Radiant : un univers phosphorescent

Des faisceaux laser blancs qui tournent et laissent des traces qui s’estompent lentement sur un panneau vert phosphorescent : Radiant, la nouvelle installation de HC Gilje sera visible à Stereolux jusqu’au 23 juin. Cet artiste d’origine norvégienne actuellement basé à Berlin, connu pour ses vidéos expérimentales (Cityscapes), installations lumineuses et lives A/V (notamment avec le collectif 242.pilots) livre ici un dispositif hypnotique à interprétation multiple.

Cette exposition est une première…
En effet, c’est ma première exposition personnelle en France; même si j’ai présenté avant une autre installation, In Transit X, à Marseille en 2017 dans le cadre du festival Chroniques. Auparavant, j’ai aussi fait quelques projections dans différents lieux en France, notamment à la Cinémathèque et au Centre Pompidou suite à mon contact avec l’éditeur vidéo Lowave qui a réalisé mon DVD Cityscapes en 2005.

Quelles vos sources d’inspiration pour Radiant et la manière dont les différents éléments s’articulent ?
J’ai commencé par réfléchir sur l’idée d’extinction, de croissance et de déclin; ainsi que sur la manière dont les plantes se nourrissent de la lumière. Et bien sûr, sur le laser dont la lumière est plus intense que les rayons du soleil et les pigments phosphorescents, ces matières naturelles qui capturent la lumière et la restituent lentement sous forme de lueur verte (à l’époque de Galilée, on appelait ça des éponges solaires). Radiant s’articule aussi autour de la question du temps et de la vitesse avec les éclairs intenses du laser qui contrastent avec la lente dissolution de leurs traces sur la matière phosphorescente. Il se passe des choses intéressantes dans cette superposition de traces, dans ces dessins où l’on peut voir les empreintes de multiples passages mêlées à d’autres, plus récents. Cela matérialise aussi différentes échelles de temps, de durées selon la terminologie de Bergson, qui coexistent à la surface du panneau.

Comment cet aspect de l’installation sera perçu ?
Pour le public, je pense que cela fonctionnera aussi de multiples façons, à différentes échelles (macro et micro). On peut aussi bien se projeter à l’échelle de l’univers ou subatomique.

Dans leur conception, vos installations sont imaginées comme des « conversations dans et avec l’espace ». Est-ce que Radiant fonctionne sur le même principe ?
Habituellement, je commence avec l’exploration de l’endroit où je vais concevoir une installation. Je prends le temps de l’explorer, je viens avec tout mon matériel, je teste et j’improvise systématiquement en cherchant à amplifier et transformer l’endroit. Pour Radiant, c’est différent. À l’inverse, j’ai fabriqué un grand panneau carré pour le light painting avant, sans vraiment penser à l’espace dans lequel il allait prendre place. Ce panneau pour Stéréolux fait 3,6 mètres de côtés. Mais de toute façon, une installation est transformée par le lieu dans lequel elle est présentée, et inversement elle a le pouvoir de transformer l’espace dans lequel elle est proposée. Évidemment cela diffère selon qu’elle est présentée dans environnement assez brut, comme au Kraftwerk durant le festival Berlin Atonal, ou dans un espace plus sophistiqué, comme un mur circulaire de projection lors d’une manifestation artistique en Norvège. Sinon, le faisceau laser blanc étant assez intense, les ombres qui en résultent et le rendu dans l’espace sont relativement similaires à celles de mes autres installations lumineuses.

Pour l’inauguration de l’exposition, la présentation de Radiant sera suivie d’une performance : comment s’articulera-t-elle par rapport à cette installation ?
La base matérielle de l’installation et de la performance est plus ou moins la même, c’est la structure qui diffère. La performance doit générer une expérience intense, captivante pour le public, tandis que l’installation est plus méditative. Radiant a été conçu au départ comme une installation qui est à la fois un espace et un état à expérimenter. Et je l’ai toujours pensé comme une boucle temporelle à cause de la superposition des traits de lumière qui créent constamment de nouvelles images. Le temps d’une performance live n’étant pas circulaire, cela change radicalement l’expérience que l’on en fait. D’autant qu’un live set est plus une expérience commune, publique, tandis qu’une installation s’éprouve plutôt seul ou avec peu de personnes. Et bien sûr, le live set implique une bande-son créée en temps réel. Pour Radiant, j’utilise le son mécanique que produisent les miroirs laser. Le son est amplifié et diffusé sur des haut-parleurs, mais aussi enregistré et réinterprété pour créer nouveaux sons (simultanément aux visuels). En fait, pour cette performance à Stéréolux, ce sera la première fois où j’utiliserai ce processus sonore. Pratiquement toutes mes autres lives A/V sont différents puisque ce sont des collaborations et improvisations avec d’autres musiciens ou artistes visuels, alors que Radiant Live est une performance très contrôlée, avec une structure fixe et un espace donné pour développer des variations.

Quelques mots sur vos autres projets…
J’ai récemment créé une installation lumineuse dans un cadre spécifique, en l’occurrence quatre pièces interconnectées à l’intérieur d’une galerie. Cette création s’intitule Red White Black et consiste en deux rangées de LEDS qui suivent les contours des pièces et des portes. L’une émet des pulsations de lumières blanches dans une direction, l’autre de la lumière rouge en direction opposée. C’est très simple, mais cela crée une dynamique dans le lieu, un jeu d’ouverture et de fermeture, de révélation et de dissimulation, l’espace s’étend, se contracte, se tord et s’effondre. Probablement une de mes créations favorites ! Sinon, une pièce très différente, mais qui a été la plus montrée ces dernières années : Barents (mare incognitum). Une installation vidéo avec des vues de la mer de Barent qui tournent lentement. Cela a été filmé à la frontière de la Norvège et de la Russie avec une caméra que j’ai bricolée et pointé vers le Pôle Nord. C’est un de mes nombreux travaux liés à mon engagement dans la série de projets Dark Ecology initiés par Hilde Mehti et Sonic Acts dans la zone frontalière russo-norvégienne. Mon film Rift provient également de cette initiative. Il combine ma passion pour le réalisateur expérimental Len Lye et ma préoccupation envers la longue durée de vie du plastique. Il faisait partie du programme Vertical Cinema qui proposait des films expérimentaux en 35mm projetés verticalement. Speiling est le dernier de cette série de réalisations. Une forme organique colorée est projetée sur un parterre réfléchissant, créant ainsi un espace dynamique lumineux. Actuellement, je travaille sur deux projets assez différents : une installation dans une cavité stalactique d’une vieille forteresse qui sera présentée en août et une série d’installations, prévues pour l’année prochaine dans un espace « normal », où je me donne comme chalenge de travailler à la fois avec la lumière, le son et le mouvement.

propos recueillis par Laurent Diouf

Photos: D.R.

HC Gilje, Radiant, installation du 02 au 23 juin 2019, Stereolux, Nantes.
https://www.stereolux.org/agenda/hc-gilje-radiant
http://hcgilje.com/

TIME MACHINE : la tentation de Venise

Pia MYrvoLD est de retour à Venise dans le cadre du Off de la Biennale qui, d’édition en édition, s’affirme comme place forte d’un marché de l’art où la création numérique et les nouveaux médias ont désormais pleinement droit de cité. Son exposition TIME MACHINE s’inscrit dans le cadre de Take Care Of Your Garden une série de manifestations initiées par le GAD (Giudecca Art District).

Pia MYrvoLD, Performance Time Machine. Photo: D.R.

Près de 8 ans après avoir été une des première à avoir présenté une œuvre multimédia à la biennale de Venise (cf. Flow – work in motion), Pia MYrvoLD propose une nouvelle version de ses installations luminueuses baptisées #LightHackSculptures. Chaque sculpture, conçue en partie avec des matériaux de récupération, est unique et trouve sa forme définitive selon la configuration du lieu où elle est installée.

Imposants, ces totems enchevêtrés et luminescents prendront place dans les murs de la Fabbrica H3 di SerenDPT. L’ossature de ces sculptures est simple, une échelle ou un élément d’échafaudage. C’est la base d’un assemblage sur lequel se greffe un entrelac de cables et quelques réflecteurs, des parapluies photo, parfois des écrans qui affichent des stris pixélisés et surtout des boîtiers de couleurs vives. La lumière jailli de nombreuses sources (spots, fibres, etc.), transformant ces installations en phare pour aliens…

L’espace, la lumière et, bien sûr, le temps. Intitulée TIME MACHINE, cette exposition ne fait pas référence à une machine à voyager dans le temps, mais plutôt à une machine à produire le temps. Un temps digital, découpé, multiplié, sériel. Mais aussi espace « hors temps », en opposition à l’injonction temporelle permanente auquelle nous soumet notre société numérisée. Les #LightHackSculptures de Pia MYrvoLD se perçoivent sous plusieurs dimensions et sont une invitation à reconsidérer notre rapport aux multiples gadgets chronophages qui nous entourent. Deux performances accompagneront cette exposition.

Pia MYrvoLD, Performance Time Machine. Photo: D.R.

La première, Extended Reality, renouvelle le questionnement sur la réalité virtuelle que Pia MYrvoLD a déjà beaucoup explorer au travers d’œuvres interactives sur écran et en 3D (Art Avatar, Métamorphoses du Virtuel, Transforming Venus). Naviguant autour de l’installation, une danseuse vêtue d’une combinaison aux motifs ésotériques — et au visage caché par un masque aux ramifications lumineuses (élément que l’on retrouve sur les sculptures) — se déplace avec des mouvements incertains, comme si elle évoluait dans un univers virtuel ou dans les limbes de visions générées par notre troisième œil… L’idée étant aussi de réintroduire de l’humain et la magie dans la boucle. De réenchanter le monde.

La deuxième performance, The Sumerians on Holiday, nous entraîne encore plus loin. Dans le passé de Pia MYvorLD d’une part, puisqu’elle renoue ici avec ses premières interventions dans le monde de la mode, à l’orée des années 90s, en concevant des vêtements hybrides qui font appel aux nouvelles technologies au-delà de leur conception. Dans le passé de l’humanité d’autre part, puisque ce mélange de technologies futuristes et de savoirs anciens cristallisés dans ces vêtements hybrides fait écho à la civilisation sumérienne, matrice de l’écriture. Aux mythes que cette civilisation disparue suscite, dont les derniers signes énigmatiques peuvent être réinterprétés à l’aune de la théorie des anciens astronautes…

Laurent Diouf

Pia MYrvoLD, TIME MACHINE, du 7 au 30 mai 2019, Fabbrica H3 di SerenDPT (ex Chiesa SS Cosma e Damiano), Vaparetto: Palanca Guiedecca, Venise.