(Maroc / France)

Arthur Zerktouni est un artiste plasticien, qui, à travers ses installations, évoque le numérique sans nécessairement l’utiliser. Il ne fait pas le choix d’un média spécifique, car selon lui tout support est bon à prendre tant qu’il répond au discours de l’installation.

Composition n°1. Arthur Zerktouni. Installation mix-médias (fils de coton et lumière noire). Résidence à l’Octroi de Tours. 2011. Production: Mode d’Emploi, Tours. Photo: © Ann Schomburg.

Dans sa pratique plastique, Arthur aborde le temps, l’espace et tout ce qui y est lié (la mémoire, l’infini, etc.), car ces thèmes sont universels mais relatifs et jouent sur la perception. Il aime laisser à ses travaux la liberté d’une polysémie. L’artiste utilise le fil de coton, le tube, et l’eau qui le fascine, car derrière son apparente simplicité se cache une complexité physique.

Selon Arthur, le numérique marque un tournant dans l’histoire de l’art et de l’Homme, il modifie notre rapport au monde, au support et à l’échange, et offre un nouveau vocabulaire esthétique et conceptuel à la création artistique, qui transcende notre époque. Ce médium renoue selon lui avec une certaine idée d’un art logique, mathématique. Le numérique se place également dans l’immatérialité, il métamorphose et permet de lier les différents éléments d’une installation.

Arthur Zerktouni, né à Casablanca en 1983, travaille en France. Diplômé des Beaux-arts de Bourges en 2005, il s’est intéressé à l’art conceptuel, au minimalisme et à la création sonore. À Taïpei (Taïwan), il réalise une performance sonore lors du Laking Sound Festival et, au Guandu Museum of Fine Arts, expose la vidéo de son collectif META. Lors de City Sonic 2009 (Mons, Belgique), il expose des sculptures sonores. La même année, ses recherches plastiques sur la relation entre le son et les autres médias, et l’installation 7etc, réalisée avec Nikolas Chasser-Skilbeck (City Sonic, 2010) lui valent son diplôme national supérieur d’expression plastique.

Composition n°3. Arthur Zerktouni. Installation mix-médias (fils de coton, lumière noire, moteur). Exposition Objets-Son au Palais Abdellia (La Marsa, Tunisie), E-FEST 2012. Photo: © KRN.

Ce sont ensuite, au Studio National du Fresnoy (Tourcoing), l’installation Danaé, réflexions sur l’autonomie de l’objet artistique; les installations Thésée et Ariane, qui interrogent les figurations du labyrinthe, à l’Octroi de Tours en 2011; et In Memoriam en 2012 (Panorama 14, Le Fresnoy). Selon Arthur, le numérique devrait se développer en Afrique sans avoir à copier l’Occident. Il pense que les artistes africains doivent s’emparer de cet outil et l’utiliser d’une façon nouvelle, car les possibilités sont infinies. Et si les conditions ne sont pas toujours simples, il aime à penser que la contrainte technique pousse l’humain à développer de nouvelles solutions, de nouvelles propositions.

In Memoriam est une installation interactive, une expérience entre soi et son image, qui évoque le temps qui coule et l’impossibilité de le saisir. Le son léger d’une chute d’eau remplit un espace sombre. En avançant vers l’origine de la source sonore, le spectateur voit apparaître sa silhouette évidée et fantomatique à la surface d’une multitude de filets d’eau qui forment un écran, au centre d’une structure monolithique noire. Au début, simple brume lumineuse, la silhouette s’agrandit au fur et à mesure de l’avancée du spectateur, jusqu’à le dépasser lorsque ce dernier est proche de l’eau. Si plusieurs personnes font face à l’installation, leurs silhouettes, à différentes échelles, se chevauchent, se mélangent et se redessinent. Au moindre contact avec le spectateur, l’image s’écoule, elle chute comme si elle était devenue prisonnière du flux, et elle disparaît. J’essaie de trouver une forme de beauté au risible, au vain. C’est une façon de voir le monde.

In Memoriam. Arthur Zerktouni. Installation (projection vidéo interactive sur une chute d’eau). Mix-médias. Programmation informatique: Nicolas Verhaeghe. Production: Le Fresnoy, 2012. Photo: © Nikolas Chasser-Skilbeck.

Composition est une série, entamée à l’Octroi de Tours en 2011, suite à diverses expérimentations sur l’espace, le temps et le son. Avec du fil de coton blanc suspendu dans l’espace, de manière à créer un quadrillage géométrique, et de la lumière noire, Arthur crée un dispositif où le spectateur, plongé dans l’obscurité, a une sensation de vertige. Puis il décide de figurer dans l’espace les fréquences visibles sur sa table de montage : comment l’écriture du sonore peut-elle prendre la forme de ce qu’elle décrit ?

Arthur décide de jouer aussi sur la perspective du lieu en offrant un point de vue vers l’infini. À l’occasion de l’exposition Objets-Son (E-FEST, 2012), l’artiste fait bouger très lentement ses fils de coton dans l’espace, à l’aide d’un petit moteur, en suivant une perspective centrale. Puis, il place un micro piezzo sur le moteur et ralentit le bruit que ce dernier produit ; le son obtenu est alors diffusé dans l’espace.

La tautologie et la logique ont toujours dirigé ma production artistique et je me demandais: Quel instrument de musique contient, dans sa propre mécanique, la partition qu’il joue? Ainsi, l’installation est-elle à appréhender comme une grande boîte à musique, une sculpture qui, en abordant divers thèmes (esthétique numérique, mathématiques, logique), garde en elle les moyens propres de son autonomie.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.arthurzerktouni.net

(Afrique du Sud)

James Webb présente depuis 2001, à la fois des installations à grande échelle pour des galeries et musées, et des interventions impromptues dans des lieux publics. Son œuvre explore la nature de la foi et la dynamique de la communication au sein de notre monde contemporain, utilisant souvent l’exotisme, le détournement et l’humour pour servir son propos.

James Webb. Photo: © Adrienne van Eeden-Wharton.

Né en 1975 à Kimberley (Afrique du Sud), il vit et travaille au Cap. Webb est un artiste conceptuel qui explore un grand nombre de médias, tels que le son, la vidéo, la lumière et le texte, et ses œuvres se déclinent sous forme d’installations, interventions, diffusions et performances. Il a travaillé sur des environnements sonores et vidéo multicanaux, des enseignes au néon, la transmission radiophonique, ou encore des plantes envahissantes, des textes de musée détournés et diverses sculptures traditionnelles ou modernes mises en situation dans ses installations.

Mais l’artiste précise : je me penche en premier lieu sur les idées et je cherche ensuite l’outil le plus apte à exprimer celles-ci. Toutefois, il aime à penser qu’il est pratiquement impossible d’occulter le son, même s’il n’est qu’un médium parmi d’autres : on peut fermer les yeux mais pas les oreilles. Le son transporte beaucoup plus d’informations que les gens ne le pensent. C’est subtil, érotique et incompris.

Dès mon plus jeune âge, j’ai fait des expériences avec des magnétophones et des radios et  puisque l’invention découle de la nécessité, j’ai intégré les outils numériques dans ma vie quotidienne et professionnelle au fur et à mesure qu’ils devenaient disponibles.

James Webb décline ses œuvres en cours : There’s No Place Called Home et Prayer, qu’il veut inspirées par les villes et les contextes dans lesquels elles sont montrées. Il développe également une série sur les thèmes de la mythologie (ancienne et moderne) et notre rapport à la perte de foi dans diverses philosophies, institutions et idéaux de la société contemporaine.

Prayer. James Webb. Enregistrements sonores de prières de toutes les religions à Johannesburg. Installation sonore. Johannesburg Art Gallery, 2012. Photo: © Anthea Pokroy. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Blank Projects.

En 2012, il a été invité à réaliser une exposition rétrospective à la Johannesburg Art Gallery. MMXII, dont il était le commissaire, se composait d’une constellation d’expositions indépendantes et convergentes produites pour le musée et qui passaient en revue sa pratique tout en ré-imaginant et remixant la collection de la Art Gallery. L’exposition montrait 15 de ses projets aux côtés de 15 œuvres issues de la collection, le tout présenté dans 9 salles intérieures et 3 espaces extérieurs.

Loin de l’envisager comme une « rétrospective », l’artiste a qualifié l’événement de « metrospective » afin d’interroger son propre chemin artistique dans toute sa complexité. Son fil d’Ariane : les idées. Ainsi que des techniques visant à soustraire certaines informations et matières de l’œuvre finale, afin de donner au public assez d’espace pour qu’il puisse s’impliquer dans la situation et s’approprier l’expérience.

There’s No Place Called Home : née en 2004, cette pièce, au dispositif délibérément modeste, présente dissimulés dans les arbres des haut-parleurs qui diffusent des chants d’oiseaux inconnus là où l’installation est présentée. Comme les oiseaux utilisent des vocalises pour attirer leurs partenaires et marquer leur territoire, l’introduction de cet élément sonore étranger dans un paysage local revêt à la fois un sens poétique et politique. Les sons diffusés ne sont pas traités, mais mixés avec une volonté de réalisme, et les spectateurs ne sont pas toujours conscients de ce détournement : parce que la pièce fait appel à des thématiques humaines telles que les migrations et les déplacements, mais le fait via les chants d’oiseaux, les éléments politiques subversifs de l’œuvre peuvent donner lieu à diverses interprétations.

Le Marché Oriental. James Webb. Installation vidéo. Blank Projects, 2009. Photo: © Paul Grose.

Dans Prayer, des extraits sonores de prières enregistrées dans chaque ville où ce travail est présenté, permet à l’artiste d’aborder les différentes religions de toutes les communautés de la ville. Pour l’artiste, c’est une façon amusante d’amener les gens à visiter l’exposition au fur et à mesure qu’ils deviennent des collaborateurs du projet. Il a créé des versions spécifiques dans les villes de Copenhague, Birmingham, Le Cap, et plus récemment Johannesburg, où il a enregistré plus de 100 prières de 75 confessions différentes.

À la lisière de l’art, une expérience qui tente de sonder l’usage des nouvelles technologies dans notre société, Spectre illustre la démarche de l’artiste vis-à-vis de l’art numérique. À la FNB Joburg Art Fair en 2011, il utilise un brouilleur de téléphonie mobile très puissant, capable de désactiver toute réception de téléphones portables dans un rayon de 20 mètres, et injecte ainsi de manière aléatoire des moments de « silence cellulaire ».

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.theotherjameswebb.com

(Bloemfontein, Afrique du Sud)

 L’allégorie versus le symbole; les idéologies sud-africaines sociales, politiques et privées; le paysage; la possession; spiritualité et technologie, sont les thèmes de prédilection de l’artiste Jaco Spies, sans négliger la critique de l’idéologie.

Jaco Spies. Photo: © Jaco Spies.

Jaco Spies est né en 1974 à Bloemfontein, où il vit et travaille depuis 2000. Il est artiste plasticien, professeur et maître de conférence en dessin et médias numériques dans la section Arts Plastiques de la University of the Free State (UFS, à Bloemfontein). Où il a étudié les Beaux-arts, avec une spécialisation en dessin et en histoire de l’art. Son projet de dernière année de licence d’art consistait principalement à intégrer gravure et peinture à des livres d’artistes auto-reliés, en explorant les influences de la technologie sur la spiritualité.

Jaco participe à de nombreuses expositions et est, en 2007, le premier artiste de l’UFS à remporter le prix d’excellence du concours de l’Atelier ABSA. Depuis 2003, sa pratique artistique est axée sur l’exploration métaphorique critique des idéologies nationales, sociales et personnelles par la représentation du paysage et la cartographie (en particulier les processus d’acquisition, mise en valeur, dispersion, remembrement des terres). Bien que la plupart de ses travaux récents soient numériques (animation, vidéo, interactivité, Internet, presse), il travaille aussi sur des supports traditionnels et son œuvre est présente dans diverses collections. Il a également participé à l’exposition Internet Art in the Global South, réalisée par Tegan Bristow pour la Joburg Art Fair, en 2009.

Dissemination. Jaco Spies. 2009. Capture d’écran. Dessin interactif sur Internet. Dimension variable, temps infini. Photo: D.R. (fichier numérique original).

Les questions relatives à l’existence – en termes d’expérience personnelle et collective – alimentent souvent ma pratique artistique. Même si ce sujet peut sembler très vaste, je me préoccupe particulièrement de notre besoin de transcendance et de salut, et de la façon dont ces deux éléments sont recherchés à travers l’idéologie et son antithèse.

Je ne me suis jamais senti à l’aise avec quelque idéologie que ce soit. Pour moi, elles pointent toujours du doigt le mensonge. Cependant, je perçois de plus en plus l’idéologie comme inhérente à la nature humaine. Quelque chose à quoi on ne peut échapper. Je recherche en permanence des façons « autres » d’être créatif. Peut-être que je m’ennuie vite lorsque j’agis de manière répétitive. Être créatif dans le domaine du numérique permet de nombreuses variations dans les productions, idées et événements créatifs. J’aime cela, car ça me donne une immense liberté. C’est le contraire d’une recherche idéologique, d’une méthode ou philosophie appliquée à l’art.

Jaco pense que l’art numérique se développera en Afrique d’une manière radicalement différente des économies du monde premier. Selon lui, c’est évident, car l’étendue du tissage de la technologie numérique dans l’existence humaine normale y diffère radicalement. Cependant, ceci créera, en Afrique, l’opportunité de voies exceptionnelles de création artistique numérique: peut-être moins à la pointe du développement technologique, mais de manière plus intéressante au niveau créatif. Même les traditionalistes de la scène artistique sud-africaine commencent à voir le « mérite » de l’art numérique, tandis que les générations actuelles et futures d’étudiants en art vivent plus ou moins ce phénomène numérique comme une seconde nature. Jaco est optimiste quant aux perspectives qu’il offre.

The Realm of the Mothers. Jaco Spies. 2012. Capture d’écran. Œuvre en cours de réalisation. Installation vidéo. Dimensions variables. Photo: D.R. (fichier numérique original).

Jaco Spies travaille actuellement sur une œuvre de grande envergure, Le Royaume des mères, qui associe vidéo, animation numérique (dessin numérique et traditionnel), sculptures et son. Dans son thème, le travail traite des idéologies sociales et économiques dans un contexte à la fois contemporain et historique sud-africain, et de la manière dont celles-ci sont apparemment en contradiction avec l’éveil spirituel. Le titre fait référence à une scène du Faust de Goethe, où Faust descend dans le Royaume des mères pour atteindre la transcendance et le salut. Dans cette nouvelle œuvre, bon nombre de mes explorations dans les divers supports numériques et traditionnels (ou l’association des deux) se rejoignent et se manifestent comme quelque chose de nouveau. Par conséquent, sur le plan formel je pense que, dans ce travail, je suis parvenu à quelque chose que je recherchais par l’expérimentation. Sur le plan conceptuel, cette œuvre reflète aussi de manière évidente mes principaux thèmes de prédilection.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.jacospies.co.za

(Johannesburg, Afrique du Sud)

Michelle Son met en scène l’univers quotidien des interfaces numériques, non sans humour, car selon elle la technologie est tout aussi séduisante que vicieuse. C’est grâce à cette distance que l’artiste préserve sa curiosité, cherchant à trouver des façons de « traverser » les nouvelles technologies au lieu de les éviter, afin de développer un langage personnel dans la forme et le sens au sein d’un monde façonné par le progrès technologique.

To Whom It May Concern (À qui de droit). Michelle Son. Installation interactive. Médias mixtes. 2010. Photo: © Michelle Son.

Michelle Son est née à Johannesburg en 1982, où elle vit et travaille. Après des études en design et graphisme, puis en technologie, à la Péninsule du Cap, et un master en Médias Interactifs numériques à l’Université du Witwatersrand et au Sandberg Instituut à Amsterdam en 2012, elle s’est intéressée à l’univers des outils et des interfaces numériques, dont elle explore la nature imposée.

En étudiant les outils numériques, tels que les logiciels propriétaires, dont Michelle Son se reconnaît elle-même être une esclave cybernétique, celle-ci remarque que l’usage courant de ces outils contribue à former une esthétique standardisée issue de stéréotypes visuels uniformisés. À partir de là, ses recherches et son travail se déclinent autour des implications de la nature imposée des interfaces sur les attitudes des utilisateurs.

Dans son travail de recherche, Antagonisme du modèle esthétique : les outils de la conscience, Michelle étudie la manière dont l’utilisation généralisée des outils, qu’ils soient algorithmiques ou cognitifs, pourrait présenter des alternatives à l’expression individuelle et aux modes de communication. De ce travail est née l’œuvre To Whom It May Concern (À qui de droit, 2010), présentée comme une métaphore de l’expérience « à sens unique » de l’utilisateur, imitant les relations entre le programmeur et l’utilisateur à l’intérieur d’un bureau. Les spectateurs étaient immergés dans un espace de travail hyperréaliste, qui les invitait à réfléchir sur leur propre rapport à la technologie.

To Whom It May Concern (À qui de droit). Michelle Son. Installation interactive. Médias mixtes. 2010. Photo: © Michelle Son.

 En exprimant mon scepticisme quant au numérique, j’ai pu faire face à mes sensations de malaise vis-à-vis de l’interface utilisateur grâce à une expérience sensorielle humoristique (bien qu’agaçante), dont le but était d’inciter les spectateurs, contrairement à leur approche habituelle, à remettre en question leur perception de la réalité en regardant de plus près la banalité des attitudes dans l’existence quotidienne.

 La satisfaction que j’ai trouvée dans l’observation et la critique des normes sociales à travers l’humanisation de ces relations invisibles, m’a encouragée à poursuivre ces explorations. Étant obligée de travailler en dehors de mon domaine de compétences, j’ai collaboré avec un ingénieur et un programmeur et c’est grâce à cette expérience que j’ai pu concevoir l’importance du partage de connaissances et de compétences entre les différents domaines.

Pour son master, l’artiste désire aller vers une compréhension plus profonde de l’esthétique par l’évaluation de la perception sensorielle humaine, c’est-à-dire des effets décisifs que les stimuli sensoriels (réels ou simulés) produisent sur la conscience et les émotions humaines. Terry Eagleton, théoricien et critique de littérature, affirme que l’esthétique est un discours originel du corps. C’est une forme de cognition s’opérant à travers le goût, le toucher, l’ouïe, la vue et l’odorat – l’ensemble des sens du corps humain.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.michelleson.co.za

To Whom It May Concern (À qui de droit). Michelle Son. Une main mécanique pressait la barre d’espace pour compter le nombre de visiteurs présents dans la pièce. 2010. Photo: © Michelle Son.

(Dakar, Sénégal)

Ibrahima Niang, dit Piniang, est un plasticien sénégalais qui travaille avec différents médias pour attirer l’attention sur des faits marquants de sa société, des inondations à l’occupation anarchique de l’espace public. Peinture, sculpture, installations vidéo et films d’animation, sont les outils pour se faire entendre.

Ibrahima Niang, dit Piniang. Photo : D. R.

Né en 1976 à Dakar, Piniang a étudié à l’École Nationale des Arts de Dakar (ENA) de 1995 à 1999, et suivi pendant deux ans une formation en multimédia et animation au studio Pictoon. Peintre, vidéaste, installateur et dessinateur, Piniang a su, au gré de stages et de résidences d’artiste, asseoir une certaine expérience dans le domaine du multimédia. Il vit et travaille à Dakar et est aujourd’hui chargé de cours en Arts numériques à l’ENA.

Ses œuvres ont été présentées dans de nombreux lieux de l’art contemporain en Afrique et dans le monde, notamment au Musée de Malmö (Suède), à la Fondation Blachère (Apt), au Musée Dapper (Paris), au Musée Princessehof à Leeuwarden (Pays-Bas), au Bronx Museum of the Arts (New York), ou encore à l’occasion des Biennales de Grèce et de Rennes, aux galeries IFA (Berlin), et M.A.I. (Montréal), lors d’Africa Animated UNESCO à Nairobi, ou encore d’ARESUVA 2007 à Abuja (Nigeria).

Il a remporté un « Ébène » au 5ème Festival du film de quartier (Dakar, 2003) avec son premier court-métrage d’animation No war no news, et été primé par la Fondation Blachère (Biennale de Dakar 2006), la Fondation Thamgidi (Pays-Bas) et dans le In et le Off de la Biennale de Dakar (1) en 2008. Il fait également partie des lauréats de la Bourse Cultures France 2010 (Visa pour la Création).

Touki. Ibrahima Niang. Atelier de réalisation du film d’animation, avec Kirsten Otzen Keck. Copenhague (Danemark), 2010. Photo : D. R.

Piniang s’implique totalement dans les problèmes quotidiens (inondations, pollution) des populations qu’il côtoie et qu’il tente de sensibiliser à travers sa création. Selon lui, la vidéo est un support très accessible à tous, qui favorise un esprit de partage dans une démarche communautaire, et permet de sortir des murs d’une galerie pour aller à la rencontre des populations visées. L’artiste travaille sur un projet de court-métrage de 3 minutes sur les contes, Kamakazi et l’arbre aux mille pouvoirs, avec des animateurs africains (Burkina-Faso, Sénégal, Guinée, Togo et Burundi) et des intervenants français (réalisation et création sonore).

Piniang pense que les arts numériques ont un grand avenir en Afrique du fait de l’éclosion des technologies de l’information et de la communication, qui deviennent de plus en plus accessibles (vidéo, photo, téléphones portables) et permettent aux jeunes artistes de s’ouvrir à ces formes d’expression. Cependant, il regrette que de nombreux artistes aient migré vers l’Europe, ou que des initiations à l’animation et à la vidéo ne soient pas proposées par les écoles d’art locales. Dans sa volonté de partager les savoirs, il désire créer un Laboratoire d’échanges entre plasticiens et vidéastes africains et mettre en place un Festival de films d’animation, destiné aux écoles primaires de Dakar et sa banlieue, avec notamment des ateliers thématiques de création.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.piniang.com

Nataal. Ibrahima Niang. Film d’animation, 2012. Photo : © Ibrahima Niang.

(Le Caire, Égypte)

La pratique de Khaled Hafez se décline sur plusieurs supports : peinture, vidéo, photographie, installation et approches interdisciplinaires, pour explorer les divers aspects – en particulier sociaux et politiques – de la complexe identité égyptienne.

A77A: On Presidents & Superheroes. Khaled Hafez. Capture d’écran de la vidéo. 2009. Photo: © Khaled Hafez.

Khaled Hafez est né en 1963 au Caire, où il vit et travaille. Il a étudié la médecine et a suivi des cours du soir aux Beaux-arts du Caire dans les années ’80. Après avoir obtenu son diplôme de médecine en 1987 et de médecin spécialiste en 1992, il a renoncé à la pratique médicale au début des années ’90 pour entamer une carrière dans l’art. Il a alors obtenu un master en nouveaux médias et arts numériques au Transart Institute (New York) et à l’Université du Danube de Krems (Autriche). Il a participé à de grands Salons internationaux et festivals de film depuis 2004. Ses œuvres, souvent primées, sont présentées lors de nombreuses expositions et dans d’importants musées, galeries et centres d’art internationaux.

Khaled Hafez y explore les thèmes de la mémoire intime, personnelle, la nostalgie, la migration et l’hybridité. Je crois que nous sommes à un moment de l’histoire où s’opère une transformation culturelle, entre autres des aspects visuels et conceptuels, et des croyances. L’artiste nous décrit l’Égypte d’aujourd’hui comme revivant une période révolutionnaire, où la pauvreté, l’analphabétisme et les pouvoirs en lutte constituent les nouvelles réalités du néo-colonialisme. Il pense que tout le continent africain vit (d’une manière ou d’une autre) dans une situation quelque peu similaire. Bien que, tout au long du XXe siècle, l’Égypte ait connu les lumières de la création artistique et des sciences qui ont rayonné à travers le continent, nous vivons aujourd’hui un moment de chaos social.

A77A: On Presidents & Superheroes. Khaled Hafez. Capture d’écran de la vidéo. 2009. Photo: © Khaled Hafez.

Il ajoute : c’est peut-être le moment de nettoyer et réaménager nos maisons, nos pays, de l’intérieur, et de tenter de trouver la nouvelle feuille de route qui puisse amener les citoyens à de meilleures conditions de vie. Les créateurs peuvent alors devenir des ponts entre l’Est et l’Ouest, et endosser le rôle de modèles dans leur pays. Le support numérique est accessible et démocratique et peut être magique pour ceux qui savent utiliser sa magie. Il a permis aux artistes de résoudre beaucoup de problèmes, comme la mobilité, la censure, et le coût des fournitures de base.

Trois œuvres vidéo sont particulièrement importantes dans sa carrière de vidéaste et réalisateur : Logic Idlers (2003), primée à la 6ème Biennale de Dakar en 2004 ; Revolution (2006), une commande de la 1ère Biennale de Singapour, qui se trouve aujourd’hui dans les collections de 4 musées ; et le projet A77A: On Presidents & Superheroes (2009), primé à la 9ème Biennale Photo de Bamako (Mali). Ces trois œuvres ont été grandement scénarisées et toutes interrogent la signification théorique que revêt la révolution égyptienne de 2011. Dans ces trois œuvres, j’ai exploré les notions d’identité locale, d’assujettissement, de tyrannie, d’histoire personnelle, de démocratie et de lutte pour le pouvoir. Ces œuvres étaient quasi-prémonitoires au vu de ce qui s’est passé plus tard, en 2011.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.khaledhafez.net

(Alger, Algérie)

Artiste plasticien, Ammar Bouras expose en Algérie et à l’étranger, depuis vingt ans, ses installations multimédias hybrides, où la vidéo et la photographie sont souvent présentées en murs d’images animées, de vidéos mouvementées ou de mosaïques photographiques, toujours au croisement de l’esthétique, du social et du politique. Dans son œuvre, la vidéo, support logique de son cheminement esthétique, est le médium privilégié, où il mêle peinture, photographie, sérigraphie…

TAG’OUT. Installation vidéo, multi-écrans. Hommage à Boudiaf 1. Tirage numérique. 2011. Photo: D.R.

Ammar Bouras est très présent sur la scène algérienne, notamment en 2009 au 1er Festival International d’Art Contemporain d’Alger (au Musée d’Art Moderne et Contemporain), et il est parmi les artistes les plus sollicités dans les événements internationaux, tels que Contact Zone au Musée National du Mali (Bamako) en 2007, le Doha Freedom and Creativity Festival (Qatar) en 2008, ou encore la 10ème Biennale de Sharjah (Émirats Arabes Unis), en 2011. Ses œuvres sont présentes dans plusieurs musées d’art contemporain en Afrique et au Moyen-Orient, ainsi que dans des collections privées internationales. Il co-signe avec Christian Lecompte l’ouvrage Poussières d’ange en 2003, et de nombreux textes de catalogues d’art lui sont consacrés; notamment sur ses œuvres Stridences Sangcommenttaire ? et L’être d’amour.

Né en 1964 à El-Milia (Algérie), Ammar Bouras vit et travaille à Alger. Ancien étudiant de l’École Supérieure des Beaux-arts d’Alger, il a été photographe-reporter pour plusieurs journaux algériens (Alger Républicain, Le Matin) de 1988 à 1993, pour ensuite enseigner la photographie aux Beaux-arts d’Alger de 1995 à 2006. Aujourd’hui encore, il est infographiste indépendant pour le journal El Watan Week-end.

Son activité de photographe, pratiquée dès les années ’90 sur le terrain d’une actualité tragique, l’a plongé de plain-pied dans un contexte politique qui va donner une nouvelle dimension et impulsion à son travail : par une approche critique de la politique; pouvoir, intolérance et violence des rapports humains deviendront omniprésents dans son œuvre. Les thèmes de prédilection d’Ammar Bouras sont toujours son quotidien, ses problématiques existentielles, tels que la vie, la mort, le rapport à l’autre et le besoin de l’autre, ou encore le politique.

Dès 1998, avec son premier ordinateur, Ammar Bouras découvrait les outils numériques et présentait sa première vidéo : Stridences Sangcommenttaire ?, un diaporama d’images fixes composé de photographies retouchées et d’articles de presse.

Selon l’artiste, la démocratisation des moyens de production et des outils numériques ne peut être que bénéfique pour la création artistique, si toutefois elle est accompagnée d’un travail de fond : un véritable enseignement et une volonté politique ouverts sur la notion d’art et de création, pour dépasser l’artisanat, le folklore, les effets et l’événementiel.

TAG’OUT. Installation vidéo, multi-écrans. Capture d’écrans. Photo: D.R.

Son œuvre intitulée TAG’OUT, réalisée en 2011 dans le cadre de la Biennale de Sharjah, est pour lui la synthèse de quinze années de travail, où se retrouvent l’existence, la politique et le terrorisme. Une plongée intime dans le traumatisme des années ’90, sous la forme d’un tableau mosaïque de cinquante écrans avec des images d’actualité et d’autres plus intimes de ses archives personnelles, qui défilent et qui, par intermittence, se figent en divers tableaux : le dernier portrait du défunt Boudiaf quelques instants avant son assassinat, un autoportrait retouché, les parties d’un corps féminin…

Rachida Triki, critique d’art, commissaire d’exposition et professeur de philosophie et d’esthétique à Tunis, écrit à propos de l’artiste : Traqué par la terreur qui, en Algérie, a touché entre autres intellectuels et artistes, dans les années ‘90, il a vécu dans sa chair à la fois le drame de la guerre civile et celui d’être lui-même taxé de traître (« Taghout » en Arabe) à la cause de Dieu. Son drame était d’être, à l’époque, artiste et journaliste reporter. C’est pourquoi il a choisi de décliner les vrais visages des trahisons passées et sournoisement actuelles ; il le fait par une scénographie où un montage subtil de photos-peinture, de vidéo art et d’intervention plastique sur documents, participe à recréer l’émotion d’une expérience terrifiante […] Toutes les ressources du multimédia sont alors convoquées pour créer dans l’entre-deux de l’image « document-témoin » et de celle de la fiction vraie, l’espace visuel du drame de la Trahison.

Lors d’une résidence artistique effectuée en 2012 à La Chambre d’eau (Le Favril, Eure-et-Loir), il a commencé à travailler sur un projet d’installation vidéo, 24°3′55″N – 5°3′23″E, un va-et-vient entre l’Algérie et la France, qui traite d’une histoire commune, de leurs mémoires, de l’immigration clandestine, et des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien (notamment celui du 1er mai 1962 à In Ecker, qui a fait de nombreuses victimes).

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.art19.org/ammarbouras

(Alger, Algérie)

Lyès Belhocine est un artiste multimédia qui mixe électronique, programmation et contenus audio-visuels pour proposer des expériences inédites à partir d’interfaces sonores, visuelles et lumineuses. Explorateur dans l’âme, il n’hésite pas à faire appel à d’autres intervenants (scientifiques et artistes) afin de créer des œuvres diversifiées pour des publics larges ou spécialisés.

CubiiC. Interfaces audio et vidéo. Photo : © Angela Maciel Detweiler.

Lyès Belhocine est né à Alger en 1985. Après des études en Communication et Médias Interactifs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM, Canada), puis en Arts Numériques à l’Université de Californie à Santa Cruz (États-Unis), il enseigne en Musique Électronique, Programmation pour les Arts, Art Moderne, et Cinéma, au Canada et aux États-Unis. C’est en 2011 qu’il revient à Alger, en tant que travailleur indépendant dans le secteur de la création numérique, où il fonde en 2012 une entreprise (WAVES) produisant des installations interactives à buts ludique, éducatif et culturel.

À Alger, j’ai découvert une réalité tout autre que celle d’Amérique du Nord : pas de culture des arts numériques, pas de fonds de soutien pour les artistes, peu d’espaces de diffusion, et un accès très restreint à la technologie. L’investissement de son pays natal dans la Culture reste minime et lié aux institutions étatiques, où l’art numérique est inexistant, car méconnu.

Selon Lyès, il est nécessaire d’instaurer un dialogue avec les institutions publiques afin d’introduire l’art numérique en Algérie: d’abord une exposition d’artistes internationaux, par exemple. Cela permettrait de rallier les personnes intéressées, démarrer un processus de formation et créer une base d’artistes locaux.

Dans un pays touché par de profonds maux sociaux, dont les jeunes désirent s’évader physiquement (immigration, souvent clandestine) et psychologiquement (peu de loisirs, beaucoup d’interdits), l’artiste pense que les arts numériques permettraient d’introduire des canaux d’expression inédits. L’art numérique, parce qu’il est lié aux technologies de l’information et de la communication, de l’informatique et du multimédia, pourrait permettre de créer des emplois dans ces domaines.

Dans ses œuvres, on retrouve la culture du remix, où le mélange des sources donne naissance à de nouvelles trames ; l’art étant de créer de la cohésion entre des éléments qui ne sont pas a priori envisagés ensemble. Lyès voit dans l’assemblage des rythmes, sonorités, couleurs et thèmes d’horizons divers un potentiel de réconciliation plus profond, à un niveau sociétal et à l’échelle internationale.

Lumisketch. Interacteurs en train de créer des tracés. Photo : © Drew Detweiler.

 CubiiC est une interface conçue et réalisée par Lyès Belhocine et Drew Detweiler (États-Unis) en 2011, et présentée lors de l’exposition Objets-Son dans le cadre d’E-FEST en Tunisie en 2012. Elle permet de mixer de la musique (tel un DJ) et de la vidéo (VJ). Ici, le paradigme du mixage des sources audio-visuelles est remis en question par l’introduction de cubes. Équipés sur chaque face d’émetteurs RFID (identification par radio-fréquences), les deux cubes permettent d’obtenir douze pistes sonores et visuelles. De plus, des capteurs tactiles proposent d’ajouter des effets en temps réel. Enfin, l’application développée arrange les sources pour qu’aucune erreur de mixage ne soit possible. Le résultat est une illusion parfaite de la maîtrise des techniques de mixage et procure au public satisfaction et amusement. Une performance utilisant l’interface est actuellement en développement.

Également conçu et réalisé par Lyès Belhocine et Drew Detweiler en 2012, Lumisketch est une application de traçage de lumière développée pour des performances de danse et de théâtre. Basée sur une simple détection de lumière, il s’agit d’une simulation du phénomène de persistance rétinienne. Ainsi, quiconque munit d’une source de lumière peut créer des tracés qui sont ensuite projetés. À la demande des publics et organisateurs de différents festivals, le projet, point de départ de Three Bodies, a pris son indépendance.

Three Bodies est une performance pluri-disciplinaire issue d’une collaboration entre des professeurs d’astrophysique, de danse, de musique et d’arts numériques de l’Université de Californie, et l’artiste Lyès Belhocine, en 2012. Avec le désir de mêler plusieurs disciplines autour du « Problème à Trois Corps », mouvements stellaires en astrophysique, la visualisation du problème crée une œuvre interactive. Les trois corps sont représentés par trois danseurs portant des chapeaux illuminés par des LEDs. Sous leurs pieds, la visualisation des mouvements stellaires leur sert de guide et, au-dessus de leurs têtes, un tracé en temps réel permet de montrer au public leurs trajectoires. À leurs positions, sont associées des données sonores, diffusées via six enceintes.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> www.lyouss.net

Three Bodies. Chapeaux à LEDs créés pour les danseurs. Photo : © Angela Maciel Detweiler.

(Dakar, Sénégal)

Edgar Afoutou est l’exemple parfait d’un parcours prometteur en Afrique, le développeur informaticien qui a trouvé sa voie grâce à la rencontre avec le monde du Libre et l’art numérique. Ses perspectives sont clairement annoncées : apporter mes connaissances au croisement entre art et informatique, et émanciper mon côté créatif.

Projet DIGIBAP. Résidence à Kër Thiossane, Dakar, 2012. De gauche à droite: Edgar Afoutou (Dakar, Sénégal), Grand-Jacques (Dakar, Sénégal) et Jean Katambayi Mukendi (Lubumbashi, RDC). Photo: © Bathie Samba Tounkara et Susana Moliner Delgado.

Son premier contact avec l’univers artistique a lieu en 2010 à Dakar, où il participe à la réalisation de l’exposition multimédia de Mondomix: Les Musiques Noires dans le Monde. Depuis lors, il accompagne des artistes dans la réalisation de projets artistiques et culturels.

Son premier contact avec l’univers artistique a lieu en 2010 à Dakar, où il participe à la réalisation de l’exposition multimédia de Mondomix: Les Musiques Noires dans le Monde. Depuis lors, il accompagne des artistes dans la réalisation de projets artistiques et culturels.

Ses thèmes de prédilection sont: le hacking (1), la récupération, les logiciels libres et l’Open source, qu’il défend en ces termes : l’économie mondiale est en crise… Heureusement, nous avons des bras, l’accès à la connaissance et aux technologies libres, qui sont de véritables avantages.

Né en 1978 à Dakar et originaire du Togo, Edgar Ekoué Afoutou vit et travaille au Sénégal depuis 2001 en tant que développeur. Il étudie les réseaux Télécom et se spécialise en Services Réseau. Défenseur du Libre, il est membre de DakarLUG, une communauté d’utilisateurs du système Linux, qui se retrouve régulièrement pour parler Open source, partager leurs connaissances et des pizzas.

Son aventure « numérique et artistique » faisant son chemin, il représente DakarLUG en 2011 lors des festivals LabToLab à Nantes, Mal au Pixel à Paris, et Désert Numérique à Saint-Nazaire-Le-Désert (Drôme). Il est alors question de réfléchir sur la pédagogie, la coopération et la solidarité internationale des Labs (2) et d’établir un état des lieux de la création numérique en Europe et en Afrique.

Puis, il s’inscrit à plusieurs ateliers de recherche et de création numérique (avec Trias Culture(3) et Kër Thiossane (4) en 2011 et 2012), axés sur l’exploration de différents types de capteurs. Il prend part en mai 2012 lors du Festival Afropixel à l’atelier DefKo Yaw Rek, organisé par le collectif Usinette.org (France), où il s’agit de réaliser une extrudeuse : une machine de recyclage des déchets plastiques. En juillet 2012, il assiste Jean Katambayi Mukendi (5), en résidence à Kër Thiossane (projet DIGIBAP).

Atelier DefKo Yaw Rek. Résidence à Kër Thiossane, Dakar, 2012. Photo: © Vanessa Brunet (Usinette, France).

Il travaille en tant que programmeur sur le projet eZoTouch, initié en 2012 par Roland Kossigan Assilevi (6). C’est une application de VJing (7) développée avec Pure Data et pilotée à partir de matériel détourné. Son objectif est de proposer une alternative aux outils existant sur le marché.

À Dakar, la création numérique est un concept nouveau. L’art numérique africain s’exprime de façon timide, car les manifestations qui y sont consacrées sur le continent sont rares, tout comme les structures qui accompagnent les artistes africains dans cette voie-là. Les outils libres sont à la portée de tous. Aussi, le nombre de personnes ayant accès à Internet et aux réseaux mobiles n’a-t-il cessé de croître. Il ne nous reste qu’à nous approprier ces technologies pour réaliser des œuvres originales.

publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

> http://edgar-afoutou.blogspot.com/

naissance et évolution

Sur le continent africain, les premières traces de travaux numériques proviennent d’Afrique australe. Aujourd’hui, ces œuvres ne sont plus visibles : elles se trouvent dans le Deep Web (Internet profond). De même, les premiers codes informatiques html ne sont plus présents sur les plateformes actuelles. Sur le continent africain, quasiment rien n’a été répertorié, analysé, archivé dans les années 90. Si cette histoire fragmentée est désormais difficile à dérouler, il est possible de mesurer l’impact de la mise à disposition des outils numériques ainsi que leurs usages dans le champ de la création artistique. Quelle est l’influence du numérique dans le processus de création, de production et de diffusion des œuvres ? Quelles mutations le numérique a-t-il engendrées ? Quelle est la valeur ajoutée et quelles sont les nouvelles pratiques en Afrique ?

Consomania. Samba Fall. Capture d’écran du film d’animation. 2008. Photo : D. R.

Après une amorce longue et timide de plusieurs années, de plus en plus d’initiatives autour du numérique se sont développées au fur et à mesure que la technologie a été vulgarisée. Il y a cependant des disparités notables, tant sur le plan de l’accès aux équipements techniques que sur celui de l’application des outils numériques par le biais de la formation artistique. La localisation géographique, ainsi que les politiques publiques des États ont joué un rôle déterminant dans la connaissance, l’utilisation et la recherche dans le domaine de la création numérique. Les pays côtiers d’Afrique du Nord, de l’Ouest et de l’Est ont bénéficié d’une mise à disposition précoce d’Internet. Les grands pôles artistiques (Afrique du Sud, Égypte, Nigeria), en contact avec les plateformes, institutions et acteurs du monde de l’art contemporain d’Occident, ont bénéficié d’un accès continu à des sessions de formation théorique, conceptuelle et esthétique à l’art numérique.

À première vue, Dakar semble faire partie de ces villes privilégiées qui ont engendré une culture de la création numérique. Située à l’extrême Ouest du continent africain, elle a été la première à se connecter au réseau en Afrique de l’Ouest. Une bonne maîtrise des coûts de connexion a permis un accès « démocratique » à Internet. Disposant de la plus ancienne École des Beaux-arts en Afrique noire francophone, ainsi que de la seule Biennale d’art contemporain au sud du Sahara, elle fait partie de ces villes qui, au fil des ans, sont devenues des carrefours incontournables pour les protagonistes du monde de l’art. Dakar dispose de tous les critères lui permettant d’être en pointe dans le domaine de la création numérique. Mais dans la réalité, si la politique publique de l’État sénégalais a permis un accès rapide et relativement peu onéreux à Internet, ce même État n’a pas mesuré le potentiel de cette technologie dans le champ de la création artistique. L’École des Beaux-arts, tout comme la Biennale de Dakar, n’ont pas développé de stratégies proactives et innovantes permettant l’accès, la recherche et la maîtrise de la création numérique dans les domaines technique, conceptuel et esthétique.

Les premières traces de création numérique au Sénégal remontent à 1996 avec la mise en place du Metissacana. Créée par la styliste sénégalaise Oumou Sy, avec la complicité de Michel Mavros et d’Alexis Sikorsky, le Metissacana a pour objectif de contribuer à ce que l’Afrique atteigne un niveau international dans le développement des technologies de l’information et des téléservices qui en découlent. Le 3 juillet 1996, le Metissacana ouvre à Dakar le premier Internet Café d’Afrique de l’Ouest, qui se positionne comme un espace d’échanges offrant la possibilité de diffuser des œuvres intellectuelles et artistiques, et qui donne accès aux bases de données mondiales en permettant une participation active aux débats sur le Web. Le Metissacana a hébergé le premier site Internet de la Biennale de Dakar, ainsi que les adresses électroniques de son équipe dans la seconde moitié des années 90. Il a été le premier opérateur à diffuser en direct de la radio sur Internet avec Sud FM et Radio Nostalgie Dakar en 1997. En juillet 2000, le Metissacana a produit un concert par satellite depuis sa terrasse à Dakar en collaboration avec le festival de Montluçon en France. Et en 2001, des expériences de visioconférence en direct sont lancées avec des créateurs musicaux, tel que le rappeur franco-sénégalais Disiz la Peste, à l’occasion de son passage à Dakar (en partenariat avec la radio française Skyrock).

Consomania. Samba Fall. Capture d’écran du film d’animation. 2008. Photo : D. R.

L’aventure et les expérimentations artistiques du Metissacana font des émules. En 1999, l’ISEA (Inter-Société des Arts Électroniques) a formé une vingtaine d’artistes sénégalais à la création d’œuvres multimédias lors d’un atelier à Dakar. Ces artistes, pour la plupart, n’avaient jamais approché un ordinateur. En 2002, Marion Louisgrand (France) et François Momar Sylla (Sénégal) donnent naissance à Kër Thiossane et ouvrent en 2003 un espace dédié à la création numérique. Lieu de recherche, de résidence, de création, de formation et d’exposition, Kër Thiossane encourage l’intégration du multimédia dans les pratiques artistiques et créatives traditionnelles et cherche à soutenir le croisement des disciplines. Après plusieurs collaborations avec des artistes du continent africain, du sous-continent indien, d’Amérique Latine et d’Europe, Kër Thiossane lance en 2008 le Festival Afropixel, qui a une récurrence biennale.

Mais en 2002, c’est aussi le premier Forum sur les arts numériques dans le cadre de la 5ème Biennale de Dakar. Ce forum, conçu par Sylviane Diop (Sénégal), a été mis en place en partenariat avec Karen Dermineur (France). Dès 1995, Sylviane Diop avait entrepris un travail de recherche sur les technologies numériques et les applications informatiques au service de la création. Si ses recherches l’ont conduite à mettre en place une base de données mondiale, elle a mis l’accent sur le continent africain. En 2004, elle conçoit le Laboratoire des arts et technologies Dak’Art_Lab dans le cadre de la 6ème Biennale de Dakar. Assistée par Karen Dermineur, Sylviane Diop a créé un incubateur, un lieu de confrontation, d’échanges d’expériences, de collaborations et de réflexions entre artistes, technologues et scientifiques autour de la question de l’art numérique et de ses outils en Afrique. Dak’Art_Lab 2004 a accueilli des créateurs de tout le continent, ainsi que des artistes canadiens. L’expérience de Dak’Art_Lab a été reproduite lors des éditions 2006 et 2008 de la Biennale.

En parallèle à ces activités, Sylviane Diop co-fonde en 2004 à Dakar le collectif GawLab, qui a développé des projets autour de la pédagogie des outils numériques, de l’initiation aux logiciels libres, à l’animation et aux surfaces interactives, de la diffusion d’œuvres numériques et de discussions sur la virtualité/réalité, de la gestion de la ville numérique. Tous ces projets ont été abrités par des espaces publics stratégiquement squattés dans la ville de Dakar. GawLab développe actuellement le projet Metatrame : la relation entre monde immersif et pédagogie, grâce à un espace de découverte et d’apprentissage d’une réalité mixte pour les créatifs du Sud. Un lieu à Dakar devrait accueillir ce projet. Praline Barjowski (Sylviane Diop, dans le civil) est l’avatar explorateur de GawLab dans le cadre d’une grille 3D hébergée sur OpenSimulator. Si Sylviane Diop a un parcours atypique fait de recherches scientifiques et de productions artistiques, les artistes sénégalais ont été initiés à ces outils grâce à des ateliers de formation mis en place par des institutions belges et à la société dakaroise Pictoon, fondée en 1989 par Aïda N’Diaye (Sénégal) et Pierre Sauvalle (France), et spécialisée dans les films d’animation.

Dak’Art_Lab édition 2012. Rencontres Réalités de la création numérique en Afrique : état des lieux, attentes et perspectives, organisées par le groupe de réflexion des Acteurs du numérique au Sénégal. Avec N’Goné Fall (France-Sénégal), Karen Dermineur (Sénégal-France) et Roland Kossigan Assilevi (Sénégal). Institut français du Sénégal, Dakar, mai 2012. Photo : © Pascal Nampémanla Traoré.

Parmi ces artistes précurseurs dans le domaine du numérique, Samba Fall est le plus emblématique de sa génération. Diplômé de l’École des Beaux-arts de Dakar, il passe par le studio Pictoon et commence par « s’amuser à bidouiller » de petits films d’animation sur son ordinateur portable. Après quelques années de production de courts-métrages très humoristiques sur la société sénégalaise, Samba Fall part pour la Norvège étudier puis enseigner le film d’animation à la Mediefabrikken d’Oslo. Son travail d’artiste se développe autour des problématiques liées à la mondialisation et à son impact sur l’économie et les cultures. Samba Fall, qui n’a jamais abandonné la peinture, ne se considère pas comme un artiste numérique, mais plutôt comme un artiste qui utilise les différents médiums à sa disposition et qui les choisit en fonction des concepts qu’il souhaite développer. Si la pertinence tant conceptuelle qu’esthétique de son travail demeure marginale dans le contexte artistique sénégalais, l’Afrique, qui a vécu une « révolution » du téléphone mobile et de l’accès à Internet, a été témoin de l’éclosion d’une nouvelle génération d’artistes qui utilise différents supports, dont le numérique. De l’Égypte avec Doha Ali, Amal Kenawy, Maha Maamoun, Wael Shawki et Khaled Hafez à l’Afrique du Sud avec Tracey Rose et Dayle Yudelman, en passant par le Nigeria avec Emeka Ogboh ou la RDC avec Moridja Kitengue Banza et Sammy Baloji, il y a une nouvelle génération de créateurs de photographies, de vidéos et d’installations sonores qui développe des œuvres artistiques en phase avec les avancées technologiques du monde actuel.

Si les œuvres numériques ont connu un développement plus lent en Afrique que dans le reste du monde, c’est que les établissements d’enseignement artistique (surtout en Afrique francophone) continuent d’ignorer ces nouveaux outils. Quand et comment sera-t-il possible de faire disparaître la fracture générationnelle entre des dirigeants africains réfractaires au changement, ensablés dans des certitudes obsolètes, et une communauté artistique ouverte aux pratiques et aux outils de son époque en résonance avec le reste du monde? Dès lors une question se pose : doit-on encore aujourd’hui préciser le caractère numérique d’une création artistique ? Avec la génération « e-native », dont les premiers sont devenus de jeunes adultes, un artiste numérique n’est-il pas tout simplement un artiste qui utilise les outils de son temps ?

N’Goné Fall
publié dans MCD #71, « Digitale Afrique », juin / août 2013

Diplômée de l’École Spéciale d’Architecture (Paris), N’Goné Fall est commissaire d’expositions, critique d’art et consultante en ingénierie culturelle. Elle a été la directrice de la rédaction du magazine d’art contemporain africain Revue Noire (Paris) de 1994 à 2001. Elle a dirigé des ouvrages sur les arts visuels en Afrique, dont Anthologie de l’art africain du XXe siècle, Photographes de Kinshasa et Anthologie de la photographie africaine et de l’Océan indien. N’Goné Fall est professeur associée à l’Université Senghor d’Alexandrie en Égypte (Département des industries culturelles). Elle est également co-fondatrice du collectif GawLab, une plateforme de recherche et de production dans le domaine de la technologie appliquée à la création artistique, basée à Dakar.