire ensemble

Antoine Ruiz-Scorletti, 28 ans, est maker avant tout ! Mais il est également le fab manager du Roselab, le fablab de La Cité à Toulouse, mais aussi un des coordinateurs du RedLab, le réseau des fablabs & Assimilés d’Occitanie, et administrateur référent communication du Réseau Français des Fablabs.

Artilect et Airbus ont produit plus de 50 000 masques chirurgicaux pour le CHU de Toulouse. Photo : © Artilect

Quel rôle a joué votre fablab pendant la crise, et plus largement les fablabs et collectifs de makers dans votre région ?

Dès le début de la crise, les membres de notre réseau se sont immédiatement mobilisés pour répondre à l’urgence sanitaire, éducative et sociale provoquée par le Covid-19. Nous avons mené de nombreuses actions collectives grâce à un dispositif de fabrication distribuée à l’échelle régionale. Les premières actions ont été instinctives, notre objectif était d’aider par ce que l’on sait faire : faire ensemble, rapidement et efficacement.

Réunions hebdomadaires, partage de modèle de visières ou de masques, structuration logistique et légale, communication, création commune de prototypes, rapprochement avec les groupes d’entraide makers, les différentes organisations (RFFLabs, France Tiers-Lieux, les CCI, les mairies…). En quelques jours, on était opérationnel pour répondre ensemble aux besoins et produire des solutions (100 000 visières et 50 000 masques distribués).

Nous avons également développé des prototypes de masques FFP2, des nouveaux modèles de visières, des tests d’objets sanitaires tels que les respirateurs. Enfin, nous avons aussi développé des actions de médiation numérique en soutenant la MakerCrew en créant très rapidement un évènement distribué les Apéro[Ma]kers ou encore le Minitel du Faire (application de ressourcerie avec 600 utilisateurs quotidiens). Notre effort a été intense pour répondre à tous les enjeux de la crise.

Prototype de masque FFP2 entre le Roselab (fablab), Makers&Co (collectif de makers professionnels), EmotionTech (entreprise d’imprimante 3D) et Mask Attack (groupe d’entraide sur la couture). Photo : © Makers&Co

Comment s’est articulé le lien entre réseaux de proximité, réseaux régionaux de fablabs et les réseaux nationaux (RFFLabs, France Tiers-Lieux…) ? En quoi ces interactions de réseaux ont-elles nourri l’action en local ?

Nous avons fonctionné sur un système à échelle et très « fabrégion » : produire localement et être globalement connecté. Chaque fablab s’est concentré sur les besoins et les acteurs les plus proches de son territoire puis s’est connecté à l’échelle de la ville ou du département avec un lien fort avec l’ensemble de la région par le biais du RedLab et au national via le RFFLabs.

J’ai participé à une partie de la communication du RFFLabs ce qui été primordial, car les makers étaient dans l’attente de relais. Nous avons également pris part à l’ensemble des réunions, enquêtes, sondages demandés par France Tiers-Lieux. Bénédictes Amigues, de Createch ou Mentzo de Winter de Labsud ont, par exemple, assuré ce suivi pour le RedLab avec un lien important avec les actions nationales.

Enfin, il y a eu une longue phase de médiation avec les makers indépendants, les entreprises du territoire ou les collectivités. Ces différentes actions et surtout cette mise à échelle ont été nécessaires et bénéfiques pour l’ensemble de nos membres. Ces actions ont été possibles, car un réseau distribué était déjà présent sur place. On se connaissait, on faisait ensemble et on savait pourquoi nous faisions. Le mouvement maker n’a jamais été aussi beau et vrai.

Avez-vous développé des collaborations avec le tissu industriel de votre région ?

Immédiatement, nous avons travaillé avec le tissu économique et industriel de notre région de différentes façons. Des entreprises comme EmotionTech (commercialisation d’imprimantes 3D en kit à visée pédagogique) et LaserSystem (spécialisé dans la vente de découpe laser et fraiseuse numérique), déjà membres du réseau ont tout de suite rejoint la mobilisation en participant aux échanges ou en produisant.

Il y a eu également des liens immédiats et de l’entraide avec des fablabs d’entreprise comme Airbus, Thales ou Expleo. Airbus avec le fablab toulousain Artilect et l’aide de couturiers et couturières a produit en série un masque chirurgical pour le CHU de Toulouse à la suite d’un hackathon. Notre contribution a été de reconnecter le tissu industriel avec les besoins du territoire. Vers la fin de la mobilisation, des industriels se sont mis à faire de la visière ou des masques en grande série, il a donc fallu les aider sur les fichiers et surtout réorienter les besoins vers eux.

Les bénévoles du fablab de Nîmes réunis autour de la production du jour (15 mai 2020). Photo : © Olivier Loynet

Quels ont été les défis logistiques et matériels auxquels vous avez été confrontés ?

Nous avons fait encore une fois ce que l’on sait faire : connecter et faire ensemble. Création d’un tableur partagé pour suivre les actions, création de fichiers d’attestation, commandes groupées… Par le biais du réseau, il a été facile de mutualiser les besoins et les ressources.

Nous avons répondu en commun à l’appel de la Fondation Orange et ainsi pu obtenir les fonds pour acheter le matériel nécessaire. Des dons nous sont également parvenus : RS Components a envoyé plus de 200 filaments plastiques pour le réseau et Toulouse Métropole a offert 10 000 transparents que nous avons distribué aux membres du réseau toulousain et aux makers indépendants.

Niveau logistique, pour nous soutenir, la région Occitanie a commandé plus de 11 000 visières. Nous avons répondu à cette demande tous ensemble et sur tout le territoire avec deux pôles de redistribution : Toulouse et Montpellier. En une semaine, nous avons fait toutes les démarches légales, distribué la commande et récupéré la production pour être livrés. Le dispositif FabRégion était là.

Quel dialogue avec les pouvoirs publics sur votre territoire ? Comment la collectivité est-elle intervenue ?

Nous avons répondu aux besoins des collectivités à travers des collaborations avec des équipements métropolitains ou municipaux dotés de fablabs comme IN’ESS à Narbonne ou La Bobine au sein de l’Innoparc à Auch qui ont produit des milliers de masques pour leurs communautés de communes.

Nous avons surtout pu compter sur les collectivités pour nous épauler dans des aspects légaux et logistiques : comment ré-ouvrir nos lieux, comment faire en toute sécurité pendant la production solidaire, réponses groupées à des besoins locaux… On a toutefois aussi compris que notre travail de sensibilisation et de compréhension du mouvement maker était à poursuivre avec les collectivités afin de poursuivre cet effort d’agilité, de dialogue et de faire ensemble.

Le F@bRiquet, fablab de l’association Planète Sciences Occitanie, transformé en chaîne d’assemblage et de conditionnement. Photo : © F@briquet

Depuis quand votre fablab est-il rouvert ? Quelles incidences sur vos activités (vis-à-vis des publics, des partenaires, des productions) et votre économie ?

La plupart de nos espaces ont rouvert dès que c’était possible, avec toute la difficulté des mesures sanitaires. On ressent tous que la vision des publics et des partenaires a changé. Nous avons encore une fois mutualisé nos informations pour ouvrir et surtout partager nos expériences. Nous avons démontré la force, l’impact et la nécessité du mouvement maker pour la fabrication de cette nouvelle société plus résiliente et intelligente.

Quelles perspectives de collaboration pour les membres du réseau RedLab ?

Le réseau était déjà là avant la crise, nous allons donc simplement poursuivre nos actions et faire ensemble. Nous avons l’objectif de continuer la consolidation de ce dispositif concret de FabRégion, mais aussi de FabDépartement ou de FabCity. Sur un cas concret, nous avons démontré que nous pouvions créer en très peu de temps une fabrication locale, distribuée et connectée. Les chantiers et domaines d’application sont nombreux, ils vont passer par une plus grande intégration au réseau des acteurs du faire, mais aussi des évènements, des rencontres, des projets communs… continuer à mailler intelligemment et efficacement le territoire. Pour faire simple, notre avenir c’est de continuer à faire ensemble la société d’aujourd’hui et de demain par de la connexion, du partage et de l’innovation collaborative et durable.

Catherine Lenoble
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le RedLab, le réseau des fablabs & Assimilés d’Occitanie.

des makers en première ligne

Au plus fort de la lutte contre la pandémie de la Covid-19, une task-force de makers régionaux a produit près de 5000 visières de protection et autres matériels à usage sanitaire ou grand public. La cellule collaborative «Alternatives Technologiques» associant plusieurs acteurs des Hauts-de-France autour du CHU de Lille a même reconnu le mouvement avant que celui-ci ne s’éteigne. Plongée au cœur de la task-force lilloise et des autres initiatives régionales.

En Hauts-de-France, il a presque suffi d’un mail pour voir naître 4692 visières et autres matériels médicaux ou à usage du grand public. « Le Professeur Odou directeur du département Pharmacie au CHU de Lille a demandé à notre responsable d’unité à l’INSERM si les différents départements de technologie de l’Université, des grandes écoles d’ingénieur de la métropole pourraient produire des copies par impression 3D ou autres techniques, des circuits de respirateur », nous raconte un mois après la fin des opérations, Pascal Deleporte ingénieur de recherche à l’INSERM. Pour planifier et organiser les actions et ainsi répondre à la demande du département de Pharmacie du CHU de Lille, une première réunion téléphonique a été organisée le 23 mars dernier entre de multiples acteurs académiques et scientifiques locaux. En a découlé la nécessité de structurer l’opération sur une interface numérique pour mettre en contact les personnes compétentes et leur permettre d’échanger quasiment en temps réel, ce que Jean-François Witz, chercheur CNRS en poste au LaMcube (Université de Lille, CNRS, Centrale Lille), a pris en main à titre bénévole et de façon collaborative. Objectif : rendre plus efficace la communauté naissante, auto-proclamée task-force, dans l’aide aux hôpitaux.

Pendant un mois et demi se sont ainsi multipliés les échanges entre des chercheurs de plusieurs grandes écoles et laboratoires comme Centrale Lille, l’INSERM, Polytech Lille, l’YNCREA, l’ISEN, des makers et des entreprises partenaires, afin de répondre au fil de l’eau aux demandes des services de santé en tension sur des Dispositifs Médicaux (respirateurs, masques, visières, etc.). En effet, le CHU de Lille a très vite dû solliciter de l’aide en local pour la production de masques en tissu, demande à laquelle ont répondu pas moins de 7700 couturiers et couturières de la métropole lilloise. Puis, le 1er Avril, d’après France 3 Hauts-de-France, ce même CHU ne disposait plus que de quatre jours de stocks sur les surblouses, essentielles à la prise en charge des patients, rééditant ainsi son appel à solidarité. La task-force de makers a répondu à l’appel, et compte tenu des mesures de confinement rendant impossible les réunions en présentiel, a choisi l’application RIOT pour rendre plus efficace la coordination entre acteurs. Celle-ci se base sur le protocole de communication Matrix et à partir d’un mode open-source permet de réunir en un même lieu virtuel une communauté pour travailler et/ou échanger. Visite guidée dans l’organisation d’une micro-société éphémère « made-in RIOT », compartimentée en plusieurs salons thématiques et chez ses homologues aux quatre coins de la région.

Extraits de conversations salon RIOT « Hauts-de-France Impression 3D Recensement des forces de production, 15 et 16 Avril 2020. Copie d’écran. D.R.

L’organisation informelle des salons RIOT

Mi-mars, la demande du département Pharmacie du CHU de Lille en circuits de respirateurs a d’abord ouvert dans un premier salon RIOT un débat sur des prototypes de toute sorte. La task-force a dû relever un premier défi de taille, celui de mutualiser la masse de connaissances techniques de chacun des acteurs et de la confronter aux exigences pointues du monde médical, surchargé de patients atteints de la Covid-19. Progressivement, apparaît un énoncé complexe à résoudre dans les délais très courts d’une gestion de crise : comprendre la spécificité des pièces demandées et les normes sanitaires qui s’y réfèrent ; évaluer la disponibilité des machines et des matières premières pour la production ; mobiliser la logistique que demande cette tâche d’une ampleur colossale. Deux premiers réseaux se forment alors autour du Centre Hospitalier Universitaire de Lille et du Centre Hospitalier de Roubaix pour valider les premiers prototypes des makers, avant production en grande série.

En parallèle, les demandes se multiplient et de façon de plus en plus rapprochée à partir de la fin du premier mois de l’épidémie. La task-force choisit alors l’option de cloisonner l’interface RIOT en plusieurs salons dédiés à des produits spécifiques. Elle opte dans certains cas pour une répartition des étapes de production entre différents acteurs afin de gagner en efficacité et d’aboutir à un assemblage final et à un contrôle qualité. Ce choix s’avère payant d’autant plus que les besoins des hôpitaux avec la diffusion du virus de la Covid-19 se diversifient et deviennent exponentiels. Respirateurs, visières, bidon de stockage des solutions hydroalcooliques sont ainsi au programme des premières phases de mobilisation, alors qu’en parallèle la communauté de makers du RIOT s’agrandit, arrivant au plus fort de la lutte contre la pandémie du SARS-CoV-2 à environ une centaine de personnes.

Des clusters éphémères en période de confinement : quelles échelles de mobilisation ?

Progressivement, et alors que les premiers prototypes aboutissent à des productions concrètes (à partir de début avril), les différents salons RIOT désignent de façon informelle certains émissaires pour discuter en direct avec le CHU de Lille et d’autres demandeurs régionaux ou belges. Une chaîne logistique allant du producteur vers le « consommateur » s’est ainsi formalisée. La force de production a d’abord reposé sur le fablab de Centrale Lille et le Fabricarium de Polytech Lille, ainsi que d’autres écoles d’ingénieurs de l’agglomération lilloise.

Puis, les capacités productives et les matières premières venant très vite à manquer, elle s’est enrichie de la mobilisation de certains industriels et fournisseurs inactifs en raison du confinement. Des entreprises telles que Décathlon, Dagoma, Renault, le TechShop de Leroy Merlin, et des fournisseurs de matières comme Solvay, Plasticem, ElanPlast, Formlabs ou encore Lattice Medical, ont surfé sur la mobilisation des makers et ont joué un rôle essentiel. Ces clusters éphémères ont vite étendu leurs ramifications à la Belgique où des rapprochements ont eu lieu avec les Universités de Mons et de Louvain-la-Neuve.

Pas moins d’une trentaine de services hospitaliers, d’EPHAD et d’établissements hospitaliers privés ont ainsi été achalandés en matériel. Le département de Pharmacie du CHU de Lille a pris en charge la partie avale de la chaîne de solidarité : centralisation et stérilisation des produits, puis redistribution en fonction des priorités territoriales afin de mieux répondre aux besoins. Néanmoins, d’autres réseaux de makers ont livré des visières de protection au plus proche des besoins locaux, quadrillant ainsi un territoire régional trop vaste pour être approvisionnés depuis la métropole lilloise. « En plus de l’activité du RIOT, de nombreux makers ont été au front à partir des réseaux sociaux notamment. Je pense à « Makers du 59, Makers contre le Covid 59-62 ou encore Visière Solidaire par exemple, sans compter certaines entreprises » poursuit Pascal Deleporte.

En effet, les exemples ne manquent pas, liées ou non aux dynamiques du RIOT. D’Accante à Boulogne-sur-Mer sur les visières de protection à Lattice Medical à Lille sur les ventilateurs, en passant par Dagoma à Roubaix sur les attaches frontales des visières, Machines 3D à Valenciennes et ses diviseurs de flux, le 3DFT Lab à Bailleul sur des prototypages de petite série ou encore l’IUT QLIO de Béthune, toute la région a saisi l’enjeu de l’urgence sanitaire. Le TechShop de Lille a même produit 15 000 visières au plus fort de la période. Et les associations ne sont pas en reste ; Art&Fact Dunkerque a produit pas moins de 1000 visières de protections tandis que Le P’Tit labo 3D d’Uxem a fédéré un groupe Facebook de 130 membres intitulé Les Visières solidaires de Dunkerque et collecté via une cagnotte 5516€ pour la production de visières.

Alternatives Technologiques, 5000 unités, puis le coup d’arrêt

Sur le RIOT, avec la progression des phases de production et de distribution, les makers ont rencontré plusieurs problématiques. Ils ont dû négocier avec les fournisseurs les prix des matières premières pour produire à prix coûtant et ne pas tirer de bénéfices du projet. Les Fablabs n’étant pas capables de produire en masse, ils se sont rapprochés d’entreprises prêtes à mobiliser leurs forces de production pour répondre à la crise sanitaire. Afin d’identifier le plus rapidement possible les besoins sur les différents territoires, les makers du RIOT ont également mis des entreprises d’insertion dans la boucle pour la logistique. Enfin, la question du financement de ces activités a commencé à se poser, ce qui a nécessité des demandes de subvention auprès de la puissance publique et de l’Union Européenne.

Début avril, pour repenser une organisation informelle devenue trop complexe, le CHU a annoncé dans un communiqué de presse la création de la cellule Alternatives Technologiques « dans un contexte de tension d’approvisionnement avec un risque de pénurie nationale de certains équipements et dispositifs médicaux indispensables à la prise en charge des patients en assistance respiratoire […] et dans le but de garantir une prise en charge des patients COVID en anticipant ses besoins ». Par cette reconnaissance officielle, la task-force d’action des makers régionaux a gagné en visibilité, en coordination avec le CHU de Lille, l’Université de Lille, l’INSERM, le CNRS, l’Institut Pasteur de Lille, le Centre Inria Lille et Centrale Lille. Elle s’est traduite notamment par l’industrialisation de visières de protections.

Un autre document, issu d’un des salons RIOT a recensé l’ensemble des forces de production associées à la task-force de makers et fait état d’une livraison d’au moins 4692 visières. Ce même document comptabilise aussi dix-huit producteurs (laboratoires de recherche, industriels, fablabs, makers isolés), qui, avec un parc de 90 imprimantes 3D de type FDM, ont eu une capacité de production de 500 pièces par jour, « sachant que tous nos efforts n’y sont pas répertoriés de façon exhaustive », précise Jean-François Witz de Centrale Lille. Ces multiples efforts répondent aussi à une longue liste de demandeurs dans le besoin sur l’ensemble de la région Haut-de-France, dont un certain nombre n’ont probablement pas eu le temps d’être livrés par les makers. En effet, à partir du 13 mai dernier, des normes AFNOR et une circulaire de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) ont engendré une interruption brutale de l’action des makers des salons RIOT. « La production de visières via l’injection classique a perduré. En revanche, la régulation sur l’impression 3D publiée par l’ANSM ne nous a pas permis de poursuivre la majorité de nos actions.

Cela a également correspondu à une période où le CHU de Lille n’était plus en tension », concède Jean-François Witz. « À ce moment-là, les masques et les visières commençaient aussi à moins manquer, donc il y avait moins de raison de continuer, même si certains groupes de makers en dehors du RIOT ont poursuivi leurs actions, notamment vers l’international », poursuit Pascal Deleporte. Bon nombre de makers, dont certains du groupe RIOT, imputent la conclusion brutale de leurs activités à l’État et aux risques de poursuite encourus en cas de concurrence déloyale, de travail déguisé et du non-respect des normes techniques en vigueur. Pourtant, la réalité est un peu différente. Selon la DGE (Voir article site internet 20 Minutes du 19 Mai 2020), l’État n’a pas classé en concurrence déloyale la vente à prix coûtant des visières et celles-ci pouvaient encore être mises sur le marché, même non conformes à une norme sanitaire, à la condition qu’aucune mention ne puisse laisser entendre qu’elle servirait de protection contre la Covid-19 ou tout autre agent biologique. L’arrêt de certaines mobilisations de makers serait donc plus dû à des contraintes techniques qu’à des contraintes institutionnelles.

Un groupe de recherche européen investit le thème des makers de l’après-Covid

Ainsi, par son caractère spontané, sa capacité de mobilisation et la plasticité de son organisation, la réponse de la task-force à la crise de la Covid-19 a ouvert toute une série d’interrogations concernant l’organisation future du système productif et la place qu’y occuperont les ateliers de fabrication numérique. En effet, toute trace de cette cellule Alternatives Technologiques de coordination entre le CHU, les chercheurs et les makers a disparu d’internet, alors qu’une autre task-force, ici la Task-force Recherche autour du CHU et des laboratoires en recherche biomédicale, a accru sa visibilité institutionnelle. Ce qui pose question en termes de reconnaissance par l’Etat des efforts déployés par les makers, les écoles ingénieurs et des entreprises dans l’urgence de la réponse déployée à apporter au manque de masques et autres fournitures pour les établissements de santé et de soin.

Par ailleurs, cet exemple illustre comment les acteurs qui ne travaillent pas dans des structures d’innovation formalisées, telles que les Pôles de compétitivité peuvent contourner la complexité administrative habituelle pour se mobiliser et construire un système productif éphémère qui répond à cette urgence. Enfin, qu’au nom de l’efficience de la production/distribution et de la qualité des produits, makers et entreprises peuvent travailler ensemble, au-delà des habituels conflits d’intérêts et de valeurs entre ces deux mondes (open source versus propriété intellectuelle, quasi-don versus profit).

C’est d’ailleurs autour de ces réflexions que s’est ouvert le projet européen INTERREG FabricAr3v (prononcez « fabrique à rêves »). Pendant trois ans, des chercheurs belges et français, vont travailler sur une technologie disruptive d’impression de pièces métalliques et s’intéresser au rôle que pourrait avoir la création d’une imprimante 3D low-cost sur le tissu économique transfrontalier. Ils mobiliseront dans les prochains mois toute une série d’outils pour interroger l’évolution du système productif, le rôle des fablabs et les questions de propriété intellectuelle. En outre, plusieurs acteurs des salons RIOT sont impliqués dans la proposition de projet Contrat de Plan Etat Région TechSanté, qui pourrait formaliser les clusters éphémères qui ont émergé autour des salons RIOT. De quoi faire perdurer en région Haut-de-France l’esprit de la task-force des makers ?

Cédric Cabanel
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le programme INTERREG FabricAr3v mené avec le soutien du Fonds européen de développement régional

En ces temps de déconfinement tous azimuts, l’association MCD produit deux stages de création numérique à destination des 11 / 17 ans accompagnés par les structures sociales de l’arrondissement. Produites grâce au soutien de la Mairie de Paris dans le cadre du dispositif Ville Vie Vacances et la Mairie du 10e arrondissement de Paris, en partenariat avec Emmaüs Solidarité et Colombbus, ces actions ont pour objectif de proposer des temps collectifs et présentiels au sein du 10e arrondissement de Paris.

 

Vélo Badaboum

Mené en partenariat avec Emmaüs Solidarité, Vélo Badaboum s’inscrit dans le prolongement des ateliers LabOTrucs de MCD animés par l’artiste-enseignant Julien Levesque. Ce stage propose une approche créative et ludique de fabrication additive et numérique, permettant aux participants d’appréhender la réparation et réutilisation d’objets et l’électronique de base (fonctionnement des capteurs et des moteurs…). Cette action s’est adressée à un groupe de 9 enfants accompagnés par les centres d’hébergement d’urgence d’Emmaüs Solidarité (Centre de Nancy, Centre Jouhaux, Centre Pereire). La réalisation issue de cet atelier vient compléter une collection d’objets, conçus et à venir, dans le cadre de la collaboration MCD/Emmaüs Solidarité, qui seront présentés lors d’un événement public à l’automne sous un format « kermesse » participative de la bidouille ! On ne vous en dit pas plus pour le moment !

Vélo Badaboum est un dispositif de course de vélos statiques, en équipe relai. Un compte-tours permet de gonfler un ballon selon la vitesse des coureurs. L’équipe avec le meilleur coup de pédale est la première a faire exploser son ballon !

PLAY 10

Produit par MCD en partenariat avec Colombbus, PLAY 10 propose aux enfants de s’approprier l’espace public en s’initiant aux techniques de reportage et de recherches documentaires, mises à profit dans la création de mini jeux vidéo. Le contenu de ce stage prend appui sur les expériences et dispositifs de médiation EnReportagePermanent (projet vidéo porté par SarahTaurinya aka Sarah Brown) et Declick (logiciel libre et plateforme d’apprentissage). L’action s’est tenue du 7 au 10 juillet, sur deux demies journées et 2 journées complètes. Nous y avons accueilli un groupe de 6 enfants accompagnés par le ClubTournesol sur la totalité de l’action, Ainsi qu’un groupe de 4 jeunes de l’Ajam sur une participation partielle.

Dans le cadre de ce stage un cours podcast sur l’histoire de lieux emblématique du 10e arrondissement a été enregistré avec les enfants participants, pour l’écouter c’est par ICI !

> Vélo Badaboum, les 6, 7 et 8 juillet de 14h00 à 17h00, au Transfo, 36 rue Jacques Louvel Tessier, 75010 Paris. Stage accessible sur inscription pour les jeunes de 11 à 17 ans accompagnés par Emmaus Solidarité.

> PLAY 10, du 7 au 10 juillet à Colombbus, 3 passage du Buisson Saint-Louis, 75010 Paris. Stage accessible sur inscription pour les jeunes de 11 à 17 ans accompagnés par des structures socio-culturelles du 10e arrondissement de Paris.

> Contact: coline@digitalmcd.com