En Europe, l’Italie a été le premier pays à être durement touché par la pandémie. De ce fait la mobilisation des makers italiens a montré la voie pour leurs homologues du monde entier. Retour sur l’expérience italienne du fablab Opendot de Milan, spécialisé en santé ouverte.

L’Italie a été une des nations les plus frappées par l’épidémie. Pendant des semaines, le nombre de décès et de personnes contaminées n’a cessé de croître, sans trêve, surtout au nord du pays, en Lombardie et en Vénétie en particulier. Les systèmes sanitaires de ces régions – qui étaient considérés comme les plus efficients de la Péninsule – ont été mis à genoux. Les magasins des hôpitaux se sont vidés rapidement, les équipements de protection individuelle (EPI) sont vite devenus ressource rare comme, également, des pièces essentielles au fonctionnement des respirateurs, des CPAP, etc.

Une situation critique s’est vérifiée à l’hôpital de Chiari où les valves Venturi nécessaires au mélange de l’oxygène et de l’air avaient toutes été utilisées et où l’entreprise qui les produisait ne réussissait plus à les fournir à temps. Cristian Fracassi et son équipe de l’entreprise Isinnova ont alors apporté une petite imprimante à l’hôpital, ont redéfini la forme de la pièce, l’ont imprimée et testée en un temps record. Mais les imprimantes économiques à dépôt de fil fondu (DFF) ne pouvaient garantir ni la précision ni la stérilisation des pièces et, après les premiers tests, il a été convenu d’opter pour des pièces fabriquées à partir de frittage de poudres.

Ce premier cas unifiait la mobilisation généreuse du cœur, du cerveau technologique et une bonne dose de courage – une expérience de la sorte n’avait jamais été tentée dans de telles conditions. La nouvelle fit le tour du monde ! Cependant, vu le caractère délicat du projet, les fichiers n’ont jamais été rendus publics et Fracassi lui-même déconseille de produire des solutions similaires avec des technologies non professionnelles. Il souligne, à cet égard, que cette expérience n’a pu être tentée qu’en raison de la nécessité de faire face à une situation d’urgence et que le produit industriel est toujours la solution à adopter… s’il est disponible.

Isinnova propose dès la mi-mars un adaptateur pour convertir les masques de plongée. Photo: DR.

C’est justement grâce à la résonance que ce projet a eu que cette équipe a été contactée par Renato Favero, médecin et ancien directeur de l’hôpital de Gardone Valtrompia afin de partager une idée qui pouvait aider à surmonter le manque temporaire de masques pour la ventilation non-invasive CPAP : modifier les masques de plongée sous-marine en utilisant des adaptateurs imprimables en 3D, des modèles rendus open source et publiés sur le site d’Isinnova.

Vu la simplicité et l’efficacité de ce projet, l’idée se diffuse rapidement : quelques makers commencent à contacter les hôpitaux les plus proches ou où travaille quelqu’un qu’ils connaissent, se rendant ainsi disponibles. Dans d’autres cas, se sont les hôpitaux eux-mêmes qui demandent de l’aide. Ces requêtes changent très vite d’échelle et la nécessité de la coopération devient évidente pour réussir à répondre à temps à la crise.

La première arrive de Brescia : 500 adaptateurs sont demandés et Isinnova, associé à un fablab de Brescia, lance un appel sur Facebook. Le post est du 22 mars ; aujourd’hui il compte 640 commentaires et 3441 partages. En l’espace de 24 heures, le nombre d’adaptateurs requis sera atteint et même dépassé !

Cependant, un problème demeure : comment vérifier la qualité des pièces, éviter la surproduction et gérer les expéditions en plein confinement ? Quoi qu’il en soit, ce premier cas met en lumière et la volonté du monde des makers de fournir leur aide et la complexité de coordonner un groupe dispersé de personnes.

Malgré quelques difficultés, la première expérience de production distribuée fonctionne au-delà des espérances. Des projets internationaux visant à trouver des solutions pour améliorer la sécurité des personnels sanitaires et de celles/ceux qui sont obligés de continuer à travailler pendant la crise sanitaire commencent ainsi à circuler.

Adaptateur pour masque de plongée conçu par le Studio 5T. Photo: DR.

Coordonner les actions

Pour produire et distribuer dans le cadre de ces projets (presque tous sur la base du volontariat), des groupes locaux de coordination naissent ou se mobilisent ; il s’agit pratiquement toujours de communautés qui existent déjà, de groupes de personnes qui se connaissent ou de réseaux de labs habitués à coopérer.

Les premiers réseaux qui se forment sont régionaux et réussissent à répondre localement aux nécessités qui émergent. Ils sont typologiquement variés bien qu’ils partagent essentiellement le même objectif. Makers Sicilia, par exemple, est le réseau qui connecte les makers siciliens. Il naît pour coordonner la riposte à la situation d’urgence créée par la Covid-19 en Sicile et réunit des fablabs, entreprises innovantes, incubateurs d’entreprises et individus makers.

Depuis sa fondation, fin mars 2020, le groupe se réunit en ligne de manière régulière pour partager des informations, examiner les expériences en cours dans les hôpitaux locaux, avoir des retours sur les projets déjà testés localement, des informations sur les certifications et les réquisits légaux nécessaires. Les membres du réseau partagent toutes les informations sur les projets réalisés localement et ont également participé à l’achat de matériels.

Un autre réseau actif dans le sud de l’Italie est Officine Mediterranee. Il opère transversalement dans différentes régions, mais avec toujours le même objectif et la même structure : il s’agit d’un réseau de makers, fablabs, associations et petites entreprises actives dans le secteur de la production numérique dans les régions Basilicate, Pouilles et Campanie.

Alessandro Bolettieri, responsable de la communication de Officine Mediterranee raconte : « Le groupe a commencé en répondant à la demande de 500 visières de protection faciale émise par le numéro téléphonique de coordination des Urgences (118) de la Région Basilicate. En environ 40 jours, il a réussi à en produire et distribuer plus de 2000, ainsi que plus de 50 valves Charlotte, des supports protège-oreilles pour les élastiques des masques et 20 boîtes d’intubation, en collaboration avec l’Open Design School de Matera. »

Ce réseau peut compter sur environ 50 personnes, makers et autres professionnels qui ont participé à la coordination et à la communication. Le travail du groupe est raconté dans une série d’interventions de ses membres regroupées dans un « DailyDiary » que l’on peut voir ici.

Makers en école

Rétrospectivement le cas des projets conduits par Indire (L’Istituto Nazionale di Documentazione, Innovazione e Ricerca Educativa) est particulièrement intéressant. Cet institut historique compte plus de 90 ans d’activité dans le secteur scolaire et éducatif. Il a commencé depuis quelques années à étudier la relation entre l’école et le making, notamment avec le projet Maker@Scuola.

Après avoir développé avec des médecins un modèle de visière de protection adapté à leurs nécessités, le projet a vite pris deux chemins différents, peu empruntés au tout début de la situation d’urgence : d’un côté, une collaboration a été forgée avec une grande entreprise pour la production industrielle sur large échelle et, de l’autre, le projet est devenu partie intégrante de la formation en simulation d’entreprise pour les lycées technologiques et techniques.

Un dernier cas est celui de la Vénétie : en 2015, suite à un concours lancé par la Région, 18 fablabs ont été financés, créant ainsi le noyau de départ d’un réseau régional. Cinq ans plus tard, quelques labs n’existent plus et de nouveau se sont ajoutés au réseau. La Région a relevé sur le site de l’Innovation lab les principales activités et les contributions potentielles que ces fablabs pouvaient offrir en sus des contributions de makers, passionnés et entreprises rassemblés par la même volonté d’aider.

Boîte d’intubation conçue par le Fablab Napoli et l’hôpital Fatebenefratelli. Photo: DR.

Coordonner nationalement

Le travail effectué au niveau régional et local a ainsi ouvert la voie à une coordination nationale. À quelques jours de distance, trois initiatives différentes voient le jour avec des objectifs similaires et complémentaires.

D’une collaboration entre Maker faire Rome – the European Edition et l’IRIM, l’institut italien de robotique et machines intelligentes naît Tech for Care. Cette plateforme n’est pas seulement un lieu de partage de projets ; elle est surtout conçue pour accueillir, d’une part les besoins des personnels qui sont en première ligne et, d’autre part, les propositions de solutions qui naissent de la communauté maker, des start-ups et des instituts de recherche liés aux deux fondateurs du projet.

Opendot, le fablab que je coordonne, travaille dans le secteur des soins et de la santé. C’est pour cela que nous avons été impliqués depuis le début dans la mise en œuvre du projet. Tech for Care a également été présenté pendant la Virtually Maker Faire d’il y a quelques semaines.

Parmi les projets publiés, certains proviennent directement des partenaires. IRIM, par exemple, a développé un robot pour la téléprésence facilement réalisable en utilisant des pièces achetables en ligne ou que l’on peut produire en imprimante 3D. Le projet est entièrement open source et est publié en ligne.

Un autre projet de coordination au plan national est Air Factories. Comme c’est indiqué sur le site, Air Factories est « une fabrique organisée […] pour la réalisation de composants et prototypes utiles pour faire face à l’urgence sanitaire ». Le projet naît à Messine (Sicile) grâce au travail de la faculté d’ingénierie, d’Innesta, de SmartME.io et de Neural, mais il a accueilli des requêtes et des volontaires de partout en Sicile, offrant la possibilité à tous de demander le don de solutions et/ou de se proposer comme bénévole.

Une autre riposte, en provenance « de la base » cette fois, est celle proposée par Make in Italy, association née en 2014 pour permettre des initiatives de recherches et de coordination liées à la culture de la fabrication numérique et du making. Bien que peu active ces dernières années, l’urgence que nous devions affronter a remobilisé le groupe animateur qui a concentré les forces de l’association sur la coordination de l’offre et de la demande : en peu de jours, 500 contacts entre makers, petits laboratoires, start-ups et fablabs ont été recueillis. Sur le site de l’association, il est possible de voir une liste de projets produits et donnés qui, à ce jour, dépasse 25 000 pièces.

Tech for Care et Make in Italy ont mis en commun une sélection de projets open source publiés sur Careables.org, une plateforme développée dans le cadre du projet européen H2020 « Made 4 You », auquel notre fablab est associé. L’objectif est précisément de trouver, recueillir et partager des solutions open source et facilement reproductibles dans le secteur des soins et de la santé. Avoir une base de projets à partager a permis une collaboration beaucoup plus facile entre les deux plateformes. Tous les projets sont disponibles sur cette base de données.

Les makers d’entreprise

La riposte du mouvement maker en Italie ne s’est cependant pas limitée à la merveilleuse collaboration volontaire entre des centaines de makers et les fablabs. En Italie, de nombreuses entreprises sont étroitement connectées au mouvement makers et, on peut même dire que dans certains cas, ces entreprises ont aidé ce mouvement à naître.

Un premier exemple évident est celui d’Arduino. Non seulement le premier fablab en Italie a émergé grâce à eux (j’ai commencé en 2011 comme coordinateur de ce premier laboratoire à Turin), mais clairement, depuis sa création, Arduino a été le cœur technologique de très nombreux projets auto-construits.

Les solutions trouvées durant l’actuelle crise sanitaire le démontrent, si c’était nécessaire. Alessandro Ranellucci et David Cuartielles, cofondateurs d’Arduino, ont organisé une journée de débats et de présentation des idées sur lesquelles les personnes travaillaient pour riposter à la Covid-19. Les vidéos de l’évènement sont encore disponibles su la page d’Arduino.

Filo Alfa est un des principaux producteurs italiens de filaments pour imprimantes. Grâce à une de leurs initiatives appelée « la bobina sospesa », ils ont recueilli et donné du matériel d’impression pour soutenir les trois plateformes nationales évoquées plus haut.

L’impression 3D a été prédominante du fait de sa flexibilité et de sa diffusion capillaire sur tout le territoire. Elle a permis à beaucoup de contribuer activement. Dans cette période, une des plus grandes entreprises d’imprimantes 3D à filaments, WASP, a fortement contribué au mouvement de mobilisation.

Avec Alessandro Zomparelli, personne connue du monde de la modélisation paramétrique sur Blender, ils ont développé un plug-in pour façonner et imprimer des masques sur mesure auxquels ajouter ensuite le matériel filtrant. Plug-in, tutoriel et documentation sont disponibles sur le site de WASP.

FiloAlfa. Photo: DR.

Quels enseignements tirer ?

Ce furent donc des mois d’excitation et de peur, de volonté de contribuer et de frustration due aux limites de ce qu’il était possible de faire, d’enthousiasme en raison de la riposte généreuse de la part de beaucoup de personnes et de tristesse aussi à cause de ce qui continuait à arriver.

On a parlé des makers comme Plan C, comme solution temporaire, en attendant que l’industrie se réorganise, et il semble effectivement qu’une bonne partie des stratégies de financement européen à la recherche aille dans le soutien au secteur industriel. J’aimerais cependant penser que ce qui s’est passé ces derniers mois soit une clé de voûte, un bêta-test de ce que pourrait être le rôle de communautés d’innovateurs équipés de technologies.

Beaucoup soutiennent que cette crise a bien plus accéléré la transformation numérique que toutes les politiques développées pendant ces dernières années. Je crois qu’elle a aussi démontré la valeur de celles et ceux qui conçoivent et pratiquent l’innovation avec celles et ceux qui en ont besoin. Quand il y a cinq ans nous avons commencé à parler de comment la fabrication numérique peut aider la santé, cela semblait être une préoccupation marginale. Quand il y a trois ans nous avons commencé à travailler avec des médecins et des hôpitaux, cela semblait infaisable.

Les derniers exemples que je voudrais citer sont justement ceux qui pourraient perdurer quand – espérons-le rapidement – cette situation surréelle dans laquelle nous vivons sera derrière nous. Précisément à cause de l’urgence, des studios d’expertise, fablabs, petites entreprises et start-ups ont été contactés par différents hôpitaux pour développer ensemble de nouvelles solutions.

Le Fablab Napoli a commencé à collaborer avec l’hôpital Buon Consiglio Fatebenefratelli pour réaliser quelques dispositifs d’intubation. Comme cela arrive souvent, les modèles disponibles ne répondaient pas exactement aux nécessités de l’hôpital et des médecins, dont le directeur du département de Médecine Générale Fontanella, ont commencé à concevoir les variantes nécessaires.

Vu les potentialités, le projet a changé d’échelle et a impliqué d’autres entités, dont le centre de recherche de ENEA à Portici. Un résultat encore plus intéressant est que les hôpitaux qui l’ont adopté continuent aujourd’hui à l’utiliser et qu’il est devenu un instrument désormais courant pour les procédures d’intubation.

À Rome, le studio 5T a commencé à collaborer avec les hôpitaux dès le début de la crise, notamment avec l’hôpital Spallanzani, l’hôpital Pertini et le Policlinico Umberto I. Lors d’une première rencontre, le studio a offert de produire des visières de protection faciale, mais le modèle existant ne correspondait pas à la demande des médecins.

Mais comme à Naples, les médecins ont compris les potentialités de la fabrication numérique en constatant la rapidité et la flexibilité du processus. Grâce à l’encadrement et à la collaboration fournis, leur rôle s’est transformé de celui d’utilisateurs à celui de concepteurs de solutions. Ces mois de coopération ont permis de concevoir d’autres projets, dont beaucoup sont encore en phase de développement. Certains d’entre eux sont visibles sur la page du studio.

Ici à Milan, nous continuons à collaborer avec des hôpitaux locaux (4 en particulier jusqu’à présent) et avec des médecins et thérapeutes qui y travaillent. Nous avons commencé à concevoir avec eux des projets et les résultats aussi sont visibles : une fois que les personnes ont compris les potentialités, elles deviennent plus proactives, constructives et indépendantes.

L’un de ces médecins-innovateurs, un réanimateur, a imprimé plus de 200 protections pour les oreilles pour ses collègues, a testé des vannes Venturi pour en vérifier la sûreté et a imprimé différents modèles de masques pour en évaluer l’efficience et la commodité. Il a commencé il y a quelques années, a suivi la formation de base et nous avons réussi à développer un dispositif ensemble.

Nous voudrions que ces coopérations soient la règle et non l’exception, que les hôpitaux comprennent et se rappellent des potentialités de ce qu’ils ont vu pendant cette période. Peut-être qu’ainsi nous deviendrions capables de mieux réagir, plus rapidement, plus efficacement si jamais nous devions nous trouver de nouveau dans une situation similaire.

Enrico Bassi
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur Opendot à Milan.
Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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l’engagement solidaire

Avant même le début du confinement, à Mulhouse et Strasbourg, les services de soins sont surchargés, les besoins pour les soignants et les professions « au front » sont criants et les stocks d’équipements de protection individuelle arrivent à leur terme. Retour sur la mobilisation des fablabs, hackers et makers durant la crise sanitaire qui a particulièrement frappé le Grand Est.

 

La ferme d’impression 3D de Alchimies Groupe à Dieuze (57) pendant le confinement. Photo: © Alchimies

C’est dans ce contexte – des métropoles alsaciennes devenues des clusters de contamination – que s’installe très rapidement une production locale de visières de protection, avec un effort conjoint sinon coordonné des fablabs et des mouvements de makers indépendants, structurés eux autour de groupes sur les réseaux sociaux.

Le 14 mars, alors que le confinement n’est pas encore déclaré, les premiers dons de matériel de protection sont faits, à la fois de la part des makers de Visière Solidaire 68 et des groupes de couture solidaire (masques  en tissu), d’abord aux personnels soignants des hôpitaux de Mulhouse et Strasbourg.

Le 20 mars, dans un contexte de plus en plus tendu, une demande d’embouts de respirateurs du CHU de Strasbourg arrive via le Réseau Français des Fablabs. Il faut trouver une capacité de production locale : c’est le tout nouveau collectif Boucliers Fablab, coordonné par Anne-Catherine Klarer de La Cab’Anne des créateurs (tiers-lieux d’artisanat à Schiltigheim) qui répondra présent.

Initialement prévu à Strasbourg du 20 au 22 mars le Hacking Health Camp sur l’innovation en santé s’est finalement tenu virtuellement les 29, 30 et 31 mai.

Confinement jour 2 : hackathon santé

Boucliers Fablabs est issu d’un hackathon organisé au lendemain du confinement – à partir du 17 mars – par le collectif strasbourgeois du Hacking Health Camp et qui a rassemblé près d’un millier de volontaires jusqu’au 10 avril. Hacking Health Camp est un événement de Health Factory, une organisation constituée de professionnels et innovateurs de la santé qui organisent régulièrement des hackathons autour de questions médicales et paramédicales.

Au bout de 54 heures d’ateliers, un projet émerge, celui de « Boucliers Fablab » (visière se dit « shield » en anglais, bouclier, NDLR), un collectif de fablabs constitué autour de la production de visières et d’équipements médicaux (comme des embouts de respirateurs par exemple). Parmi les autres projets, on peut citer « Instant Visio », une solution de visioconférence à l’ergonomie très simple destinée à garder le contact avec les personnes âgées, en maison de retraite ou isolées chez elles.

Le projet Boucliers Fablab trouvera un rebond à Illkirch, où le Fablab Manipulse, piloté par Farid Maniani, rassemble 34 makers et investit la salle du Pigeon Club pour lancer les fabrications de visières. La production des visières est également assurée par deux industriels : Alchimies (Dieuze, Moselle) et PIM Industrie (Marckolsheim, Bas-Rhin).

Une coordination régionale sous l’impulsion du RFF-Labs

Dans la foulée de ces premières demandes, le Réseau Français des Fablabs prend l’initiative d’installer des coordinations régionales de l’effort de production, ouvertes à la fois aux labs adhérents du réseau et à ceux qui ne le sont pas. Un groupe de pilotage national assure le lien avec la Direction Générale de la Santé, l’AFNOR, le mouvement des makers indépendants, et un(e) référent(e) par région est nommé(e). Pour le Grand Est, c’est Jérôme Tricomi, coordinateur de la Piscine à Maxéville près de Nancy, qui prend le rôle de référent.

Dans un souci de proximité avec les territoires, des référents départementaux sont sollicités, en s’appuyant sur les labs les plus actifs et habitués au travail de réseau. Tous les départements ne pourront pas être couverts ; dans les Ardennes et l’Aube, il nous sera impossible d’identifier une « tête » départementale. Un groupe de messagerie se met en place, qui permettra tout du long aux huit têtes de réseaux départementales d’échanger, de faire circuler les informations, de partager les bonnes pratiques, et de faire collectif.

Centralisation des commandes de visières à Technistub, atelier-laboratoire associatif à Mulhouse. Photo: DR

Sortir les imprimantes 3D de leurs réserves

La même semaine, avec le soutien de Lila Merabet, conseillère régionale, et de Caroline Porot, conseillère numérique, une partie du fonds d’aide aux associations de la région est ouvert aux fablabs producteurs de visières ainsi qu’aux makers indépendants constitués en association. Toujours sous leur impulsion, des imprimantes sont également sorties des réserves de certains lycées et collectivités et mises à disposition des fablabs. Plusieurs fablabs feront le choix de centraliser les commandes et les demandes de subvention et de redistribuer les matières premières aux makers indépendants ; cette pratique perdurera tout au long de l’opération.

Quelques jours plus tard, le 31 mars, les fablabs et les groupes de makers indépendants seront référencés sur la plateforme Plus Forts Grand Est, une initiative de la Région Grand Est avec l’ambition de centraliser les demandes et de mettre en lien besoins et capacités de production. La machine est lancée… Lorsque la production s’arrête, fin mai, c’est près de 50 000 visières anti-projection qui auront été fabriquées par les fablabs de la région, ainsi que des équipements médicaux, attaches de masques, ouvre-portes, etc. Le mouvement des couturières solidaires, quant à lui, a produit près de 100 000 masques en tissu pour la région.

Relocalisation de la production

À Nancy, du 8 au 10 avril, un e-hackathon est organisé par Paddock / A-Venture, Grand Nancy Innovation et l’ENSGSI. Dix équipes planchent sur des projets pour penser la ville d’après. Un des projets les plus marquants est un prototype de masque « D-FFP » porté par Alchimies Groupe, qui était déjà en lien avec le Hacking Health Camp de Strasbourg.

Exemple type de la relocalisation de la production adossée à la fabrication additive, Alchimies Groupe, spécialisé dans l’impression 3D, la conception d’imprimantes sur mesure et l’accompagnement de projets, est installé dans une toute petite ville du sud-Moselle : Dieuze. Ayant réinvesti une friche industrielle, ils s’associent avec une mercerie locale, les 3 Petits Points, laquelle fournira les élastiques montés sur les visières de protection fabriquées par le groupe.

On peut également noter l’engagement du Nybi (Nancy) et de Technistub (Mulhouse) dans OXIMETRE, projet de sondes oxymétriques (mesure du taux d’oxygène dans le sang) en réseau avec la Machinerie à Amiens et l’Electrolab à Nanterre : « Le but de ce projet est de rassembler sur un même écran la vision synthétique de toutes les sondes oxymétriques, et ainsi permettre de détecter (chez les patients traités du Covid-19) une aggravation le plus tôt possible ».

Une force d’innovation et de fabrication distribuée à encourager

La mobilisation des fablabs et des makers indépendants a permis, dans un premier temps, aux professions les plus exposées (soignants, forces de l’ordre, travaux publics…), puis aux petits commerçants, de bénéficier de protections sanitaires supplémentaires dans l’exercice de leurs fonctions. Si l’industrie a pris le relais au bout de quelques mois, c’est la force d’innovation et de fabrication décentralisée que représente le mouvement maker qui a rendu possible une réponse quasi-immédiate.

À l’avenir, préserver et assurer le développement des mouvements makers, en s’appuyant sur les fablabs, est non seulement la garantie d’une capacité de production adaptable et réactive à l’échelle locale, mais également l’opportunité pour l’écosystème industriel régional de s’appuyer sur le potentiel d’innovation et de recherche que représentent les labs.

Mais surtout, c’est une démonstration de ce que peuvent accomplir quelques centaines de femmes et d’hommes animés par des valeurs de solidarité ; la fatigue a été au rendez-vous et ils et elles sont nombreux et nombreuses à avoir dépensé leur énergie sans compter, et pourtant, lorsque fin mai, nous nous sommes retrouvés en visio pour un apéro et « débriefer », ce sont les sourires et la satisfaction d’avoir agi au service d’autrui que nous avons partagé.

Jérôme Tricomi pour le collectif Fablabs Grand Est
publié en partenariat avec Makery.info

Le collectif : La Piscine (54); Nybi (54), SBC Tech (51) et 3D-Morphoz (51) ; Technistub (68), Boucliers Fablab (67) ; Graoulab (57) ; Saint-Dizier Fablab (52) ; Numéripôle (55) ; NanoDigital (88).

À travers les questions de l’esthétique du bug et du rapport du bug à l’écriture et à la lecture, est-il possible de fonder l’archéologie des médias sur une archéologie du bug ?

À la recherche d’Eadweard Muybridge, Ascending Stairs, 2014. Photo: Creative Commons (CC BY-NC-SA 4.0)

Le bug comme métaphore de dysfonctionnement des phénomènes humains

En démontrant en 1936, à la suite des travaux du logicien Kurt Gödel, l’impossibilité de l’existence d’un programme qui pourrait diagnostiquer les failles d’un programme quelconque, Alan Turing ouvre la voie à la possibilité même de sa Machine de Turing, premier ordinateur jamais conceptualisé. Ainsi, c’est l’assomption de l’impossibilité de se débarrasser du bug, qui instaure le champ de l’informatique, et qui a permis à l’humanité de plonger dans l’ère du numérique un demi-siècle plus tard. Aujourd’hui, les spécialistes de l’informatique théorique et de la logique mathématique savent que l’univers des programmes qui fonctionnent est plongé dans un univers bien plus vaste et intéressant, celui des programmes qui errent, qui divaguent, bref, qui buguent (1).

Mais pour le commun des mortels, l’idée du bug oscille quelque part entre la soi-disant perfection de la machine et l’imperfection humaine. Cette distinction entre la machine et l’humain est également l’objet de la recherche de Turing. Dans son texte fondateur Computing machinery and intelligence (2), Turing décrit ce qui deviendra le fameux test de Turing, où un ordinateur tente de se faire passer pour un humain. Par la suite, on a notamment cherché à simuler les phénomènes humains par des comportements informatiques.

C’est l’attitude réciproque que nous adoptons ici, imaginer l’informatique comme simulée par les interactions humaines (pratiques sociales, technologiques, linguistiques, sémiotiques, artistiques…). Nous manipulons la notion de bug comme une métaphore à obsolescence programmée du dysfonctionnement de ces interactions humaines. Par « métaphore à obsolescence programmée », nous entendons que ce qui est ici comparaison métaphorique est éventuellement destiné à devenir du réel. Autrement dit, si nous introduisons une comparaison entre un programme informatique et un dispositif social, ou bien entre une typologie de bug informatique et le détournement d’un outil de communication, etc., alors cette comparaison, qui opère comme une métaphore dans l’état historique actuel, peut devenir analogie véritable dans le futur. Alors, la métaphore se dissoudra, car elle sera réalisée.

La manière dont cette obsolescence se produira (si elle se produit) ne nous concerne pas ici : évolution vers le post-humain, réunification de la logique mathématique avec les sciences sociales, révolution trans-genre, hyper-fascisme (sous l’effet une fois de plus d’une mutation technologique majeure)… Pas plus que les dates de péremption de telles métaphores, dates qui nous sont inaccessibles (elles sont donc « programmées », mais nous ne savons pas quand le programme se terminera).

Eadweard Muybridge, Walking Man. Photo: D.R. (domaine public)

Le bug, une lecture qui (se) passe mal

Le 22 juillet 1962, la sonde américaine Mariner 1 est détruite 294,5 secondes après son décollage, suite à une défaillance des commandes de guidage. La cause : une barre suscrite manquante dans une ligne de code en FORTRAN. Comme l’a écrit Arthur C. Clarke, confondant le trait d’union et la barre suscrite : ce fut le trait d’union le plus cher de l’histoire (3). Le bug est une affaire typographique, un arrêt dans le processus de la lecture machinique. Englobons donc le bug dans le concept d’écriture qui concerne aussi bien la pratique humaine que l’exécution d’un programme. L’exécution d’un programme informatique appartient en effet au registre de l’écriture : c’est l’interaction d’un texte, appelé programme, avec son contexte, les données d’entrée ou de sortie. Lorsque le programme fonctionne, un nouveau texte est produit, issu de l’ancien. Les bugs sont les dysfonctionnements lors de cette exécution.

Par exemple, dans une situation d’interblocage lors de l’exécution d’un programme, deux actions concurrentes sont chacune dans l’expectative que l’autre se termine, provoquant une attente indéfinie (4). D’autres types de bugs existent. Si par exemple la foudre vient frapper l’ordinateur en train d’effectuer un calcul, nous pouvons considérer cela comme un bug; ou bien la confusion entre un « billard » et un « pillard », pour reprendre un exemple célèbre dû à l’écrivain Raymond Roussel (5), chez qui les homophonies et les équivoques sont utilisées pour gripper les rouages de la machine langagière.

On pourrait ainsi remonter jusqu’aux pratiques alchimiques et à la « langue des oiseaux ». Les associations phoniques utilisées par les initiés constituent en effet un argot crypté qui révèle et accentue les sens cachés, tandis qu’elles les dissimulent aux profanes, pour qui cette « langue secrète » apparaît comme insensée. Dès lors qu’un bug se produit, quelque chose de l’écriture reste en suspens. Le bug, ici paradigme du dysfonctionnement des interactions humaines, s’institue précisément là où l’écrit est défaillant, où la lecture se heurte à un impossible. Le bug dessine en creux les frontières du champ de l’écriture et de la lecture.

En lieu et place de l’histoire, une archéologie du bug

L’historien se fonde sur des écrits, contrairement à l’archéologue de la protohistoire qui s’intéresse aux peuples qui n’ont pas de sources textuelles, mais qui, parfois, sont évoqués dans les écrits de civilisations plus récentes. En tant que point aveugle de l’écrit, le bug peut-il être l’objet d’une histoire ? Ne serait-ce pas en archéologue qu’il conviendrait plutôt d’aborder ce qui serait finalement non pas une histoire du bug, mais ce qui ne peut être à jamais qu’une protohistoire ?

Dans Finnegans Wake, Joyce rend le roman illisible. Non pour qu’il ne soit pas lu, mais parce qu’il est paradoxal de vouloir imprimer — d’écrire au sens de l’imprimerie — l’oralité protohistorique de la langue. Du point de vue du roman, il est illisible, mais du point de vue de l’oralité, il est parfaitement compréhensible (faites le test, demandez à un irlandais de Galway de vous le lire). De la même manière, du point de vue de l’histoire et de l’humanisme (numérique), i.e. de l’écriture et de la lecture, le bug est un dysfonctionnement tandis que du point de vue de l’archéologie et du post-humanisme, i.e. des machines, l’impossible situé au cœur de l’écriture et de la lecture dissout la notion même de fonction. Ainsi le bug est-il un acte qui doit être pensé selon deux points de vue. Nous nous demandons si les humains n’auraient pas une vue partielle de l’histoire des machines, qui ne pourrait se départir d’un point de vue « colonialiste ». Il s’agirait ici de savoir s’il est possible de fonder une vision post-coloniale du champ machinique, où le bug aurait toute sa place.

Image extraite du film Brazil, (Terry Gilliam, 1985). Photo: D.R.

Esthétique du bug

Il est courant de penser que le glitch appartient à l’esthétique du bug. Il n’en est rien. Le glitch appartient au point de vue du dysfonctionnement, que l’artiste glitcheur cherche à rendre lisible. Chez les machines, la lecture est l’exécution d’un programme, d’un code. La dysfonction est liée à un contexte, à une attente. Elle a pour signe la frustration, qui se situe dans l’habitus du langage naturel. On peut bien entendu prendre du plaisir esthétique à provoquer de la dysfonction (Faust). Dans l’esthétique du glitch, la dysfonction se mue en fonction dans la tentative de restaurer une lecture qui n’a pu se faire, lecture faite par une machine, mais destinée à un humain. Comme l’écrit Friedrich Kittler, le programme se mettra soudainement à fonctionner correctement lorsque la tête du programmeur est vidée de mots (6). Il y a donc deux modes de « lecture » presque incompatibles l’un avec l’autre, dans l’interaction desquels peut se situer le plaisir esthétique du programmeur.

Ainsi, Nick Montfort écrit-il : L’aspect puzzle [du programme] met en évidence [qu’il y a] deux principaux « lecteurs » pour un programme d’ordinateur : d’une part, le lecteur humain qui examine le code pour comprendre comment cela fonctionne, et comment débuguer, améliorer ou développer; d’autre part, l’ordinateur, qui exécute ses états ou évalue ses fonctions par l’exécution du code-machine correspondant à son processeur. Un programme peut être suffisamment clair pour un lecteur humain, mais peut contenir un bug qui l’empêche de fonctionner tandis qu’un programme peut fonctionner parfaitement bien, mais être difficile à comprendre. Les auteurs de codes obscurs <obfuscated code> s’efforcent d’atteindre ce dernier, façonnant des programmes de sorte que l’écart entre le sens humain et la sémantique du programme donne du plaisir esthétique (7).

Une esthétique du bug prend le point de vue inverse : elle ne peut qu’émaner des machines elles-mêmes, tout comme les machines écriraient elles-mêmes leur histoire : un programme informatique pourrait par exemple prendre comme objet sa propre histoire, l’archive de ses interactions passées, et les programmes seraient à même de participer à l’écriture de l’histoire de leurs victoires ou de leurs défaites (les bugs). Pour la comprendre, il faudrait alors s’appuyer non sur l’histoire, mais sur l’archéologie des médias, qui se situe par-delà la notion de fonction.

Image extraite du film Brazil, (Terry Gilliam, 1985). Photo: D.R.

La figure du débugueur

Le problème pour les humains, c’est que, depuis l’imprimerie, ils écrivent et lisent leurs histoires avec des machines. Leurs mots dépendent aujourd’hui du code-machine. Et plus les machines, les OS et les softwares deviennent complexes, étoffés, interconnectés, plus le nombre de lignes de code-machine s’allonge entre le processeur et nos mots, plus le bug devient l’ennemi du verbe. Le bug c’est non seulement l’arrêt de la lecture du programme, mais c’est donc aussi, pour les humains, l’arrêt du sens. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le bug soit pour le théâtre d’aujourd’hui ce que le suicide était pour le théâtre du 19ème siècle. C’est pourquoi les humains cherchent, au nom d’une prétendue alliance objective, à programmer les machines pour qu’elles luttent avec eux contre le bug.

Le débugueur est alors la figure du médium rationnel. Son point de vue est celui de la raison contre l’irrationnel. Le débugueur est au bug, ce que, pour la philosophie et l’humanisme classique, l’homme est à l’animal. Ce dernier, pas plus que la machine, ne parle. À l’âge classique, le corps de l’homme se discipline en opposition à lui. Il n’est pas anodin que la première médiatisation d’un dysfonctionnement informatique de l’histoire ait été attribuée à un insecte. En l’occurrence cette « petite » mythologie fonde le bug comme métaphore des dysfonctionnements informatiques (et technologiques) et le début de l’histoire coloniale des machines par les hommes.

Ce n’est pas non plus un hasard si les humains, dans les films d’Hollywood des années 1950 — années de la cybernétique — sont souvent menacés par des insectes. Les parasites de l’information — comme, du temps d’Edison, un parasite du signal (8) — sont des êtres particulièrement détestables et singulièrement muets par rapport au règne animal : une punaise, une mite, un papillon de nuit, un cafard, comme dans le film Brazil en 1985. Comme tous ses dérivés, les virus et les vers (worm), le bug est nuisible, anxiogène (cf. le fameux « bug de l’an 2000 » réveillant les peurs de l’an 1000), voire pathogène (9). Et pour le qualifier, les programmeurs — ces nouveaux médecins du verbe — n’hésitent pas à descendre encore davantage dans la chaîne organique (10), nous remémorant ainsi la question de Platon : y a-t-il une Idée de la fange ?

Le débugueur, ce chasseur d’insectes, possède son esthétique. Il réintroduit de la reproductibilité, du lisible, tout ce que le bug a dissous, là où du point de vue des machines, il y avait de la durée pure. Le bug dépend du point de vue de ceux qui ont des attentes quant au programme. L’existence même d’un bug dépend du contexte. Si ces attentes ne sont pas définies, s’il n’y a pas de spécification du programme, il n’est pas possible de savoir s’il y a bug ou non, de même qu’il n’est pas possible de savoir si une boucle, dans une situation d’interblocage, va se terminer ou non : il faut une décision arbitraire, un acte, un événement, qui détermine ce qui s’écrit de l’histoire. Le pas-à-pas rend la décision — et la lecture possible. Le débugueur est le Muybridge du monde actuel, le modèle actuellement dominant de l’esthétique numérique.

L’archéologie du bug comme fondement d’une protohistoire des machines par les machines

Tandis que l’histoire des médias s’appuie sur les machines en capacité de lire, l’archéologie des médias se fonde sur les machines en incapacité de lire, et pour cela, condamnées par les humains à l’oubli historique. L’archéologie des médias, fondée sur une archéologie du bug, montre au contraire que cette incapacité de lire est le point de vue des humains, non des machines elles-mêmes qui, au-delà de la notion de fonction, continuent d’agir sur les représentations et l’imaginaire humain (la littérature, le cinéma et le jeu vidéo, la Science-Fiction, la cyberculture, la culture geek et les arts médiatiques…).

L’échec fait partie de la relation naturelle homme / machine. Du point de vue humain, l’échec est généralement à éliminer, car incompris (11). Du point de vue des machines, comme toute défaite, le bug travaille pour l’avenir, qu’il s’agisse d’un déploiement fictionnel ou technique et industriel (12). Au débugueur, figure de la raison, il faut opposer une nouvelle « ruse de la raison » dont les machines sont en réalité les puissances agissantes. Dans le temps profond, archéologique, de leurs propres développements, c’est la ruse des machines que d’appréhender mieux que nous-mêmes, humains, notre point de vue de sujets parlants. Aux humains d’assumer, ou pas, leur statut de bugs.

Christophe Bruno & Emmanuel Guez
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept. / nov. 2014

(1) Girard(J.-Y.), Le point aveugle, Tomes 1 et 2, Hermann, 2007.
On trouvera un certain nombre d’articles de Girard en partie accessibles aux non-mathématiciens sur http://iml.univ-mrs.fr/~girard/Articles.html 
Pour une introduction non technique : Mosca (A.), « Jean-Yves Girard, le logicien scélérat », Critique, 2005, vol. 61, n.701, p. 743-75.

(2) Turing (A.), « Computing machinery and intelligence », Mind, Oxford University Press, 59, 236,‎ 1950, p.460. http://mind.oxfordjournals.org/content/LIX/236/433.full.pdf

(3) Clarke (A. C.), The Promise of Space, Harper and Row,‎ 1968. Pour les détails, cf. G. J. Myers, Software Reliability: Principles & Practice, p. 25.

(4) Cf. Le dîner des philosophes. http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%AEner_des_philosophes

(5) Roussel (R.), Comment j’ai écrit certains de mes livres (1935), 10/18, 1963.

(6) Kittler (F.), « Code », in Fuller (M.), Software Studies – A Lexicon, MIT Press, 2005, p.46 (nous traduisons).

(7) Montfort (N.), « Obfuscated Code », in Fuller (M.), op. cit., p. 194 (nous traduisons).

(8) Cf. Parikka (J.), Insect Media, An archaeology of animals and technology (posthumanities), University of Minnesota Press, 2010, p.131.

(9) Cf. Mackenzie (A.), « Internationalization », in Lovink (G.), Rasch (M.), Unlike Us Reader, Social media monopolies and their alternatives, Institute of Network Cultures, 2013, et notamment ce passage, p.153 : By virtue of the notions of universality attached to numbering systems (such as decimal and binary), to computation (Universal Turing Machine), and to global technoculture itself, software seems virulently universal. When figures of otherness appear around software, they tend to be pathological. Pathological software forms such as viruses, worms, otherness appear around software, they tend to be pathological. Pathological software forms such as viruses, worms, trojan horses, or even bugs are one facet of otherness marked in software.

(10) Chez Bram Cohen (le créateur de BitTorrent), le bug devient de la merde. Cf. Cohen (B.), « Aesthetics of Debugging  thinking of turds as bugs and your home as your code« , Posted sur advogato.org le 18 Décembre 2000 à 00:58.

(11) Il faut apporter ici une nuance. Cf. Fuller (M.), Goffey (A.), Evil Media, The MIT Press, 2012.
Cf. aussi Lessig (L.), Code: An other laws of cyberspace, version 2.0, Basic Books, 2006. Lessig montre que l’Internet ouvert, non régulé, doit être compris comme un bug, une imperfection salutaire, y compris économiquement (p.48). D’un point de vue politique, citons encore cet extrait : Comme le dit John Perry Barlow , [les valeurs du cyberespace] sont les valeurs d’un certain bug programmé dans l’architecture du Net – un bug qui empêche le pouvoir du gouvernement de contrôler parfaitement le Net, même si elle ne désactive pas ce pouvoir entièrement (p.152) (nous traduisons). Selon nous, il s’agit encore d’un point de vue humain, qui pressent toutefois le point de vue de la machine établissant sa propre protohistoire.
Cf. encore la célèbre phrase d’Eric Raymond  : Many eyeballs make all bugs shallow (beaucoup de globes oculaires ramènent les bugs à la surface). Pour Raymond, le bug est constitutif de l’idée de communauté qui est la « solution » la plus efficace pour lutter contre lui. Le bug est ainsi indirectement à l’origine de toute l’open-culture, dont les répercussions politiques (nouvelles formes d’actions collectives), juridiques (creative commons, etc.), économiques (p2p, crowd-funding, -sourcing, etc.) sont immenses. Dans son ouvrage The Cathedral & the Bazaar: Musings on Linux and Open Source by an Accidental Revolutionary (O’Reilly, 2001, p.373), Raymond met en avant la méthode du bazar : Here, I think, is the core difference underlying the cathedral-builder and bazaar styles. (…) In the bazaar view (…), you assume that bugs are generally shallow phenomena — or, at least, that they turn shallow pretty quick when exposed to a thousand eager co-developers pounding on every single new release. Accordingly you release often in order to get more corrections, and as a beneficial side effect you have less to lose if an occasional botch gets out the door.
En esthétique, le bug a été l’objet de plusieurs études, dont, en français, la thèse d’Emmanuelle Grangier, Le bug, une esthétique de l’accident, Université de Paris 1, 2006.

(12) Cf. Zielinski (S.), Deep Time of the Media: Toward an Archæology of Hearing and Seeing by Technical Means, The MIT Press, 2008.

Carl Banks, IOCCC Flight Simulator, 1998. Ce programme obscur a remporté la même année le prix International Obfuscated C code Contest. Source : http://blog.aerojockey.com/post/iocccsim Photo: © Carl Banks

In Europe, Italy was the first country to be an epicenter of the novel coronavirus. As a result, mobilized Italian makers showed the way for makers around the world. Enrico Bassi of Opendot fablab in Milan, specialized in open healthcare, tells the story.

Italy was one of the nations hardest hit by the Covid-19 epidemic. For weeks on end, the number of deaths and cases continued to increase, especially in the northern regions of Lombardy and Veneto. Their respective health systems, considered to be the most efficient on the Peninsula, were brought to their knees. As hospital supplies ran out, personal protective equipment (PPE) became a rare find, as were essential parts for ventilators, CPAP machines, etc.

At Chiari hospital, the situation was dire: all the Venturi valves required for mixing oxygen and air were currently in use, and the company that produced them could not supply new ones fast enough. So Cristian Fracassi and his team from the company Isinnova brought a small 3D printer to the hospital, redefined the shape of the piece, printed and tested it in record time. But these fused filament fabrication (FFF) printers could not reliably produce precise or sterilized pieces, so after a few tests, hospital staff decided to use pieces produced by sintering.

This first mobilization unified the heart’s generosity, the brain’s tech-savvy and a good dose of courage—this kind of experiment had never before been tested in such conditions. News spread around the world! However, considering the delicate nature of the project, the files were never made public, and Fracassi himself advised against producing similar solutions with non-professional technologies. He emphasized that this experiment could only be done as a last resort in an emergency situation and that industrial products should always be the preferred solution… when available.

Isinnova produced a scuba-diving mask adapter as early as mid-March. Photo: DR.

Nonetheless, it wasn’t long before Fracassi’s team was contacted by Renato Favero, a doctor and former director of Gardone Valtrompia hospital. He wanted to share an idea that could potentially help overcome the temporary shortage of CPAP masks for non-invasive ventilation. Could they modify scuba-diving masks using 3D-printed valve adapters, based on the open source models published on Isinnova’s website?

Given the simplicity and efficiency of this new project, the idea caught on fast. Some makers began contacting nearby hospitals, where they already knew a staff member, to offer their services. In other cases, it was the hospitals that asked for help. As these requests grew in scale, people began to coordinate a timely response to the crisis.

The first order came from Brescia: 500 adapters. Isinnova, associated with a fablab in Brescia, posted a call for contributors on Facebook on March 22, which received hundreds of comments and was shared thousands of times. Within 24 hours, the distributed maker community had produced and even surpassed the required number of adapters! But there were still some problems: how could they verify the quality of the pieces, avoid overproduction and manage delivery while under lockdown?

Despite a few difficulties, this first experience in distributed production exceeded expectations. International projects aiming to find similar solutions to improve the supply of PPE for healthcare staff and other essential workers also began to emerge.

Scuba-diving mask adapter designed by Studio 5T. Photo: DR.

Coordinated actions

Local coordination groups formed or mobilized to produce and distribute parts for such projects. These groups were almost all volunteer-based, almost always within existing communities of people or fablab networks who were already used to working together. The first Covid-19 maker networks in Italy were regional, and they succeeded in responding to local needs as they evolved.

Makers Sicilia united Sicilian makers, fablabs, innovation startups and incubators to respond to the crisis in Sicily. Since it was founded in late March 2020, the group regularly meets online to share updates on local projects, examine ongoing experiments in local hospitals, exchange information on certifications and necessary legal procedures. Members have also contributed to purchasing materials. Officine Mediterranee is another network that is active in the south of Italy. It unites makers, fablabs, associations and small businesses involved in digital production across the regions of Basilicata, Puglia and Campania.

According to Alessandro Bolettieri of Officine Mediterranee, “The group formed in response to a request for 500 face shields from Basilicata’s emergency coordination number (118). In about 40 days, we managed to produce and distribute more than 2000 face shields, as well as over 50 Charlotte valves, mask ear-savers and 20 intubation boxes, in collaboration with Open Design School in Matera. Officine Mediterranee has around 50 members: makers and other professionals assisting with coordination and communication. Their group work is recounted by its members through a series of “Daily Diaries” shared online.

Makers at school

In retrospect, the projects led by Indire (National Institute for Documentation, Innovation and Research in Education) are particularly interesting. This historical institute has been active in the education sector for more than 90 years. A few years ago, it began exploring the relationship between schools and making through the Maker@Scuola project.

After co-developing with doctors a face shield model that was adapted to their needs, the project branched off in two non-emergency directions: on one side, Indire collaborated with a big company to produce the shields on an industrial scale; on the other side, the face shield production model was integrated into company simulation training for students in technology and technical high schools.

In Veneto, following a regional competition in 2015, funding was provided to 18 fablabs to seed a Venetian network. FIve years later, some labs have closed, while others have joined the network. The region of Veneto posted on the Innovation Lab website the main activities and potential contributions of these fablabs, in addition to the contributions of makers, volunteers and businesses eager to help.

Intubation station designed by Fablab Napoli and Fatebenefratelli Hospital. Photo: DR.

Nationwide coordination

This teamwork at local and regional levels paved the way for nationwide coordination across Italy. In the period of just a few days, three different initiatives emerged with similar and complementary objectives. Tech For Care is the result of a collaboration between Maker Faire Rome – The European Edition and I-RIM (Institute for Robotics and Intelligent Machines). This platform is not only a place to share projects, it also lists needs from frontline workers and proposed solutions from the maker community, startups and research institutes linked to the two project founders.

Opendot, the fablab that I coordinate, operates in the healthcare sector. For this reason, we were involved in implementing the project from the beginning. Tech for Care was also presented during Virtually Maker Faire on May 23, 2020. Some of the published projects come directly from the partners. For example, I-RIM developed a telepresence robot that can be easily assembled from pieces bought online or 3D printed. The project is entirely open source and published online.

Another nationwide coordination project, Air Factories is a distributed factory for manufacturing components and prototypes to fight Covid-19. The project was started in Messina, Sicily, by engineers at Innesta, SmartME.io and Neural, but it welcomes requests for solutions and volunteers from anywhere in Sicily.

An additional response “from the base” came from Make in Italy, an association founded in 2014 to promote research and coordination initiatives around digital fabrication and maker culture. After a few years of low activity, the group mobilized to coordinate supply and demand. Within a few days, they collected 500 contacts from makers, small laboratories, startups and fablabs. Their website currently lists over 25,000 items produced and donated.

Tech For Care and Make in Italy have pooled together a selection of open source projects published on Careables.org, a platform developed within the European H2020 “Made 4 You” project, with which our Opendot fablab is also associated. The goal is to find, collect and share open source solutions that are easily reproducible in the healthcare sector. Sharing projects on a common database makes it easier to collaborate between the two platforms.

Corporate makers

Italy’s response to the health crisis wasn’t limited to the grassroots maker movement of hundreds of volunteers and fablabs. Many Italian companies worked closely with active makers, and in some cases, even helped the movement to take off.

The most obvious example of that is Arduino. Not only were they behind Italy’s first fablab (I started out in 2011 as coordinator of this lab in Turin), but ever since then, they have clearly been at the technological core of innumerable DIY projects. This was further demonstrated in many solutions that emerged during the pandemic. Alessandro Ranellucci (Head of Open Source & Community) and David Cuartielles (Arduino co-founder) organized an online conference for presenting and debating projects to fight the pandemic.

Filoalfa, one of the main producers of 3D printer filament in Italy, launched the “Suspended spool” initiative to collect and donate spools of filament to support the three nationwide projects mentioned earlier. WASP, one of Italy’s biggest manufacturers of 3D printers using filament, teamed up with Alessandro Zomparelli, renowned expert in parametric modeling, to develop an add-on for Blender allowing users to model and print a customized mask with interchangeable filters.

FiloAlfa. Photo: DR.

What are the takeaways?

These past months have been filled with excitement and fear, willingness to contribute and frustration by the limits of what was possible, enthusiasm for the generous response from so many, and sadness for the ongoing situation. We talked about makers as Plan C, a temporary solution until the industry got organized, and it seems that a good portion of European funding for research is going to support the industrial sector. But I would still like to think that what happened during the past months was a keystone, a beta-test of what could be the role of innovative communities equipped with technology.

Many people say that this crisis has accelerated our digital transformation much more than all the policies implemented in the past years. I believe that it also demonstrated the value of those who create and practice innovation for those who need it. Five years ago, when we were talking about how digital fabrication could serve healthcare, it seemed to be a marginal preoccupation. Three years ago, when we started working with doctors and hospitals, it seemed infeasible.

These last examples are the ones that could continue once—hopefully soon—this surreal situation that we are in is behind us. Because of the emergency, various hospitals contacted specialized studios, fablabs, small businesses and startups in order to develop new solutions together. Fablab Napoli started collaborating with Buon Consiglio Fatebenefratelli hospital to produce clear boxes to protect doctors during intubation.

As is often the case, available models didn’t quite meet the needs of the hospital, so some doctors, including the department director of Fontanella General Medicine, began to design necessary variations. In light of the potential, the project was scaled up to involve other entities, including ENEA Research Center in Portici. Interestingly, the hospitals that adopted it continue to use it today as a common accessory for use during intubation procedures.

In Rome, Studio 5T had started working with hospitals early on in the crisis, especially Spallanzani hospital, Pertini hospital and Policlinico Umberto I. After an initial meeting, the studio offered to produce face shields, but the existing model didn’t meet the doctors’ needs. However, as in Naples, the doctors understood the potential of digital fabrication’s speed and flexible process.

Through this collaboration, their role evolved from users to designers of solutions. Months of collaborating led to other projects, including some that are still in development. Here in Milan, we continue to collaborate with local hospitals (4 so far) and with the doctors and therapists who work there. We have started projects together, with visible results—once people understand the potential, they become more proactive, constructive and independent.

One of these doctor-inventors, who works in intensive care, printed more than 200 ear-savers for his colleagues, safety tested Venturi valves, and printed various mask models in order to evalute their efficiency and comfort. He started a few years ago, followed basic training, and we successfully developed a model together. We would like this type of cooperation to be the rule rather than the exception, that hospitals understand and remember the potential they saw during this period. Then perhaps we will be more capable of reacting, more quickly and more efficiently, during the next crisis.

Enrico Bassi
published in partnership with Makery.info

More information on Opendot in Milan

This series of reports is supported by Daniel and Nina Carasso Foundation’s emergency fund for Covid-19.

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opening health solutions on a global scale

Three regional networks spanning Brittany, France and West Africa have partnered with local health, research and corporate organizations to provide African fablabs with machines and consumables—with the goal of producing on-site equipment for testing, prevention of and protection against Covid-19.

Already lacking in sanitary infrastructure and equipment, West African countries now have an urgent need for protective face shields and masks, ventilators and medical staff trained in intensive care. In response, African makers have mobilized to bring simple, low-cost and efficient solutions to detect, treat and prevent Covid-19. Makers Nord Sud contre le coronavirus (Makers North South against Covid-19) is a project to pool the capacities of three regional networks—Bretagne Solidaire (Brittany), Réseau Français des Fablabs (France) and Réseau Francophones des Fablabs d’Afrique de l’Ouest (West Africa)—to support health systems through local and sustainable manufacturing of sanitary equipment, while supporting the global actions of African fablabs.

ReFFAO inauguration in 2018. © ReFFAO.org. Photo: D.R.

Fablab dynamics in French-speaking West Africa

Their names are Ahmadou, Diarra, Gildas, Modou, Ghislain, Marie, Medard. They live in Senegal, Mauritania, Ivory Coast, Burkina Faso, Mali, Benin, throughout the Economic Community of West African States (ECOWAS). These men and women belong to one of the largest African networks of fablabs in the southern hemisphere: Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest (ReFFAO), founded in 2018, which organizes Make Africa every year in Cotonou, Benin. Currently, 27 fablabs are working together in 10 countries, locally reinterpreting ways of doing and sharing solutions in the field—adapted to local constraints, enriched with cultural diversity, as well as guided by a strong sense of meaning.

Hub Cité, an initiative of anthropologist and architect Sénamé Koffi Agbodjinou, founder of L’Africaine d’architecture and Woelab in Togo, stands in stark contrast to the European Smart Cities approach, instead integrating low-tech solutions and citizen participation. In this way, the project is more in line with the concepts of local productive autonomy advocated by the Fab City network. For example, sanitary handwashing stations (such as Senfablab’s Dane Corona) are mechanical and designed for outdoor public spaces, far from electronic distributors or prototypes for individual bathrooms.

Further considerations are equal access (gender, disability, etc.), education/training and climate change, as seen in initiatives to rebuild computers (Jerry DIT), foster creativity in digital fabrication through art-therapy for victims of war and violence (Yop Crealab, Ivory Coast), or educate children who were exploited for gold panning (Wakatlab, Burkina Faso).

Mobilized on the ground since March

Today, more than 6,000 face shields have been printed, assembled and delivered to hospitals and clinics, while more than 200 automatic handwashing stations have been made from recycled materials. Six ventilators have been developed, more than 9,000 masks have been sewn and distributed, disinfectant gel distributors have been designed and installed in public spaces. More examples are listed on ReFFAO’s website. But official recognition, material stock (there is no local production of 3D printer filament in ECOWAS) and on-site equipment are still sorely lacking.

Virtuous alliance at the core of a crisis

For the past three years, a trilateral partnership between ReFFAO, Réseau Français des Fablabs (RFFLabs) and Tiers-lieux Edu has produced a number of consorted actions. After Fair’Langue, an initiative that crossed fablabs and education with the Tiers-Lieux Edu network, and another project that was canceled due to the pandemic, Makers Nord Sud contre le coronavirus brings together new actors that are diverse and complementary, sharing a strong desire for solutions that integrate commons, the health sector and distributed manufacturing.

Particularly active within this project is a veteran organization that is relatively unfamiliar with the maker world, but which federates more than 40 solidary associations with intimate knowledge of the realities, cities and countrysides of Africa and Asia: Réseau Bretagne Solidaire. It includes dozens of cooperative projects, knowledge of diplomatic circles, calls for projects and pragmatism in the field. The connector between these worlds is Martin Lozivit, a geographer who worked in Cotonou for two years, also with Low-tech Lab, and administrator of Réseau Bretagne Solidaire. Along with Hugues Aubin (RFFlabs) and Woelab (Togo), he spoke about fablabs and sustainable cities at Make Africa 2019.

Ventilator made by ENCI, Ecoteclab, M.Akakpo; TIDD – Togo. Photo: © ReFFAO.org

Other powerful players have since contributed their own resources: Just One Giant Lab (JOGL) and its 5,000 members are helping organize open research and development communities; Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) with Roman Khonsari and Philippe Cochin, who architectured part of the Covid3d project to link prototypes to the medical field for scientific validation. They are the working gears of the first professional 3D printing farm set up in Cochin-Port-Royal during the lockdown in France (20,000 objects were printed, including medical devices used in the field).

Ahmadou Diallo from African Airbus Community, an informal and powerful network of goodwill for humanitarian projects across the continent, brings in the support of thousands of ingenious engineers. It’s less about money than coordinating different skills and manufacturing rare or expensive parts. Now supported by the Presidential Council for Africa, this community shares contacts, opens its doors and leads the SN3DCOVID19 project in Dakar, a citizen collective of 10 Senegalese organizations (startups, associations, schools, universities) collaborating to fight Covid-19.

Labsud fablab in Montpellier has offered its digital work stations and its many contacts in the medical field in France’s Occitanie region. Indiens Dans la Ville, founder of Atelier commun in Rennes, bring their expertise in upcycling plastics. Also in Rennes, members of My Human Kit, an international pioneer of crossover between makers and health applications with Nicolas Huchet, have also joined the fight. All together, the project includes French-speaking fablab networks (a total of 240 labs in 11 countries), health professionals, collaborative open source development platforms, international solidary organizations, artist-makers and industry.

African Airbus Community. Photo: © Ahmadou Diallo

Printing medical equipment and upcycling plastic for local manufacturing

Currently, Makers Nord Sud contre le coronavirus is engaged in two primary actions. The first aims to provide equipment for 10 fablabs in 8 ECOWAS countries, in order to support the development of prototypes in progress. A detailed list of equipment (machines, components, electronics) was established, following a call for West African fablabs. A map created with Thomas Sanz, researcher at Vulca and volunteer at RFFLabs, visualizes the locations of health centers in relation to fablabs and makerspaces. It shows the proximity between needs and ultra-local response, as many fablabs are located next to hospitals and already supply them with equipment.

The second action consists of working with Indiens Dans la Ville to install a Precious Plastic machine in Cotonou. This machine would transform plastic waste into raw material for 3D printing or molding. During the health crisis, Indiens Dans la Ville, mobilized alongside Couturier-es masqué-es, finalized a pivotal technique to control and specify the diameter of 3D printer filament upcycled from plastic waste. This open source tool can be adapted to local restrictions and used to test manufacturing of consumables and personal protective equipment, without the need to import rolls of filament, in close proximity to health care centers and the public.

175,000€ for 8 West African countries

The goal of all the partners is to convince big legitimate structures such as Organisation Internationale de la Francophonie (already supporting many solidary projects to fight Covid-19), Agence Française de Développement and any goodwill initiatives to financially support this project—then, if necessary, initiate complementary actions such as crowdfunding to further synergize the enthusiasm of African makers with the needs of health centers and local communities.

Since May, Makers Nord Sud contre le coronavirus has contacted numerous benevolent and concerned organizations: Research Institute for Development and its research-action program to support the African response to Covid-19 (ARIACOV), embassies, Organisation Internationale de la Francophonie, Fondation de France, French regions and cities (Occitanie, Bretagne, Rennes…).

The project is aiming for deployment by late 2020, as well as for an extension in time and space, to reconstruct health care according to a model that recalls the ideal of the Fab City Foundation: globally sharing and finding solutions for the common good of humanity, through legal manufacturing and distribution by local actors.

Health care as an open horizon

These improbable collaborations were formed during the pandemic in order to explore new leads in health care solutions. Among them is the “Open Santé” project, a complete open innovation loop for open source medical devices, by JOGL, Entraide Covid-19, AP-HP, RFFLabs, Fab and Co, the Facebook group Makers contre covid, and Visière solidaire (solidary face shield), a group formed by Youtuber Héliox, Covid3d.fr, Covid-initiatives, Makery Medialab, etc.

The concept is to create a continuous loop that integrates inventors of solutions and plans that respond to needs in health care, while incorporating selected manufactured models, rapid prototyping, medical validation, publication and dissemination online adapted to four types of manufacturing (individuals, fablabs, companies, industrials), manufacturing and legal use. This concept was presented on June 11 at the end of a special program by Make Magazine.

Makers Nord Sud contre le coronavirus seeks to develop this model with fablabs, health care organizations and authorities of West African countries in order to demonstrate a process that legalizes the on-site manufacturing of open source tools for diagnoses, prevention and treatment. This open process would have a significant impact on reducing the cost of research, development and certification of medical equipment, as well as eliminating problems in repairing imported devices (for example, up to 80% for prosthetics).

Intercontinental projects to solve a global issue

 

Determined to open health care solutions on a global scale, the brand-new platform Open Source Medical Supplies (OSMS)—which emerged from an alliance of makers during the Covid-19 crisis in the United States, now supported by the Food and Drug Administration (FDA)—is currently deploying a similar project worldwide, notably in English-speaking Africa. We met them while planning our francophone counterpart, as they collaborate with Translation Commons to offer 600 translators and a guide to open source medical assistance in the U.S. Together, Makers Nord Sud and OSMS, two projects that emerged from the invention of new circuits within exceptional legal frameworks during the crisis, potentially cover some 50 countries.

Will open health care take off?

As we hear about formulas for open source Covid-19 vaccines (for example from Open Source Pharma Foundation in India and in France), open health care offers hope for a global redistribution of resources through participative and especially distributed health care. The health crisis has given us an opportunity to invent not only objects, but also an entirely new systemic environment to reconstruct health care by placing part of its economic value in impacted countries. Beyond developing a cure for the novel coronavirus, this hope for a new deal concerns hundreds of millions of people worldwide.

Hugues Aubin
published in partnership with Makery.info

Makers Nord Sud contre le coronavirus website

This series of surveys is supported by the Covid-19 emergency fund of the Daniel and Nina Carasso Foundation.

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ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire

Le Réseau Bretagne Solidaire, le Réseau Français des Fablabs et le Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest s’associent avec les mondes de la santé, de la recherche et de l’entreprise pour doter les fablabs africains en machines et consommables. L’objectif : fabriquer sur place les dispositifs de protection, prévention et détection de la Covid-19. Tour d’horizon.

Makers Nord Sud contre le coronavirus. Photo: © Blolab – Bénin.

Devant la pandémie mondiale de Covid-19, chaque pays fait face à des besoins en masques et visières de protection, respirateurs, lits, personnels formés à la réanimation, en particulier les pays d’Afrique de l’Ouest, déjà sous-dotés en infrastructures et matériel sanitaire.

Pour répondre aux besoins, les makers africains se mobilisent déjà pour apporter des solutions simples, peu coûteuses et efficaces dans la détection, le traitement et la prévention de la Covid-19. L’initiative “Makers Nord Sud contre le coronavirus” conjugue les capacités des réseaux Bretagne Solidaire, Réseau Français des Fablabs et Réseau Francophones des Fablabs d’Afrique de l’Ouest pour une mise en capacité des fablabs locaux afin de soutenir les systèmes de santé par une production locale durable de dispositifs sanitaires, tout en soutenant les actions globales des fablabs africains.

Création du ReFFAO en 2018. Source ReFFAO.org. Photo: D.R.

Un réseau dynamique de fablabs en Afrique de l’Ouest francophone

Ils et elles s’appellent Ahmadou, Diarra, Gildas, Modou, Ghislain, Marie ou Medard. Ils sont au Sénégal, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Fasso, au Mali, au Bénin, et dans toute la Communauté Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CDEAO).

Ces hommes et ces femmes font partie d’un des plus gros réseaux continentaux de fablabs dans l’hémisphère sud : le ReFFAO, Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest, fondé en 2018, et organisateur chaque année de Make Africa à Cotonou au Bénin.

Vingt-sept fablabs coopèrent maintenant dans une dizaine de pays avec la particularité de composer et de réinterpréter localement la manière de faire et de partager des solutions de terrain. Adaptées aux contraintes locales, elles sont empreintes de la richesse des diversités culturelles, mais aussi guidées par le sens de leur action.

Avec le projet Hub Cité, le travail de l’anthropologue et architecte Sénamé Koffi Agbodjinou, fondateur de L’Africaine d’architecture et des WoeLabs au Togo, se situe ainsi aux antipodes de l’approche des smart cities européennes et intègre low-techs et participation. Le projet est ainsi plus près des principes d’autonomie productive locale défendus par le réseau des fab cities. Pour exemple, les lave-mains anti-coronavirus (comme le Dane Corona du Senfablab) sont mécaniques et conçus pour des lieux publics extérieurs, loin des distributeurs incorporant de l’électronique ou des prototypes pour salle de bain individuelle.

La prise en compte des enjeux d’égalité (sexe, handicap, accès, etc.), d’éducation/formation et de l’urgence climatique est également au cœur des préoccupations. Cela va jusqu’à la recomposition d’ordinateurs (Jerry DIT), le croisement entre création et fabrication numérique dans l’art-thérapie pour aider des victimes de guerre et de violences à se reconstruire (Yop Crealab, Côte d’Ivoire), ou l’éducation des enfants exploités sur les sites d’orpaillage (Wakatlab, Burkina Fasso).

Carte des fablabs en Afrique de l’Ouest. Photo: © Armelle Chaplin/Martin Lozivit – Metropolitiques.eu

Une mobilisation de terrain engagée dès le mois de mars

 

À ce jour, plus de 6000 visières ont été imprimées et montées au profit des hôpitaux et centres de santé, plus de 200 systèmes de lavage de mains automatique à partir de matériels recyclés. Six respirateurs artificiels développés, plus de 9000 masques alternatifs cousus et distribués ; des distributeurs automatiques de gel désinfectant collectifs en lieux publics ont été conçus et installés. De nombreux exemples sont disponibles sur la page COVID 19 du réseau africain. Mais la reconnaissance institutionnelle, les stocks de matériaux (on ne produit pas de filament pour imprimantes 3D dans la CDEAO !) et l’équipement sur place restent loin des nécessités liées aux enjeux démographiques.

Une alliance vertueuse d’acteurs issue du cœur de crise du coronavirus

Depuis trois ans, des actions communes sont réalisées au travers d’un triangle partenarial croisant le ReFFAO, le Réseau Français des Fablabs, et Tiers-lieux Edu. Après Fair Langue, opération impressionnante croisant fablabs et pédagogie avec le réseau Tiers-Lieux Edu, et l’arrêt du projet “Je fabrique mon matériel pédagogique” prévu en main 2020 du fait de la crise sanitaire, le projet Makers Nord sud contre le coronavirus rassemble aujourd’hui de nouveaux acteurs remarquables par leurs différences et complémentarités. En effet les partenaires historiques ont rencontré en cœur de crise du coronavirus de nouvelles forces partageant le désir de solutions croisant communs, santé et fabrication distribuée.

Au cœur du projet, opère une organisation ancienne, peu familière du monde des « makers », mais réunissant plus de 40 associations solidaires nord-sud connaissant la réalité, le terrain, les villes et les campagnes d’Afrique et d’Asie : le Réseau Bretagne Solidaire. À son actif : des dizaines de projets de coopération, une connaissance des milieux diplomatiques, des appels à projets et un pragmatisme de terrain. Le connecteur entre ces mondes est Martin Lozivit, un géographe ayant travaillé deux ans à Cotonou, mais aussi fréquentant le Low Tech Lab, et administrateur du Réseau Bretagne Solidaire. Il était (avec Hugues Aubin (RFFlabs) et le Woelab (Togo) – ndlr) à Make Africa 2019 pour parler fablabs et villes durables.

Respirateur artificiel créé par ENCI, Ecoteclab, M.Akakpo ; TIDD – Togo. Photo: © reffao.org

D’autres acteurs d’envergure se positionnent désormais comme moteurs dans la dynamique en proposant leurs ressources : Just One Giant Lab et ses 5000 développeurs pour l’organisation de communautés de recherche et de conception ouverte ; l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec Roman Khonsari, Philippe Cochin, architectes du projet Covid3d pour la partie de mise en relation avec le milieu médical et la validation scientifique des prototypes. Ils sont les chevilles ouvrières de la première ferme d’imprimantes 3D professionnelle installée à Cochin-Port-Royal durant le confinement en France (20 000 objets fabriqués, dont des dispositifs médicaux utilisés sur le terrain).

Ahmadou Diallo, de la African Airbus Community, un réseau informel et puissant de bonnes volontés maillant le grand continent pour soutenir des projets humanistes, apporte le soutien de milliers d’ingénieux(ses) et ingénieur(e)s. Il ne s’agit pas là d’argent, mais de mise en relation de compétences multiples, de possibilités d’usiner des pièces rares ou chères. Cette communauté aujourd’hui appuyée par le Conseil Présidentiel pour l’Afrique partage contacts, ouvre des portes, et porte elle-même le projet SN3DCOVID19 sur Dakar, un collectif citoyen réunissant une dizaine d’organisations sénégalaises (startups, associations, écoles, universités) pour s’entraider et collaborer dans la lutte contre la Covid-19.

Le Labsud, fablab de Montpellier, offre lui ses plateformes numériques pour travailler, et son carnet d’adresses dans le monde médical et à la région Occitanie. Indiens Dans la Ville, fondateur de l’Atelier commun à Rennes, apporte sa connaissance du surcyclage plastique. Les Rennais de My Human Kit, pionnier international dans le croisement makers et santé avec Nicolas Huchet, sont évidemment de la partie. Le projet associe donc réseaux francophones de fablabs (240 lieux dans 11 pays au total), professionnels de la santé, plateformes de développement open-source collaboratives, acteurs de la solidarité internationale, makers-artistes et entreprise industrielle.

African Airbus Community. Photo: © Ahmadou Diallo

Équiper pour soigner, surcycler le plastique pour alimenter la fabrication locale

Deux grandes actions sont programmées par l’initiative Makers Nord Sud contre le coronavirus. La première vise le soutien en équipement de 10 fablabs dans 8 pays de la CDEAO, pour épauler les fabrications et prototypages en cours. Une liste détaillée de matériels (machines, composants, électronique) a été établie à cet effet après un appel aux fablabs ouest-africains. Une cartographie conçue avec Thomas Sanz, chercheur membre de l’association Vulca et bénévole au Réseau Français des Fablabs, permet également de recouper les lieux de soins avec les fablabs et makerspaces. Elle démontre la proximité entre besoin et réponse ultra-locale, car de nombreux fablabs sont situés à côté d’hôpitaux, certains leur fournissant déjà du matériel.

La deuxième action consiste dans le montage, avec l’appui d’Indiens Dans la Ville (Rennes) d’une machine Precious Plastic à Cotonou (Bénin). Cette machine permet la transformation de déchets plastiques notamment pour l’impression 3D, le moulage. Pendant la crise épidémique, l’association Indiens Dans la Ville, mobilisée aux côtés des couturières masquées, a finalisé une étape technique décisive : le contrôle et la maîtrise du diamètre du filament pour imprimantes 3D fabriqué avec des déchets plastiques. Cet outillage (lui-même open-source évidemment) pourra être adapté aux contraintes locales et permettra de ne pas dépendre d’importations de bobines plastiques pour l’impression 3D, et de tester la fabrication, à proximité de lieux de soins et des publics, à la fois des consommables et des objets tels que les supports de visières, les appui-portes, etc.

Precious Plastic Rennes. Photo: © IDLV

Un financement de 175 000 € pour un programme sur 8 pays d’Afrique de l’Ouest

L’objectif de tous les partenaires est de convaincre de grands acteurs légitimes tels que l’Organisation Internationale de la Francophonie (engagée dans de nombreux projets de solidarité Covid-19), l’Agence Française de Développement et toutes les bonnes volontés de soutenir financièrement ce projet, puis, si nécessaire, d’actionner tout complément tel qu’un financement participatif, pour croiser l’énergie des makers africains avec les besoins des établissements de soin et des populations.

Depuis le mois de mai, l’initiative multiplie les contacts avec de nombreuses organisations bienveillantes et concernées  : Institut de Recherche pour le Développement avec son programme de recherche-action en appui à la riposte africaine à l’épidémie de Covid-19 (ARIACOV), ambassades, Organisation Internationale de la Francophonie, Fondation de France, Régions et territoires (Occitanie, Bretagne, Rennes…).

Le projet vise un déploiement avant fin 2020, et bien entendu une extension dans le temps et dans l’espace, pour faire santé autrement, dans un modèle au final assez proche de l’idéal de la Fab City Foundation : partage et création planétaire de solutions dans le bien commun de l’humanité, et fabrication légale et distribuée par les acteurs locaux.

Banque de solutions open source pour la santé d’OSMS. Source OSMS – 15/06/2020. Photo: D.R.

La santé ouverte comme horizon

Ces collaborations improbables se sont tissées en cœur de crise pandémique pour explorer des chemins nouveaux. L’une d’entre elles a permis de faire fonctionner une boucle complète d’innovation ouverte dans le registre des dispositifs médicaux open source. Il s’agit du projet appelé « open santé » par le Réseau Français des Fablabs, et qui a réuni à la fois JOGL, le groupe discord Entraide Covid-19, l’AP-HP, le Réseau Français des Fablabs, Fab and Co, les groupes facebook Makers contre covid, et “Visière solidaire”, le groupe rassemblé par la youtubeuse Héliox et la plateforme Covid3d.fr, Covid-initiatives, le médialab de Makery, etc.

Le principe consiste à inventer une boucle continue capable d’intégrer des inventeurs de solutions et de plans pour répondre à des besoins dans le registre de la santé, en incorporant tri des modèles fabricables, prototypage rapide, validation médicale, publication et dissémination sur internet adaptés à quatre types de fabrication (particuliers, fablabs, entreprises, industriels), fabrication et utilisation légale. Elle a été présentée le 11 juin à la fin d’une émission spéciale de Make Magazine.

Makers Nord Sud contre le coronavirus veut développer ce modèle avec les fablabs, les acteurs du soin et les autorités des pays d’Afrique de l’Ouest et des pays du sud, pour démontrer un processus rendant légale la fabrication sur place d’objets de diagnostic, de prévention et de soin dont les plans sont en open source. Ceci change complètement la donne quand on connaît la part de l’amortissement de la recherche & développement et de la normalisation dans le coût des dispositifs médicaux, ainsi que les problèmes de réparabilité des dispositifs importés (jusqu’à 80% pour une prothèse par exemple).

Processus cadre d’open-santé. Photo: © Hugues Aubin – Sabine Zadrosynski.

Un enjeu mondial, des projets intercontinentaux

Déterminée à ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire et à en permettre une fabrication distribuée, la toute nouvelle plateforme américaine Open Source Medical Supplies, née de l’alliance des makers pendant la crise du coronavirus aux États-Unis et désormais appuyée par la Food and Drug Administration (FDA), déploie actuellement un projet similaire dans le monde entier, et notamment sur l’Afrique anglophone. Rencontrée dans le cadre du montage du projet francophone, elle propose avec Translation Commons l’aide de 600 traducteurs et un guide des aides médicales open source réalisé outre-Atlantique. Le recoupement des deux projets (Makers Nord Sud et OSMS), issus de l’invention de circuits nouveaux dans des cadres légaux dérogatoires pendant la crise, adresse désormais potentiellement une cinquantaine de pays.

La santé ouverte va-t-elle prendre son essor ? 

À l’heure où l’on parle de formules de vaccins open source pour la Covid (par exemple avec Open Source Pharma Foundation en Inde et en France), la santé ouverte porte l’espoir d’une redistribution planétaire des cartes en incarnant une santé participative et surtout distribuée. Elle tente maintenant de tirer le meilleur des dispositifs de crise pour inventer non seulement des objets, mais aussi un environnement systémique qui change la donne, la santé, et déplace une partie de la valeur économique dans les pays concernés. Un espoir qui concerne, au-delà du coronavirus, des centaines de millions de personnes dans le monde.

Hugues Aubin
publié en partenariat avec Makery.info

Contact Makers Nord Sud: contact@makersnordsud.org

Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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Co-fondateur de Makerspace Madrid, Cesar Garcia Saez anime également La Hora Maker, une chaîne YouTube suivie par plus de 5000 makers en Espagne. Pour Makery, il revient sur la mobilisation des makers espagnols en soutien des soignants et des personnels exposés lors de la pandémie de Covid-19.

Le personnel médical des hôpitaux Terrasa portant des visières produites par le Tinkerers Fablab Casteldefels. Photo: D.R.

L’Espagne a été l’un des premiers pays européens touchés par le virus SRAS-CoV-2, juste après l’Italie. Le 14 mars, le gouvernement espagnol a déclaré l’état d’urgence et imposé un confinement national. Au cours des trois mois qui ont suivi, des équipes de makers espagnols, montées pour l’occasion ou déjà existantes, se sont organisées et ont travaillé à distance pour répondre à la crise.

Avant le confinement

Au cours des semaines précédant l’état d’urgence en Espagne, les nouvelles en provenance d’Italie et de Chine ont souligné le besoin urgent de respirateurs pour traiter les patients dans les unités de soins intensifs. Sans mesure corrective, la nature exponentielle de la contagion menaçait de provoquer un pic de demandes pour ces dispositifs, et de nombreux décès potentiels.

Réalisant la nature critique du problème, plusieurs groupes à travers le monde ont commencé à travailler sur des solutions open source. En réponse à l’appel de Colin Keogh à développer un respirateur Open Source sur Twitter le 11 mars, un groupe dédié a été créé sur Telegram, parallèlement au groupe existant sur Facebook, afin de réunir spécifiquement les makers espagnols qui préféraient collaborer par l’application de messagerie.

Dans le même temps, Jorge Barrero, directeur de la Fondation COTEC pour l’innovation, a appelé plusieurs membres de son réseau (dont l’auteur de cet article) à évaluer la faisabilité d’un respirateur peu coûteux imprimé en 3D. Après avoir reçu des réactions positives de plusieurs sources, en plus des nouvelles concernant un « petit » groupe de makers s’attaquant au problème, une initiative est née : A.I.RE (Ayuda Innovadora a la Respiración / Aide innovante pour la respiration), un groupe WhatsApp pour mettre en relation toute personne capable et désireuse d’aider : médecins, entreprises, makers, innovateurs, etc.

Comme pour le « petit » groupe de makers – Coronavirus Makers – l’initiative s’est répandue comme une traînée de poudre dans la communauté des makers espagnols. Le week-end précédant le confinement, le groupe Telegram est passé à 1 000 membres en moins de 48 heures. Deux semaines plus tard, il est passé à 16 500 membres ! Mais comment s’organise une communauté de milliers de membres ?

Des bénévoles assemblent des visières au Fab Lab Sant Cugat. Photo: D.R.

Tendances émergentes en période d’incertitude

Une fois que le groupe a commencé à se développer, le nombre de messages quotidiens a explosé. Il était donc de plus en plus difficile de communiquer efficacement, car certains sujets étaient abordés de manière répétitive, à l’infini. Il était vraiment difficile de savoir exactement ce dont on avait besoin à un moment donné. Mais bientôt, plusieurs groupes de travail se sont mis en place pour créer leurs propres canaux, invitant les personnes intéressées par leur sujet spécifique à les rejoindre.

De nombreux médecins et enthousiastes ont également été invités à se joindre à la conversation sur Telegram, mais les groupes pouvaient être assez bruyants et déroutants pour des personnes nouvelles sur la plateforme. David Cuartielles, co-fondateur d’Arduino, a créé un forum spécifique (Foro A.I.RE) pour une conversation plus lente, distillant les faits les plus pertinents sur le sujet. Le Foro A.I.RE a attiré quelque 4 000 personnes au cours du premier mois, qui ont partagé des articles, des nouvelles et même des modèles de référence pour les ventilateurs.

Sur Telegram, le nombre de sujets se développait de manière organique, même si les respirateurs restaient en tête de liste. L’équipe de Reesistencia a annoncé qu’elle allait commencer à travailler sur un respirateur open-source basé sur une valve de type Jackson Rees (d’où le nom « Rees-istencia »). Le 16 mars, ils ont partagé la conception initiale du Reespirator 23, qui comprenait une grande pièce imprimée en 3D pour presser la valve. Ils ont lancé un appel aux makers pour commencer le long processus d’impression de ces pièces.

Cet appel a donné naissance à de nouvelles chaînes régionales pour Coronavirus Makers, qui s’efforcent de produire les pièces localement. Comme la plupart des composants de la conception initiale étaient open source et basés sur des cartes Arduino largement disponibles, l’idée initiale était de produire les ventilateurs de manière distribuée, près des hôpitaux qui en avaient besoin.

Un autre sujet prioritaire sur les chaînes était l’équipement de protection individuelle, le besoin urgent d’EPI étant rapidement apparu comme l’un des plus grands défis de l’Espagne. Alors que la propagation du Covid-19 atteignait de nouveaux sommets, les nouvelles ont rapporté que l’Espagne était le pays où le nombre d’infections parmi les personnels soignants était le plus élevé. Les makers ont immédiatement commencé à travailler sur toutes sortes de lunettes de protection, de masques et sur les modèles de visières.

Le 16 mars, une publication dans le forum a fourni les preuves scientifiques sur l’utilisation des visières pour prolonger la durée de vie des masques et empêcher les grosses gouttelettes d’atteindre les protections en tissu et les yeux du personnel médical. À Oviedo, l’équipe de Reesistencia avait terminé le prototype et attendait un simulateur de poumon pour commencer à tester. Les makers désiraient aider à l’impression en 3D des pièces, que ce soit pour le respirateur ou tout autre projet.

Plusieurs makers ont commencé à créer et à partager des modèles de visières dans les groupes Telegram. Ces visières ont été imprimées par des makers dans toute l’Espagne et données aux voisins qui travaillaient dans les hôpitaux. Cet acte de générosité a permis des boucles de rétroaction extrêmement rapides. Les infirmières et les médecins les utilisaient pendant la journée et proposaient ensuite des idées pour les améliorer et les rendre plus confortables.

À la fin de la semaine, chaque région d’Espagne comptait un grand nombre de makers produisant des visières et les livrant aux hôpitaux. Vu le volume important de ce matériel de fortune utilisé dans les hôpitaux, certains ont commencé à se poser des questions sur la qualité des matériaux utilisés, les normes, la sécurité, etc. Désormais soumis à un nouvel examen, les groupes locaux ont demandé la validation de leurs autorités respectives.

Certaines régions, comme les Canaries, ont autorisé les visières, suivant en cela les procédures standard de sécurité au travail, jusqu’à ce que d’autres pièces certifiées soient disponibles. Madrid a d’abord autorisé l’utilisation de visières imprimées en 3D le 24 mars, mais est ensuite inexplicablement revenu sur sa décision le 28 mars. Ce revirement a déclenché une énorme controverse, car aucun matériel de remplacement n’était disponible pour le personnel médical. Comment les autorités locales pourraient-elles préférer que les médecins et les infirmières continuent à travailler sans protection plutôt que d’autoriser les pièces imprimées en 3D, ne serait-ce que temporairement ?

Heureusement, dans d’autres régions comme la Navarre, le gouvernement local a contacté directement le groupe de makers et a même proposé d’aider à l’approvisionnement et à la distribution. Valence a suivi le mouvement en autorisant un modèle spécifique imprimé en 3D. Pendant tout ce temps, le réseau Coronavirus Makers a réagi de manière organique, s’adaptant à l’évolution des conditions pour continuer à soutenir le personnel médical et les autres collectifs dans le besoin.

Par exemple, le 30 mars, le gouvernement espagnol a interrompu toute activité des travailleurs non essentiels, afin d’empêcher tout mouvement supplémentaire pendant les vacances de Pâques. Cette mesure a imposé une pression supplémentaire aux fournisseurs de matières premières et de moyens de transport alternatifs. Une semaine, les visières étaient livrées par des bénévoles, la semaine suivante, ce pouvait être par des chauffeurs de taxi, et pendant le confinement le plus extrême, même les policiers et les militaires participaient au réseau de distribution !

À la fin de la première vague, le 10 juin, environ un million de visières avaient été produites et distribuées en Espagne par des makers bénévoles dans tout le pays. Une conception finale a été approuvée au niveau national, tant pour l’impression 3D que pour le moulage par injection, afin que chacun puisse produire une visière imprimée en 3D open-source et certifiée dans toutes les régions.

Les équipes locales de la Protection Civile et de la Croix-Rouge soutiennent la distribution des visières du Fablab Cuenca. Photo: D.R.

Fablabs, makerspaces et autres collectifs préexistants

Mais quelle est la relation entre le réseau Coronavirus Makers et les autres groupes et espaces de fabrication qui existaient avant la pandémie ? Bien que les situations soient différentes selon les régions, la plupart des fablabs, makerspaces et autres institutions ont été extrêmement actives dans la lutte contre la pandémie et ont contribué à l’approvisionnement des besoins locaux.

Fablab Cuenca et Fablab Mallorca ont participé en tant que coordinateurs locaux pour les groupes Coronavirus Makers dans leurs régions, en soutenant d’autres makers et en aidant à la logistique et à l’équipement. Fablab Bilbao et Fablab Leon ont produit de nouveaux modèles de visières à l’aide de découpeuses laser, complétant ainsi la production des groupes de makers locaux par des milliers d’unités supplémentaires. Fablab Xtrene (Almendralejo), Tinkerers Fablab (Castelldefels) et Fablab Sevilla ont répondu aux besoins grâce à leurs réseaux préexistants.

Des collectifs de makers tels que la Sevilla Maker Society ont également produit des EPI, en faisant appel à des partenaires inhabituels tels que le Betis Football Club pour aider à la distribution. Makespace Madrid a travaillé sur un respirateur open source, tout en fournissant des EPI à ses voisins. Dans certains cas particuliers, les fablabs au sein de grandes institutions telles que les universités n’ont pas pu utiliser les espaces, en raison de la réglementation locale et de l’obligation de rester à la maison. Leurs membres ont généralement consacré leur temps et leurs réseaux personnels au soutien des groupes locaux de lutte contre le coronavirus.

La communication entre tous ces espaces a été possible dès le début grâce aux canaux de communication préexistants. Grâce au groupe WhatsApp partagé pour le CREFAB, le Réseau Espagnol de Création et de Fabrication Numériques a partagé des nouvelles, organisé les besoins locaux, les meilleures pratiques, etc. D’autres organisations de fabrication numérique telles que Ayudame 3D et FabDeFab ont cessé leurs activités régulières pour aider à la production d’EPI, travaillant avec leurs partenaires et bénévoles, soutenant la cause, tout en conservant leur propre identité/marque.

Fablab Mallorca, centre de distribution régional, inondé de visières produites par des makers bénévoles. Photo: D.R.

Après trois mois de confinement

Au cours des trois derniers mois, Coronavirus Makers a évolué pour s’adapter aux besoins et a ensuite produit de nombreux autres types d’EPI. L’un des plus populaires est le « salvaorejas » (protège-oreilles), une pièce plate qui fixe les sangles derrière la tête plutôt qu’autour des oreilles lorsqu’un masque est porté pendant une période prolongée. Coronavirus Makers dispose également d’une grosse équipe dédiée au textile, qui travaille de manière éthique avec des ateliers et des petits magasins pour produire des EPI et créer des designs open source pour des masques de bricolage appelés +K rilla et +K Origami. Un groupe distribué produit des masques de qualité ICU en utilisant du silicone moulé par injection.

D’autres groupes ont créé des logiciels tels que des applications mobiles pour gérer la logistique des livraisons ou pour encourager des habitudes saines, comme Higiene Covid-19, promue par le gouvernement équatorien. L’Espagne devrait mettre fin à l’état d’urgence le 21 juin. Depuis la fin mai, la demande d’EPI a chuté et la plupart des gens reprennent leur travail habituel et/ou aident d’autres personnes dans leur quartier ou dans d’autres pays. Plus de 15 groupes de makers luttant contre le coronavirus dans d’autres pays, pour la plupart hispanophones, tentent actuellement de reproduire certains de ces procédés pour lutter contre le Covid-19 en Amérique latine.

Que sont devenus les respirateurs open source ?

Alors que l’Espagne a connu un nombre sans précédent de projets visant à mettre en place des alternatives open source et à faible coût pour aider les personnes gravement malades à respirer, le principal problème avec un si grand nombre de respirateurs/ventilateurs était que les étapes d’approbation, les exigences, etc., n’étaient pas clairement définies. Certains pays, comme le Royaume-Uni, ont publié un document avec des exigences claires, tandis que les États-Unis ont publié des directives spéciales avec des exigences de la FDA moins strictes pour l’approbation. En Espagne, en revanche, il n’existait pas de dispositions spéciales de ce type, de sorte que chaque équipe travaillant sur un ventilateur/respirateur était pratiquement seule.

Fin mars, A.I.RE, par l’intermédiaire de la Fondation COTEC, a réussi à organiser un appel d’offres ouvert avec les responsables du processus de certification de l’Agence espagnole des médicaments et des produits de santé (AEMPS). Au cours de cet appel, 115 personnes représentant plus de 35 projets ont pu poser des questions sur le processus de certification. Toutes ces informations ont ensuite été publiées pour guider officiellement le processus de développement. Une vidéoconférence récapitulative sur la certification des ventilateurs avec l’AEMPS et plusieurs équipes fut organisée.

Pour qu’un prototype soit approuvé pour un essai clinique, il devait passer des tests avec un simulateur pulmonaire, des essais sur des animaux en détresse respiratoire sévère et par la conformité électromagnétique. Une fois examiné, il devait recevoir le sceau d’approbation final du comité d’éthique de l’hôpital. Il pourrait alors être utilisé, si et seulement si aucun autre respirateur certifié n’était disponible pour le patient (lire cet article sur le blog Arduino Blog pour plus de détails).

En vertu de ces règles, sept prototypes ont réussi à passer tous les tests dans les deux semaines qui ont suivi. Plusieurs de ces équipes comprenaient des membres de grandes entreprises et/ou de centres de recherche, ayant une expertise dans la certification d’équipements cliniques. D’autres, en revanche, issus du monde des makers/designers, ont réussi à faire approuver et même fabriquer leur produit par de grandes entreprises, proposant des versions appropriables par les makers comme l’OxyGEN.

Alors que la création d’un ventilateur/respirateur à partir de zéro est une tâche herculéenne, une masse critique d’individus a rejoint cette course contre la montre. En moins d’un mois, l’Espagne est passée de zéro ventilateur/respirateur disponible à plusieurs appareils prêts à l’emploi. À la fin de ce processus, l’impact du confinement avait réduit le nombre de patients sous soins intensifs. Les deux seules entreprises produisant des ventilateurs/respirateurs certifiés ont décuplé leur production au cours du mois dernier, avec le soutien du ministère de l’Industrie, de sorte qu’il y a eu beaucoup moins de besoins en respirateurs DIY/maker. Reesistencia Team a réussi des essais de son appareil avec des animaux, mais à ce jour, aucune version approuvée par l’AEMPS n’a été rendue publique.

Dans la tradition de l’open source, certains des projets ont bifurqué ou fusionné. Par exemple, le 24 avril, Reespirator 2020 était annoncé comme un fork du Reespirator 23 de la Reesistencia Team. Dans ce référentiel, ils expliquaient que, même si aucun de ces ventilateurs/respirateurs n’était fabriqué en masse en Espagne, ils prévoient de continuer à les développer au profit d’autres pays dans le besoin.

Premier prototype du respirateur ReesistenciaTeam. Photo: D.R.

Autres initiatives espagnoles

Au cours de ces trois derniers mois, les makers en Espagne ont pris contact avec d’innombrables entreprises, institutions et personnes partageant les mêmes objectifs. Ayuda Digital COVID (anciennement connue sous le nom de TIC para Bien), a apporté son expertise en matière de technologies de l’information pour aider à créer des éléments de l’infrastructure numérique. Frena La Curva (infléchir la courbe) s’est concentré sur les aspects sociaux, en connectant les offres et les demandes des communautés mal desservies. European Cluster Alliance a connecté les initiatives espagnoles à un réseau paneuropéen plus vaste, favorisant la pollinisation croisée des idées entre pairs européens. COVIDWarriors a facilité la mise en réseau avec des objectifs communs et a fourni à plusieurs hôpitaux des robots open source pour les essais cliniques. Le partage d’un objectif commun a permis une collaboration à plusieurs échelles, à des vitesses qui étaient impensables il y a quelques mois !

Gratitude finale

Tout le travail réalisé par les initiatives des makers espagnols n’aurait pas été possible sans le soutien de centaines d’entreprises et de personnes qui ont fourni des matières premières, des moyens de transport et d’autres éléments pour canaliser cette solidarité maker. Remerciements spéciaux à tout le personnel médical : médecins, infirmières et tous ceux qui ont participé à l’atténuation des graves conséquences de la pandémie de Covid-19 !

Cesar Garcia Saez
publié en partenariat avec Makery.info

Suivre Cesar Garcia Saez sur La Hora Maker.
Plus d’infos sur Makerspace Madrid.
Appel initial aux makers sur Twitter

Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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Co-founder of Makerspace Madrid, Cesar Garcia Saez also hosts La Hora Maker, a media & YouTube channel followed by more than 5000 makers in Spain. For Makery, he comes back on the mobilization of the makers in support of health care workers and exposed personnel during the Covid-19 pandemic.

Medical Personnel at Terrasa Hospitals wearing 3D printed faceshields produced at Tinkerers Fablab Casteldefels. Photo: D.R.

Spain was one of first European countries to be hit by the SARS-CoV-2 virus, right after Italy. By March 14, the Spanish government declared a State of Alarm and mandated a nationwide lockdown. During the three months that followed, both ad hoc and existing teams of Spanish makers have been communicating, organizing and working remotely to respond to the crisis.

Before the lockdown

During the weeks leading up to the State of Emergency in Spain, news from Italy and China highlighted the urgent need for lung ventilators to treat patients in Intensive Care Units. Without any corrective measures, the exponential nature of contagion threatened to provoke a peak demand for these devices, and many more potential deaths.

Realizing the critical nature of this problem, several groups around the world started working on open source solutions. In response to Colin Keogh’s call to develop an Open Source Ventilator on Twitter on March 11, a dedicated group was created on Telegram, parallel to the existing Facebook group, specifically to unite Spanish makers who preferred to collaborate through the popular messaging app.

At the same time, Jorge Barrero, director of COTEC Foundation for Innovation, called on several members of its network (including the author of this article) to evaluate the feasibility of a low-cost 3D-printed ventilator. After receiving positive feedback from several sources, in addition to news about a “small” group of makers tackling the problem, another initiative was born: A.I.RE (Ayuda Innovadora a la Respiración / Innovative Help for Breathing), a WhatsApp group to connect anyone able and willing to help, including doctors, enterprises, makers, innovators, etc.

As for the “small” maker group—Coronavirus Makers—it spread like wildfire among the Spanish maker community. In the weekend before lockdown, the Telegram group grew to 1,000 members in less than 48 hours. Just two weeks later, it expanded to 16,500 members! But how does a community with thousands of members organize?

Volunteers assembling 3D printed face shields at Fab Lab Sant Cugat. Photo: D.R.

Emerging patterns in uncertain times

Once the group started to grow, the number of daily messages exploded. This made it increasingly hard to communicate efficiently, as some topics would be covered repeatedly, for an endless number of times. It was really difficult to know exactly what was needed at any given moment. But soon, several focused workgroups spun off to create their own channels, inviting those interested in their specific topic to hop on board.

Many doctors and enthusiasts were also invited to join the conversation on Telegram, but the groups could be quite noisy and confusing for people who were new to the platform. David Cuartielles, co-founder of Arduino, created a specific forum (Foro A.I.RE) for a slower-paced conversation, distilling the most relevant facts about the topic. Foro A.I.RE attracted some 4,000 individuals within the first month, sharing papers, news and even reference designs for ventilators.

On Telegram, the number of topics was expanding organically, although ventilators still topped the list. Reesistencia Team announced they would start working on an open source ventilator based on a Jackson Rees type of valve (hence the name “Rees-istencia”). On March 16, they shared the initial design of Reespirator 23, which included a large 3D-printed piece to press the valve. They launched an open call for makers to start the lengthy process of printing these pieces.

This call sparked new regional channels on Coronavirus Makers, working to produce the pieces locally. As most components of the original design were open source and based on widely available Arduino boards, the initial idea was to produce the ventilators in a distributed way, near the hospitals in need.

Another priority topic on the channels was Personal Protective Equipment, as the urgent need for PPE soon emerged as one of Spain’s biggest challenges. As the spread of Covid-19 reached new peaks, news reported that Spain was the country with the most infections among healthcare workers. Makers immediately started working on all kinds of protective gear—goggles, masks and the ever-popular face shield designs.

On March 16, a publication in the forum provided scientific evidence on the usage of face shields to extend the lifetime of masks and prevent large virus-infected droplets from reaching cloth protections and the eyes of medical personnel. In Oviedo, Reesistencia Team had finished the prototype and was waiting for a lung simulator to start testing. Makers were eager to help 3D-print pieces, whether for the ventilator or any other project.

Illustration in El Rincon de Miguel highlighting makers’ role in printing face shields to protect essential workers. Photo: D.R.

Several makers started creating and sharing face shield designs in the Telegram groups. These shields were printed by makers all around Spain and given to neighbours who worked in hospitals. This act of kindness allowed for extremely rapid feedback loops. Nurses and doctors would use them during the day and then offer insights about how to improve them and make them more comfortable.

By the end of the week, every region in Spain had large numbers of makers producing face shields and delivering them to hospitals. Given the high volume of this makeshift equipment being used in hospitals, some people started asking questions about the quality of materials used, standards, safety, etc. Now under new scrutiny, local groups sought validation from their respective authorities.

Some regions, like Canarias, authorized the face shields, following standard work safety procedures, until other certified pieces were available. Madrid initially authorized the use of 3D-printed face shields on March 24, but then inexplicably reversed its decision on March 28. This movement sparked a huge controversy, as no alternative pieces were available for medical personnel. How could local authorities possibly prefer that doctors and nurses continue working unprotected rather than authorize 3D-printed parts, if only temporarily?

Fortunately, in other regions such as Navarra, the local government contacted the maker group directly and even offered to help with supply and distribution. Valencia followed suit, authorizing a specific 3D-printed model. All this time, the Coronavirus Makers group responded organically, adapting to evolving conditions to continue supporting medical personnel and other collectives in need.

For example, on March 30, the Spanish government halted all activity by non-essential workers, to prevent additional movement during the Easter holiday. This put additional stress on providers of raw materials and alternative transportation. One week, face shields would be delivered by volunteers, the next week, it could be by taxi drivers, and during the most extreme lockdown, even police and military members participated in the distribution network!

By the end of the first wave, on June 10, about one million face shields had been produced and distributed in Spain by volunteer makers across the country. A final design has been approved on a national level, both for 3D-printing and injection molding, so that everyone can produce an open source 3D-printed face shield that is certified in all regions.

Local Civil Protection and Red Cross teams supporting distribution of face shields from Fablab Cuenca. Photo: D.R.

Fablabs, makerspaces and other pre-existing collectives

But what is the relation between the ad-hoc Coronavirus Makers network and other maker groups and spaces that existed before the pandemic? Although the response is quite diverse, with different responses in each region, most fablabs, makerspaces and other institutions have been extremely active in fighting the pandemic and contributing supplies for local needs.

Fablab Cuenca and Fablab Mallorca participated as local coordinators for the Coronavirus Makers groups in their regions, supporting other makers and helping with logistics and equipment. Fablab Bilbao and Fablab Leon produced new designs for face shields using laser cutters, complementing the production of local maker groups with thousands more units. Fablab Xtrene (Almendralejo), Tinkerers Fablab (Castelldefels) and Fablab Sevilla responded to needs through their pre-existing networks.

Maker collectives such as Sevilla Maker Society produced PPE as well, involving unusual partners such as the Betis Football Club to help with distribution. Makespace Madrid has been working on an open source ventilator, while providing PPE to its neighbours. In some particular cases, fablabs within larger institutions such as universities have not been able to use the spaces, because of local regulations and mandatory stay-at-home orders. Their members have generally contributed their time and personal networks to support the local coronavirus groups.

Communication among all these spaces was possible from the start thanks to pre-existing communication channels. Through the shared WhatsApp group for CREFAB, the Spanish Network of Digital Creation and Fabrication (Spaces) shared news, organized local needs, best practices, etc. Other digital fabrication organizations such as Ayudame 3D and FabDeFab stopped their regular activities to help produce PPE, working with their partners and volunteers, supporting the larger cause, while retaining their own identity/brand.

Fablab Mallorca, acting as regional distribution center, inundated with 3D-printed face shields produced by volunteer makers. Photo: D.R.

After three months of lockdown

Evolving to adapt to current needs during the past three months, Coronavirus Makers has gone on to produce many other types of PPE. One of the most popular is the “salvaorejas” (ear-savers), a flat piece that secures the straps behind the head instead of around the ears when a mask is worn for an extended period of time. Coronavirus Makers also now has a large group dedicated to textiles, working ethically with workshops and small shops to produce PPE and creating open source designs for DIY masks called +K rilla and +K Origami. A distributed group is producing ICU grade masks using injection molded silicone.

Other groups have created software such as mobile applications to manage the logistics of deliveries or to encourage healthy habits, such as Higiene Covid-19, promoted by the Ecuadorian government. Spain is expected to end its State of Emergency on June 21. Since the end of May, demand for PPE has dropped, and most people are either going back to their regular work and/or helping other people in their neighborhoods or in other countries. More than 15 coronavirus maker groups in other countries, mostly Spanish-speaking ones, are currently trying to replicate some of these processes to fight Covid-19 in Latin America.

So what happened to the open source ventilators?

While Spain saw a groundbreaking number of projects to build open source, low-cost alternatives to help critically ill people breathe, the main challenge with so many ventilators was that the approval steps, requirements, etc., were not clearly defined. Some countries, like the UK, published a document with clear requirements, while the U.S. published special guidelines with less stringent FDA requirements for approval. In Spain, however, there were no such special provisions, so each team working on a ventilator was pretty much on their own.

By the end of March, A.I.RE, through COTEC Foundation, managed to organize an open call with the people in charge of the certification process at the Spanish Agency of Medicine and Health Products (AEMPS). During that call, 115 people representing more than 35 projects could ask questions about the certification process. All this information was then published to officially guide the development process. A complete video conference on ventilator certification was organised with with AEMPS and multiple R&D teams.

To get a prototype approved for clinical trial, it was required to pass tests with a lung simulator, animal trials experiencing severe respiratory distress and electromagnetic compliance. Once reviewed, it would need a final seal of approval from the ethical committee at the hospital. Then it could be used, if and only if, there was no other certified ventilator available for the patient (see this article on the Arduino Blog for more details).

Under these rules, seven prototypes managed to pass all the tests within the following two weeks. Several of these teams included members from large companies and/or research centers, with expertise in certifying clinical equipment. Others however, coming from maker/designer backgrounds, managed to have their product approved and even manufactured by large companies, offering maker friendly versions such as OxyGEN.

While creating a ventilator from scratch is a herculean task, a critical mass of individuals joined this race against the clock. In less than one month, Spain went from zero available ventilators to several ready-to-use devices. By the time this process was over, the impact of lockdown had reduced the number of patients under intensive care. The only two companies producing certified ventilators increased their production tenfold in the past month, with support from the Ministry of Industry, so there was much less need for DIY/maker respirators. Reesistencia Team passed trials of their device with animals, but so far no AEMPS-approved version has been publicly released.

In the tradition of open source, some of the projects have forked or merged. For example, on April 24 Reespirator 2020 was announced as a fork of Reesistencia Team’s Reespirator 23. In this repository, they explained that, even though none of these ventilators would be mass manufactured in Spain, they plan to keep developing them to benefit other countries in need.

Initial prototype for ReesistenciaTeam Ventilator. Photo: D.R

Other Spanish initiatives

During these last three months, makers in Spain have connected with countless companies, institutions and individuals sharing the same goals. Ayuda Digital COVID (formerly known as TIC para Bien), contributed their IT expertise to help create elements of the digital infrastructure. Frena La Curva (Slow down the curve), focused on social aspects, connecting offers and demands from underserved communities. European Cluster Alliance connected Spanish initiatives to a larger pan-European network, promoting cross pollination of ideas among European peers. COVIDWarriors facilitated networking with common goals and provided several hospitals with open source robots for clinical trials. Sharing a common goal enabled collaboration on multiple scales, at speeds that were unthinkable a few months ago!

Final gratitude

All the work done by the Spanish maker initiatives would have not been possible without the support of hundreds of companies and individuals that have supplied raw materials, transportation and other elements to channel this maker solidarity.  Special gratitude to all our medical personnel: doctors, nurses and everyone involved in mitigating the severe impact of the Covid-19 pandemic!

Cesar Garcia Saez
published in partnership with Makery.info

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Original call for makers on Twitter

This series of surveys is supported by the Covid-19 emergency fund of the Daniel and Nina Carasso Foundation.

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l’initiative en Nouvelle-Aquitaine qui révèle le potentiel transformateur des tiers-lieux

Lucile Aigron, gérante de La coopérative Tiers-Lieux, nous présente HomeMade, un projet collectif inédit pour maintenir les coopérations entre makers, fablabs, tiers-lieux et milieux médico-sociaux en Région Nouvelle-Aquitaine et analyser la filière des fablabs et son potentiel de transformation des territoires.

Sew&Laine a créé un réseau de production responsable, solidaire et désireux de valoriser les savoirs-faire des couturiers indépendants. Photo: © Sew&Laine

Engagée depuis dix ans auprès des tiers-lieux, Lucile Aigron fait partie des acteurs clés sur son territoire ayant contribué à faire (re)connaître ces nouvelles organisations de travail. Entre 2010 et 2016, de la possibilité de travailler autrement, près de chez soi, et ce quel que soit le secteur d’activités (tertiaire, artisanal, agricole), ont émergé de nombreux tiers-lieux, d’abord sur des bases bénévoles. L’emploi s’est ensuite développé et de nouveaux métiers sont apparus et apparaissent encore. L’animation de réseau et la professionnalisation du secteur (à travers la co-production d’une formation « piloter un tiers-lieux ») sont aujourd’hui les activités principales de La coopérative Tiers-Lieux, couplées à un « laboratoire » sur les nouvelles organisations au travail.

Avec une centaine de sociétaires partie prenante de cette Société Coopérative d’Intérêt Collectif (tiers-lieux, fablabs, coopératives, groupements d’employeurs, centres de médiation scientifique, réseau des offices de tourisme), La coopérative des Tiers-Lieux s’assure d’accueillir des lieux et des discussions suffisamment diversifiées pour décloisonner et faire en sorte que les tiers-lieux soient toujours en questionnement sur des sujets d’intérêt général.

Comment La coopérative Tiers-Lieux et ses sociétaires se sont-ils mobilisés pendant la crise sanitaire ?

Lucile Aigron : On s’est mobilisés en tant que tête de réseau pour soutenir les tiers-lieux pendant la crise, identifier rapidement les difficultés rencontrées, faire l’interface avec la région. On a vu des lieux se ré-inventer complètement pendant cette période, certains se sont retrouvés à l’arrêt, d’autres se sont mobilisés sur des ressources en lignes éducatives, de l’accès à du matériel pour des collégiens, de la distribution alimentaire et aussi sur de la production de visières.

En lien avec des fablabs pendant la crise, ils nous ont fait part de leur engagement dans cette production solidaire que nous avons considéré comme un vrai « sacrifice ». D’abord, les investissements matériels ont été réalisés « de leur poche », puis vu le volume, leur structure n’allait pas tenir le choc de cet engagement. En l’absence de réactions de l’État dans cette situation d’urgence, nous avons interpellé la Région Nouvelle-Aquitaine en faisant le pari que l’échelle régionale se révélerait le bon échelon pour leur venir en aide.

Distribution « du producteur à votre assiette » par les membres bénévoles du tiers-lieu Graine de Coop dans le nord-Gironde. Photo: © Graine de Coop

Aujourd’hui vous lancez HomeMade avec un consortium de 33 acteurs et le soutien de la région Nouvelle Aquitaine, comment ce projet est-il né ?

Le déclic, c’est la tribune du 9 avril publiée sur Makery et les appels en parallèle des fabmanageurs du réseau. J’ai eu un soutien appuyé d’Eugénie Michardière (service Numérique à la Région) avec qui je travaille depuis dix ans. Je l’ai appelé un jeudi à 18h, elle m’a rappelé le vendredi à 9h pour me faire part de la mise en place d’un Appel à Manifestation d’Intérêt exceptionnel lié au Covid. Une réactivité et un engagement que nous souhaitons saluer collectivement au nom de l’ensemble des membres du consortium.

Le soutien des élus a été très fort également. Ensuite, nous avons fait chacune de la médiation : elle a interfacé côté Région trois services (Santé, ESS, Numérique) qui cofinancent ce programme et a coordonné les discussions avec les agents et les élus. De mon côté, j’ai fait l’interface avec les 33 structures (soit près de 2000 personnes mobilisées).

Nous avons construit le projet ensemble en deux semaines. C’était assez inédit : nous avons écrit un dossier sur la base d’un appel à projet en cours d’élaboration et nous avons présenté le dossier devant les trois élus en visioconférence. Nous avons vraiment été dans la co-construction avec la Région et les membres du consortium. Finalement c’était l’occasion de se demander, avec tous les acteurs de l’ESS présents sur le territoire, s’il n’y avait pas là une filière de production locale / régionale, à inventer et accompagner notamment avec les chantiers d’insertion et les entreprises adaptées.

Pouvez-vous nous présenter le consortium et la démarche ?

Dans le consortium, il y a une vingtaine de fablabs, six réseaux de couturières, dix têtes de réseaux (La coopérative Tiers-Lieux, Sew&Laine, Réseau Français des Fablabs, Hub Hubert, Naos, Le 400, La Proue, Les Usines, INAE, UNEA), trois chantiers d’insertion, deux laboratoires de recherche, deux CCSTI (les centres de culture scientifique Cap Sciences à Bordeaux et Lacq Odyssée à Mourenx) et un groupement d’intérêt public, le living lab Autonom’Lab.

Le projet s’est fait tellement vite, nous savons que le consortium n’est pas exhaustif dans les initiatives qui ont été réalisées. L’enjeu de la première tranche de travail est de recenser ces initiatives pour que nous puissions les prendre en compte et les soutenir. Autrement dit, la moitié du financement de la région va constituer un fonds d’indemnités, nous allons inventer notre système de mutuelle pour indemniser les collectifs et les lieux qui se sont mobilisés sur la fabrication de masques et de visières.

Pour cofinancer le programme, nous avons fait remonter les productions de tous les membres, visières et masques en tissu, pour établir une assiette budgétaire et faire remonter une part d’autofinancement. Nous sommes partis sur un coût éthique de 1 € pour un masque en tissu fait par des bénévoles ou 3 € par des couturières professionnelles et de 3,50 € pour la visière, de sa fabrication à sa distribution. Plusieurs structures cofinancent (Le Hub Hubert, des fondations (Orange, Vinci), les cagnottes citoyennes) et rentrent dans ce montage financier. Cela nous permet de valoriser un cofinancement Région sur la base d’un budget participatif citoyen pour atteindre un budget global de 870 000 euros, la Région Nouvelle-Aquitaine contribuant à hauteur de 60%.

Eugénie Da Rocha, directrice de Sew&Laine, tiers-lieu des cultures textiles engagées. Photo: © Sew & Laine

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les ateliers de co-création que vous souhaitez mettre en place avec les équipes et usagers des établissements médico-sociaux, les makers et designers, les collectivités et les industriels ?

Une fois passée la crise, nous avions envie de revenir auprès des acteurs de la santé avec qui nous avons développé une relation singulière et étudier le rôle des fablabs sur d’autres solutions auxquelles nous n’avons pas pu penser pendant cette phase d’urgence. Si nous nous posons demain ensemble, est-ce que nous pouvons être utiles sur d’autres problématiques ?

Ces ateliers de co-création vont s’élaborer sur la base d’un travail de repérage et d’identification des problématiques en amont, avant de se retrouver tous ensemble physiquement 2-3 jours consécutifs. On pense à des formats immersifs de développement type hackathon pour trouver des solutions ensemble, en faisant intervenir des établissements médico-sociaux, des ergothérapeutes, le réseau des entreprises adaptées pour se questionner autour du handicap et de l’adaptabilité, etc. On envisagerait trois ateliers de co-création sur les trois ex-régions (Limousin, Poitou-Charentes, Aquitaine).

Le projet a déjà démarré, à 9 mois, il vise l’analyse de l’émergence de la filière fablabs et son potentiel de transformation à l’échelle régionale, quelles sont vos hypothèses aujourd’hui ?

Nous avons deux laboratoires de recherche landais qui nous ont rejoints : le laboratoire transdisciplinaire APESA composé d’un économiste spécialisé en économie de la soutenabilité, une chercheuse en géographie humaine, un chercheur en processus d’organisations et un ethnologue ainsi que la plate-forme R&D Canoe. L’idée est de caractériser ce mouvement en terme de sociologie, de composition et d’identifier les leviers de motivation qui ont permis cet élan collectif, et voir dans quelles mesures plus tard, comment continuer sans dénaturer la motivation originelle et améliorer les configurations des réalisations.

Plus globalement, nous allons interroger toutes les difficultés que cela a pu représenter pour les collectifs au niveau réglementaire, juridique, certification… Cette complexité – à savoir si on a bien fait ? Si on ne va pas être attaqué ? – ça interroge beaucoup sur le rôle de la fabrication citoyenne. Est-ce que l’on est toujours sur des solutions de réparation ou est-ce que l’on intègre davantage ces modes de production demain ? Comment prendre en compte ou contourner les difficultés que nous avons pu identifier ?

Dans une logique prospective, si on pense relocalisation de la production, est-ce que le travail de chaîne est absolument nécessaire ou, au contraire, est-ce que l’on ne peut pas se réinventer ? Les fablabs ont beaucoup revendiqué que ce n’était pas leur vocation de produire toute l’année des masques et des visières, qu’ils avaient été là en phase d’urgence, de prototypage, de recherche et développement et c’est cela qui les intéressaient. Pourquoi ne pas passer la main sur des chantiers d’insertion ou des entreprises adaptées ?

Encourager les fablabs à transmettre davantage ces compétences techniques, électroniques, ces savoir-faire artisanaux, à une majorité de gens dans une logique d’émancipation et de capabilité ? Est-ce que cela veut dire remodéliser l’industrie en privilégiant des petites unités de production aux grosses industries ? Il y a plein d’hypothèses et surtout il y a plein de projections sur les fablabs. Nous devons réussir à nous positionner, que les lieux puissent trouver leurs propres mots. Il n’y a pas une identité propre à tout ce réseau, il y a des identités et il faut arriver à les exprimer, à les prendre en compte pour la suite.

Remerciement aux tiers-lieux et fablabs mobilisés dans la production de visières en Nouvelle-Aquitaine. Photo: © La coopérative Tiers-Lieux

En initiant HomeMade, c’est à la fois inspirant pour les makers, les fablabs, le milieu médico-social, et c’est aussi un signal fort envoyé aux décideurs publics en donnant l’exemple d’un projet co-construit qui hybride des modèles d’organisation à la fois dominants et émergents … quel message souhaitez-vous adresser aux uns et aux autres ?

Nous sommes au début de la crise, c’est important de pouvoir repérer par la suite les signaux faibles et reconnaître les élans de solidarité pour préserver la cohésion sociale. Donc mon message serait de prendre soin de mettre de nouvelles lunettes et regarder ce qui se passe sur son territoire. Ce n’est pas parce c’est isolé et très petit que ça n’a pas de valeur. Finalement les tiers-lieux transforment la façon dont nous pouvons penser le travail, la production, la consommation. C’est bien parce que nous sommes plusieurs à le faire de manière hyperlocale qu’à un moment donné ça infuse profondément. C’est quand l’infusion démarre que le potentiel de transformation des tiers-lieux se révèle.

Catherine Lenoble
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur La coopérative Tiers-lieux.

à l’abordage de la Covid-19 en Guadeloupe

Le Fablab de Jarry, premier hackerspace des Antilles situé en Guadeloupe, dans les DOM, existe depuis 2013. Il fonctionne avec ses fonds propres. Capt’n Kurt, fab-manager bénévole raconte l’expérience du Fablab de Larry : « Personne ne donne son prénom ou son nom chez nous, et la légende raconte que le Capt’n Kurt n’a pas d’âge ! ». Le Fablab de Jarry s’est engagé dès le début du confinement dans la fabrication d’un respirateur open source, puis dans le matériel pour protéger les personnels soignants et exposés. Entretien avec Capt’n Kurt.

Le bus pirate du Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Quel type matériel avez-vous produit ? Qu’est-ce qui vous a encouragé à entreprendre cette action ? Et à vous engager dans cette action ?

On prône l’autogestion et autosuffisance, un peu à la manière de vrais « Pirates des Caraïbes, version technologie » et une vingtaine de personnes sont sur le pont de manière quotidienne. Nous sommes une quarantaine de personnes. Nous étions dans les premiers à avoir travaillé sur du matériel Covid, avant même le confinement. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles idées d’innovation. On essaie d’être à l’affût de ce qu’il se passe et d’anticiper les besoins de demain. On a tout de suite commencé à se dire « qu’est-ce qu’on pourrait faire pour aider ».

Ce qui nous intéresse le plus c’est la technique : on a tout de suite commencé à dessiner et à créer un respirateur d’urgence, présenté finalement au CHU de Point-à-Pitre. Ensuite on a aussi suivi le mouvement et on est devenu point central pour les Antilles (voir sur Facebook) en structurant le mouvement makers ici en Guadeloupe, mais aussi en Martinique et en Guyane. Nous avons aussi conçu et réalisé des visières et grabbers imprimées et découpées sur nos machines et mis en relation les couturières locales avec des fournisseurs de matière première.

Eléments du respirateur prototype conçu par le Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Avez-vous donné ou vendu votre matériel ?

On a commencé par équiper les soignants gratuitement. Une personne de l’île a monté une cagnotte Leetchi en proposant 8000 € pour faire des visières, mais on a refusé, car ce n’est pas dans les habitudes des pirates de prendre aux pauvres pour donner aux pauvres. C’est une entreprise de l’île qui avait une machine de découpe numérique qui a récupéré la cagnotte au final.

Nous, on a fait nos visières gratuitement, mais on n’avait pas du stock infini, et on a été confronté au manque de matières premières. On a alors vendu des visières aux communes et cet argent a permis de continuer à distribuer des visières gratuitement aux soignants. Le fablab n’a pas vocation à faire du commerce, et nous avons donc redirigé les demandes d’entreprises privées vers un partenaire qui possède une société capable de leur fabriquer nos modèles de visières. Cette société donne maintenant au lab du temps-machine en échange.

Visières construites au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Comment avez-vous pris contact avec les entités locales (entreprises, commerces, hôpitaux) si vous l’avez fait ?

Nous avons reçu une demande du CHU pour savoir s’il était possible d’imprimer des valves Charlotte et on leur en a imprimé différents modèles. On a produit des prototypes, mais il n’y a pas eu d’utilisation ici en Guadeloupe puisque la pandémie n’a pas été aussi forte que ce qui était prévu. On s’était organisés pour être prêts à imprimer les valves Charlotte. On avait prévu que le plastique d’impression pourrait nous servir à autre chose que des visières et ces dernières on a dès le début préféré les découper dans du plexiglas. Il nous restait donc de quoi imprimer et on a même songé à travailler avec du plastique de récupération !

Comment vous êtes-vous organisés pour trouver les bons designs ?

On a tenu à faire nos propres modèles, car on a une contrainte supplémentaire par rapport à d’autres makers – on a une expérience différente, habitué à anticiper le moment où il y aurait une crise de matières premières (car on connaît bien ici), donc on a essayé de faire nos designs avec des modèles qui ne consommaient pas trop de plastique. Ça nous a permis d’obtenir de gros gains sur l’optimisation de matières. Dans une plaque de 2 m², on découpe 100 visières. Ça nous a sauvé la mise, car il y a une pénurie de plexiglas totale en Guadeloupe et l’approvisionnement prend de 2 à 3 semaines. Au pire, on sait où trouver en masse du plexiglas de récupération.

Exemple de matériel conçu au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Qu’est-ce que vous a appris cette expérience ?

Cette expérience est en droite ligne avec l’idée de ce qui m’a motivé à fonder le hackerspace des Antilles au départ – faire un bus « pirate » de technophiles passionnés, sans intérêt économique.

Il y a encore beaucoup de choses à faire pour changer le monde, mais cette histoire à permis d’apercevoir des alternatives. Dans une telle situation, on aurait du faire des hackathons intensifs pour répondre aux appels à projet organisés par le Ministère de la Défense, et trouver des solutions face à l’extrême urgence.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

L’organisation était rendue difficile du fait du confinement : chaque membre produisait des visières chez lui et un des membres avait une autorisation pour aller les chercher. Pour le respirateur, un des membres est dans la maintenance industrielle. Ce qui a aidé. Nous avons vu sur internet qu’une société avait modifié des appareils d’assistance contre l’apnée du sommeil pour en faire des respirateurs d’urgence.

Nous avons pris contact, et on a réussi à obtenir les informations techniques qui ont permis de présenter ce projet à l’hôpital de Pointe à Pitre. Oubliant les problèmes d’homologation, de responsabilité, etc. Ce respirateur a finalement été présenté aux urgentistes locaux, mais il était hors de question de le brancher sur quelqu’un. Notre but premier c’était le côté pédagogique de la chose et de montrer qu’en étant à 8000 km, sans moyens, on arrive à faire de grandes choses.

Etude pour un prototypage de respirateur au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

Quelles actions à faire demain pour les makers ?

Pour le mouvement maker, on a été très bon sur nos fonds propres, alors imaginez ce que ce serait demain avec des vrais moyens ? Sans aller jusqu’à avoir un ministre des makers au gouvernement, il suffirait peut-être que « l’esprit maker » soit adopté par nos politiques pour qu’on arrête de penser qu’ils ne servent à rien.

Quelles valeurs ? Pour quelle société demain ?

Revendiquer le statut de pirates des Caraïbes ! Penser différemment, et agir ! Dans un fablab, on doit oser, on doit faire des choses ! Prise de conscience globale, maintenant !

Myriam Hammad
publié en partenariat avec Makery.info

En savoir plus sur le Fablab de Jarry.