témoignage pour les makers de Corse

Vannina Bernard-Léoni est à la tête du pôle Innovation et Développement de l’Université de Corse, à Corte, depuis 10 ans. Référente sur son territoire pour le Réseau Français des Fablabs pendant la crise sanitaire, elle témoigne pour les fablabs et makers corses mobilisés

Matériauthèque du Fablab de Corti. Photo: © Fablab de Corti

Pouvez-vous vous présenter et présenter votre structure ?

Je suis responsable du pôle Innovation et développement de l’Université de Corse à Corte. Je travaille pour cette université depuis 10 ans et j’ai proposé de créer un  fablab universitaire il y a 5 ans (inauguré début 2016).  Je dirigeais depuis quelques années la fondation universitaire et j’étais arrivée à l’idée que la création d’un fablab serait intéressante, dans la continuité d’autres projets développés au fil des années, comme la mise en place d’une chaire d’Economie Sociale et Solidaire.

Faisant partie d’un tiers-lieu, le fablab a pris le devant de la scène, car il était l’élément le moins connu du public, et a donc bénéficié d’une forte communication de la part de l’Université. Ce tiers-lieu s’est installé au pied de la citadelle de Corte, au sein d’un bâtiment historique, le Palazzu Naziunale, le siège du gouvernement à l’époque de la Corse Indépendante.

Ce lieu a donc une très forte charge patrimoniale et politique, une belle manière pour les institutionnels locaux de démontrer leur soutien à cette initiative. Le pôle universitaire de l’île étant situé à Corte, ce fablab universitaire a endossé un rôle particulier dès le début. Il est ouvert sur tout le territoire et c’est ce qui lui a permis de mettre en place la coordination du réseau des makers sur l’île.

Quel type de matériel avez-vous produit ?

Très rapidement, nous avons décidé de produire des visières anti-projection et l’ensemble du réseau, qui s’est progressivement structuré, a été mobilisé là-dessus. En partenariat avec un autre fablab, nous avons également fabriqué des valves de kit VNI (ventilation non-invasive) pour l’hôpital d’Ajaccio, mais cela était à bien moindre ampleur et nous avons moins communiqué là-dessus, notamment en raison des enjeux juridiques lourds que cela implique. En vue du déconfinement, nous avons également plus récemment commencé à fabriquer des crochets ouvre-portes multi-fonctions et d’autres objets pour préparer l’après.

Visières fabriquées au Fablab de Corti. Photo: © Vannina Bernard-Léoni

Vos fournisseurs vous ont-ils fait payer la matière première ? Avez-vous donné ou vendu votre matériel ? Comment réussissez-vous à couvrir vos coûts ?

Plus que financière, la difficulté au niveau des matières premières relevait de l’approvisionnement en Corse. En effet, le financement des matières premières a été pris en charge immédiatement par l’université de Corte pour notre fablab, mais aussi pour le reste du réseau (des bobines ont par exemple été envoyées à Bastia).

Qu’est-ce qui vous a encouragé à vous engager dans cette action ?

La fabrication de visières a été dès le début de la crise sanitaire insufflée par nos échanges avec des soignants qui ont très vite repéré ce besoin. Puis j’ai eu un déclic lorsque j’ai commencé à appeler mes amis médecins et j’ai compris que les visières pouvaient correspondre à leur besoin. Les hôpitaux ont validé et nous avons contacté tous les fablabs pour organiser cette production.

Il y a eu plusieurs étapes en terme de production et distribution : au départ nous les fournissions seulement aux soignants, aux aidants et aux personnels en première ligne, ce qui représentait déjà une demande très importante. Nous avons ensuite été débordés par les demandes d’entreprises qui ont repris le travail rapidement, comme le BTP. Nous avons donc préparé un communiqué de presse mi-avril en précisant que nous n’étions en mesure de fournir nos visières gratuitement qu’aux personnes en première ligne.

Nous avons tout de même souhaité mettre en place une réponse pour les entreprises, et nos réseaux de makers se sont organisés pour proposer des offres commerciales en parallèle, destinées aux entreprises marchandes. Par ailleurs, le fablab a également décidé de  fournir des visières (10 maximum par commerce) aux commerçants de la ville de Corte à titre gracieux, et ce dans la logique locale qu’il porte depuis le début.

Ouvre-portes produits par le Fablab de Corti. Photo: © Vannina Bernard-Leoni

Quelle a été l’ampleur de la production de visières ?

Au plus fort de la production, mi-avril, le réseau a produit environ 900 visières par jour, avec trois découpeuses laser qui tournaient, en plus de toutes les imprimantes 3D mobilisées. Le Fablab de Corti à lui seul en produisait environ 300 par jour. À la clôture du bilan des makers corses (3 juin 2020), 17 800 visières et autres produits (hygiaphones, crochets ouvre porte, VNI…) ont été fabriqués et distribués par le réseau, ce qui n’est pas négligeable à l’échelle de notre île !

Comment avez-vous pris contact avec les entités locales (entreprises, commerces, hôpitaux) si vous l’avez fait ?

Du point de vue institutionnel, le réseau a été très bien accompagné par l’Université de Corte. Le Fablab d’Ajaccio a également été soutenu institutionnellement. Par ailleurs, un travail est depuis peu en cours avec la Région pour mettre en place une forme de reconnaissance et de dédommagement pour les makers individuels qui ont fait tourner leurs machines à plein lorsque l’on avait plus que jamais besoin d’eux. Nous souhaitons donc dès à présent travailler sur la documentation et la reconnaissance de ce qui a été accompli.

Que vous a appris cette expérience ?

Juste avant la crise, nous préparions une réponse à l’AMI Fabriques de Territoire, car cela faisait plusieurs mois que nous travaillions sur l’organisation d’un réseau de tiers-lieux et de fablabs sur le territoire. La crise a eu l’effet de lancer ce réseau à grande échelle et a permis de montrer que la coopération pouvait être efficace : en rapprochant les fablabs entre eux, en lançant les petits et en faisant connaissance avec les makers individuels jusque dans les petits villages.

De ces belles rencontres humaines, nous garderons un relationnel fort qui permettra de faire vivre le réseau plus durablement par la suite. Sur le plan politique, cette crise a également donné de la visibilité aux questions de la production locale et de la relocalisation de la production puisque la mobilisation de tous les makers et des appareils de production a été l’occasion d’en faire la démonstration.

Remerciement aux makers corses. Photo: © Fablab de Corti

Avez-vous été appuyé par des réseaux ou des institutions ?

Nous faisons notamment partie du Réseau Français des FabLabs et du Réseau national des tiers-lieux (France Tiers-Lieux). En échangeant régulièrement avec eux, nous nous sommes rendu compte que certaines régions ont aidé leurs réseaux de fablabs immédiatement et fortement. De notre côté, nous avons été soutenus localement par Ajaccio et Corte. Certains politiques ont également réalisé des levées de fonds auprès du public pour nous aider au plus fort de la crise, mais nous avons manqué de support au niveau logistique. Pour le moment, les relations du réseau avec la Région sont plus de l’ordre de l’échange d’informations et cela gagnerait à être doublé d’un réel appui financier et logistique.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

La question de l’approvisionnement des matériaux a été un réel problème à un moment donné. S’il est possible de se débrouiller pour se fournir de l’élastique, certains matériaux comme les bobines de PLA et les plaques de polypropylènes (les visières étant réalisées au laser) sont indispensables et difficilement substituables. Une autre difficulté a également été, au plus fort de la crise, la coordination du réseau lorsqu’il y a eu recrudescence de commandes : c’est très difficile de se retrouver à dire non à des travailleurs du monde sanitaire et social, ça va à l’encontre de notre engagement donc ça peut créer des frustrations.

Pourriez-vous me citer deux ou trois valeurs que vous portez et que vous souhaiteriez voir dans la société de demain ?

Je vois trois ensembles de valeurs qui ont porté notre action et qui sont ce pourquoi nous sommes engagés : le partage et la solidarité, la réactivité et l’agilité qui ont été une réelle force dans ce contexte exceptionnel, et enfin la relocalisation de la production qui guide notre action.

Sarah Cougny
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le Fablab Corti.

« Makers Uniti – Anti Covid 19 ». Cartographie de la mobilisation. D.R.

Comment faire comprendre à un maximum de personne des problématiques aussi complexes que le réchauffement climatique ou la constitution des exoplanètes ? L’usage des innovations technologiques, en particulier celles qui concernent la réalité virtuelle, est l’une des pistes envisagées. Panorama sur ces cas singuliers de médiation scientifique.

Zoom : balade entre les 2 infinis, exposition au Relais d’sciences, Caen (2012-2013). Photo: D.R. / Relais d’sciences

Il faut reconnaitre que si les technologies de la réalité virtuelle (VR), l’Oculus Rift en tête de gondole, n’ont pas encore révolutionné nos quotidiens, les progrès faits dans le domaine du BtoB sont assez époustouflants. La réalité virtuelle se déploie de façon exponentielle dans la médecine, lors de thérapies médicales, et dans certains secteurs industriels comme l’aéronautique dans lequel 3DExperience (Dassault Systèmes) et l’Institut Clarté se revendiquent les leaders. Cette mutation virtuelle concerne également les niches industrielles. Lors de l’édition Laval Virtual 2016, premier salon européen dédié à la VR, la société MiddleVR présentait une application de formation des techniciens du gaz. Ceux de Thalès ou Véolia bénéficiaient quant à eux d’une solution de télé assistance par lunette connectée. En analysant la réussite des exemples cités, il existe un point commun. Il semblerait que les technologies VR s’accordent plutôt bien avec l’idée de transmission des savoirs.

Exploranova 360. Capture d’écran. http://explornova360.com Photo: D.R. / CEA – Capacités SAS – Université de Nantes

Les scientifiques s’approprient les outils VR

La preuve : depuis quelques années les centres de recherches, laboratoires et institutions ont également pris le pas sur cette mouvance. Aujourd’hui, alors qu’il ne suffit que d’un clic pour accéder à l’information, la vulgarisation et la transmission sont devenues des enjeux majeurs pour les scientifiques. Désormais, le numérique est plus qu’un outil, il est devenu un usage dans lequel le débat scientifique peut avoir sa place. Certaines structures comme Relais d’sciences à Caen, dont la mission est de diffuser la culture scientifique, en ont d’ailleurs fait une spécialité. François Millet, chargé de programmation Living Lab, explique la naissance, en 2010, du premier projet VR de Relais d’sciences : nous avons mis le pied à l’étrier avec l’Odyssée verte. C’est une installation qui consistait à modéliser une jungle virtuelle guyanaise et quelques installations scientifiques du camp des Nouages du CNRS. Au cours de sa visite, le public avait accès à des contenus fournis par des chercheurs.

À l’époque le projet interactif, et peu immersif, est retranscrit à travers une table tactile et projeté sur un grand écran. Assez loin, donc, de ce que l’on peut imaginer en terme de déploiement hi-tech. C’est plus tard que les technologies convergentes et les dispositifs périphériques à la VR sont apparus (objets connectés, interfaces gestuelles, lunette 3D, effet de parallaxe, film 360°, etc.). La jungle virtuelle trouve aujourd’hui une seconde vie avec une version dotée d’un casque immersif. Désormais, on remarque que les scientifiques, toutes disciplines confondues, s’approprient l’outil virtuel. L’exposition Climat VR – Du virtuel au réel, présentée en décembre dernier à la Casemate à Grenoble, invitait le visiteur à s’équiper d’un casque Oculus Rift pour comprendre les préconisations proposées par le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat). Un sujet somme toute d’une extrême complexité et qui permettait pourtant d’aborder des problématiques de façon ludique et attrayante. Car, avant toute chose, il convient de se demander l’intérêt de ces nouveaux dispositifs virtuels de médiation scientifique.

Zoom : balade entre les 2 infinis, exposition au Relais d’sciences, Caen (2012-2013). Photo: D.R. / Relais d’sciences

Rendre tangible l’intangible

Traditionnellement, le virtuel a toujours été un outil indispensable pour les archéologues et historiens. Ces visualisations en image de synthèse permettaient de faire découvrir des sites remarquables et de médiatiser un patrimoine invisible pour le grand public. La collection multimédia des Grands Sites Archéologiques, éditée par le Ministère de la Culture, propose pas moins de neuf expositions virtuelles sur Internet, dont les grottes de Lascaux ou celles de Chauvet. Le Centre Interdisciplinaire de Réalité Virtuelle de Caen (CIREVE) s’est même spécialisé dans la restitution d’environnement disparu. Aussi le projet Plan de Rome visait à rendre compte des différentes étapes chronologiques de la ville antique et appréhender les phases de construction ou l’évolution du tissu urbain… Même son de cloche pour le prestigieux Muséum d’Histoire Naturelle de Londres qui programmait en juin 2015 Sir David Attenborough’s First Life, une exploration sous-marine de quelques minutes. Sir Michael Dixon, directeur du Musée, déclarait : nous sommes toujours à la recherche de nouvelles façons de contester la façon dont les gens pensent le monde naturel — son passé, présent et futur. Nous savons que la réalité virtuelle peut nous transporter dans des endroits impossibles.

En se libérant des contraintes temporelles et spatiales, ces exemples de réalité virtuelle ont définitivement ouvert la porte à des projets plus ambitieux en matière de sensibilité et de savoirs transmis. Une autre exposition de Relais d’sciences, baptisée Zoom, devait ainsi permettre aux visiteurs d’accéder à l’infiniment petit comme à l’infiniment grand au travers de modèles virtuels allant de la super nova à la particule élémentaire. Différents modes de navigation et d’interaction étaient alors proposés : la manipulation d’objets en réalité augmentée, une Wii Board pour la navigation, la captation de mouvement via Kinect, etc. Plusieurs équipes de recherche ont contribué au projet, dont celles du GANIL à Caen et du CEA Saclay. Le célèbre centre d’étude atomique est d’ailleurs à l’origine d’ExplorNova, l’un des projets les plus intéressants qui existent aujourd’hui. Au-delà d’un dispositif de médiation scientifique, il s’agit là d’un axe de recherche précis : puiser dans les sciences spatiales qui permettent de comprendre l’univers et créer de nouveaux modes d’enseignement des connaissances. L’originalité du projet tient dans le mélange entre réflexion et imagination.

Zoom : balade entre les 2 infinis, exposition au Relais d’sciences, Caen (2012-2013). Photo: D.R. / Relais d’sciences

Vincent Minier, astrophysicien et coordinateur du projet, précise que si l’on souhaite donner des éléments de compréhension aux citoyens, les scientifiques doivent créer des outils de médiations qui touchent leurs sensibilités. Par exemple, lorsqu’on parle d’une exoplanète, on peut expliquer si l’onde caractéristique est proche de celle de la Terre, mais on peut aussi évoquer les textures, les couleurs, voire les odeurs présentes. Il en résulte un panel d’installations. Mars Expérience 3D propose aux visiteurs, installés face à un écran et munis de lunettes 3D, de partir en expédition sur la planète rouge aux commandes du rover Curiosity. ExplorNova 360° permet quant à elle une exploration spatiale avec plusieurs interfaces gestuelles possibles. À chacune de ces destinations est associée une vidéo didactique ainsi qu’une photothèque présentant davantage les aspects scientifiques des différentes thématiques.

Une efficacité contrastée

Pour autant ces nouvelles formes de médiation scientifique sont-elles efficaces ? À priori oui, si l’on se réfère au sondage réalisé en août 2015 par Cap Sciences (Bordeaux), auprès des participants du simulateur de navette spatiale. Sur 238, ils étaient 98% à déclarer avoir pris du plaisir, et 90% s’en souviendront pendant longtemps… La réponse est pourtant plus nuancée. D’abord au regard des contraintes techniques de la VR. Comment relater une expérience scientifique à un grand nombre de personnes (objectif de démocratisation), avec des dispositifs coûteux et donc peu déclinables massivement. Bien souvent ce sont des expériences 2D donnant l’impression d’une 3D qui sont déployées. Les scientifiques préfèrent donc parier sur la complémentarité des supports et la VR n’est parfois qu’un produit d’appel vers d’autres dispositifs moins superficiels. Les dispositifs de médiations VR s’imposent de plus en plus comme une évidence si l’on souhaite toucher une population jeune. Pour autant le numérique ne balaye pas non plus tous les modèles existants, précise Vincent Minier.

Adrien Cornelissen
publié dans MCD #82, “Réalités virtuelles”, juillet / septembre 2016

a breathing aid prototyped at F1 speed

100 hours: the time it took the team at University College London and Mercedes’s Formula 1 department to develop the first prototype of a CPAP device. In less than a month, more than 10,000 certified devices were produced, documented and distributed to 60 hospitals throughout the UK.

UCL-Ventura, a CPAP device co-developed by University College London and Mercedes. Photo: © James Tye/UCL

In early March, the government launched the Ventilator Challenge inviting corporations and universities to design mechanical ventilators. “What China and Italy were reporting was that once Covid-19 patients are hospitalized, they need respiratory support because they don’t have enough oxygen,” recalls Rebecca Shipley, professor in the department of healthcare engineering at University College London (UCL).

“In order to give the patient more oxygen, the patient needs to be mechanically ventilated by having a tube inserted into their lungs and letting the ventilator breathe for them.” It’s a very invasive process, she explains, which also requires that the patient be completely sedated.

At UCL, the mechanical engineers sprung into action. Innovation Action was established to support and develop projects for low and mid-cost manufacturing, locally across the UK. While benefiting from the support of a well-developed international network, UCL’s mechanical engineering department also works closely with the intensive care services of University College Hospital.

In a feat of logistics, 10,000 devices were delivered to 60 hospitals throughout the UK. Photo: © James Tye / UCL

As feedback from the frontlines indicated that more non-invasive techniques were required, the team turned to Continuous Positive Airway Pressure (CPAP), a breathing aid that connects to the hospital’s oxygen supply network and mixes the oxygen with air in order to provide the patient with a constant pressurized flow of highly oxygenated air. Often used in cases of sleep apnea, CPAP devices are easier to administer by medical staff than mechanical ventilators. The patient can continue to communicate, and the device can be used for up to five weeks. Most importantly, according to Shipley, “CPAP protects 60% of patients from an increase in symptoms and the need for a mechanical ventilator.”

So the team focused on the historical Respironics device developed by Philips. “There’s a lot of data on its clinical use, and it’s a pretty simple device,” says Shipley. Then her UCL colleague Tim Baker, a mechanical engineer and member of Mercedes’s AMG High Performance Powertrains team specialized in building Formula 1 engines, joined the team.

Almost a hundred people worked on preparing and delivering the devices. Photo: © James Tye / UCL

More than 300 people on board

Assisted by Mercedes’s chief engineer, the team began reverse-engineering the CPAP device. It took them just 100 hours to develop the first prototype, with a slight modification: the design is optimized to use the least possible amount of oxygen, a precious resource in times of Covid-19. “We were the right people, with the right expertises, and we all already knew each other,” Shipley comments, explaining their lightning speed. Ten days later, the model was approved by the national Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA) and ready for mass production, with a capacity of 1,000 units per day, at a cost of around £1,000 (1,123€) per unit.

In total, several hundred people were mobilized for this project: 15 at UCL, some 200 in Mercedes factories and around 100 for logistics. Once the certified devices were mass manufactured, approximately 10,000 units were boxed and delivered. “We had no problem with our devices in the hospitals, because the model was already being widely used,” says Shipley. The team developed its own training material, complete with videos.

A logistics staff wears a suit to ensure that he does not contaminate the cargo. Photo: © James Tye / UCL

Since the model and documentation were made available in open source, they have been downloaded by more than 1,800 teams from 105 countries. “The idea is to facilitate local manufacturing,” says Shipley, echoing the mission of UCL’s Innovation Action. 50 teams are building their own prototypes in Brazil, Bulgaria, India and Iran. UCL continues to provide technical and logistical support through e-mail, a series of interactive webinars, and a Facebook group to connect teams around the world. “For now the main challenge is to find a supply chain, but we’re working with local organizations,” she says.

Elsa Ferreira
published in partnership with Makery.info

More information about UCL-Ventura

un prototype vitesse grand V

100 heures. C’est tout ce qu’il aura fallu à l’équipe de l’University College of London, aidée du département Formule 1 de Mercedes, pour mettre au point les premiers prototypes de ventilateur CPAP. En moins d’un mois, l’équipe a produit et documenté un appareil homologué et l’a distribué à plus de 10 000 exemplaires dans 60 hôpitaux à travers le pays.

L’UCL-Ventura, un modèle de CPAP mis au point par une alliance entre le département d’ingénierie mécanique de l’University College London et du département en charge de la fabrication des moteurs de Formule 1 de Mercedes. Photo: © James Tye / UCL

Début mars, le gouvernement organise un « Ventilator Challenge » pour rassembler les industriels et les universités afin de mettre au point des ventilateurs mécaniques. « Ce que la Chine et l’Italie rapportaient est que lorsqu’un patient atteint du Covid-19 arrive à l’hôpital, il a besoin de support respiratoire, car il n’a pas assez d’oxygène, retrace Rebecca Shipley, professeure au département d’ingénierie médicale à l’Université College of London (UCL). Pour apporter plus d’oxygène au patient, il faut donc ventiler mécaniquement le patient en insérant un tube jusqu’à ses poumons et laisser le ventilateur respirer pour lui. » Une action très invasive pour le patient qui nécessite sa sédation complète, explique-t-elle.

Au sein de l’University College of London, la riposte se met en place. Innovation Action est mis en œuvre pour soutenir et développer des projets et favoriser leurs fabrications locales à travers les pays à bas et moyens revenus. L’UCL bénéficie d’un réseau international bien développé. L’université est également rattachée à un centre hospitalier universitaire, l’University College Hospital, dont le service de soins intensifs travaille en proche collaboration avec le département d’ingénierie médicale. Les retours d’expérience font état de la nécessité d’utiliser des techniques non-invasives.

10 000 appareils ont été livrés à 60 hôpitaux à travers la Grande-Bretagne. Une distribution qui demande de la logistique. Photo: © James Tye / UCL

L’attention de l’équipe se porte sur le CPAP, ventilation en pression positive continue, un appareil que l’on « connecte au réseau d’apport d’oxygène de l’hôpital pour le mélanger à de l’air et fournir un flux d’air hautement oxygéné en pression constante au patient », détaille Rebecca Shipley. Utilisé notamment en apnée du sommeil, il est plus facile de former le personnel hospitalier à son utilisation qu’à celle d’un ventilateur mécanique. Le patient peut continuer à communiquer et l’appareil peut-être utilisé de 1 à 5 semaines. Surtout, « le CPAP protège 60 % des patients dans la progression des symptômes et de la nécessité d’une ventilation mécanique ».

L’équipe se concentre alors sur un appareil historique, le Respironic, de Philipps. « Il y a de nombreuses données sur son utilisation clinique, détaille Shipley. C’est aussi un appareil assez simple ». Le professeur Tim Baker se joint à l’équipe. Fort d’une expérience dans l’industrie dans l’automobile sportive, il embarque dans l’expérience Mercedes AMG High Performance Powertrains, département spécialisé dans la fabrication de moteur pour Formule 1 et dont les capacités de production sont à l’arrêt, Covid-19 oblige.

Une centaine de personnes ont travaillé à la préparation et la distribution des appareils. Photo: © James Tye / UCL

Plus de 300 personnes sur le pont

Avec l’aide de l’ingénieur en chef de Mercedes, l’équipe se lance dans la rétro-ingénierie de l’appareil. Rapides, il leur faudra à peine 100 heures pour mettre au point le premier prototype, avec une légère modification : optimiser le design pour utiliser le moins possible d’oxygène, une ressource précieuse en temps de Covid-19. « Nous étions les bonnes personnes, avec les bonnes expertises et nous nous connaissions déjà tous », explique Rebecca de ces progrès fulgurants. 10 jours plus tard, l’organisme de certification MHRA approuve les plans et l’équipe peut entrer en phase de fabrication de masse, avec une capacité de 1000 par jour, pour un coût d’environ 1000 livres par appareil (environ 1 123 euros).

En tout, c’est plusieurs centaines de personnes qui se sont mobilisées sur le projet. Une quinzaine au sein d’UCL, environ 200 dans les usines de Mercedes et une centaine pour la logistique. En effet, une fois les appareils approuvés et fabriqués, environ 10 000 ont été distribués dans les hôpitaux du pays. Des appareils qu’il faut donc mettre en boite et livrer. « Nous n’avons eu aucun problème avec nos appareils dans les hôpitaux puisque le modèle était déjà largement utilisé », explique Rebecca. L’équipe a développé son propre matériel de formation, notamment avec des vidéos.

Un employé logistique dans sa combinaison pour s’assurer de la non-contamination des envois. Photo: © James Tye / UCL

Désormais, les plans sont disponibles en open-source et plus de 1 800 équipes venues de 105 pays les ont téléchargés. « L’idée est de faciliter la fabrication locale », explique Rebecca, l’un des focus de Innovation Action, structure qui soutient l’équipe au sein de l’Université. 50 équipes construisent leurs propres prototypes dans des pays tels que le Brésil, la Bulgarie, l’Inde ou l’Iran. Elles reçoivent le soutient technique et logistique de l’UCL, qui a mis en place un soutien par email, une série de webinars où les équipes peuvent poser leurs questions et un groupe Facebook pour connecter les équipes à travers le monde. « Pour l’instant, le principal défi est de trouver une chaine d’approvisionnement, mais nous travaillons avec des organisations locales », fait-elle savoir.

Elsa Ferreira
publié en partenariat avec Makery.info

La page du projet.

témoignage de Rudi Floquet

Rudi Floquet est co-fondateur et directeur de l’association Manifact, et de son fablab La KazLab, situé au Camp de la Transportation à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane française. Il vient nous éclairer sur la mobilisation de leur fablab pendant le confinement.

Manifact et La KazLab à Saint-Laurent du Maroni. Photo: © Manifact

Pouvez-vous présenter votre démarche ?

La KazLab a été ouverte en 2016, ce qui en fait le premier fablab de Guyane. Nous étions à l’origine seulement deux co-fondateurs bénévoles et aujourd’hui nous sommes quatre salariés à plein temps pour 200 adhérents. « La KazLab » est donc partie d’une petite initiative associative qui a pris une envergure importante sur le territoire et qui, grâce à son impact local, bénéficie à présent de la reconnaissance des institutionnels.

La KazLab est un fablab particulier puisqu’elle se trouve en Amazonie tout en étant sur le territoire français. En Guyane, le système législatif ressemble beaucoup à celui d’une région française, ce qui peut être source de grandes difficultés, le territoire ayant des caractéristiques tout à fait différentes de celles d’une région métropolitaine.

Le fait pour le fablab d’être très situé à la frontière du Surinam crée par exemple des spécificités. La situation sociale par exemple : dans la petite ville de Saint-Laurent-du-Maroni, il y a officiellement 50 000 habitants et en réalité certainement le double, si l’on prend en compte tous les « informels », tous les quartiers de la ville étant classés en quartiers politique de la ville (quartiers prioritaires).

Ce contexte explique que nous ayons voulu dès le début être un lieu ouvert, accessible à tous, en évitant le piège de l’entre-soi « geeks et CSP+ ». Nous avons développé une multitude d’actions pour arriver à avoir un public métissé dans tous les sens du terme, et nos activités sont diversifiées : animation, organisme de formations pour tous les niveaux (de la délivrance d’une certification du MIT à l’accompagnement des jeunes déscolarisés) et accompagnement de projets (porteurs de projet individuels, collectivités, entreprises).

Nous avons également été élus « Fabrique Numérique du Territoire » et souhaitons à présent répondre à certains besoins du territoire identifiés depuis le début en développant un espace de coworking et un fablab professionnel. Nous poursuivions cet objectif, notamment en étant à la recherche d’un local plus grand (500 m2 contre 120m2 aujourd’hui), mais toute cette démarche a été interrompue par la crise de la Covid.

Au début de cette crise, nous avons dû fermer le fablab, mais au bout de deux semaines on s’est dit « qu’est-ce qu’on fait » puis on a craqué et on a décidé de fabriquer des visières. Nous avons démarré cette aventure parce que nous aimons être dans l’action, nous ne sommes pas des administrateurs dans l’âme.

Fabrication de visières à la découpe laser. Photo: © Manifact

Quel type de matériel avez-vous produit ?

Étant en contact avec de nombreux réseaux de fablabs dans le monde (en France, en Amérique Latine, etc.) dès le début de la crise, nous avons travaillé sur différentes pistes pour fabriquer du matériel avant que la Covid n’arrive en Guyane en bénéficiant des retours d’expérience d’autres régions du monde alors déjà touchées. Nous avons rapidement décidé de cibler notre énergie et notre travail sur la production de visières de protection. Pendant 12 jours, nous avons prototypé et testé nos modèles en réel, un délai très rapide. Ensuite, il a fallu résoudre le problème de l’approvisionnement, car il n’y avait aucune matière première disponible en Guyane pour la fabrication de visières.

Le matériel produit l’a-t-il été par des bénévoles ou des employés ?

Au début, les visières n’étaient produites que par notre équipe de quatre salariés, puis nous avons rapidement fait appel à certains de nos adhérents pour accélérer la production. La partie usinage s’est alors organisée en « 2-6 » (deux cycles de production de 6h par jour) sur la même découpe laser. Pour la partie décontamination, nous avons fait appel à l’hôpital, dont l’infirmière hygiéniste nous a accompagnés et donnés des conseils pour organiser notre outil et notre chaîne de production. Elle nous a permis d’être aux normes et de respecter les gestes barrière lors de la production ainsi que la décontamination de chaque visière produite et distribuée.

Manifact au cœur de la crise. Photo: © Manifact

Vos fournisseurs vont ont-ils fait payer la matière première ? Avez-vous donné ou vendu votre matériel ? Réussissez-vous à couvrir vos coûts ?

Le coût de la matière première des visières est de 1€ l’unité. Nous avons fait le choix de les vendre à hauteur du coût de la matière première, c’est-à-dire 1€ chaque visière. Nous avons donc décidé de ne pas impacter le coût de la main-d’œuvre, des salaires, etc. sur le prix de vente. Cette crise a contribué à nous faire penser qu’il fallait enclencher la suite. Nous avons reçu énormément de demandes de visières qui étaient initialement plutôt du monde médical et des forces de l’ordre.

À présent, beaucoup de demandes viennent des entreprises et des collectivités, et nous avons donc décidé de créer un relais pérenne pour la production de visières en Guyane. Nous avons donc réussi à passer le relais et à transférer tout notre process de production de visières a une entreprise de Cayenne qui a trois découpes laser. La production de visières va donc être transformée en une activité économique.

Avez-vous pris contact avec des entités locales (entreprises, commerces, hôpitaux, etc.) si vous l’avez fait ?

Nous avons eu la chance d’être contactés par beaucoup de facilitateurs (des personnes individuelles, des personnes dans les commerces, des administrations, des collectivités) qui nous ont proposé leur aide. Par exemple, des gendarmes nous ont ramené 30 kilos d’élastiques en avion de la métropole.

Des visières, de la fabrication la plus simple à la plus complexe, ont été proposées pour équiper le personnel du Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais © service communication du CHOG. Photo: D.R.

Quel design et quelle matière avez-vous utilisés pour fabriquer les visières ?

Les visières ont été fabriquées avec des feuilles de plastification, elles sont lavables et réutilisables. Nous avons choisi la découpe laser parce que c’était la solution la plus rapide. Lorsque nous travaillions sur les prototypes les premiers jours (notamment les prototypes espagnols), nous regardions la solution d’impression 3D des visières et le temps de production en 3D comparés au nombre de demandes que nous avons reçues suite à un reportage TV (des gendarmeries, de la police municipale, des pompiers de toute la Guyane).

Nous nous sommes vite rendus compte qu’il serait impossible de répondre à toute cette demande avec la technique en impression 3D. Nous avons donc choisi la méthode polonaise en découpe laser, bien plus rapide. Pour la matière première, nous avons eu l’idée d’utiliser des feuilles A3 de pochettes de plastification normalement utilisées en bureautique et de l’élastique.

L’objectif était de réaliser un travail professionnel, en accompagnant les visières de spécifications techniques et d’une notice de décontamination avec avis médical. L’AP-HP à Paris, qui était déjà fournie en visières par les fablabs, nous a également donné son retour d’expérience sur son utilisation de celles-ci.

Quelle a été l’ampleur de la production de visières ?

Lorsque nous avons trouvé une solution pour la matière première de substitution, nous avons fabriqué 6 000 visières en deux semaines et demie et, en tout, 7 080 visières de protection COVID-19 ont été fabriquées au fablab depuis le 6 avril.

La fabrique de visières en « 2-6 » © Manifact

Que vous a appris cette expérience ?

Cette expérience a été très enrichissante pour la KazLab. En matière de communication, les fablabs sont souvent vus comme des lieux où les gens s’amusent avec des machines. Cette expérience nous a permis de montrer que l’on est aussi capables d’être des producteurs et que ces lieux se professionnalisent et pourraient être une forme de réponse à la relocalisation de la production dans les prochaines années.

Les médias nous ont également apporté une visibilité, notamment par la chaîne de TV régionale qui, à cette occasion, est venue pour la première fois réaliser un reportage chez nous. Maintenant en Guyane, on associe « fablab » à fabrication d’objets utiles pour la population.

Cette nouvelle ouverture a également été valorisante pour l’équipe et pour nous : avoir un retour de la société civile dans son ensemble, au-delà de nos utilisateurs, nous a donné beaucoup de fierté et un vrai sentiment d’utilité, en dehors de notre cercle habituel.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

La plus grande difficulté que nous ayons rencontrée était celle de la matière première. L’autre obstacle important, mais qui a fini par être surmonté, a été institutionnel. Dès le début de la crise, nous avons immédiatement à l’hôpital et aux médecins. Le système de santé en Guyane n’est pas aussi bien doté qu’en métropole et à l’hôpital ils n’avaient pas de masque du tout quand la crise a commencé. Le projet initial était donc de fabriquer des visières pour tous les médecins, c’est-à-dire 300. Nous sommes donc allés les voir et ils étaient d’accord, mais cette démarche n’a pas été validée par l’Agence Régionale de Santé (l’ARS).

Au bout de cinq jours, nous avons eu un retour motivé de l’ARS disant que notre projet était intéressant, mais que nous ne devions pas destiner notre production de visières aux soignants. Nous avons donc réalisé des actions de lobbying pendant une douzaine de jours, notamment auprès d’un membre de la cellule de crise de la préfecture, à la suite desquels l’ARS régionale a déclaré « je ne vous empêcherai pas de les distribuer » en nous permettant ainsi de distribuer les visières aux trois hôpitaux de Guyane, via une élue qui avait rapidement soutenu notre démarche.

La logistique était également compliquée : je me suis transformé en logisticien avec cette crise et nous étions dans une situation qui ressemblait plus à de l’humanitaire. Habituellement, c’est déjà très compliqué d’importer du matériel au fabLab et la crise n’a fait que démultiplier les difficultés que nous rencontrons toute l’année.

Les policiers municipaux avec les boucliers faciaux © Ville de Saint-Laurent du Maroni. Photo: D.R.

Pourriez-vous me citer deux ou trois valeurs que vous portez et que vous souhaiteriez voir dans la société de demain ?

Concernant les valeurs qui nous portent et qui ont amené à la création du fablab, les voici :

  • idée de « Do It Yourself » : le « faire » est une valeur très forte qui donne du sens et qui vient en contrepoint de l’évolution d’une société allant toujours plus vers le « non-faire », la consommation sans action. Une des fondations du fablab est donc de redonner à tous l’envie de faire.
  • notion d’égalité d’accès à la technologie et à la science, notamment par la vulgarisation scientifique. Pour nous, il est crucial que tout le monde puisse avoir aux connaissances scientifiques, numériques, artisanales avec toujours l’idée de se servir de ces outils intellectuels pour fabriquer.
  • idée du collectif, du « faire ensemble ». Notre territoire et les nouvelles générations ici sont à cheval entre le rural, le tribal et la modernité. Cela crée des problématiques que le fablab contribue à diminuer en faisant le pont entre le « faire soi-même » ancestral et la modernité.

Sur l’impact de ce que nos valeurs véhiculent et ont mis au jour pendant la crise de la Covid, je pense que cela ira bien au-delà des fablabs. On dirait que l’on commence à contaminer l’État, qui a notamment développé une plateforme pour mettre en lien les entreprises et les citoyens pour la distribution de visières, de masques. Si on a un rôle à jouer, c’est bien celui-là et le fait que nos idées soient récupérées au niveau de l’Etat c’est une réussite parce que ça leur permettra d’être amplifiées, démocratisées et ça ne peut être que positif.

Sarah Cougny
publié en partenariat avec Makery.info

Le fablab KazLab et l’association Manifact à Saint-Laurent du Maroni.

rencontre avec Maryline Chasles

Maryline Chasles, directrice du 8Fablab Drôme et référente en région Auvergne-Rhône-Alpes pour le Réseau Français des Fablabs, nous raconte comment son équipe de 8 salariés s’est mobilisée pendant la crise et les inquiétudes qui pèsent sur l’économie de ce fablab coopératif à l’heure de la réouverture.

Assemblage de visières par Vincent Bidollet, animateur au 8 Fablab. Photo: © 8Fablab

Maryline Chasles dirige depuis un an le 8Fablab à Crest, dans le sud de la Drôme. Créée en 2014 pour faciliter l’accès à des équipements de prototypage en milieu rural, l’initiative s’est structurée en Société Coopérative d’Intérêt Collectif et réunit aujourd’hui 75 sociétaires autour de ce projet de territoire. Sur quatre étages et 500m2 se répartissent des salles de réunion, un espace de coworking et un fablab avec des machines spécifiques (imprimante 3D grand format et céramique). L’activité « habituelle » du 8Fablab s’oriente vers la formation, l’accompagnement des collectivités sur de l’innovation collaborative, du prototypage pour les professionnels ou encore de la médiation à la fabrication auprès d’enfants, au fablab ou en itinérant dans les écoles et les médiathèques. Le 16 mars 2020, toutes les activités se sont arrêtées pour laisser place à la micro-usine de visières.

Quel rôle a joué le 8Fablab pendant la crise ? Avec quels types de structures ou réseaux (de proximité, nationaux…) vous êtes-vous rapprochés ou entraidés ?

Dès le 18 mars, on est partis sur de la conception de visières suite à des demandes d’infirmières libérales que l’on connaissait. Très vite le bouche-à-oreille s’est fait, on a sorti les premiers tests et senti qu’on répondait à un besoin : les gens avaient besoin de se protéger, le personnel médical, mais aussi le milieu de l’aide à domicile et les commerces essentiels. On lancé rapidement la production et choisi de le faire à prix libre. L’idée n’était pas de se faire de l’argent, mais plutôt de souligner le coût de la matière, du travail et laisser les gens choisir ce qui était juste pour eux. On vient d’arrêter la production (lundi 25 mai), on aura fabriqué et distribué 2000 visières à notre échelle très locale, Crest et ses environs.

Au bout de 15 jours, le fablab à Montélimar Convergences 26 nous a appelés. Il venait de se mettre en lien avec les makers de Valence via un groupe Facebook. C’était une prise de contact pour savoir ce que chacun faisait. Ils se sont rendu compte que leur groupe Facebook n’était pas suffisant pour s’organiser alors ils ont développé la plateforme Visière Solidaire 26 pour recevoir les demandes, centraliser les besoins afin que les makers les plus proches puissent attraper la commande et y répondre.

On a échangé également avec l’hôpital de Valence. On a eu des difficultés à avoir des retours : est-ce que les matériaux qu’on utilise sont les bons, est-ce qu’il les valide en interne, est-ce qu’ils peuvent les désinfecter… J’ai travaillé en contact avec l’hôpital pour obtenir des réponses, voir comment on pouvait aider à cet endroit-là qui semblait être un nœud assez névralgique. Sur Valence on a vu, en plus des makers, des lycées équipés de machines qui se sont mis à fabriquer. On a partagé notre tuto de visière en ligne, repris dans certains de ces lycées.

C’était important de se reconnaître et s’organiser à minima par territoire, mais surtout de se rendre compte qu’il y avait autant de gens avec des imprimantes 3D chez eux, dans le sud Drôme, dans le sud Ardèche. Toute cette mobilisation, c’était rassurant de sentir qu’on n’était pas seuls et que la solidarité se généralisait ! On s’était rencontrés une fois auparavant avec le fablab de Montélimar. La crise sanitaire a été l’occasion d’échanger des conseils, de la matière, et s’entraider sur des répartitions de commandes. Cette mobilisation révèle les forces sur lesquelles on peut s’appuyer pour notre territoire demain.

Assemblage de visières par Vincent Bidollet, animateur au 8 Fablab. Photo: © 8Fablab

Comment vous êtes-vous organisés dans une région avec 12 départements pour avoir une vue d’ensemble sur les initiatives des fablabs et des makers ? Peut-on parler de « coordination » ?

Il n’y a pas eu d’action coordonnée, mais des actions sur les territoires. La coordination s’est faite au plus près des territoires, c’est ce que j’ai ressenti et vécu en tout cas ici, et l’échelle départementale est assez représentative de ce qui s’est passé. L’idée du Réseau Français des Fablabs (avoir des référents pour chaque région) était de profiter de cette période pour mieux comprendre les dynamiques et tisser des liens sur les territoires : c’est ce qui m’a intéressée. Je suis arrivée il y a un an, je ne connais pas tous les fablabs loin de là, c’était l’occasion.

J’ai donc pris contact avec des « têtes de réseau », des fablabs très identifiés sur les départements, afin d’échanger sur les actions en local, le lien avec les groupes Facebook de makers, et voir si les labs avaient intérêt à échanger au niveau régional pour faire remonter des difficultés ou obtenir des informations. Par exemple sur la normalisation des visières, on s’est pas mal interrogés sur ce qu’on était en train de distribuer, sans même parler de savoir si on en avait le droit.

Au même moment la Région a proposé d’acheter de la matière première face aux ruptures de stock des labs. Ils nous ont envoyé un Google doc ou chacun pouvait remplir se besoins et quantité. La région a tout coordonné : ils ont concentré les demandes, acheté les fournitures en négociant les prix, réuni les matières à la région qui s’est transformée en plateforme logistique et redistribué le tout dans les 45 espaces de fabrication numérique en région. On a reçu les matières le 27 avril, ce qui était déjà très tard… cela aura néanmoins permis de maintenir la production (32 000 visières ont été fabriquées grâce au matériel fourni par la Région sur les 60 000 produites sur la période du 20 avril au 20 mai).

Au-delà des fablabs et des makers indépendants, d’autres espaces de fabrication numérique se sont mobilisés, à savoir tous les milieux universitaires et lycées. L’INSA à Lyon ou sur Grenoble, le centre de culture scientifique La Casemate qui a monté un groupe local avec des universités et écoles d’ingé grenobloises. Quel que soit nos disparités, entre le Cantal et la frontière suisse, on s’est tous embarqués dans cette aventure, avec la même envie de répondre à un besoin identifié et c’était fort.

À notre échelle, à Crest, on a distribué des visières fin mars à des chefs d’entreprises qui nous ont dit : « sans vous on n’aurait pas pu reprendre ». Ils ont vu l’utilité qu’on avait, ils sont très reconnaissants. On a beau se connaître, savoir qu’on est sur le même territoire, c’est vraiment dans ce genre de situations où l’on crée du commun, une histoire commune, j’espère que l’on pourra trouver d’autres concrétisations.

Assemblage de visières par une équipe bénévole du fablab Convergences 26. Photo: © Convergences 26

AuRA est une région industrielle, peux-tu nous raconter quelles ont été les productions développées avec le tissu industriel ?

Isabelle Radke, artiste, cofondatrice et fabmanager du Lab01 à Ambérieu-en-Bugey, a pris en main début avril le lien avec des projets industriels. Isabelle fait partie du réseau Plastipolis en Isère, ils ont travaillé sur une production industrielle de visières. De nombreux labs étaient dans une attente que l’industrie prenne le relais. Elle a suivi ce projet, nous a mis en lien et s’est connectée à d’autres productions plus rapides – dont un projet de visière injectée porté par Luz’in à la Tour-du-Pin avec OPS Plastique, un injecteur plastique, et un autre atelier de fabrication, A3D sur Arnas près de Lyon. Avec l’injection on peut atteindre les 3000 ou 6000 visières par jour !

Nos échanges hebdomadaires avec Isabelle ont permis de voir à partir de quelle quantité la demande de visières doit être renvoyée vers les industriels, car à partir d’un certain nombre les makers étaient parfois dépassés. Et puis ça a un coût. Ça nous paraissait logique à partir d’un certain seuil de réfléchir à ces relais. Jusqu’à la semaine dernière, on échangeait encore avec Isabelle, désormais les demandes diminuent.

Le fablab de Montélimar organise la distribution de visières.
Photo: © Convergences 26

Depuis quand êtes-vous rouvert ? Quelles incidences sur l’équipe salariée et le modèle économique de la SCIC ?

On a pu rouvrir le coworking la semaine dernière et l’accès aux machines dans le cadre d’un usage individuel. On accueille sur rendez-vous, une personne à la fois. On n’a pas rouvert les salles de formations, ni de réunions, ni l’atelier de réparations. Trop de monde, trop de manipulations. On a revu notre planning, l’équipe travaille en moyenne à 50 %, on est sur des binômes de 2 jours consécutifs pour essayer de se croiser le moins possible, ou en tout cas limiter le nombre de personnes présentes en même temps dans le bâtiment. On n’a pas repris à 100 % ni comme avant.

Au moment du confinement on est passés de temps plein à quasiment rien. On a réussi à maintenir en moyenne un quart du temps de travail grâce à cette fabrication de visières et les actions engagées qui pouvaient se faire à distance et de chez soi. On a fermé tout de suite le lab pour le dédier entièrement à cette fabrication. Aujourd’hui on a repris, seulement à mi-temps, car de nombreuses commandes sont annulées, nos interventions dans les collèges ou les festivals n’auront pas lieu, donc on n’a une grosse perte d‘exploitation qui est très inquiétante pour la suite.

J’ai refait le prévisionnel courant avril quand on a su, au fur et à mesure, combien de temps allait durer le confinement. Là je suis évidemment déficitaire de plusieurs milliers d’euros. On attend de savoir comment ça va repartir, ce qu’on va être autorisés de faire, comment les gens vont avoir envie de revenir. On sent que sur l’usage des machines les gens sont en demande, mais comme on limite le nombre de personnes, c’est sur un rythme très ralenti. Les coworkers sont peu nombreux, ça va commencer à revenir à partir de la semaine prochaine, mais c’est encore très timide.

Notre modèle n’est pas basé sur la subvention, on a une aide de la région, mais on vit énormément de prestations. Je suis assez pessimiste sur la fin de l’année si on n’a pas des commandes de prestation. On essaye d’interpeller le département et les collectivités partenaires pour leur dire « passez-nous commande sinon on ne s’en sortira pas, on a besoin de vous ». C’est difficile, personne n’a les réponses, avec les élections municipales décalées, les communes comme les intercommunalités ne sont pas en place et ne sont pas complètement légitimes pour prendre des décisions, donc tout est retardé à septembre. Ça va se jouer sur les 4 derniers mois de l’année. J’espère qu’on aura un été ou l’on pourra reprendre les ateliers enfants et stages ados. Si on ne peut pas reprendre cette activité, on sera très sévèrement en danger financièrement. Même si on a pu s’appuyer sur le chômage partiel, ce ne sera pas suffisant pour maintenir un pseudo- équilibre sur cette fin d’année.

Pénurie d’élastiques remplacés par des tuyaux. Photo: © Convergences 26

Dans ce contexte, prévoyez-vous de transformer vos activités, en développer de nouvelles ?

Malgré ces inquiétudes, on a deux beaux projets à venir qui nous font garder espoir. On a été lauréat cette année sur deux Programmes d’Investissement d’Avenir et donc possiblement plus de temps pour s’y consacrer. On est sur l’ouverture d’un nouveau fablab à Romans-sur-Isère à 40 minutes de chez nous, du côté de Valence, complémentaire avec notre milieu rural. C’est un ancien territoire de l’industrie de la chaussure et du cuir qui commence à revivre de cette activité.

Notre deuxième projet, la Fab Unit, concerne l’ouverture d’un atelier de production de petite et moyenne série destiné à des artisans, designers, artistes. Un tiers-lieu semi-industriel en quelque sorte avec un atelier bois et un atelier de recyclage des plastiques. On se projette sur des chantiers à long terme qui interrogent la relocalisation sur les territoires. Ce projet-là existait avant cette crise qui n’a fait que révéler ce besoin, ça nous conforte à poursuivre nos activités.

Enfin, on s’est dit avec Isabelle et A3D qu’il y avait certainement quelque chose à faire pour aller au-delà de ces visières y compris avec les makers d’Auvergne-Rhône-Alpes. Et si on essayait d’anticiper les besoins dans une crise prochaine, à l’image de l’atelier paysan qui a redessiné des machines agricoles pour apprendre aux maraîchers et aux agriculteurs à les fabriquer et réparer par eux-mêmes. Grâce à toutes les relations qu’on a développées avec les makers, les milieux de la santé et de la certification, profitons de cette communauté pour voir comment on pourrait redessiner des outils et les fabriquer en local, et aller dans la concrétisation du label Fab région (obtenu en juillet 2018), pour développer de nouveaux modèles et solutions locales à résonance globale.

Catherine Lenoble
publié en partenariat avec Makery.info

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