Human Future

La 10ème édition des Bains Numériques, la biennale internationale des arts numériques d’Enghien-les-Bains, se déroulera du 14 au 17 juin sous la bannière Human Future. Une thématique qui amène à réfléchir sur l’homme dans l’urbanité de demain.

Au programme des parcours, installations, expositions, performances, laboratoires, ateliers et concerts qui mêleront art, sciences et société. Avec comme point d’ancrage le Centre des Arts d’Enghein, les Bains Numériques investiront plusieurs lieux et espaces publics. Le ton sera donné dès l’ouverture avec IA, une chanteuse virtuelle matérialisée sous forme holographique qui donnera un live (Aria) où se conjuguent mapping et interaction en temps réel.

Yoichiro Kawaguchi y présentera son univers des formes, fluctuant et chatoyant, comme une plongée subaquatique. On retrouvera à ses côtés des artistes comme Miguel Chevalier (Extra Natural, un jardin virtuel multicolore et luminescent), Eduardo Kac (Télescope intérieur, un œuvre kaléidoscopique conçut en collaboration avec l’astronaute Thomas Pasquet pour son séjour à bord de l’ISS).

Bill Vorn sera également présent avec ses Hysterical Machines, de même que Stelarc, autre pionnier de l’art robotique qui se met en scène avec des prothèses et exosquelettes. On y verra également un dialogue chorégraphique entre une danseuse et un petit robot (Cie Shoenen / Eric Minh Cuong Castaing, Lesson of moon).

Dans un autre genre, impossible d’aborder cette problématique du corps à l’aune futuriste dans croiser ORLAN qui lance une pétition contre la mort (que les transhumanistes rêvent de repousser, si ce n’est d’abolir…). En prime, le 3e volet des aventures de son avatar Bump-Load dans une scénographie très jeu vidéo.

Parmi les autres artistes présents, mentionnons aussi Vitalic (pour un set sur la scène flottante du lac), Maurice Benayoun (Emotion forecast), Catherine Ikam & Louis Fléri (avec deux portraits composés de nuages de points qui s’assemblent et se désassemblent), Philippe Boisnard (une expérience poétique, graphique et philosophique), N+N Corsino (deux navigations chorégraphiques interactives).

Enfin, au cœur de la biennale, une compétition internationale. Un concours avec remise de prix (format bien dans l’air du temps…) dont l’objectif affiché est de révéler, soutenir et accompagner des projets artistiques situés à la marge des disciplines traditionnelles avec une sélection d’installations et de performances autour de trois catégories : arts visuels, human future et arts vivants.

Laurent Diouf

> Bains Numériques, entièrement gratuit
> du 14 au 17 juin, Enghien-les-Bains
> www.bainsnumeriques.fr

bains numériques 2018

Économies solidaires et innovantes

Dans le cadre de ce MOOC, Dominique Moulon reçoit Elisa Yavchitz, directrice des Canaux (Maison des économies solidaires et innovantes) qui commencera par décrire ce que recouvre ces types les économies sociales et solidaires.

Ces deux termes, définis dans la loi, sont constitués d’entrepreneurs, d’associations, de fondations, de structures juridiques qui ont décidé d’avoir d’une part une activité économique mais également d’avoir une gouvernance participative : le but premier n’est donc plus la recherche lucrative, mais bien d’avoir un impact positif sur l’environnement, sur la société.
Dans ce contexte, il s’agira de voir comment certains entrepreneurs réfléchissent autrement à leurs produits et aux services qu’ils apportent. En outre, si les fonds d’investissement ne riment traditionnellement pas avec les champs du social, Elisa Yavchitz montrera que cette économie, moins dépendante de la finance internationale, est robuste et créatrice d’emplois (plus stables, plus égalitaires- depuis les années 2000).
Très proche du citoyen, de l’usage local ; (comme en témoigne le secteur des transports tels que Vélib et Autolib) cette nouvelle manière de penser nous fait passer d’une économie de la propriété à une économie de la fonctionnalité et du partage de biens. Confrontés dans les grandes villes à des problèmes sociaux, de disparité, de situations complexes il est par ailleurs important de créer du lien social, de retrouver autour de soi du sens, de réfléchir au lien entre les gens.

Un cours animé par Dominique Moulon pour le Mooc Digital Media de l’École Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques de la Ville de Paris.
Réalisé à la Maison des Canaux. Co-produit par MCD. Avril 2018.
> http://moocdigitalmedia.paris/cours/economies-solidaires-et-innovantes/

(for the street)

L’artiste Axel Stockburger a installé en plein centre-ville de Vienne, en Autriche, une sculpture monumentale crachant des pièces d’un euro sur un mode aléatoire, de fin juin à mi-octobre 2014. Quantitative easing (for the street) souligne par l’absurde le changement d’échelle de la crise globalisée, symbole d’une crise de l’abondance plutôt que de la rareté.

Si John Maynard Keynes et Friedrich August Hayek (fréquemment associés aux antipodes de l’économie moderne) étaient d’accord sur une chose, c’est que le manque de confiance a un effet déstabilisateur. En conséquence, si cet indice de confiance, comme dans la crise financière de ces dernières années, est placé sous les projecteurs (précisément parce qu’une telle perte s’est produite), le pouvoir des relations sociales dépasse les paramètres économiques : le manque de confiance assèche le climat des relations du commerce capitaliste.

L’intervention de l’artiste Axel Stockburger dans l’espace public attire notre attention sur cette situation, en faisant allusion au changement de climat de l’économie mondiale où la crise actuelle n’est pas, comme on pourrait le croire, caractérisée par la rareté, mais plutôt par l’abondance.

Collecte et redistribution par et pour tous
L’artiste agrémente le boulevard Graben, à Vienne, d’un objet sculptural dont la valeur réelle intrinsèque est révélée aux passants par sa qualité performative : du 27 mai à la mi-octobre 2014, un totem apparemment plaqué or a expulsé de l’argent de façon aléatoire sous forme de pièces d’un euro dans l’un des endroits les plus affluents de Vienne. Le flux horizontal de personnes s’accompagnait d’un flux généré au hasard pour la durée de l’intervention, qui représentait aussi une invitation à participer. Quantitative Easing (for the street) n’exclut personne. Au contraire, l’œuvre permet aux participants de collecter les pièces et de les redistribuer sans discrimination à des flâneurs, des touristes, des acheteurs, des gens d’affaires, des mendiants, des passants au hasard ou des résidents.

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street)

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street), 2014. Temporary Installation, Plated Metal, Random Euro Coin Dispenser, Graben, Vienna. Photo ©: Iris Ranzinger.

Cette pièce aborde l’impermanence, la volatilité et l’inégalité intrinsèques à un système de valeurs défini par l’économie, sur l’artère principale de Vienne traditionnellement dédiée à la promenade et au shoping (1). Quantitative Easing (for the street) s’inscrit dans une longue tradition d’engagement des artistes en réaction à des phénomènes sociaux associés à la domination économique et sa manifestation physique, l’argent.

Fiction, art et économie
Comme dans ses travaux précédents, où l’artiste autrichien explorait les médias contemporains tels le film, les jeux vidéo ou l’informatique et leurs conventions gestuelles, matérielles et linguistiques, Stockburger s’intéresse aux fictions sociales, qui dans ce cas sont générées à la fois par l’économie et par l’art. Les deux doivent leur existence à des conventions et sont sujets à changement. Ces phénomènes régissent notre vision du monde, précisément parce qu’il s’agit de constructions de l’esprit.

Dans ce sens, le projet de grande envergure construit par Stockburger sur le boulevard Graben fait à la fois référence à l’importance culturelle et à la valeur économique de l’or. Cette valeur résulte, entre autres, de la capacité de l’or à « rester en vie » après la mort, à la fois comme moyen de maintien de la valeur et comme matière première des arts. L’or conserve les réussites de toute une vie qu’il rend disponible aux générations suivantes. L’or a été et reste également, au-delà de sa signification cultuelle, la matière première de la manifestation physique de l’économie et de l’art, de sorte que ces deux fonctions sont souvent indissociables.

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street)

Axel Stockburger, Quantitative Easing (for the street), 2014. Temporary Installation, Plated Metal, Random Euro Coin Dispenser, Graben, Vienna. Photo ©: Iris Ranzinger.

Toutefois, ce qui tombe vraiment de ce réservoir fictif des systèmes historiques de valeur créé par Stockburger (à savoir de l’argent sous forme de pièces en euro) est, à l’heure actuelle, soumis à une volatilité sans bornes, au regard des changements de valeur mesurés en millisecondes plutôt qu’en générations, voire en siècles. La réalité de l’argent est donc à double tranchant : d’une part, c’est « la nourriture » des relations sociales d’échange, d’autre part, il représente les prix virtuels, c’est-à-dire fictifs, fixés sur les marchés financiers, à un niveau inimaginable et à des vitesses incroyables.

Les fictions, économiques ou artistiques, sont fragiles et spéculatives. Alors que l’art utilise l’existence dans le présent pour refléter l’apparence de la réalité, les marchés financiers produisent des apparences sensées être appréhendées comme des réalités futures pour empêcher l’effondrement du château de cartes érigé par la spéculation et l’investissement. Ce que nous appelons la « crise économique » se produit dans une réalité où ce « monde » contingent périt dans l’abîme des mesures d’austérité.

Le projet de Stockburger entre en scène suite aux événements qui définissent notre monde globalisé actuel. Il se place là où une nouvelle fiction (celle d’un soi-disant « assouplissement quantitatif ») reconstruit ce monde, à présent conçu en termes purement économiques. En ce sens, Quantitative Easing (for the street) est une interaction artistique dotée d’un système politique et financier destiné à sauver un « monde » déjà effondré.

Quelle sera la conséquence sur la réalité sociale qui en découle ? Dans quelle mesure les fictions de l’argent et de l’art parviendront-elles à créer des mondes ? En quoi ou en qui pouvons-nous avoir confiance ? Voici les questions que Stockburger se pose et pose aussi à tous ceux qui se bousculent le long du boulevard Graben.

Gerald Nestler
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Gerald Nestler s’appuie sur la performance, la vidéo, l’installation, la parole et le texte pour questionner les méthodologies, les récits et fictions relatifs à la finance et leur rôle dans la biopolitique actuelle. www.geraldnestler.net

(1) Un projet réalisé à l’invitation des commissaires Muntean/Rosenblum pour KÖR (Kunst im Öffentlichen Raum) à Vienne

Info: www.stockburger.at/qe

Image : émergences et immersions

Dans le cadre de ce Mooc, Dominique Moulon reçoit Andrea Pinotti, professeur d’Esthétique, de théorie de la représentation et de l’image à l’Université de Milan.

Dès les grottes ornées, l’Homme manifeste un fort désir de s’immerger dans un ailleurs, un imaginaire à travers la représentation de son environnement. Il s’agira, dans ce contexte, de voir comment les casques de réalité virtuelle sont issus de cette longue lignée de recherche sur l’immersion.
Par ailleurs, en quoi le film des Frères Lumières, Arrivée en gare de La Ciotat, intéresse-t-il le chercheur vis-à-vis de son rapport à l’écran ? Comment les différents médiums, qu’il s’agisse de la peinture ou encore du cinéma, ont-ils joué sur les relations entre espace iconique et espace réel ?
En outre, Andrea Pinotti se réfèrera à différents exemples cinématographiques afin de montrer de quelle manière les cinéastes jouent-ils avec le seuil de l’image en mouvement en procédant à des méthodes telle que la stéréoscopie.

Un cours animé par Dominique Moulon pour le Mooc Digital Media de l’École Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques de la Ville de Paris.
Réalisé à l’Institut d’Études Avancées de Paris (IEA), Hôtel de Lauzun. Co-produit par MCD. Mars 2018.
> http://moocdigitalmedia.paris/cours/image-emergences-et-immersions/

Attention au contresens… Contrairement à ce que l’on pourrait penser, au travers de son ouvrage L’art au-delà du digital, Dominique Moulon ne propose pas une lecture de l’art « post-digital ». Il est de toute façon encore trop tôt pour se livrer à une telle prospective. Par contre, il s’agit de changer de regard sur l’art à l’ère du numérique, de s’affranchir du prisme technologique pour remettre en perspective des pratiques artistiques qui s’enracinent effectivement bien au-delà du digital. Faire en sorte que la technique ne masque pas l’horizon historique sur lequel s’inscrivent les œuvres.

Un premier constat s’impose, le digital est partout et l’art numérique a déjà une histoire, est déjà dans l’histoire… Bien que loin d’être achevée, la révolution informatique remodèle notre quotidien depuis trois bonnes décennies. Nous baignons dans un monde qui est de plus en plus sous l’emprise des nouvelles technologies. C’est une « donnée immédiate » partagée par le plus grand nombre. De fait, sur ce plan, le temps de la pédagogie est fini. La démocratisation des outils, médias et médiums numériques dessine notre présent. L’avenir appartient déjà aux digital natives.

Même si elles exercent toujours un pouvoir de fascination, les nouvelles technologies ont vu leur « magie » un peu s’estomper comparé au temps désormais héroïque du surgissement de l’informatique. Il est donc temps de s’intéresser aux œuvres sans se focaliser sur leur « coefficient du numérique ». De considérer les pratiques et créations artistiques actuelles en mettant entre parenthèses leur aspect purement technique, pour mieux restituer le lien, la « continuité » qui les rattache aux œuvres anté-numériques. Par ailleurs, le fait qu’une œuvre soit impossible à réaliser avant l’ère numérique n’en fait pas pour autant une œuvre intrinsèquement numérique…

Les changements de perception et d’utilisation de certaines techniques s’avèrent parlants sur ce point. Ainsi, pour le net art — symbole par excellence à son émergence, au milieu des années 90s, de « l’art du numérique » — et les pratiques qui s’y rattachent encore, Internet a vu son statut de « médium » se dissoudre au fil de la banalisation des équipements publics (ADSL, téléphone portable, etc.) pour devenir une « source » et/ou un matériau parmi d’autres. En tant que générateur d’images et de données quasi infini, Internet est désormais utilisé par beaucoup d’artistes qui ne s’inscrivent plus nécessairement dans le « net-art », mais en utilisant les flux ou la géolocalisation, ils forgent une « version 2.0 » de pratiques antérieures comme le land-art par exemple.

Jan Robert Leegte, BlueMonochrome.com, 2008. Photo: D.R.

C’est en cela que l’on peut parler réellement d’art post-digital : d’une part parce que les pratiques artistiques de l’ère numérique ne surgissent pas ex nihilo, ensuite parce que leur dimension technologique ne saurait seule en constituer l’épaisseur esthétique, enfin (surtout) parce qu’elles renouvellent des démarches et des courants pré-existants.

Le numérique permet ainsi de développer d’autres propositions, d’autres déclinaisons artistiques, en s’installant un peu comme un coucou dans le creuset d’un média. Ainsi le cinéma s’affranchit du « cinéma » sous l’impulsion des nouvelles technologies — un « mouvement » antérieur au digital qui commence aussi avec l’arrivée de nouvelles caméras — et rejoint ainsi l’art expérimental (found-footage, installation vidéo, etc.).

Mais la parenté de l’art numérique avec des courants artistiques antérieurs (dadaïsme, surréalisme, futurisme…) est surtout une évidence pour des œuvres faisant appel à des pratiques de détournement, de collage, de récupération, d’appropriation, de décontextualisation. Les technologies numériques favorisent ce type de déplacement. Il en est de même pour l’utilisation du mouvement, de la lumière et de l’interaction, décuplés par l’arrivée des capteurs, qui acte une continuité avec l’art cinétique notamment.

Antoine Schmitt, Pixel noir, 2010. Photo: D.R.

Plus en historien qu’en théoricien, presque en curateur, Dominique Moulon (enseignant, journaliste et commissaire d’expositions) se livre à un formidable inventaire qui rassemble une multitude d’œuvres présentées dans les contextes de leurs monstrations, pour mieux les analyser, les comprendre, les mettre en relation, les assembler sans tenir compte de leurs proximités formelles…

Ce « Mécano du digital » permet aussi de mettre en exergue cette continuité qui relie Antoine Schmitt (Pixel noir, 2010) à Malevitch (Carré noir sur fond blanc, 1915), Pablo Garcia & Addie Wagenknecht (Webcam Venus, 2012) à Edgar Degas (Femme se peignant, 1884-1886), Jan Robert Leegte (BlueMonochrome.com, 2008) à Yves Klein (Monochrome bleu (IKB 3), 1960), Caroline Delieutraz (Deux visions, 2012) à Raymond Depardon (La France, 2004-2010)…

Une mise en perspective qui permet aussi de relativiser la dimension disruptive des œuvres numériques en les replaçant dans l’histoire de l’art, tout en confirmant le rôle des artistes : ils témoignent et agissent comme des révélateurs, au sens photographique du terme. Ils mettent en exergue les angles morts, les limites et dangers de cette « numérisation du monde ». De manière assez simple finalement, puisque les technologies qu’ils exploitent à des fins artistiques sont porteuses, dès leur origine, des dérives de leur devenir… Paradoxalement, c’est peut-être la seule vraie « raison d’être » de la technologie au cœur d’une configuration artistique. Il n’y a que dans le monde de l’art où les machines sont inutiles, en apparence…

Laurent Diouf

Dominique Moulon, L’art au-delà du digital (Nouvelles éditions Scala, 2018)