Freecoin, blockchain social pour se réapproprier le pouvoir de l’argent

L’argent est un logiciel destiné à programmer le comportement social. De fait, si l’on observe le système monétaire classique, quel genre de comportement induit-il chez les utilisateurs des monnaies officielles du profit personnel ? En substance : de la schizophrénie.

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Parallèlement à la nécessité paradoxale d’une croissance perpétuelle de l’économie mondiale dans un contexte de ressources limitées et dont le seul objectif est de payer les intérêts d’une monnaie électronique non-existante, nous avons intégré, au détriment de la coopération, une concurrence à court terme et la fausse bataille politique bipolaire entre gauche et droite, démocrate et conservateurs, avec la conviction erronée que la Russie ou la Chine diffèrent de l’Union européenne ou des États-Unis. C’est faux, car ces deux systèmes appliquent la même programmatique sociale et intègrent tous deux une institution privée particulière : la banque centrale. Cette situation est loin d’être nouvelle, elle date de l’avènement des temps modernes (la banque centrale la plus ancienne — la Riksbank en Suède — a commencé à fonctionner en 1668) sous une forme dont tous les humains concernés par la finance ont fait l’expérience, consciente ou non, mais toujours de manière coercitive !

Une alternative consisterait à accepter l’extinction de l’économie, c’est-à-dire notre propre extinction, puisque la totalité de la dette mondiale ne peut être remboursée avec une dette encore plus importante. En effet, les institutions financières impliquées ne font que gagner du temps au lieu de construire l’avenir, tandis que se révèlent le lent effondrement des politiques monétaires exotiques comme le ZIRP (politique de taux d’intérêt zéro) et le NIRP (politique de taux d’intérêt négatif) ou les informations selon lesquelles l’Italie prévoit d’inclure la prostitution et les drogues illicites dans le calcul de son PIB pour se maintenir à flot dans cette version réelle du monde de Lemmings, ce jeu de plateforme emblématique du rétrogaming (1). Pendant ce temps, la grande majorité de la population reste là, à regarder — la télé — et semble hypnotisée, sous l’emprise d’un syndrome de Stockholm collectif.

La solution ? Soit prendre part à la prochaine grande guerre et reconstruire à partir de zéro, soit cesser de gaspiller son énergie à critiquer les problèmes du système monétaire actuel et se focaliser plutôt sur la création de nouveaux protocoles destinés au transfert de valeur qui permettraient au corps social d’aller de l’avant le jour où le système actuel rendra l’âme (cf le bitcoin). En effet, par une approche empathique du développement des TIC, nous pouvons produire de l’argent grâce à l’élaboration d’une diversité d’expériences favorisant la prise de pouvoir dans les transactions financières. Avec ces nouveaux protocoles, nous pourrions satisfaire les besoins élémentaires d’une vie décente. Toutefois, nous ne pourrons y parvenir que si nous surmontons les dynamiques inconsciente et subconsciente qui caractérisent notre engagement dans les interactions économiques avec l’argent.

La racine, le tronc et le feuillage de notre système monétaire
Le système monétaire classique — celui dans lequel circulent les monnaies nationales, comme l’euro — est un réseau de navigation complexe qui se soucie exclusivement d’un type d’argent : la dette bancaire porteuse d’intérêt positif. Bien que les monnaies nationales revêtent des noms différents, les systèmes dans lesquels elles se déversent se déploient selon une arborescence fractale similaire. En effet, ce que l’on pourrait définir comme « l’arbre monétaire » est représenté par le système monétaire traditionnel, moderne et centralisé. Au niveau international, ce sont des institutions comme la Banque des Règlements Internationaux, le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale qui opèrent et représentent le sommet de la hiérarchie du système bancaire mondial. Pour ces institutions qui fixent l’ordre du jour à l’échelle mondiale, la racine du pouvoir monétaire est tout à fait ancrée. Au deuxième niveau hiérarchique, le tronc est représenté par les banques centrales nationales. Enfin, au niveau du détail, on compte des banques commerciales avec des branches qui détiennent les comptes personnels, comme autant de feuilles d’un feuillage.

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Vers le « rhizome monétaire »
Comme toute monoculture présente dans la nature, ici aussi, nous pouvons apprécier une configuration de l’écosystème qui favorise un rendement élevé, mais un niveau de résilience faible. En effet, les crises souveraines bancaires et monétaires récurrentes révèlent très clairement cette situation. Les défaillances systémiques cycliques qui mettent en jeu des exemples de prospérité de plus en plus élevés immanquablement suivis de faillites désastreuses exigent que l’on repense la relation entre efficacité et résilience commune à tout le réseau de circulation complexe capable de faciliter une transformation monétaire de l’organisation.

Par opposition à la métaphore fractale de l’arbre dans la nature, le changement structurel est « anti-fragile » et rhizomatique, c’est-à-dire qu’il tire sa force du chaos apparent que l’a-centralité, la diversité des monnaies et l’horizontalité dans l’élaboration des politiques et de la distribution pourrait initialement évoquer : d’un système monétaire centralisé fragile concernant un seul type de monnaie au « rhizome monétaire » des éco-systèmes multi-devises décentralisés qui se greffent (comme autant de modules complémentaires) sur le système conventionnel dans une écologie des monnaies. Au cours de l’effondrement actuel, ces dernières ont déjà octroyé à l’économie un nouveau mode de fonctionnement.

En fait, les (crypto) devises numériques peuvent être conçues, produites et prospérer de manière à permettre aux internautes de s’engager dans la vie économique en utilisant des moyens de paiement débarrassés des écueils inhérents à la monnaie nationale. Les acteurs du système conventionnel sont en train de créer des prototypes de blockchains privés, répliquant ainsi le protocole du bitcoin dans des systèmes arborescents : JP Morgan Chase (dans le secteur bancaire) (2) et Western Union (dans le secteur des virements) (3) ont tous deux récemment déposé des brevets crypto-monétaires.

Cependant, des expériences sont effectuées avec des alternatives qui favorisent de nouvelles structures de gouvernance pour la manifestation dans le monde réel du changement de paradigme rhizomatique de l’économie par le développement de systèmes de paiement numériques distribués, eux aussi souverains. On les trouve par exemple en Équateur (4) et dans le Nebraska grâce à MazaCoin, une monnaie cryptographique réservée aux citoyens de la Grande Nation Sioux de Lakota (5). De l’autre côté de l’Atlantique, financé par la Commission européenne, on trouve aussi l’exemple de Decentralized Citizens Engagement Technologies (Technologies décentralisées d’engagement des citoyens), une plateforme de sensibilisation collective appelée D-CENT (6), dont le lancement est prévu en 2016.

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Outils de conception collaborative avec les « netizens »
D-CENT est une plateforme de réseau social interopérable pensée pour répondre aux besoins des communautés en matière de partage de données afin de relever les grands défis de la société, notamment à travers la conception de blockchains sociaux qui favorisent le modèle anthropo-génétique du développement humain : l’économie productive de biens et de services, la santé, l’éducation et la culture reposent ici sur la technologie du blockchain, à savoir le protocole freecoin (7).

Partant de l’hypothèse que la fonction principale de l’argent devrait permettre à chaque être humain de consommer tous les jours de la nourriture pour le corps et pour l’esprit, l’objectif est de concevoir, en collaboration avec les internautes, des outils numériques utiles et pertinents, en particulier dans les périodes critiques de transition et d’austérité. Par conséquent, les utilisateurs de D-CENT, qui font partie de communautés pilotes en Espagne, Islande et Finlande, signalent aux chercheurs et aux développeurs les caractéristiques et les résultats attendus de leurs propres outils de délibération monétaire collective (FLOSS, décentralisés, autogérés). Mais comment s’assurer de ne pas retomber dans les programmes sociaux monétaires conventionnels ?!

L’argent comme dernier tabou
Après la mort et le sexe, l’argent est le dernier Tabou ! que l’humanité dans son ensemble doit rendre explicite pour échapper à des crises comme celle que nous traversons aujourd’hui, une fois pour toutes : Memento ! — L’or est la matière fécale de l’enfer. Selon la psychiatre Paula B. Fuqua, au regard des analyses psychanalytiques du développement de l’enfance, les enfants manifestent un plaisir naturel à la fois dans la défécation et dans la rétention de leurs selles ; ainsi les matières fécales retenues sont leurs premières économies et leurs premiers jouets. Plus tard, ils commencent à collectionner des pierres avec volupté et sont heureux d’en faire le troc avec d’autres enfants. Les pierres deviennent des billes de verre, des boutons, et enfin des pièces. Lorsque le développement cognitif améliore la capacité d’abstraction de l’enfant, les pièces sont remplacées par des actions, des obligations et des chiffres (8)… et au XXIème siècle par des crypto-pièces.

Par conséquent, puisque l’argent est inconsciemment associé à la défécation, il est Tabou ! Impossible d’en discuter ouvertement et cela profite aux 1% de détenteurs, gestionnaires et bénéficiaires du système conventionnel. Il nous faut davantage parler d’argent ! C’est une chose souhaitable et qui a commencé à se produire dans le monde numérique où VISA, Mastercard et PayPal ont gelé les comptes de Wikileaks en 2010 et où les mineurs ont augmenté leurs efforts pour améliorer le réseau bitcoin de manière à donner plus de poids à l’opération Payback (« remboursez »).

Bristol Pound, 2012-2015. Photo: D.R.

Dans la plateforme D-CENT, l’application technique qui permet de surmonter le Tabou ! social de l’argent est le freecoin, un protocole en open source reposant sur du code et permettant des transferts de valeur quasi-instantanés au sein d’une base de données publique programmable, également appelé blockchain, qui fait office de grand livre comptable. Dans le cas du freecoin, le mécanisme de la preuve de travail revêt un nouveau sens, car sa nature devient sociale et analogique : à présent, ce sont les utilisateurs qui fournissent les informations permettant de créer une réserve d’argent en open source, laquelle est ensuite gérée par les administrateurs qui font office de vérificateurs et de mineurs du système, devenant les gardiens de facto du contrôle social, de l’octroi et du transfert de crédits.

Afin de gérer les échanges économiques, le montant du crédit précédemment généré découle de règles élaborées et adoptées par les utilisateurs du système eux-mêmes. Par conséquent, c’est en ajoutant la possibilité de délibérer collectivement par rapport au processus d’élaboration des politiques monétaires du système qu’il devient techniquement viable, pour aller dans le sens de systèmes d’argent beaucoup plus auto-gérables que le système actuel, c’est-à-dire un système de paiement en open source qui fonctionne structurellement pour les usagers, au lieu du contraire.

Grâce au passage à un système régulier d’échange de valeur économique conditionné et consensuel et parallèlement à une inter-connectivité croissante de la population familiarisée avec les médias sociaux, les outils de D-CENT peuvent aider à augmenter les pratiques collectives de gestion autonome au sein de communautés sectorielles et géographiques pour renforcer leur « effet multiplicateur local ». Tout cela, indépendamment du système bancaire classique et à un coût négligeable pour les autorités publiques locales, qui peuvent d’ailleurs, elles aussi, commencer à profiter de ces fonds alternatifs — voir le cas de la livre Bristol au Royaume-Uni (9). Le logiciel d’arrière-plan (backend) est un blockchain social qu’une communauté peut intégralement adapter à ses propres besoins. Ainsi, au lieu d’enfermer le freecoin dans la catégorie des crypto-monnaies, il est essentiel de le concevoir comme un protocole. Un design fluide de l’interface utilisateur se chargera de la dynamique frontale liée à la convivialité.

En conclusion (ouverte), on peut observer que c’est à travers ce processus de politique monétaire collective que les utilisateurs peuvent commencer à se réapproprier la capacité à émettre de la monnaie et donc le pouvoir d’agir sur le destin de leurs vies économiques : il s’agit d’opérer une déprogrammation grâce à l’alphabétisation monétaire, c’est-à-dire la dédollarisation des esprits.

Marco Radium Sachy
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

(1) http://on.wsj.com/1pwbLdv et http://bit.ly/1weAauP
(2) http://econ.st/18FrLTF
(3) http://bit.ly/1tjf4Xh
(4) www.bloomberg.com/news/2014-08-11/ecuador-turning-to-virtual-currency-after-oil-loans-correct-.html
(5) www.mazacoin.org
(6) www.dcentproject.eu
(7) http://freecoin.ch
(8) Paula B. Fuqua, citée dans The Last Taboo : money as symbol and reality in psychotherapy and psychoanalysis, de David W. Krueger, 1986, ed. Brunner/Manzel, New York.
(9) http://bit.ly/1tu7vfO

Much soul, very emotion

Brett Scott, the author of The Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money, explains why he uses Dogecoin, despite some people in the crypto-currency community have written it is a joke, or even a scam. The former broker insists: Dogecoin is the best of all the so-called ‘alt-coins’.

I use Dogecoin because I’m emotionally drawn to the dog. Unlike the distant, fossil-like Queen on the pound banknote, the Shibu Inu is at once transcendent and approachable, self-contained but cuddly, looking into my eyes with a sideways glance, as if it just noticed me and is wondering whether I want to play or be left alone. It’s not an aggressive dog, or for that matter, a bouncy dog trying to lick me. It has self-directed, quirky soul, and it’s almost impossible to imagine this dog being an asshole.

Some people in the crypto-currency community have written Dogecoin off as a joke, or even a scam. Maybe it’s both, but does this matter? All currency in the final analysis is really a scam, and the real question is which of those scams we want to agree to. I for one would rather pledge allegiance to a mystical pooch than to worship the image of a redundant monarch.

Indeed, Dogecoin, to me, is the best of all of the so-called ‘alt-coins’, the alternative crypto-currencies that have emerged as offshoots from the original Bitcoin source-code. Here is why.

Money isn’t ‘rational’

Run this question through your brain: Why did people invent pottery? The response from many people is because it must have been useful to store food and water, an answer which chimes well with our prevailing rationalistic world view. The assumption that pottery was explicitly ‘invented’ is problematic though, and furthermore, evidence suggests that pottery was originally used to create abstract religious figurines.

There is a similar problem among many economists who attempt to peddle ahistorical narratives about ‘why people invented money’. Their story normally involves people ‘rationally’ designing money as an alternative to ‘barter’. There is very little immediately rational about exchanging real goods for pieces of paper or shiny bits of metal though. Sure, once the social convention of monetary exchange is set up, it’s useful, but the imagined process in which bakers and butchers ‘invent’ money to deal with the awkwardness of exchanging meat for sourdough loaves is an attempt to reverse-engineer history from the perspective of present dogma.

Money is not an object that can be invented. It is a social convention that has to be culturally constructed. The use of monetary tokens only appears rational once we’re party to a collective agreement (or delusion) to imbue those tokens with value, and that collective agreement needs to be constantly maintained.

State power, local trust, meta-national mysticism and labour

In the case of our normal fiat currency, the collective agreement is given strength by the psychological (and real) force of official authorities. Most of our fiat currency is created by commercial banks, but derives much of its ‘reality’ from state endorsement of its legal status.

In the absence of a state championing a currency, you need other factors to induce collective acceptance. For example, a very small community might be able to create and maintain a local currency backed by nothing but the preexisting communal trust network, woven together from mutual friendships, ties of honour and anxiety at facing exclusion from the social group.

To create belief in a non-national currency that is not located in a small community though, is especially hard. Bitcoin provides a fascinating case study of the process. When it first started, bitcoin commanded almost no value. It had one crucial feature though. At its heart was a mysterious, almost immaterial figure called Satoshi Nakomoto, a focal point for a community to rally around.

The mystique of Satoshi was vital, imbuing what was otherwise a clever but cold piece of cryptography with a soul that people could believe in. Satoshi was the holy ghost in the machine, and the act of mining resembled a ritualistic quest to build on the blockchain started by the ghost. It’s through this process that the imagined value of bitcoin came to life, and started taking on a reality.

By contrast, imagine if a well-known person, like Stephen Hawking, invented bitcoin. It would be devoid of all mystery, resembling a science project or a corporate product, rather than an underground movement. The specifics of Stephen’s personality would replace the cryptic symbol that the Satoshi figure once stood for, and what would you have left? A clever piece of cryptography, and a somewhat banal act of using up energy in running computers.

That said, there is something about the pointless nature of randomly churning algorithms through a computer that is psychologically powerful. If you want to imagine that something essentially ephemeral is a useful commodity, it helps if you expend labour in creating it, because labour implies scarcity (you only need to work for things that are scarce), and scarcity implies a potential for an exchange value (if something is abundant there is no need to exchange anything for it).

The computing power (‘labour’) put into the bitcoin network does not create value in itself, but is a further psychological backer to bitcoin tokens’ imagined value. If they weren’t valuable we wouldn’t exert all this labour would we, and because we exert this labour they must be valuable, right?

The emergent myth of bitcoin’s rationality

Interestingly, as the ritualistic process of mining has become increasingly competitive, and the commercialisation of bitcoin has steamed ahead, new narratives have formed to explain why bitcoin tokens ‘rationally’ have value.

Chief among these is the idea, touted by the bitcoin foundation itself, that bitcoins have value ‘because they are useful’. It is part of a broader trend among the bitcoin elite to rewrite history and claim, in hindsight, that the value of bitcoin was always self-apparent, and that early adopters were just getting involved due to rational future expectations of increasing societal recognition of bitcoin’s use value as a secure means of exchange.

In this formulation, bitcoin tokens derive their value by being part of a potentially useful system, the value of each bitcoin reflecting the aggregate market assessment of how useful it is to have a secure means of exchange. It’s kind of like arguing that containers on train carriages derive the entirety of their value from the usefulness of the rail network. The implicit narrative is this: Hey, these things are useful as transmitters of value for exchange, so let’s compete over them, and in so doing create their market value, which can now be used for exchange.

Circular no? There may be a glimmer of truth in it, but it’s mostly an attempt to describe the essentially emotional and social process of currency creation with the language of cold individual rationality.

Tin-man currencies ain’t got no heart

This thinking has subsequently influenced the way that a lot of alternative crypto-coins have attempted to market themselves. Rather than embracing their own absurdity, many alt-coins have marketed their efficiency, their security, or their application to some specialist use case, as if the usefulness and competitiveness of the design was the most important aspect of why a person accepts a currency.

The crypto-conference has thus become the realm of ‘serious people’ discussing ‘serious business’, not wishy-washing mysticism and emotion. They appeal to rational functionality, rather than inspiring people to use them. They are techno-fetishistic. A guy with a PowerPoint presentation calmly explains the business case for why his crypto-currency is valuable because it uses a state-of-the-art turbo hashing system, but for fuck’s sake, tell me why I should BELIEVE in it!

It’s true that this strategy has worked to some extent for some alt-coins like lightcoin, quarkcoin and peercoin, which have gained some popularity based on design, but think about this question: Why do you use british pounds or yen? The answer to that is never, because they’re well designed, and neither is it because I rationally see how useful it is for me to have a medium of exchange, and neither is it because I’m intimidated by the state and they force me to use it.

Our answer is mostly just because everyone else seems to use it and I was taught to use it. We are born into currencies just like we are born into languages, and we learn to use them in a social context. If you want to convince a person to accept ephemeral electronic records as a currency, you need a story for people to hold on to. You need heart.

Dogecoin  is a cult, and that’s how it should be

Which brings us to Dogecoin. I can believe in Dogecoin because it gives me something to believe in. It’s a direct appeal to irrationality, a direct appeal to transcend the banal world of individual utility calculation and submit to something hilariously absurd. It is, above all, a cult, and that is infinitely more attractive than any cold appeal to robust design.

It is the peaceful, playful gaze of the Doge itself that is the mystical foundation of the currency. It doesn’t matter who invented it, because Dogecoin  is not experienced as a narcissistic project of a particular person, and it’s the symbol itself that is the leader. The Doge is a figure without ego, with cross-cultural, cross-gender, and yes, even cross-species appeal. We can all get something from the gaze of the Shibu.

This is reflected in the resultant community that has emerged around Dogecoin, people who refer to themselves as ‘shibes’ and give each other gifts of Doge. While the bitcoin subreddit has turned into a moshpit of aggressive trolling, Dogecoin  forums feel inclusive and accepting, cohering around a surreal world of esoteric slogans and acts of goodwill.

In closing then, a word on design. If there has ever been any clever design in Dogecoin, it’s been in the way the core members have focused on creating a culture from the bottom-up, rather than fetishising currency creation as a technical solution to be marketed from above. The Dogecoin  community has grown rapidly in response to community acts that establish a reason to believe in the currency, such as the sponsorship of underdogs like the Jamaican bobsleigh team, and oddball stunts like backing a Nascar racer. These are things you can sit in a pub and laugh about, outside conference halls, and that makes all the difference.

Brett Scott
published in MCD #76, “Changer l’argent”, déc. 2014 / févr. 2015

Brett Scott is a journalist, campaigner and the author of The Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money (Pluto Press, 2013).

much soul, very emotion…

L’auteur du « Guide hérétique de la finance globale » (The Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money) utilise le Dogecoin, que certains ont fait passer pour un vaste canular. Au contraire, cet ancien trader explique pourquoi celle-ci constitue en fait l’une des meilleures « alt-coins », ces crypto-monnaies alternatives.

J’utilise le Dogecoin parce que le chien m’attire sur le plan affectif. Contrairement aux fossiles tels que la reine à l’air figé sur les billets de livre sterling, ce Shiba Inu est à la fois transcendant et abordable, autosuffisant, mais câlin. Il me regarde dans les yeux avec son regard en biais, comme s’il venait de remarquer ma présence et se demandait si je préfère jouer ou être laissé tranquille. Ce n’est pas un chien agressif ni, d’ailleurs, un chien surexcité qui tenterait à tout prix de me lécher. Son âme est autonome et atypique et il serait quasiment impossible d’imaginer que ce chien puisse être un connard.

Certains membres de la communauté des crypto-monnaies ont dénigré le Dogecoin, le traitant de canular, voire d’arnaque. Peut-être les deux à la fois, mais est-ce vraiment si important ? Toutes les devises, si on y regarde de plus près, sont des arnaques. Ce qu’il faut se demander, c’est laquelle d’entre elles nous sommes prêts à accepter. Pour ma part, je préfère prêter serment d’allégeance à un chien mystique qu’adorer l’image d’un monarque arrogant. En effet, le Dogecoin est pour moi la meilleure de toutes les alt-coins, ces crypto-monnaies alternatives qui ont vu le jour dans le sillage de l’invention du code source du bitcoin. Voilà pourquoi.

L’argent n’est pas « rationnel »

Réfléchissez à la question suivante : pourquoi les humains ont-ils inventé la poterie ? Pour beaucoup, parce qu’elle devait être utile pour stocker de la nourriture et de l’eau. Une réponse qui correspond parfaitement à notre vision dominante et rationaliste du monde. L’hypothèse selon laquelle la poterie a été « inventée » délibérément reste cependant problématique, d’autant qu’il semblerait qu’elle ait été utilisée, à l’origine, pour fabriquer des figurines religieuses abstraites.

Un problème similaire apparaît chez de nombreux économistes qui tentent de colporter des théories anhistoriques sur la raison pour laquelle les gens ont inventé l’argent. Leur histoire met souvent en scène des personnes concevant l’argent de manière « rationnelle » comme une alternative au « troc ». Or, il n’est pas très rationnel d’échanger spontanément des biens réels contre des morceaux de papier ou des bouts de métal brillant.

Bien entendu, une fois la convention sociale de l’échange monétaire mise en place, celle-ci s’avère utile, mais le processus imaginaire dans lequel les boulangers et les bouchers « inventent » l’argent pour faire face aux difficultés de l’échange de la viande contre des pains au levain est une tentative de refonte de l’histoire à l’envers, soumise à la vision du dogme actuel.

L’argent n’est pas un objet que l’on puisse inventer. C’est une convention sociale qui doit se structurer sur le plan culturel. L’utilisation de coupons monétaires apparaît uniquement rationnelle lorsqu’elle s’inscrit dans une convention (ou une illusion) collective qui attribue de la valeur à ces mêmes jetons, convention qui doit être constamment maintenue.

Pouvoir d’État, confiance locale, travail et mysticisme méta-national

Dans le cas de notre monnaie fiduciaire habituelle, la convention collective est renforcée par la force psychologique (et réelle) des autorités officielles. La majorité de notre monnaie fiduciaire est créée par les banques commerciales, mais sa « réalité » provient en grande partie de l’approbation par l’état de son statut légal.

En l’absence d’un État qui défende une monnaie, d’autres facteurs sont nécessaires pour induire l’acceptation collective. Par exemple, une toute petite communauté pourrait créer et maintenir une monnaie locale uniquement soutenue par le réseau de confiance communautaire préexistant, tissé d’amitiés réciproques, de liens d’honneur et de la crainte d’être exclu du groupe social.

En dehors d’une petite communauté, il est particulièrement difficile d’instaurer la confiance dans une monnaie non-nationale. Le bitcoin est un cas d’étude tout à fait fascinant de ce processus. À ses débuts, le bitcoin n’avait presque aucune valeur. Il possédait pourtant un élément crucial. À son centre se trouvait un personnage mystérieux, presque immatériel, nommé Satoshi Nakomoto qui, focalisant l’attention, permettait le ralliement d’une communauté autour de lui.

La mystique de Satoshi était vitale, dotant ce qui sans lui n’aurait été qu’un élément intelligent, mais froid, de cryptographie d’une âme en laquelle les gens ont pu croire. Satoshi était l’esprit sacré dans la machine et le minage ressemblait à une quête rituelle poursuivant la construction du blockchain (le registre des transactions en bitcoins) entamée par cet esprit. C’est par ce processus que la valeur imaginaire du bitcoin a pris vie et a commencé à se concrétiser.

En revanche, imaginez si une personne connue, comme Stephen Hawking, inventait le bitcoin. Ce dernier serait dépourvu de tout mystère. Au lieu d’un mouvement alternatif, il ressemblerait à un projet scientifique ou commercial. Les traits de caractère propres à Stephen remplaceraient le symbole énigmatique anciennement incarné par le personnage de Satoshi. Que resterait-il alors ? Un fragment intelligent de cryptographie et un acte peu banal consistant à utiliser de l’énergie pour faire fonctionner des ordinateurs.

Ceci dit, il y a quelque chose d’intéressant dans l’inutilité fondamentale de la triture des algorithmes par le biais d’un ordinateur psychologiquement puissant. Si vous vous plaisez à voir une chose essentiellement éphémère comme un produit utile, le fait d’accroître le travail dans le processus de création peut être avantageux, étant donné que le travail induit la rareté (seules les choses rares demandent du travail) et que la rareté signifie une valeur d’échange potentielle (on ne peut rien échanger contre une chose abondante).

La puissance (« le travail ») de calcul intégré au réseau du bitcoin ne crée pas de valeur en soi, mais elle représente un garant psychologique supplémentaire pour la valeur imaginée des jetons de bitcoin. S’ils n’avaient pas de valeur, nous ne produirions pas autant de travail, n’est-ce pas? Si nous effectuons ce travail, c’est qu’ils doivent avoir de la valeur, non ?

Le mythe émergent de la rationalité du bitcoin

Fait intéressant, le processus rituel de minage est devenu de plus en plus concurrentiel et la commercialisation du bitcoin a explosé, de nouvelles théories sont apparues pour expliquer la valeur des jetons de bitcoin d’un point de vue « rationnel ». Parmi ces théories, on trouve l’idée mise en avant par la Fondation bitcoin elle-même selon laquelle les bitcoins ont une valeur parce qu’ils sont utiles.

Tout cela s’inscrit dans une tendance générale de l’élite du bitcoin qui consiste à réécrire l’histoire et proclamer, avec le recul, que la valeur du bitcoin a toujours été évidente et que les adeptes du début se sont lancés dans l’aventure, car leurs espoirs de reconnaissance croissante de la valeur du bitcoin comme moyen sécurisé d’échange par la société étaient fondés.

Dans cette affirmation, les jetons de bitcoin tirent leur valeur de leur appartenance à un système potentiellement utile, la valeur de chaque bitcoin reflétant l’évaluation globale du marché qui vante l’utilité d’un moyen d’échange sécurisé. C’est un peu comme soutenir que les conteneurs placés sur des wagons de train tirent l’intégralité de leur valeur de l’utilité du réseau ferroviaire.

La théorie implicite est la suivante : hé, ces choses sont utiles, car elles véhiculent des valeurs d’échange, alors battons-nous pour elles et, ce faisant, nous créerons leur valeur de marché, qui pourra alors être utilisée à des fins d’échange. Circulaire, non ? Il se peut qu’il y ait là une lueur de vérité, mais c’est surtout une tentative de décrire le processus essentiellement affectif et social de la création de monnaie par le biais du langage d’une rationalité froide et individualiste.

Les monnaies du bûcheron en fer blanc n’ont pas de cœur

Cette façon de penser a par la suite influencé la façon dont beaucoup de crypto-pièces alternatives ont tenté de s’imposer sur le marché par leurs propres moyens. Plutôt que d’assumer leur propre absurdité, de nombreuses alt-monnaies ont vanté leur efficacité, leur sécurité ou leur usage adaptés à des cas spécifiques comme si l’utilité et la compétitivité du concept motivaient l’adoption d’une monnaie par un individu.

La crypto-conférence est ainsi devenue le royaume des « gens sérieux » discutant « d’affaires sérieuses ». Ici, pas de mysticisme, ni d’émotion mièvre. Ils s’adressent à la fonctionnalité rationnelle au lieu de donner vraiment envie aux gens de les utiliser. Ils sont techno-fétichistes. Un gars fait une présentation PowerPoint où il détaille froidement le cas commercial pour lequel sa crypto-monnaie est idéale, car elle utilise un système de hachage turbo dernier cri, mais putain, dis-moi pourquoi je devrais y CROIRE !

Il est vrai que, dans une certaine mesure, cette stratégie a fonctionné pour des alt-monnaies comme le lightcoin, le quarkcoin et le peercoin, qui ont acquis une certaine popularité à partir de leur concept, mais réfléchissez un instant à la question suivante : pourquoi utilisez-vous la livre sterling ou le yen ? La réponse n’est jamais, parce j’apprécie leur design, et ce n’est pas non plus, parce que je comprends, d’un point de vue rationnel, l’utilité que représente pour moi ce moyen d’échange, ni parce que je suis intimidé par l’État et qu’il me force à utiliser ces devises.

La plupart du temps, nous répondons simplement parce c’est ce que tout le monde semble utiliser et qu’on m’a appris à l’utiliser. Nous sommes nés avec les monnaies tout comme nous sommes nés avec les langues et avons appris à les utiliser dans un contexte social. Si vous voulez convaincre quelqu’un d’accepter des documents électroniques éphémères comme monnaie, vous aurez besoin d’une histoire à laquelle les gens pourront se raccrocher. Vous aurez besoin de cœur.

Le Dogecoin est un culte, et c’est très bien ainsi

Ce qui nous ramène au Dogecoin. Je peux croire au Dogecoin parce qu’il me donne matière à croire. Il fait directement appel à l’irrationnel, au dépassement du monde conventionnel du calcul de l’utilité individuelle pour se soumettre à une absurdité hilarante. Il s’agit, avant tout, d’un culte et c’est infiniment plus attirant que tout démarchage qui tenterait de nous faire adopter un concept solide.

Le regard calme et ludique du Doge est, en soi, le fondement mystique de la monnaie. Peu importe qui l’a inventé, parce que Dogecoin n’est pas perçu comme le projet narcissique d’un individu, c’est son symbole même qui en est le leader. Le Doge est un personnage sans ego, qui séduit tout le monde à travers les cultures, les identités sexuelles et même les espèces. Nous pouvons tous retirer quelque chose du regard du Shibu.

Cela se reflète dans la communauté qui s’est développée autour du Dogecoin, des personnes qui se présentent comme des « shibes » et s’offrent mutuellement des cadeaux en Doge. Alors que le forum dédié au bitcoin sur Reddit est devenu un véritable ring où se pratique le trolling agressif, dans les forums Dogecoin on se sent compris et accepté, en phase avec son univers surréaliste constitué de slogans ésotériques et d’actes de bonne volonté.

En conclusion, j’ajouterais un mot sur sa conception. Si l’on devait parler d’une seule chose intelligente dans la conception du Dogecoin, c’est la façon dont ses principaux membres ont mis l’accent sur la création d’une culture ascendante, au lieu de fétichiser la création de la monnaie en tant que solution technique destinée être commercialisée à partir du sommet.

La communauté Dogecoin a augmenté rapidement en réponse à des actes communautaires qui établissent une raison de croire en la monnaie, comme le parrainage de personnages atypiques comme l’équipe de bobsleigh de la Jamaïque et de cascades loufoques comme le soutien à une voiture de course Nascar. Ce sont des choses dont vous pouvez rire, assis dans un pub, en dehors des salles de conférence. Et c’est ce qui fait toute la différence.

Brett Scott
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Brett Scott est journaliste, militant et auteur du Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money (Pluto Press, 2013). http://suitpossum.blogspot.co.uk / @Suitpossum

la ville adoptive de Thomas Paine

Thomas Paine me brûle les doigts. À la place du visage de la Reine qui trône sur les billets de banque britanniques, j’ai en poche des livres Lewes à l’effigie de l’inspirateur des révolutions française et américaine. Son visage est omniprésent à Lewes, petite ville britannique où Thomas Paine vécut au XVIIIème siècle, au début de sa carrière politique radicale.

Livre lewes (recto). Conception graphique : Hudoq Digital Media, en partenariat avec Giant Arc Design. © Lewes Pound

Lewes a toujours été lieu de révolution. Les premières limites aux pouvoirs d’un roi anglais ont été imposées en 1264, suite à la bataille de Lewes, lorsque les barons ont forcé Henry III à accepter un parlement de nobles. C’est également ici qu’en 1557, la reine Marie 1ère d’Angleterre (Bloody Mary, Marie la Sanglante) martyrisa dix-sept protestants devenus ainsi, jusqu’à nos jours, un puissant symbole de contre-pouvoir. Chaque année, le 5 novembre, autour du feu de joie de Lewes, filles et garçons rendent hommage aux martyrs de 1557 (et fêtent l’échec du complot catholique de 1605 destiné à faire exploser le Parlement anglais) en brûlant des effigies du pape et du gouvernement de l’époque. Les célébrations du feu de joie de Lewes sont tellement ardentes qu’on peut les voir sur les images satellites de la Nasa !

Thomas Paine rédigea son premier ouvrage politique à Lewes (un traité sur la condition de ses collègues du service des accises). Il écrivit ensuite le Sens Commun, un pamphlet qui mit le feu aux poudres de la révolution américaine, suivi de son fameux Droits de l’Homme qui, en 1792, lui valut un siège au Parlement révolutionnaire français. À l’époque de Paine, il existait déjà une livre lewes. En effet, notre ville avait possédé sa propre monnaie entre 1789 et 1895, période où elle repoussait l’invasion du monde extérieur. Depuis 2008, l’actuelle livre lewes s’inscrit dans une révolution moderne qui tente de relocaliser l’économie et reprendre le contrôle de nos vies dominées par le capitalisme mondial.

Monnaie locale pour entreprises locales
Je me sers de la livre lewes pour la plupart de mes achats quotidiens (dans deux marchés d’alimentation, dans les trois magasins alternatifs de la ville, chez le fromager et les deux boulangers, dans une bonne moitié des cafés et des pubs, chez mon coiffeur et au magasin d’aliments pour animaux, à l’hôtel où séjournent mes parents, dans les deux boutiques où j’achète mes vêtements, chez le disquaire, dans mon restaurant préféré).
Curieusement, il est impossible de l’utiliser pour acheter des journaux, mais, si vous êtes motivé, elle fonctionne pour à peu près tout le reste. J’achète mes livres lewes avec des livres sterling, prélevées directement sur mon compte bancaire, suite à quoi je vais les retirer, une fois par mois, dans un magasin d’alimentation près de chez moi. Si j’ai besoin d’autres livres lewes, cinq magasins (environ) les distribuent à Lewes; ils font office de « distributeurs d’argent ». Il y a environ 15.000 livres Lewes dans la nature (plutôt qu’en circulation).

Livre lewes (verso). Conception graphique : Hudoq Digital Media, en partenariat avec Giant Arc Design. © Lewes Pound

Une monnaie locale a deux visées : rendre hommage à la communauté locale et améliorer les économies locales. Les supermarchés offrent moins d’emplois et à plus bas salaire que ceux des boutiques en ville, capitalisent 95% de l’argent que l’on y dépense. Cet argent va dans leurs caisses et sort instantanément de notre ville. La livre lewes, de son côté, ne peut être dépensée ailleurs qu’ici. Ainsi, elle doit circuler dans le périmètre local, ce qui facilite et améliore les échanges entre les entreprises du secteur.

Élément du folklore
La livre lewes fait désormais partie du folklore de Lewes (à l’instar de Thomas Paine et des célébrations annuelles autour des feux de joie). À mon avis cette focalisation sur l’aspect folklorique masque les arguments économiques selon lesquels les monnaies locales peuvent augmenter l’activité économique locale. Les entreprises qui refusent les livres lewes (et il y en a encore beaucoup), ne comprennent pas l’argument économique ou bien se plaignent de ne rien pouvoir acheter à Lewes avec cette monnaie. C’est un véritable problème (dans notre système économique globalisé, la plupart des magasins ne sont pas approvisionnés par des entreprises locales).
Je me dois également de préciser que j’appartiens à un très petit groupe qui utilise religieusement la livre lewes (la plupart des gens sont heureux de savoir qu’elle existe, mais préfèrent se cantonner aux livres sterling qui pourront être dépensées à Londres ou à Brighton). Dans certains magasins, je suis le seul client à utiliser cette devise ! Cependant, nous en sommes encore au stade de l’expérimentation. La priorité est de montrer comment une devise locale peut fonctionner. Dans l’éventualité où le système financier s’écroulerait sous le poids de ses propres contradictions, notre ville sera prête. Comme je l’ai expliqué plus haut, à Lewes nous sommes une véritable bande de révolutionnaires !

Alexis Rowell
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

Circulez, y’a tout à voir et rien à vendre

Avec ses pièces ironiques, l’artiste française Albertine Meunier nous oblige à décaler le regard, en introduisant un grain de sable dans les rouages numériques les plus huilés, Google en tête. Elle a ainsi transformé les ready-mades de Duchamp en œuvres de la période Net-Art sur le moteur de recherche hégémonique (Les Dessous de L.H.O., 2013-2014). Une actualisation très dadaïste qu’elle détaille ici.

Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

Depuis le 27 juillet 2013, Albertine Meunier détourne Google avec un « Ready Made Hack », Les Dessous de L.H.O. : l’internaute qui lance une recherche sur une œuvre de Marcel Duchamp découvre que cette pièce est affiliée à la période « net-art ». Duchamp a beau être le père de l’art contemporain, il n’a pas vécu l’arrivée d’Internet ! Grâce à ce détournement sémantique du Knowledge Graph de Google, sont ainsi estampillés « net-art » la Fontaine (l’urinoir renversé), la Roue de bicyclette, Nu descendant l’escalier ou encore le Porte-bouteille… sans que le géant américain y trouve à redire.

Comment expliquer que Google n’ait rien fait pour empêcher le Ready Made Hack de Duchamp depuis plus d’un an maintenant ?
J’apparais très ouvertement dans la liste historique des changements, ils ne peuvent pas ne pas savoir ! D’autant qu’il y a eu médiatisation : j’avais communiqué sur Les Dessous de L.H.O. pendant la FIAC, la foire d’art contemporain de Paris à l’automne 2013, et j’ai fait un appel au financement participatif avant l’été pour réaliser un livre documentant cette intervention, lequel livre vient de sortir et s’expose un peu partout. Peut-être que Google le laisse comme une transformation duchampienne ? (rires) Un grand nombre de personnes m’ont dit : pourquoi tu fais ça sur Duchamp, qui n’intéresse personne, si tu le faisais sur un politique, tout le monde en parlerait. Ça souligne parfaitement ce que je voulais pointer, que Google s’intéresse plus à la culture LOL qu’à l’art, en tout cas à ce symbole de l’art du XXème siècle qu’est Duchamp.

Confronter l’art duchampien à Google, c’est montrer que le géant surpuissant ne l’est pas tant que ça ?
Google revendique de porter toute la connaissance humaine, mais il n’est pas vigilant ! Il ouvre un institut culturel en France pour sa bonne conscience, mais il ne connaît pas les fondamentaux en art ! Mon petit hack montre son ignorance patente, tout en soulignant les visées prétentieuses de Google. Mais quand on est prétentieux, il faut être à la hauteur de la situation ! Et je voulais aussi montrer que les choses dans l’univers numérique ne sont pas forcément telles qu’elles sont, a priori acceptables, impossibles à critiquer. On peut penser le Knowledge Graph de façon critique et renverser la figure d’autorité du moteur de recherche.

Encore plus si la figure d’autorité « dévalue » l’importance de Duchamp. Peut-on y voir aussi une critique du marché de l’art ?
En 2009, je m’étais intéressée au marché de l’art, avec Mona LHO, un ready-made Internet connecté par excellence. J’avais trouvé un beau cendrier porte-cigarettes, avec la figure de la Joconde dessus, je l’ai connecté à l’indice Artprice, en l’occurrence l’index AMCI (Art Market Confidence Index), qui ne donne pas la cote de tel ou tel artiste, mais l’indice de confiance du marché de l’art (de – 40 à + 40). Je récupère cette valeur et je l’affiche au socle de Mona LHO, pour montrer qu’on peut prendre n’importe quel objet et le connecter dans l’absolu (comme Duchamp), en faire un ready-made connecté. C’est aussi un clin d’œil sur cette valeur qui fait office de bonne santé du marché, placée dans le cendrier.

Est-ce une critique de la place de la spéculation dans l’art ?
Je l’ai toujours vu positif, cet index, jamais négatif. N’est-ce pas étrange que cet indice n’aille jamais en dessous de zéro ?

Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

Le message caché, ce serait soyez détachés de ces contingences mercantiles ?
C’est bien d’acheter des œuvres, mais acheter de l’art sur le marché, ça n’a plus de sens ! J’en achète en tant que collectionneuse parce que j’aime l’art, mais le marché spéculatif tue l’art : la cote n’a plus de sens, c’est même contre-productif pour les gens qui veulent collectionner dans la mesure où ça vous met à distance de l’art. Un grand nombre de pièces deviennent inaccessibles, notamment parmi les artistes contemporains. Personnellement, je n’achète pas pour placer mon argent…

C’est une critique de l’argent ?
Oui de l’argent dans son aspect spéculatif ! Parce que cet objet que j’ai trouvé dans une brocante à Montrouge, c’est Mona Lisa, c’est un objet tout prêt, je n’ai rien fait sur l’objet lui-même. Alors, est-ce que c’est de l’art ? C’est pour moi bien plus une poupée gigogne, un objet à rebonds. C’est un des objets que je n’ai pas envie de vendre !

Pourquoi ?
Pour moi, il n’a pas de valeur, ou plutôt il a trop de valeur ! La valeur que j’y mets est tellement forte que je le garderai bien jusqu’au bout de ma vie. Comme je n’ai pas besoin de l’argent de la vente de mes pièces pour vivre [Albertine est ingénieure en R&D chez un grand opérateur, NDLR], je ne suis pas obligée de les vendre. Du coup, j’ai imaginé un autre système, en les confiant à des personnes, comme un viager. Je les laisse en viager, à charge pour la personne de s’engager à les soigner.

Tu t’exclues du marché ?
D’une certaine forme spéculative, oui. La vraie liberté de l’artiste, c’est de ne pas subir la dépendance marchande pour ne pas avoir à produire les seules choses qui se vendent. Le modèle actuel des galeries est obsolète. Avant, une galerie prenait un artiste sous son aile, prenait en charge sa production, ce qui permettait à l’artiste d’avoir une sorte de revenu universel. Ce n’est pas évident aujourd’hui de garder une marge de liberté, car il faut quand même que les pièces soient quelque part, pas dans des cartons !

Et le choix des personnes à qui tu vas confier tes pièces en viager, c’est selon ton bon plaisir ?
Oui, c’est le luxe non ? (rires) Le but c’est que ça circule. Vendu ou pas, peu importe !

propos recueillis par Annick Rivoire
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

une chronologie personnelle

Pour expliquer l’évolution des rapports entre l’Internet et l’argent, le théoricien des médias néerlandais part de sa propre trajectoire intellectuelle. Le partage des ressources étant devenu une nécessité, explique Geert Lovink, les devises utilisées à ces fins sont à présent surveillées de près par un nombre croissant de spécialistes, d’artistes et d’activistes. Ainsi, nous nous devons d’examiner l’esthétique de l’argent post-crédit.

« Le personnel est politique ». Cet adage du mouvement féministe des années 1970 s’applique rarement à notre situation financière. L’argent est un destin privé. Que vous en ayez ou non, vous êtes perdants. Faire de l’argent (Ole Bjerg, 2014) est une compétence que seuls les jeunes loups de Wall Street possèdent en spéculant avec les économies des autres — le reste d’entre nous peine à amasser quelques pièces (1). Avec la récente stagnation des revenus de la classe moyenne, les finances quotidiennes se politisent de plus en plus. La dette est devenue une affaire publique. Depuis 2008, nous ne pouvons plus aisément déclarer : Wir haben es nicht gewusst.

Pouvons-nous enfin parler d’une conscience émergente de la « classe virtuelle » (2) ? Le partage des ressources étant devenu une nécessité, les devises utilisées à ces fins sont à présent surveillées de près par un nombre croissant de spécialistes, d’artistes et d’activistes. Comment gagner sa vie ? Qu’en est-il de l’esthétique de l’argent post-crédit. Auparavant, cependant, je souhaiterais examiner la manière dont la culture d’Internet et la financiarisation se sont unies au cours des dernières décennies et pourquoi, jusqu’ici, la Silicon Valley nous a empêchés d’utiliser des outils de redistribution des ressources.

La crise des années 1980
Au cœur du malaise économique sans fin des années 1980, je suis passé par une sorte de crise existentielle. Comme d’autres personnes de ma génération, je vivais d’allocations sociales, établissait domicile dans des squats et faisait de l’auto-stop entre Amsterdam et Berlin-Ouest, tout en étant confronté au retour de bâton néo-libéral de Reagan et Thatcher. Assistant au triste déclin des mouvements autonomes et ayant dit adieu au monde universitaire après un premier cycle, il y avait peu d’opportunités professionnelles pour nous autres post-hippies et pré-yuppies. Je me voyais trop comme un intellectuel indépendant pour m’identifier à un journaliste et en 1987, j’ai décidé d’adopter l’étiquette de « théoricien des médias », quelles qu’en soient les conséquences. J’avais récemment rejoint le mouvement des radios libres d’Amsterdam et m’intéressais à la théorie des médias suite à un diplôme en « psychologie des masses » à l’Université d’Amsterdam. Mais comment un « théoricien des médias » pouvait-il gagner sa vie?

Cinq bonnes années plus tard, ma situation professionnelle ne s’était toujours pas améliorée, mais je décidais, quoi qu’il en soit, de laisser tomber les allocations sociales pour vendre des papiers spécialisés en art des médias, donner des conférences, participer à la scène culturelle d’Amsterdam (dominée par les baby-boomers) et travailler à temps partiel à la VPRO, la compagnie de diffusion audiovisuelle néerlandaise, ce qui me rapportait à peine 700$ par mois et un chèque de la sécurité sociale. Le monde venait de plonger dans une nouvelle récession. Quoi qu’il en soit, les « nouveaux médias » ont commencé à prospérer sous des étiquettes spéculatives comme « le multimédia », « la réalité virtuelle » et le « cyberespace ».

Peu de temps après, début 1993, je me suis connecté à Internet. Avec l’aide d’amis pirates, j’ai mis en ligne mes archives de textes numériques, qui étaient déjà considérables puisque j’avais commencé à utiliser un ordinateur en 1987. C’est dans ce contexte que j’ai mené ma première discussion sur l’absence d’une « économie de l’Internet ». On m’a dit que le contenu allait être « libre ». Les utilisateurs devaient pourtant payer un fournisseur d’accès à Internet et continuer à acheter et mettre à jour leur matériel comme les ordinateurs, les écrans, les imprimantes et les modems. Pour ce qui est des logiciels, la situation est plus complexe. Dès le début, le shareware et le logiciel libre s’opposaient aux logiciels détenus par les corporations. Quant aux jeux, ils opéraient dans une autre zone floue.

Les années 1990 : le « texte » première victime
Mes amis geeks m’ont dit : si tu ne t’intéresses ni aux médias traditionnels, ni au milieu universitaire, essaie de trouver une subvention artistique, mais ne compte pas sur Internet pour t’assurer un revenu. Trouve un emploi ennuyeux pour la journée et exprime-toi comme tu le souhaites la nuit. Mets le feu au cyberespace. C’est la vocation de l’écriture et de toutes les formes d’art. Deviens un entrepreneur et démarre ta propre entreprise, apprends un peu de code et rejoins nos rangs. En 1993, on pouvait gagner beaucoup d’argent en faisant des sites Internet, mais là encore, il n’y avait pas de contenu et ça avait tout l’air d’une opportunité éphémère montée en épingle. L’écriture, qu’il s’agisse de journalisme, de fiction, de poésie ou de critique, allait devoir être financée par des fonds culturels ou des éditeurs traditionnels et se dé-professionnaliser ou se « démocratiser », pour employer des termes plus respectueux. Internet était sur le point de bouleverser tous les secteurs d’activité et le « texte » a été sa première victime — comme un Napster avant la lettre (3).

Le début des années 1990 est une période cruciale dans la saga du « dotcom ». Son esprit libertaire a été très bien décrit par Richard Barbrook et Andy Cameron dans leur article de référence The Californian Ideology (l’idéologie californienne), paru en 1995 (4), mais ce texte fait l’impasse sur quelques aspects essentiels comme l’économie du « free » et le rôle du capital-risque et de l’introduction en bourse dans un business plan. Les start-ups Internet ont toutes suivi la même stratégie : attirer en premier lieu une masse critique d’utilisateurs sur un court laps de temps. La part de marché importait davantage qu’un flux de revenus durables. Dans ce modèle cynique, il été entendu que la plupart des start-ups échoueraient et que leurs pertes seraient compensées par une ou deux réussites exemplaires d’entreprises revendues tôt ou placées sur le marché boursier.

Il m’a fallu des années pour déchiffrer Wired (vendu et « mis à l’écart » en 1998), Red Herring et Fast Company, pour arriver à comprendre vraiment ce que signifiaient les principes économiques de l’engouement de la bulle Internet. Les livres et la littérature critique sur le sujet étaient quasi-inexistants et avant même que nous ayons eu le temps de nous retourner, le marché s’était effondré. À l’époque, une multitude d’activistes opérait dans les mouvements opposés à la mondialisation et centrés sur le FMI et l’Amérique latine ; des combats d’une autre époque. Cyberselfish de Pauline Borsook, parue en 2000 (5), est une étude de référence (et qui vaut encore la peine d’être lue) sur la façon dont Internet a ruiné San Francisco.

On a ensuite pu lire des histoires drôles quotidiennes d’ascension et de chute de dotcoms sur le site Fucked Company. Dans ce brouillard, notre seule référence universitaire était Saskia Sassen. Elle avait établi un lien entre la finance mondiale et les réseaux informatiques. Son image macro complexe ainsi que La société en réseau, une analyse sociologique de Manuel Castells, procuraient des vues d’ensemble cohérentes. Cependant, personne n’abordait directement la fièvre de la culture dotcom suite à l’introduction en bourse de Netscape, en 1995. De 1997 à 2000, des milliards de dollars issus des fonds de pension, des fonds communs de placement, etc. se sont déversés dans les entreprises d’Internet.

Une partie seulement de ces investissements, comme pets.com et boo.com, a fini façon système de Ponzi, comme entreprises fictives de commerce électronique. La majeure partie des investissements institutionnels a disparu dans l’infrastructure de la fibre optique. Aucun n’a généré de revenus ; tout reposait sur les futurs programmes d’hyper croissance, alimentés par des capitaux extérieurs. Des dizaines de milliers de designers, de musiciens, d’ingénieurs et de chercheurs en sciences sociales se sont rapidement formés pour devenir des codeurs HTML, des agents de relations publiques et de communication ou des consultants informatiques, tout cela pour se retrouver à nouveau au chômage quelques années plus tard, quand la bulle a éclaté.

Un moyen de compenser les vagues impitoyables de la privatisation et de folie boursière était de désigner l’Internet comme une infrastructure publique. L’Internet, avec son passé militaire et universitaire, devrait garantir « l’accès pour tous ». Nous voulons de la bande passante était le slogan de notre semaine de campagne à la Documenta X, celle de Catherine David, dans le cadre du projet Hybrid Workspace (espace de travail hybride). Le même groupe, coordonné par Waag Society Amsterdam (où je travaillais alors comme stagiaire à temps partiel) avait mené une campagne similaire, Free for What? (libre pour quoi ?), devant le musée Kiasma à Helsinki, fin 1999.

Les retards de perception m’inquiétaient tout autant dans les « folles » années 1990 qu’elles m’inquiètent aujourd’hui. Qui profite du fait que nous ne comprenions pas le modèle économique de Facebook ? Quels sont les facteurs qui nous font passer d’héroïques sujets à consommateurs grincheux se contentant de cliquer ? Malgré nos efforts individuels et collectifs dans les réseaux et les groupes de recherche, pourquoi parvenons-nous seulement à comprendre la dynamique du capitalisme contemporain a posteriori ? Est-ce la vraie raison qui fait que nous manquons d’avant-gardes ?

À présent, nous ne pouvons que lutter contre les causes de la dernière récession. Des années plus tard, rien n’a changé et nous devons faire face aux retombées de la crise de 2007-2008 ; la compréhension des dérives fondamentales et du trading haute fréquence commence à se généraliser (grâce à Scott Patterson et au professeur Michael Lewis), tandis que le chômage provoqué par la crise de l’euro reste à des niveaux incroyablement élevés, que la stagnation devient permanente et que les coupes budgétaires qui ravagent les soins de santé, la culture et l’économie dans son ensemble sont maintenues, en attendant le prochain krach.

2000 : éclatement de la bulle
Depuis le lancement d’initiatives telles que la liste de diffusion nettime (en 1995), des efforts collectifs ont été menés pour développer une « économie politique d’Internet », puisant dans les perspectives culturelles, politiques et économiques au sein et en dehors du milieu universitaire. En février 2000, juste après la victoire sur le bogue du millénaire et l’annonce de la fusion entre AOL et Time Warner, la bulle a éclaté. L’événement de tulipomania.com (Amsterdam/Francfort, juin 2000), qui s’est tenu juste après l’effondrement du Nasdaq (mi-avril 2000) était une tentative sérieuse d’analyser la « nouvelle économie » et de rassembler les voix critiques des deux côtés de l’Atlantique. L’histoire des premières fièvres du marché boursier au début du XVIIème siècle, la bulle des mers du Sud et la crise de 1929 sont bien connues. Cela vient pourtant de se reproduire et de causer une vaste destruction sous nos yeux et dans notre propre secteur.

2000-2010 : ceci n’est pas une économie
Des projets comme tulipomania.com nous ont appris à observer l’image d’ensemble de la finance mondiale : Wall Street, les fonds (spéculatifs) souverains et le trading à grande vitesse. Pourquoi était-il impossible d’imaginer des sources de revenus durables pour des travailleurs non-techniciens si directement impliqués ? Pourquoi les nouveaux médias ont-ils exclu les artistes et les producteurs de contenu pour ne rétribuer qu’une poignée d’entrepreneurs et de techniciens ? À l’exception, peut-être, de quelques années fastes, rien n’a vraiment changé depuis plus d’une décennie. Ceci n’est pas une économie. En fait, peu de temps après l’explosion des « dotbombs », des armées de webdesigners et de chefs de projet Internet ont perdu leur emploi et sont retournées dans leurs villes d’origine pour exercer leurs anciens métiers. En fait, la pauvreté du « précariat » n’allait que s’aggraver.

En attendant, je devais me réorienter vers le monde universitaire, après avoir œuvré comme théoricien indépendant deux décennies durant, et passer un doctorat à Melbourne sur la base de mon travail sur la culture critique d’Internet. Ce dont les critiques des nouveaux médias, comme moi, avaient fait l’expérience dans les années 1990 se propagea bientôt aux professions voisines comme le théâtre, l’édition et la critique de film, le journalisme d’investigation, la photo et la radio indépendante, tous rejoignant la « classe créative » paupérisée : cool, mais pauvre. Avec le retrait des subventions de l’État, les emplois rémunérés restants se sont réorientés vers la publicité et les relations publiques.

De retour à Amsterdam, après avoir trouvé un emploi dans la recherche, j’ai pu lancer l’Institute of network cultures (l’Institut des cultures de réseau), en 2004 — un choix de carrière que beaucoup de mes collègues artistes et critiques ont été contraints de faire. Le premier événement d’envergure organisé en janvier 2005 par mon unité de recherche — qui venait de voir le jour à l’école Hogeschool van Amsterdam (HvA) — s’appelait « Decade of Webdesign » (une décennie de webdesign). Cet événement explorait les aspects économiques mouvants de cette jeune profession. Vint ensuite « MyCreativity » (ma créativité, en novembre 2006), un débat sur la misère des politiques des « industries créatives » venues du Royaume-Uni et d’Australie qui était en train d’atteindre l’Europe.

Avec l’essor des blogs et de la « culture des templates » (les thèmes graphiques) au lendemain de l’éclatement de la bulle Internet, il n’était plus nécessaire de construire un site web de A à Z. Les prix du design de sites web se sont effondrés. Les geeks qui ont inventé les logiciels de blog ont, encore une fois, omis d’intégrer un plan monétaire à leurs systèmes et bientôt les praticiens amateurs de la « culture participative » sont devenus la proie de la même vieille logique de la « culture libre », cette fois-ci menée par des visionnaires comme Henry Jenkins, qui était opposé à la professionnalisation de l’écriture sur Internet et qui a salué le caractère démocratique du « Web 2.0 » alors que celui-ci a si aisément été exploité par des intermédiaires émergents comme Google, Amazon, Apple et e-Bay.

Une poignée de blogueurs ont finalement réussi à vivre de la syndication de contenus associée à des bannières de publicité et des micro-revenus issus du nombre de clics vers Amazon, Google AdSense et AdWords. Au final, un nombre encore plus restreint de blogueurs a été embauché par les anciennes industries des médias, dont le Huffington Post, qui reste l’un des cas les plus intéressants : ses contributeurs blogueurs ont traîné sa fondatrice en justice, car elle avait encaissé des centaines de millions de dollars grâce à la vente de son métablog à AOL, refusant de partager les bénéfices avec les coproducteurs de contenus qui avaient contribué à forger sa réputation.

La période qui suivit, dans laquelle le « Web 2.0 » s’est consolidé en « réseaux sociaux », s’est caractérisé par la victoire de la logique du « meilleur l’emporte » des start-ups financées par le capital-risque. L’économie d’Internet ne s’est pas révélée un « marché libre », mais un lieu de reproduction des monopoles, les cartels libertaires régulant le consensus de la Silicon Valley. L’immobilier et les services financiers qui ont mené au krach de 2007-2008 n’ont pas affecté l’économie Internet. La croissance rapide a continué sur sa lancée, cette fois alimentée par de nouveaux utilisateurs en Asie, en Afrique et la montée des téléphones et tablettes tactiles.

L’économie d’Internet, qui reposait initialement sur l’informatique et les industries des médias, a commencé à s’immiscer dans d’autres secteurs économiques, du commerce de détail et des services aux soins de santé jusqu’à la logistique et l’agriculture. Le processus de socialisation, parfaitement défini en allemand par le terme Vergesellschaftlichung, a transformé Internet en une machine de traitement général, basée sur des protocoles largement inconnus (gardés par des organismes industriels dominés par les États-Unis) qui reproduisent l’idéologie du libre. Aucun individu, aucune profession, pas même la plus traditionnelle, ne peuvent échapper à son influence, essentiellement du fait de la miniaturisation et de la quasi-invisibilité des technologies de l’information (un autre obstacle à l’amélioration de la visibilité et des débats autour des aspects monétaires des flux de données).

En réponse à ce développement « totalisant » (de type orwellien ou hégélien), nous avons assisté à l’essor de la « critique d’Internet » dominée par des auteurs américains (l’accomplissement d’un vieux projet de nettime datant de 1995) et à une prise de conscience croissante des aspects liés à Internet dans les débats généraux (de la baisse de la faculté d’attention à ce qu’on a appelé le printemps arabe, en passant par l’utopie technologique de Morozov). Cette critique englobe les stratégies « parasites » de protection de la vie privée sur Facebook, Twitter ou Google. En réaction à cela, le public est devenu de plus en plus conscient que si vous ne payez pas, vous êtes le produit. Cependant, cette connaissance cynique, répandue parmi la masse des internautes, n’a pas conduit à des pratiques alternatives. Du moins, jusqu’à ce que le bitcoin et d’autres cyber-monnaies entrent en jeu…

Au début des années 1990, j’avais imaginé des lecteurs connectés à Internet qui auraient pu lire en ligne ou télécharger mes essais pour une somme modique, à l’aide d’un système intégré de micro-paiement en P2P adapté à la nature distribuée du réseau informatique. Si les données pouvaient circuler de manière décentralisée, alors pourquoi ne pas attribuer de micro-paiements numériques à celles-ci ? Une variante de la méthode de paiement direct aurait pu être un modèle d’abonnement ou une carte de micro-paiement.

Un groupe de pirates informatiques et de crypto-experts basés à Amsterdam ont travaillé sur cette même idée. J’ai également assisté à des conférences de l’Américain David Chaum, fondateur de Digi-Cash, qui était à l’époque basé à UvA Computer Science (CWI) à l’est d’Amsterdam, l’un des tout premiers centres névralgiques d’Internet en Europe. En 1993, j’ai réalisé une émission de radio d’une heure avec Chaum, dans laquelle il expliquait sa lutte contre les sociétés de cartes de crédit et les banques aux États-Unis, les brevets y afférant et l’importance de garantir l’anonymat et de crypter les données pour les futurs systèmes de paiement en ligne.

2013 : le MoneyLab et l’ère de l’expérimentation monétaire
C’est précisément toutes ces idées qui ont commencé à réapparaître quand le bitcoin a émergé au lendemain de la crise financière mondiale, début 2009, bien qu’il ne s’agisse pas ici de parler du bitcoin. En 2013, l’Institute of Network Cultures a initié un réseau de recherche appelé MoneyLab (5). L’idée était d’instaurer des dialogues pluridisciplinaires entre activistes, artistes, chercheurs, geeks et designers, de créer des modèles P2P de revenus Internet pour les arts qui déjouent l’exploitation et œuvrent à une (re)distribution plus égalitaire de la richesse créée en ligne. Un système qui permet à ceux qui accomplissent le vrai travail de générer un revenu décent et que ce dernier ne soit plus concentré dans les poches des fondateurs et des participants du début.

Une chose est claire : le moment est venu d’arrêter de se plaindre de sa précarité. Nous sommes maintenant à l’ère de l’expérimentation monétaire. Le principe fondateur du MoneyLab, ce numéro de MCD et maintes autres initiatives se penchent sur la multiplicité des modèles complémentaires de revenus qui ne sont pas tenus de fonctionner comme des alternatives soudaines aux systèmes de paiement hégémoniques.

Si nous commençons par des systèmes d’échanges locaux, nous pourrons ensuite passer aux possibilités et aux écueils du financement participatif (avant que l’œuvre ne soit produite) puis au bitcoin et autres crypto-devises (des systèmes de paiement de l’œuvre produite) jusqu’aux paiements en direct en monnaies spécialement conçues pour les jeux en ligne. S’il vous plaît, participez aux débats concernant leurs architectures et ne laissez pas les geeks tous seuls ! Lançons des collectifs, des coopératives et autres formes d’organisation autonomes pour lutter contre le modèle néo-libéral de l' »entrepreneur ».

L’éventail de solutions alternatives ne peut se déployer que dans un contexte plus large luttant pour une redistribution globale des ressources. « Résister à la vie virtuelle » ne suffit pas. L’objectif devrait être de dissocier la Silicon Valley de la logique capitaliste. Une première étape pourrait être l’interdiction du capital risque et son obsession fatale d' »hyper croissance ». Jusqu’à présent, les Google de ce monde n’ont fait qu’enrichir les riches. La prochaine étape, après les manifestations encourageantes à San Francisco contre les bus urbains privés de Google, est Occupy Mountain View. Rendez le cyberespace aux 99%.

Geert Lovink
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

(1) Making Money, The Philosophy of Crisis Capitalism, Ole Bjerg, Verso, London, 2014.
(2) Cf. le texte de référence d’Arthur Kroker et Michael Weinstein, Data Trash, Theory of the Virtual Class (New York, St. Martins Press, 1994) qui a souffert, comme beaucoup d’études de la période, d’une surestimation spéculative d’une « politique du corps » liée à la « réalité virtuelle » et de la négligence relative des capacités réseaux de l’Internet et des téléphones portables parce que l’Internet n’entrait pas dans les catégories de la théorie française de l’époque.
(3) NdT : en français dans le texte.
(4) Cyberselfish: A Critical Romp through the the World of High-tech, Paulina Borsook, Little, Brown & Company, 2000.
(5) Cf www.imaginaryfutures.net/2007/04/17/the-californian-ideology-2/
(6) Le lecteur MoneyLab dont la sortie est prévue en mars 2015 peut être téléchargé ici : www.networkcultures.org/moneylab.

À mon arrivée aux États-Unis, j’ai vécu sans compte bancaire afin d’éviter les procédures bureaucratiques et les frais de transaction élevés imposés par les banques. C’est ainsi que j’ai adopté le bitcoin — une devise cryptée et décentralisée qui a fini par prendre une place capitale dans ma vie.

C’était la veille du Nouvel an 2014 et je me suis lancée un nouveau défi : je voulais essayer de survivre uniquement grâce au bitcoin en boycottant le dollar et toute autre monnaie fiduciaire durant l’intégralité de l’année qui s’annonçait. Je devais trouver un moyen d’obtenir tout ce que l’économie du bitcoin n’était pas (encore) en mesure de me procurer, soit en empruntant une voie alternative (qui évitait complètement l’argent), soit en tentant de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires et imaginables pour obtenir ce que je voulais — préparant ainsi le terrain pour que d’autres passionnés de bitcoin puissent survivre dans un monde où le dollar est roi. Voici ce que j’ai retenu de cette expérience.

# 1 Je n’ai pas besoin de téléphone portable
Il n’existait alors aux États-Unis aucun opérateur de téléphonie mobile qui accepte les bitcoins. J’ai donc dû abandonner mon abonnement T-Mobile et compter uniquement sur les communications wi-fi par le biais du numéro Google Voice que je venais de configurer. Ce problème s’est avéré mineur dans une ville comme Boston où la couverture wifi est quasi-totale.

#2 Le bitcoin vous maintient en forme
Les transports en commun représentent un autre problème. Étant donné que ni le bus, ni le réseau de métro ne m’auraient permis de régler mes tickets en bitcoin, la seule façon pour moi de contourner cet obstacle était soit de marcher, soit de tricher — plus facile à dire qu’à faire au vu du nombre contrôleurs qui patrouillent le système de transports. Heureusement, mon colocataire avait quelques vélos à disposition qu’il m’a laissé emprunter gratuitement. Bien qu’à contrecœur au début (la température de Boston peut baisser jusqu’à –30 degrés en hiver), je m’y suis vite habituée et me suis finalement transformée en véritable passionnée de vélo.

# 3 Je déteste faire les courses
Il serait difficile de me décrire comme une fan du shoping : je déteste tout simplement cette activité, qu’il s’agisse d’acheter des provisions, des vêtements ou toute autre marchandise. En ce sens, vivre en bitcoin m’a effectivement facilité la vie en me faisant comprendre qu’aux États-Unis, au moins, il est possible d’acheter à peu près n’importe quoi en ligne. En termes de besoins de survie élémentaires, mon sauveur était Foodler, un service de livraison de repas qui accepte le bitcoin. Pour d’autres nécessités, je pouvais compter sur Overstock pour les vêtements ou les accessoires et sur TigerDirect pour l’électronique. Il m’était ainsi difficile de trouver quelque chose (que je veuille vraiment) qui soit impossible à acheter grâce au bitcoin.

# 4 Le loyer est moins cher en bitcoin
Le loyer est dû la dernière semaine de chaque mois. Bien sûr, je devais payer mon loyer sans recourir au dollar, ou toute autre monnaie fiduciaire. Ce défi s’est avéré assez facile, car mon propriétaire était lui-même un passionné de bitcoin, qui préférait être payé en bitcoin plutôt qu’en dollars. En fin de compte, nous avons tous deux bénéficié de cette offre : grâce à la haute déflation que traversait le bitcoin, je devais en fait payer moins pour que mon propriétaire gagne plus.

# 5 La vie sociale est surestimée
Il est vite devenu évident que le fait de vivre exclusivement en bitcoin allait considérablement dégrader ma vie sociale. L’essentiel de ce que je pouvais manger ou boire était limité à ce que l’on trouvait chez Foodler. Si je n’étais pas parvenue à convaincre mes amis de manger dans les rares restaurants qui acceptaient le bitcoin (on n’en comptait malheureusement que deux à l’époque), j’aurais toujours mangé seule.

# 6 J’ai besoin d’amis
J’aime à penser que je suis une personne totalement indépendante, mais le bitcoin m’a fait prendre conscience de l’importance des amis. Comme je souffrais de l’impossibilité de dépenser de l’argent, au-delà de ce que je pouvais acheter sur le net par le biais de Foodler et quelques autres sites de vente en ligne de matériel électronique, j’ai élaboré une nouvelle règle — qui aurait pu ressembler, au premier abord, à de la tricherie, mais qui s’est avérée un outil extrêmement utile pour élargir la portée de l’écosystème bitcoin.

Alors que je n’avais pas le droit de me reposer sur des « portefeuilles humains » (c’est-à-dire de demander aux gens de payer pour moi puis les rembourser en bitcoins), j’ai décidé que je pouvais tout de même me servir une seule fois des gens qui n’avaient pas (encore) de portefeuille bitcoin. Cela me permettrait de maintenir un niveau de vie décent, tout en contribuant à l’augmentation du nombre de personnes possédant des bitcoins et qui chercheraient à leur tour des façons de les dépenser. Finalement, je suis devenue une sorte de missionnaire du bitcoin, faisant l’apologie du bitcoin auprès de mes amis pour obtenir ce que je voulais. Une tâche aisée étant donné que mon cercle social aux États-Unis était essentiellement constitué d’un petit groupe de chercheurs de la faculté de droit de Harvard spécialistes d’Internet et d’un groupe de techniciens du MIT.

# 7 L’Europe ne comprend rien au bitcoin
Avec CheapAir, une agence de voyages en ligne qui accepte le bitcoin, je pouvais facilement effectuer des vols aller-retour entre l’Europe et les États-Unis pour assister à des conférences, ateliers et autres évènements de ce genre. Pourtant, vivre du bitcoin en Europe s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu. Il m’était, en effet, impossible d’y survivre sans enfreindre mon serment. Même avec le système du portefeuille humain, je parvenais rarement à convaincre mes amis de participer. La plupart d’entre eux n’avaient jamais entendu parler du bitcoin et ceux qui en avaient entendu parler le voyaient principalement comme une tentative menée par quelques technocrates pour instaurer une société capitaliste crypto-libertaire à travers un système monétaire de Ponzi. J’étais en difficulté.

# 8 Le milieu universitaire peut aider
Le milieu universitaire est notoire pour ses bas salaires. Pourtant, ce que les universités ne donnent pas sous forme de revenu direct est fourni — indirectement — sous forme de voyages, d’hébergement et autres dépenses quotidiennes dont on pourrait avoir besoin dans le cadre d’un événement universitaire. Heureusement, la plupart (voire la totalité) de mes voyages en Europe s’inscrivaient dans le cadre d’une conférence ou d’un atelier où ma présence était requise et où j’étais toujours nourrie — aux sens littéral et figuré — par de la bonne nourriture et une stimulation intellectuelle. Paris, Milan, Barcelone, Amsterdam, San Francisco, Dakar, Rio de Janeiro, Buenos Aires, etc. — plus je prenais l’avion, moins je sentais la nécessité de dépendre d’un type de monnaie fiduciaire ni même, à vrai dire, d’une devise cryptée.

# 9 L’argent est inutile
Tandis que les limites d’une vie reposant sur le bitcoin devenaient de plus en plus évidentes, je me suis rendue compte que l’argent n’est en réalité pas très utile. Je pouvais, en effet, obtenir gratuitement la plupart de ce que j’avais l’habitude de payer (en faisant juste preuve d’un peu de créativité). C’est ainsi que j’ai commencé à développer une nouvelle compétence : trouver de la nourriture gratuite dans divers événements de Harvard, obtenir des boissons gratuites dans les nombreuses soirées du MIT; me faire héberger gratuitement par des amis et par le biais du couchsurfing, me déplacer gratuitement grâce au vélo et à l’auto-stop; participer à des projections gratuites de films dans un parc, des lectures secrètes de poésie dans des maisons abandonnées; des conférences et des colloques gratuits, jusqu’aux séances d’essai pour la gym, le yoga ou la piscine — j’en étais venue à accomplir plus de choses sans argent que je ne l’avais fait auparavant. Mais alors que je m’amusais vraiment, j’ai été hantée par l’idée qu’en vivant du bitcoin, j’étais en train de me transformer progressivement en véritable magouilleuse.

# 10 Plus vous donnez, plus vous recevrez
Si la société me donnait, il me fallait donner en retour à la société. J’ai donc décidé que tout ce que je recevais gratuitement, je devais finir par le passer à quelqu’un d’autre — en espérant qu’il le transmette aussi finalement à un tiers. Plus vous donnez, plus vous recevrez, m’a dit une fois un ami. C’est peut-être la leçon majeure que j’ai retenue de cette expérience. L’argent n’a de fonction que dans une société où les gens ne partagent pas, ni se soucient les uns des autres. En essayant de vivre du bitcoin, j’ai arrêté de me soucier de l’argent, et — par conséquent — j’ai commencé à m’occuper davantage des gens et de ce qui les intéressait. Malgré l’échec technique du défi (car il est pratiquement impossible de vivre exclusivement du bitcoin), l’expérience a été une franche réussite dans la mesure où j’ai découvert les mérites d’une vie sans argent.

Primavera De Filippi
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

A Personal Chronology

With resource sharing becoming a necessity, the currencies in which this is happening are now on the radar of a growing number of geeks, artists and activists. Let’s talk about the aesthetics of post-credit money, writes media theorist Geert Lovink.

“The personal is political.” This 1970s adagium of the feminist movement rarely gets applied to our financial situation. Money is a private fate. You’re doomed if you have and doomed if you haven’t. Making money (Ole Bjerg, 2014) is a capacity that only the fast boys of Wall Street possess while speculating with other people’s savings–the rest of us are busy scraping coins (1). With the recent stagnation of middle class incomes, everyday finance is becoming politicized. Debt is a public affair. After 2008 we can barely say: Wir haben es nicht gewusst. Can we finally speak of an emerging ‘virtual class’ consciousness? (2) With resource sharing becoming a necessity, the currencies in which this is happening are now on the radar of a growing number of geeks, artists and activists. How are you going to make a living? Let’s talk about the aesthetics of post-credit money. But before we do this, I want to look at how internet culture and financialization have come together over the past decades and why Silicon Valley has so far stopped us from using tools that redistribute resources.

Crisis of the 1980s

In the midst of the never-ending economic malaise of the 1980s, I went through an existential crisis of sorts. Like others of my generation, I was living off social welfare, making my home in squats, and hitchhiking between Amsterdam and West Berlin while confronted with the neo-liberal backlash of Reagan and Thatcher. Witnessing the sad decline of the autonomous movements and having said farewell to academia after grad school, there were little professional opportunities for us post-hippies pre-yuppies. I felt too much of an independent intellectual to identify with the journalist role model, and in 1987 I decided to label myself ‘media theorist’, wherever that would take me. I had recently joined the Amsterdam free radio movement and had been interested in media theory ever since I majored in ‘mass psychology’ at the University of Amsterdam. But how was a ‘media theorist’ going to make a living?

A good five years later I had still not improved my job situation but quit the dole anyway, by selling essays in the media arts context, giving lectures, doing some organizing work in the Amsterdam cultural scene (dominated by baby boomers) and working part-time at the Dutch national broadcaster VPRO, earning $700 (US) a month, barely more than a social security check. The world had tumbled into yet another recession. Regardless, ‘new media’ started to boom under speculative rubrics such as ‘multi-media’, ‘virtual reality’ and ‘cyberspace’. Soon after, in early 1993, I obtained internet access. With the help of my hacker friends I uploaded my archive of digital texts, which was already considerable since I had started using a PC in 1987. It was in this context that I had my first discussion about the absence of an ‘internet economy’. I was told that content was going to be ‘free’. Users had to pay an ISP in order to gain access and would also continue to purchase and upgrade their hardware such as PCs, screens, printers and modems. In the case of software, the situation wasn’t as clear-cut. From early on there were shareware and free software vs. corporate propriety ones; games were another grey zone.

1990’s: ‘text’ as first victim

My geek friends told me: if you’re not into old media or academia, try to find an arts grant, but do not expect the internet to provide you with an income. Find some boring day job, and express yourself the way you want to at night. Set cyberspace on fire. That’s the destiny of writing and all art forms. Become an entrepreneur and start your own business, learn some coding and become one of us. In 1993 serious money could be made with web design, but then again, that wasn’t content and looked like a hyped-up, temporary opportunity. Writing, be it journalism, fiction, poetry or criticism, would have to be financed through cultural funds or traditional publishers and become de-professionalized, or ‘democratized’, to put it in more friendly terms. The internet was going to disrupt all businesses, and ‘text’ was its first victim–a Napster moment avant la lettre.

The early nineties is a crucial period in the ‘dotcom’ saga. Its libertarian spirit was captured well by Richard Barbrook and Andy Cameron in their seminal piece The Californian Ideology from 1995 (3), but the text failed to analyse a few critical elements, such as the economy of the ‘free’ and the role of venture capital and the IPO in the business plan. Internet start-ups all follow the same scheme: above all attract a critical mass of users in a short period of time. Market share is more important than a sustainable revenue stream. In this cynical model it was accepted that most start-ups would fail, and their losses would be made up by one or two success stories that would be sold early or brought to the stock market.

It took me years to decipher Wired (sold and ‘kaltgestellt’ in 1998) and then Red Herring and Fast Company to get a deeper understanding of what the economic premises of the dotcom craze were about. There were hardly any books about it, and the critical literature was about zero—and before we knew it the market had collapsed. The multitudes at the time were active in counter globalization movements focussed on the IMF and Latin America, the worthy struggles of yesteryears. A classic study on how the internet ruined San Francisco, still worth reading, is Pauline Borsook’s Cyberselfish, which came out in 2000 (4). Then there were the hilarious daily accounts of the rise and fall of dotcoms published by the Fucked Company website. Our only academic guardian in the dark was Saskia Sassen, who linked global finance with computer networks. Her complex macro picture, together with Manuel Castells’ sociological account of the ‘network society’, gave solid overviews; however neither dealt directly with the madness of dotcom culture post Netscape’s IPO in 1995. From 1997 to 2000 billions of dollars flowed from pension funds, mutual funds, etc. into internet ventures. Only part of these investments ended up as ponzi schemes of fake e-commerce companies, such as pets.com and boo.com. A great deal of the institutional investments disappeared into fiber-optic infrastructure. None had revenue; all was based on future hyper growth schemes, fuelled by outside capital. Tens of thousands of designers, musicians, engineers and social scientists quickly retrained as HTML coders, communications and PR officers and IT consultants—only to find themselves unemployed again a few years later when the bubble burst.

One way to counterbalance the ruthless waves of privatization and the stock market craze was to point to the internet as a public infrastructure. The internet, with its military and academic background, should guarantee ‘access for all’. ‘We want bandwith’ was the slogan of our one-week long campaign at Catherine David’s Documenta X, as part of the Hybrid Workspace project. The same group, coordinated by Waag Society Amsterdam, where I used to work as a part-time fellow in that period, designed a similar Free for What? campaign out of the Kiasma museum in Helsinki, late 1999.

Delays in perception concerned me back then in the ‘roaring’ nineties, as it does now. Who benefits when we do not understand Facebook’s business model? Which factors turn us from heroic subjects into grumpy consumers who merely click? Even if we try hard, as individuals, and collectively in networks and research groups, why can we only understand the dynamics of contemporary capitalism retrospectively? Is this the real reason why we lack avant-gardes? These days we can only fight the causes of the last recession. It’s no different now as we deal years later with the fallout of the 2007-2008 crisis –as basic understanding of derivatives and high-frequency trading starts to spread (thanks to Scott Patterson, Michael Lewis a.o.), as unemployment caused by the Euro crisis remains at unimaginatively high levels, as stagnation becomes permanent and as budget cuts ravaging health care, culture and the economy as a whole remain stagnant, waiting for the next crash.

2000: Bubble burst

Ever since initiatives such as the nettime mailinglist took off (in 1995), collective efforts have been made to develop a ‘political economy of the internet’, drawing from cultural, political and economic perspectives from both inside and outside academia. In February 2000, right after the victory over the millennium bug and the announcement of AOL and Time Warner’s merger, the dotcom bubble burst. A belayed attempt to analyse the ‘New Economy’ and bring together critical voices from both sides of the Atlantic was the tulipomania.com event (Amsterdam/Frankfurt, June 2000), held right after the NASDAQ crashed (mid April 2000). The histories of the first stock market craze in the early 17th century, the South Sea bubble and the crash of 1929 are well known. And now it happened again right under our own eyes, even in our own sector, causing so much destruction.

2000-2010: This Is Not an Economy

Projects like tulipomania.com directed us to look at the larger picture of global finance: Wall Street, sovereign (hedge) funds and high speed trading. Why was it impossible to imagine sustainable sources of income for the non-technical workers who were so directly involved? Why did new media exclude artists and content producers and only reward a handful of entrepreneurs and technicians? With perhaps the exception of a few years of the boom, nothing changed much over a decade. This Is Not an Economy. In fact, soon after the explosion of the ‘dotbombs’, armies of web designers and project managers lost their jobs and returned to their hometowns and their old professions. In fact, the poverty of the ‘precariat’ was about to get worse. In the meanwhile, I had to make the move to academia after two decades of working as a free-floating theorist, getting a PhD in Melbourne based on my work on critical internet culture. What new media critics like myself experienced in 1990s soon spread to neighbouring professions such as theatre, publishing and film criticism as well as investigative journalism, photography and independent radio, all joining the impoverished ‘creative class’: cool but poor. With state subsidies withdrawing, the remaining paid jobs shifted to advertisement and PR.

After finding a research job back in Amsterdam, I was able to kick off the Institute of Network Cultures in 2004–a career move that many of my fellow critics and artists were forced to make. The first big event of my newly established research unit at the polytech Hogeschool van Amsterdam (HvA) was Decade of Webdesign (January 2005), an event that looked at the shifting economics of this young profession, followed by MyCreativity (November 2006), which discussed the misery of the ‘creative industries’ policies that had recently reached Europe from the UK and Australia. Due to the rise of blogs and ‘template culture’ in the immediate aftermath of the dotcom crash, it was no longer necessary to build a website from scratch. The prices of web design had plummeted. The geek inventors of the blog software had, once again, failed to build a monetary plan into their systems, and soon the hobbyists of ‘participatory culture’ fell prey to the same old ‘free culture’ logic, this time lead by visionaries such as Henry Jenkins, who was opposed to professionalizing internet writing and instead praised the democratic nature of ‘Web 2.0’ that became so easily exploitable by emerging intermediates such as Google, Amazon, Apple and e-Bay. A handful of bloggers were eventually able to make a living from the syndication of their content, combined with web banners and micro-revenues through click rates to Amazon and Google’s AdSense and AdWords. Eventually an even smaller number of bloggers ended up being taken over by the old media industries, with the Huffington Post remaining one of the more interesting cases: its co-bloggers went to court against its founder, who had cashed in hundreds of millions of dollars from the sales of her meta blog to AOL, refusing to share the profit with the content co-producers who had built up her reputation all along.

The following period, in which ‘Web 2.0’ consolidated into ‘social media’, has been characterized by the victory of the ‘winner takes all’ logic of venture capital-backed dotcoms. The internet economy turned out not to be a ‘free market’ but a breeding ground for monopolies, with libertarian cartels policing the Silicon Valley Consensus. The real estate and financial services driving the 2007-2008 crash did not affect the internet economy. Rapid growth continued, this time fueled by new users in Asia, Africa and the rise of smart phones and tablets. The internet economy, originally based on IT and the media industries, started feeding into other economic sectors, from retail and services to health care, logistics and agriculture. The ‘Vergesellschaftlichung’, as this process is called so neatly in German, turned the internet into a general processing machine, based on largely unknown protocols (guarded by US-dominated industrial bodies) that reproduce the ideology of the free. No single individual or profession, no matter how traditional, can escape its influence, primarily because IT is becoming so small and invisible (yet another obstacle to making the monetary aspects of data flows more visible—and disputable). In response to this ‘totalizing’ (Hegelian aka Orwellian) development, we have seen the rise of ‘internet criticism’ dominated by US authors (and fulfilling an old desire of nettime’s back in 1995), and a growing awareness of internet-related aspects in general debates (from the Decline of Attention and so-called ‘Arab Spring’ to Morozov’s techno-solutionism). This criticism encompasses the ‘parasitic’ privacy strategies of Facebook, Twitter and Google. In response, public awareness that ‘if you are not paying, you are the product’ has grown. However, this cynical knowledge, spread amongst the online masses, did not result in alternative practices. At least, not until Bitcoin and other cyber currencies came on the scene…

In the early nineties I envisioned internet-enabled readers reading online or downloading my essays for a small fee, using a built-in peer-to-peer micro-payment system, designed according to the distributed nature of the computer network. If data could flow in a decentralized matter, then why couldn’t small digital payments be attached to them? A variation on the direct payment method could be a subscription model or a card with small amounts on it. A group of hackers and crypto-experts in Amsterdam were working on this very idea. I visited a number of presentations by an American called David Chaum, the founder of Digi-Cash who was at the time based at UvA Computer Science (CWI) in the east of Amsterdam, one of the early internet nodes in Europe. In 1993 I produced a one-hour radio show with Chaum in which he explained his struggle against the US credit card companies, banks, the patents involved and the importance of anonymous, encrypted data for future online payment systems.

2013: MoneyLab and the age of monetary experimentation

It is precisely this set of ideas that started to reappear again when bitcoin hit the surface in the immediate aftermath of the global financial crisis in early 2009, though this is is not the place to discuss bitcoin. In 2013 the Institute of Network Cultures kicked off a research network initiative in this field, entitled MoneyLab (5). The idea was, as always, to create multi-disciplinary dialogues between activists, artists, researchers, geeks and designers about creating peer-to-peer internet revenue models for the arts that combat exploitation and work towards a more equalitarian (re)distribution of the wealth that is being created online. A system that allows those who do the actual work to generate a decent income and that is no longer concentrated in the hands of founders and early movers.

One thing is clear: the time of merely complaining about one’s precarity is over. This is the age of monetary experimentation. The premise of MoneyLab, this issue of MCD and many other initiatives investigate the multiplicity of complementary revenue models that do not have to function as overnight alternatives for the hegemonic payment systems. Starting off with local exchange trading systems, we can then move on to possibilities and traps of crowdfunding (before the artwork has been produced), to bitcoin and other crypto-currencies (payment systems after the artwork has been finished), to live payments in special currencies designed for online games. Please join the debates about their architectures and do not leave the geeks alone. Let’s start collectives, cooperatives and other forms of autonomous organization in order to counter the neo-liberal role model of the ‘entrepreneur’.

The rainbow of alternatives can only thrive within a larger context that fights for a global redistribution of resources. It is not enough to ‘resist the virtual life’. The aim should be to disconnect Silicon Valley from capitalist logic. A first step could be the ban of venture capital and its deadly ‘hypergrowth’ obsession. So far the Googles of this world have only made the rich richer. Next stop, after the encouraging San Francisco protests against the Google’s private commuter busses, is Occupy Mountain View. Give cyberspace back to the 99%.

Geert Lovink
published in MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Geert Lovink is a media theorist, internet critic and author of Zero Comments (2007) and Networks Without a Cause (2012). Since 2004 he is the founding director of the Institute of Network Cultures at the Amsterdam University of Applied Sciences (HvA).

> https://networkcultures.org/

(1) Making Money, The Philosophy of Crisis Capitalism, Ole Bjerg, Verso, London, 2014.
(2) See the classic text of Arthur Kroker and Michael Weinstein, Data Trash, Theory of the Virtual Class (New York, St. Martins Press, 1994) that suffered, like so many studies of its time, from a speculative overestimation of a ‘politics of the body’ related to ‘virtual reality’ and a relative neglect of the network capacities of internet and mobile phones, because the internet didn’t fit into French theory’s categories of the time.
(3) Cyberselfish: A Critical Romp through the the World of High-tech, Paulina Borsook, Little, Brown & Company, 2000.
(4) http://www.imaginaryfutures.net/2007/04/17/the-californian-ideology-2/ (5)
(5) The MoneyLab reader appears in March 2015 and can be downloaded there. http://www.networkcultures.org/moneylab

Keep it moving, there’s everything to see and nothing to sell

With her ironic pieces, French artist Albertine Meunier forces us to see things from a different angle, introducing a grain of sand into the well-oiled gears of our digital world, beginning with Google. Within the results of the ubiquitous search engine, she re-categorized Marcel Duchamp’s ready-mades as belonging to the Net Art period (The Innards of L.H.O., 2013-2014)—a very dadaist update, which she explains below.

Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

Since July 27, 2013, Albertine Meunier has been hacking Google with a “Ready Made Hack”, The Innards of L.H.O. Anyone who searches one of Marcel Duchamp’s artworks will find that it belongs to the “Net Art” period. Duchamp may be the father of contemporary art, but he never lived to see the Internet! Thanks to this semantic hack of Google’s Knowledge Graph, Duchamp’s best-known works—Fountain (the infamous urinal), Bicycle Wheel, Nude Descending a Staircase, Bottle Rack—are all time-stamped as Net Art… without a word of protest so far from the online giant.

How do you explain why Google hasn’t done anything to stop your Ready Made Hack on Duchamp for the past year now?
I appear very openly on the history list of changes, so they must know! It has also been in the media—I promoted The Innards of L.H.O. during FIAC, the contemporary art show in Paris in 2013, before summer I launched a crowdfunding campaign to publish a book documenting this performance, which has just been released and is visible all over the place. Maybe Google is leaving it as a Duchamp-style transformation? (laughs) A number of people said to me: “Why did you do it on Duchamp? Nobody’s interested in him. But if you did it on a politician, everyone would be talking about it.” That’s exactly my point, that Google is more interested in LOL culture than in art, or at least in this symbol of 20th century art that is Duchamp.

Does confronting Google with Duchamp-style art amount to demonstrating that the all-powerful giant isn’t all that?
Google claims to carry all of human knowledge, but it isn’t vigilant! It opened a cultural institute in France for its good conscience, but it doesn’t know the first thing about art! My little hack shows its patent ignorance, while highlighting its pretentious ambitions. But when you’re pretentious, you need to live up to the situation! I also wanted to show that things in the digital world are not necessarily as they seem, assumed and acceptable, impossible to criticize. You can consider the Knowledge Graph from a critical viewpoint and overthrow the search engine’s authority figure.

Especially if the authority figure “devalues” Duchamp’s importance. Is it also a criticism of the art market?
In 2009, I took an interest in the art market, with Mona LHO, an Internet-connected ready-made par excellence. I found a nice ashtray and cigarette holder with a picture of the Mona Lisa, I connected it to the AMCI (Art Market Confidence Index), which ranges from de –40 to +40. This value is displayed on the base of Mona LHO, to show that you can take any object and connect it (like Duchamp) to make a connected ready-made. It’s also a wink at this value that is supposed to indicate a healthy market, placed in the ashtray.

Is it a criticism of speculation in art?
I’ve always seen the index as a positive value, never negative. Isn’t it strange that this index never dips below zero?

Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

Is the hidden message “Don’t get attached to mercantile contingencies”?
It’s good to buy artworks, but buying on the art market is useless! I buy stuff as a collector because I like art, but market speculation kills art—the rating has no meaning, it’s even counter-productive for people who want to collect, as it distances you from the art. Many pieces become inacessible, especially among contemporary artists. Personally, I don’t buy art to invest my money…

Is it a criticism of money?
Yes, of the speculative aspect of money! Because this object that I found at a flea market in Montrouge is a ready-made Mona Lisa, I didn’t do anything to the object itself. So is it art? To me it’s much more than a Russian doll, a bouncing object. It’s one of the objects that I don’t want to sell!

Why?
To me, it has no value, or rather, it’s priceless! For me, its value is so high that I will keep it until I die. As I don’t live off the sale of my artworks [Albertine is an R&D engineer in a big company], I don’t need to sell them. So I came up with another system, confiding them to people, like my life assets. I entrust them to people who will commit to taking care of them.

So you exclude yourself from the market?
In terms of speculation, yes. An artist’s true freedom is being independent of the market, not having to produce only things that will sell. The current gallery model is obsolete. It used to be that a gallery would take an artist under its wing and take care of his or her production, and the artist would enjoy a sort of universal income. Today it’s hard to maintain a certain amount of freedom, as the artworks need to be somewhere, not in boxes!

And the people to whom you choose to confide your artistic life assets are cherry-picked by you?
Yes, isn’t it a luxury? (laughs) The point is that it circulates. No matter if it sells or not!

Interview by Annick Rivoire
published in MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

Albertine Meunier has been practicing so-called digital art since 1998 and uses the Internet as raw material. She defines herself as a Net artist, which is not necessarily her artistic net worth.

> http://www.albertinemeunier.net

L’équation De La Monnaie Du Monde

Cette œuvre représente la Monnaie du monde à travers la formulation créative d’une équation et d’un algorithme d’échange de devises. La création visionnaire d’échanges boursiers algorithmiques associe l’art à la substance qui dirige la société contemporaine. Par cette action, elle vise à introduire de nouvelles pratiques artistiques.

Paolo Cirio, World Currency Equation. Équation. © Paolo Cirio.

Cette œuvre vise à encourager une transformation sociale par la visualisation d’un outil économique positif et innovant. Elle aborde l’instabilité inhérente aux différentes devises, tout comme le besoin d’une nouvelle réserve de change mondiale indépendante, susceptible de conférer pouvoir et unité à la population mondiale. En tant qu’instrument financier pérenne, l’Équation de la monnaie du monde (World Currency Equation) fera office de tampon entre les populations et la volatilité croissante des monnaies individuelles due aux manipulations spéculatives et aux fluctuations économiques, préservant par la même occasion l’accès de différents domaines géopolitiques et sociaux au marché.

L’équation algébrique proposée offre à cette nouvelle monnaie, le (W), de la valorisation et de la liquidité reposant sur la moyenne d’un index de devises individuelles. La formule sécurise et associe des devises nationales dominantes aux devises complémentaires numériques et locales, maintenant ainsi l’autonomie et la diversification dans des cadres conventionnels. L’œuvre est illustrée par la représentation artistique d’une équation mathématique et du diagramme d’un algorithme. Ces deux éléments indiquent la manière dont la valeur de la monnaie est calculée et comment sa liquidité est créée et maintenue.

Comment ça marche
La Monnaie du monde est une réserve de change globale garantie par les devises dominantes. Elle repose sur un index d’estimation de valeur, au sein duquel chaque devise dans un panier boursier influence l’index proportionnellement à son taux de change et à sa marge pour chaque combinaison de paires de devises échangées. La moyenne générale des taux de change détermine le (W). Dans ce système, la stabilité de la valeur du (W) est maintenue par l’échange quotidien de chaque monnaie du panier boursier dans un réseau interconnecté de dépôts.

Paolo Cirio, World Currency Equation. Installation. © Paolo Cirio.

Dans chaque nœud du réseau, le montant de chaque devise stockée correspond uniquement à la moyenne de l’ensemble du réseau. Les gains et les pertes sont eux aussi nivelés pour chaque dépôt. Cette distribution nivelée de multiples réserves de change assure la stabilité de la liquidité et de la valeur du (W). L’équation et l’algorithme utilisent les conventions du marché Forex et contiennent exclusivement de monnaies que l’on peut échanger de manière électronique.

L’équation et l’algorithme
L’équation illustre la manière dont le (W) est calculé à travers un agrégat de valeurs de taux de change d’un panier boursier de devises dominantes compris entre les gains et les pertes que leurs fluctuations génèrent sur la durée. La moyenne mathématique des valeurs de devise dans le panier (A) assure la stabilité du (W). Les gains compensent les pertes dans la moyenne générale (G). Le diagramme illustre la manière dont un algorithme peut agréger automatiquement le (W) en associant les devises à partir des multiples dépôts de réserves et se basant sur le calcul récursif de l’équation (W).

Paolo Cirio
publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

L’intégralité de ce texte d’introduction et d’explication a été préalablement publiée le 5 mars 2014 à New York et Zagreb.

Glossaire
W: Valeur de la Monnaie du monde. Symbole (W).
º : Tout symbole de devise dans le panier.
A: Moyenne des taux de change entre chaque paire de devises dans le panier.
G: Moyenne des marges entre chaque paire de devises dans le panier sur la durée.
N: Nombre de devises dans le panier.
Cx: Taux de change actuel de la devise de l’index.
V: Valeur actuelle de la devise de l’index.
T: Sur une période de temps passé et futur.

Infos:
Monnaie du monde (en anglais): wikipedia.org/wiki/World_currency
Réserve de change (en anglais): wikipedia.org/wiki/Reserve_currency
Forex (en anglais): wikipedia.org/wiki/Foreign_exchange_market
Change algorithmique (en anglais) : wikipedia.org/wiki/Algorithmic_trading
La chute du dollar : (en anglais) latimes.com/business/la-fi-shutdown-china-20131015,0,260996.story
La chute du pesos (en anglais) : theguardian.com/2014/argentinian-peso-freefall-economic-crisis-deepens