la réalité diminuée

Composé de Simon Laroche et Étienne Grenier, Projet EVA est un collectif qui produit des installations performatives déroutantes basées sur le concept de la « réalité diminuée ». Le duo canadien entame une tournée avec Nous sommes les fils et les filles de l’électricité, présenté en avril dernier à la Villette, lors de 100% Expo. Rencontre avec ces deux artistes fantasques…

Projet EVA, Cinétose.

Projet EVA, Cinétose. Photo: © Gridspace.

Comme dans Cinétose, créé en 2012, c’est d’abord l’aliénation du spectateur qui s’exprime dans Nous sommes les fils et les filles de l’électricité, dernier né du collectif Projet EVA. Cette fois, ce ne sont pas les immenses plaques de métal s’abattant sur les têtes des spectateurs qui conditionnent l’enfermement psychologique. Ici, il s’agit d’images projetées sur le visage d’une quinzaine de cobayes volontaires installés en cercle, parodiant une expérience inquisitoire de la CIA dans les années 50… Derrière cette hallucinante thérapie collective et cette mise en scène déroutante, Simon Laroche et Étienne Grenier revendiquent un projet artistique mûr et réfléchi. Leur travail ne met pas simplement en relation les individus à des systèmes informatiques, il revêt une dimension éminemment critique de notre société. Alors que d’autres s’emparent des outils technologiques pour ouvrir de nouvelles perspectives à l’homme (voir l’invisible, etc.), Projet EVA préfère restreindre le « champ des possibles » et imposer un concept inédit : celui d’une réalité diminuée. À travers quelques questions, Simon Laroche et Étienne Grenier expliquent leur démarche et leurs projets du moment.

Projet EVA, qu’est-ce donc ?
Simon : Nous nous sommes rencontrés lors de nos études. Nous nous intéressions au multimédia, qui est devenu, plus tard, l’art numérique. C’est à ce moment, en 2003, que Projet EVA est né. EVA signifie « Électronique Vivante Asservie ». Nous avons rapidement travaillé sur des projets expérimentaux. Depuis, l’idée est de mélanger différents médiums et systèmes biologiques artificiels. Nos créations prennent vie à travers des installations-performatives.
Étienne : Nous avons déjà produit une quinzaine d’œuvres. Dans chacune d’elles, des systèmes informatiques rencontrent des systèmes biologiques ou humains. Nos projets remettent en question la notion de contrôle.

Justement, qu’entendez-vous par « notion de contrôle » ?
Simon : Le contrôle peut être d’ordre social ou psychologique et exercé par des instruments technologiques. L’échelle importe peu. Par exemple, nous venons de remporter un concours à Montréal où nous déploierons Cortège. Il s’agit d’une fiction où l’on manipule l’individu dans la ville.
Étienne : Notre vision générale interroge les rapports sociaux entretenus avec les technologies. Là dessus nous développons une approche critique. Nous avons mis en place une inversion de concept : aujourd’hui les gens parlent beaucoup de réalité augmentée… Nous, nous préférons invoquer la réalité diminuée. Finalement ce qui nous intéresse c’est la réduction du champ des possibles.

Projet EVA, Nous sommes les fils et les filles de l’électricité.

Projet EVA, Nous sommes les fils et les filles de l’électricité. Photo: © Gridspace.

Quand avez-vous intellectualisé le concept de réalité diminuée ?
Étienne : Dès 2009. On va tous y passer fut notre première création à aborder ce concept. À l’origine c’est une installation vidéo qui ne se présentait pas comme une œuvre d’art. Nous avions placé l’installation dans un lieu très fréquenté de Montréal. Un grand écran vidéo, dans lequel nous avions installé une caméra de surveillance, était disposé derrière une vitrine. Les passants pensaient qu’il s’agissait d’un dispositif sécuritaire. L’installation identifiait en temps réel quelqu’un dans la foule et l’effaçait. Des individus disparaissaient donc sur un moniteur vidéo. Peu après, en 2011, nous avons créé This is no game. Ici le public est appelé à contrôler les actions de deux performeurs sous la métaphore du jeu vidéo. Avec un système de caméra et de manettes de jeux, ces derniers, totalement aveugles, sont asservis par la volonté d’un joueur-spectateur. Avec Nous sommes les fils et les filles de l’électricité, notre dernier projet, on poursuit cette exploration de la réalité diminuée. On cherche à créer une communauté artificielle où les gens interagissent les uns avec les autres à travers des outils technologiques. Encore une fois cette interaction est nécessairement handicapée. Nous imposons certaines barrières par le biais d’une expérience de contrôle des esprits.

En quoi consiste Nous sommes les fils et les filles de l’électricité ?
Simon : Étienne et moi invitons 16 participants à porter un casque. Un vidéo-projecteur éclaire leurs visages. Ils reçoivent alors tous des indications audio sur la façon de se comporter. Ce sont des « spect-acteurs » qui doivent se mettre en scène. Cela prend la forme d’une thérapie collective artificielle puisqu’elle est mise en place par un système de contrôle qui souhaite les amener à interagir. Nous alternons des moments narratifs légers et des moments vraiment cauchemardesques. Cette création est inspirée d’une expérience de la CIA des années 50. Il s’agissait d’un interrogatoire où l’on administrait du LSD à des individus sans qu’ils le sachent. Le but était d’asservir l’esprit des gens. On joue sur cet univers décalé en flirtant avec une connotation d’illégalité.

Projet EVA, This Is No Game.

Projet EVA, This Is No Game. Photo: © Gridspace.

Comme dans vos autres pièces, la dimension live est prépondérante…
Simon : La prise de risque est importante, car c’est elle qui donne corps à la performance. D’autre part, les projets doivent nécessairement moduler certains aspects. Avec Cinétose nous n’avions pas le choix. Le plafond qui descend sur le public ne peut qu’être contrôlé manuellement. Nous prenons des décisions qui sont liées à la sécurité, mais pas uniquement. Aussi, si pendant une représentation un spectateur reste debout, il faut mettre en scène le geste ou le non-geste d’une personne qui tente de défier la machine. Dans Nous sommes les fils et les filles de l’électricité, les gens parleront, mais on ne sait pas s’ils tricheront, se retiendront, seront exubérants… Il faut donc garder une certaine maîtrise. Si l’un de nos matériaux d’expérimentation est la psychologie humaine, le comportement, les gens, leurs paroles, il faut pouvoir proposer un live flexible.

Tout à l’heure vous évoquiez le projet Cortège
Étienne : Nous nous sommes inspirés des pratiques du « similitantisme » [néologisme français pour astroturfing, NDLR]. Il s’agit de faux groupes créés par des corporations pour faire des campagnes politiques et influencer l’opinion publique. Nous faisons également écho à la légende du joueur de flûte de Hamelin qui vide une ville de tous ses enfants. À partir de cette trame, nous créons une sorte de grand jeu qui sera accessible à partir de 2017 pendant 5 ans. L’action se déroulera dans une section du centre-ville de Montréal, là où d’ordinaire tous les groupes et manifestations se rassemblent. Via une application pour smartphone, le « spect-acteurs » plongera au cœur d’une expérience sonore où il devra prendre part à des actions déterminées par le jeu.
Simon : Ce qui nous amuse c’est de voir comment une intelligence artificielle peut inciter à une action collective alors même que l’on ignore les motivations réelles.

 

propos recueillis Adrien Cornelissen
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

Infos: http://projet-eva.org

 

metteur en son

Martin Messier, jeune artiste montréalais, est devenu l’une des références lorsqu’il s’agit de mettre en scène des œuvres sonores. Ses performances décalées sont présentées dans les plus grands festivals internationaux : Mutek au Canada, Sonar à Barcelone, Transmediale à Berlin ou Nemo à Paris. Elles mettent en avant les corps en mouvement et la musicalité d’objets, tantôt inventés, tantôt détournés.

Martin Messier, Projectors.

Martin Messier, Projectors. Photo: © Maxime Bouchard.

Créée en 2011, Sewing Machines Orchestra rassemble une dizaine de machines à coudre des années 40 composant une véritable symphonie bruitiste. Ces objets — crayons, projecteurs 8 mm ou réveille-matins — se transforment parfois en structure plus abstraite. Machine_Variation, gigantesque mécanisme fait de bois et de métal, explore de nouvelles sonorités à la croisée de l’acoustique et de l’électronique. L’artiste ne cesse de repousser les frontières, mélangeant danse et art numérique à ses compositions. Entre deux dates d’une tournée bien chargée, Martin Messier est revenu sur son parcours. Entretien avec cet artiste qui murmure à l’oreille des objets.

Comment vous êtes-vous dirigé vers les arts numériques ?
Étudiant en électroacoustique au début des années 2000, je ne maîtrisais que le son. Puis je me suis intéressé à la vidéo. Cela m’a forgé une culture numérique, notamment sur la relation son-image. En 2007, je suis devenu membre de Perte de Signal. Dans ce centre d’artistes montréalais, j’ai côtoyé une nouvelle génération qui concevait des installations et qui évoluait dans le domaine des arts médiatiques. Aujourd’hui, je me rends compte que je suis catalogué comme artiste numérique. Tous mes projets sont des performances, mais je ne les aborde pas comme des projets numériques. Avant tout, il faut qu’une expérience vivante se passe, peu importe le médium. La part du corps sur scène est donc prépondérante.

C’est ce qui définit votre empreinte artistique ?
J’accorde toujours une grande importance à la présence humaine même si elle ne définit pas entièrement mon travail. Je préfère parler de « physicalité » sur scène. Je m’intéresse alors à la façon de produire une œuvre. Le résultat final n’est pas chose sacrée. Dans l’ensemble, mes projets ont en commun la synchronisation du son et de la gestuelle. Mon travail se passe uniquement sur scène avec une série d’objets. Je ne produis jamais de CD ou de publications sonores. C’est la performance qui est unique et qui me distingue sans doute des autres artistes.

Vous parlez de « physicalité », pourtant la mécanique est toujours présente…
Ce sont deux notions complémentaires à mes yeux. Les objets que j’utilise, quels qu’ils soient, réveille-matins, électroménagers ou machines à coudre, sont manipulés par des humains. Pour les animer, il doit y avoir un contact physique, un toucher. La rencontre entre la mécanique et l’homme est primordiale.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines. Photo: © Isabelle Gardner, 2010.

D’où vous vient cette passion pour le détournement d’objet ?
L’usage d’objets quotidiens est né d’une volonté de réinventer mon environnement. Je recherche une deuxième fonctionnalité, un second degré aux objets. Ensuite j’effectue un travail d’orchestration et de composition. Nous oublions que la machine à coudre produit du son alors qu’il existe un potentiel musical énorme, plus important d’ailleurs que ce que j’avais initialement imaginé pour Sewing Machines Orchestra. Jusqu’alors l’usage des objets du quotidien était omniprésent. Ils tendent désormais à disparaître de mes créations. Ce n’est donc pas l’essence de mon œuvre. Je suis capable de travailler sur une forme de matériau physique, palpable, mais pas nécessairement dérivée de notre environnement.

Vous entamez donc un nouveau cycle de création ?
Je ne conceptualise jamais mes projets. Ils apparaissent au gré de mes fantasmes. J’ai un rêve, je tente de le réaliser. Le public m’identifie pour mes détournements d’objets, mais passer d’un objet à l’autre indéfiniment n’est pas une démarche séduisante. Depuis peu, je change de direction afin d’amener la musicalité plus loin dans l’expérimentation. Ce qui m’intéresse dorénavant c’est la performance, non l’objet. Ainsi Machine_Variation était déjà un détournement plus abstrait et moins identifiable. La dimension scénographique se place au centre de toute réflexion. Cela permet une visualisation de la forme, du son et du déroulement de la performance. Projectors, illustre mon nouvel attachement à la scénographie.

Quelles sont vos créations les plus marquantes ?
Ma première performance, The Pencil Project [N.D.L.R détournement de crayons], a changé du tout au tout ma façon d’appréhender la création. Pour la première fois, je prenais un objet en le décortiquant et en allant au maximum de ses possibilités. Elle m’a permis de réfléchir à la cohérence d’un projet. Ce qui est acceptable de voir et ce qui ne l’est pas, de faire ou ne pas faire… C’est également à partir de ce moment que j’ai commencé mes premières  collaborations.
Plus tard Sewing Machines Orchestra a connu un vrai succès à travers le monde. Il y a eu un avant et un après cette performance. Je ne m’attendais pas à ce succès même si Singer, la marque des machines à coudre que j’utilise, était mondialement réputée. Finalement j’étais naïf en pensant que je n’allais faire qu’une date.
La Chambre des machines, une machine faite d’engrenages et de manivelles, est une autre création majeure. Pour la collaboration avec Nicolas Bernier [N.D.L.R artiste canadien, auteur de frequencies(a) Prix Ars Electronica 2013]. Ensemble nous avons réalisé la conception sonore et visuelle. Si Nicolas a une démarche conceptuelle, je suis beaucoup plus spontané. Je revendique des concepts simples : faire une performance où la gestuelle est amplifiée.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines.

Martin Messier & Nicolas Bernier, La Chambre Des Machines. Photo: © Isabelle Gardner, 2010.

C’est ce qui explique un retour à des projets solos ? 
Je crois que les premières collaborations sont toujours faciles. Avec le temps je suis moins enclin à faire des compromis. Je parlais de rêve tout à l’heure… parfois je rêve en solitaire. C’est le cas avec Projectors ou Field qui était présentée pour la première fois à Mutek 2015. Et puis c’est aussi une question de timing… Dans les prochains mois, je termine mes collaborations avec les chorégraphes Anne Thériault et Caroline Laurin-Beaucage. En vérité, je n’aime pas travailler seul. Je préfère me nourrir d’ échanges. Intellectuellement, je trouve cela plus stimulant.

Quels artistes vous ont marqué dernièrement ?
À Berlin j’ai eu la chance de voir une pièce du chorégraphe allemand David Wampach. Les costumes et les décors sont vraiment osés. Son univers m’a totalement surpris. Quand je suis sorti du spectacle, je me suis dit qu’il avait réussi à sortir le spectateur de sa zone de confort. Pour ma part ce fut le cas ! Côté art numérique, sans hésiter, je cite le Mexicain Mario de Vega. Je suis traumatisé par son travail. La meilleure performance jamais vue. Une présence exceptionnelle sur scène alors qu’il n’y a qu’un homme derrière quelques machines. Que quelque chose d’aussi simple soit aussi beau, je trouve cela très inspirant.

propos recueillis par Adrien Cornelissen
remerciements à l’équipe de Stereolux pour l’organisation de cette rencontre
publié dans MCD #79, « Nouveaux récits du climat », sept.-nov. 2015

> http://www.mmessier.com/

interview de Mike Stubbs

Mike Stubbs a été responsable des expositions de l’Australian Centre for Moving Image (ACMI) entre 2002 et 2007, période pendant laquelle il a aussi participé à de nombreux événements à l’international. Depuis 2007, il dirige la Foundation for Art and Creative Technology (FACT) de Liverpool.

Mike Stubbs. Photo: © Rodger Cummins.

Les activités de FACT s’inscrivent-elles dans la continuité de la section Live & Media Arts de l’ICA de Londres qui a fermé il y a quelques années ?
Je connais bien cette initiative de l’ICA pour y avoir participé en tant qu’artiste et curateur. Le projet était lié à un partenariat commercial avec Sun Microsystems, ce qui signifiait que l’on devait s’efforcer d’utiliser les machines de la marque. L’ICA, en termes d’espace accessible au public n’était pas très grand, et ce que l’on appelait le Centre des Nouveaux Médias n’était en réalité qu’un placard sous un escalier. En le voyant, on comprenait alors que ce n’était rien d’autre qu’une pièce d’où l’on pouvait accéder à des archives numériques pour présenter des travaux sur écran. L’histoire de FACT, succédant au festival Video Positive initié 1988, se déploie sur près d’une trentaine d’années. Des organisations comme le FACT, le ZKM, l’Ars Electronica Center ou l’ICC se sont institutionnalisées à un moment où il y avait un réel engouement pour les nouveaux médias alors que le projet de l’ICA est arrivé un plus tard. Notre fondation, spécialisée dans la présentation d’images en mouvement et d’œuvres interactives, a dû évoluer en observant le monde de l’art contemporain pour en adopter bon nombre des pratiques. Dans le même temps, l’industrie créative s’est réappropriée l’essentiel des médias numériques comme une sorte de régénérateur économique symbolisant les entreprises émergentes.

La consécration par les villes d’un art numérique récréatif n’est-elle pas de nature à desservir la reconnaissance du numérique dans l’art contemporain ?
FACT a évidemment été partenaire de Connecting Cities, le réseau d’art contemporain financé par l’Europe et visant à encourager les expériences performatives dans l’espace public. Lorsque nous avons commencé à aborder le programme de la soi-disant « ville intelligente », c’est devenu très ennuyeux pour moi, car cet aspect des choses ne m’intéresse pas véritablement. Bien que ces choses se produiront quoi qu’on fasse; considérant la connexion des architectures aux Metadata, sans omettre l’Internet des Objets ou, plus largement, la manière dont on peut organiser une société plus efficacement. Tout cela est en train d’arriver et en grande partie pour de bonnes raisons, car je n’adhère pas du tout à la théorie du complot selon laquelle nous pourrions tous être contrôlés, même si nous devons rester vigilants étant donné que nous partageons un ensemble de technologies.

Que pensez-vous des événements qui, se focalisant sur le social ou le politique, tendent à s’éloigner quelque peu de la sphère de l’art ?
Je travaille actuellement avec David Garcia et Annette Dekker sur un projet d’archive relatif à l’usage, dans les années 1990, des médias tactiques en vue d’une publication du MIT. Sans omettre que FACT est très impliqué dans la collaboration avec de larges communautés. Nous collaborons, par exemple, avec Krzysztof Wodiczko qui a travaillé pendant trois mois avec un groupe de soldats de retour d’Irak, d’Afghanistan ou de Bosnie. Ces soldats ont souhaité continuer le projet. Nous avons donc fait une recherche de financement et, depuis maintenant six ans, nous travaillons avec eux pour les aider à créer en se reconnectant à la société. Pour moi, ce facteur d’implication dans une communauté est un produit dérivé du travail d’artiste. Récemment, nous avons aussi passé une commande à un collectif d’architectes qui s’appelle Assemble et vient de remporter le prestigieux Turner Prize. Ce qui a eu pour effet d’initier un débat sur les pratiques engagées socialement : pourquoi un prix d’art contemporain est-il décerné à un collectif d’architectes ? De notre côté, nous les avons invités dans le cadre d’un projet intitulé Build Your Own. L’hypothèse étant de considérer que les gens contrôlent leur propre destinée. C’est au cœur d’un ensemble de questions que doivent se poser les artistes, les designers et les architectes. Ce que je retiens de tout cela, c’est que pour obtenir le meilleur en collaborant avec des artistes, il faut les laisser agir librement tout en créant des situations ou circonstances sociales dans lesquelles ils puissent opérer avec des gens avec qui ils puissent évoluer.

Nam June Paik & Norman Ballard, Laser Cone, 2001-2010. Photo: © Stephen King.

Comment considérez-vous cette tendance post-Internet de l’art contemporain qui consiste à contextualiser les pratiques numériques dans un white cube ?
Notre exposition en cours s’appelle Follow et joue beaucoup sur la relation entre l’identité culturelle et l’identité en ligne, avec l’idée que nous sommes tous devenus nos propres marchandises. Cependant, je n’adhère pas vraiment à cette étiquette du post-Internet. Elle est pratique, comme les autres, mais je pense que nous avons déjà dépassé ce moment. Nam June Paik a été l’inventeur du terme « autoroute de l’information » en étant le premier à utiliser cette expression qui s’est ensuite étendue à la technologie et à l’industrie globalisées, mais, il s’agissait bien au départ d’une terminologie d’artiste. Il a d’une certaine manière pu entrevoir, à partir d’une posture utopique, le potentiel de l’internationalisme à travers l’usage des réseaux électroniques. Or l’art post-Internet n’est qu’une adaptation socioculturelle permettant de composer avec un ensemble de technologies. En ce moment, nous travaillons avec les artistes Cécile B. Evans, Constant Dullaart et l’acteur Shia Labeouf. Quand ce dernier a fait sa performance, nous avions 2000 visiteurs par jour pour 370 000 vues en ligne. Or ce public est presque plus intéressant, car la plupart de ces personnes ne s’intéressaient pas à l’art.

Quels conseils donneriez-vous à un curateur émergent se situant à la croisée des arts et médias ?
J’aurais naturellement tendance à lui conseiller de déconstruire ce que nous entendons par curateur. […] Mais je pense que si l’on échange avec la jeune génération d’aspirants curateurs, on se rend compte qu’ils ont une approche différente des cultures numériques. Chez eux, elle s’inscrit dans les médias sociaux, lesquels, en fait, deviennent une plateforme plus puissante que les galeries. Il se peut que le système des galeries appartienne au passé. Il est de notre devoir de protéger ce modèle en s’impliquant pour permettre à de nouvelles générations de curateurs d’expérimenter, d’innover. Je pense qu’un jeune curateur doit passer autant de temps que possible avec les artistes afin de comprendre la nature de l’art. Je ne pense pas que le rôle des curateurs est de faire partie d’une classe privilégiée de gens voyageant en avion à travers le monde pour découvrir des pièces clinquantes et les présenter. Un curateur digne de ce nom doit s’impliquer dans les mêmes questionnements et domaines de recherche que les artistes qu’il présente. Mais il doit aussi chercher à initier des expériences qui créent du lien, pour des publics larges, et pas seulement pour le monde de l’art.

Dominique Moulon
publié dans MCD #81, « Arts & Sciences », mars / mai 2016

> www.fact.co.uk

du 17 au 23 octobre à Paris

La Digital Week / Semaine numérique : Art, Création & Innovation a pour vocation de proposer au plus grand nombre, collectionneurs, galeristes, amateurs et jeune public, un parcours et des événements clés autour de la création digitale et de l’art contemporain numérique. La Digital Week est produite par la start-up Art2M fondée et dirigée par Anne-Cécile Worms et les associations Nextday!, fondée et dirigée par Corinne Toulot, et MCD.

Depuis 2014 la Digital Week s’est installée, comme le rendez-vous culturel et innovant destiné à valoriser les artistes, les producteurs et les lieux prestigieux associés à la création contemporaine numérique. Au total c’est près d’une trentaine événements qui sont proposés au public à Paris, dans plus de vingt lieux partenaires. Au programme des expositions, des conférences et rencontres, des performances et des concerts, un parcours FabLab et des ateliers autour de la création numérique !

À terme, il a pour ambition de s’installer comme un des temps forts de la rentrée et de se décliner dans tous les territoires : en Ile de France, en France comme à l’international. La Digital Week fait partie de la Biennale d’Art Contemporain Numérique soutenue par Arcadi- Île-de-France. La troisième édition de cet événement se déroulera du 17 au 23 octobre 2016 à Paris dans des lieux prestigieux parisiens dédiés aux cultures numériques.

Infos: http://digitalweek.paris/

sexe & réalité virtuelle

Ce mois de juin 2016, au Japon, avait lieu le premier salon consacré à la réalité virtuelle et l’érotisme, pour parler par ellipse. On y a refusé du monde. Et sans doute, m’y aurait-on refusé si j’avais été sur place. Après tout, c’est fascinant tous ces godes et autres vagins artificiels qui sortent des placards. Jadis, frappé du sceau de l’infamie ou de la solitude, le dildo désormais connecté fait son entrée dans la classe des super fétiches, celle des objets interactifs. Ajoutez-y de la réalité virtuelle et c’est du transmédia, pinacle de la modernité.

Une des démonstations proposées lors du Adult VR Fest 01, le premier salon sur la réalité virtuelle et l’industrie du sexe au Japon.

Une des démonstations proposées lors du Adult VR Fest 01, le premier salon sur la réalité virtuelle et l’industrie du sexe au Japon. Capture d’écran. Photo: D.R.

En y réfléchissant bien, tous les objets interactifs ont une charge érotique, prenez l’iPhone — que l’on dit tout puissant malgré sa petite taille — et dont on tripote le verre poli toute la journée. On ne s’étonnerait pas de lire un slogan qui affirme Tu tueras ton laptop et tu épouseras ta tablette. Le marketing de la technologie et ses courbes qui prédisent le désir, l’adoption et la mort d’un produit, qu’on se le dise, c’est freudien. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter, si l’on en croit les prophètes du transhumanisme, nous sommes les organes de reproduction de la machine. Alors, autant commencer l’entraînement.

La réalité virtuelle est donc porteuse de nouvelles technologies masturbatoires. Pourtant, à ce jour, qui est encore jeune sur le marché grand public, les suppôts de l’Internet is for porn nous plongent encore dans une réalité virtuelle générique, à base de vidéos immersives pré-enregistrées avec un acteur actif, hétérosexuel et TBM. Triste d’apprendre que, plutôt que nous singulariser dans son potentiel infini, la réalité virtuelle nous uniformiserait dans une nouvelle itération d’un WASP qui serait devenu hardeur. On est encore loin de ce qu’ont pu expérimenter les pionniers de l’érotisme appareillé et virtualisé.

En attendant que la réalité virtuelle porno-industrielle fasse son coming out et plus si affinité, il ne faut pas être devin pour prédire de nouveaux onanismes superlatifs. Poursuivant sa propre loi de Moore, la sexualité par machine interposée se nourrit de l’évolution des supports médiatiques, des épaules nues de l’icône religieuse à la bande dessinée, de la VHS à Youporn et en ce qui concerne les objets transitionnels, elle suit l’évolution des outils, bois, métal, plastique, puis mécanique, électronique, wearables ; demain, les implants et la robotique. Un futur que ne renierait pas le réalisateur David Cronenberg.

Technologies humides, membranes palpitantes, électro-stimulation, en fait, l’objet interactif qui sert de mètre étalon, c’est nous les humains. Avec ce dont Steve Jobs — pour les croyants — a bien voulu nous doter pour être le plus universel possible ; prises mâles et femelles, port USB pour la sensation, port HDMI pour la représentation. Seulement, le Grand Architecte se mélange parfois les crayons… Notre programme peut se révéler différent de ce que laisserait paraître notre design. Heureusement, il y a aussi une application pour ça : l’avatar.

Un cancérologue américain stipule que la construction du corps sophistiqué, cerveau, membres et perception, a commencé à se développer quand, aux premiers stades de l’évolution, la cellule s’est divisée. Précisément pour aller chercher l’autre — prêt à succomber au premier qui se serait inventé une paire de jambes, entre autres. Suivant cette hypothèse, le corps aurait donc été créé autour de la cellule pour remplir un dessein libidineux. J’estime que l’on retrouve cette pulsion chez l’avatar.

D’ailleurs, je l’ai vécu. En tant que patient zéro de Second Life, ce continent virtuel né en 2003 et dont le hasard a voulu que je fasse partie des premiers résidents. Il n’offrait pour toute représentation de soi qu’un avatar émasculé. Je n’en étais pas particulièrement chagriné, l’idée d’expérimenter un plaisir sexuel dans cette plateforme ne m’était même pas venue à l’idée. Pourtant, 28 millions d’avatars plus tard, les gens se pinçaient le nez en évoquant un Second Life devenu une cour des miracles du sexe. Comment expliquer une telle dérive — que j’estime, pour ma part, joyeuse et salvatrice.

Le tournage d’une scène de réalité virtuelle à 360° pour le magna français du sexe Marc Dorcel. Photo: © Marc Dorcel

Pour le comprendre, il faut se référer à ce qu’offrait le jeu vidéo au titre de l’interaction entre les joueurs. En étant un peu provocateur, je dirais « une balle dans la tête ». Oui, l’interaction physique la plus commune dans le jeu vidéo, c’est le frag. L’altérité, c’est la victime. Il aura donc fallu attendre la co-construction d’un monde virtuel, entre joueurs consentants, pour satisfaire un besoin plus primordial que se vider des chargeurs dessus. On peut y voir une certaine parenté, le pénis comme arme par destination et j’avais coutume de dire que les mondes virtuels et les jeux vidéo, c’est un peu Eros et Thanatos.

Mais revenons à Second Life et à mon avatar eunuque. Si j’y suis resté si longtemps, c’est sans doute à cause de ma première rencontre. Aux premières heures de mon exploration de ce monde en gestation, j’avais trouvé des ailes d’ange et des cornes de diable dont je m’étais affublé pour seuls attributs — j’étais déjà sans doute déjà en pleine crise dividuelle Et tandis que je m’approchais d’une maison à l’architecture sommaire, un point vert s’affichait sur la carte, synonyme de présence humaine. Planté devant le seuil, et bien que mes super sens avatariens me l’avaient déjà indiqué, je demandais timidement : Il y a quelqu’un ?

Une voix féminine — du moins, je l’imaginais, car le chat indiquait un nom féminin — me répondit : Oui attend, je m’habille. Dans Counterstike, j’aurai sans doute commandé une attaque au napalm, mais ici j’attendais le sourire aux lèvres, et je me disais : OK, je suis un tas de pixels, anonymisé qui plus est et elle aussi. Pourtant, le respect m’interdit de pénétrer à l’intérieur, et elle ressent de la pudeur. Ces questions ne posent pas dans la réalité dirigiste d’un jeu vidéo. L’expérimentation des mondes virtuels invite à reconnaître l’autre comme une manifestation du vivant, bien que sous une forme numérique primitive. Nos avatars semblaient ainsi prêts à faire société.

Rapidement, les plus créatifs d’entre nous inventèrent des systèmes pour se congratuler, s’étreindre, danser en couple ou s’embrasser et finalement faire l’amour. Entre avatars humanoïdes, avatars humanoïdes transgenres, puis interespèces pourquoi pas. Chacun disposait d’attributs spécifiques que l’on pouvait trouver dans des boutiques spécialisées dans les organes génitaux. Quoi de plus banal pour une sortie en amoureux ? Les innovations suivaient les besoins qui se faisaient jour dans le cours naturel des relations qui se tissaient peu à peu chez les habitants, puis ceux des communautés spécifiques qui venaient trouver refuge dans la plateforme.

Second Life faisait état dans sa communauté de pratiques sexuelles audacieuses, voire franchement déviantes. L’avatar porte en lui la frustration de son immatérialité et se consume parfois sur l’incandescence de son désir. Je n’y cédais pas vraiment, préférant documenter mes rencontres. Mais alors que je photographiais des avatars de plus en plus sophistiqués, je sentais que mon désir prenait le pas sur ma curiosité journalistique. Je n’avais jamais éprouvé d’émoi sexuel envers les avatars d’emprunts que l’on pouvait trouver dans les jeux vidéo, mais ici les avatars fabriquaient eux-mêmes leur apparence et bombardaient mes neurones d’une communication non verbale qui semblait dire « Aime-moi ». Aucun détail de l’avatar n’échappait à la sagacité narcissique, tout simplement parce que c’était possible.

Au cours de séances photo interminables, je cherchais à capturer l’instant où l’humanité du modèle se manifesterait au travers de son substitut numérique. J’y prenais beaucoup de plaisir, partagé, je crois. Je développais une sensibilité, à l’image de la pellicule impressionnée par la lumière, je me faisais témoin de la détermination des avatars à faire exister leur identité. Aujourd’hui les photos ont vieilli par rapport à l’évolution des normes esthétiques de la plateforme et je suis surpris d’avoir pu ressentir un tel désir à l’époque. J’en conclus que sans la présence instantanée de son hôte, l’enveloppe de l’avatar s’éteint comme un gisant et je ne saurais dire si le vivant s’incarne uniquement dans le regard de l’observateur. Ce qui laisse de belles perspectives à la machine à nous envoyer des leurres.

De nombreux utilisateurs de Second Life revendiquent une identité virtuelle qui intègre la sexualité.

À l’origine peuplé de Californiens, de nombreux utilisateurs de Second Life revendiquent une identité virtuelle qui intègre la sexualité. Capture d’écran. Photo: D.R.

Toutefois, je pense que le désir trouve sa voie même au-delà des supports de représentation. J’ai été surpris de constater la créativité que pouvaient développer les joueurs pour mimer une sexualité dans des environnements qui ne s’y prêtaient pas vraiment, notamment des jeux vidéos. Les joueurs détournaient telle posture ou telle animation pour avoir l’opportunité de s’accoupler symboliquement dans leur territoire d’élection. Que se soit dans World of Warcraft ou même des environnements peuplés d’avatars primitifs, je ne serais pas surpris que Minecraft possède ses propres rites. Mais l’intérêt d’une plateforme créative telle que Second Life, c’est que la direction artistique n’est pas centralisée par quelques développeurs qui livrent un produit fini à la dévotion de ses utilisateurs.

De fait, les outils de séduction étaient et sont encore en constante évolution dans Second Life, et ce savoir-faire n’est pas uniformément réparti, de nouveaux éléments inventés, ici ou là, cheminent en vertu d’une lente viralité. Ici, un avatar porte des cheveux souples, là une démarche, une robe, une couleur de peau. De nouveaux chocs esthétiques pour les uns, sensuels pour les autres. Sans rejoindre les rangs de ceux qui trashaient leurs avatars d’un jour dans des zones où se pratiquait une sexualité frénétique, je confesse quelques ébats avec des partenaires dont je ne savais pas vraiment qui se trouvaient derrière et précisément, c’était une étiquette. WYSIWYG (What You See Is What You Get), ne pas s’enquérir au-delà de l’identité sous laquelle se présente l’avatar.

Ne pas connaître la vraie nature de mes partenaires me permettait d’y projeter ce que je désirais. L’avatar est un canevas et j’étais moi-même un canevas offert à l’autre. Si la réalité virtuelle possède la vertu de donner vie aux concepts, et donc dans un registre sexuel, aux fantasmes, à mon sens, elle va plus loin. La différence essentielle entre le rêve et la réalité, c’est que cette dernière est partagée. La réalité virtuelle possède donc une caractéristique supra identitaire. C’est peut-être ici qu’il faut chercher ce qui est propre à pimenter nos désirs au-delà du réel. Autrement dit, une réalité virtuelle dans un contexte social qui appelle de vraies expériences. Sa contribution par rapport à une relation charnelle, c’est l’abolition d’un certain nombre de facteurs qui freinent la relation ; la distance, le genre, les critères sociaux.

Certains pensent que la réalité virtuelle affranchit aussi de la morale. S’il s’agit de la moralité des prélats, sans doute, mais il ne faut pas penser la réalité virtuelle comme un espace exclusif, à l’abri de toute moralité. Ce serait faire insulte à ceux qui la partagent avec soi et qui ont peut-être un autre avis sur la question. La réalité virtuelle peut être vecteur de discrétion, de subdivision d’avec le réel dans le creuset machinique, mais c’est aussi l’un des rares espaces informatiques qui offrent une telle palette d’expression aux humains et qui multiplient, de fait, les liens de causalité avec le réel.

Prenons l’exemple du ghosting, pratique qui consiste, après avoir éveillé les sentiments d’une personne, à disparaître du jour au lendemain en profitant de l’intracabilité de l’avatar. Certains poussent le vice à réapparaître sous une identité alternative dans le cercle de l’éconduit pour constater sa souffrance. Ce n’est plus l’exclusivité des mondes virtuels, le ghosting sévit aussi sur les réseaux sociaux. C’est l’une des raisons qui a vu se développer le roleplay dans Second Life, qui consiste à explorer les relations dans un contexte scénarisé. Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas. Si la réalité virtuelle favorise le développement de nouvelles formes de souffrance amoureuses, certains pensent qu’elle pourrait aussi, un jour, offrir plus de possibilités qu’une simple rencontre carnée.

Philip Rosedale, le créateur de Second Life, n’est plus à la tête de cette plateforme, mais il imagine toujours le futur des communications via des dispositifs virtuels et évoque la possibilité de faire apparaître les émotions, au moyen de capteur EEG par exemple. Une machine à sonder les cœurs amoureux. Si vous refusez cette idée, d’autres la réaliseront à votre place. Parmi les pionniers qui ont profondément transformé la sexualité au travers des substrats technologiques, on compte ceux qui considéraient que c’était la seule issue à leur épanouissement sexuel, pour cause de handicap, d’isolement, de surpoids, d’identité contrariée ou que sais-je ? Considérons ceci, la prosthétique s’est développée pour traiter le handicap et servira demain à augmenter l’homme. Que de nouvelles formes de sexualités, satisfaisantes à terme pour tous, naissent sous la gouverne de ceux qui en étaient exclus, voilà une belle idée.

Nicolas Barrial
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

comme volonté et comme représentation

Commençons par la fin : la réalité virtuelle est la continuation de la Mathesis universalis par d’autres moyens et toute représentation du Monde est Parole, autonomisation du com/prendre et saisissement de celui-ci, Spectacle. Interroger le virtuel, c’est l’interroger comme espace de jeu et de liberté ou d’ »arraisonnement », comme représentation et comme volonté. Il faut parfois quelques mots « techniques » pour voir les choses ; car tout le monde a écrit sur le virtuel, alors que l’essence du virtuel, comme dirait l’autre, n’est rien de virtuel. Nous interrogerons donc le virtuel en nous concentrant sur ce que sont la représentation, la Mathesis universalis et le « merveilleux scientifique » qu’une telle notion et technique achève.

Laura Mannelli, (sans titre). Photo: © Laura Mannelli.

La représentation, ou Le Monde est une Parole qui se cherche
Toutes les images, les proses et la poésie évoluent entre le vraisemblable et la Raison, décrivant les moments du vrai ou ce que l’homme peut comprendre pour se donner du sens. La provocation perpétuelle des arts, puis de la « technique moderne », tente de conquérir ce vrai fractionné. C’est-à-dire que la moindre représentation montre toujours quelque-choseen-acte, un cheminement vers du sens, et un système culturel, mais encore se montre nécessairement elle-même, cherchant leur Shakespeare, Tolstoï, Malevitch ou Grothendieck. Alors la représentation, c’est le langage qui cherche à se dire lui-même et, donc, toujours, c’est l’homme dans ses légendes et dans cette immémoriale humanité de l’homme (Legendre, 2016).

Avec les Modernes, disons que la représentation est le déni d’une absence, un substitut (Freud) et assurons qu’elle incarne une contrainte (Durkheim), tandis que la « fabulation » ou « fiction » est l’acte qui la fait surgir (Bergson). Leibniz parle de « correspondance » ou d’une présence imparfaite, seconde, comme réapparition, d’une présence primitive. Toute représentation revient sur elle-même dans le mouvement de sa consommation quotidienne ou énonciation et dans son dé/placement au sein de la Culture de son époque. On parle de mise en abîme dans la peinture, la littérature, le cinéma, les jeux vidéo, etc. Finalement, pour comprendre toute représentation, il faut l’examiner avec la théorie de la connaissance de Kant, puis de Marx et le nouvel esprit des anthropologues, c’est-à-dire examiner l’environnement d’où elle provient et l’œil qui la regarde (où, qui, quand, comment, avec quoi).

La représentation, ou Comment la vitesse de nos interprétations nous soigne
Toutefois, dans leur travail sur les images et le langage, certains parviennent plus vite et plus complètement à dire/montrer les choses. Si l’on peut penser qu’Adam nomma les événements de l’Univers ordonnés par Élohim, leur octroya leur première re/présentation, c’est le bruit et le mouvement dans notre Monde qu’il leur accorda, c’est-à-dire une vitesse. Et dans la SF surtout, qu’est-ce que le bond dans le temps, le saut dans l’hyperespace, et le moindre voyage d’une page à l’autre ? La littérature, d’abord, essaie de transmettre cette vitesse à l’œil et de faire voyager toute chose. Faire trou et sens. Parfois ivresse, parfois hypnose, la littérature, d’abord, est transport, pont, fluide, puisque transfert, accès à l’invisible : car c’est le langage qui secrète l’invisible, écrit pertinemment Krysztof Pomian, parce que son fonctionnement lui-même (…) impose la conviction que ce qu’on voit n’est qu’une partie de ce qui est (revue Libre, n°3, 1978).

Ce principe anthropologique — que toute représentation est re/présentation du vide et du plein, du dedans et du dehors, du visible et de l’invisible — est précieusement consigné dans La deuxième Lettre aux Corinthiens, 4.18. Aussi, ici, on comprendra que toutes les représentations collectives sont des intermédiaires entre le spectateur qui les regarde (ou les touche) et l’invisible d’où elles viennent. (Pomian, 1978) À la frontière du profane et du sacré, frontières elles-mêmes, séparation entre ces mondes, la totalité des images et des signes permettent la dialectique du passage de l’intériorité à l’extériorité de la conscience. Elles sont un « sablier », lieu d’un échange entre le visible et l’invisible où l’œil se satisfait de leur filiation imaginaire nécessaire à l’initiation renouvelée.

Ou Wittgenstein d’écrire en 1949 : Ce qui est éternel, important, est souvent caché aux yeux des hommes par un voile impénétrable. Ils savent qu’il y a là-dessous quelque chose, mais ils ne le voient pas. Le voile réfléchit la lumière du jour. On pense aussi au Petit Prince, etc. In fine, jamais nous ne sommes seuls : la totalité des signes et des images nous regardent, sinon nous guettent. Ce regard, cette surveillance/protection, n’est-ce pas « la demande » et l’argument paranoïaque présent dans les genres fantastiques et futuristes, dans le cyberpunk et précisément dans ce que signifie la moindre intelligence artificielle ? Le symptôme paranoïaque semble donc être l’expression même de l’inspiration littéraire, expression que l’on retrouvera précisément dans le policier, le fantastique et la SF.

La Mathesis universalis vs « le merveilleux scientifique »
Charles Le Goffic, en 1890, et Maurice Renard, en 1909, à propos de Jules Verne, définirent le « merveilleux-scientifique », mais dès 1856, les frères Goncourt décrivirent le « miraculeux scientifique » à partir du style d’Edgar Allan Poe. Dans la pensée contemporaine, et via la question du vidéoludique/virtuel, ces deux expressions peuvent nous apparaître aussi bien revenir au fantastique qu’à la SF : ces deux mouvements, prenant tant aux folklores qu’à la Modernité, seraient alors une critique de la Mathesis universalis. Voici ce que nous conjecturerons à présent.

Qu’est-ce que la Mathesis universalis ?
Concernant la Mathématique universelle comme art de découvrir, unification des mathématiques et/ou « programme métaphysique » de l’Occident, on peut se fier aux études de Jean-Claude Dumoncel (2002) et de David Rabouin (2009) ou se référer directement à Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, Husserl, Heidegger, Pierre Legendre et Guy Debord peut-être. Il s’agit d’une science générale des grandeurs de l’Univers : toutes les sciences spéciales que l’on nomme Mathématiques (l’Arithmétique, la Géométrie, la Mécanique et les sciences mixtes ou appliquées qui dépendent de celles-là) [n’étant] que des branches de la Mathématique universelle. (Bouveresse 1994). Descartes parle de « l’arbre du savoir » (1644) et Husserl (1976) de science des formes-de-sens du « quelque chose » en général.

À la fois cause et effet, l’histoire de cette logique formelle ou algorithmique de l’infini (Leibniz) semble être également l’histoire mondiale de l’emprise du contrôle et de la mesure de l’homme par l’homme (Crosby, 2003) ; emprise romancée par toutes les sciences-fictions, dénoncée par J.G. Ballard et Philip K. Dick, et personnifiée par Hari Seldon, le psychomathématicien du cycle Fondation d’Isaac Asimov, et figurée par le Jihad Butlérien de Franck Herbert dans le cycle Dune, etc.

Ainsi la Mathesis pourrait-elle être l’autre nom de l’Occident, le masque de sa trajectoire technique, puis de son système des sciences. La formule latine paraît en effet décrire, et prédire, l’arraisonnement de la Nature, mot de Heidegger, et, par conséquent, de l’Homme, par le dispositif techno-économique, mot de Leroi-Gourhan. Elle serait donc le plan de la raison occidentale et son « institution imaginaire » se révélant à elle-même. Vertigineux… Dès lors, comment ne pas saisir que la définition historique et la venue du « miraculeux scientifique » font pleinement partie dudit « plan » ?

Qu’est-ce que « le merveilleux scientifique » ?
Les proses fondatrices de Poe, Théophile Gautier, H.G. Wells, H.P. Lovecraft et Verne, possédant une fonction prévisionnelle et parfois un pouvoir divinatoire (Goimard, 2002), semblent voir plus loin et s’affirment comme les premiers radiotélescopes du fantastique et de la SF à venir, et leurs auteurs, comme leurs premiers opérateurs. Dans un cinéma plus contemporain, cette réflexivité gothique confirme sa présence tout particulièrement dans Shining (Kubrick, 1980), Freddy 7 (Craven, 1994) et L’antre de la folie (Carpenter, 1998) et sans doute dans le serial adolescent Destination finale (2000, 2003, 2006, 2009, 2011). Prémonition inquiète. Mise en abîme. Trous dans la pellicule. Dès lors, cette fiction consciente d’elle-même ou « miraculeux scientifique », se fait prodrome, annonce d’un événement.

Dans le fantastique et la SF, l’écrivain et le scénariste retrouvent la destination de l’écriture, son terme et sa racine, entre la physique et la métaphysique, et symbolisent quelque chose qui vient. L’écriture comme pont – ou jump. Un auteur de fiction, ou de ce qu’il prend pour de la fiction, est capable d’écrire la vérité sans le savoir, écrit Philip K. Dick dans Si le monde vous déplait… (1998). Car la fonction des arts, et précisément des livres, et particulièrement ceux liés au « merveilleux scientifique », est de servir, sans trop le savoir, d’intermédiaire entre les mortels et les immortels, quels que soient les modes culturels et symboliques de transport. La fiction en générale, qui a pour fonction de se détacher de la masse des objets communs, se fait alors offrande insolite et spectaculaire, défi à la curiosité et à l’imagination des visiteurs qu’elle arrache au réel et renvoie vers l’invisible d’où elle vient. L’invisible ? Ce que l’on ne comprend pas : l’insaisissable, l’inaccessible, la poésie…

Si l’histoire plutôt consciente de la Mathesis — comme plan d’unification de la culture européenne — s’avère être « la véritable histoire du Monde », alors le fantastique et la SF pourront aussitôt se comprendre soit comme l’enzyme d’activation, soit comme le parasite de cette Culture, the ghost in the machine. – C’est-à-dire ? C’est-à-dire se comprendre comme l’envers, la poétisation de l’indomptable, à la fois « pulsion d’horreur » et/ou « négativité critique » de la géométrisation du Monde, de son contrôle, et aussi comme l’endroit – le prolongement de la machine… Depuis le travail de traduction/symbolisation des arts, cette pulsion d’horreur face à la pulsion de savoir — libido sciendi —, nous reviendrait comme critique du rêve de domination universelle qu’est la Mathesis. On comprendra mieux, alors, tous nos jeux et nos jeux vidéo, et notre passion pour la destruction festive du Monde (Morin Ulmann, 2013).

Très tôt, chez Cyprien Bérard, Alexandre Dumas, Isidore Ducasse, Marey Shelley ou Bram Stocker, la littérature fantastique a su nous décrire cette « pulsion critique » et/ou remontée du fond des âges. Un refoulé. Avec d’autres particularités simplement culturelles, j’avance que les œuvres de Barjavel, la nouvelle Le dernier rivage (1957) de Nevil Shute — aussitôt réalisée par Hollywood (On the beach, Kramer, 1959 ; USS Chaleston, Mulcahy, 2000) – et Malevil de Robert Merle (1977), et Crash de Ballard (1974), et Krysnah ou le complot de Walther (1978), et le cyberpunk, sont le prolongement de cette ombre de la machine/Mathesis — comme tous les jeux vidéo.

Et les images ?
Dans le système des imageries cinématographiques, cette pulsion d’horreur — ou négativité de l’esprit de la science — réapparaît avec les Metropolis (1927) et M le maudit de Fritz Lang (1931), et le Frankenstein de James Whale (1931), jusqu’au robot-ordinateur dément de 2001 (Kubrick, 1968), puis Mondwest (Crichton, 1973), et dans « l’humanisme critique » de Terminator (Cameron, 1984) ou de Matrix (Wachowski, 1999), etc. Cette force vitale, sans état d’âme ni direction, se manifeste également dans tous les serials où croquemitaines ignobles, boogeymen repoussants et autres « guerriers fous » exhibent le masque de l’inéluctabilité et de la putréfaction (Texas Chain Saw Massacre, Halloween, Vendredi 13, Alien, Predator & autres Freddy). On peut sans doute avancer qu’avant les jeux vidéo eux-mêmes, ces nombreux films à petits budgets formalisent, à leur manière, une énergie réfractaire au programme de la Mathesis, c’est-à-dire que ces films critiquent et conspuent notre « cage de l’avenir » (Weber, 1921). Depuis la fin des années 60, ces représentations inquiètes correspondent au Malaise dans la science-fiction américaine dont parle Gérard Klein (Le Guin, 2000).

L’art est un déniaisement
Dans son Esthétique négative (1983), Marc Jimenez, après Siegfried Kracauer (1973), Edgar Morin (1956) et Marc Ferro (1977), explique que l’exigence théorique et philosophique en esthétique est incluse dans le projet d’une théorie critique de la société, et l’esthétique demeure philosophique dans la mesure où elle assume la critique permanente du statut et de la fonction de l’art à l’intérieur de la société contemporaine, à partir des œuvres elles-mêmes. Cette exigence suppose que l’œuvre d’art puisse apparaître comme un moment essentiel de cette critique, lieu d’expression des antagonismes sociaux. Cette hypothèse, qui est aussi celle de Bertolt Brecht et de Louis Althusser, énonce que l’art a pour fonction critique de nous déniaiser, de désidéologiser ce que nous prenons pour la réalité, d’y faire des trouées. Dès lors, les arts — et, paradoxalement, les jeux vidéo — sont un moyen de produire la volonté de transformer le Monde, puisqu’ils en peignent un tableau critique, c’est-à-dire lui donne un autre sens, négatif critique, que nous pourrions/devrions nous approprier.

Donc, comme le formulèrent préalablement Hegel et Marx, T.W. Adorno, Henri Lefebvre et les situationnistes : l’esthétique est un moment critique de l’économie politique. Et réciproquement. Puisque, pour prospérer, la fabulation eut toujours besoin de l’action des techniques, puis du système des sciences, celles-ci ont pareillement besoin de l’énergie sociale des fictions — ou pulsion d’horreur — pour leur revenir comme soutien mythologique et critique ; on parlera de poétique de la science.

Le miraculeux scientifique du virtuel est, en conséquence, 1) la continuation de la Mathesis universalis par d’autres moyens (d’apprivoiser/théoriser le Monde) et 2) cette religion ordinaire et positive que le Monde nouveau réclamait, et avec laquelle il se soule. Positive, au double sens du terme : comme adoration de la science et adoration de la critique de la science : il y a rêverie et critique de la rêverie dans la rêverie même (mise en abîme, emploi narratif et financier du réel pour le dénoncer) — Comment ne pas penser à tous ces films et jeux vidéo, et à la publicité même, aujourd’hui, où tout tourne autour du décalage badin, de l’ironie, des jeux de miroir ? Ainsi, le miraculeux scientifique du virtuel est-il tout à la fois croyance positive dans l’arraisonnement de la Nature, sa domestication, et dans celui des hommes par le dispositif techno-économique — la productivité et ses potentialités — ainsi que croyance dans sa critique récurrente, inachevable, désespérée même.

David Morin Ulmann
Anthropologue, spécialiste de la modernité et du capitalisme
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

tapis rouge pour le cinéma immersif

Après ce que l’on a appelé les « nouvelles images », après la période vidéo puis les captations via les portables, après la 3D qui ressuscite tous les 10 ans sous l’impulsion de progrès techniques, c’est donc au tour de la réalité virtuelle de redéfinir notre champ de vision et au-delà l’exercice de notre expérience… Si des manifestations sont consacrées à la VR, ou viennent se greffées sur des événements existants, il n’y a avait pas à ce jour de festival de cinéma entièrement dédié à la réalité virtuelle. C’est désormais le cas, à l’initiative du Forum des Images à Paris, avec le Paris Virtual Film Festival dont la première édition s’est tenue en juin dernier.

I, Philip de Pierre Zandrowicz. Capture d’écran. Photo: D.R.

Sur la quinzaine de films en VR qui sont présentés dans le cadre du Paris Virtual Film Festival, nous en avons « testés » deux. D’une part Notes On Blindness: Into Darkness, d’Arnaud Colinart, Amaury La Burthe, Peter Middleton et James Spinney, qui nous plonge dans l’univers d’une personne au champ de vision restreint. Étrange sensation de spatialisation quasi à l’infinie renforcée par une sonorisation binaurale… Plongée et déambulation dans un parc que l’on devine sous des contours noirs et bleutés, et dans laquelle évoluent les silhouettes furtives de passants et d’animaux. En fait, cette « demi-teinte » s’explique par le fait que ce film nous fait ressentir ce qu’a éprouvé John Hull, un professeur de théologie australien de l’université de Birmingham, lorsqu’il fut victime d’une cécité progressive. En universitaire accompli, un peu à la manière du regretté Oliver Sacks pour son cancer oculaire (cf. L’Œil de l’esprit), il a consigné méthodiquement son ressenti et les effets de cet irréversible fondu au noir… C’est cette « documentation » qui sert de base à la construction de cette singulière immersion.

Autre expérience avec I, Philip de Pierre Zandrowicz (co-produit par Okio-Studio, Saint George et Arte). Au début, il y a des matières, des volumes, des formes géométriques qui succèdent à des motifs spiralés intersidéraux… En soit, tout cela nous une procure sensation assez intense de vertige. Puis l’image se stabilise sur des machines, genre salle de serveurs, et un laboratoire… On tourne la tête pour explorer l’endroit et on sursaute littéralement : sur notre droite, deux personnes nous interpellent… Peu à peu, nous prenons conscience que nous incarnons un robot humanoïde dont la mémoire contient les souvenirs implantés de Philip K. Dick… Quelques instants plus tard, après une autre translation limite psychédélique, on se retrouve dans un amphi, au centre de tous les regards et interrogations… Plus que « l’effet de profondeur », c’est bien cette présence, cette sensation d’être « réellement » immergé dans — et d’être acteur de — la scène, qui nous a le plus impressionné. Comme nous le faisait remarquer Michael Swierczynski, directeur du développement numérique du Forum des images et du Paris Virtual Film Festival, I, Philip est ce qui se rapproche le plus d’un film de fiction dans cette sélection.

La Péri, de Balthazar Auxietre. Capture d’écran. Photo: D.R.

Dans La Péri, une fiction de Balthazar Auxietre, on va encore un peu plus loin dans l’immersion puisque l’on interagit et entame un ballet avec une danseuse ! À l’affiche, il y avait aussi quelques expériences documentaires, comme Across The Line de Nonny de la Peña, Brad Lichtenstein et Jeff Fitzsimmons sur la question de l’avortement aux États-Unis en nous plongeant au cœur des actions, détestables, des activistes qui menacent les centres médicaux. The Enemy réalisé par Camera Lucida et présenté en séance spéciale, qui nous fait « rencontrer », en face à face, deux soldats ennemis — en l’occurrence de Tsahal et du Hamas — et nous permet d’écouter leurs motivations, leurs doutes, etc. Autre schéma de confrontation extrême avec DMZ, de Hayoun Kwon sur la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées. Avec The Ark de Kel O’Neill et Eline Jongsma, nous quittons les frasques humaines, mais pas leurs conséquences, pour être amenés au plus près d’un rhinocéros blanc. Une espèce en voie d’extinction, il n’y aurait plus que 3 survivants de cette espèce… La sélection comptait aussi des films d’animation : Invasion! de Eric Darnell, une histoire de gentils aliens et de petits lapins qui leurs résistent, et The Rose And I de Eugene Chung, Jimmy Maidens et Alex Woo; une libre interprétation du Petit Prince. Les plus de 16 ans pourront « fusionner » avec les personnages dont les corps nus s’entrelacent formant presque un kaléidoscope sous la caméra de Michel Reilhac, Viens !

Ces exemples, pris sur la quinzaine de films sélectionnés pour cette première édition du festival, témoignent de la diversité des réalisations en VR. Et surtout, selon les mots de Michael Swierczynski, du champ du possible qui s’ouvre. Alors que la 3D ajoutait une couche supplémentaire à un film existant, mais dans lequel on restait toujours spectateur et éloigné, poursuit-il lors de notre entretien, là, avec la réalité virtuelle, nous avons franchi le cap. Nous sommes immergés dans une expérience. Nous sommes dans le film. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons repensé notre scénographie (de fait, il ne peut s’agir d’une salle de cinéma) et que nous avons organisé aussi des rencontres, des débats — notamment sur la question de la narration et de l’écriture propre à la réalité virtuelle, ainsi que sur la production et la diffusion — des ateliers et un workshop avec une quinzaine d’apprentis réalisateurs encadrés par des professionnels. Ils ont été invités à créer une mini-histoire en VR à partir d’archives mises à disposition. Le VR Lab, animé par Michel Reilhac, étant un lieu d’échange et de confrontation aux techniques de la réalité virtuelle entre réalisateurs, auteurs, producteurs…

DMZ, de Hayoun Kwon. Capture d’écran. Photo: D.R.

Mais comme le souligne également Michael Swierczynski, il était essentiel pour le Forum des Images de se positionner sur la VR en restant ouvert au grand public : nous ne souhaitions pas faire un salon ou un marché réservé aux professionnels. (…) Mais il fallait que ce festival soit 100% dédié à la réalité virtuelle et que ce soit sous l’angle cinéphile. C’est donc vraiment un festival de films, avec une vraie sélection. Nous sommes bien dans l’artistique et non pas dans le technologique. Et si les films proposés sont, d’une manière générale, d’un format court — en moyenne 10/15 minutes, 20 pour les plus longs, 30 pour un documentaire si on ouvre toutes les portes, comme le précise Michael Swierczynski — nul doute que dans un proche avenir, évolution technologique aidant (poids du casque, vitesse d’affichage, effet de nausée, etc.), la durée des films devrait également évoluer. En attendant, la VR permet aussi de re-questionner la mission du Forum des Images (la notion de lieu, d’espace et de temps pour le public, de production, etc.), comme nous le confie Michael Swierczynski. En tout état de cause, le Paris Virtual Film Festival n’est pas un coup d’essai, ni un effet de mode, mais bien une manifestation pérenne. Et la deuxième édition, dont la date n’est pas encore fixée, sera sans aucun doute plus étoffée et plus internationale. Enfin, pour Michael Swierczynski, dans le prolongement des workshops, l’idée serait d’installer des rendez-vous récurrents pour garder ce lien, hors festival, avec cette nouvelle forme de création cinématographique. Rendez-vous est pris.

 

Laurent Diouf
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

de la nausée à la présence

La réalité virtuelle hébergerait un Graal que l’on ne trouverait pas dans les autres médias : la présence, autrement dit « la sensation d’y être ». En quête d’un fondement scientifique derrière ce phénomène, je pensais trouver le cerveau, mais j’ai surtout rencontré le corps.

Le Project I Can du groupe Namco Bandaï à Tokyo propose, entre autres, d’expérimenter une marche au dessus du vide.

Le Project I Can du groupe Namco Bandaï à Tokyo propose, entre autres, d’expérimenter une marche au dessus du vide. Photo: © Namco Bandaï

En 2012, l’équipe en charge du développement du casque Oculus Rift fut confrontée à un phénomène qui aurait pu donner un coup d’arrêt à la réalité virtuelle grand public : la nausée. Ce qui sonnait comme un roman de Jean-Paul Sartre était du motion sickness, autrement dit le mal des transports. Le problème ne réside pas tant dans le fait de se déplacer dans un contenu virtuel tout en restant assis, mais plutôt dans le décalage entre le moment l’on tourne la tête et le temps de traitement informatique pour le décor s’aligne. Ce ralentissement est appelé latence ou encore « lag », bien connu des joueurs en ligne.

Mais on ne parle pas seulement d’une détérioration de l’expérience. Avec un écran sur les yeux, la latence rend carrément malade. Ce qui faisait dire à Brendan Iribe, le patron d’Oculus : les gens sont prêts à faire beaucoup de sacrifices pour la technologie, mais la nausée n’en fait pas partie. Peut-être avait-il lu cette étude de 2005 de l’armée américaine qui traitait déjà du mal dont souffraient les soldats dans les simulateurs et où on pouvait lire : personne n’est mort du mal des transports, mais, dans ses griffes, beaucoup ont voulu mourir. Le document citait parmi ses références un article de 1992 qui prophétisait : le mal des simulateurs peut-il être un frein à la diffusion des environnements virtuels ?

L’article signé par le chercheur italien Frank Biocca avait été publié dans la revue Presence : Teleoperators and Virtual Environnements et laissait présager que la nausée et la présence étaient les deux faces d’une même pièce. Cette revue réunit presque toutes les approches du phénomène qui consistent à se sentir présent dans un environnement simulé : Social presence: the sense of “being together with another (Heeter, 1992), The sense of being there (Lombard & Ditton, 1997), etc.

La présence se confond d’ailleurs avec la réalité virtuelle elle-même, un spécialiste du sujet, le français Sébastien Kuntz, ancien cadre de Dassault Systèmes affirme que : se sentir présent dans une pièce vide, c’est de la réalité virtuelle, ne pas se sentir présent dans un environnement sophistiqué, ce n’est pas de la réalité virtuelle.

Être ou ne pas être, telle est finalement la question et comprendre la présence dans la réalité virtuelle n’aurait pas été possible si notre vision de la conscience de soi n’avait pas évolué de concert. Dans les années 1990, L’erreur de Descartes, un livre publié par le neuroscientifique américain Antonio Damasio, met un point d’arrêt à la division arbitraire entre le cerveau et le corps. Pour le chercheur, l’esprit s’incarne dans le corps, nous ne sommes pas encerveaulés.

Il distingue alors trois états de conscience : la proto-conscience (la carte du corps), la conscience-noyau (soi et le monde extérieur) et enfin, la conscience autobiographique (ce que nous découvrons sur nous-mêmes). En 2004, trois scientifiques italiens travaillant sur la réalité virtuelle reprennent les éléments de Damasio en remplaçant « conscience » par « présence ». On pouvait désormais juger ainsi la qualité d’une expérience immersive : puis-je discerner mon corps ? Quels liens puis-je tisser avec l’environnement ? L’expérience m’apporte-t-elle quelque chose ?

Le projet Body Suit de Tesla Studios adresse la totalité du corps pour s’immerger dans la réalité virtuelle.

Le projet Body Suit de Tesla Studios adresse la totalité du corps pour s’immerger dans la réalité virtuelle. Photo: © Tesla Studios

Mais comment créer les conditions de cette présence ? Philip Rosedale, créateur du monde virtuel Second Life apporte une première réponse : la réalité virtuelle est une expérience sensorielle dans laquelle les résultats de nos actions sont conformes à nos expériences passées. En somme, il faut offrir à notre cerveau ce qu’il s’attend à trouver : une réponse rapide de l’environnement, mais aussi la possibilité de trouver ses abattis.

Antonio Damasio associe en effet la conscience de soi à la survie : si on ne distingue son corps de l’environnement, on est en danger. Ainsi la nausée est peut-être un signal qui nous dit : sors de là tout de suite ! Ce qui reviendrait à dire que plus de présence, c’est moins de nausée. Une expérience récente menée à l’université de Perdue dans l’Indiana va dans ce sens : l’ajout d’un nez virtuel dans le champ de vision a fait baisser le mal des transports chez les passagers de montagnes russes virtuelles.

Mel Slater, qui dirige le labo EventLAB à l’université de Barcelone, a effectué les recherches les plus récentes sur la question. Il établit une distinction entre la présence cognitive, quand on joue à un jeu vidéo, regarde un film ou en lisant un livre, et la présence perceptive, qui implique de tromper les sens de manière réaliste, y compris la proprioception, la perception par le placement du corps.

On peut imaginer à terme de véritables scaphandres qui s’adresseront la totalité de nos sens et de notre corps, à l’image de la motion capture dans l’industrie du cinéma. Mais il faut rendre ces techniques synchrones et on revient à la problématique du temps de traitement. Merci la science donc, la technologie tente de suivre. La présence n’est donc pas encore un phénomène permanent, mais plutôt une petite dose que l’on trouve parfois au coin d’une rue de la virtualité.

Ces univers de poupées russes où le corps contient le cerveau qui contient le corps et où il faut non seulement remplacer, simuler l’environnement, mais aussi la cartographie du soi est le territoire de Stéphane Bouchard, titulaire de la chaire de recherche en cyberpsychologie clinique à l’Université du Québec. Il y traite les phobies de ses patients grâce à la réalité virtuelle.

Dans son étude sur l’efficacité des process virtuels, le cyberpsychologue fait référence aux travaux de Matthew Lombard et Theresa Ditton qui écrivaient en 1997 : en pensant le corps comme un canal d’information, un dispositif d’affichage ou un dispositif de communication, nous arrivons à l’idée du corps comme une sorte de simulateur pour l’esprit. Mais comme dans un simulateur, le software et le hardware ne peuvent être séparés. Ils contribuent tous deux à la fidélité de la simulation.

Nicolas Barrial
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

un parc d’attraction mise sur la réalité mixte

Installé à Salt Lake City, The Void Entertainement Center est le premier parc de jeux entièrement dédié à la réalité mixte. Ce principe, qui suppose l’expérience du monde physique tout en intégrant les éléments d’un environnement virtuel en 3 ou 4D, est la seconde phase du développement de la réalité virtuelle. Une option pas forcément économique, en coût et en technologie, mais riche de potentiels, et choisie par les créateurs de The Void pour introduire les mondes virtuels dans nos vies.

The Void, Rapture Gear. Photo: © The Void

Le monde de la réalité virtuelle (RV) se décompose aujourd’hui en trois segments, correspondants à trois sortes d’environnements différents. La « réalité virtuelle », qui décrit un univers artificiel qui se substitue à la réalité physique et dans lequel l’on s’immerge par le biais de casques qui coupent entièrement l’utilisateur du monde extérieur. La « réalité augmentée », qui correspond à un dispositif numérique permettant de voir le monde réel, autour de soi, « augmenté » de données et d’informations diverses (géolocalisation, informations touristiques, œuvres artistiques implantées dans le paysage, etc.) à l’aide de lunettes ou de tablettes. Et enfin, « la réalité mixte », nouvelle venue dans le champ lexical high-tech, se présente comme une troisième voie : il s’agit d’un dispositif permettant d’intégrer pleinement des éléments numériques virtuels en 3 (et bientôt 4) dimensions dans le monde réel, à travers un écran transparent, permettant ainsi une interaction totale (action / réaction) avec ses artefacts virtuels dans le champ du réel.

La guerre des terminologies
Les différentes dénominations dépendent également de la propriété des technologies permettant d’expérimenter ces nouvelles formes de réalités numériques. Pour Microsoft par exemple, à l’origine du casque Hololens, le terme de « réalité virtuelle » est obsolète. Leur projet est censé développer le prochain prototype de « réalité mixte ». Derrière son aspect plutôt classique (pour l’instant l’Hololens ressemble en effet beaucoup au Google Glass), le casque Microsoft est une « grosse machine ». Il dispose en effet d’un ordinateur embarqué, d’une série de capteurs et de caméras, qui intègrent des éléments d’animations numériques à la réalité environnent l’utilisateur (connecté à la Xbox, ce casque permet déjà d’afficher des éléments de sa télévision dans son salon). La différence avec les casques de RV du type Oculus ? Porter un Hololens, c’est un peu comme avoir un écran de télévision transparent devant soi, puisqu’il ne couvre pas toute notre vision. De son côté, d’autres géants des nouvelles technologies ont fait le choix de la réalité virtuelle, l’Oculus Rift suscité, désormais propriété de Facebook, isole totalement son utilisateur de son environnement réel. Les deux procédés sont actuellement en concurrence active, via Google (avec ses Google Glass) et Microsoft (et son Hololens), contre Samsung (avec sa VR Gear déjà commercialisée) et Facebook (avec l’Oculus).

The Void, le choix de l’interaction
Les créateurs de The Void (pour Visions Of Infinite Dimensions), eux, ont parié sur la réalité mixte. Un choix logique dans un environnement ludique. En effet, qui dit parc d’attractions dit  « interactions ». Étalé sur un espace de trois hectares encore en cours de réalisation (le lieu doit ouvrir cet été), le parc bénéficie de cloisons modulables et d’accessoires qui peuvent être constamment modifiés. Équipés de casques numériques de type Hololens et harnachés d’un ordinateur contenu dans un sac à dos, six à huit gamers pourront se déplacer et vivre en direct l’expérience de la réalité mixte. Sur leurs écrans apparaîtront divers décors et éléments en 3D, tandis que les autres joueurs voient une version modélisée numérique de leurs adversaires. Croisement entre une lasergame arena ou une partie de paint-ball classique, le combat dans The Void comporte toutes les sensations originales censément ressenties par un joueur : tactilité de son environnement, effet de vertige sur des passerelles, impact des balles sur son corps. C’est là tout l’intérêt de la réalité mixte, permettant de vivre l’expérience du virtuel, mais également de déclencher des actions dans le monde réel (1). Pour ce faire, le joueur est équipé d’un casque à écrans OLED incurvés d’une résolution de 1080p, de prothèses audios THX, de micros pour les communications entre joueurs et d’une veste avec retour de force intégré. La réalité mixte se présente donc ici comme une véritable passerelle entre le monde réel et les environnements virtuels (2).

The Void, Ocean Storm. Photo: © The Void

Le futur du divertissement
The Void préfigure certainement le futur du divertissement. À ce titre, Microsoft a déjà testé plusieurs configurations d’environnement en réalité mixte. Le projet RoomAlive par exemple, consiste à transformer une pièce réelle, avec tout son équipement, mobilier, etc., en pièce immersive en utilisant des projecteurs et caméras créant de la profondeur. La fameuse firme dirigée par Bill Gates est également à l’origine du jeu X-Ray, présenté en octobre dernier à New York. Le gameplay est entièrement dédié à la réalité mixte puisque le joueur est équipé d’un casque Hololens, et doit combattre toutes sortes de robots grâce à des rayons laser. Intégrant totalement l’environnement du participant, la réalité mixte est plus qu’une variante de la réalité virtuelle. Avec son écran transparent, elle se rapproche plus de la réalité augmentée, mais propose un élargissement du simple concept de visualisation de données (celle-ci n’est d’ailleurs pas exempte de critiques comme Chris Dannen qui déclarait dans Fast Company, elle n’améliore pas l’expérience utilisateur, au contraire, elle la complique ! (3). Ici, le public « augmente » sa réalité, mais de créations et de créatures en 3D qui investissent son univers quotidien.

Des promesses de développements stupéfiants
La réalité mixte promet beaucoup de développements, et ce également hors du cadre du divertissement. De fait, sa flexibilité présente des avancés bien réelles, encore inexplorées par la réalité virtuelle « classique ». L’utilisation de capteurs, installés absolument partout dans une pièce, et qui renvoient des informations au porteur de casque, permet de calculer la manière dont une fenêtre ou une porte s’ouvre, mesurant l’angle de rotation des gonds et de poignées, transmettant ainsi une sensation de réalité peu commune à l’utilisateur. D’autres projets sont en préparation, comme la réalisation d’environnements hospitaliers virtuels qui permettraient de former de futurs professionnels de la santé. La guerre des brevets faisant rage, d’autres sociétés comme LeapMotion, une start-up américaine, tentent actuellement d’adapter ce type de technologie de reconnaissance gestuelle à l’Oculus Rift. La caméra, dont est équipé l’Hololens semble bien être l’élément indispensable à la création d’un environnement interagissant avec l’utilisateur. Et, une fois n’est pas coutume, c’est le domaine de l’entertainment qui préfigure ces évolutions.

Une technologie prometteuse, mais à améliorer
Pour autant la réalité mixte, quelle que soit la société qui l’utilise ou la promeut, n’est pas sans défauts. Peu maniable (elle nécessite obligatoirement un ordinateur embarqué), elle oblige également le constructeur à inclure caméras, capteurs de mouvement et senseurs. Des éléments qui, s’ils sont meilleurs marchés aujourd’hui, n’en sont pas moins difficiles à intégrer dans un simple casque. Autre point d’achoppement, la réalité mixte étant également constamment en interaction avec le réel, elle n’est opérante que dans un environnement dédié. Les techniques de tracking (technologie permettant de coordonner éléments réels et virtuels) étant encore très complexes à mettre en place, elle est donc aussi sensible au changement et logiquement sujette aux erreurs. D’ailleurs Microsopft n’annonce pas la commercialisation de son casque Hololens avant 2020.

 

Maxence Grugier
publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

 

> https://thevoid.com

 

(1) www.internetactu.net/2010/01/27/de-la-realite-augmentee-a-la-realite-mixte
(2) Ibid
(3) www.fastcompany.com/3058259/most-innovative-companies/for-oculus-to-succeed-vr-needs-to-succeed

 

Variation-Media Art Fair est la première foire française d’art contemporain dédiée aux artistes nouveaux médias, fruit de la collaboration de trois figures majeures du marché de l’art contemporain numérique, Dominique Moulon, commissaire d’exposition et critique d’art et Anne-Cécile Worms, productrice de l’événement, fondatrice de la start-up Art2M & éditrice du Magazine des Cultures Digitales.

L’exposition Variation-Media Art Fair, lors de son édition 2015, a rassemblé plus de 12000 visiteurs durant la semaine de l’art contemporain à Paris et près de 3000 personnes lors de son vernissage. Variation, Media Art Fair est une exposition vente qui a pour objectif de mettre en avant la scène française et internationale, avec cette année, des œuvres d’artistes historiques, d’artistes reconnus et d’artistes émergents jusqu’aux étudiants en école d’art.

Édito de Dominique Moulon, commissaire de l’exposition :
Il est, de par le monde, quelques media art fairs qui émergent ici et là durant que Variation perdure. Pour sa troisième année, cette foire parisienne aux allures de salon des singularités s’installe à la Cité Internationale des Arts. Un détail qui prend son importance si l’on considère la blancheur des murs de sa galerie sur son site du Marais. Car la mission de Variation, depuis sa création en 2014 par Art2M – comprenons Art to machine – est d’extraire les œuvres de médias et technologies de la black box ou de l’Internet pour les contextualiser au sein d’un white cube. C’est-à-dire du dispositif que les collectionneurs et institutions connaissent bien pour s’y presser, à Paris, durant la troisième semaine d’octobre dédiée à l’art contemporain.

Anne-Cécile Worms, qui produit l’événement, est aussi l’initiatrice de la marketplace ArtJaws – littéralement mâchoires de l’art – car elle sait l’importance du marché quant à la pérennité des œuvres de quelques technologies que ce soit. A Variation, il n’y a pas de stand afin que les œuvres, « librement », dialoguent entre elles. L’autre spécificité de cette foire-exposition réside dans le fait que les pièces qui y sont présentées ont toutes été sélectionnées par un critique d’art et curateur indépendant, Dominique Moulon, en étroite collaboration avec les artistes et leurs galeries ou agents et producteurs. L’idée étant de valoriser enfin les pratiques numériques plurielles d’un art contemporain singulier comme ont commencé à le faire cette année le musée d’Art moderne de la Ville de Paris avec co-workers puis la Whitechapel de Londres avec Electronic Superhighway.

Il y a donc un intérêt grandissant pour les œuvres documentant le monde au travers des technologies qui sont à l’origine de ses plus profondes mutations. Un intérêt qui va bien au-delà des grandes Biennales internationales des Arts numériques que sont Némo à Paris ou la BIAN à Montréal. Un intérêt qui vient aujourd’hui des « utilisateurs » que nous sommes tous devenus. Aussi, il nous apparaît important, voire nécessaire, que des artistes usant des technologies de leur temps en fassent eux-mêmes la critique. Car avec Variation, c’est au travers de l’art que nous investiguons les grandes problématiques sociétales qui émergent de notre usage à tous du numérique et plus précisément de l’Internet. Et c’est parce qu’il est aussi question de partage que l’entrée de l’exposition Variation de la Cité international des Arts sera gratuite entre les 18 et 23 octobre 2016.

Les artistes de Variation – Media Art Fair 2016 :
Ali Tnani (TU) / Alix Desaubliaux (FR) / Bertrand Planes (FR) / Carine Klonowski (FR) / Caroline Delieutraz (FR) / Côme Di Meglio (FR) / Dani Ploeger (NL) / Elias Crespin (VE) / Eliott Paquet (FR) / Fabien Léaustic (FR) / Félicie d’Estienne d’Orves (FR) / Fito Segrera (CO) / Flavien Théry (FR) / François Ronsiaux (FR) / Frédéric Delangle (FR) / Jean Hubert (FR) / Jeanne Briand (FR) / Jeanne Susplugas (FR) / Jeremy Bailey (CA) / Joanie Lemercier (FR – BE) / Joe Hamilton (AU) / Judith Deschamps (FR) / Klaus Fruchtnis (FR-CO) / Laurent Bolognini (FR) / Lisa Sartorio (IT-FR) / Magali Daniaux et Cédric Pigot (FR) / Marion Balac (FR) / Masaki Fujihata (JP) / Michaël Borras A.K.A Systaime (FR) / Michel Paysant (FR) / Olivier Ratsi (FR) / Pascal Haudressy (FR) / Pierrick Sorin (FR) / Raul Valverde (USA-ES) / Renaud Auguste-Dormeuil (FR) / Santiago Torres (VE) / Shaun Gladwell (AU) / SLIDERS_lab (FR) / Thibault Brunet (FR) / Thierry Fournier (FR) / Tomek Jarolim (FR) / Visual System (FR) / Yann Toma (FR).