Retour à la maison pour le festival Présences électronique qui s’était exilé ces dernières années, suite aux travaux de rénovation des locaux de Radio France. L’édition 2018 de cet événement initié par l’INA/GRM quitte donc le CentQuatre pour revenir au Studio… 104 !!!

L’acousmonium, ce fameux « orchestre de haut-parleurs » sur lequel sont diffusés les concerts avec un son spatialisé, retrouve ainsi son écrin d’origine. L’esprit de la programmation reste le même : faire partager l’affiche à des musiciens férus d’expérimentations sonores; que ceux-ci soient issus de l’électroacoustique ou de la scène l’électronique.

Se succèderont ainsi durant trois soirées, du 23 au 25 mars, des musiciens aux parcours multiples, aux techniques et ambiances contrastées. Avec en ouverture, un hommage à Pierre Henry (qui nous a quitté début juillet 2017) au travers d’une courte pièce (4’17 ») intitulée « Spirale ». Un essai de « modulation de fréquence » qui, de son propre aveu, aurait pu être le proto de la musique répétitive…

Autre hommage, celui de Jacob Kirkegaard à l’égard d’Else Marie Pade, compositrice danoise (née en 1924, disparue en 2016), avec qui il avait collaboré il y a quelques années (cf. l’album Svævninger sur Important Records en 2012).

Parmi les artistes à l’honneur cette année, notre attention se focalisera sur John Chantler dont nous connaissons le travail via Room40, le label de Lawrence English dédié à la musique expérimentale. Pour l’occasion, il délivrera une création spécialement composée sur un synthétiseur modulaire du GRM (inspiré de celui construit par François Coupigny, est-il précisé pour les connaisseurs).

On retiendra aussi la présence de Bill Orcutt qui délaissera pour l’occasion ses dérives guitare/noise au profit d’une pièce algorithmique générée via son propre programme open-source, Cracked; également à la source de deux albums bizarroïdes, combinant abstractions électroniques et relents de blues…

Dans cette sphère guitaristique, aux accents saturés et distordus, on retrouvera Stephen O’Malley (Sunn O))), KTL) en compagnie d’Attila Csihar et Oren Ambarchi pour leur projet Gravetemple qui s’annonce comme une performance ritualiste…

On mentionnera également Marc Parazon aka :such:, à la fois ingénieur du son, compositeur et artiste sonore qui « joue » notamment avec de vieux lecteurs K7 et les bruits qui trahissent leur obsolescence et la maltraitance qu’il leur inflige…

Sans oublier Phonophani, personnage éminent de l’ambient abstrait, dans une recherche constante de la pureté du son, et Surgeon, dans son versant ambient-drone sous l’alias Anthony Child.

On signalera enfin le voyage au bout de la folie auquel nous convie The Caretaker (aka V/Vm pour ses dérapages electronic-noise) grâce à une création pour le festival qui reflète son projet en cours, Everywhere at the end of time, où il révèle et illustre la progression de la démence à travers le son.

 

Présences électronique, du 23 au 25 mars, Maison de la Radio / Studio 104
> http://www.maisondelaradio.fr/presences-electronique

 

Opération Phoenix pour le festival Electron… Après quelque temps d’incertitude, ce rendez-vous des cultures électroniques de Genève se métamorphose pour sa 15ème édition. Auparavant concentré sur le week-end de Pâques, le festival se dédouble (19-21 et 26-28 avril) et en profite pour investir d’autres quartiers et lieux de Genève. Et la programmation s’affiche volontairement clubbing, en prenant comme modèle revendiqué la scène berlinoise.

 

Pour autant, l’affiche reste éclectique, mêlant figures totémiques et artistes à découvrir, ainsi que des représentants de la scène locale. Et s’il y a bien de nombreux tenants d’une techno/house très festive, d’autres formations œuvrent de manière plus anguleuse, tissent des rythmiques hypnotiques, développent des ambiances plus sombres. Ce qui nous réjouit.

Pour s’en convaincre définitivement, cédons aux joies du name-dropping : Argonaute, Blacknox (aka Gérôme Nox + Black Sifichi), Cocoon, DBridge, Detroit Swindle, Digitalis, DJ Lilocox, Exos, Floating Points, ItaloJohnson, James Ruskin, Joris Voorn, Joy Orbison, Kevin Saunderson, Laurel Halo, Mark Broom, Mike Huckaby, Mimetic, Monoloc, Pangaea, Prosumer, Rødhåd, Terence Fixmer, Tin Man…

Du passé, le festival Electron a gardé l’idée d’une exposition transversale. Cette année, c’est l’équipe d’Optical Sound, emmenée par Pierre Beloüin qui met en exergue la comédie et les dérives du monde de l’art, tout en montrant en contrepoint d’autres alternatives, d’autres hybridations, au travers de conférences, workshops, danse et performances…

Electron, festival des cultures électroniques de Genève
> du 19-21 + 26-28 avril, Genève (Suisse)
> exposition The Sun Ain’t Gonna Shine Any More, du 5 au 19 avril
> https://www.electronfestival.ch/

WEB, LITTÉRATURE ET LIVRES ÉLECTRONIQUES :
entretien avec François Bon

il n’existe pas de prédicat « ceci est de la littérature »…

À plusieurs reprises dans vos textes, vous soulignez la force de l’écosystème de lecture. En tant qu’éditeur, en quoi l’environnement électronique a-t-il modifié notre rapport à la lecture ?
Je pratique les textes sur format numérique quasiment depuis que j’ai eu un ordinateur, en 1988. Mais c’était un rapport de travail. Avec l’arrivée des premières liseuses (pour moi, une Sony, en 2008), on pouvait lire avec le confort d’un livre des proses continues. Mais l’ergonomie ce n’était pas encore vraiment au point. Désormais, d’un côté parce qu’on sait faire des epubs confortables et stables (rendu à peu près équivalent quel que soit l’appareil de lecture) et parce que ces appareils ont évolué, on peut les oublier. On a ça dans la poche, on n’aurait plus l’idée d’aller acheter un journal ou un livre en papier. L’iPad est devenu le premier compagnon pour la lecture personnelle, mais depuis l’arrivée récente de l’Odyssey, de la Kobo, je me suis remis à lire sur liseuse. Ces appareils sont bien, parce que désormais on les oublie – c’est le livre papier qu’on trouve gênant, quand on est obligé d’en trimballer un, ou qu’on a le réflexe de cliquer sur un mot avec le doigt pour appeler le dictionnaire ou le moteur de recherche.

C’est encore à l’éditeur que je m’adresse. Vous vous opposez vigoureusement aux DRM. Ne craignez-vous pas qu’il risque d’arriver au livre édité numériquement ce qui est arrivé à la musique, à savoir un partage généralisé en accès gratuit via le P2P (ce que l’on appelle ordinairement « le piratage ») ?
Arrêtons avec le verbe « craindre ». Je crains de prendre l’escalier, donc je reste à l’étage. La question n’est pas de craindre le piratage, elle est de continuer à susciter pour la littérature contemporaine une appétence, une exigence. Quand nous employons la notion d’éco-système c’est ici : avec le web, nous rendons possible l’accès à l’atelier, donc à une vaste partie gratuite de nos travaux. Mais nous pouvons, avec le livre numérique – par exemple, pas le seul –, proposer un « service », une commodité d’accès, qui peuvent inclure aussi les annotations partagées, les mises à jour, les œuvres en expansion qui rendent dissuasif ou inutile le peer to peer.

Liseuses électroniques

Liseuses électroniques. Photo: D.R.

Dans le cadre d’une philosophie de l’accès plutôt que de la possession, ne craignez-vous pas que l’accès aux livres – et donc au savoir, à la culture, à l’art – se trouve concentré entre les mains d’entreprises qui sont, quant à elles, bien physiques et qui peuvent disparaître du jour au lendemain, privant ainsi le lecteur d’un accès aux textes ?
On recommence avec le verbe « craindre » : j’ai peur de Nestlé, donc je n’achète pas de lait à mes gosses. Oui, nous affrontons un système de diffusion centralisé, dont la raison d’être n’est pas l’humanisme. C’est pareil aussi pour les marchandes de bagnoles. Mais on peut se dire, au contraire, qu’on les investit, qu’on utilise leurs outils non seulement pour autoriser l’accès à nos travaux, mais qu’on intervient pour leur promotion. C’est à ça qu’on s’emploie, et souvent en dialogue avec eux. Confusion dans la question : la pérennité d’accès n’a rien à voir. Le rôle des bibliothèques, avoir nos propres serveurs en complément ou parallèle de ceux des librairies numériques, même si mon ordi passe sous un camion, ou qu’Apple cesse demain la diffusion de livre numérique, qu’importe.

La garantie ne se trouverait-elle pas du côté des bibliothèques ? Ce qui voudrait dire que la bibliothèque devra, elle aussi, faire sa révolution numérique ?
Pourquoi utiliser le futur ? Heureusement qu’elles n’ont pas attendu l’onde de choc pour penser leur métier de façon numérique. Les tâches de médiation, d’orientation, la notion de service public dans l’accès (quand de grands campus comme Nice, Montpellier ou Strasbourg donnent accès intégral à Publie.net pour chaque étudiant connecté). Si le métier de bibliothécaire c’était seulement de classer, relier et prêter des livres, quel intérêt ?

Je m’adresse maintenant à l’écrivain. Dans un interview datant de 2006 pour Le Magazine Littéraire, vous écriviez : c’est étonnant comme le monde littéraire se défie du Net. Pensez-vous que ce soit toujours vrai ?
Ça me paraît d’évidence, en tout cas si je compare des professions artistiques comme les musiciens, ou des professions scientifiques (hors les facs de Lettres qui sont encore plus à la traîne) : les écrivains de l’imprimé ont largement tendance à ce syndrome de l’ours blanc, resté les griffes plantées dans le glaçon à la dérive, qui fond de toute part. Mais la donne a évidemment changé en 5 ans : les auteurs qui sont apparus, ont commencé de publier depuis lors, sont venus avec leurs usages numériques, leurs blogs, et eux savent très bien que si on veut savoir ce qui se passe, mieux vaut aller voir sur le web.

D’une certaine façon ne pourrait-on pas dire que le net « transpire » chez les écrivains d’aujourd’hui ? Je pense aux affaires récentes de plagiat ; les cas « Hegemann » en Allemagne et « Houellebecq » en France me semblent à ce titre emblématiques ?
Ces questions de plagiat ne sont que des marronniers à journaux en déconfiture. On écrit toujours avec ce qui a déjà été écrit.

Un de vos articles, repris dans votre dernier ouvrage, après le livre, s’intitule (écrire) que les commentaires ne sont pas une écriture du bas. C’est une très belle formule. Pensez-vous que les commentaires sont un enrichissement du texte, qui fait partie intégrante de ce dernier; autrement dit que l’écriture d’un article de blog est plus un processus qu’un acte définitif. Pensez-vous que nous revenons à une forme d’oralité dans l’écriture ?
L’histoire de la littérature, pas seulement la tradition juive (comme le Zohar) a toujours inclus son propre commentaire, ce que Blanchot nommait « l’entretien infini ». La différence, c’est que ce lire/écrire en un seul mot peut désormais se tenir sur le même support, être parfaitement symétrique dans les positions d’ailleurs, et intervenir dès l’amont de la publication, là où c’est le chantier même qu’on publie. On ne change pas l’instance collective de la littérature, là où elle n’est pas incompatible avec la « solitude essentielle » de l’auteur – je pense aux conversations rapportées par Kafka, aux 3000 lettres laissées par Beckett, mais cette instance collective peut sortir de la sphère privée, ne pas avoir à attendre la publication comme hiérarchie.

Liseuses électroniques.

Liseuses électroniques. Photo: D.R.

Je m’adresse enfin à l’éditeur et à l’écrivain. Je commence avec une question qui vous a été posée plusieurs fois, mais je n’y résiste pas : pensez-vous que la notion d’auteur a évolué sous l’influence de l’édition numérique, mais aussi de l’écriture numérique ?
La notion d’auteur, non. La notion d’écrivain, oui : terme inventé au XVIIe siècle, dans le contexte d’une spécialisation de la fonction et de ce qu’elle génère. Puis progressivement constitué dans une valeur fétiche ou symbolique au cours du XIXe siècle, à mesure de la progression marchande de la littérature. Évidemment qu’avec le web on remet les compteurs à zéro.

Je pense maintenant à l’art du mix, à l’appropriation, au partage… Pensez-vous que la notion d’auteur s’est modifiée avec les flux et le web 2.0 ? Autrement dit, ne pensez-vous pas qu’avec le réseau, l’écriture collective est devenue réalité ?
L’écriture collective n’a pas attendu le réseau pour devenir réalité, les exemples fourmillent, à commencer par l’aventure surréaliste. Ce qui est fascinant – et j’en parle plus en spectateur – c’est de voir s’inventer des expériences web qui autorisent des formes très neuves de réalisation collective, et que ce n’est pas du tout incompatible avec l’implication de fond, solitaire, de ceux qui y participent.

Pensez-vous que la littérature hypermédiatique soit de la littérature ? Ne pensez-vous pas que cette littérature souffre d’un déficit d’édition ? Pourquoi Publie.net ne s’est-il pas mis sur le coup ? Est-ce un problème économique ?
Il n’existe pas de prédicat « ceci est de la littérature ». C’est pour cela qu’il est nécessaire de constamment vérifier nos a priori. Ni Sévigné, ni Bossuet, ni Saint-Simon n’écrivaient pour la littérature. Elle est constamment une construction rétrospective. Par contre, je vous invite sérieusement à venir visiter Publie.net, l’iPad est un formidable outil d’invention pour les expériences « hypermédiatiques », sauf que, justement, on n’a plus besoin de leur donner un nom barbare de cette sorte, on appelle ça « livre », point barre.

Les écrivains ont toujours intégré leur médium (sans toujours le questionner). En France, des écrivains comme Mallarmé ou Apollinaire ont questionné la lettre et la page. Dans la littérature américaine, B.S. Johnson a troué son Albert Angelo, Douglas Coupland a joué avec les caractères et la pagination, Mark Danielewski a mis le livre sens dessus dessous, etc. De quelle manière l’édition électronique constitue-t-elle un nouveau médium à explorer pour les écrivains ?
Vous êtes un enfant devant un magasin de bonbons. Un monsieur très sérieux vient vous poser la question : de quelle manière un magasin de bonbons constitue-t-il un nouveau médium à explorer pour les enfants ?

François Bon à la médiathèque de Bagnolet, 2009.

François Bon à la médiathèque de Bagnolet, 2009. Photo: D.R.

Le théoricien de la littérature et des médias Friedrich Kittler écrivait en 1985 : la littérature, qui autrefois trônait sous le nom de poésie au-dessus de tous les médias, est maintenant définie par les autres médias. Qu’en pensez-vous ?
Rien à cirer. Baratin pour universitaire rémunéré en points de carrière à la publication. Si cette phrase est exacte, ainsi séparée de son contexte, ce type n’a pas dû lire grand-chose.

D’une manière générale, pensez-vous que les machines d’écriture et de lecture (imprimerie, presse, machines à écrire, PC, et maintenant les tablettes…) déterminent la manière dont on écrit ?
Non, c’est la tête, qui détermine. Et l’urgence. Et la notion de beau. Et la notion de notre propre expérience parmi les autres. Et notre passion dans la langue. Et ce qu’on y assemble.

Question subsidiaire. Vous faites partie de cette rare lignée des écrivains-éditeurs. Comment l’écrivain et l’éditeur vivent-ils ensemble ?
C’est le vieux monde qui détermine ces cloisons. Elles sont très récentes. Il y a des curseurs jamais simples à régler qui concernent, pour chacun, où qu’il soit, le rapport au travail et au temps personnel, les traversées de tunnel, y compris par rapport à des implications plus collectives. Pareil qu’on ne lit pas de la même façon selon qu’on est dans un chantier d’écriture ou pas, ou telle phase de ce chantier. J’ai monté avec quelques amis une coopérative d’édition numérique, parce qu’il nous fallait vitalement expérimenter, avoir notre propre lieu d’invention textuelle – y compris (mais pas seulement) à cause de l’inaction ou de l’hostilité frigide de nos propres éditeurs (ça a changé maintenant, ils sentent le gâteau). Mais ce n’est pas pour aller rejouer un modèle entrepreneurial, ou le paternalisme des maisons d’édition qu’on a connu, ni même les « modèles économiques » et autres conneries qu’on nous rebat. Écrire est intransitif, disait Maurice Blanchot, assumons cette intransivité-là où nous avons « déjà » notre territoire de lecture, écriture et expérience du monde : le web.

propos recueillis par Emmanuel Guez
publié dans MCD #66, « Machines d’Écritures », mars-mai 2012

 Photos: D.R.
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