Conserver l’art numérique à l’aune de ses propres valeurs

Dragan Espenschied est un artiste connu pour ses œuvres du réseau et ses musiques 8-bit. Il dirige le programme de conservation d’art numérique de Rhizome depuis cette année. Entretien.

Vous dirigez le programme de Rhizome (1) dédié à la conservation d’art numérique (Rhizome’s Digital Conservation Program). Quelle est votre approche personnelle de ce type de conservation et pourriez-vous nous en dire davantage sur ce programme ?
Rhizome est une organisation très intéressante en ce qu’elle est née sur un support numérique et qu’elle gère une archive d’œuvres elles aussi créées sur des supports numériques. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une collection d’art sur CD-ROMs, mais d’éléments très hétérogènes liés à l’Internet. À l’instar de nombreuses organisations ancrées dans la culture numérique et caractérisée par ses valeurs d’accès libre et facile, Rhizome a amassé un grand nombre d’artefacts et doit faire face à un défi d’envergure quant à leur conservation. Il s’agit en effet de gérer plus de 2000 œuvres d’une grande diversité technique et culturelle, datant de 1998 à nos jours.

Mon objectif consiste à mettre au point un protocole de conservation qui fonctionne par catégories d’objets, voire de systèmes, au lieu de s’évertuer à gérer des œuvres individuelles. Ma précédente expérience professionnelle avec le bwFLA (2) et Geocities (3) s’est avérée très enrichissante. Il en découle que la visée de la restauration d’un artefact doit également élever la qualité de la conservation des autres pièces voire aborder en une seule fois un ensemble d’artefacts qui partagent des problématiques similaires. Si nous avons pour habitude de concevoir les œuvres d’art comme des pièces uniques qui demandent à être abordées de manière isolée, cette pratique ne convient pas à la culture numérique où la majorité des artefacts interagissent avec un large éventail de systèmes. La profondeur réside alors souvent dans son ampleur.

Vous mettez l’accent sur l’accès, pouvez-vous nous en dire plus ?
Il est nécessaire d’établir une distinction entre stockage et accès. Lorsque l’on sauvegarde une œuvre numérique, le processus devrait viser à prélever autant d’éléments que possible, sans faire toute une histoire autour des soi-disant « caractéristiques importantes ». On devrait plutôt s’efforcer de restituer tout « original » dans son intégralité. Maintenant, le fait que la culture numérique porte davantage sur les pratiques que les artefacts peut compliquer les choses et de nouvelles méthodes doivent être développées pour nous aider sur ce point. Le téléchargement d’un site Internet n’est pas adapté à la plupart des œuvres contemporaines. Rhizome se préoccupe tout autant de cet aspect. L’accès consiste à réactiver la pertinence des originaux conservés. Par exemple, la création d’une série de simulations de captures d’écran à partir du torrent de GeoCities a rétabli ce projet dans le circuit actuel des médias sociaux, comme autant de dérivés de l' »original ».

Pensez-vous que la théorie de l’archéologie des média (et de manière générale son approche qui accorde une importance prépondérante au matériel informatique) soit pertinente pour la conservation de l’art numérique ?
Dans un monde idéal, en effet, ce serait pertinent, mais en pratique je pense que pour les organisations concernées c’est quasi-impossible. Les valeurs de la culture numérique ont de multiples points d’accès et si quelque part dans une salle de lecture verrouillée, on trouvait un vieil ordinateur ce ne serait pas très utile pour écrire l’histoire du numérique. La majorité des organisations clés de la culture numérique sont petites et mobiles. Ce type de maintenance ne parait pas tenable en ce qui les concerne et se focaliser sur le maintien du matériel est un luxe que seuls quelques-uns peuvent se permettre. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’une part importante de cette culture est générée par des communautés qui ne bénéficient d’aucune forme de soutien institutionnel. Dans ces conditions, comment pourraient-elles préserver leur culture ?

Je crois fermement à l’émulation et à la conservation du système en tant que technique pour maintenir les originaux en vie, ainsi qu’à la migration et la réinterprétation comme stratégies de communication à court terme. Dans le projet bwFLA, nous avons réactivé environ 300 CD-ROMs de la fin du siècle dernier issus des archives de la Transmediale (4). Tous ne fonctionnaient pas, certains fonctionnaient mal et la performance des autres encore restait douteuse. Mais cet effort a permis de faire resurgir quelque chose qui était devenu inaccessible. Cela dit, la restauration de masse ne doit pas forcément être un point final. Elle doit aussi servir à sélectionner les artefacts qui méritent une étude encore plus poussée.

Pensez-vous que l’intégration de l’art numérique, en particulier de l’art Internet (et plus particulièrement encore du net.art), dans l’art contemporain dépende de pratiques de conservation efficaces ?
C’est le moteur principal de mon travail dans ce domaine. Je souhaite que les artistes puissent construire un corpus suffisant sans avoir à imprimer leurs sites internet pour les vendre à des galeries ou des musées. Je suis sûr que cela permettra aussi à l’art Internet de toucher des terrains beaucoup plus radicaux. Les outils développés pour la conservation de l’art numérique auront des effets positifs en dehors des institutions, pour des communautés et des individus sans soutien institutionnel.

Quel est le problème majeur de la conservation de l’art numérique ?
Trop de travail et pas assez de temps ! Je pense que les métaphores mal choisies et mal comprises de la bibliothèque, l’archéologie, l’archivage et du catalogage de l’art empêchent ce domaine de progresser. Nous semblons nous battre sur la façon d’attribuer une valeur culturelle aux artefacts numériques à l’intérieur de systèmes de mémoire établis, alors que cela fait déjà longtemps que la culture numérique a créé ses propres valeurs.

Pourriez-vous me donner un exemple de cas limite de conservation d’art numérique ?
Ha ! Ce problème concerne avant tout ce que l’on accepte comme étant suffisamment authentique. Jusqu’à présent, j’ai réussi à trouver des solutions pour conserver à peu près tout. Le vrai problème réside dans la quantité de ressources technologiques et de la main d’œuvre. On peut aussi incriminer une certaine incapacité à percevoir des abstractions ou trop de proximité avec des pratiques standard inadaptées. L’impossibilité véritable survient quand il n’y a rien à conserver, quand une pièce a totalement disparu ou a été détruite et qu’aucune copie ou documentation ne demeurent hormis les souvenirs de son existence. Elle ne peut alors subsister qu’en tant que légende.

propos recueillis par Emmanuel Guez

Captures d’écran de pages d’accueil de sites hébergés sur GeoCities choisies par E.G. Source : http://oneterabyteofkilobyteage.tumblr.com/ Photo: © Olia Lialina & Dragan Espenschied

(1) Rhizome, site fondé en 1998 par Mark Tribe, possède une base de données (appelée ArtBase). Cf. http://rhizome.org/

(2) bwFLA – Emulation as a Service (EaaS), un projet porté par Klaus Rechert, professeur en systèmes de communication à l’Université de Freiburg. Le projet consiste à faciliter et à universaliser l’émulation comme stratégie de préservation des œuvres numériques. Cf. http://bw-fla.uni-freiburg.de/

(3) GeoCities est un service d’hébergement Web qui a existé de 1994 à 2009. En 1999, il était le troisième site le plus visité dans le monde (source : http://en.wikipedia.org/wiki/GeoCities). L’idée de départ consistait à associer une page personnelle ou un site à une « cité » et non à un nom d’utilisateur. Cette idée, caractéristique du Web 1.0, a beaucoup influencé une certaine vision du Web, conçu comme espace et comme lieu. Avec le projet One Terabyte of Kilobyte Age, Dragan Espenschied et Olia Lialina ont archivé des centaines de pages d’accueil des sites de GeoCities. Cf. http://contemporary-home-computing.org/1tb/ et http://oneterabyteofkilobyteage.tumblr.com/

(4) Originellement festival d’art vidéo en marge du festival de cinéma Berlinale, la Transmediale est depuis 1998 un festival des arts et cultures numériques qui se déroulent tous les ans à Berlin.

Pour répondre à la question « qu’est-ce que l’archéologie des média » nous devons quelque peu l’adapter et penser en termes pluriels. L’archéologie des média est un domaine aux origines et contextes multiples : il serait difficile de la réduire à un seul format.

Paul Demarinis, Installation, Rome to Tripoli (2006). Photo: D.R.

La plupart du temps l’archéologie des média est perçue comme une recherche historique qui s’intéresse aux narrations alternatives, aux idées et aux technologies oubliées ainsi qu’aux corollaires et autres bizarreries de l’histoire des média (1). En tant que telle, elle s’est déployée en un riche corpus de travaux historiques et théoriques portant sur la culture pré-cinématographique et les inventions audiovisuelles alternatives qui interpellent notre compréhension de la culture des média dominants. Elle pose des questions à la fois empiriques et spéculatives  recourant au « et si ? », ce qui suppose d’envisager non seulement le développement technologique réel, mais aussi l’imaginaire des média : la manière dont les technologies des média, de la médiation et de la communication sont constamment intégrées à un vaste imaginaire culturel. En effet, l’archéologie des média porte sur la matérialité de la culture contemporaine définie par la science et la technologie sans que ses méthodes négligent pour autant l’imaginaire.

Aucun médium ne meurt jamais vraiment
L’archéologie des média découle notamment des travaux de Michel Foucault sur l’archéologie du pouvoir et de la connaissance, des excavations anciennes de Walter Benjamin dans les ruines de la modernité, de la nouvelle histoire du cinéma et du nouvel historicisme des années 1980 ainsi que, dès les années 1960, de l’idée émise par Marshall McLuhan que nous abordons l’avenir à travers un rétroviseur : avançant dans le futur technologique tout en regardant en arrière avec une version déformée des mythes du progrès promus par l’industrie de la technologie, dont la Silicon Valley. Elle englobe également les différentes études qui depuis les années 1990 ont cherché à comprendre les cultures numériques et des logiciels à travers le prisme du passé, les couches de l' »inconscient » de la culture des média techniques qui revient sans cesse nous hanter. En termes de culture populaire, nous pourrions parler de l’aspect hantologique (au lieu d’ontologique) dans la culture audiovisuelle, si bien défini par Mark Fisher (2) et, naturellement, d’un élément issu de l’influence de Derrida. Le propos de Fisher renvoie aux étranges disjonctions temporelles qui amalgament constamment une pulsion apparemment nostalgique à la persistance des choses disparues (mais toujours présentes de manière virtuelle) et ce qui est sur-le-point-de-se-produire. Cela fait déjà plusieurs années que dans les contextes technologiques, l’archéologie des média défriche un terrain similaire, par intérêt pour cette disjonction temporelle constante qui fait bouger, amalgame et brouille les catégories bien trop simplistes du nouveau et de l’ancien.

Nous vivons dans un contexte culturel qui s’enthousiasme pour le vieillot et le rétro. Du style des années 1980 remanié aux clubs d’écoute de vinyles en passant par les cassettes, les zines et autres discussions esthétiques sur des sujets tels que « le post-digital » tout cela signale que la résurgence de l’analogique est caractéristique de la culture contemporaine. En outre, l’archéologie des média fait écho au concept des « média morts » (dead media) forgé et développé par Bruce Sterling depuis la fin des années 1990 selon une cartographie paléontologique des fossiles des média culturels à laquelle s’ajoute une touche de « média mort-vivant », de « média zombies ». Cela permet d’arriver à la conclusion que les média ne meurent pas purement et simplement. Ils peuvent tomber en désuétude, être mis à l’écart et considéré comme obsolète — comme la disquette en tant que support de sauvegarde ou encore le théâtrophone en tant que système de communication —, mais ils ne disparaissent pas complètement. Par exemple, les montagnes de déchets électroniques agissent comme autant de rappels de la culture électronique, mais esquissent aussi des possibilités de réutilisation et de transformation des vieilles technologies des média à des fins artistiques (3).

Une anti-discipline
L’archéologie des média se positionne comme une discipline critique dans le champ de la production culturelle, mais il s’agit également d’une anti-discipline en ce qu’elle ne s’instaure pas dans un contexte spécifique : elle se meut et oscille entre les études sur le cinéma, les arts médiatiques, l’histoire culturelle de la technologie et la critique esthétique de la culture d’une manière qui en fait un outil dynamique pour comprendre les complexités du « nouveau » et de l’ »ancien ». En effet, on pourrait soutenir que l’archéologie des média nous permet de comprendre que nous ne vivons pas dans une culture des « nouveaux » médias, mais que des solutions resurgissent du passé et sont réinventées au cœur d’une culture aux temporalités multiples où l’obsolescence est en passe de devenir un facteur clé des technologies que nous utilisons — ou que nous avons cessé d’utiliser. De plus en plus, le vieux et l’usé forment le point de départ de nos réflexions sur la technologie et la culture à l’ère des média technique, mais aussi d’autres formes de réflexions comme, par exemple, ce qui touche aux imaginaires culturels tels que l’Afrofuturisme qui utilise l’idée de média imaginaires comme média de délivrance (4).

L’archéologie des média s’est développée grâce à de nombreux théoriciens, dont Erkki Huhtamo, Siegfried Zielinski, Wolfgang Ernst, Thomas Elsaesser et bien d’autres qui ne revendiquent pas forcément cette terminologie, mais dont la recherche a eu un impact significatif dans ce domaine. Ces chercheurs des média incluent par exemple Anne Friedberg, Lisa Gitelman et même Carolyn Marvin (5) qui, à travers sa recherche historique visionnaire sur la communication électrique, rappelle que les technologies anciennes ont elles aussi un jour été nouvelles. Ce renversement de la temporalité habituelle de la culture des média — traditionnellement obsédée par la nouveau avec une focalisation constante sur l’émergent — est devenu une caractéristique de l’archéologie des média. Wanda Strauven (6), théoricienne du cinéma basée à Amsterdam, a démontré que l’archéologie des média avait permis une critique de la temporalité en cartographiant différents ordres temporels à travers lesquels l’analyse des média peut s’opérer : 1) le vieux dans le nouveau; 2) le nouveau dans le vieux; 3) les topoï récurrents; ou 4) les ruptures et les discontinuités. Cette classification reflète les différentes « écoles » de l’archéologie des média d’Huhtamo à Zielinski, en passant par l’héritage de la Nouvelle Histoire du Cinéma d’Elsaesser.

Repenser la temporalité des média
Pour Huhtamo, par exemple, la notion de topoï récurrents — une expression qu’il emprunte à l’historien et archéologue E.R. Curtius — devient une manière d’interpréter les développements de la culture des média numériques à travers leurs formations antérieures. Même s’il reste un historien de la culture, Huhtamo tient à mobiliser les méthodologies propres à l’histoire pour comprendre le nouveau et l’émergent. L’existence des cultures de jeux interactifs est lue à la lumière d’innovations proto-interactives du 19ème siècle telle que le mutoscope; les discours relatifs à l’immersion sont réduits à leurs expressions premières au cœur de la stéréographie; le panorama mobile (7) est au centre de ses préoccupations en ce qu’il illustre une forme oubliée d’un médium dominant du passé. L’analyse de la culture des média ne devrait pas commencer par des évidences. On peut découvrir des éléments bien plus intéressants si l’on commence par un aspect étonnant et oublié qui, en tout état de cause, offre une nouvelle ouverture vers la situation culturelle de la modernité et les nouvelles technologies.

Au-delà d’Huhtamo ou, par exemple, des études historiques de Zielinski sur le « temps profond » (deep time) où les lieux de l’art rencontre la science et la technologie dans d’autres cultures non-occidentales, nous pouvons apprécier l’angle singulier adopté par la théorie allemande des média. Friedrich Kittler est souvent désigné comme le précurseur du concept des archéologies des média simplement pour une courte référence à la fin de son livre majeur Aufschreibesysteme 1800/1900 : toutes les bibliothèques sont des réseaux de discours, mais tous les réseaux de discours ne sont pas des livres (8). Ce que Kittler cherche à mettre en avant, c’est qu’une méthode archéologique à l’ère des média techniques doit absolument, si elle veut être crédible, concevoir les systèmes et dispositifs technologiques comme l’archive même qui conditionne les énoncés culturels. Ainsi, on ne « lit » pas simplement des conditions culturelles a priori, mais ces dernières sont comptées et calculées, ce qui renvoie à l’importance de l’ordinateur à l’ère de Turing. Kittler partage beaucoup avec Foucault, mais il ajoute une quantité considérable de détails techniques à l’analyse des épistémès de 1800 et 1900. L’archéologie peut même devenir une forme de piratage. La descente dans les profondeurs archéologiques qui définissent la culture contemporaine ne se fait plus seulement à travers l’archive historique, mais à travers l’archive technologique : en ouvrant le boîtier, en examinant les circuits imprimés, en recâblant, piratant et transformant.

Gebhard Sengmüller, VinylVideo-project (1998). Photo: © VinylVideo Inc.

De manière connexe, autre écrivain basé à Berlin, Wolfgang Ernst affirme que cet aspect relatif au nombre et au calcul distingue l’archéologie des média de la « simple » histoire des média. Il s’agit en effet de l’intervention de la machine en tant que support des aspects non-sémantiques de la réalité culturelle traités par les média techniques. Ernst met l’accent sur le fait que l’archéologie des média devient un non-récit, une méthodologie non-linéaire qui perçoit la préservation des média technologiques comme s’inscrivant dans la durée de vie de la machine (9). En d’autres termes, au lieu du temps historique des média et des récits de l’action humaine parcourant les événements sur une échelle macroscopique, il s’intéresse à la micro-temporalité ainsi qu’à la nature critico-temporelle des média techniques. C’est ce qu’il appelle l’Eigenzeit de la machine : les machines ne s’inscrivent pas seulement dans le temps, mais elles produisent du temps. Les révolutions du disque dur, les pings de réseaux, les propres temporalités de la machine pourraient échapper à la perception humaine, mais elles n’en sont pas moins réelles. Une caractéristique qui s’impose dans l’archéologie des média de Wolfgang Ernst est la manière dont elle préconise la nécessité de comprendre les racines scientifiques des technologies des média. Il peut s’agir du tube électronique (pour la radio, les ordinateurs, etc) ou de tout autre élément essentiel, qui soutient son idée qu’au cœur de leur histoire, les technologies des média sont aussi des instruments de mesure.

L’archéologie des média mobilise des artistes, des collectionneurs, des chercheurs…
Il est clair, même à partir des brefs exemples exposés ci-dessus, que la question « qu’est-ce que l’archéologie des média » doit être posée ainsi : combien y a-t-il d’archéologies des média ? Nous devons être conscients des multiples étapes et des origines de l’archéologie des média en tant que champ étendu plutôt que méthodologie unique. Outre le travail textuel, historique et théorique une particularité s’ajoute à la prise de conscience du riche ensemble que constitue la pratique de l’archéologie des média. En un sens, on peut dire que l’archéologie des média est menée par des collectionneurs (souvent d’instruments pré-cinématographiques et autres collections allant de plaques de lanternes magiques à des appareils, mais aussi des informations contextuelles) qui comprend aussi des théoriciens comme Huhtamo ou, dans un autre genre, Wolfgang Ernst, dont l’institut berlinois accueille la collection des « fonds archéologique des média ».

Par ailleurs, l’archéologie des média est mobilisée par les praticiens : les artistes et autres adeptes de l’ »ingénierie inversée » (reverse engineers) qui s’intéressent à la reconstruction de vieux outils technologiques pour explorer le passé des média dans le cadre d’une enquête a-temporelle : l’ancien et le nouveau perdent du sens lorsqu’ils sont dans des catégories distinctes. Parmi ces praticiens, on trouve Paul Demarinis, Jeffrey Shaw, Michael Naimark et Luc Courchesne qui ont exploré des outils anciens et des mondes imaginaires à travers leur travail artistique sur les média (10). De même, de récents projets réalisés par Gebhard Sengmüller, Garnet Hertz, Rosa Menkman et bien d’autres puisent explicitement leur inspiration dans l’archéologie des média pour explorer l’obsolescence, l’esthétique glitch des accidents technologiques, les remédiations de la perception technologique des média et d’autres formes de mondes temporellement désarticulés dans lesquels les arts médiatiques rencontrent les archives, qui elles-mêmes croisent la théorie culturelle. En effet, l’archéologie des média étudie aussi les redistributions pratiques du temps, comme cela se fait dans les arts médiatiques et la pratique créative, dans les archives traditionnelles et numériques, dans le DIY et le circuit bending qui recyclent, et remixent la technologie obsolète, tout comme ils étudient les conditions esthétiques, économiques et politiques des média techniques.

L’archéologie des média s’opère dans les laboratoires artistiques où le matériel et les logiciels sont piratés et en accès libre, mais aussi dans dans les laboratoires théoriques dédiés à l’expérimentation de concepts et d’idées. C’est l’une des richesses de l’approche qui ne se cantonne pas seulement à l’histoire des média ou du cinéma, à la théorie des média et aux arts médiatiques. En parallèle à d’autres discussions récentes portant par exemple sur l’écologie des média, le post-digital, l’accelérationnisme et le nouveau matérialisme, l’archéologie des média constitue l’un des domaines clés des média contemporains et des études culturelles. Ce qui la différencie d’une quelconque théorie polémique à la mode, c’est qu’elle produit également de la recherche historique tangible qui aura des conséquences durables : des fouilles dans le passé, mais aussi un héritage qui lie entre eux différents passés et futurs. Je crois qu’un excellent moyen de comprendre les complexités archéologiques des média de notre temps est donné, à partir d’un contexte différent, chez Michel Serres et sa discussion avec Bruno Latour.

Au-delà de l’axe « plus tôt, plus tard » du temps linéaire
Ce qui ressort de l’une des parties les plus intéressantes du débat, c’est que nous devons être outillés pour appréhender une vision complexe et poreuse du temps qui ne s’écoule pas dans une seule direction. Serres parle de la « variété multiplement pliable » comme d’une caractéristique de cette façon non-linéaire de comprendre la temporalité. C’est ce qui caractérise des technologies comme les voitures, par exemple, qui ne sont que contemporaines ou « nouvelles » en tant qu’agrégats de diverses idées scientifiques et technologiques temporellement disparates. De l’invention de la roue au Néolithique à l’électronique numérique récente, la voiture est en soi un assemblage. Nous imaginons que nos cultures technologiques sont modernes, contemporaines voire évoluées, mais ces approches ne sont que des simplifications. Au lieu de cela, Serres apporte un soutien philosophique important aux projets qui cherchent à complexifier les notions de temporalité : nous faisons sans cesse en même temps des gestes archaïques, modernes et futuristes. […] Cet objet, cette circonstance sont donc polychroniques, multitemporels, font voir un temps gaufré, multiplement plissé (11).

Serres n’est pas un archéologue des média, mais son enseignement reste crucial pour comprendre le potentiel de l’archéologie des média. Ce qu’il y a de positif dans les pratiques média-archéologiques, c’est qu’elles nous obligent à penser le temps comme étant plissé. Au-delà de l’axe « plus tôt, plus tard » du temps linéaire, le temps se propage dans toutes les directions. Ceci alors que la plupart des grands débats de société au sujet des machines et de la technologie consistent à dicter aux gens ce qui est nouveau et ce qui est obsolète et à trouver des moyens subtils pour imposer de telles catégories — à travers le marketing, la législation et la politique. Ainsi, pour résumer, l’archéologie des média a une mission plurielle qui consiste à  démêler les nouveaux contextes des découvertes et des technologies des média passés afin de déjouer les vues trop simplistes du progrès technologique. C’est pourquoi des outils de communication issus des collections des jésuites ou les multiples inventions du XIXe siècle (comme les phénakistiscopes, les mutoscopes ou les zootropes) permettent de comprendre l’histoire des média autrement que comme la simple histoire des média de masse. De même, sa fonction philosophique réside dans le dépliage de nouveaux moments de temporalité complexe, comme exposé ci-dessus. C’est pourquoi encore l’archéologie des média oscille entre la recherche historique des média et la théorie culturelle de la vie technologique. Au cœur de ses multiples théories qu’elle produit en tant que moteur théorique des média, l’archéologie des média engendre une multiplicité d’archéologies qui circulent dans les contextes contemporains de la théorie et de l’art.

Jussi Parikka
professeur des cultures et esthétiques technologiques à l’Université de Southampton (École d’art de Winchester)
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014
(traduit de l’anglais par Valérie Vivancos, relecture par Emmanuel Guez)

(1) Cf. Huhtamo (E.) et Parikka (J.) (ed.), Media Archaeology. Approaches, Applications, Implications. Berkeley, University of California Press, 2011. Voir aussi Parikka, What is Media Archaeology ?, Cambridge, Polity, 2012.

(2) Cf. Fisher (M.), « What is Hauntology?” in Film Quarterly, vol. 66, No. 1, p. 16-24, 2012.

(3) Cf. Hertz (G.) et Parikka (J.), “Zombie Media: Circuit Bending Media Archaeology into an Art Method” in Leonardo vol. 45 (5), p. 424-430, 2012.

(4) Kluitenberg (E.), “On the Archaeology of Imaginary Media” in Media Archaeology, eds. Huhtamo and Parikka. Berkeley, University of California Press, p. 65.

(5) Cf. Marvin, (C.) When Old Technologies Were New. Thinking about Electric Communication in the Late Nineteenth Century. Oxford, Oxford University Press, 1988.

(6) Cf. Strauven (W.) “Media Archaeology: Where Film History, Media Art and New Media (Can) Meet” in Preserving and Exhibiting Media Art: Challenges and Perspectives, ed. Noordegraaf (J.), Saba (C.), Le Maître (B.) & Hediger (V.). Amsterdam, Amsterdam University Press, p.59-79, 2013.

(7) Cf. Huhtamo (E.), Illusions in Motion : Media Archaeology of the moving Panorama, Cambridge, The MIT Press, 2013.

(8) Kittler (F.), Aufschreibesysteme 1800/1900, Wilhelm Fink Verlag 1987, p. 429.

 

(9) Cf. Ernst (W.), Digital Memory and the Archive. Ed. With an introduction Jussi Parikka. Minneapolis, University of Minnesota Press, 2013.

(10) Cf. Huhtamo (E.), « Art in the Rear-View Mirror: The Media Archaeological Tradition in Art” (à paraître en 2014).

(11) Cf. Serres, (M.) Éclaircissements : cinq entretiens avec Bruno Latour, François Bourin, 1992, p. 92.

vous reprendrez bien un peu de glitch ?

L’archéologie des média est un sujet pour des artistes comme Benjamin Gaulon, une manière de rechercher ce qui se trame avec les machines, leur histoire et leurs usages. Un regard noir qui, sans tomber dans une technophobie bien connue, rompt avec le discours désormais dominant des bienheureux de l’innovation.

Benjamin Gaulon, ReFunct Media v3.0. Photo: © Benjamin Gaulon

Une archéologie par anticipation
Vous vouliez du high-tech ? Des computers qui ronronnent ? Des écrans qui brillent ? Câbles invisibles, tout lisses, tout rutilants, sans accrocs. Utopie riante d’un futur technologique. Raté. Bienvenue dans une comédie dystopique où tout fout le camp, tout tremblote ou se détraque. Bienvenue chez les e-zombies, en mode train fantôme.

Benjamin Gaulon est artiste, chercheur, enseignant à Parsons Paris, The New School for Design et membre du Graffiti Research Lab France. Dans chacune de ces activités, il s’attache à développer une approche créative et critique autour de la technologie, des médias et des modes de consommation qu’ils génèrent. Il organise également depuis 2005 des « e-waste workshop » où le public s’initie au circuit bending, au hardware hacking, ainsi qu’aux problématiques liées à l’obsolescence programmée : on y détourne du matériel en apparence obsolète pour recomposer ainsi de nouveaux objets électroniques. L’expérimentation pédagogique, envisagée comme mode de recherche, vient compléter l’arsenal des tactiques de cet artiste qui recycle, qui hacke et qui détourne.

Prenez, par exemple, la « liseuse » : objet miracle sensément venu sauver l’industrie du livre et offrir un accès illimité à « la plus grande bibliothèque du monde ». Chez Benjamin, avec la série KindleGlitched, la liseuse est un objet foutu, hors service, qu’on aura beau secouer, rebooter, rien n’y fait. On devine ici à son front inquiet le portrait de Friedrich Nietzsche, là, par la courbe de son coude et les boucles de ses cheveux, le portrait de Jane Austen par sa sœur Cassandra. Figées dans leur ultime état ante-mortem, ces liseuses deviennent ready-mades, signés par l’artiste et accrochés comme des tableaux sur les murs. On admire bien dans les musées des toiles toutes craquelées, des fragments de statues démantelées, alors pourquoi pas ces vestiges d’une archéologie par anticipation ?

We’d love to hear your thoughts on the Kindle experience. La formule d’usage pour nos doléances de l’ère numérique prend ici des accents ironiques et critiques : à quoi bon formuler nos pensées puisqu’elles sont déjà sur écoute, comme la plupart de nos faits et gestes, sur tout appareil relié au World Wide Web ? Par delà l’humour, il y a donc dans toute posture de loose magnifique une bonne dose d’intensité critique : l’obsolescence programmée, les ratés des technologies de l’information et de la communication, le devenir marchandise de nos vies privées sur la toile, fournissent à Benjamin Gaulon la matière de son travail de recherche, de création et de médiation.

Benjamin Gaulon, ReFunct Media v3.0. Photo: © Benjamin Gaulon

Et ça ne fait que commencer.
Pauvre jouet canin robotique, Gameboy, Console Atari, tournes disques, walkman Fisherprice, sportron, zackman, watchman, aquarius computer. Et des fils, des câbles, bref, de la connectique. À n’en plus finir. De quoi parle-t-on ? D’une foire à la brocante électronique ? D’une liste de course high-tech des années 1980 retrouvée dans un grenier ? De l’arrière-boutique d’un repair-shop rétro-futuriste ?

Non, d’une installation, ReFunct Media, un écosystème en équilibre instable — ou plutôt, un bordel de vieux machins, le genre de choses qu’on néglige, qu’on a jeté depuis des lustres ou qu’on laisse prendre la poussière dans les greniers — de vieilles choses, en somme, dont Benjamin Gaulon, prend le parti en une chaîne qui cliquète, qui clignote, qui s’anime et se révolte.

L’objet de cette révolte, c’est l’obsolescence programmée, les mirages de la félicité technologique, et le silence qu’on impose aux compagnons des jeux, des loisirs ou du turbin quand ils sont passés de mode — on dit bien « passés de mode », car « hors d’usage » ils ne le sont jamais tout à fait. Benjamin Gaulon le démontre, en démontant et remontant en série ces objets d’un quotidien déprogrammé, au point mort.

Avec humour, l’installation ReFunct Media fait donc parader les zombies de l’âge numérique, perfusés les uns aux autres, hoquetant ici des signaux retransmis là-bas, projetant de haut en bas ce qui est filmé de gauche à droite. Il y a chez Benjamin Gaulon un peu du docteur Frankenstein donnant vie à son monstre hétéroclite et recyclé. On a pu lire le roman de Mary Shelley comme un commentaire, voire un soutien, aux révoltes luddites de l’Angleterre des années 1810. Les ouvriers y cassaient les machines introduites dans les ateliers et les usines, protestant par ce geste éclatant contre la civilisation technophile qui naissait alors avec la Révolution industrielle.

Aujourd’hui, l’âge numérique a beau se fondre avec ce que l’on nomme l’âge post-industriel, les machines y sont plus que jamais parmi nous; les technologies de l’information en sont l’un des avatars contemporains. Constatant l’intégration consommée de ces technologies dans nos vies quotidiennes, Benjamin Gaulon choisit d’en montrer les faillites et les impasses — pour la plus grande joie des usagers que nous sommes.

Benjamin Gaulon, ReFunct Media v3.0. Photo: © Benjamin Gaulon

Le glitch, faillite de la machine.
Impasse avant rebootage. Le programme a planté. Voulez-vous envoyer un rapport d’erreur ? Non merci. Mais vous reprendrez bien un peu de glitch alors ? Uglitch est une installation interactive, mais aussi une plateforme média crée en 2011 par Martial Geoffre-Rouland et Benjamon Gaulon et basée sur Corrupt, un software en ligne de corruption volontaire de fichiers vidéo.

En langage technique, un glitch est un à-coup, une erreur passagère, dans un système électrique, électronique ou informatique. Bien connu des usagers de plateformes vidéo et du téléchargement en peer-to-peer, il se traduit par une altération de l’image en mouvement, créant le plus souvent un nuage de pixels qui altère la fluidité du visionnage, et vient ainsi interrompre la passivité du visionneur-consommateur. Procédé ludique et créatif, le glitch volontaire est aussi exhibition du médium à la surface d’un contenu altéré : mise en œuvre et rappel de la célèbre formule du théoricien des média Marshall McLuhan, « the medium is the message ».

Ce que vous regardez n’est pas la vie véritable, mais son devenir médium dans le monde des images. Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation, la phrase inaugurale du célèbre essai de Guy Debord, La Société du spectacle, de même que ses recherches sur le détournement trouvent ici leur reformulation pour l’ère numérique.

Ce travail de déconstruction de l’apparente fluidité des images digitales se poursuit avec L.S.D., Light to Sound Device. Un écran, une ventouse, un capteur, du fil, un ampli, une enceinte — et en chemin, le visuel qui devient sonore. Le caractère artificiel des représentations, leur nature première d’accumulation de données déguisées en unité visuelle et sans défaut, est ainsi mis en évidence par leur réemploi sous forme d’input sonore. L’image devient son, comme le son peut devenir image, exhibant ainsi le caractère de pur medium de ces artefacts contemporains.

Le travail de Benjamin Gaulon consiste ainsi à rompre l’apparente fluidité des circuits, au sens propre, ainsi qu’on l’a vu, comme au figuré, avec ses recherches actuelles sur ce qu’il désigne sous le nom de Retail Poisoning. La pratique ne date pas d’hier, certes. C’est vieux comme le monde même — à tout le moins comme la guerre de Troie et son cheval. Dans les années 1970, l’artiste conceptuel Brésilien Cildo Mereiles, cherchant à éviter la censure de la dictature militaire, développait son projet d’Insertions en circuits idéologiques.

Avec un sens stratégique certain, l’artiste-activiste a ainsi recouru, comme support de propagande, à des bouteilles de Coca-Cola consignées, et donc promises à une remise en circulation quasi perpétuelle. Outre des slogans anti-américains visant l’implication de la CIA dans le putsch du maréchal Castelo Branco, un schéma expliquait comment transformer lesdites bouteilles en cocktails Molotov. Auguste Blanqui, qui signait en 1868 ses Instructions pour une prise d’armes, en aurait sûrement pris une rasade.

Le jeu est ce qui disjoint, comme on parle du jeu qui affecte un mécanisme, permettant son fonctionnement fluide, mais menaçant toujours de le faire imploser s’il devient trop important. Le travail de Benjamin Gaulon se situe dans ce jeu. À rebours d’une tendance forte de l’art numérique qui, visant sa légitimation dans le champ artistique, se complait souvent dans un esprit de sérieux, Benjamin Gaulon explore ce jeu-là, le pousse à ses extrémités, et suscite par l’humour une distanciation salvatrice. Mieux, émancipatrice. Il s’agit en effet de remettre sur ses pieds la dialectique du maître et de l’esclave et de reprendre la main sur les machines — ou d’y foutre un bon coup de marteau qui glitche.

Emmanuel Guy
chercheur en Histoire de l’art et littérature comparée, enseignant en Histoire et théorie de l’art et du design à Parsons Paris, The New School for Design.
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

cartographie pour un média mort

Oublié de l’histoire, l’art avec le Minitel a été un moment important de l’art des réseaux, de l’art participatif et de la littérature électronique. Bon nombre de questions aujourd’hui courantes y furent explorées par les artistes. Pourtant la plupart de ces œuvres ont disparu. Un véritable défi pour la préservation des arts médiatiques.

Pyramide de minitels, ART ACCES, Photo: D.R. / courtesy archives ART ACCES Revue – Frédéric Develay.

Depuis le 30 juin 2012, le Minitel est un média mort. Conséquence inattendue, il redevient objet d’intérêt artistique. Une nouvelle génération d’artistes se l’approprie, le désosse dans des installations (1), l’émule sur ordinateur pour des dessins au graphisme archaïque (2), ou l’intègre dans des performances. Alors qu’il avait déjà largement disparu de nos écrans, raillé et dédaigné, voilà maintenant que s’élabore le mythe. Simultanément, s’opère la (re)découverte d’une création oubliée de l’histoire de l’art, à l’époque où il était un média naissant.

Aussi bien d’un point de vue de l’histoire de l’art que de la conservation et de la préservation, l’art avec le Minitel est un cas particulièrement intéressant. La création s’est déroulée sur une période relativement courte, majoritairement entre 1982 et 1988, précisément au moment où le Minitel se met en place et prend son essor. On dispose donc d’un corpus fini d’œuvres. Mais, à quelques exceptions près, celles-ci ont disparu. Il n’en reste que des traces, des fragments, des documents seconds : dessins préparatoires, courriers, photographies d’écran ou de dispositifs, articles de journaux et mémoires des protagonistes. Cette histoire artistique, esthétique et intellectuelle est, en outre, intimement liée à l’histoire technique, économique et politique.

Minitel est le nom du terminal de connexion au système français Vidéotex associant donc informatique et télécommunication. Comme l’Internet, il est né d’une impulsion gouvernementale, mais, contrairement à l’Internet, ce n’était pas pour des raisons militaires et de sécurité, mais industrielles et de développement économique. Le choix de la France fut de privilégier un outil pour le grand public plutôt que pour des professionnels (3) : le terminal est fourni gratuitement à tout le monde, en revanche l’utilisation en est payante. Le Vidéotex français est une structure hiérarchique et le Minitel un terminal d’accès et de consultation (4) assez fruste.

Il dispose d’un écran de 9 pouces avec un codage-affichage alphamosaïque de 25 lignes de 40 colonnes à écartement fixe. Il permet l’utilisation de lettres, chiffres, caractères de ponctuation et de caractères dits graphiques ou mosaïques (5). En outre, l’affichage des caractères peut être clignotant ou en inversion vidéo. Le temps d’affichage ainsi que le passage d’une page à l’autre par les fonctions « suite » ou « retour » activées par l’utilisateur sont des éléments de la composition ou de « l’écriture » sur Minitel. La programmation se fait en couleur, mais l’affichage chez l’utilisateur est en noir et blanc et dans un dégradé de gris (6). Le clavier est très petit et les touches particulièrement dures (loin du confort des téléphones portables aujourd’hui). Et enfin, avec un modem à 1200 bauds, il est… lent !

L’art avec le Vidéotex a existé dans divers pays dont le Canada (animations réalisées par Nell Tenhaaf) et le Brésil (7) où Eduardo Kac créa un ensemble de poèmes animés dont il a effectué des remédiations (8). Mais c’est en France que cette création fut la plus importante. Elle s’articule autour de ART ACCES Revue d’une part, et de projets indépendants d’autre part. À ce jour, j’ai identifié 73 artistes pour la première et 33 œuvres portées par 8 artistes ou groupe d’artistes pour les seconds (9). Dans les deux cas, ces chiffres ne sont pas définitifs.

L’art avec le Minitel est souvent présenté comme un art « pré Internet ». En anglais le terme « telematic » fut un temps le terme générique pour désigner un art des réseaux, un art connecté (10). Si elle partage de très nombreux concepts avec celui-ci, la création télématique française présente des approches et des esthétiques variées qui s’inscrivent dans un panorama plus large; en voici quelques exemples selon une première typologie.

Art de la communication : le message est le médium dans le village global
Au début des années 1980, Fred Forest développe une réflexion et un ensemble d’actions autour du concept « d’art de la communication » (11). Dans ce contexte, le Minitel est un média qui vient s’inscrire naturellement dans sa pratique et qu’il utilisera à plusieurs reprises. Dans le cadre de l’exposition Electra au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1983-84, il propose L’Espace Communicant (12). 40 lignes téléphoniques, 10 minitels et des répondeurs sont installés dans le musée, les numéros et codes d’accès sont communiqués via la presse écrite et la radio.

Dans le musée, le public peut répondre au téléphone et aux messages qui arrivent sur le Minitel, en direct ou en différé via répondeurs et messageries. Il peut également appeler et laisser des messages. Toutes les communications sont amplifiées. Le Minitel, comme souvent dans la pratique de Forest, n’est pas utilisé seul, mais en combinaison avec d’autres médias, non pour délivrer de l’information, mais pour son potentiel de communication entre les gens. Le contenu de l’œuvre est l’acte de communication lui-même, la mise en lumière de cette place virtuelle du village global en émergence où se rencontrent des inconnus et où la question n’est pas comme aujourd’hui « où es-tu?« , mais « qui es-tu?« .

Navigation et interaction : la fonction est le message
Le médium est le message est interprété d’une autre manière par Éric Maillet dans Up To You en 1987 pour son diplôme à l’École d’art de Cergy (13). Up To You met en scène la navigation même au sein du Minitel avec les choix auxquels le public est normalement convié. Mais il ne propose, précisément, aucun autre contenu que des choix avec des énoncés paradoxaux, absurdes et une structure incohérente. Le principe d’arborescence du Minitel s’y transforme en labyrinthe et l’interaction en tautologie.

Frédéric Develay, L’Ecrire/Lire pour ART ACCES, photographies des écrans Minitel. Photo: D.R. / courtesy Archives ART ACCES Revue – Frédéric Develay

L’art collaboratif ou le public à l’œuvre
Inclure le public dans l’œuvre, rendre les œuvres participatives, faire œuvre collective, transformer le public en co-auteur avec l’artiste ou en fournisseur de contenu dans des dispositifs conçus par l’artiste : ces idées sont discutées avec vigueur à la fin de ces années 1980 et le Minitel fournit une parfaite plateforme d’expérimentation utilisée dans plusieurs projets. Jean-Marc Philippe s’en sert pour recueillir les contributions du public pour Messages des hommes à l’univers en 1986-87 (14). Les réponses à la question « si une intelligence extra-terrestre existait, que lui diriez-vous » seront ensuite envoyées vers le centre de notre galaxie via le radio télescope de Nançay.

Deux projets explorent plus particulièrement la création collective, l’une pour l’espace physique public, La Vallée aux images (1987-89) de Jean-Claude Anglade (15) et l’autre pour le cyberespace, Le Générateur poïétique d’Olivier Auber (16) (depuis 1986). Avec La Vallée aux images, Anglade propose aux habitants de la région de créer un vitrail, via le Minitel, pour habiller la grille recouvrant le château d’eau de Noisiel construit par Christian de Portzamparc. Tout comme le château d’eau est symbole de la communauté (l’eau partagée), le Minitel est territoire commun d’une sociabilité dématérialisée pour une appropriation collective de l’espace public.

Créé sur le Minitel, puis porté de plateforme en plateforme par Oliver Auber jusqu’au téléphone portable aujourd’hui, Le Générateur poïétique propose la création collective d’une image dans le cyberespace par auto-organisation. Elle repose sur une base très simple : chacun dispose d’un carré de 20 pixels de côté et la taille du dessin s’adapte au nombre de participants. C’est une des rares œuvres encore existantes.

Littérature numérique
Le Minitel offre à la littérature expérimentale et à la littérature numérique – cette dernière alors en plein essor – d’une part la perspective d’un canal de diffusion et d’autre part la possibilité d’expérimenter de nouvelles formes d’écriture et de lecture. Interactivité, combinatoire, hypertexte y croisent lettrisme, poésie visuelle et animée, déconstruction de la langue et des signes dans une sémiologie débridée et jubilatoire, mais aussi la notion de mise en scène de la page-écran, de son rythme et de sa dynamique, de page en page, et d’une lecture également dynamique et non-linéaire. Cette création se fit essentiellement dans le cadre de ART ACCES Revue. La plupart des divers courants de la littérature et de la poésie expérimentales et numériques français y sont représentés. On y trouve ainsi Frédéric Develay, Tibor Papp, Philippe Bootz, Julien Blaine, Henri Chopin, Isidore Isou, Jean-François Bory et bien d’autres encore (17).

Une autre expérience, à l’initiative d’un groupe de jeunes graphistes, Jacques-Élie Chabert, Camille Philibert, Jean-René Bader, et du journaliste Jean-Paul Martin, s’est déroulée sous le label de la revue expérimentale Toi et Moi Pour Toujours qu’ils fondèrent en 1982. Ils réaliseront trois romans télématiques. ASCOO (pour Abandon Commande Sur Ordre Opérateur) présenté à l’exposition Electra où le public pouvait laisser des messages aux personnages, est un roman policier hypertexte qui met en œuvre ce que Françoise Holtz-Bonneau qualifiera de « textimage ». Pour le groupe, en effet, le texte doit pouvoir créer sa propre mise en page et cette mise en page doit être assez forte pour être perçue comme une image cohérente.

Premier roman télématique, ASCOO a d’abord été consultable uniquement localement et non en réseau. En 1984, le groupe crée le roman-installation Vertiges à l’ELAC à Lyon. L’histoire de 7 personnages se déroule sur 7 minitels répartis dans l’espace d’exposition sur une Carte du Tendre revisitée. Le public suit un personnage et compose son histoire à travers ses trajets d’un Minitel à l’autre. Enfin, en 1985, c’est L’Objet perdu pour l’exposition Les Immatériaux au Centre Pompidou, également roman hypertexte où le public est notamment invité à compléter-recréer une partie de l’histoire.

Entre la revue d’art et la galerie en ligne : ART ACCES Revue (1984-1986)
Co-fondée par ORLAN et Frédéric Develay (18), ART ACCES Revue voit le jour en 1984 et sera présenté en 1985 dans le cadre des Immatériaux. Entre la revue d’art et la galerie en ligne, ART ACCES présente 3 catégories de création : en arts visuels (la majorité), en littérature et en musique. Ce dernier point est particulièrement intéressant, car le Minitel n’avait pas de son ! Les musiciens, tel Franck Royon Le Mée, proposèrent des partitions graphiques. La structure est la même pour tous : l’œuvre est accompagnée d’un texte de l’artiste et d’un texte d’un critique choisi par celui-ci.

Pour ORLAN et Develay, il s’agissait de proposer une alternative artistique et culturelle face à un contenu alors purement utilitaire et mercantile, mais aussi d’explorer les possibilités d’un média « pauvre » quand l’art informatique de l’époque se déploie largement dans une esthétique lisse et colorée et un discours de progrès, tout en questionnant les formes d’art établies. ORLAN y met en scène son personnage de Sainte-Orlan. D’écran en écran, on zoome sur le sein dénudé pour lire d’abord le mot « art » sur la pointe du sein, puis les mots « new » et « vieux ». La série d’images-écrans fut en outre montée sur de grands caissons lumineux en bois et présentée ainsi de manière statique. Sous cette forme, elle ferait partie des œuvres subsistantes. En outre, pour ORLAN, ART ACCES est en tant que tel, une création. Et en effet, elle peut être considérée comme une œuvre, une œuvre-instrument.

ORLAN, Sainte-Orlan pour ART ACCES, photographies des écrans Minitel. Photo: D.R. / courtesy ORLAN & Archives ART ACCES Revue – Frédéric Develay

Derrière ART ACCES on trouve également l’idée, commune avec l’Internet par la suite, mais aussi avec la vidéo à la même époque, d’une démocratisation de l’art qui va pouvoir atteindre le public chez lui, directement, selon d’autres modèles économiques. Ce fut le même échec pour les trois. Mais la première galerie-revue en ligne présenta une liste impressionnante d’artistes, parmi lesquels John Cage, Ben, Vera Molnar, Paul-Armand Gette, Buren ou encore Lea Lublin. Il reste à effectuer une analyse esthétique plus précise de la façon dont ceux-ci s’emparèrent du média et des œuvres produites.

Le Minitel : installations et déconnexion
L’art télématique partage avec le net art et une grande partie de l’art sur écran informatique la difficulté de sa monstration dans l’espace public. ART ACCES y répondit en ne présentant pas simplement un Minitel en consultation lors d’expositions dans des musées ou des galeries, mais en proposant tout un dispositif constitué de caissons lumineux et d’une pyramide de Minitels figés sur les pages d’une sélection d’œuvres.

D’autres artistes imaginent d’entrée de jeu le Minitel non pas pour le foyer domestique, mais pour une installation publique. C’est le cas de Déambulatoire/combinatoire de Marc Denjean présentée en 1984 à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Sur le modèle de celui de la cathédrale de Chartres, un labyrinthe est dessiné sur une bâche en toile posée au sol. Une corole de 60 téléphones connectés à 8 magnétophones l’entoure, diffusant contes et poèmes. En son centre, un Minitel sur un socle-autel noir affiche des mandalas.

L’utilisation artistique la plus singulière du Minitel fut sans doute celle qu’en fit David Boeno. À l’opposé de tout discours sur la communication, le réseau ou même, comme Denjean, sur le « terminal », le « bout », que représentait le Minitel, il s’en servit déconnecté, comme source d’une écriture de lumière dans des œuvres photographiques ou des installations telles Index en 1994 pour laquelle un ensemble de Minitels déroulaient, dans le noir, 120 citations de textes organisés en 3 rubriques : « Lumière et œil », « Ombre et œil » et « Ce que voit l’œil fermé ». Ces œuvres font partie de celles qui existent toujours. Les photographies sont exposables, les installations, ou une partie d’entre elles, pourraient être remises en état.

Les raisons du succès du Minitel dans le champ artistique, par rapport aux systèmes étrangers, peuvent s’expliquer par une conjonction d’éléments spécifiques à la France. D’une part le rôle essentiel qu’ont joué deux expositions majeures, devenues cultes, Electra et Les Immatériaux, en soutenant et en montrant ces créations. L’existence, d’autre part, d’une écologie artistique favorable avec notamment le mouvement de l’art de la communication autour de Fred Forest, les mouvements autour de la poésie et de la littérature numérique, des groupes de jeunes designers graphiques inventifs, avec une interpénétration de ces différents cercles (19).

À cela s’ajoute un soutien et un intérêt des instances publiques, y compris pour la création en matière d’art technologique (20), ainsi que d’ingénieurs du CCETT, le Centre Commun d’Études de Télévision et Télécommunications. Enfin, la possibilité, ou devrait-on dire, la potentialité, d’un public avec un Minitel dans tous les foyers. Les raisons de l’échec, c’est-à-dire l’abandon du média en matière de création, sont triples : d’une part les coûts de consultation, beaucoup trop onéreux, pour les utilisateurs, la lourdeur et la complexité de la production pour les artistes d’autre part, et enfin, l’existence et l’émergence d’autres plateformes et d’autres systèmes plus adéquats et plus souples.

La création artistique avec le Minitel est loin d’être un champ uniforme aussi bien dans les esthétiques que dans les pratiques. Il est utilisé seul, mais aussi en combinaison avec d’autres médias, dans des installations et aussi dans des performances (notamment par Marc Danjean). L’œuvre « finale » n’est ainsi pas nécessairement dans le même médium. Il est instrument, matériau, média, espace de création, de publication et d’exposition. En matière d’art télématique, si cette cartographie se veut un premier pas, tout ou presque reste à faire : établir une histoire solide qui croise histoire de l’art, des techniques, mais aussi économique et politique; constituer, préserver et indexer les archives ; produire une analyse esthétique critique.

En ce qui concerne la conservation-restauration, l’approche est plus complexe et ne peut être identique pour toutes les œuvres. Elle me semble d’une parfaite inutilité au regard des actions et performances comme celles de Forest ou d’Anglade qui s’inscrivaient dans un contexte et une sociologie spécifiques et où la reprise (re-enactement) apparaîtrait comme artificielle si tant est qu’elle soit possible. « Restaurer » les œuvres proprement en réseau ou de la communication semble finalement assez vain. Dans ce cas, préserver la trace documentaire et constituer l’histoire est le plus approprié.

Pour les œuvres de littérature ou, a priori, celles créées dans le cadre d’ART ACCES, la restauration stricto sensu est quasiment impossible, il faudrait disposer des enregistrements mémoire des œuvres (21) et pouvoir les lire. En revanche, au moins pour certaines d’entre elles, une re-création est théoriquement possible, y compris dans le même médium puisqu’il semble que des cargaisons de minitels sont toujours disponibles. Cela demande de retrouver les éléments du contenu à partir des documents d’archives et de la mémoire des divers protagonistes. Il reste à y intéresser artistes, historiens, conservateurs, institutions et financeurs…

Annick Bureaud
critique d’art et directrice de Leonardo/Olats
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) Benjamin Gaulon, ReFunct Media #6, 2013, www.recyclism.com/refunctmedia_v6.php

(2) International Teletext Art Festival, www.teletextart.com

(3) D’autres pays développèrent d’autres systèmes et d’autres approches économiques centrés sur l’entreprise comme l’Allemagne ou au Canada.

(4) On ne peut pas y publier ses informations à volonté et simplement, depuis chez soi, pour un coût modique comme aujourd’hui avec l’Internet. Il faut passer par des serveurs – et des entreprises – spécialisés et se soumettre aux fourches caudines étatiques des PTT (qui éclateront entre La Poste et France Télécom-Orange).

(5) http://fr.wikipedia.org/wiki/Vidéotex

(6) Techniquement, il aurait pu être en couleur dès le départ. Il est à noter que le Brésil qui adopta la norme française y inclut d’emblée la couleur.

(7) Sans doute également en Allemagne et Italie, mais je n’en ai pas encore retrouvé la trace.

(8) www.ekac.org/VDTminitel.html

(9) Il s’agit de Jean-Claude Anglade, Olivier Auber, David Boeno, Francis Debyser, Marc Denjean, Fred Forest, Eric Maillet, et le groupe Toi et Moi Pour Toujours.

(10) Voir à cet égard l’article emblématique de Roy Ascott, « Is There Love In The Telematic Embrace? » in Art Journal, New York, College Arts Association of America 49:3, p. 241-247, 1990. http://telematicembrace.files.wordpress.com/2009/05/multimedia_23.pdf

(11) www.webnetmuseum.org/html/fr/expo-retr- fredforest/textes_critiques/text_critiques_fr.htm

(12) www.webnetmuseum.org/html/fr/expo-retr-fredforest/actions/26_fr.htm#text

(13) Le projet ne sera pas mis en ligne, mais montré localement.

(14) Le projet de Jean-Marc Philippe a été réalisé avec ART ACCES Revue. Il porte le nom de Cosmos Art Initiative, mais est plus connu sous le titre de Messages des hommes à l’univers.

(15) Le projet restera en place pendant deux ans. http://jean.claude.anglade.free.fr/

(16) http://poietic-generator.net/

(17) J’ai identifié 26 projets, mais il y en a eu certainement plus.

(18) Frédéric Martin participera également à l’élaboration du projet.

(19) La création est aussi accompagnée par une réflexion théorique conduite dans divers endroits universitaires, mais aussi dans des lieux comme le Centre Culturel Canadien à Paris.

(20) Jack Lang est alors Ministre de la Culture.

(21) Je n’en ai encore jamais rencontré hormis pour David Boeno, mais il se peut qu’il en existe encore.

 

vue par Annie Abrahams, Martine Neddam et Julie Morel

Dans le Net art, préserver, montrer et médier sont indissociablement liés, car l’Internet, ce « lieu » (ou non-lieu) de l’exposition de l’œuvre, est aussi son médium. Or l’Internet change, les internautes aussi et les machines vieillissent (souvent mal). D’où la nécessité de documenter l’œuvre et de l’accompagner jusqu’à son dernier souffle.

Julie Morel, Sweet Dream, 2007. Photo: © Julie Morel

Les pratiques artistiques qui, dans les années 1990, se montraient sur l’Internet, que ce soit par contrainte — absence de soutien institutionnel —, en réaction à l’institution ou tout simplement parce qu’elles n’en avaient plus besoin pour se diffuser ou rencontrer leur public (1), ne se préoccupaient pas de leur pérennité. Or, ces œuvres disparaissent petit à petit de notre paysage informatique. Les navigateurs sont mis à jour, les balises sont remplacées… menant inévitablement au non-fonctionnement de certains éléments.

Ainsi, les œuvres disparaissent avec le médium de leur exposition. Si l’on peut être tenté de penser que les artistes sont les personnes le plus à même de corriger les erreurs qui surviennent sur leurs pages Internet au fil des années, ce temps d’entretien vient empiéter sur le temps destiné à la création. Conservation et instauration ne sont pas toujours cumulables.

Les œuvres d’art Internet représentant un intérêt grandissant, il est logique de penser que leur préservation pourrait revenir à un réseau actif d’acteurs impliqués dans leur conservation, comme c’est déjà le cas dans le cinéma expérimental ou les films réalisés en Super 8. Mais, comment alors assurer la pérennité de ces œuvres dans le « lieu » de leur exposition ? Comment, tout au moins, rendre compte de son évolution et comment les transposer dans un espace d’exposition qui devient alors « autre » (Offline ou Online) ?

Sweet Dream / Julie Morel / du hard- et du software
Dans l’espace de la galerie, le visiteur de Sweet Dream, réalisée par Julie Morel en 2007, est invité à appuyer sur une touche de clavier d’ordinateur (« wake up » ou « sleep ») qui allume ou éteint une lampe installée à distance, au domicile de l’artiste. L’œuvre est donc physiquement présente dans l’espace usuel. Supposant l’utilisation d’Internet, l’œuvre est également présente au sein de cet espace-temps particulier, faisant alors du réseau lui-même, outre un composant fonctionnel, un médium. L’étude de Sweet Dream (1) soulève de nombreuses questions aussi bien pour la restauration que pour l’exposition d’œuvres à composantes numériques. En effet, comment identifier les risques présents et à venir dans ces œuvres dont les constituants sont sujets à obsolescence et dont le fonctionnement dépend d’un environnement particulier et autonome (ici, des touches de clavier, une carte Arduino, un Mac mini, Internet, etc.) ?

Le fonctionnement de Sweet Dream dépend d’un dispositif comprenant plusieurs matériels informatiques (hardware) ponctuant les différentes étapes que connait le signal, envoyé par les deux touches de clavier d’ordinateur à la lampe de chevet de l’artiste. Élaborer des axes de conservation-restauration pour cette œuvre implique de pleinement comprendre ces matériaux, matériels et composants afin de définir leur rôle au sein du dispositif. Chaque matériel est incorporé dans le dispositif par les soins de l’artiste et est en interrelation avec les autres. L’œuvre étant destinée à fonctionner, il est nécessaire de comprendre le dispositif technologique comme étant un point d’intervention crucial, bien que celui-ci ne soit pas visible par le spectateur.

Toutefois, Sweet Dream est non seulement une œuvre technologique, mais elle est aussi conceptuelle. Julie Morel s’intéresse particulièrement au caractère sensible des technologies : la textualité singulière des machines et les accidents qu’elles peuvent produire (2). Dès le ready-made, la forme sensible ne constitue plus un socle fiable à la signification. L’œuvre n’est plus ni strictement, ni intégralement identifiable à sa forme (3). C’est pourquoi l’étude de conservation-restauration doit porter ici sur l’ensemble du dispositif, y compris conceptuel, incluant la partie invisible qui se trouve au domicile de Julie Morel.

Je suis intervenue sur cette œuvre (4) afin de sécuriser le dispositif dans sa globalité. Les composants sont destinés à être manipulés et s’en retrouvent inévitablement fragilisés. Ce qui nous conduit immanquablement à la nécessité de composer des stocks de matériels de rechange en cas de panne ou de défaillance, avant que la production du matériel en question soit écoulée. Mais ici, comme chez tous les artistes de Net art, le hardware ne fait pas tout. Il faut aussi « porter » le code, afin de permettre au programme de Sweet Dream d’être compatible avec un plus grand nombre d’ordinateurs et de matériels. Issu du jargon des informaticiens, le « portage » est utilisé par le réseau des Médias Variables. L’œuvre est alors accompagnée dans son évolution informatique, jusqu’à un certain point…

Being Human / Annie Abrahams / des machines et des performances participatives
Annie Abrahams a produit des œuvres sur le Web depuis la moitié des années 1990. Ses œuvres sont donc concernées au premier chef par l’obsolescence technologique. Elles sont vouées à disparaître et Annie Abrahams en a pleinement conscience. Mais elle ne souhaite pas se pencher sur ce qui risque d’être détruit et/ou sur ce qui devrait être conservé : Je n’ai aucune envie de me pencher sur ce qui se détruit, ce qui doit être gardé, ce qui aura de la valeur après — je veux vivre dans le présent, avec les choses d’aujourd’hui — après, je ne serai plus là !, dit-elle.

Si la plupart des œuvres d’Annie Abrahams utilisent le réseau comme dispositif, elles sont surtout performatives. Chez Annie Abrahams, les machines ont également un corps. Aussi sont-elles bien plus proches de la performance, du théâtre, de la musique que de certaines œuvres à composantes technologiques, utilisant le réseau pour des fins différentes. En conséquence, l’exposition de ses œuvres et leur activation supposent des tactiques de préservation proches de celles développées autour des « time-based media » qui placent leur nature temporelle au premier plan de leur préservation (5). Leur préservation peut alors se présenter sous la forme d’un stockage de données, d’une base de données, ou encore d’une veille technologique. Le caractère participatif des œuvres d’Annie Abrahams fait qu’elles ne peuvent être préservées que sous la forme d’information et de documents. Ceux-ci ne permettent malheureusement pas de conserver l’œuvre dans son entièreté, mais ils protègent néanmoins les données qui participent à faire comprendre l’œuvre et qui composent son histoire.

Comme l’écrivent Stéphanie Elarbi et Ivan Clouteau, il faut d’abord accepter la nature éphémère de la plupart des œuvres électroniques et médiatiques. Archiver et documenter le transitoire semble un paradoxe, mais cette nécessité advient au moment où les technologies, à l’origine de ce transitoire, rendent cette pratique (de l’œuvre) possible (6). Ainsi, Being Human, accessible sur la page www.bram.org/, est présentée sous forme d’archive participative où nous pouvons pratiquer le site comme il était présenté en 2007, 2003 ou 1997. Cette archive précieuse nous permet d’observer Being Human dans sa globalité. L’œuvre peut donc être comprise comme un objet évolutif et changeant, suivant au fil du temps la créativité de l’artiste.

Mouchette, David Still, XiaoQian / Martine Neddam / prendre soin de son personnage
Le Net art a aussi ses classiques. Parmi eux, le site de Mouchette (7) propose un véritable millefeuille de pages Web liées les unes aux autres et présentant chacune une information à écouter, à lire ou encore à contempler. C’est une expérience à part entière où nous sommes invités à découvrir tout l’univers d’un personnage et à jouer avec lui. Mais voilà maintenant dix-huit ans que Mouchette a 13 ans. Que de mutations a connues cette pré-adolescente dans l’écosystème fluctuant de l’art et de l’Internet ! Martine Neddam fait partie du mouvement net.art et elle a produit de nombreuses créations sur le World Wide Web. Mais que reste-t-il aujourd’hui de Mouchette, David Still ou encore XiaoQian ? Ces personnages sont-ils voués à disparaître dans le cimetière de l’Internet?

Captures d’écran du site d’archives du monde de Mouchette (articles, fans, événements, etc.) Cf. http://about.mouchette.org/ Photo: © Martine Neddam

L’Internet avant les années 2000 est un environnement contraignant si nous le comparons à celui d’aujourd’hui : un maximum d’informations devait être contenu dans très peu d’espace fichier (à hauteur de 20 kb) et il fallait procéder au codage des pages et des images pour les créer. Les contraintes liées aux balbutiements du Net étaient un moteur de créativité fort. Il s’agissait d’un véritable challenge : dire des choses avec très peu de moyens (fichier petits, bande passante réduite…), rappelle Martine Neddam.

Aujourd’hui, ajoute-t-elle, les internautes manquent de la curiosité nécessaire qui était très présente dans la pratique d’Internet. Cela demandait une pratique d’investigation : aller chercher les choses (liens cachés, sons, etc.). Les liens, gifs transparents, peuvent être activés si nous « tâtons » l’image pour chercher s’il y a des choses à voir. Maintenant, on ne sait rien du tout du mode de transmission des informations qui nous arrivent ! Qui sait, par exemple, combien de serveurs s’engagent sur une page Facebook ? Maintenant tout est dans le nuage. L’Internet a changé, l’internaute également, le pratiqueur des œuvres du réseau tout autant. Mouchette a traversé plusieurs époques du Web, celui des sites personnels, celui de la bulle Internet, celui du Web 2.0, celui de la mobilité.

Une œuvre de Net art est une expérience, de surcroît liée à un état d’esprit et à une époque. Les sites de Mouchette et de David Still sont imprégnés du style visuel propre à cette époque : oui, dit Martine Neddam, chaque artiste est un archéologue des média. Souvent on trouve un certain charme à faire un clin d’œil à des pratiques plus anciennes. L’ASCII par exemple : faire des images en ASCII c’est de l’archéologie des média puisqu’on l’utilisait avant le WWW, mais déjà sur Internet.

Archiver un site Internet est souvent, pour les artistes, une solution préférée à d’autres. Mais ce qui est stocké est un instantané de l’œuvre sur un support isolé de l’Internet. Archiver un site, c’est figer et décontextualiser. Ce même support de stockage est le reflet de la technologie numérique propre à une certaine époque et il est sujet lui aussi à l’obsolescence. Un site Internet est une expérience qu’il faut pratiquer et s’il fallait conserver quelque chose de ces œuvres, il serait alors nécessaire de conserver le contexte d’existence de l’œuvre : quels écrans permettent sa bonne réception ? Quels clavier et souris ? Ne faut-il pas considérer les conditions de réception de l’œuvre comme faisant partie intégrante de celle-ci ?

Les interfaces, comme les claviers, les souris, les écrans, le réseau, etc., deviennent difficiles à obtenir une fois leur production écoulée et très vite, avant même que ne se pose la question de la préservation de l’œuvre, disparaissent les stocks de matériels qui auraient permis d’activer l’œuvre au plus près de son environnement d’origine. Mais Martine Neddam pense l’archive autrement. Le site est encore en fonctionnement aujourd’hui. D’autres sites n’ont pas connu cette chance et disparaissent petit à petit, URL par URL. Préserver un site comme Mouchette suppose des actions permanentes (mise à jour des liens, animation bloquée par les navigateurs, réparation de scripts, etc.).

Les problèmes soulevés par l’entretien de l’œuvre sont intégrés dans le travail de Martine Neddam : avant, les images utilisées pour le site de Mouchette prenaient l’entièreté du fond d’écran qui était bien entendu plus réduit que les écrans d’aujourd’hui. C’est pourquoi maintenant l’image de fond de page est répétée en mosaïque pour combler la place disponible. Le site date de 1996. Mais cela fait 8 ans que je réfléchis à un mode d’archivage. Dois-je, par exemple, conserver une apparence vieillie et datée du site ? Le site vit également au travers de toutes ses versions, tout ça est un peu insaisissable ! Les contenus sont forcément modifiés. Les Orientaux détruisent pour reconstruire et nourrissent par là, de manière peut-être plus pérenne, la mémoire. Nous, les Occidentaux, nous souhaitons à tout prix conserver un état présumé original.

La pratique, dans le cas du Net.Art, est le plus important, mais aussi peut-être ce qui est le plus insaisissable. Lorsqu’une de mes œuvres dysfonctionne, dois-je tout laisser en place et ne pas essayer de la faire marcher ? Ou tout remplacer et la faire bien fonctionner ? Je réclame un droit au rafistolage, au bricolage de mes œuvres à l’instar d’un artiste comme Jean Tinguely. Il s’agit de conserver l’esprit sinon le concept ! (8). Mouchette est un site, mais c’est aussi un personnage qui traverse les années et qui doit, pour continuer d’exister, être soigné, réparé, bricolé. Le choix de Martine Neddam est ni celui de l’éphémérité de l’art, lié à cette idée que « l’art c’est la vie » comme chez Annie Abrahams, ni du fonctionnement à l’identique comme chez Julie Morel, animée par les impératifs de la galerie, mais celui d’un accompagnement, coûteux en temps et en énergie, de la « croissance » de l’œuvre. Grâce à ce soin apporté à l’œuvre, l’expérience de Mouchette est toujours possible.

Et après ?
Quel avenir se dessine pour les créations en ligne de Martine Neddam ? Il arrivera un jour où l’artiste ne pourra plus apporter le soin nécessaire à l’existence en ligne de son personnage. Lorsque l’artiste n’entretiendra plus ses œuvres, qui paiera l’enregistrement des noms de domaines, qui maintiendra les javascripts, etc. ? Et quand bien même ils seront pris en charge, car c’est là, in fine, le rôle des institutions muséales et patrimoniales, nous ne pouvons pas prédire l’évolution de l’Internet et du Web.

Martine Neddam a pensé à une solution (tout moins tant que l’Internet existera) : l’auto-archivage, avec le site About Mouchette (http://about.mouchette.org). Les données qui y sont stockées concernent principalement les actions et les expériences des utilisateurs et pratiqueurs du site de Mouchette. Elles concentrent l’ensemble des référencements, sans tri préalable, des modes d’activation du site : « les buveurs font partie du bar ! », puisque c’est avant tout la pratique de la page par les internautes qui est importante pour l’artiste.

Le Net art est créé et pensé pour un médium évolutif, l’Internet, ce qui implique immanquablement des modifications qui ne sont pas prévues à l’avance, ou maîtrisées. Les œuvres sont donc elles-mêmes évolutives, qu’elles soient portées, adaptées (Julie Morel), documentées (Annie Abrahams) ou archivées et accompagnées (Martine Neddam). Finalement, n’est-il pas juste question ici de continuer à pratiquer les œuvres de Net art pour les faire exister, même à une époque éloignée de leur création initiale ? Conserver une œuvre consisterait à la pratiquer, à permettre son expérimentation aussi longtemps que possible jusqu’à ce que celle-ci ne soit plus en état de « fonctionner ».

Autant de questions qui demandent à ce que l’artiste (associé peut-être au conservateur-restaurateur) définisse la limite à partir de laquelle l’œuvre devra être considérée comme disparue. Il peut paraître paradoxal de confronter l’idée de disparition à la volonté de conservation. Bien souvent, des œuvres numériques sont actualisées informatiquement et esthétiquement pour pouvoir les présenter au public en état de fonctionnement. Une version « historique » de l’œuvre est alors conservée dans des réserves ou bien elle est présentée en exposition en même temps que la version actualisée. Également, la solution inverse existe, par exemple, lorsque les œuvres sont présentées « inertes » au public avec un document explicatif en complément de la présentation.

Ces solutions révèlent notre incapacité à accepter la disparition d’une œuvre, même quand celle-ci est, de par la nature de ses composants, prévue pour n’exister qu’un temps. Les objets numériques, pourtant créés en dehors de l’institution muséale, comme c’est le cas pour les œuvres du Net.Art, sont aujourd’hui rattrapés par le monde de l’art et de la conservation, qui leur insuffle un nouveau statut allant parfois à l’encontre de leur concept. Et si, pour les conserver, nous prenions le chemin naturel tracé par leur concept. Et si nous les pratiquions tout en les accompagnant le plus respectueusement possible vers leur disparition ?

Tiphaine Vialle
conservatrice-restauratrice, Tiphaine Vialle est diplômée du DNSEP
publié dans MCD #75, « Archéologie des médias », sept.-nov. 2014

(1) Bureaud (A.), Magnan (N.), Connexions, Art Réseaux média, guide de l’étudiant, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2002, p.16.

(2)  Cf. le site  de Julie Morel : www.incident.net

(3) Elarbi (S.) et Clouteau (I.), « Exposer et pérenniser l’œuvre contemporaine » in Technè n°24, C2RMF, 2006, p.69.

(4) Vialle (T.), La préservation d’œuvres d’art à composantes numériques, étude théorique et pratique. Sweet Dream de Julie Morel, mémoire de fin d’études, DNSEP option art mention conservation-restauration, École Supérieure d’Art d’Avignon, 2014.

(5) Cf. Laurenson (P.), Authenticity, Change and Loss in the Conservation of Time-Based Media Installations, Tate Papers Issue 6, 2006. Cf. aussi L’approche des médias variables par la Fondation Daniel Langlois. Depocas (A.). Préservation Numérique, la stratégie documentaire, 2002, www.fondation-langlois.org.

(6) Cf. Mahé (E.), L’ère post-média. Humanités digitales et Cultures numériques. Les pratiqueurs, Hermann, 2012.

(7) www.mouchette.org

(8) Neddam (M.), « Zen and the art of database maintenance », in Dekker (A.), Archives2020, Sustainable Archiving of born-digital cultural content, Virtueel Platform, 2011.

septembre / novembre 2014


> Édito :

Retour Vers Le Futur

Nos premiers ordinateurs sont désormais au musée. Et nous sommes effarés par les faibles capacités de ces machines, avec leurs écrans cathodiques noir et vert, qui ont symbolisé le futur immédiat dans les années 80/90. Comparées à nos smartphones à écrans tactiles, leurs possibilités techniques et créatrices nous semblent bien dérisoires. Il en sera de même pour tous les artefacts électroniques de ce début du XXIème siècle. Et après, également. C’est une histoire sans fin qui ne fait que commencer.

C’est pour cela qu’il est temps de regarder en arrière. De contempler ces machines reléguées dans les oubliettes du passé qui ont permis à des pionniers, mi-artistes mi-techniciens, de défricher de nouvelles formes d’expression, de création. De faire en sorte que leurs réalisations demeurent visibles, perceptibles, au-delà des contraintes techniques, malgré le fait que leur environnement technologique soit en voie de disparition.

Faire en sorte que cette mémoire encore un peu vive ne devienne pas une mémoire morte… C’est à ce travail de mémoire — mémoire technique et mémoire artistique — que nous convie Emmanuel Guez, rédacteur en chef invité avec l’École Supérieure d’Art d’Avignon, au travers de ce numéro.

Un travail d’archéologie car il s’agit bien de mettre au jour, en lumière, des protocoles Internet oubliés, de l’électronique ancienne, des vieux pixels aux couleurs incertaines, etc., à une époque où l’on ne cesse de mettre à jour, dans l’urgence renouvelée, des logiciels pour des appareils à l’obsolescence programmée. Un travail de conservation pour éviter que l’art numérique ne se « fossilise » comme la fameuse et énigmatique pile électrique de Bagdad…

Un travail de passeur pour éviter que nos machines et nos créations ne deviennent incompréhensibles aux générations à venir; à l’image récente de ces enfants et adolescents « 2.0 » complètement déroutés par l’utilisation d’un walkman ayant appartenu à leurs parents… Ce qui relative par ailleurs la portée du design appliqué et/ou des fonctions supposées intuitives. Mais c’est une autre histoire…

Laurent Diouf – Rédacteur en chef

> Sommaire
Archéologie / Recyclage / Vintage
Exposition / Médiation / Écosystème
Conservation / Préservation / Ingénierie

> Remerciements
MCD remercie tout particulièrement Emmanuel Guez et les étudiants de l’École Supérieure d’Art d’Avignon qui ont participé à la rédaction de ce numéro.