Qu’il s’agisse de remettre en cause la logique industrielle de notre époque (la Mercedes en pièces détachées avec Les hommes n’ont pas fini d’aimer les voitures), ou la validité du pouvoir « mâle » symbolisé par l’armement (Le choix des armes et sa mitraillette démontée), la guerre (The Shadow) ou les clichés concernant les valeurs féminines véhiculées par les médias (ses ajouts sur toile de Jouy), l’artiste allemande Brigitte Zieger, qui vit et travaille à Paris, confronte son univers au territoire mental de nos pays « en paix ». Artiste féministe « intranquille », elle rend lisible le sous-texte de notre époque violente et hypocrite.

Brigitte Zieger, Detournements.

Brigitte Zieger, Detournements. Photo: © Brigitte Zieger

Brigitte Zieger, peut-on dire que vous interpellez le spectateur en amenant la guerre dans l’espace public ?
Oui, l’intention est bien de provoquer des réactions quand j’interviens dans l’espace public. Les projets que je mets en place traversent souvent des contextes politiques, des zones géographiques et historiques; ils prennent comme point de départ des images-événements de notre mémoire collective. Guerre et violence, mais aussi résistance sont parmi ces images collectées et déplacées vers l’espace public. Il s’agit pour moi d’interpeller le regardeur sur les failles et les injustices générées par un système dominant-dominé qui régit le récit de l’Histoire et le fonctionnement des sociétés actuelles.

Votre œuvre est parcourue, de manière subtile, par le thème de la lutte, de la guerre, de la violence infligée à l’autre, par une nation sur une autre (comme les métaphoriques B52 de The Shadow, ou les avions de Détournements 1 to 6). Pourquoi ces thèmes récurrents dans votre travail ?

Violence, lutte et guerre sont comme tissées dans les structures de l’interaction sociale et très profondément ancrées dans nos sociétés actuelles. La présence de The Shadow tente de révéler cet ancrage, de le rendre visible là où tout est fait pour qu’on l’oublie. Cette ombre du bombardier (qui a fait le plus de guerres sur la plus longue période de l’histoire) fait lever la tête de celui qui regarde, pour noter l’absence de l’avion et rappeler ainsi qu’il se déplace ailleurs, en même temps, en Irak ou en Afghanistan. Dans la série Détournements, des avions de guerre sont comme retenus dérisoirement par quelques slogans d’artistes, et ces assemblages improbables, mêlant dispositif publicitaire, armes de destruction et poésie utopiste, demandent à celui qui regarde de creuser ces imbrications complexes de la guerre et du spectacle. Le regard que je porte sur la violence et la lutte se situe ainsi sur leur fusion inextricable avec la vie quotidienne.

De fait, pensez-vous votre travail en tant qu’artiste comme « politique » ?
Oui, quand je parle de ceux qui résistent par exemple, comme dans la série des Sculptures anonymes ou dans les impressions numériques Counter-Memories et ce dans un rapport très direct à l’activisme. Dans d’autres pièces, j’avance de façon plus subtile en pervertissant des systèmes de représentation, en y glissant des parasites qui transforment des images “jolies ou décoratives” en terrain politique à investir.

Brigitte Zieger, The Shadows.

Brigitte Zieger, The Shadows. Photo: © Brigitte Zieger

Et en tant que femme ? Comme « féministe » ?
Pour moi l’engagement politique et le féminisme sont étroitement liés, car je mets au centre de mes réflexions la question de la domination et la violence qui en découle. Je préfère donc tendre vers un féminisme subversif, qui va au-delà de la simple revendication d’accession des femmes à l’égalité dans une société de structure patriarcale, pour défendre des idées plus utopiques d’anti-autoritarisme et de révolution des mentalités. Et là, ce n’est pas qu’une affaire de femmes, ces questions concernent toute l’espèce humaine. En ce qui concerne la guerre, je privilégierais l’approche de Virginia Woolf qui prône un “désengagement stratégique des femmes du système de guerre”, qui au fond ne les concernent pas et auquel elles n’ont pas à participer, au contraire de certaines factions des suffragettes qui proposaient leur soutien à la guerre pour obtenir leur émancipation.

Vous avez par exemple réalisé une installation auscultant les identités féminines / masculines avec Hits & Misses (qui porte le nom d’une série mettant en scène une tueuse transsexuelle, un hasard…), quel est le but de ce travail ?
Cette série de vidéos performatives, laisse effectivement une ambiguïté sur l’identité du personnage principal, qui est en réalité un cascadeur déguisé pour me ressembler et prendre ainsi le rôle de l’artiste; mais le titre ne vient pas de la série, il vient d’un disque réalisé suite au combat illégal de Cassius Clay, car interdit de ring pour avoir été objecteur de conscience. L’acte du cascadeur est assez impressionnant à voir, car il chute de façon répétée en traversant un sol et un plafond puis subit l’effondrement d’un mur qui l’ensevelit après une lutte vaine. L’action sans narration filmique isole ainsi la chute de l’artiste et de l’espace architectural du “white cube” qui évoque clairement le lieu d’exposition. C’est donc la situation de l’artiste et sa possible chute qui est au centre de ce travail.

Vous utilisez à peu près tous les médiums de l’art contemporain (vidéo, dessin, sculpture), quelle est la part du numérique dans vos dispositifs et dans vos œuvres ? Oui, effectivement, j’aime changer de médium. La part du numérique est assez importante, notamment avec les films animés de la série des Wallpapers [des papiers peints animés], mais aussi avec la création d’images numériques comme les Détournements. Cette pratique a pris une plus grande ampleur cette année avec la série des Counter-Memories, de grandes impressions numériques faites de multiples manipulations de l’image, dont la création d’espaces et de faux reliefs, qui donnent l’illusion de sculptures ou de bas-reliefs.

Brigitte Zieger, Tank Wallpaper.

Brigitte Zieger, Tank Wallpaper. Photo: © Brigitte Zieger/ADAGP

Quelle est l’importance d’Internet dans votre travail ? Un terreau fertile d’idées, d’images, de stéréotypes à renverser ?
Internet est une source importante de mes recherches d’images et le point de départ de la plupart de mes réalisations. Je suis toujours intéressée par l’image la plus citée, la plus connue, celle qui semble effectivement rentrer dans l’histoire collective par les clics multiples dont elle fait l’objet. Ce qui m’intéresse alors c’est de trouver une forme à ces images qui réactive leur pouvoir de provocation et de les confronter ainsi au présent (par exemple avec les Sculptures anonymes).

Plus généralement, à votre avis, Internet et les médias numériques sont-ils l’avenir de la contestation et de l’action politique ? Ou au contraire, qu’est-ce qui serait susceptible de freiner l’activisme, en réseau et dans les médias numériques, dans le futur ?
Je ne sais qu’en penser. Les réseaux sociaux permettent de lancer des actions de façon incroyablement rapide et efficace, ils fonctionnent très bien pour des actions ponctuelles ou les pétitions. En même temps, c’est toujours étrange de constater que s’organiser politiquement de façon plus globale semble être difficile aujourd’hui. Il y a une sorte de contradiction entre l’immense possibilité d’Internet comme arme politique internationale et son usage réel. Il faut espérer que  les générations à venir sauront mieux l’utiliser afin de créer de véritables mouvements politiques. Pour cela, il faudrait que se développe une fluidité plus grande entre l’écran et le réel, entre le réseau et la rue. Je pense que l’action politique a une dimension poétique, voire romantique, générée par l’esprit de communauté auquel Internet ne peut se substituer.

propos recueillis par Maxence Grugier
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

 

> www.brigittezieger.com

une autopsie de l’innovation

Après avoir piloté récemment deux expositions collectives — Go Canny, poétique du sabotage à La Villa Arson et Futurs Non Conformes dans l’espace virtuel du musée du Jeu de Paume — Disnovation.org est invité à son tour à exposer par Stéréolux, à Nantes en décembre. On y (re)découvre trois œuvres emblématiques conçues par ce groupe de travail initié par les artistes Nicolas Maigret et Maria Roszkowska qui dénoncent la « religion » de l’innovation.


Disnovation.org s’interroge en effet sur le retour du « techno-positivisme » que nous connaissons depuis l’arrivée du numérique, d’Internet et des nouvelles technologies; promesse d’une parousie scientiste (transhumanisme, singularité, etc.) et de dérives socio-politiques pourtant déjà pointées dès les années 50s par des penseurs comme Jacques Ellul (cf. La Technique ou l’Enjeu du Siècle, 1954). Une techno-mythologie dont le monde de l’art n’est malheureusement pas exclu. En extrapolant des données et des situations, les installations de Nicolas Maigret et Maria Roszkowska démontrent (et démontent) par l’absurde cette « propagande de l’innovation ».

Première illustration vis-à-vis de la supplantation de l’homme par la machine et l’intelligence artificielle avec Predictive Art Bot (développé avec le concours de Jérôme Saint-Clair). Ce dispositif algorithmique met en scène des mots-clefs piochés au hasard de l’actualité sur différents sites. Associés, ces mots-clefs sont ensuite proposés comme source d’inspiration possible. La liste de ces concepts potentiels s’affiche sur Twitter, comme des appels à projets libres de droits dont les artistes peuvent s’emparer.

Blacklists est également une œuvre s’appuyant sur Internet. Comme son titre l’indique, il s’agit bien d’une liste noire. Un inventaire d’adresses de sites tendancieux ou illégaux. Des millions de références compilées dans 13 ouvrages de 666 pages chacun… Une recension comparable à l’Enfer des bibliothèques… Une plongée dans le « darknet » qui donne le vertige. La troisième installation a été conçue avec Clément Renaud et Hongyuan Qu. Baptisée Shanzhai Archeology, elle met en lumière toute une collection de téléphones portables made in China dont le design, les fonctionnalités et parfois la finalité (rasoir, taser…), sont éloignés des standards occidentaux; révélant ainsi un autre imaginaire des techniques…

Outre le traditionnel vernissage, la soirée d’ouverture de cette exposition, le jeudi 30 novembre, propose une autopsie de l’idéologie de l’innovation sous forme de conférence qui sera animée par Benjamin Gaulon, Marie Lechner et Clément Renaud, et suivie par une performance A/V de Nicolas Maigret et Brendan Howell : The Pirate Cinema. Un collage de courts extraits de films qui matérialisent le flux des téléchargements. C’est l’interception en temps réel des échanges entre les utilisateurs du circuit de peer-to-peer (BitTorrent) qui fournit la matière vidéo à cette intervention.

Disnovation.org, vernissage jeudi 30 novembre, exposition du 1er au 17 décembre, Stéréolux, Nantes
Infos https://www.stereolux.org/agenda/nicolas-maigret-marie-roskowska-disnovationorg

du 15 au 25 novembre à Paris

La Digital Week / Semaine numérique : Art, Création & Innovation a pour vocation de proposer au plus grand nombre, collectionneurs, galeristes, amateurs et jeune public, un parcours et des événements clés autour de la création digitale et de l’art contemporain numérique.

La Digital Week est produite par la start-up Art2M fondée et dirigée par Anne-Cécile Worms et les associations Nextday!, fondée et dirigée par Corinne Pulicani et MCD.

Depuis 2014 la Digital Week s’est installée, comme le rendez-vous culturel et innovant destiné à valoriser les artistes, les producteurs et les lieux prestigieux associés à la création contemporaine numérique. Au total c’est près d’une trentaine événements qui sont proposés au public à Paris.

À terme, elle a pour ambition de s’installer comme un des temps forts de la rentrée et de se décliner dans tous les territoires : en Ile de France, en France comme à l’international.

La Digital Week fait partie de la Biennale d’Art Contemporain Numérique soutenue par Arcadi- Île-de-France.

La quatrième édition de cet événement se déroulera du 15 au 25 novembre 2017 à Paris et en Ile-de-France, dans des lieux prestigieux et emblématiques dédiés aux cultures numériques, à l’innovation et à la fabrication numérique.

Infos: http://digitalweek.paris/

festival des arts multimédia

Le coup d’envoi de l’édition 2017 de Gamerz a été donné vendredi 3 novembre, avec l’inauguration de l’exposition phare du festival à la Fondation Vasarely. La thématique pour cette 13ème édition est axée autour de la part sombre, et parfois occulte, des nouvelles technologies. L’exposition se donnant pour objectif de mettre en avant des créations artistiques actuelles, dans lesquelles les artistes questionnent nos différents modes d’interactions avec les machines à travers le spectre de l’ésotérisme. Parmi les pièces proposées, nombreuses sont celles qui empruntent les codes d’un certain animisme-digital.

Parmi les œuvres exposées qui flirtent avec ce nouvel âge de l’ésotérisme, on retiendra notamment l’inventaire cartographique de Suzanne Treister qui retrace les nombreuses ramifications des différents mouvements et théories de la contre-culture; des anarcho-primitivismes au transhumanisme, de Thoreau à Adorno, du CLODO (Comité pour la liquidation ou la destruction des ordinateurs; actif sur Paris et Toulouse entre 1980 et 1983) à Unabomber. Intitulée Hexen 2.0, cette taxinomie illustrée par des arcanes du tarot au crayonné très riche pointe également les soubassements idéologiques, cryptiques et souvent délirants, du complexe militaro-industriel.

Suzanne Treister, Hexen 2.0. Photo: D.R.

Avec Alphaloop, retrouvant les utopies des 60s qui ont irriguées la Silicon Valley, Adelin Schweitzer « ré-enchante » l’usage du téléphone via une intervention immersive et déambulatoire où les participants munis de casque VR sont invités à se laisser guider par un shaman moderne et à appréhender le réel transfiguré comme sous l’effet de psychotropes… Présentée sous forme d’une restitution vidéo organisée à la manière d’un totem, avec encens, pentagrammes vidéographiques et devices obsolètes en offrandes, cette installation nous donnait aussi un aperçu de la première performance de ce type réalisée quelques semaines plus tôt.

Adelin Schweitzer, Alphaloop. Photo: D.R.

Inversement, avec Sketches towards an Earth Computer, Martin Howse propose, au sens strict, une œuvre en prise sur le terrain. Son installation est en fait une sorte une carte-mère de quelque mètres carrés qui utilise à la fois des éléments métalliques, électroniques et surtout organiques (terreau, champignons). Les réactions chimiques liées à ces composants, ainsi que les variations de lumières et d’humidité, génèrent des feedbacks qui opèrent comme un véritable code informatique « chtonien », évoluant au fil de ces paramètres.

Martin Howse , Sketches towards an Earth Computer. Photo: D.R.

Luce Moreau est également attachée à la terre, à la nature. Cette plasticienne travaille en « jouant » avec des insectes (des chenilles processionnaires qui tournent sans fin sur un anneau de Moebius). Et des abeilles auxquelles elle soumet des formes pour modeler les rayons de leurs ruches; reprenant par exemple l’ossature du fameux Phalanstère de Charles Fourier, qui se voit ainsi reproduit comme une maquette en cire d’abeille. Une démarche à mettre en perspective avec d’autres artistes et collectifs qui mettent également les abeilles a contribution en détournant leur construction à des fins artistiques comme le BULB (Brussels Urban Bee Laboratory), Ann Kristine Aanonsen, Sabino Guiso, Ren Ri, Stanislaw Brach…

Luce Moreau, Les Palais. Photo: D.R.

À l’opposé, Émilien Leroy focalise sur les friches industrielles du Nord de la France. Collection et accumulation de vieilles boîtes à outils métalliques colorées et de masques de soudure aux allures africaines : ses installations à la Arman témoignent de la mémoire sociale et ouvrière de L’Usine des Dunes près de Dunkerque. On le retrouve plus tard lors de la soirée d’ouverture, sous le pseudo de Feromil, affublé d’un vieux masque à gaz qui lui donne des allures d’alien ou de liquidateur de Tchernobyl, pour un set « electro-magnétique » plein de larsens et de sonorités abrasives générées par un détecteur de métaux.

Feromil. Photo: D.R.

Glitch, electronic-noise et cyber-breakbeats étaient également au programme de cette soirée qui s’est ouverte sur Attack me please at 2.432 GHz, la symphonie audiovisuelle pour lignes de code, bugs et hautes fréquences de Benjamin Cadon (par ailleurs directeur artistique de Labomedia). À la suite, avec son Radioscape, Nicolas Montgermont a balayé les ondes radio de 3GHz to 30kHz. Chaque bande de fréquences étant visualisée et signalée selon leurs utilisations (Marine, Satellite, TV, FM, etc.). Il est à noter que ce voyage dans le spectre sonore a aussi été matérialisé sur disque vinyle. En conclusion, le trop rare duo Servovale (Gregory Pignot & Alia Daval) avait ressorti leurs machines pour une performance A/V aux contours géométriques et aux rythmiques cinglantes baignant dans une ambiance post-industrielle.

Laurent Diouf

Gamerz, jusqu’au 12 novembre, Aix-en-Provence
> www.festival-gamerz.com

Avec leur communication qui surfe sur toutes les facettes du kitsch communiste de l’ère soviétique et use de tous les clichés proposés par la révolution prolétarienne telle qu’on l’envisageait il y a plus de cinquante ans, Dmytri Kleiner et Baruch Gottlieb, alias Telekommunisten, forment une entité à la fois techniquement pointue et politiquement engagée. Idéologues nostalgiques des années qui virent éclore un Internet libre, les Telekommunisten font partie de ceux qui pensent que, remanié, l’Internet sauvera le genre humain.

Telekommunisten, R15N.

Telekommunisten, R15N. Photo: D.R.

#Art, #Politique, #Technologie sont les mots clés de Telekommunisten (accompagnés des hashtags appropriés bien entendu), une cellule d’activistes politiquement engagés dont les actions se répertorient aussi bien dans le domaine de l’art que celui des nouvelles technologies de communication en réseau. De fait, vous auriez tort de ne pas prendre les Telekommunisten au sérieux sous prétexte que ceux-ci cultivent une esthétique directement issue de la « Grande révolution » des « années d’or » du communisme international.

En effet, derrière une façade volontairement rétro, cultivant avec humour l’iconographie des riches heures de la révolution prolétarienne, Dmytri Kleiner — fondateur Allemand (russe de naissance) de Miscommunication technologies et auteur de The Telekommunist Manifesto — et l’artiste multimédia Canadien Baruch Gottlieb (auteur de My Gratitude for Technology) proposent un programme cohérent, proclamant un retour aux valeurs fondamentales du web : le partage, l’ouverture, la transparence. Les slogans The Revolution Is Calling (qui tient lieu d’en-tête à leur portail sur Internet) ou Pas de patron, pas d’investisseur, pas de business plan illustrent bien les intentions de ces iconoclastes connectés : l’avènement d’un web libre et ouvert, où le partage serait une valeur incontestée.

 

Bakounine, Marx et Engels version 2.0
Depuis sa création à Berlin en 2006, toute l’activité de Telekommunisten consiste en une virulente critique du passage d’un web ouvert et décentralisé (dans les années 80 et 90) à celui d’un espace de plus en plus dédié aux plateformes propriétaires (comme c’est le cas de la plupart des plateformes de e-commerce actuelles). Sous l’égide du révolutionnaire Michail Aleksandrovitch Bakounine, de Karl Marx ou encore du philosophe et théoricien socialiste allemand, Friedrich Engels,  ils rédigent The Telekommunist Manifesto. Un document dans lequel le collectif Berlinois questionne les technologies de la communication sous l’angle de l’économie politique, en s’intéressant particulièrement à tous les modèles économiques alternatifs, permettant une action collective en faveur d’une société libre.

Parmi ceux-ci, Die Telekommunisten propose un anti-Twitter (ou Facebook) nommé R15N. Un réseau social via téléphone mobile conçu comme une plateforme indépendante permettant la communication instantanée entre diverses communautés. Présenté au festival Transmediale de Berlin en juin 2014, R15N fait suite à la création de Thimbl, un service de microblogging qui s’appuie sur les technologies originelles du Net (et mêmes précurseurs de celui-ci), à l’image d’un protocole comme Finger (une des premières commandes informatiques créées dans les années 70), qui ne nécessite pas d’application spécifique. Décentralisé et configurable par l’utilisateur, Thimbl pourrait être une alternative à Twitter, en terme de réseau social très largement accessible.

Dmytri Kleiner, The Telekommunisten Manifesto

Dmytri Kleiner, The Telekommunisten Manifesto. Photo: D.R.

 

L’alternative Telekommunisten
Parmi les autres projets du collectif Germano-Canadien, on trouve également Dialstation, un service de communications longue distance à bon marché, Trick, qui propose du micro-hébergement de données à moindre coup, ou encore, plus ironiquement, Deadswap, un système de partage de fichiers AWFK (away from keyboard, comprendre « en live »), où les utilisateurs s’échangeraient des données de la main à la main grâce aux clés USB. On le voit, les Telekommunisten ne se contentent pas de remettre en cause les pratiques technologiques de nos contemporains, avec beaucoup d’humour, mais aussi de bon sens dans un monde de plus en plus contrôlé, ils remettent l’humain au centre des préoccupations des réseaux « dits sociaux ».

La valeur de l’échange, le peer-to-peer, étant une notion fondamentale et bientôt oubliée du net, Dmytri Kleiner et Baruch Gottlieb opposent à l’État capitaliste centralisé Client-Serveur un communisme peer-to-peer. Comme le précise Dmitry Kleiner, le partage est la raison d’être d’Internet. Déjà, à l’origine, Usenet, l’Email, IRC, toutes ces plateformes décentralisées qui n’étaient la propriété de personne, ont permis les connexions sociales, l’émergence du journalisme citoyen, le partage de photos (1).

Dans son manifeste publié en 2010, Kleiner oppose d’ailleurs ce qu’il nomme le « Venture Communism », soit un idéal qui prône l’auto-organisation des travailleurs et de la production comme moyen de lutte de classe au classique « Joint Venture »» du capitalisme (technique financière permettant la coopération entre des sociétés qui possèdent des compétences complémentaires, et ironiquement, le seul moyen d’accès des firmes étrangères voulant s’implanter dans les ex-pays communistes). De son côté, sous l’angle artistique, Baruch Gottlieb, en compagnie de l’artiste Sénégalais Mansour Ciss Kanakassy crée l’Afro, première monnaie unique destinée à l’Afrique. L’idée derrière cette initiative purement artistique, présentée à la Biennale des arts de Dakar (Dak’art 2004), étant la création d’un symbole d’espoir et d’un outil permettant de rêver concrètement (économiquement) au panafricanisme, tout en remettant en cause la toute puissance du Franc CFA. Une autre sorte d’alternative en somme.

 

Telekommunist, un manifeste
Appliquant les leçons du marxisme à l’ère de l’Internet, les Telekommunisten partent du principe que la société est composée de relations sociales. Celles-ci forment les structures qui la constituent. Les réseaux informatiques, comme les systèmes économiques, peuvent être alors décrits en termes de relations sociales. Pour Dmitry Kleiner, les partisans du communisme avaient depuis longtemps imaginé des communautés égalitaires dont les réseaux peer-to-peer seraient la clé de voûte architecturale. Inversement, le capitalisme, lui, dépend du privilège et du contrôle. Il prétend que les réseaux informatiques ne peuvent être conçus sans des applications centralisées, selon la hiérarchie client-serveur. Selon cette théorie, c’est l’économie qui façonne le système des réseaux. […] Les travailleurs du monde ne sont pas tenus de faire face aux problèmes imposés par le capitalisme et les grandes sociétés corporatives (2). Pour les Telekommunisten, il est clairement temps de reprendre les rênes de ce qui était légalement et initialement du domaine public, librement accessible et distribuable, il y a quelques années encore.

Maxence Grugier
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

Photo: D.R.
http://telekommunisten.net

(1) The Telekommunist Manifesto, Dmitry Kleiner (Institute of Network Cultures Hogeschool von Amsterdam, ISBN/EAN 978-90-816021-2-9
(2) Ibid

 

Intelligence Artificielle

Dans le cadre de ce MOOC Dominique Moulon reçoit Jean-Gabriel Ganascia, Professeur des universités, chercheur en intelligence artificielle et auteur de nombreux ouvrages (notamment L’intelligence artificielle : vers une domination programmée et Le mythe de la Singularité : faut-il craindre l’intelligence artificielle ?).

En premier lieu, il sera question de l’Histoire de l’Intelligence Artificielle et plus particulièrement de Charles Babbage et de sa machine analytique. Puis le chercheur précisera le rôle d’Alan Turing en matière de machine intelligente; partant de la question de savoir si une machine peut-elle penser, le chercheur a imaginé un subterfuge qu’il a appelé le jeu de l’imitation (plus connu ultérieurement sous l’expression de « test de Turing »).

En 1943, va naitre le mouvement de la cybernétique, issu d’appareillages électroniques câblés de balistiques et de décodages rappelant les neurones et cellules du cerveau humain; il s’agira de s’y intéresser ainsi qu’à son fondateur, Norbert Wiener.

Un cours animé par Dominique Moulon pour le Mooc Digital Media de l’École Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques de la Ville de Paris.
Réalisé à l’UPMC (Université Pierre-et-Marie-Curie). Co-produit par MCD. Octobre 2017.
> http://moocdigitalmedia.paris/cours/intelligence-artificielle/

MCD vous invite à la quatrième édition de Variation – ArtJaws Media Art Fair qui investie une nouvelle fois la Cité internationale des arts, du 15 au 25 novembre 2017. Cette année Variation – ArtJaws Media Art Fair renforce son partenariat avec Arcadi et s’inscrit au sein de la Biennale Internationale des Arts Numériques, Némo. L’exposition prend aussi sa place dans le cadre de la Digital Week #2017, dont elle est l’événement principal.

En ligne, la marketplace ArtJaws, proposera à la vente le catalogue intégral des œuvres et permettra de faire le lien entre l’exposition physique et la vente en ligne avec des informations détaillées sur les artistes et sur les œuvres, disponibles en français et en anglais.

Variation – ArtJaws Media Art Fair a est un événement gratuit, donc ouvert à toutes et à tous, par fidélité à l’idée – qui nous est chère – de sensibilisation du grand public à la culture numérique, quand il est tant d’œuvres qui, du simple fait de leur hybridation au contact du digital, accèdent encore avec difficulté aux galeries ou aux institutions.

 

Édito :
À travers une scénographie ouverte et propice aux dialogues improbables, Variation – ArtJaws Media Art Fair documente le monde dans ses frémissements, des plus spectaculaires aux plus intimes, avec les œuvres de ces artistes contemporains numériques qui souvent se jouent des nouvelles technologies, les détournent et créent de nouveaux usages.

À la fin des années soixante, une réelle effervescence s’articule autour de la convergence des arts et technologies que des projets, groupes, ou événements mettent en lumière. S’intitulant Art and Technology Program à Los Angeles, Experiments in Art and Technology à New-York ou Cybernetic Serendipity à Londres, ils ont pour point commun de ré-envisager les relations des artistes avec les environnements technologiques de leur temps. C’était l’époque du mouvement avec le cinétisme comme du temps réel en art vidéo, des tendances que les artistes aux cultures open sources d’aujourd’hui réactivent autrement.

Car le médium digital, au fil de ces cinquante dernières années, n’a cessé de “contaminer” les médias artistiques de sa proximité en s’immisçant dans nos mondes comme dans nos vies à toutes et à tous. Au point que nous avons perdu toute notion d’échelle tant nos outils de mesure se sont “numérisés” au profit des data dont on ne sait plus exactement qui les contrôle. Tel des lanceurs d’alertes, les artistes d’aujourd’hui nous informent des fluctuations d’un monde dont nous observons jour après jour les changements d’échelle. Des artistes s’en approprient des fragments tandis que nous, nous nous réapproprions le travail que des robots ne sauraient traiter.

L’édition 2017 présentera une quarantaine d’artistes français et internationaux, une centaine d’œuvres ainsi que deux salles dédiées à la présentation de ces trois expositions fondatrices de l’histoire de l’art contemporain numérique.

Les artistes 2017 :
Ali Tnani (TU) / Alix Desaubliaux (FR) / Bertrand Planes (FR) / Carine Klonowski (FR) / Caroline Delieutraz (FR) / Côme Di Meglio (FR) / Dani Ploeger (NL) / Elias Crespin (VE) / Eliott Paquet (FR) / Fabien Léaustic (FR) / Félicie d’Estienne d’Orves (FR) / Fito Segrera (CO) / Flavien Théry (FR) / François Ronsiaux (FR) / Frédéric Delangle (FR) / Jean Hubert (FR) / Jeanne Briand (FR) / Jeanne Susplugas (FR) / Jeremy Bailey (CA) / Joanie Lemercier (FR – BE) / Joe Hamilton (AU) / Judith Deschamps (FR) / Klaus Fruchtnis (FR-CO) / Laurent Bolognini (FR) / Lisa Sartorio (IT-FR) / Magali Daniaux et Cédric Pigot (FR) / Marion Balac (FR) / Masaki Fujihata (JP) / Michaël Borras A.K.A Systaime (FR) / Michel Paysant (FR) / Olivier Ratsi (FR) / Pascal Haudressy (FR) / Pierrick Sorin (FR) / Raul Valverde (USA-ES) / Renaud Auguste-Dormeuil (FR) / Santiago Torres (VE) / Shaun Gladwell (AU) / SLIDERS_lab (FR) / Thibault Brunet (FR) / Thierry Fournier (FR) / Tomek Jarolim (FR) / Visual System (FR) / Yann Toma (FR).

Anne-Cécile Worms, Fondatrice & CEO ArtJaws / Directrice MCD
Fondatrice et dirigeante de la société Art2M, Anne-Cécile Worms explore les territoires de la création numérique depuis plus de 20 ans, et en est devenue une figure incontournable en France et à l’international. Son savoir-faire s’appuie sur un réseau international d’artistes, designers et ingénieurs, pour créer des installations et des événements liés à l’art et aux nouvelles technologies. « Serial entrepreneure » dans le domaine de l’innovation et de la culture, diplômée de l’Institut D’Études Politiques de Paris, Anne-Cécile Worms a cofondé sa première start-up en 1999, spécialisée dans le téléchargement sur Internet de musiques électroniques. Éditrice et journaliste, elle publie depuis 2003 le Magazine des Cultures Digitales. Elle est notamment experte en arts numériques pour l’Institut Français.

Dominique Moulon, Commissariat
Critique d’art et commissaire d’exposition, Dominique Moulon a étudié les arts visuels à l’Ecole Nationale Supérieure d’Art (ENSA) de Bourges et est titulaire du Diplôme d’Etudes Approfondies en esthétique, sciences et technologies des arts de l’Université Paris 8. Il est membre de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH), de l’Association International des Critiques d’Art (AICA) et du Prix Opline pour l’art contemporain en ligne. Fondateur du site MediaArtDesign.net et initiateur du MoocDigitalMedia.paris, il écrit des articles pour Art Press, Digital MCD, The Seen, Neural et est aussi le Directeur Artistique de la media art fair Variation (Show Off). Dominique Moulon enseigne les digital médias à l’Ecole Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques (EPSAA) de la Ville de Paris, à l’Ecole de Communication Visuelle (ECV) et à la Parsons (The New School for Design).

Variation – ArtJaws Media Art Fair, du 15 au 25 novembre 2017, la Cité internationale des arts, 18 rue de l’Hôtel de Ville 75004 Paris.

Variation – ArtJaws Media Art Fair est co-produite par l’association MCD, Art2M et ArtJaws, elle est soutenue par la Région Île-de-France.
> http://variation.paris/

Les partenaires :