Biennale Internationale des Arts Numériques

En cette rentrée, Nemo revient pour sa saison 2017-2018. Portée par Arcadi Île-de-France, cette Biennale Internationale des Arts Numériques est cette fois placée sous le signe du Hasard, de l’Accident et de la Sérendipité. Faisant suite à Prosopopée en 2015, cette thématique augure un regard, des émotions et des découvertes artistiques en résonnances avec notre monde fracturé et digitalisé; en attendant de poursuivre cette exploration, dans deux ans, sur un thème aux accents transhumanistes déjà annoncé : Feu le genre humain ?

Pour l’heure, la soirée d’ouverture aura lieu le 4 octobre au Trianon à Paris. À l’affiche : Ben Frost + MFO, Parquet, Walter Dean, Julien Desprez, Pascal Lièvre… Musiques électroniques et performances audiovisuelles donc, de même pour la soirée de clôture qui verra, le 24 mars 2018, Alva Noto — alias Carsten Nicolai, incontournable chef de file d’une certaine electronica radicale qu’il promeut sur son label Raster-Noton — et Anne-James Chaton (poète 2.0) réuni pour une création intitulée Alphabet, entre glitch music et intervention verbale; ainsi que les duos PurForm (Enigm(a)) et TRDLX (Orphism) à la Grande halle de La Villette.

Entre ces deux dates, durant 6 mois (!) sur Paris et sa périphérie, Nemo proposera de nombreux autres concerts et performances AV; en particulier ceux de Radian, David Rothenberg + Scanner, Forest Swords, Vatican Shadow, Aufgang, Max Cooper, Alex Augier (_nybble_), NSDOS (Chat’ing), Simon Fisher Turner (The Picture From Darkness, en hommage au cinéaste Derek Jarman), SNAP (Julien Desprez avec scénographie, mapping vidéo et lumières de Grégory Edelein & Jean-Pascal Retel), Martin Messier (Field), Uriel Barthélémi (Les Yeux du grand manteau de nuit), Antoine Schmitt (La Chance), CM von Hausswolff (Squared), Julien Ottavi, eRikM, Ensemble IRE aka Kasper Toeplitz + Franck Vigroux (Bestia), Dopplereffekt & AntiVJ (Entropy)…

Mais Nemo c’est aussi et surtout un Parcours Numérique dans différents lieux accueillant des propositions et installations qui représentent un panel impressionnant des différentes créations de la culture digitale actuelle — Werktank (Reality Check), Barthélémy Antoine-Loeff (Inlandsis), Jacques Perconte (La Source / Fonte), Manfred Mohr & Eric Vernhes (Beyond the lines), Pierre Jodlowski (Soleil Blanc), Albertine Meunier (Le Livre infini), Sybil Montet de Doria & Simon Kounovsky (Arcane Drift – CORE.PAN), David Guez & Bastien Didier (Lévitation), Thomas Bigot & Frédéric Villeneuve-Séguier (Audioneural network), Flavien Théry (Ici commencent les cieux), Ryoichi Kurokawa (Unfold), HeHe (Absynth), Caty Olive & Laurent Friquet (Light Show)…

Outre le fait de présenter des pièces et évènements singuliers, la Biennale agrège également sous sa bannière d’autres festivals — Rou(-x)teur à Mains d’Œuvres (lieu emblématique pour l’imagination artistique et citoyenne, actuellement menacé d’expulsion), A Night Of Real Recognition consacré au label Optical Sound, Bruits Blancs du Lieu Autre à Arcueil, La Science de l’Art du Collectif pour la culture en Essonne sur La Culture du risque,  —, et gravite aussi autour d’autres manifestations comme la Nuit Blanche ou Variation (MCD inside…) : le marché de l’art numérique doublé de l’expo L’Origine du monde (numérique).

L’exposition-titre, Les Faits du hasard, prendra place le 7 décembre au Cent Quatre autour des performances de Cod.Act (πTon), PLUG, Pascal Lièvre (Aérobics philosophiques), GK Collective (FRAVI/Agence de rencontres sans risque), Elizabeth Saint Jalmes & Cyril Leclerc (Pixel lent, ballet pour 176 escargots et 2 humains…), So Kanno & yang02 (Semi-senseless Drawing Machine)… Autre proposition importante de cette édition 2017-2018 de Nemo, des visites de l’Atelier de Nicolas Schöffer, pionnier de l’art cinétique et cybernétique. Sis dans la fameuse villa des Arts, l’endroit a échappé de peu à un désastre immobilier et offre un aperçu saisissant de l’univers et des œuvres interactives et multimédia avant l’heure de cet artiste qui reste méconnu du grand public.

En complément de cette grande fresque des arts numériques, quelques pistes de réflexion seront esquissées au travers de rencontres et débats, notamment sur la notion de Culture expérientielle, sur les apports du numérique à la création musicale, sur L’art au-delà du digital (conférence aimée par Dominique Moulon) ou bien encore L’Humain au défi du numérique… Cette liste est bien sûr non-exhaustive, ne reste plus qu’a faire des choix au sein de ce programme pléthorique.

Nemo, Biennale Internationale des Arts Numériques
> octobre 2017 / mars 2018, Paris – Île-de-France
> www.biennalenemo.fr

!Mediengruppe Bitnik est un groupe d’artistes basés à Zurich et à Londres. Nous nous sommes formés il y a environ dix ans. Le travail du collectif porte sur les potentialités et les possibilités offertes par les espaces et les réseaux publics. La stratégie des !Mediengruppe Bitnik se réfère à l’impact des médias sur la société, qu’ils soient numériques ou analogiques. Leur principe action est le détournement.

!Mediengruppe Bitnik, Delivery for Mr. Assange, Live Mail Art

!Mediengruppe Bitnik, Delivery for Mr. Assange, Live Mail Art, 2013. Photo: D.R.

Si nous devions nommer notre pratique artistique, nous dirions qu’elle est exploratoire et interventionniste. Parmi celles-ci, le Hacking est une de nos stratégies principales. Nous nous emparons des différentes stratégies à l’œuvre dans le Hacking et nous les transformons en pratiques artistiques. Par là même, si un Hacker est considéré comme une personne qui jouit de sa connaissance des systèmes informatiques et de leur exploration, tout en étendant les capacités de ces systèmes à des utilisations auxquels n’ont pas forcément pensé les utilisateurs lambda (1), nous, en tant qu’artistes, nous utilisons les systèmes sociétaux et culturels comme matériaux artistiques.

En utilisant le Hacking comme stratégie artistique, nous tentons de recontextualiser le familier pour en proposer une nouvelle lecture. Nous sommes, par exemple, connus pour être intervenus au sein de l’espace de surveillance vidéo londonien du CCTV, et avoir remplacé les images vidéo d’origine par des invitations à jouer aux échecs. Au début de l’année 2013, nous avons envoyé un colis au fondateur de Wikileaks, Julian Assange, réfugié à l’ambassade équatorienne à Londres. Le paquet contenait un appareil photo qui a diffusé son voyage à travers le système postal en direct sur Internet. Nous appelons ce travail un SYSTEM_TEST ou une pièce de Mail Art Live. Avec nos œuvres nous formulons des questions fondamentales concernant les questions contemporaines.

À part Delivery for Mr. Assange qui a été très médiatisé (2), parmi nos actions les plus significatives nous voulons citer Opera Calling. Du 9 mars au 26 mai 2007, des micros cachés dans l’Auditorium de l’Opéra de Zurich ont transmis les spectacles de l’Opéra sur des téléphones choisis au hasard parmi les lignes terrestres [inverse des lignes de téléphone mobile, NDR] de la ville de Zurich. Dans le plus pur style des services de livraison à domicile, toute personne qui décrochait son téléphone pouvait écouter une représentation d’opéra en cours via une connexion en direct avec un micro caché. Nous avons retransmis ces spectacles à plus de 4363 abonnés. L’Opéra de Zurich a cherché les micros et déclaré qu’ils intenteraient une action en justice si les transmissions ne cessaient pas. Cela a lancé un débat dans les médias sur la propriété culturelle et les subventions culturelles. Finalement, l’Opéra a décidé de tolérer Opera Calling comme une amélioration temporaire de leur répertoire (3).

!Mediengruppe Bitnik, Delivery for Mr. Assange, Live Mail Art, 2013. Scan.

!Mediengruppe Bitnik, Delivery for Mr. Assange, Live Mail Art, 2013. Scan. Photo: D.R.

Il y a donc aussi Surveillance Chess, l’opération de Hacking du réseau de surveillance de la CCTV à Londres dont je parlais plus haut, mené à l’occasion des Jeux olympiques en 2012.  Une station de métro est l’un des espaces publics les plus surveillés au monde. !Mediengruppe Bitnik a intercepté le signal d’une des caméras de surveillance du métro londonien. Le principe est « simple ». Au moment où nous prenons le relais, l’image de surveillance disparaît et un échiquier apparaît sur le moniteur avec une voix dans les haut-parleurs qui dit : Je contrôle votre caméra de surveillance aujourd’hui. Je suis celui avec la valise jaune. L’image revient sur une femme avec une valise jaune. Puis l’image passe à l’échiquier. Que diriez-vous d’un jeu d’échecs ?, demande la voix. Vous êtes blanc. Je suis noir. Appelez-moi ou envoyez-moi un texto pour jouer. Mon numéro : 07582460851 (4).

Il y a également une autre pièce de Mail Art Live nommé Random Darknet Shopper. En 2014 nous avons créé un bot de shopping automatisé auquel nous avons alloué $100 en Bitcoins par semaine. Une fois par semaine, le bot se rend dans le darknet, achète au hasard un item et nous envoie un mail. Les objets sont actuellement exposés au sein de The Darknet. From Memes to Onionland, une exposition présentée au Kunst Halle de St. Gallen (Suisse).

Actuellement nous sommes très intéressés par les interactions offline/online dans le monde de l’art. Quelles sont les stratégies et les outils pour devenir actif dans ces espaces « publics » crées online et offline ? Comment pouvons-nous utiliser ces espaces dans les pratiques de l’art contemporain ? Nous constatons que la frontière entre offline et online devient de plus en plus floue. Tout est de plus en plus interconnecté. Le digital occupe de plus en plus d’espace physique « réel », se connecte de plus en plus avec le corps humain. Les technologies nomades et « mobiles » ont joué un grand rôle dans ses interconnections.

Dans cet univers interconnecté les questions de réseaux anonymes, d’identité (collective), d’archivage/de perte, de présence/absence, s’appréhendent sous un jour nouveau et intéressant. Dans certains de nos travaux récents, nous avons commencé à explorer ces espaces avec des interventions et des performances en ligne. Nous croyons que cet espace est intéressant pour l’art contemporain. Nous pensons que pour être pertinent, l’art doit devenir global, s’étendre aux espaces et au sujet des réalités qui nous entourent. Nous souhaitons explorer des pratiques artistiques en temps réel qui s’engagent avec les univers interconnectés, les médias en ligne: pratiques que nous nommons RRRRRRRadically Realtime.

!Mediengruppe Bitnik, The Darknet - From Memes to Onionland. An Exploration.

!Mediengruppe Bitnik, The Darknet – From Memes to Onionland. An Exploration. exposition à la Kunst Halle St. Gallen, Suisse, Octobre 2014 / Janvier 2015

Est-ce que les réseaux de communication facilitent l’action politique contemporaine ? Oui et non. Oui, il est plus facile de se connecter à un réseau d’activistes. L’interconnexion entre les mondes offline et online nous donne un certain pouvoir dans le monde physique et digital. Les réseaux digitaux distribuent l’information efficacement, et permettent aux gens de se connecter les uns aux autres, d’organiser des choses concrètes dans le réel. D’un autre côté, non. Internet et les mobiles ont également permis la surveillance de masse. Cela rend plus facile à contrôler et à réprimer l’action politique, déjouant ainsi la dissidence et le pouvoir de décision de l’opinion.

Actuellement !Mediengruppe Bitnik se concentre sur les Darknets. Ces réseaux qui se situent au-delà de l’information quotidienne visitée par la majorité des utilisateurs d’Internet. C’est une autre forme d’Internet administrée par des millions d’utilisateurs, mais ignorée des publics traditionnels. C’est une sous-culture d’Internet, formé par des réseaux décentralisés, cryptés et anonymes. Un monde parallèle de communication. La vie en ligne devient plus importante que divers aspects de nos vies offline, les forces à l’extérieur vont de plus en plus essayer de la contrôler et de la gouverner.

Après les fuites de l’affaire Snowden, nous estimons que les rapports de force changent. Depuis, il est devenu clair que le Web classique est une machine de surveillance gigantesque. De plus en plus de personnes comptent sur les réseaux anonymes, comme TOR, pour échapper regards indiscrets. Ce sont des logiciels et  des réseaux qui s’appuient sur le chiffrement et les logiciels de cryptage. Cela nous intéresse forcément, que nous soyons journalistes, dissidents, militants, artistes ou codeurs, etc.

propos recueillis par Maxence Grugier
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

 

https://wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww.bitnik.org

(1) Définition de « Hacker » extraite de The Jargon File, a glossary of computer programmer slang.

(2) http://next.liberation.fr/arts/2014/02/24/julian-assange-avec-accuse-de-reception_982608

(3) https://wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww.bitnik.org/o/

(4) https://wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwww.bitnik.org/s/

La Recherche Interdisciplinaire

Dans le cadre de ce MOOC, Dominique Moulon s’entretiendra avec le biologique, directeur et fondateur du CRI (Centre de Recherche Interdisciplinaire), François Taddei sur des sujets tels que l’éducation, la recherche et la transmission. De prime abord, le chercheur nous expliquera son intérêt pour Socrate et la maïeutique.

Puis, dans un deuxième temps, en regard de l’évolution des méthodes d’enseignement, il s’agira de s’interroger sur le rôle de l’enseignant en s’appuyant sur les travaux de Wilhelm von Humboldt, lesquels décrivent l’université comme un lieu où l’on est libre d’apprendre, d’enseigner, de faire de la recherche mais aussi au sein duquel l’étudiant peut trouver un mentor, une personne l’accompagnant dans ses projets de manière bienveillante.

En outre, comment les outils techniques et technologiques nous donnent-ils une accessibilité accrue aux savoirs ? Quelles sont les alternatives en matière d’enseignement à travers l’Histoire ? Que penser de la formation Montesorri ? Le chercheur répondra à ces questions et terminera en expliquant ce qu’est une société apprenante.

Un cours animé par Dominique Moulon pour le Mooc Digital Media de l’École Professionnelle Supérieure d’Arts Graphiques de la Ville de Paris.
Réalisé au Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI). Co-produit par MCD. Septembre 2017.
> http://moocdigitalmedia.paris/cours/la-recherche-interdisciplinaire/

Non-Compliant Futures

Festival international d’art numérique, Sight + Sound revient pour une 9ème édition sous la bannière Non-Compliant Futures, titre de l’exposition principale de cet évènement à la fois défricheur et provocateur, qui initie les changements sociaux à travers l’art, la musique et l’esprit festif…

Installations, performances AV, ateliers, interventions et conférences : confiée au groupe de travail Disnovation.org (Nicolas Maigret & Maria Roszkowska), la programmation rassemble des artistes comme Aliens In Green, Moreshin Allahyari & Daniel Rourke, RYBN, Liam Young, Demolecurisation, Yann Leguay…

L’objectif de Non-Compliant Futures est de déconstruire les grands récits de l’innovation qui nous promettent un futur radieux reposant sur l’hyperconsommation, le techno-positivisme, le colonialisme numérique et le mythe d’une croissance infinie.

Parmi les œuvres proposées qui nous invite à porter un tel regard critique, on mentionnera l’inquiétant caddie de supermarché muni d’un bras robotisé (Robotic Trolley), la machine kabbalistique du collectif RYBN (Data Ghost 2), le service funéraire pour données numériques et gadgets obsolètes proposé par Audrey Samson (Chéri ne me quitte pas), les outils préhistoriques réalisés par Dardex à partir d’éléments de matériels électroniques recyclés (Refonte)…

À cela s’ajoute une série de conférences sur les notions de colonialisme numérique et d’appropriation émancipatrice (Digitalism Colonialism), sur les impacts globaux du capitalisme sur l’homme et l’animal (Post-Animal / Post-Machine), sur les stratégies, actions symboliques, et autres rituels du soin qui émergent à l’ère de l’anthropocène (Earthly Survival)…

Et deux ateliers. D’une part Rencontre 2030 : restes alimentaires et visions spéculatives, animée par Pamela Tudge. D’autre part, Morehshin Allahyari qui nous donnera un aperçu de l’Additivism; conjonction de « additive » et « activism », un mouvement qui critique le côté « radical » des nouvelles technologies en vogue dans les écoles, les fablabs ou lors d’ateliers au niveau social, écologique et planétaire.

Sight + Sound 2017, du 27 septembre au 1er octobre, Eastern Bloc et Never Apart, Montréal, Québec / Canada.
Infos: https://easternbloc.ca/fr/festival-sight-sound/

Audrey Samson, Goodnight. Photo: © Alexis Bellavance

 

Moreshin Allahyari, 3D Additivist. Photo: D.R.

 

RYBN, Data Ghost. Photo: © Kristof Vrancken

Hans Bernhard et Lizvlx d’UBERMORGEN ne se considèrent pas comme des activistes politiques, mais comme des actionnistes. De fait, s’il fallait donner un nom à la politique contre laquelle se bat ce duo d’artistes suisse austro-américain depuis la fin des années 90, ce serait « Politic of Terror ». Voilà près de 15 ans maintenant qu’UBERMORGEN subvertit le monde des médias, et particulièrement internet. Leur œuvre, engagée, pluridisciplinaire et multimédia par essence (« super-enhanced » comme ils aiment à le dire) est en constante évolution, tout comme le monde qui l’abrite.

Ubermorgen, Perpetrator.

Ubermorgen, Perpetrator. 2008. Photo: © Ubermorgen.

Hans Bernhard et Lizvlx sont très clairs quand il s’agit de nommer leurs actions artistiques. Héritier du mouvement Dada et des actionnistes viennois, le duo déclarait en 2013 : Nous n’avons aucun agenda politique dans notre travail… Nous ne sommes pas des activistes. Nous sommes des actionnistes dans la tradition expérimentale de l’Actionnisme Viennois — nous utilisons les médias internationaux, la communication et les réseaux technologiques, notre corps est le capteur ultime et immédiat… Ce que nous faisons n’est pas du pop art; c’est de l’art rupestre (1). Depuis 1999, date de leur rencontre, UBERMORGEN s’est fait connaître en créant, entre autres, un site web permettant de vendre (et acheter) aux enchères, des votes pour l’élection présidentielle américaine de 2000.

Ensuite, Hans Bernhard et Lizvlx ont lancé le débat sur le vote numérique, les tentatives politiques d’assimiler les néo-nazis en Allemagne, la société et l’esthétique de guerre, l’industrie du jeu, l’aspect tentaculaire et suprématiste de Google, ou l’esclavage 2.0 du groupe de vente en ligne Amazon. Aujourd’hui les deux d’UBERMORGEN font surtout parler d’eux suite à leur « adoption » de l’Américain Chris Arendt. Un ex-garde de la prison de Guantanamo Bay, enrôlé par les artistes dans le but de dénoncer les pratiques employées par le gouvernement US sur leurs « black sites » (les prisons secrètes de la CIA).

Écho de Guantanamo

La mise en place des « black sites » par le gouvernement et les services de renseignement américains n’est plus un secret pour personne. On le sait depuis la révélation de leur existence par le Washington Post en 2005, divers pays d’Europe dont la Grèce, la Roumanie et la Pologne, abritent des lieux de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus. Dans Superenhanced, vaste projet artistique plurimédia (2), UBERMORGEN invite l’ex-garde de Guantanamo Chris Arendt en le prenant comme modèle et en s’appuyant sur ses témoignages. Mais la collaboration tourne court : profondément perturbé, le jeune homme devient vite incontrôlable. Suite à une crise de délire sévère, il est arrêté et enfermé par la police autrichienne.

Ubermorgen (Hans Bernhard et Lizvlx) accompagnés de Chris Arendt.

Ubermorgen (Hans Bernhard et Lizvlx) accompagnés de Chris Arendt. Photo: D.R.

À la manière des Actionnistes Viennois, les artistes se réapproprieront cet épisode d’hystérie tragi-comique, et l’intègrent à leur travail. Cela deviendra Perpetrator, partie de leur projet Superenhanced sous-titrée avec humour Gonzo research gone bad! Pour la vidéo Superenhanced – V2E1 (3), UBERMORGEN crée un logiciel d’interrogatoire que les visiteurs peuvent utiliser et qui s’inspire des techniques utiliser sur les potentiels terroristes et ennemis de la nation par le renseignement et l’armée Américaine. Au montage, les extraits de la vidéo finale réalisée à partir des choix du public montrent Chris Arendt imitant les attitudes des soldats, saluant, opérant dans des bâtiments qui évoquent la fameuse prison (en réalité filmé à Südbahnhof, une gare désaffectée de Vienne).

À propos des pratiques comme la torture, le duo UBERMORGEN note : Les événements et les pratiques psychotiques passent inaperçus et nous les acceptons lentement, au fil du temps, pour finir par s’acclimater et se familiariser avec elle. En mêlant des moments de blancheur aveuglante avec la noirceur du black out, se crée un mélange unique de douleur physique et de techniques d’interrogatoire symbolisé par le logiciel que nous avons créé pour l’occasion. Nous n’avons pas à imiter la réalité — notre monde est déjà mis en scène, superficiel et glamour, mais l’utilisateur peut en éprouver la perversion omniprésente (…). Nous rejetons la notion de torture comme légitime défense, mais nous l’acceptons comme partie de la culture rock (4). L’œuvre finale, montée en vidéo, est accompagnée du titre de Rage Against The Machine, Bullet In The Head.

Magneto avait raison !

Au sein de la saga X-Men, série de comics crée par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby, le personnage de Magneto est un super-vilain dont l’unique but et de contrer les super-héros mutants du Professeur Xavier. C’est aussi le personnage le plus ambigu de l’histoire des comics US. Quand les lecteurs découvrent en 1985 que Magneto est un survivant de la Shoah, on comprend alors son angoisse de voir une race de mutants supérieurs prendre le pouvoir sur la race humaine. Lui qui a subi les horreurs au nom de la suprématie aryenne prônée par les Nazis.

Ubermorgen, Userunfriendly. Octobre/Novembre 2013.

Ubermorgen, Userunfriendly. Octobre/Novembre 2013. Photo: © Caroll / Fletcher.

Au fil de la série, on se rend compte que les agissements de Magneto, aussi dommageables soient-ils, sont en réalité dirigés par une éthique humaniste qui, si elle est discutable, prend sa source dans la peur de l’idéologie totalitaire. Sur une fameuse photo de Hans Bernhard et Lizvlx, accompagnés de Chris Arendt, on peut voir se dernier porter un tee-shirt orné du slogan Magneto Was Right. C’est aussi cette idéologie que veut combattre UBERMORGEN. Celle d’un pays, les États-Unis, dont les visées qu’ils jugent suprématistes et totalitaires font plus de mal que de bien au monde qu’ils occupent.

Critique plurimédia super-renforcée

En novembre 2013, le duo d’artistes donne sa première exposition à Londres. Userunfriendly. Comme son titre l’indique (user friendly est un terme informatique signifiant « convivial »), on peut comprendre qu’Userunfriendly signifie tout son contraire et se veut encore une fois provocateur. L’événement est présenté comme suit par le site du galeriste Carroll Fletcher : L’exposition présente des installations, des vidéos, des sites web, des actions, des gravures, des peintures à l’huile numériques pixélisées et des photographies, dans une exploration super-renforcée (superenhanced) et hyper-active, de la censure, la surveillance, la torture, la démocratie, le commerce électronique et la novlangue (4).

On le voit, le « body of work » d’UBERMORGEN ne change pas ou peu. Hans Bernhard et Lizvlx tentent d’y exercer au mieux leur esprit critique, usant de tous les médias à leur disposition afin de mettre en évidence les défauts, les hypocrisies et les dysfonctionnements qui se jouent actuellement, au niveau local, international, géopolitique et économique. Pour cela, ils examinent les usages et les normes actuelles avec distance, dans une remise en question totale des idées profondément intégrées et des comportements standardisés de la société occidentale.

 

Maxence Grugier
publié dans MCD #77, « La politique de l’art », mars / mai 2015

 

www.ubermorgen.com

 

(1) Userunfriendly, A Conversation between Edward Snowden and UBERMORGEN
(2) www.superenhanced.com
(3) http://vimeo.com/23060621
(4) Userunfriendly, A Conversation between Edward Snowden and UBERMORGEN
(5) www.carrollfletcher.com/exhibitions/19/overview/

 

Luzinterruptus est un groupe artistique anonyme, originaire de Madrid en Espagne, et qui s’est spécialisé dans les interventions urbaines et principalement clandestines. En utilisant la lumière comme médium, la ville comme espace d’intervention et la nuit comme écrin, le collectif officiellement composé de deux têtes — mais sans doute plus large — a réalisé de nombreuses actions artistiques éphémères et participatives, derrière lesquelles se cachent souvent des considérations sociales, citoyennes, écologiques ou plus simplement politiques.

Luzinterruptus, The Police Are Present.

Luzinterruptus, The Police Are Present. Photo: © Gustavo Sanabria

On se souvient ainsi de leur intervention The Police Are Present qui était venue « habiller » en pleine nuit une trentaine de véhicules lambda d’un quartier madrilène d’environ 200 barquettes de poulets recouverts de papiers colorés, simplement déposés sur les toits des véhicules, et dans lesquels le groupe avait camouflé des batteries de LEDs clignotants, créant ainsi une profusion de voitures policières symboliques afin de protester contre la nouvelle loi de sécurité civile de la ville. Plus récemment, au début du mois de décembre, le collectif est allé manifester à sa manière devant le ministère de la santé espagnol, en déposant 200 seringues lumineuses en signe de protestation contre une série de décisions et de prises de position de l’institution en question (gestion du cas de l’infirmière espagnole victime d’Ebola, tentative de réforme de la loi sur l’avortement, commentaires du ministre espagnol de la Santé sur les soins à ne pas prodiguer aux immigrants illégaux), provoquant ce coup-ci une intervention rapide des forces de l’ordre pour démonter le dispositif.

Toutefois, en dépit de la nature activiste de leurs interventions, Luzinterruptus revendique fortement un principe de non-violence dans leur déroulement. Nos actions artistiques sont parfois à la limite de la légalité, explique R…, jeune femme membre du collectif, rencontrée il y quelques semaines à Bordeaux pour la mis en place de l’installation Baignade Interdite dans le cadre de la Biennale PanOramas. Elles sont polémiques, mais jamais destructrices. On ne casse rien, mais comme on intervient la nuit, qu’on joue sur une certaine esthétique de la lumière, elles ont souvent un certain écho sans qu’on ait véritablement de problèmes avec la justice.

Luzinterruptus, Baignade Interdite. Biennale PanOramas, Parc de L’Ermitage de Lormont, septembre 2014.

Luzinterruptus, Baignade Interdite. Biennale PanOramas, Parc de L’Ermitage de Lormont, septembre 2014. Photo: © Florent Larronde.

Symboles et participation

Présentée au Parc de L’Ermitage de Lormont, à côté de Bordeaux, dans le cadre de La Nuit Verte du festival, Baignade Interdite renvoie à une autre facette du groupe, celle d’une quête symbolique et d’un profond intérêt pour la nature humaine et les processus de création participatifs. Il y a quelque temps, le collectif s’était déjà immergé au sein d’un quartier d’une ville lituanienne dans le cadre du festival UIT pour la réalisation de l’installation Street Heartbeats. Celle-ci induisait la fabrication de cent cœurs symboliques, des sachets plastiques mis en lumière, suspendus aux arbres d’un parc et contenant des clichés des habitants du secteur réalisés par des photographes de la ville les semaines précédant la performance et trempant dans un bain révélateur de liquide rouge.

Pour Baignade Interdite, deux jeunes femmes du collectif se sont donc introduites pendant plusieurs semaines dans le quotidien des habitantes du quartier pour créer la matière première de l’installation : l’intégration de LEDs dans 1200 gants plastique. Ce sont elles qui se sont proposées directement pour nous héberger, poursuit R… au sujet de leurs hôtes locales. On aime bien s’immerger au milieu des gens avec qui on travaille et on aime travailler avec des femmes. C’est souvent plus facile de travailler avec elles, car, pour nos projets, on doit souvent voir sur place comment les choses peuvent se dérouler. On fait souvent des adaptations en fonction des contraintes.

En l’occurrence, ce principe d’adaptation sur le projet a été bien réel. À l’origine, Baignade Interdite devait en effet se présenter sous la forme d’un dispositif de pantalons et de chemises flottant sous la surface de l’eau du lac du parc de Lormont, éclairé par des LEDs intégrés aux vêtements dans une représentation de corps symboliques noyés. Mais, cela ne fonctionnait pas. L’eau était trop laiteuse, détaille R… On ne voyait pas assez bien. On a donc repensé le projet en reliant les LEDs à des gants. On dispose de 1200 gants, donc c’est du travail. Mais les gens nous ont suivis. On a fait des essais [deux jours avant le jour J !] et comme ça a marché on est parti là-dessus. De toute façon, la phase de test doit être rapide. Ça participe de notre côté interventionniste.

Luzinterruptus, Street Heartbeat. 2014.

Luzinterruptus, Street Heartbeat. 2014. Photo: © Gustavo Sanabria

L’hyperconsommation ciblée

La monumentalité diffuse du dispositif, exhibant la fascinante ligne de flottaison de mains sortant de l’eau comme autant de prisonniers sous-marins cherchant à fuir leur prison liquide, se retrouve dans d’autres créations de Luzinterruptus. La toute dernière pièce du collectif, Anti-Franchise Paper Hearts, présentée juste avant Noël dans la ville anglaise de Stroke-on-trent était ainsi un arbre de Noël géant composé de 2000 sacs plastiques contenant des déchets plastiques recyclables.

Luzinterruptus avait déjà mené un projet similaire l’an passé lors du festival Lumiere de Durham, toujours en Angleterre. Mais, le dispositif gagnait cette année en dimension, la réalisation de cet arbre de plus de 6 mètres de haut ayant mobilisé particuliers, associations et écoles pendant sept jours d’ateliers. Cette critique évidente de nos sociétés d’hyperconsommation et de nos mauvaises gestions des déchets plastiques est d’ailleurs loin d’être finie, puisque l’imagination débridée de Luzinterruptus dispose dans ses cartons d’autres projets du même acabit comme The Plastic We Live With. Celui-ci entend remplir en une nuit tout un bâtiment urbain de milliers de ballons en plastique qui déborderaient littéralement par portes et fenêtres en signe de dénonciation de notre surconsommation de cette polluante matière pétrolifère.

Laurent Catala
publié dans MCD #77, « La politique de l’art », mars / mai 2015

 

www.luzinterruptus.com